compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Joël Guerriau,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J’appelle chacun à veiller au respect de son temps de parole, ainsi qu’au respect des uns et des autres.

examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (i)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je vais vous parler de la réforme des retraites. (Exclamations amusées.)

Depuis le début, avant même que ne soit entamé le parcours législatif du projet de loi, le Gouvernement a enchaîné les faux pas, les erreurs, les coups de menton… C’est peut-être cela, l’amateurisme que vous revendiquez.

Nous pouvons désormais le dire, nous assistons à un naufrage, sur le fond comme sur la forme.

M. François Patriat. Tout en nuance !

M. Patrick Kanner. Aujourd’hui, je traiterai de la forme, car, actuellement, elle nous empêche d’aborder sereinement le fond.

On ne peut aborder de cette façon une réforme systémique, d’une ampleur telle qu’elle engage le sort de la totalité des Français et concerne 14 % du PIB !

L’argument de l’urgence ne tient pas. Quelle urgence y a-t-il à voter un texte dont personne ne connaît le financement ?

La seule urgence est celle du Gouvernement, qui essaie de se tirer du bourbier dans lequel il s’est lui-même enlisé. Du bourbier naît l’enlisement, de l’enlisement naît la panique… Car, nous le voyons, la panique s’installe dans vos rangs.

Elle s’installe quand votre porte-parole affabule, en disant que l’urgence se justifie par les élections sénatoriales de septembre, qui empêcheraient selon elle le Parlement de siéger assez longtemps pour examiner la réforme. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.) Nous sommes prêts à siéger en juillet si vous le décidez, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)

Elle s’installe quand, ce matin, vos troupes rejettent sans fondement, arbitrairement, la demande de commission d’enquête sur la sincérité de l’étude d’impact demandée par nos collègues députés du groupe socialiste et apparentés, dans le cadre de leur droit de tirage. Qu’avez-vous à cacher, monsieur le Premier ministre ?

Ma question est simple : allez-vous accepter la main tendue par le Sénat ? Allez-vous accepter notre proposition, en décalant le début de l’examen de la réforme par le Sénat à la fin de la conférence de financement ? Allez-vous, enfin, nous laisser travailler sereinement dans l’intérêt des Français ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Patrick Kanner, vous avez eu raison de le souligner, votre question porte plus sur la forme que sur le fond, et c’est donc sur ce point que je vais vous répondre.

Vous évoquez le moment où le texte arrivera au Sénat. Les deux motions de censure qui ont été déposées dimanche à l’Assemblée nationale ont été repoussées, hier, par deux votes distincts. Le texte est donc considéré comme adopté par l’Assemblée nationale aux termes des dispositions de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.

Mme Éliane Assassi. Quel texte ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je sais que vous n’avez pas de problème de principe avec l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, monsieur Kanner… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

En effet, de la même façon que vous êtes extrêmement attentif à ce que je dis et fais, je suis extrêmement attentif à ce que vous avez dit et fait, et j’ai bien noté qu’un gouvernement auquel vous apparteniez avait eu recours aux dispositions de l’article 49, alinéa 3.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous n’y êtes donc pas opposé par principe, j’en ai bien conscience.

Je vous remercie par ailleurs d’avoir souligné – nos concitoyens ne le saisissent pas toujours parfaitement – que l’adoption du texte par l’Assemblée nationale ne vient pas mettre un terme à son examen parlementaire.

Par rapport au texte initial du Gouvernement, le texte adopté hier a déjà été significativement enrichi et modifié, un très grand nombre d’amendements ayant été pris en compte.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne puis en dresser la liste dans le temps qui m’est imparti, et que j’ai d’ailleurs déjà dépassé, mais il y en a plus de 400, monsieur le sénateur. Vous le constaterez lors de l’examen du texte par le Sénat.

Quant au calendrier, je l’ai précisé très tôt : il prévoit l’adoption définitive du projet de loi avant l’été.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pourquoi ?

Mme Éliane Assassi. Oui, pourquoi ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pour une raison très simple : nous avons voulu que la réforme s’applique dès le 1er janvier 2022 à tous ceux qui entreront pour la première fois sur le marché du travail, afin qu’ils puissent bénéficier des progrès sociaux et des nouveaux avantages offerts aux Françaises et aux Français. (Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent. – Marques de scepticisme sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.)

M. Roland Courteau. Quels sont ces avantages ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Or, après l’adoption définitive du projet de loi, nous devrons prendre un temps suffisant pour mettre en place la totalité du dispositif.

