M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a tout juste quatre ans, je déposais, avec Franck Montaugé et Didier Guillaume, une proposition de loi sur la gestion des risques en agriculture. Aujourd’hui, c’est avec Yvon Collin et Nathalie Delattre que nous débattons de nouveau de ce sujet, et je remercie mon groupe de l’avoir inscrit dans son ordre du jour réservé.
Rien n’a véritablement changé dans les faits ! Pourtant, nous pouvons nous satisfaire de l’évolution actuelle. Notre collègue sénateur, devenu ministre de l’agriculture, a la possibilité d’œuvrer pour l’assurance agricole, et je sais qu’il s’y applique.
Ensuite, les mentalités ont véritablement évolué, car les agriculteurs ont compris que les aléas climatiques n’étaient plus des exceptions.
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord sur les enjeux. Le contexte a changé : les crises sanitaires, météorologiques, économiques se sont développées, accumulées, transformant l’exception en régularité. Les inondations, les tempêtes, et même – c’est nouveau ! – les tornades, viennent s’ajouter aux aléas « traditionnels », comme la grêle et la sécheresse… Nous connaissons également des pics de canicule jamais enregistrés jusqu’à présent, comme ceux vécus l’été dernier dans mon département de l’Hérault et chez nos voisins du Gard. À une température de 46 degrés, un effet chalumeau a grillé vignes, fleurs et fruits, anéantissant dans certains secteurs une production dans sa quasi-totalité.
En matière sanitaire, de la crise de la vache folle apparue à la fin des années 1980 à la grippe aviaire, avec, par exemple, plus de 9 000 canards abattus par précaution dans le Gers en 2018, les éleveurs ont été frappés de plein fouet. À cela s’ajoutent les crises économiques, comme récemment les conséquences du Brexit, ou les taxes mises en place par les États-Unis…
À l’heure où la planète est paralysée par une pandémie inédite, les agriculteurs savent depuis des années déjà que la chance ne suffira pas à les épargner et que le fatalisme peut leur faire perdre tout ce qu’ils ont construit à la force de leurs bras.
L’assurance agricole est devenue une solution, avec l’épargne de précaution, que le ministre a mise en place, et la solidarité nationale via le FNGRA, mais pas à n’importe quel prix ! Car nos agriculteurs, a fortiori les jeunes qui viennent de s’installer, déjà durement éprouvés par une succession de crises, une politique du prix le plus bas, une lourdeur administrative qui les oblige à être moins présents sur leur exploitation, ne peuvent assumer les tarifs parfois prohibitifs des polices d’assurance, monopolisées essentiellement par deux groupes.
Incitation à l’assurance, conditionnalité des aides : le débat est ouvert. Les représentants agricoles s’accordent à soutenir l’incitation. Et pour inciter, il faut expliquer.
En juillet 2019, le ministre de l’agriculture a lancé une consultation élargie sur les voies d’amélioration ou de refondation des outils de gestion des risques en agriculture. C’est très positif, car la coconstruction est la bonne méthode. On ne peut passer en force, tout le monde l’a bien compris.
Dans un communiqué qui nous a été adressé concernant cette proposition de résolution, Chambres d’agriculture France insiste sur plusieurs points que partage mon groupe.
Les aléas climatiques rendent nécessaires les adaptations des systèmes de production. Pourquoi ne pas intégrer dans la PAC d’après 2020 une nouvelle mesure Feader de financement de projets de transition, qui inclue des investissements matériels et immatériels ainsi que des aides forfaitaires pour prise de risque dans l’évolution des pratiques ? Cette préparation de la PAC d’après 2020 était l’une de nos préoccupations lorsque nous avions déposé notre proposition de résolution en 2016.
À titre personnel, j’irai plus loin.
Pour une véritable incitation, je préconise également une diminution proportionnelle du coût assurantiel si l’exploitant s’engage à mettre en œuvre une stratégie d’accompagnement des changements climatiques, avec un cahier des charges précis. Car je suis persuadé que les mutations profondes des pratiques agricoles, comme l’enherbement pour éviter le ruissellement ou les plantations de haies pour la biodiversité, participeront à une diminution des impacts.
Nous devons également nous tourner vers les nouvelles technologies.
Les mini-stations météo connectées sont, par exemple, une aide précieuse dans la prévention. Elles informent à une échelle microterritoriale, et permettent une analyse plus fine et donc plus fiable.
Pour l’expertise des pertes en fourrage, la profession se tourne vers les satellites et cite la méthode Airbus pour la prairie.
En matière de prévention encore, la filière insiste sur les mesures de stockage et de gestion de l’eau. L’objectif est de mobiliser l’eau des pluies abondantes pour l’utiliser en période de sécheresse, et ainsi de maintenir une agriculture résiliente.
Il faut lever les freins réglementaires et politiques à la mise en œuvre d’aménagements hydrauliques, qui constituent un levier de sécurisation des exploitations.
La FNSEA, Jeunes Agriculteurs (JA), Groupama, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et le Crédit agricole vous ont transmis une contribution commune qui fixe les objectifs : prévenir les dommages, réduire leurs impacts et compenser le préjudice subi.
