M. François Patriat. C’est ce que fait le Gouvernement !
Mme Laurence Cohen. Cependant, monsieur le ministre, ce qui peut faire la différence, ce sont les moyens humains et financiers mis à disposition de l’hôpital public et les mesures d’accompagnement pour la médecine de ville. Or, depuis un an, les personnels soignants conduisent une action pour dénoncer la crise que vit l’hôpital, à la suite des politiques de restrictions budgétaires mises en place depuis des dizaines d’années et accentuées par Mme Agnès Buzyn. Les grèves, les mouvements unitaires allant des aides-soignants jusqu’aux chefs de service ont dénoncé, et continuent de le faire, la politique dévastatrice pour notre système de soins que mène votre gouvernement.
Faut-il rappeler les chiffres et la suppression de 1 milliard d’euros pour les hôpitaux publics en 2020 ? La ministre Mme Agnès Buzyn leur a concédé 300 millions d’euros, soit un manque à gagner de 700 millions d’euros pour revenir au budget initial, mais pas pour résoudre la crise.
Monsieur le ministre, comme Mme Buzyn, vous semblez aimer le jeu de bonneteau : vous annoncez « débloquer 260 millions d’euros d’aides pour les hôpitaux », mais, détail important, ce soutien financier sera pris sur les « réserves de l’exercice budgétaire 2019 non dépensées », autrement dit, sur le budget de l’hôpital lui-même ! Cette belle entreprise de com’ ne dénote pas une volonté réelle de répondre aux besoins de santé.
Faut-il également rappeler les 18 000 lits fermés ces six dernières années, selon les chiffres du ministère des solidarités et de la santé ?
Le directeur général de la santé a tenté de nous rassurer sur la disponibilité de 2 400 lits de soins intensifs et de réanimation dans les 108 établissements dédiés. Où vont aller les patients qui occupent aujourd’hui ces lits pour d’autres pathologies ? Rappelons qu’avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT) de nombreux hôpitaux de proximité ont été vidés de leurs missions par des fermetures de services et des suppressions de lits.
Vous nous dites que vous éprouvez des difficultés à recruter des infirmières et des aides-soignantes. Répondez donc à la revendication des personnels et titularisez les personnels soignants, au lieu de renouveler leur contrat de CDD en CDD, et portez enfin leur salaire à la hauteur de leur engagement professionnel.
Qu’en est-il des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ? Alors que toutes les structures sont en sous-effectifs, que les agents hospitaliers faisant fonction d’aides-soignants demandent à être formés, qu’ils l’ont dit, qu’ils l’ont crié, rien ne change !
Il faut au moins 100 000 embauches sur trois ans, une revendication que nous avons reprise dans notre proposition de loi pour faire face à l’urgence de la situation des Ehpad. Pour le moment, nous n’en constatons aucune !
Comment les personnels des Ehpad pourront-ils répondre à vos préconisations, monsieur le ministre ? « On veut bien plus de masques, mais encore faut-il avoir des personnels pour les porter », a ainsi déclaré, à juste titre, M. Patrick Bourdillon de la fédération CGT de la santé.
Il faut donc des préconisations, oui, de l’information, oui, de la transparence, oui, mais aussi de l’argent, des moyens financiers et humains pour soigner l’hôpital, ses personnels et les patients ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Michelle Meunier et Laurence Rossignol ainsi que M. Patrick Kanner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE et UC.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de temps l’épidémie va-t-elle durer ? Combien fera-t-elle de victimes ? La réponse technique et précise à ces questions est la suivante : Dieu seul le sait ! Ce n’est pas une bonne nouvelle pour nos dirigeants, en ces temps où la défiance est devenue une religion nationale, aggravée par les réseaux antisociaux, amplifiée par le complotisme.
La science avance trop lentement pour nourrir les télévisions de l’immédiat, qui lui imposent une épreuve redoutable. Il faut informer sur la propagation au jour le jour, expliquer les mesures mises en place alors que la situation change sans cesse, annoncer les aggravations progressives sans déclencher de panique. C’est la lutte de la raison contre l’émotion ; or, dans le monde d’aujourd’hui, la seconde part malheureusement favorite.
Pour inverser la donne, nous pouvons compter sur un système de santé préparé, coordonné et supervisé avec fermeté et souplesse, et sur des professionnels de santé qui sont les rares à bénéficier encore, à juste titre, de la confiance de nos concitoyens.