Vous le savez parfaitement, monsieur Kanner, le vote d’une loi autorise certes à mettre en place un système, mais il ne suffit pas à le créer en pratique. Prendre ce temps permet d’ailleurs généralement d’éviter les désagréments pouvant résulter de décisions législatives souvent généreuses, mais dont on ne voit pas exactement comment dont elles pourront être mises en œuvre.

M. Rachid Temal. Et le point d’indice ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il nous faudra donc, entre l’adoption du projet de loi et le 1er janvier 2022, prévoir l’ensemble des instruments nécessaires au bon fonctionnement et à la bonne application du dispositif.

Mme Sophie Primas. Si c’est au 15 février, ce ne sera pas grave !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le président du Sénat m’a adressé un courrier traitant du sujet que vous évoquez, monsieur Kanner. Je lui ai répondu par téléphone – j’espère, monsieur le président, que vous m’autorisez à faire état de ce contact.

M. le président. Bien sûr, monsieur le Premier ministre ! Ce fut par téléphone, mais les yeux dans les yeux. (Rires et applaudissements.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. En ces temps où les contacts physiques deviennent plus compliqués, cette forme de tendresse me touche, monsieur le président ! (Sourires.)

Bref, monsieur Kanner, nous voulons faire en sorte que ce projet de loi soit adopté avant l’été.

Mme Sophie Primas. Et pourquoi pas au mois de septembre ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’ai indiqué au ministre chargé des relations avec le Parlement qu’il lui appartenait de se rapprocher du président du Sénat pour examiner dans quelles conditions nous pouvions nous assurer, à la fois, que la discussion parlementaire à la Haute Assemblée s’effectue dans d’excellentes conditions – nous l’espérons tous – et que l’objectif de l’adoption du texte avant l’été, que je me suis fixé, est atteint.

Cette discussion aura lieu dans les jours qui viennent et se fondera évidemment sur les relations de qualité que nous entretenons avec le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

Mme Éliane Assassi. Et la commission d’enquête ?

conséquences économiques liées au covid-19

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la propagation du coronavirus s’est imposée, en quelques semaines, comme la préoccupation majeure des Français.

Alors que le virus était encore récemment cantonné à la Chine, on compte désormais plus de 200 cas sur le territoire national. Mondialisation oblige, l’épidémie est devenue globale.

Toutefois, au-delà des aspects sanitaires, qui demeurent à juste titre la préoccupation principale du Gouvernement, c’est l’économie mondiale qui risque de se gripper. Vous avez annoncé qu’un ralentissement de la croissance nationale serait inévitable. De son côté, l’OCDE a mis en garde contre une récession pour de nombreux pays, notamment la France et certains partenaires européens.

Cela s’explique par l’effet domino qui affecte les chaînes de production mondialisées. De nombreuses usines chinoises ont été mises sous cloche, ce qui entraîne d’importantes difficultés d’approvisionnement pour notre industrie. Pour nos entreprises de services, la baisse de fréquentation est déjà sensible dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de l’événementiel.

Cette épidémie nous fait aussi prendre conscience de notre forte dépendance économique dans certains secteurs stratégiques, notamment l’industrie pharmaceutique. Nous ne voulons pas être alarmistes, mais nous devons répondre aux préoccupations de nos entreprises, tout particulièrement de nos PME.

Madame la secrétaire d’État, quelle stratégie le Gouvernement a-t-il retenue pour limiter les conséquences économiques de cette épidémie pour toutes nos entreprises ? Comment l’articuler avec une action concertée au niveau européen ?

Enfin, sachant qu’un ralentissement de la croissance remet en question les prévisions, quel impact prévoyez-vous pour nos finances publiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice Colette Mélot, vous avez raison de dire que cette crise du coronavirus aura un impact sur l’économie. Il est toutefois difficile de l’évaluer à ce stade, et certains chiffres assez fantaisistes circulent actuellement.

Nous savons que l’impact lié à la Chine est de 0,1 point de PIB sur notre économie. Pour le reste, nous nous engageons, le Gouvernement, Bruno Le Maire et moi-même, à limiter autant que possible cet impact sur l’économie française, en prenant toutes les mesures utiles.

Nous entendons notamment redonner de la trésorerie aux PME et entreprises de taille intermédiaire qui seraient touchées.

Le 21 février dernier, nous avons réuni l’ensemble des secteurs d’activité – j’ai rencontré pour ma part toutes les filières industrielles – pour faire le point sur les facteurs susceptibles de peser sur l’activité.

