Mme Laurence Rossignol. Cet amendement est quasiment identique à celui que vient de présenter Mme Cohen. Je voudrais simplement rappeler l’état actuel du droit.
Lorsque le délai légal de l’IVG est dépassé – nous reviendrons à l’occasion de l’amendement suivant sur la question du délai légal –, il est possible de recourir à une interruption dite médicale de grossesse quand la santé de l’enfant à naître ou la santé de la mère sont en danger.
L’interprétation faite par les équipes médicales de cette disposition relative à l’interruption médicale de grossesse a conduit à élargir la question de la santé de la mère à ce qu’on appelle la détresse psychosociale. Pour faire simple, il s’agit de cas de viols, d’incestes, de femmes handicapées mentales, de situations d’extrême précarité ou de désespoir : les cas où l’on sent que la santé psychologique de la mère est mise en danger par des conditions sociales spécifiques ou par des conditions qui relèvent de la manière dont la grossesse s’est engagée.
Le collège de médecins qui prend la décision – ce n’est pas la femme qui la prend – doit comprendre quatre médecins, dont l’un est spécialisé en médecine fœtale et en diagnostic prénatal. Depuis le début du confinement, mes chers collègues, j’imagine que vous avez tous été, comme moi, alertés par les médecins, d’abord, puis par les journalistes : le Collège national des gynécologues et obstétriciens français comme le ministre de la santé ont conseillé aux médecins d’utiliser l’interruption médicale de grossesse pour répondre aux situations liées aux reports d’IVG pendant la crise sanitaire.
Mais l’exigence de présence dans le collège d’un médecin de médecine fœtale, qui n’a pas de raison d’être dans des cas où la question est uniquement celle de la détresse psychosociale de la mère, alourdit considérablement la prise de décision. La collégialité a tout son sens lorsqu’il s’agit d’une interruption réellement médicale de grossesse et lorsqu’il faut, donc, identifier les risques pour le fœtus et pour la mère, ce qui n’est pas le cas dans les situations qu’ici nous avons en vue.
Dans ce genre de situations, les médecins nous demandent de substituer au médecin de médecine fœtale un médecin gynécologue-obstétricien pour former le collège des quatre médecins qui vont prendre la décision. Pendant la période de la crise sanitaire, les services sont désorganisés et ces médecins sont rares ; on entre en outre dans la période estivale, période toujours assez défavorable, de manière générale, à la pratique des interruptions volontaires de grossesse.
L’objet de cet amendement est donc circonscrit à la question du médecin de médecine prénatale et à la durée de la crise sanitaire allongée de trois mois – il faudra le temps, en effet, que les choses se remettent en ordre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’amendement n° 211 rectifié et l’amendement n° 53 rectifié bis visent à modifier l’équipe pluridisciplinaire pour les IMG pour motifs de détresse psychosociale.
Il convient de rappeler que les gynécologues-obstétriciens exerçant en centre de diagnostic prénatal ont l’habitude de traiter des demandes d’IMG pour détresse psychosociale. Il n’y a donc pas lieu de les exclure de cet examen. D’ailleurs le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a lui-même insisté en octobre 2019 sur la nécessité de prendre en compte l’expertise des centres de diagnostic prénatal sur l’IMG psychosociale, cette expertise ne se limitant pas à la seule médecine fœtale.
Enfin, la modification proposée au travers de l’amendement n° 211 rectifié aurait un caractère non pas temporaire et limité à l’épidémie, mais permanent puisqu’il tend à modifier directement l’article du code de la santé publique régissant les conditions d’examen des demandes d’interruption médicale de grossesse.
Ces deux arguments me conduisent à donner un avis défavorable sur l’amendement n° 211 rectifié.
En ce qui concerne l’amendement n° 53 rectifié bis, j’émets également un avis défavorable dans la même logique. Il vise à modifier l’équipe pluridisciplinaire pour la période de crise. Il est vrai que la détresse psychosociale a été particulièrement prégnante durant la période active de l’épidémie. Or, et c’est tant mieux, les choses s’arrangent puisque beaucoup de départements sont passés au vert et que les activités ont déjà largement repris.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Je suis également défavorable à ces deux amendements.