Nous pouvons compter aussi, à ce jour, sur l’attitude responsable des principaux partis politiques, choisissant la solidarité et la confiance dans les équipes soignantes plutôt que de chercher ce que le Gouvernement aurait pu faire de travers.
Bien sûr, l’exception que l’on attendait s’est produite, nous venons d’en avoir ici même la démonstration. Je parle de ceux qui ont sauté sur l’occasion pour ressortir des cartons leur obsession de la fermeture des frontières. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC.) Trente ans après le ridicule de ceux qui avaient annoncé que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté sur le Rhin, on aurait pu espérer échapper à ce genre de suggestions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.) Rappelons donc aux partisans de la ligne Maginot virologique (Sourires.) que les micro-organismes circulent sans visa.
Au XIVe siècle, à un moment où la lenteur des transports freinait mille fois plus les déplacements que la plus stricte fermeture possible des frontières actuellement, la peste venue d’Asie a tué le tiers de la population européenne après avoir franchi toutes les barrières.
Les chiffres d’aujourd’hui ou de demain n’ont rien à voir avec cela. Des mesures précises, adaptées, conformes à l’avis des spécialistes, doivent être prises, même lorsque certaines d’entre elles sont pénibles. La responsabilité du Gouvernement est que la précaution l’emporte sur la psychose, le contrôle maîtrisé sur le blocage du pays et la réponse sanitaire sur les emportements idéologiques.
M. François Patriat. Très bien !
M. Claude Malhuret. Il me vient une deuxième réflexion : depuis la chute des bourses et la baisse en catastrophe du taux directeur de la Réserve fédérale américaine, tout le monde a compris que la crise économique mondiale à venir risquait d’être aussi grave que la crise sanitaire, je n’insiste pas.
Je veux toutefois rappeler une vérité inquiétante : pour des produits d’importance vitale, tels que les médicaments, nous sommes devenus dépendants d’un seul pays, la Chine. Quand ses usines ferment parce que la population est consignée, la production s’arrête. (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’an dernier, mon groupe, sur l’initiative de M. Jean-Pierre Decool, a lancé un cri d’alarme en créant une mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins. Celle-ci a établi qu’il était suicidaire de ne dépendre que d’un seul fournisseur. L’époque où l’on achetait tout là où les coûts étaient les moins élevés est révolue en ce qui concerne les productions stratégiques. L’aspect positif de cette crise est peut-être de révéler clairement qu’il est temps d’agir. Les changements seront difficiles, il faut les préparer.
Ma troisième réflexion est que, à l’heure où certains sont séduits par les régimes autoritaires, le jeune médecin de Wuhan, devenu un héros, nous a rappelé, avant sa mort, qu’après le virus le principal responsable de la pandémie était la dictature chinoise. Le mois et demi perdu par la peur du régime d’apparaître pris au dépourvu et par la terreur des autorités locales d’être châtiées pour un événement dont elles n’étaient pas responsables a fait perdre la première bataille, celle qui aurait pu tout stopper.
C’est une tragique ironie de voir ce pays, dans lequel chaque habitant est épié en permanence par des caméras, passer pendant cinq semaines à côté d’une épidémie évidente. Les dirigeants chinois en ont-ils tiré la leçon pour aller vers plus de démocratie ? Évidemment non, au contraire : on va vers encore plus de censure et de répression.
Je ne serais pas surpris d’apprendre que la prochaine mesure – je ne suis même pas sûr de plaisanter ! – soit d’adjoindre aux caméras optiques de chaque rue des caméras thermiques pour punir les criminels qui oseront désormais sortir de chez eux sans avoir pris leur température. (Sourires.)
Je terminerai en disant que si je parle au nom de mon groupe ce soir, c’est parce que je suis médecin épidémiologiste. J’ai commencé ma carrière en Inde au XXe siècle, au moment de la campagne d’éradication mondiale de la variole, cent fois plus mortelle que le coronavirus. À l’heure actuelle, les moins de 25 ans n’ont plus sur le bras la cicatrice gaufrée qu’ont tous ceux de nos générations, parce qu’on ne vaccine plus contre la variole : le virus a disparu de la surface de la Terre.