On peut distinguer les entreprises exposées à la Chine, celles qui perdent des clients en France, faute de demande, et celles dont les chaînes de production peuvent être perturbées pendant quelques jours, voire une semaine, dans l’attente de livraisons provenant de pays affectés – la Chine, mais aussi la Corée du Sud, le Japon ou l’Italie, où la production peut être suspendue.

Nous avons pris des mesures très concrètes, comme le report des échéances sociales et fiscales à la demande des entreprises touchées, ou encore la possibilité de faire valoir la force majeure dans les contrats avec l’État.

Je profite d’ailleurs de ma présence au Sénat pour demander aux collectivités locales d’adopter la même stratégie et aux donneurs d’ordres de faire preuve de bienveillance envers leurs sous-traitants, afin de ne pas ajouter des pénalités à des entreprises déjà sous pression.

Nous facilitons aussi le recours aux heures supplémentaires pour les entreprises qui doivent activer leur production une fois les pièces manquantes réceptionnées. Inversement, nous finançons les périodes de chômage partiel et travaillons pour que celles-ci soient aussi l’occasion d’effectuer des formations professionnelles.

Nous agissons donc très concrètement, en coordination avec le G7 et l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (ii)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, ce devait être la mère de toutes les réformes ; c’est du moins ce que le Président de la République, Emmanuel Macron, nous avait promis, depuis l’Olympe. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais son entrée dans l’atmosphère a été terriblement dégrisante.

Pas une seule étape, pas un seul étage sans un ratage ! Deux années studieuses de M. Delevoye pour rien, un avis cruel du Conseil d’État, un débat à l’Assemblée nationale escamoté, parce que l’essentiel de la discussion sur le financement se tenait dans une enceinte parallèle, et, pour finir, un article 49-3 décidé au sein d’un conseil des ministres convoqué en grande pompe pour discuter de la crise sanitaire !

Vous nous direz que c’est une habilité ; moi, je vous répondrai que c’est une maladresse. Monsieur le Premier ministre, débattre de la réforme des retraites sans en connaître le financement, c’est se moquer des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. C’est pourtant ce qui se passerait si vous refusiez la main tendue du président du Sénat ; j’ai bien entendu, moi aussi, la question du président Kanner.

Une chose m’échappe : vous n’avez cessé de repousser les dates d’application de la réforme, jusqu’en 2047. Dès lors, pourquoi chipoter sur ces quinze jours, qui permettraient un examen de meilleure qualité au Sénat ? (Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Bruno Retailleau, passer de 42 systèmes de retraite, avec leurs règles, leur originalité, leurs contraintes, leur déséquilibre aussi parfois, pour créer un système universel par répartition et par points, c’est évidemment une chose difficile et complexe.

En vérité, je n’ai jamais caché que la tâche serait redoutable. Que l’on soit pour ou contre un système universel, pour ou contre un système par répartition, pour ou contre un système par points, faire converger les 42 systèmes existants vers un système universel prenant en compte les transitions professionnelles sans perte de droits et permettant à la solidarité nationale de s’exprimer envers tous les actifs et les retraités, c’est assurément un exercice redoutable.

Nous avons donc pris le temps de travailler, et certains nous ont d’ailleurs reproché la longueur de cette phase préalable.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne dis pas que vous avez formulé cette critique, monsieur Retailleau, mais je l’ai entendue pas très loin de vous…

Nous devions prendre le temps d’examiner les différentes options susceptibles d’être retenues et les problèmes qui ne manqueraient pas de se poser pour construire, peu à peu, une réforme globale.

Le texte a été présenté au mois de décembre. Et j’ai indiqué, c’est vrai, que je souhaitais qu’il soit adopté avant l’été 2020, de sorte que certaines de ses dispositions puissent s’appliquer le 1er janvier 2022, quand d’autres entreront en vigueur le 1er janvier 2025. Par ailleurs, nous avons en effet prévu, à juste titre selon moi, des périodes de transition progressives, jusqu’en 2037 ou 2047.

Toutefois, à l’Assemblée nationale, la discussion du texte en commission spéciale, puis dans l’hémicycle, n’a pas été possible, non pas en raison de l’absence des dispositions financières que vous évoquez, monsieur Retailleau, mais parce qu’une partie des oppositions – pas toutes – a délibérément choisi, et d’ailleurs assumé, une stratégie d’obstruction.

