Mme la présidente. Tant que cela tient dans les huit minutes… (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … il y a eu un encombrement. Parfois, les familles ont trouvé que c’était beaucoup trop de travail. Puis, progressivement, tout ça s’est régulé. C’est cela aussi un service public de l’éducation nationale : une capacité à apprécier, au fil du temps les choses.
Madame la présidente de la commission, vous avez rendu hommage aux professeurs, mais aussi à l’administration, et je vous en remercie. Il est toujours facile d’attaquer l’administration de l’éducation nationale – cela a été fait, dans le passé. Pour ma part, je la défends, parce que je la vois fonctionner. Elle a évidemment ses qualités et ses défauts, comme toute institution, mais il fallait la voir, belle et solide dans cette tempête, accomplir ce travail important, avec ses équipes en télétravail ou au bureau, y compris le samedi et le dimanche, comme, d’ailleurs, pour l’accueil des enfants du personnel soignant. J’avais les recteurs en visioconférence tous les deux jours ; ils étaient parfois avec de toutes petites équipes dans les rectorats et ils travaillaient le week-end, tout cela pour tenir le système au milieu des difficultés très particulières que nous rencontrions.
Je le souligne, parce que l’on a parfois l’impression que les choses se déroulent tout naturellement, comme par magie. Non, il y a tout simplement du personnel administratif, parfois un peu dans l’ombre, mais qui accomplit un travail remarquable et, bien sûr, les professeurs, très engagés dans cet enseignement à distance.
Quel bilan pourrons-nous faire à froid de tout cela ? Nous verrons toutes les qualités humaines qui se sont déployées, toutes nos forces et toutes nos faiblesses sur le plan technologique, qui nous permettront de nous améliorer dans le futur.
Le déconfinement – la période dans laquelle nous sommes actuellement – est aussi un moment tout à fait exclusif, inédit. Jamais l’éducation nationale, dans toute son histoire, n’a eu à faire ce que nous sommes en train de faire, non une rentrée, mais ce que nous avons préféré appeler « une reprise », c’est-à-dire, si possible, le retour à la normale.
Ce retour à la normale ne peut pas se faire tel quel. Nous le savons tous, ce ne seront pas des classes ordinaires qui auront lieu en mai et en juin. Néanmoins, ce n’est pas non plus l’inverse de cela, ce n’est pas le rien. Vous savez à quel point je me bats contre le rien, contre l’idée selon laquelle on pourrait attendre septembre, voire – pourquoi pas ? – encore de longs mois, en attendant une hypothétique découverte, pour que les enfants reviennent à l’école. Il y a déjà suffisamment de dégâts sociaux liés au confinement pour ne pas en ajouter en attendant davantage.
Une autre perspective serait l’école « garderie », un moment où l’on s’occupe juste de garder les enfants. Je suis farouchement opposé à cette approche également. Les deux approches – rien du tout ou l’école garderie – sont délétères pour l’idée qu’on peut se faire de l’école de la République. Il faut que les enfants soient là pour apprendre, même si c’est dans des circonstances particulières.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, seize questions vont vous être posées, et vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je pensais pouvoir disposer de plus de temps. Cela me rappelle certains forfaits illimités qui ne le sont pas tant que ça… (Sourires.)
Mme la présidente. Je voulais vous dire que vous pouviez utiliser le temps que vous souhaitiez dans la limite des huit minutes qui vous étaient imparties.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je comprends, madame la présidente ; j’aborderai les troisième et quatrième périodes à l’occasion des réponses aux questions qui me seront posées.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. La crise sanitaire que nous traversons a ébranlé notre pays en profondeur. Pour la première fois de notre histoire, nous avons dû fermer nos écoles. Prendre cette décision fut difficile, car il s’agit d’un fondement notre République. Nous commençons à les rouvrir. Nous savons combien cet exercice est complexe, monsieur le ministre, pour vous et surtout pour les maires, pour les directeurs et directrices d’école et pour les professeurs. Cette situation inédite nous a contraints à mettre entre parenthèses le respect d’un principe important de notre école républicaine : l’obligation.