C’est un nouveau combat que le monde doit gagner aujourd’hui. Le Sénat est à vos côtés, monsieur le ministre, aux côtés de tous nos professionnels de santé et aux côtés de tous nos concitoyens dans l’épreuve que nous traversons et que, bien entendu, nous surmonterons. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains, UC, RDSE et LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, il me semble utile d’apporter modération et apaisement, face à l’emballement médiatique et parfois politique, face aux discussions tous azimuts dont nous avons pu être témoins ces derniers jours. Un sujet aussi grave mérite unité et responsabilité.
Face à un climat anxiogène, je me félicite de la tenue de ce débat sous la forme de questions-réponses. Il permettra de rétablir quelques vérités quant à la situation actuelle. Tout le monde n’a pas eu l’opportunité de regarder l’émission de Michel Cymes, hier soir, réalisée sur ce même modèle et fort intéressante. Cela permet à nos concitoyens de mieux comprendre.
Selon le centre chinois de contrôle des maladies, 80 % des cas d’infection sont considérés comme bénins. Le taux de létalité du nouveau coronavirus est relativement bas : entre 2,3 et 2,6 %. Ce virus est donc moins mortel que les épidémies du SRAS en 2002-2003, avec un taux de mortalité autour de 10 %, et de MERS depuis 2012, pour lequel la létalité atteint 36 %. Enfin, l’indice de contagiosité du virus est lui aussi relativement faible, entre 1,5 et 3,5. À titre de comparaison, celui de la varicelle est de 8,5 et celui de la rougeole de 9.
Ce n’est pas parce qu’un virus a un indice de reproduction et une létalité faibles qu’il est inoffensif. La grippe saisonnière est dans ce cas de figure : pour la saison 2018-2019, elle a fait 8 100 morts en France. Le Covid-19, de son côté, a tué à ce jour plus de 3 000 personnes dans le monde, dont quatre dans notre pays.
Les médias ont donc un grand rôle à jouer dans la gestion de cette situation sanitaire. Moins de sensationnalisme et davantage de messages de prévention sont une partie du remède. Ces messages ont été rappelés par le ministre.
Le Gouvernement doit également faire preuve de clarté et d’une grande pédagogie dans l’explication de son plan de gestion du risque. Certaines incohérences, au moins certaines décisions perçues comme telles, dans la mise en œuvre des actions d’endiguement sont pointées du doigt : pourquoi annuler le semi-marathon de Paris et non certains matchs de football ? C’est une question de proportionnalité, je l’entends bien, mais nos concitoyens ne le comprennent pas toujours.
Chaque Français est, enfin, responsable des informations qu’il véhicule. Chacun d’entre nous peut participer, à son insu, à l’installation d’un climat anxiogène contre-productif. L’une des conséquences les plus préjudiciables en serait la saturation des hôpitaux.
Les professionnels de santé – je veux également les saluer – se préparent, dans un contexte particulier pour l’hôpital public. Il y a quelques semaines, plusieurs centaines de chefs de service ont démissionné de leurs fonctions d’encadrement pour dénoncer le manque de lits et d’effectifs.
Différents plans gouvernementaux se sont succédé ces derniers mois, sans jamais emporter la pleine satisfaction des personnels hospitaliers. Aussi, je me félicite que le Gouvernement ait débloqué 260 millions d’euros supplémentaires issus de la mise en réserve prudentielle pour faire face à cette situation. Je regrette néanmoins que l’hôpital public bénéficie d’enveloppes supplémentaires au gré des situations de crise et non de façon pérenne et programmée.
De l’aveu de médecins, certains hôpitaux sont déjà débordés, alors que le nombre de patients hospitalisés est encore faible. L’un des enjeux sera de maintenir un niveau de soins élevé pour les personnes hospitalisées pour d’autres motifs que le coronavirus.
Enfin, face à un système hospitalier en difficulté, il nous faut éviter la contamination du personnel soignant. Le manque de moyens est une chose, le manque de bras en serait une autre.
Le coronavirus soulève des questions à propos d’un autre secteur en souffrance : l’aide à domicile. Face à l’actualisation en continu des instructions ministérielles, ne faudrait-il pas une communication commune, unique à l’échelon national, pour l’aide à domicile avec des déclinaisons locales selon l’intensité de l’épidémie dans chaque département ?
La question se pose également de l’approvisionnement de tous ces professionnels de santé.