Mesdames les sénatrices, vous souhaitez simplifier la procédure de recours à l’interruption médicale de grossesse. Je voudrais avant toute chose rappeler, mais vous le savez aussi bien que moi, qu’il convient de bien distinguer l’IVG de l’interruption médicale de grossesse. Or ces deux amendements font d’une certaine façon un lien entre les deux, le second ne pouvant être le prolongement du premier.
Si j’en comprends bien le sens, ces amendements sont en faveur non seulement d’une simplification des procédures d’IMG, mais également d’une extension des conditions pour lesquelles il est possible d’y avoir recours.
Les évolutions proposées soulèvent des questions que vous avez clairement évoquées. Il s’agit de sujets importants, mais qui ne nous paraissent pas avoir leur place dans un texte comme celui-ci, d’autant qu’il existe d’autres véhicules législatifs. (Mmes Laurence Cohen et Laurence Rossignol s’esclaffent.) Je pense, par exemple, aux lois bioéthiques.
Par ailleurs, je souhaite rappeler la différence entre l’IMG et l’IVG. Pour l’IMG, il n’y a pas de délai légal ; cette interruption se pratique s’il y a un risque pour le fœtus ou pour la mère ; la décision est collégiale. Pour l’IVG, il s’agit d’une décision libre, qui relève du choix de la femme.
Pour ces deux motifs, en complément des explications du rapporteur pour avis, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés. J’ai aussi très attentivement écouté les explications de notre rapporteur pour avis, et j’ai eu l’impression, peut-être subjective, qu’il a eu quelques difficultés à contrecarrer nos arguments.
Monsieur le ministre, vous n’ignorez pas que les sénateurs et les sénatrices connaissent bien la différence entre IMG et IVG.
Mme Laurence Cohen. J’aimerais qu’à l’occasion de ce débat nous puissions réfléchir ensemble au fait que les problèmes psychosociaux, psychologiques et autres des femmes sont aussi des problèmes extrêmement importants à prendre en compte pour la santé physique, mentale, psychique de la mère et du fœtus. Ne balayons pas d’un revers de main ces souffrances, car elles ont un impact bien réel sur la santé des femmes.
Par ailleurs, monsieur le ministre, puisque je vous ai senti attentif, j’aimerais quand même que nous puissions disposer à un moment donné d’un véhicule législatif pour aborder toutes ces questions. Nous sommes quelques-unes et quelques-uns, au Sénat, à avoir tenté de présenter de tels amendements à différentes occasions. Bien souvent, ils sont frappés d’irrecevabilité ou, quand ils arrivent à franchir la barre, ce n’est pas le bon véhicule : il y a un problème !
Je souhaiterais que le Gouvernement soit attentif à cette difficulté et prenne les choses en main, si je puis m’exprimer ainsi, afin que nous puissions légiférer pour allonger les délais.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. J’ai un peu de mal à comprendre le raisonnement. Depuis le 23 mars, nous sommes dans un état de dérogation permanente. Nous dérogeons à la dérogation, en général. Et là, sur un cas qui est circonscrit, tout du moins pour ce qui concerne l’amendement n° 53 rectifié bis, et alors que les conséquences sociales sont très importantes, vous nous expliquez qu’il n’est en l’espèce spécifiquement pas possible d’entendre ces détresses familiales et d’en tenir compte ! Je ne pense pas que votre argumentation soit recevable au vu des conséquences que cela peut entraîner pour l’ensemble des femmes concernées. Il me semble au contraire urgent de voter ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Il est vrai qu’en ce moment, pour reprendre des mots beaucoup utilisés ces derniers temps, on « prolonge », on « proroge », on « assume », etc.