Des discussions infinies se sont ainsi engagées sur plusieurs milliers d’amendements visant des sujets très importants, comme la question de savoir s’il fallait privilégier dans la rédaction du texte « chaque année » ou « annuellement », « analogue » ou « similaire », « eu égard » ou « considérant »… (Sourires sur les travées du groupe LaREM.)

Tout cela permettant à l’évidence de faire avancer le débat (Mêmes mouvements.), j’ai en effet décidé de recourir à une arme constitutionnelle, certes exceptionnelle, mais parfaitement classique, utilisée 88 fois avant moi ! Je suis son 89e utilisateur depuis 1958. Peut-on vraiment, dans ces conditions, parler d’un coup de force ?

M. David Assouline. Il n’a jamais été utilisé pour une loi comme celle-là !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Contrairement à ce qui a été dit, l’article 49, alinéa 3 de la Constitution a parfois été utilisé pour faire face à ces situations d’obstruction. Je pense par exemple à sa mise en œuvre par Jean-Pierre Raffarin en 2003 pour faire voter le mode de scrutin des élections régionales. Je suis sûr que tout le monde s’en souvient dans cet hémicycle ! (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido acquiescent.)

Nous assumons donc l’utilisation des dispositions de l’article 49, alinéa 3. Les deux motions de censure déposées ont été repoussées hier, et le texte va maintenant arriver au Sénat.

J’ai dit que j’étais disposé à travailler avec le président du Sénat sur la bonne organisation du débat, mais, je le répète, je veux tenir mon engagement d’une adoption du texte avant l’été, afin que les mesures d’application nécessaires soient prises et que la réforme puisse entrer en vigueur le 1er janvier 2022. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous aurons l’occasion, monsieur le président Bruno Retailleau, de discuter de l’architecture d’ensemble et des détails de ce texte, et peut-être même des principes qui le fondent.

J’ai hâte de pouvoir le faire, parce que le sujet est passionnant et que de nombreuses questions restent ouvertes. Ce texte mérite un débat approfondi, et je suis certain que nous pourrons l’avoir ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la réplique.

M. Bruno Retailleau. Nous vous demandons quinze jours, monsieur le Premier ministre, alors que, contrairement à ce que vous affirmez, pour des millions de Français cette réforme n’aura pas d’effets avant 2037 !

Vous ne réformez pas, vous déformez notre modèle social ! Vous vous apprêtez non pas à moderniser notre sécurité sociale, mais à créer une insécurité sociale. (Protestations sur les travées du groupe LaREM.)

M. Julien Bargeton. N’importe quoi !

M. François Patriat. C’est honteux !

M. Bruno Retailleau. Pour des millions de Français qui seront perdants, vous baisserez les pensions !

Vous vous apprêtez à créer une sécurité sociale à deux vitesses, en distinguant la majorité des Français d’un côté, et ceux qui gagnent plus de trois plafonds de la sécurité sociale de l’autre.

J’ai en mémoire un souvenir brûlant : l’extrême solitude de l’exécutif face aux « gilets jaunes ».

M. le président. Il faut conclure !

M. Bruno Retailleau. Je suis sûr que ce souvenir vous hante. Mais quelles leçons en avez-vous tirées ?

Je ne crois pas qu’une poignée d’hommes et de femmes puissent décider, seuls contre tous, de modifier un pacte social aussi important pour l’avenir de millions de Français ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.)

Mme Valérie Létard. Très bien !

crise migratoire aux frontières de la grèce

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vendredi dernier, le président Erdogan a pris la décision d’ouvrir les frontières de son pays aux exilés en route vers l’Union européenne, violant ainsi les accords de Genève conclus en 2016.

La Turquie, qui accueille près de 4 millions de migrants sur son sol, affirme ne pas être en mesure de faire face à un nouvel afflux de réfugiés syriens, afflux provoqué d’ailleurs par ses propres offensives militaires en Syrie, au travers de l’opération « Bouclier de printemps », menée dans la région d’Idlib.

Ankara a également accusé l’Union européenne d’avoir failli à ses obligations, notamment financières, découlant des accords de 2016.

Il semble toutefois que nous ayons nous-mêmes fourni cette arme au président Erdogan, en le laissant libre de s’en servir à tout moment contre l’Europe. C’est bel et bien du chantage !

Durant le week-end, plus de 24 000 tentatives d’entrées illégales ont été évitées et quelque 200 personnes ont été arrêtées, selon le gouvernement grec. De fait, de vives tensions ont éclaté avec les gardes-frontières.