Alors que nous débattons des modalités de réouverture des établissements, je souhaite redire ces mots de Jules Ferry sur l’inscription dans la loi de l’obligation scolaire : « Nous mènerons à bien cette grande réforme, qui est à la fois la plus grande des réformes sociales et […] la plus durable des réformes politiques… Lorsque toute la jeunesse française se sera développée, aura grandi, sous cette triple étoile de la gratuité, de l’obligation et de la laïcité, nous n’aurons plus rien à craindre des retours du passé. »
Si nous pouvons comprendre pourquoi il a fallu suspendre l’obligation scolaire, nous conviendrons toutes et tous qu’il est urgent de trouver comment réunir les conditions pour que nous puissions la rétablir au plus vite. C’est nécessaire pour ne pas accroître les inégalités entre les familles, et surtout pour réussir à accompagner les décrocheurs scolaires efficacement.
Je crois que nous en serons capables collectivement. Notre groupe de travail « enseignement scolaire » l’a prouvé en fournissant un travail transpartisan et constructif. Pour la fin de cette année scolaire, l’enjeu est de pouvoir accueillir chaque enfant. C’est impossible dans nos seuls locaux scolaires. Il faudra donc s’appuyer sur nos collectivités locales, mais il est impensable de leur demander cela sans leur donner les moyens adéquats.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous précisiez comment les collectivités locales vont être accompagnées financièrement pour supporter les frais de la réouverture des écoles et surtout ceux de la mise en œuvre du dispositif 2S2C – sport, santé, culture, civisme.
Pour restaurer effectivement l’obligation scolaire en septembre 2020, nous devons faire le bilan des besoins, du déroulement des réouvertures partielles par territoire et dans chaque filière et du décrochage scolaire. C’est indispensable pour réaliser les aménagements pédagogiques nécessaires et trouver des solutions pratiques adaptées à chaque contexte. Pouvez-vous nous indiquer si ce bilan complet est prévu ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, en France, l’instruction est obligatoire, et cette obligation n’a pas été suspendue. Ce qui est en question, c’est le fait d’être physiquement présent à l’école. Personne ne peut contredire les propos tenus par le Président de la République : on ne saurait ramener de force les enfants à l’école. L’instruction reste donc obligatoire : soit les enfants se rendent à l’école, par la volonté des familles, soit ils suivent l’enseignement à distance.
Bien évidemment, ce n’est pas simple. Certains enfants ne vont pas à l’école alors qu’ils en auraient le plus grand besoin, mais nous avons encore de sept à huit semaines pour réussir à les y ramener, dans une grande alliance avec les élus locaux. Entre-temps, nous devons continuer d’assurer l’enseignement à distance, l’instruction restant obligatoire. Nous travaillons pour que la rentrée de septembre soit beaucoup plus homogène, beaucoup plus normale. Rouvrir les écoles en mai nous permet de mieux préparer encore cette échéance.
Je remercie l’ensemble des sénatrices et des sénateurs, dont vous êtes, qui ont participé à ces travaux très constructifs, pouvant servir de base à notre action.
Nous devons accorder une plus grande place au sport et à la culture à l’école. C’est une des conséquences de ce qui est train de se passer. Cela illustre le fait qu’une contrainte forte, une circonstance négative, peut amener des évolutions positives si nous travaillons bien.
Nous avions de toute façon pour objectif de développer, en lien avec les collectivités, la place du sport et de la culture à l’école. Le dispositif 2S2C, qui préfigure cette évolution, fait déjà l’objet d’une convention type. J’étais ce matin en visioconférence avec les présidents d’associations d’élus : une aide financière de 110 euros est prévue par groupe de quinze élèves et par journée. Par ailleurs, le ministre de l’action et des comptes publics crée un compte dit « Covid » dans la comptabilité des collectivités locales pour prendre en compte les surcoûts occasionnés par la crise.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Monsieur le ministre, j’associe à cette question mon collègue des Alpes-de-Haute-Provence, Jean-Yves Roux, et l’ensemble des sénateurs du groupe RDSE.
Depuis le 11 mai, les écoles rouvrent progressivement dans notre pays. Ce retour à l’école des élèves s’organise selon un protocole sanitaire exigeant, lourd et complexe. Or, pour mettre en place ces mesures absolument nécessaires, les communes ne sont pas égales en termes de moyens tant financiers que logistiques. Je pense en premier lieu à l’approvisionnement en matériels de protection ou de nettoyage, qui représente un coût important. Il en va de même pour la capacité à investir dans de nouveaux locaux, car la surface des salles de classe est souvent insuffisante pour permettre le respect des règles de distanciation.