J’ai justement assumé dans cette période de voter hier le StopCovid, car je me suis dit : à situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel. Aujourd’hui, on m’annonce que les choses ne sont peut-être pas si exceptionnelles. À en croire M. le Premier ministre, qui s’est exprimé tout à l’heure, tout va mieux, c’est le bonheur. S’il nous avait dit ça hier, je n’aurais peut-être pas voté le StopCovid !
Arrêtons les discours et les contre-discours. J’assume, puisque c’est le mot à la mode, mon propos : j’aimerais que vous votiez les uns et les autres le prolongement demandé de trois mois ; ce n’est pas si terrible. Soit on est pour, soit on est contre quand c’est douze semaines. Soit on est pour, soit on est contre quand c’est quatorze semaines en période exceptionnelle ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Si je puis me permettre, madame Laborde, vous parlez de l’amendement suivant.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai, mais je le voterai aussi !
M. Marc Fesneau, ministre. Madame Cohen, loin de moi l’idée de vous donner des leçons ou de vous expliquer ce que vous savez déjà, car je n’ignore pas que vous êtes très impliquée et que vous connaissez mieux le sujet que moi. Il me semblait seulement intéressant de rappeler, dans le débat public, la différence entre IMG et IVG.
De plus, monsieur Kerrouche, il n’y a pas de contraintes de délai en ce qui concerne l’IMG. D’ailleurs, ces amendements ne portent pas sur les délais – nous aurons bientôt ce débat –, mais ils visent à changer la nature même des motifs pour lesquels on aurait recours à l’IMG, et ce pas du tout pendant l’état d’urgence puisqu’ils tendent à inscrire la mesure en dur dans le code de la santé publique : eh oui monsieur Kerrouche !
Ce que j’essaie d’expliquer ici, c’est qu’il s’agit d’inscrire une disposition définitive et non pas au titre d’un problème conjoncturel. Par conséquent, on change la nature même de la disposition législative qui permet d’avoir recours à l’IMG.
Pour ne pas laisser Mme Cohen sans réponse, oui le Gouvernement, comme je l’ai souligné, est également attentif à ces questions et il est prêt à ouvrir le débat. Mais c’est un sujet suffisamment puissant, puisqu’il s’agit d’inscrire en dur dans la loi une disposition qui vise à être pérenne, pour qu’on ait un débat propre. Ce n’est pas dans un texte de cette nature que nous pourrons le faire. Voilà pourquoi j’ai émis un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 211 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 107 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 87 |
Contre | 225 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à Mme Rossignol, pour explication de vote sur l’amendement n° 53 rectifié bis.
Mme Laurence Rossignol. Il ne s’agit pas de deux amendements identiques, monsieur le ministre. Seul l’amendement de Mme Cohen visait à modifier le code de la santé publique, pas celui que j’ai présenté avec mes collègues du groupe socialiste et républicain. Ce dernier est totalement circonscrit à la période de la crise sanitaire, plus trois mois. Mais comme je ne suis pas certaine que cet argument suffira à changer le vote, je vais être généreuse avec l’organisation du débat et je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 53 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 58 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol, M. Filleul, de la Gontrie et Lubin, MM. Daudigny, Kanner, Kerrouche et Marie, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud et Fichet, Mme Ghali, M. Gillé, Mmes Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er septies A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation aux articles L. 2212-1 et L. 2212-7 du code de la santé publique, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, et jusqu’à trois mois après sa cessation, l’interruption de grossesse peut être pratiquée jusqu’à la fin de la quatorzième semaine de grossesse.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Je remercie M. le ministre, qui a annoncé à ma collègue Laurence Cohen un grand débat sur les conditions d’accès à l’interruption de grossesse, et plus globalement sur les droits sexuels et la santé reproductive. C’est un vaste sujet. Mais ce n’est pas du tout l’objet de l’amendement que je défends à cet instant.
Cet amendement est totalement circonscrit sur la période de la crise sanitaire, plus trois mois. Pourquoi trois mois ? Tout simplement parce que certains sujets sont un peu longs à se remettre en place. C’est le cas des grossesses non désirées.