Enfin, le coronavirus a une incidence réelle sur l’économie mondiale. L’OCDE a ramené sa prévision de croissance planétaire de 2,9 à 2,4 % pour 2020. Celle-ci pourrait même être divisée par deux en cas d’allongement de la durée de l’épidémie. Le risque de récession est désormais envisagé. La France est également touchée : la croissance nationale pourrait passer sous les 1 % cette année.
Pour conclure, le coronavirus met au défi notre société mondialisée. Il révèle les failles de nos systèmes d’organisation. Il conduit à s’interroger sur les fondations de nos systèmes économiques.
S’il est trop tôt pour évaluer l’ampleur de l’épidémie, je veux croire que cette crise sanitaire nous permettra de rendre nos sociétés plus résilientes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si les membres de mon groupe m’ont choisie pour intervenir ce soir en leur nom, c’est probablement en raison du fait que je suis élu de l’Oise. Malheureusement, mon département est à l’origine de 99 cas sur les 285 recensés en France. Il y a quarante-huit heures, il en comptait lui-même entre 55 et 60, ainsi que la moitié des patients décédés en France.
Mes chers collègues, sans m’attarder sur l’Oise, ce que nous vivons aujourd’hui est sans doute ce que vivront demain d’autres départements.
Monsieur le ministre, je veux saluer l’exigence de transparence que vous avez faite vôtre. Étant absent lorsque je suis intervenue lors des questions d’actualité au Gouvernement de cet après-midi, vous n’avez donc pas pu me répondre. Cette transparence doit aussi s’appliquer dans l’Oise. Or, vous le savez comme moi, des questions demeurent posées et les réponses obtenues ne sont pas encore de nature à nous satisfaire. J’ai toutefois salué l’engagement de l’agence régionale de santé, du préfet, de tous les services de l’État et de tous les personnels hospitaliers.
Je souhaite évoquer maintenant le sort de personnels qui sont moins visibles : ceux qui travaillent dans les métiers du care, c’est-à-dire du soin et de l’aide à domicile, dont Élisabeth Doineau vient de parler.
Je me propose de vous lire un SMS que je viens de recevoir de la part d’une aide-soignante d’un Ehpad public du Morbihan : « Six patients en isolement, dont une partie avec des ambulanciers venus les chercher en tenues de cosmonautes. Nous, soignants, n’avons plus de masques ni de solution hydroalcoolique. Les visiteurs sont gentiment invités à reporter leur visite, mais rien n’est encore interdit. Grosse fatigue, ce soir. » Ce message m’est parvenu il y a un quart d’heure.
Il démontre que ce soir, tous les établissements, y compris dans les zones les plus difficiles, n’ont pas encore été dotés des équipements nécessaires pour faire face à l’épidémie. Quelles consignes donnez-vous aux aides-soignantes et aux Ehpad ?
Dans l’Oise, par exemple, les visites ont été interdites dans certains établissements ; elles ne sont pas recommandées dans d’autres. La directrice de l’Ehpad de Crépy-en-Valois a pris dès jeudi matin, après le décès d’un voisin, si je puis dire, la décision d’interdire les visites ; d’autres se posent la question. Les gens ne comprennent pas.
Selon une enquête publiée ce soir, 65 % des Français se sentent bien informés sur le virus. C’est un bon taux, qu’il faut préserver, voire accroître, grâce à des consignes compréhensibles par tous, donc homogènes et cohérentes.
Je souhaite également attirer votre attention et vous interroger sur la situation des assistantes maternelles, qui passe un peu au-dessous des radars. Ce matin, j’ai reçu un courriel m’indiquant que le conseil départemental recommandait aux professionnels de ne pas accueillir les enfants dans les périmètres à risque. C’est tout à fait normal. Toutefois, les assistantes maternelles me précisent que des indemnités journalières sont prévues pour les malades et pour les parents d’enfants dont l’école est fermée par arrêté gouvernemental, mais rien n’est dit au sujet des salariés des particuliers employeurs, dont elles sont.
Il faut répondre aux questions sociales, et pas seulement aux questions sanitaires. L’impact de ces dernières sur les conditions de vie des métiers de la chaîne du soin – aide à la personne, secteur médico-social ou sanitaire – doit être traité parce que nous sommes partis pour une longue période, nous le savons tous. Regardons ce qui se passe en Italie, où les chiffres sont alarmants.