Plusieurs embarcations pneumatiques transportant des migrants sont également arrivées sur les îles de la mer Égée, où les populations locales ont violemment tenté de les empêcher de débarquer. La situation est explosive et peut facilement dégénérer.

Certes, l’Union européenne s’est rapidement mobilisée. Frontex a déployé des renforts à la frontière gréco-turque et a activé la procédure de mise à disposition de moyens par les États membres.

De plus, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, a promis hier à la Grèce « toute l’aide nécessaire », notamment une enveloppe de 700 millions d’euros, dont la moitié sera mise à disposition immédiatement pour gérer cette vague migratoire.

Monsieur le ministre, l’Europe est-elle prête à faire face à une nouvelle crise des réfugiés ? Comment le Gouvernement entend-il agir pour apaiser ces tensions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, différentes questions ayant été posées sur le sujet, je vous livrerai une réponse complète en plusieurs temps.

La crise que connaît actuellement le nord-ouest de la Syrie est dramatique. On se dirige vers un véritable cataclysme. Cette crise a une cause : la rupture des accords de Sotchi, qui prévoyaient que les environs d’Idlib, peuplés de trois millions d’habitants, soient considérés comme une zone de désescalade, afin que les groupes terroristes, nombreux, qui s’y trouvent soient démantelés et afin que la population puisse y vivre normalement, même si elle compte une bonne part de réfugiés.

La Turquie en avait la responsabilité, d’où la situation conflictuelle actuelle entre le régime syrien, qui a engagé une reconquête territoriale, et les forces turques présentes dans cette zone.

Ce conflit entraîne une catastrophe humanitaire, de même qu’un comportement inacceptable de la part de la Turquie, qui, pour satisfaire des objectifs internes et externes, notamment pour faire pression sur l’Union européenne, a décidé d’instrumentaliser les migrants qui se trouvaient depuis longtemps sur son propre territoire.

Cette prise d’otages n’est pas acceptable et doit être combattue.

Nos initiatives sont doubles. D’une part, nous agissons auprès de la Russie pour en revenir aux accords de Sotchi – la rencontre entre les présidents Poutine et Erdogan permettra peut-être d’atteindre ce résultat. D’autre part, nous exprimons notre totale solidarité avec la Grèce. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

solidarité européenne et crise migratoire en grèce

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse également à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

L’Europe est aujourd’hui confrontée de plein fouet à une réaction en chaîne qui a commencé à Idlib, en Syrie, en passant par Ankara et Moscou, pour arriver à Lesbos. Depuis plusieurs jours, près de 13 000 réfugiés venus de Turquie traversent la Méditerranée en direction de la Grèce.

Cette crise est un nouveau test pour l’Union européenne. « Nous n’avons plus l’audace d’exister », nous alerte Bernard Guetta, notre collègue au Parlement européen, dans une récente tribune. Et de continuer : « L’inaction aussi a un prix… »

Cette crise défie à la fois l’espace et le temps. L’espace, car le Levant est devenu une épreuve de vérité pour l’Europe. Le temps, car la crise des réfugiés de 2015 n’a jamais été résolue. La solidarité entre États européens a été mise à mal, le mécanisme de répartition des migrants est resté lettre morte et, aujourd’hui, la stratégie européenne de gestion migratoire avec la Turquie se solde par un échec.

Il est toujours choquant de transformer des femmes, des enfants et des hommes en instruments de politique internationale. Nous le savons depuis Kant, l’être humain doit être toujours une fin en soi, jamais un moyen.

Il y va de la responsabilité du président Erdogan, militairement bloqué au nord de la Syrie, où est stationnée l’armée turque depuis l’offensive qu’il avait lui-même lancée il y a quelques mois, et que nous avions tous condamnée. Aujourd’hui, il n’hésite pas à demander cyniquement du soutien à ses alliés européens et à l’OTAN, une demande de soutien qui s’est muée en un chantage inadmissible et inacceptable.

Le Président de la République a exprimé sa pleine solidarité avec la Grèce et la Bulgarie ; il a clairement indiqué que la France participerait aux efforts européens afin de protéger nos frontières, notamment auprès de l’agence Frontex.

Ce matin, un conseil des ministres de l’intérieur de l’Union européenne s’est tenu pour faire le point sur la situation.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous informer de l’état d’esprit européen face à cette crise inédite et rappeler la position de notre diplomatie ?

Albert Camus le disait : « Je me révolte, donc nous sommes. » Il est temps que l’Europe se lève et se révolte face à cette crise migratoire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Bernard Lalande applaudit également.)