Nous savons tous à quel point la crise sanitaire a eu un effet délétère sur l’accès à l’IVG et sur l’augmentation des grossesses non désirées, et ce pour des raisons simples. D’abord pour des raisons d’enfermement domestique et familial : il n’est pas si facile que ça de se faire une petite autorisation de sortie et d’expliquer à sa famille, surtout quand on est une jeune femme ou une jeune fille, que l’on s’absente non pas pour aller à la boulangerie, mais pour se rendre dans un centre hospitalier afin de pratiquer une IVG. Certaines femmes ne se sont donc pas déplacées.
D’autres femmes ont eu peur de se rendre à l’hôpital. C’est ce que l’on a constaté pour les cancers, les infarctus, les AVC, les reports de soins. Cela a aussi joué pour l’accès à l’IVG.
Par ailleurs, nous nous sommes tous mobilisés ici, au Sénat, contre les violences intrafamiliales pendant la crise sanitaire. Pardonnez-moi de le dire, mais je suis presque sûre que, quand il y a violence intrafamiliale et violence conjugale contre les femmes, il y a viol également. Ces violences donneront aussi lieu à des grossesses non désirées.
De surcroît, je l’ai évoqué il y a un instant, l’été n’est pas un bon moment pour l’activité de tous ces services d’orthogénie et d’IVG.
Enfin, l’un de nos collègues a évoqué le fait que l’on était en train de sortir de la crise sanitaire. Pour autant, tout le monde n’est pas sorti de la crise puisque l’Île-de-France reste en zone orange. Or c’est la région dans laquelle il y a le plus de tension sur l’accès à l’IVG actuellement.
Ma demande d’allonger de deux semaines les délais d’IVG pendant la période de la crise sanitaire, plus trois mois, est une demande qui émane des médecins. N’obligez pas les médecins à se mettre hors la loi pour répondre à la détresse des femmes ! Il faut entendre ce que nous demandent les médecins. Ce sont eux qui le demandent, ce n’est pas moi, ni les militants ou les associations : ce sont les médecins, qui suivent ces dossiers.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. Pendant encore plusieurs semaines et plusieurs mois – trois minimum au-delà de la crise sanitaire –, il va falloir assumer des IVG avec un peu de dépassement de délai. C’est pourquoi il serait raisonnable pour nous tous voter ce délai de deux semaines supplémentaires.
M. le président. L’amendement n° 210 rectifié, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi, Prunaud, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er septies A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation aux articles L. 2212-1 et L. 2212-7 du code de la santé publique, jusqu’au 10 juillet 2020, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire qui nécessite d’ordonner cette mesure, l’interruption de grossesse peut être pratiquée jusqu’à la fin de la quatorzième semaine de grossesse.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement est presque identique à celui de ma collègue Laurence Rossignol, si ce n’est que nous n’avons pas été jusqu’à prévoir ce délai de « plus trois mois ».
Les échanges que nous avons pu avoir montrent effectivement qu’un tel délai est nécessaire pour que le système hospitalier et le système de santé puissent se réadapter. Nous sommes alertés, mes chers collègues, par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Les plannings familiaux nous informent qu’ils enregistrent une baisse d’activité parce que les femmes ont peur.
Par ailleurs, en raison de la crise sanitaire que nous avons vécue et que nous continuons quand même de traverser, les hôpitaux qui pratiquent les IVG ont été conduits à demander aux femmes de ne pas s’y présenter. Ils étaient mobilisés contre le Covid-19 et ils ne pouvaient pas faire face. Nous le savons tous, la logique a voulu qu’un certain nombre de soins et d’opérations soient reportés. Or il s’avère que l’IVG fait partie de ces reports. Ceux qui ont continué à les pratiquer ont été complètement débordés.