En outre, dans les petites communes, il est particulièrement difficile de mobiliser les effectifs de personnels municipaux qui seraient nécessaires, ainsi que de financer des heures supplémentaires pour assurer l’entretien régulier des écoles.
Les communes font au mieux avec les ressources dont elles disposent, mais les mesures sanitaires entraînent de lourdes dépenses qui vont durement peser sur les finances des municipalités, d’autant que la situation actuelle risque de perdurer jusqu’à la rentrée de septembre.
Alors que les nouvelles équipes municipales élues au premier tour vont entrer en fonction, les élus des petites communes ont besoin d’être soutenus. Monsieur le ministre, comment comptez-vous aider concrètement les petites communes et les communes en situation financière difficile à appliquer le protocole sanitaire élaboré par l’éducation nationale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé que le protocole sanitaire était strict et souligné combien il était nécessaire qu’il le soit. J’entends parfois critiquer ce protocole, mais son respect est incontournable pour réaliser le déconfinement.
Plus de 90 % des communes ont su travailler dans ces conditions et dépasser les contraintes. Je veux encore une fois remercier les maires et leurs équipes qui ont œuvré en lien étroit avec l’éducation nationale.
Les moins de 10 % de communes restantes sont souvent des communes rurales qui rencontrent des difficultés pratiques. L’éducation nationale, l’État en général, voire d’autres collectivités territoriales, sont là pour les aider. Nous le voyons sur le terrain. La première des aides, c’est cette aide pratique, humaine.
Jacqueline Gourault, en lien avec le ministre de l’action et des comptes publics, mène une réflexion sur les surcoûts et leur évaluation. Le confinement, reconnaissons-le, a parfois aussi été à l’origine d’économies, certaines dépenses n’ayant pas été faites. Il faut regarder comment les choses s’équilibrent et voir comment l’État, dans un esprit de bon sens et de bienveillance, peut soutenir les collectivités dans ces moments difficiles.
Nous travaillerons main dans la main sur tous ces enjeux. La mise en œuvre du protocole sanitaire pourrait encore engendrer des coûts supplémentaires en 2020-2021 ; il faudra en tenir compte dans le partenariat entre l’État et les collectivités locales.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. La réouverture des écoles et la rentrée scolaire sont des enjeux cruciaux du déconfinement au regard de la continuité éducative pour nos enfants.
Vendredi 8 mai, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que la formule de classes par demi-groupes pourrait être reconduite en septembre et que l’enseignement à distance continuerait à jouer un rôle très important. Il s’agit en effet de concilier deux exigences : la réussite éducative de nos enfants et la protection sanitaire, au moment où une crise sans précédent frappe notre pays.
Je souhaite attirer votre attention sur une problématique majeure à laquelle nous sommes confrontés : celle de la fracture numérique au sein de notre système éducatif et des inégalités scolaires qu’elle engendre.
Connexion internet défaillante, familles dépourvues d’ordinateur et d’imprimante : dans les zones rurales comme dans les quartiers populaires, les élèves sont parfois dans l’impossibilité de suivre les enseignements dans de bonnes conditions.
Malgré le travail considérable des associations et la mobilisation des enseignants et des pouvoirs publics, cette fracture engendre de lourdes conséquences sur la réussite éducative de nos enfants. Ainsi, 4 % des élèves seraient totalement injoignables, selon vos propres déclarations. Certains enfants dits « prioritaires », en rupture scolaire depuis le début du confinement et qui auraient dû rentrer en classe la semaine dernière, ne seraient toujours pas revenus à l’école. Une rupture avec le milieu éducatif durant cinq mois accentue fortement les inégalités et les risques d’échec scolaire.