Si nous voulons faire face ensemble au développement de l’épidémie, il importe de rassurer tout le monde en garantissant à chacun que la fin de mois ne sera pas un problème. Il y en a suffisamment comme ça !
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous propose une référence historique. Vous êtes présent et actif, vous êtes venu dans mon département la semaine dernière et je vous en remercie, mais je voudrais vous rappeler ce qui est arrivé à Jean Casimir-Perier. Face à l’épidémie de choléra, en 1832, il avait décidé d’aller visiter l’Hôtel-Dieu avec le duc d’Orléans. Sur le seuil, il s’est demandé si c’était raisonnable ; le duc d’Orléans l’en a convaincu ; il est entré et quelques mois après il succombait du choléra. Monsieur le ministre, prenez soin de vous, prenez soin de vos équipes et prenez soin de nous tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Sophie Primas tend à M. le ministre un flacon de gel hydroalcoolique.)
M. le président. Merci pour cette recommandation ! (Sourires.)
La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre des mesures de santé publique prises, et à prendre, pour éviter la propagation du coronavirus en France. Innover sur ce sujet paraît bien difficile, tant les informations et les commentaires plus ou moins scientifiques inondent nos chaînes d’information depuis maintenant plusieurs semaines.
Cela ne doit toutefois pas nous exempter d’un débat sur le fond, loin de certaines polémiques politiciennes qui se nourrissent de chaque crise pour prospérer, comme un virus sur sa cellule. Nous en avons eu un triste exemple dans cet hémicycle.
En ma qualité de médecin, je m’efforce de considérer avant tout les faits, de les appréhender de manière scientifique et pragmatique. Les faits, ce sont plus de 250 malades et quatre décès dans notre pays, un taux de contamination de deux à trois personnes par malade et un taux de létalité de 2,3 %, qui tombe à 1,3 % pour les moins de 70 ans.
Les commentateurs sont nombreux à comparer ces taux à ceux de la grippe saisonnière : ils sont plus élevés. Néanmoins, bien que nous en soyons au début de l’épidémie, le bilan du Covid-19 est très loin de celui de la grippe, qui, chaque année, contamine 2 à 6 millions de Français et en tue plusieurs milliers.
Je fais ce parallèle en espérant que la prise de conscience que nous connaissons aujourd’hui infusera dans la société pour les hivers à venir. Je n’aurai de cesse de le répéter : la prévention doit être au cœur de notre politique de santé publique. Or, à l’heure où les scientifiques s’activent pour trouver un vaccin contre le Covid-19, nous sommes très loin, trop loin, d’atteindre les objectifs de vaccination contre la grippe, qui, je le répète, tue chaque année plusieurs milliers de Français, ou contre la rougeole, qui entraîne le décès de trop nombreux enfants.
Se vacciner, c’est se protéger, mais aussi protéger ses proches, notamment les plus fragiles, qui paient plus lourdement les conséquences de ces maladies. C’est pourquoi nous devons, ensemble, continuer de militer pour une généralisation de la vaccination, notamment parmi les professionnels de santé, dont seulement 25 % se font vacciner, alors qu’ils sont en contact direct avec les populations les plus fragiles.
En matière de prévention, je salue, monsieur le ministre, les mesures prises par le Gouvernement pour réquisitionner la production française de masques et la réserver en priorité aux professionnels de santé et aux malades : aux soignants, car, en première ligne face à cette épidémie, ils doivent être protégés, tout en continuant à exercer leur indispensable métier ; aux personnes infectées, naturellement, afin de contenir la propagation de la maladie.
Toutefois, j’ai deux remarques à formuler.
D’abord, la population a pu avoir le sentiment que l’État, peut-être, avait réagi aux événements un peu tard. N’aurait-il pas fallu mettre en place des mesures de réquisition et de délivrance sur ordonnance des masques dès les premières contaminations françaises ? N’aurait-on pas dû être plus mesuré sur la quantité de matériel distribué à la Chine en février dernier, sachant qu’une pandémie se profilait ?
Ensuite, il subsiste encore, je crois, des trous dans la raquette. Malgré la bonne réaction de l’État, avec l’envoi de stocks aux pharmaciens, et malgré l’accélération, fort bienvenue, des chaînes de production de masques, certains pharmaciens continuent d’indiquer qu’ils ne disposeront pas de quantités suffisantes pour fournir l’ensemble des professionnels de santé concernés.