On ne peut pas aborder, comme nous le faisons dans notre hémicycle, avec sérieux toutes les raisons pour lesquelles nos hôpitaux sont débordés, qu’il s’agisse des opérations, du suivi, des soins, et refuser d’admettre que cet état de fait a aussi eu un impact sur l’interruption volontaire de grossesse. Ces amendements me semblent donc appropriés : il est très important de les voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. L’amendement n° 58 rectifié bis vise à allonger temporairement jusqu’à trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire le délai légal pour réaliser une IVG, en le portant de la fin de la douzième semaine de grossesse à la fin de la quatorzième semaine.
Le Gouvernement a déjà mis en place un dispositif pour adapter l’accès des femmes à l’IVG pendant l’épidémie en assouplissant le recours à l’IVG médicamenteuse et en rappelant, pour les recours tardifs à l’IVG instrumentale, la possibilité de recourir à l’IMG pour motif de détresse psychosociale de la femme.
Toutefois, la commission a estimé qu’une IMG est une procédure lourde, qui requiert au préalable l’accord de deux médecins, après une concertation pluridisciplinaire. Elle peut prendre du temps, parfois une semaine, voire plus.
L’IMG pour motif de détresse psychosociale ne lui est donc pas toujours apparue pertinente pour des femmes confrontées à des difficultés de prise en charge pendant la crise sanitaire.
L’amendement visant à un allongement du délai strictement temporaire justifié par le caractère exceptionnel de la crise sanitaire que nous traversons, il ne saurait donner lieu à une remise en cause pérenne du délai légal de l’IVG, qui doit, dans l’absolu, à l’issue de la crise, toujours rester limité à douze semaines de grossesse. Moyennant cette condition, la commission a émis un avis favorable.
En revanche, elle est défavorable à l’amendement n° 210 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Permettez-moi une réponse globale sur ces deux amendements, en rendant justice au préalable à M. Kerrouche et à Mme Rossignol : les deux amendements précédents n’étaient effectivement pas identiques.
Mesdames les sénatrices, comme vous l’avez souligné, l’épidémie de Covid-19 a mis en tension notre système de santé. Elle nous a contraints à déprogrammer de nombreuses activités hospitalières et à conseiller de reporter un certain nombre de soins non urgents, le cas échéant.
Dans ce contexte, nous avons craint des difficultés d’accès à l’avortement ; c’est le retour que nous ont fait un certain nombre de professionnels de santé et les associations comme le planning familial. Ici même, sur ces travées, et à l’Assemblée nationale les parlementaires se sont fait le relais de ces craintes et de ces difficultés.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a agi très rapidement et très fortement, de façon dérogatoire, le temps de l’urgence sanitaire. Nous avons permis la réalisation de l’ensemble des consultations obligatoires sous forme de télémédecine, y compris la consultation de prise des pilules contraceptives, ce qui a nécessité de changer le circuit du médicament, désormais accessible en pharmacie.
Pour garantir le secret des avortements pour les jeunes filles mineures, nous avons modifié les attestations de déplacement en période de confinement pour que n’y figure plus l’autorisation parentale. Pour davantage simplifier les démarches, le ministre des solidarités et de la santé a demandé à la Haute Autorité de santé si nous ne pouvions pas allonger la période durant laquelle il était possible de réaliser un avortement médicamenteux hors hôpital. Le 7 avril, il a écrit à la Haute Autorité de santé et trois jours plus tard, le 10 avril, donc dans un délai très bref, nous avions un avis favorable pour permettre l’utilisation de la pilule abortive jusqu’à la neuvième semaine d’aménorrhée, contre sept semaines en temps normal. Le 14 avril, soit quatre jours plus tard, nous avons pris un arrêté allongeant le délai de l’avortement médicamenteux réalisable à domicile.
J’entends que certains veulent aller plus loin dans cette période de crise et allonger le délai de l’IVG, mais le Gouvernement n’y est pas favorable. C’est un débat que vous avez déjà mené dans cet hémicycle, mais qui est beaucoup plus global. Il ne nous paraît pas en adéquation avec les mesures que nous avons essayé de prendre et qui ont été prises formellement pour tenter de résoudre la situation d’un certain nombre de femmes pouvant se trouver en difficulté par rapport à l’accès à l’avortement – vous avez parfaitement décrit leur situation.