Je pense enfin aux enfants sous protection de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui constituent une population fragilisée et pour laquelle les moyens logistiques sont souvent insuffisants. Ils sont particulièrement touchés par le décrochage scolaire – 70 % de ces jeunes n’ont aucun diplôme à l’issue de leur prise en charge par l’ASE – et doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Monsieur le ministre, dans le cas où l’enseignement à distance serait amené à perdurer, quelles mesures mettrez-vous en place à la rentrée scolaire pour renforcer la continuité éducative et lutter contre le décrochage scolaire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Votre question, monsieur le sénateur, renvoie à la dimension numérique de l’adaptation de notre système scolaire.
Cette crise a accentué la fracture numérique. Pour réduire celle-ci, nous avons, à court terme, distribué avec les collectivités locales des tablettes aux familles, grâce au plan de 15 millions d’euros conçu avec Julien Denormandie. Nous avons aussi conclu un accord avec La Poste qui, grâce à une innovation technologique très intéressante, a pu imprimer et envoyer directement aux familles les contenus transmis numériquement par les professeurs. Les familles disposent ensuite d’une enveloppe préaffranchie pour retourner gratuitement les travaux réalisés par les élèves. Cela représente quelque 10 000 envois quotidiens.
Enfin, dans le cadre de la « Nation apprenante », des programmes de France 4, de France Culture et d’autres médias, publics et privés, ont été diffusés par la télévision, pour atteindre des familles qui n’avaient pas internet.
Au-delà de ces outils que nous avons développés au cœur de la crise, nous devons avoir une vision pour l’avenir. Nous l’élaborons au travers des états généraux du numérique éducatif qui se tiendront à Poitiers, en novembre prochain, après que chaque académie aura organisé ses propres états généraux pour faire le point sur ce qui a été fait et sur les perspectives qui s’ouvrent.
Nous avons déjà quelques idées. Pour réduire la fracture numérique, nous travaillons sur l’équipement des élèves et des enseignants et sur la formation de ces derniers. Nous voulons renforcer la capacité de la France à développer des technologies appliquées à l’éducation en encourageant les EdTech françaises. C’est le sens du projet « Poitiers, capitale de l’éducation », qui doit nous permettre, avec nos opérateurs, d’être en pointe sur ces questions.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. En affirmant, le 11 mai dernier, qu’il y avait plus de risque à rester chez soi qu’à aller à l’école, vous avez, monsieur le ministre, définitivement cassé ma boussole !
La réouverture des établissements, depuis le 11 mai, s’est faite selon le même style hasardeux : l’impréparation pour la sortie de confinement a fait suite à l’impréparation pour l’entrée en confinement, sans aucune concertation avec les collectivités locales. Il eût été plus pertinent et plus efficace de coupler une stratégie globale avec une approche locale.
Les résultats sont là : soixante-dix cas confirmés de contamination dans les écoles depuis le 11 mai, plus de cinquante écoles de nouveau fermées… Les parents n’ont pas confiance dans le dispositif actuel et une majorité d’élèves ne sont pas retournés à l’école, le spectre du syndrome de Kawasaki planant sur nos enfants.
Par ailleurs, 5 % des élèves n’ont pas été joignables par leurs professeurs durant le confinement. En voulant instituer des « vacances apprenantes » pour empêcher le décrochage scolaire, l’éducation nationale se condamne à se transformer en centre aéré pour l’été…
La situation dans ma ville est d’autant plus critique que les élèves, à Marseille, ne craignent pas seulement le virus : ils ont surtout peur que le plafond leur tombe sur la tête, qu’il n’y ait pas d’eau courante, que la chaleur les étouffe en été ou que le froid les fasse grelotter en hiver !
Je me suis opposé à la réouverture des écoles à Marseille, car, en tant qu’élu local, j’étais bien placé pour savoir qu’elle ne pouvait pas se faire dans les conditions adéquates ; cela s’est confirmé.
La réouverture n’a pas non plus permis aux parents de retourner au travail, puisque seuls 500 des 20 000 élèves des quartiers nord ont fait leur retour en classe. On ne compte plus les bidons de gel hydroalcoolique dépourvus de pompe ni les thermomètres qui ne fonctionnent plus – mais cela, je vous l’accorde, n’est pas de votre responsabilité.
Puisque vous avez choisi de vous défausser sur les maires, une trentaine d’entre eux sur cent dix-neuf, dans mon département, ont décidé de ne pas rouvrir les écoles. Ils ont peur pour les enfants, pour le personnel, pour les parents, mais aussi pour eux-mêmes, car c’est le maire qui sera tenu pour responsable si un seul enfant, enseignant ou agent municipal est contaminé !