À ce sujet, des doutes subsistent : monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer ces professionnels, nous rassurer ? Quels seront les soignants concernés par les distributions de masques de protection ? Si la distribution est restreinte aux médecins de ville et aux établissements hospitaliers, de nombreux professionnels resteront confrontés à un risque accru, à l’instar des orthophonistes, des kinésithérapeutes et des infirmiers libéraux, qui nous font part de leur inquiétude, car ils sont en contact direct et permanent avec les patients.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que répondez-vous au Syndicat des médecins libéraux, qui réclame des surblouses et des lunettes de protection ?
Dans les circonstances actuelles, la question ressurgit de notre approvisionnement en médicaments. Nous en débattons depuis de nombreux mois, pour ne pas dire de nombreuses années, tant s’accroît notre dépendance à l’égard de l’Asie.
S’agissant des masques, le plus gros fournisseur de France a indiqué que 70 % de sa production était basée en Chine, et qu’il ne pouvait plus rien recevoir depuis deux mois. La production française a donc été dopée et réquisitionnée : c’est fort bien, mais il est probable qu’elle ne suffise pas à pallier des décennies de dépendance croissante.
Un rapport sénatorial, à l’élaboration duquel j’ai participé, a avancé plusieurs propositions invitant les pouvoirs publics à engager rapidement des mesures pour relocaliser la production de médicaments en France, ou plutôt en Europe. Sur toute la chaîne des produits et matériels médicaux, nous devons absolument viser l’indépendance. Je vous sais, monsieur le ministre, conscient de cette nécessité : quelles mesures pensez-vous prendre pour atteindre cet objectif ?
Grâce à l’information sur les gestes de bon sens, qui semblent bien intégrés par la population, et à la limitation des rassemblements que vous avez décidée, on peut espérer contenir, voire limiter, la diffusion du virus. Grâce à l’efficience de notre système de santé, dont il faut saluer les grandes qualités, à commencer par l’engagement de ses professionnels, on peut aussi espérer contenir les conséquences les plus graves de la maladie.
Les mesures prises sont toujours guidées par les scientifiques et doivent le rester. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que tel est votre état d’esprit. Nous vous soutenons sur ce point.
Une question, toutefois, reste en suspens : l’anticipation des places en soins intensifs et en réanimation, condition indispensable à une prise en charge optimale des futurs patients les plus graves.
Personne ne sait combien de temps va durer cette épidémie, mais une chose est sûre : la panique, l’irrationnel, le fantasme ne résoudront rien. L’information, encore et toujours l’information, est, avec l’apprentissage de mesures simples et la responsabilité collective et individuelle, le seul moyen de limiter l’épidémie. Dans cette crise sanitaire exceptionnelle, monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, convoquer, la semaine dernière, une réunion des responsables des différents groupes politiques et des chefs de parti était, de la part du Premier ministre et de tout le Gouvernement, une première marque de confiance dans la représentation nationale. Ce fut un moment d’unanimité – à une exception près. Face à l’adversité, puisse cette unanimité continuer de nous réunir.
Nous donner, ce soir, l’opportunité d’un débat public sur l’action du Gouvernement est primordial pour l’information de nos concitoyens, gage de transparence et de responsabilité. Débattre au Sénat, c’est aussi assurer à nos élus locaux, qui sont, avec les services déconcentrés de l’État, en première ligne, qu’ils sont une partie de la solution.
Une prise en charge globale de la situation nécessite une réponse en matière de sécurité sanitaire, bien entendu, mais aussi des mesures sociales, économiques et numériques, et bien d’autres encore.
Nous approuvons les priorités établies par le Gouvernement : n’agir qu’en fonction de données médicales et scientifiques, et non d’après l’émotion ; faire preuve de réactivité et d’adaptabilité à chaque instant de la crise ; en toute transparence, dire la vérité sur ce que l’on sait comme sur ce que l’on ne sait pas. Alors que la santé des Français est une priorité absolue, la gestion de la crise sanitaire telle que vous la conduisez, monsieur le ministre, montre que nous sommes prêts à faire face au risque d’épidémie.
Voilà près d’une semaine, l’Organisation mondiale de la santé a alerté du risque d’une potentielle pandémie, à la suite d’une multiplication des zones touchées par le coronavirus. À ce stade, quatre-vingts pays ont signalé des cas à l’intérieur de leurs frontières.