Je souhaite donner un dernier argument. Depuis le 11 mai, nous sommes en période de déconfinement. Au fond, je ne vois pas, je le dis très sincèrement devant des personnes beaucoup plus expertes que moi, compte tenu du fait que la période de confinement a duré un peu moins de deux mois, à quelle catégorie de femmes pourraient s’appliquer votre amendement, madame Cohen, puisque, contrairement à l’autre, il se limite à la période d’urgence sanitaire et ne vise pas à prolonger la mesure trois mois après le terme de celle-ci.
Néanmoins, dès lors que depuis le 11 mai un certain nombre d’activités hospitalières sont remises en route, je ne vois pas la difficulté. Certes, madame Rossignol, j’entends votre argument et nous allons en débattre de nouveau, mais la durée de trois mois, par nature, ne s’impose pas. Par ailleurs, en ce qui concerne l’état d’urgence sanitaire, les dispositifs que nous avons pu mettre en place visaient à répondre aux difficultés que vous évoquez.
Ce sont des débats qui sont constants et qu’il est bien normal que nous ayons, forts des nombreuses convictions ici comme à l’Assemblée nationale ou à l’extérieur des hémicycles parlementaires. Mais les amendements dans leurs deux versions ne sont pas opérants ou conformes avec les dispositifs existants.
Avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Nous pouvons reconnaître à notre collègue Laurence Rossignol une certaine constance dans ses idées et dans son travail puisqu’un amendement similaire a déjà été déposé il y a un an pour obtenir une extension de ce délai d’IVG de douze à quatorze semaines.
Il est redéposé aujourd’hui à des fins dérogatoires à l’occasion de l’épidémie de Covid-19, mais je ne crois pas qu’en votant cet amendement le délai ainsi accordé sera réellement dérogatoire. Certes, comme M. le ministre l’a fait valoir, la période de confinement a sans doute créé des difficultés, il ne s’agit pas de le nier, mais elle a permis au Gouvernement de prendre des mesures.
Aujourd’hui, nous sommes sortis du confinement. Ce texte, s’il va en commission mixte paritaire, reviendra au Sénat le 10 juin, ce qui signifie qu’il sera applicable plus d’un mois après la sortie du confinement. S’agissant de rendre la mesure applicable jusqu’à trois mois après l’état d’urgence sanitaire, dans l’hypothèse où l’état d’urgence sanitaire se limiterait au 10 juillet, nous sommes en train de parler d’enfants qui ne sont pas encore conçus. Cela signifie que nous visons un public qui n’est pas celui qui a été atteint par le confinement. Nous savons donc pertinemment que si nous mettons un tel délai en place nous ne pourrons jamais revenir en arrière.
Devons-nous prendre une telle décision ce soir, au détour d’un amendement sur un texte portant diverses dispositions ? Il ne s’agit même pas de dire que ce n’est pas le bon véhicule législatif ; il s’agit simplement de rappeler que le débat ne fait pas consensus dans l’hémicycle parce qu’il ne fait pas consensus dans la société !
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. C’est vrai !
Mme Muriel Jourda. Votons-nous cela ce soir, au détour d’un amendement, alors que l’Assemblée nationale – je le rappelle – n’en aura pas débattu et qu’elle prendra connaissance de cette disposition au mieux dans le cadre d’une commission mixte paritaire ? Est-ce cela que nous attendons du débat démocratique ? Je ne le crois pas !
Passer de douze à quatorze semaines de grossesse pour le délai d’IVG n’est pas une décision anodine, elle doit se prendre – si elle se prend – dans le cadre d’un débat démocratique digne de ce nom, pas au détour d’un amendement à l’occasion d’un projet de loi d’urgence visant à prendre des dispositions diverses. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)