Vous avez menti à tous les Français, et maintenant vous vous cachez derrière les maires de France. C’est simple : le jour où l’on n’aura besoin de rien, on saura que l’on peut compter sur vous !
En attendant, les Français et leurs maires, le pays réel, se débrouillent, comme d’habitude, pour faire tourner la France, prouvant ainsi que, même dans la plus grande adversité, tout peut être relevé, à condition d’être en phase avec la réalité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Stéphane Ravier. Après trois années de mépris du Président de la République envers les territoires et les élus locaux, pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que les maires, forts de leur dévouement durant cette crise qui n’est pas terminée, seront entendus et qu’ils pourront retrouver une place centrale dans l’organisation de la vie de la Nation ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, je ferai une réponse courte pour compenser le fait que vous avez dépassé votre temps de parole…
Vous avez mêlé des remarques exactes à des observations tout à fait inexactes ; faire le partage prendrait beaucoup de temps. Ce qui est certain, c’est que le duo maires-État a fonctionné de manière très satisfaisante durant cette période, comme le soulignent les présidents des associations d’élus. Cela ne veut pas dire que tout va bien, monsieur le sénateur, mais vous donnez parfois le sentiment de vous repaître de ce qui ne va pas bien. Si votre démarche consiste seulement à souligner ce qui ne fonctionne pas, vous aurez beaucoup à faire, mais vous ne construirez pas grand-chose.
Ce qui est très important, c’est que le couple maire-éducation nationale fonctionne dans plus de 90 % des communes. Oui, il faut réviser le bâti scolaire et il y a beaucoup à faire sur ce plan dans certaines communes, je vous l’accorde. Nous travaillons de manière constructive pour que les choses changent, pour que l’ensemble des élèves, notamment les plus défavorisés, rejoignent l’école. Ce n’est pas avec un discours comme le vôtre qu’on y parviendra.
J’assume totalement d’avoir dit qu’il y a du danger, social et sanitaire, à rester chez soi. Je n’ai pas été le premier à le souligner, les sociétés de pédiatrie et des pédiatres très reconnus l’ont fait avant moi. À rebours de votre discours, je dis qu’il faut aller à l’école, parce que je crois à l’école ; j’y crois en période normale, et plus encore en période de crise ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. La reprise des cours, aux objectifs pédagogiques pas toujours très clairs, me semble-t-il, reposant sur un volontariat des familles qui n’en est pas vraiment un et qui pose beaucoup de questions, encadrée par des protocoles sanitaires extrêmement complexes, élaborés tardivement et auxquels les collectivités territoriales ont dû se plier très rapidement, ne remédie pas aux inégalités sociales. Dans mon département de la Seine-Maritime, par exemple, les élèves des zones d’éducation prioritaire (ZEP) sont deux moins nombreux que les autres à retourner à l’école.
Il ne faut évidemment pas renouveler l’expérience que nous vivons actuellement. Il est indispensable, à cette fin, de préparer la rentrée non pas d’une manière « normale », quand bien même nous aimerions tous être débarrassés de cette épidémie d’ici à septembre, mais d’une manière inédite, d’autant que l’on ignore encore, à ce stade, dans quelles conditions sanitaires se déroulera cette rentrée.
Les deux projets de loi de finances rectificative que nous avons examinés visent notamment à venir en aide à certains secteurs économiques, ce qui est justifié, mais ils ne comportaient aucune traduction budgétaire des créations de postes sur lesquelles vous vous êtes engagé, monsieur le ministre.
Je vous ai déjà interpellé sur cette question : il faut annuler les fermetures de classes et les suppressions de postes prévues dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP), où il n’est pas vrai que l’effectif maximal de vingt-cinq élèves par classe soit partout respecté.
En outre, nous avons plus que jamais besoin de pouvoir nous appuyer sur des dispositifs comme les réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased) et de disposer de plus de maîtres que de classes. Nous savons bien que les inspecteurs d’académie sont souvent contraints de prendre sur les effectifs dédiés aux remplacements pour répondre aux besoins.