Ce n’est pas la première fois, comme il a déjà été souligné, que nous sommes confrontés à une telle situation. Souvenons-nous, mes chers collègues, de la grippe H5N1, du H1N1, du SRAS, du chikungunya, de la fièvre Ebola, ou encore de la maladie à virus Zika, dont les pathologies sont bien plus inquiétantes que celle qui nous préoccupe aujourd’hui. Reste qu’il ne faut rien sous-estimer.
Si la propagation du virus à l’échelle internationale est d’une grande rapidité, nous ne devons pas non plus céder au catastrophisme. Il faut préciser que, dans près de 81 % des cas, cette maladie est largement bénigne.
À l’occasion de l’irruption du Covid-19 en France, les autorités sanitaires ont enclenché le stade 2 du plan de prévention et de gestion, visant à freiner la propagation du virus. Par les actions menées, nous retarderons aussi longtemps que possible le passage au stade 3, correspondant à la circulation réelle et large du virus à l’intérieur du territoire. Mais en cas de passage à ce niveau, monsieur le ministre, quelles restrictions pourraient être mises en œuvre ?
Par ailleurs, un suivi des personnes s’étant rendues dans des zones à risque a été assuré, et des règles de réduction de la vie sociale leur ont été justement imposées. Un décret du 31 janvier dernier prévoit le versement d’indemnités pour arrêt de travail de vingt jours, sans délai de carence ; cette mesure sociale bénéficie également aux parents des enfants dont l’établissement scolaire fait l’objet d’une fermeture temporaire et qui ne peuvent se rendre au travail.
Les clusters évoqués par M. le ministre ont été rapidement détectés. Des mesures raisonnables, mais néanmoins contraignantes, ont été prises au moment opportun. C’est ainsi que certains événements ont été reportés à la suite de décisions locales, dans un souci de prévention de possibles nouvelles contaminations. Monsieur le ministre, pouvez-vous mettre en lumière la cohérence des choix faits en matière d’interdictions et de fermetures ? On songe à la fermeture du marché de Crépy-en-Valois, alors que le supermarché voisin restait ouvert. En la matière, nous devons avoir le souci de la cohérence.
Au regard des dispositifs mis en place localement, nous savons que la réponse sanitaire doit être territorialisée, en métropole comme en outre-mer. Afin de transmettre les recommandations adéquates et de répondre aux inquiétudes légitimes des citoyens, les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les professionnels de santé et les élus locaux collaborent en bonne intelligence.
Cette gestion se caractérise par la diffusion d’une information transparente, régulière et de qualité à destination de la population. Ce qui paraît indispensable, compte tenu du nombre de rumeurs qui se propagent sur internet. D’ailleurs, le Gouvernement a tenu avec les principaux moteurs de recherche une réunion de coordination sur ce sujet.
Les Français ont confiance dans notre système de santé et dans sa gestion des crises sanitaires. À ce titre, je salue à mon tour l’ensemble les professionnels qui, aujourd’hui comme hier, se dépensent sans compter pour organiser la mobilisation contre l’épidémie. Chacun de nous se doit de les aider dans cette lutte. Les gestes barrières sont simples : ne soyons donc pas égoïstes !
L’égoïsme, ce serait aussi de jouer avec les peurs, en promettant des mesures inefficaces et attentatoires aux libertés, comme récemment certains politiques. Je pense aux contrôles aux frontières, dont Claude Malhuret a déjà fort bien parlé, voire à la suggestion plus radicale encore de fermer les frontières. Que répondre, si ce n’est que le repli sur soi, que d’aucuns préconisent, n’est jamais la solution ? Ce n’est qu’une incantation illusoire, alors que, d’après l’OMS et tous les experts, les frontières terrestres n’ont pas de sens en matière épidémiologique.
Pour notre part, nous avons choisi de privilégier une coopération européenne et internationale accrue, dans le but d’apporter une réponse collective appropriée. C’est le partage d’informations et d’expériences entre États qui permet de lutter efficacement contre la maladie !
Cette crise sanitaire appelle également des réponses en matière économique à l’échelon européen. De ce point de vue, Bruno Le Maire a très justement posé la question d’une relocalisation de certaines industries et filières stratégiques en Europe.