La crise sanitaire a bousculé beaucoup de choses, notamment l’organisation des concours. Je veux relayer ici les préoccupations des candidats aux concours internes de l’éducation nationale, qui souhaitent l’annulation des oraux prévus en septembre et en octobre. C’est une question de justice à leur endroit et cela permettra d’affecter ces enseignants dès la prochaine rentrée. Nous avons aussi besoin de moyens dans le secondaire.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice, vous semblez trouver le protocole sanitaire trop strict : auriez-vous souhaité qu’il le soit moins ? Nous l’avons élaboré en quelques jours après avoir recueilli l’avis du Conseil scientifique. Nous pouvions difficilement agir plus vite. Nous avons travaillé avec les associations d’élus. Je reconnais que tout s’est déroulé dans des délais brefs, mais nous sommes en période de crise et nous devons nous adapter à chaque situation. On peut souligner à l’envi que ce protocole est strict, mais il n’en reste pas moins que communes et conseils départementaux ont pu travailler, ce qui permet aux collégiens de retrouver leurs établissements depuis hier.
En ce qui concerne la carte scolaire, j’ai déjà eu l’occasion de vous répondre. Nous sommes, là aussi, dans une situation assez unique : nous avons créé des postes en pleine année budgétaire. La carte scolaire était déjà prête, et nous l’avons rectifiée. Le Sénat a joué un rôle très important à cet égard. Il me semble important de souligner le consensus qui s’est établi entre le Sénat, l’Assemblée nationale et l’exécutif sur cette décision, qui permet de bien préparer la rentrée. En Seine-Maritime comme ailleurs, commune par commune, le taux d’encadrement sera amélioré. Si vous me trouvez une classe de plus de vingt-cinq élèves en REP dans votre département, je m’engage à changer cette réalité. Nous pouvons avancer de manière consensuelle sur ces sujets.
J’ai aussi déjà eu l’occasion de m’exprimer sur les concours de recrutement. La solution de facilité aurait été de les reporter, voire de les annuler et d’attendre l’année prochaine en fonctionnant avec des contractuels. Nous ne l’avons pas fait. Aujourd’hui, nous cherchons, toujours avec bienveillance, à trouver la bonne formule pour ceux qui vont concourir. C’est ainsi que les concours externes auront lieu de la mi-juin à la fin juillet et les concours internes à la rentrée, de manière à préserver les droits de ceux qui les ont préparés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. À l’heure de la réouverture des classes, je voudrais saluer le travail accompli par tous les personnels de l’éducation nationale, ainsi que par les partenaires de celle-ci que sont les collectivités, dans cette situation tout à fait inédite.
Le Gouvernement a annoncé qu’une priorité serait accordée à l’accueil des enfants porteurs d’un handicap par les établissements scolaires. En effet, les enfants atteints de troubles cognitifs et leurs familles ont particulièrement souffert des effets du confinement – rupture de soins, perte de repères liée aux changements d’habitude, épuisement des familles… –, si bien que le retour à l’école était très attendu des parents comme des enfants.
Pourtant, en dépit des annonces du Gouvernement, on a pu constater, dans un certain nombre d’écoles, que des parents d’enfant porteur d’un handicap se heurtaient à un refus d’admission. Les exemples ne manquent malheureusement pas. La raison principale invoquée serait l’impossibilité, pour ces enfants, de respecter les gestes barrières.
Les associations de défense des personnes handicapées et les fédérations de parents d’élèves plaident pour que le Gouvernement garantisse un droit à l’éducation pour tous les enfants. Il est regrettable de devoir constater que les enfants les plus fragiles sont les premières victimes du déconfinement.
Je veux bien croire que seules les difficultés de mise en place des conditions d’accueil idoines soient à l’origine de ces réactions discriminatoires. Pour autant, le protocole sanitaire souligne qu’une attention particulière doit être apportée aux personnes en situation de handicap ou porteuses de maladies évoluant sur une longue période.
Monsieur le ministre, alors que le Gouvernement affiche clairement sa volonté de bâtir une école inclusive, conformément au souhait des parents d’élèves et des fédérations d’associations de défense des personnes en situation de handicap, êtes-vous prêt à mettre en œuvre des mesures concrètes permettant d’accueillir ces enfants dans de bonnes conditions ?