Ils réaffirment certains principes fondamentaux qui doivent orienter les futures décisions : l’État doit conserver un engagement et une responsabilité de premier plan dans la politique de gestion des risques ; ladite politique doit se définir en transparence et être pilotée par une instance paritaire regroupant des représentants de l’État, de la profession agricole et des assureurs.
Le schéma global et les outils de gestion des risques subventionnés doivent absolument répondre aux besoins de tous les agriculteurs, quels que soient leur type d’exploitation, leur production et leur région.
À l’issue des débats, une feuille de route synthétisant l’ensemble des mesures et un calendrier de mise en œuvre devront être élaborés. Ces partenaires insistent sur le besoin de cadencement des décisions prises, afin de mettre en œuvre progressivement les mesures et de permettre ainsi une acceptation par tous.
Concernant le déclenchement des aides, Yvon Collin a expliqué quels étaient les mécanismes actuels. L’État peut agir pour les améliorer. Il peut proposer rapidement, dans le cadre du règlement européen Omnibus, la baisse du seuil de pertes de 30 % à 20 % et l’augmentation du taux de subvention publique à 70 %, contre 65 % actuellement. Il faut également insister sur la nécessité de modifier le calcul de la moyenne olympique, sur dix ans et non cinq ans.
Répondre à ces demandes fortes serait un signal positif de la part du Gouvernement. Certes, ces mesures auront un coût. Mais la situation tendue résultant de la crise sanitaire que nous traversons nous renvoie à des choix politiques : quel prix pour notre indépendance alimentaire ?
Nous souhaiterions, monsieur le ministre, vous entendre sur ces questions. Je connais votre volonté d’accompagner cette mutation agricole. Je vous remercie de nous éclairer sur les actions que vous soutiendrez, le calendrier et la méthode.
Lors des auditions de notre groupe de travail « Agriculteurs en situation de détresse », dont je suis corapporteur avec Françoise Férat, de nombreux intervenants ont affirmé que la pandémie de Covid-19 entraînerait des conséquences dramatiques et des pertes de revenus, notamment chez les éleveurs.
Vous connaissez mon combat pour prévenir les suicides. La réponse assurantielle est une des solutions face à ce fléau. N’oublions pas que, chaque jour, un paysan décide de mettre fin à sa vie. Il y a urgence à agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été dites et je ne reviendrai pas sur tous les projets qui ont été exposés, clairement, et ont d’ores et déjà fait l’objet d’une large consultation.
La première assurance consiste à accompagner les moyens techniques de prévention : stockage de l’eau pour l’irrigation, filets anti-grêle, systèmes de protection contre le gel, etc.
Face aux changements climatiques et aux difficultés de plus en plus importantes rencontrées par les agriculteurs pour gagner leur vie, je crois qu’il nous faut nous inspirer du modèle américain : un système d’assurance universel et gratuit destiné à un certain nombre de ces professionnels ou à ceux d’entre eux qui ne voudraient pas cotiser.
On a dit à plusieurs reprises que ceux qui n’étaient pas assurés touchaient souvent davantage d’argent de l’État que ceux qui l’étaient. Il faut donc aujourd’hui pérenniser le FNGRA au travers d’une mise en commun de fonds d’assurance, y compris en tapant dans le premier pilier des fonds européens.
C’est ce que font les Américains : l’essentiel des aides publiques aux États-Unis sont apportées aux agriculteurs en vue d’une garantie d’assurance et de revenus. Ils prennent aussi en compte les difficultés liées aux variations des cours ou aux problèmes sanitaires. C’est notamment vrai pour l’élevage. Souvenez-vous de la crise de la vache folle, qui a été une catastrophe pour un certain nombre d’éleveurs… L’assurance ne doit pas prendre en compte les seuls risques climatiques !
Dans le même temps, il faut favoriser l’assurance volontaire. À cet égard, nous n’avons pas très bien réussi.
Si l’on bénéficie d’une assurance universelle, lorsque l’on cotise à hauteur de 30 %, on est couvert et on reçoit le double en termes d’assurance. Mais si l’on n’apporte pas de contribution, on ne reçoit qu’une prestation de base. Ce système est beaucoup plus vertueux.
Aujourd’hui, les agriculteurs n’ont plus les moyens suffisants pour couvrir leurs frais d’assurance. On a évoqué à plusieurs reprises la gestion des risques, ainsi que la nécessité d’avoir des productions différentes et adaptées aux changements du climat.
L’un des moyens de limiter la prise de risque est de multiplier les productions, car la concentration sur une production unique est très risquée. Il faut encourager l’assurance universelle, qui consiste à assurer la totalité des produits sur la totalité d’une exploitation. Dans ce cas, encore une fois, les risques sont bien moins importants. On peut prévoir un palier de perte de récolte par production, pour le cas de sécheresse par exemple, et, en même temps, un palier de perte de récolte pour l’ensemble de l’exploitation. Cela va beaucoup plus loin et, j’y insiste, c’est ce que font les Américains.
L’Europe devra, un jour ou l’autre, remettre en cause le système de paiement à la surface. Je sais que cette opinion ne fait pas l’unanimité, mais si l’on veut soutenir les agriculteurs, il faut trouver un système simple, car ils ont la frousse devant les « usines à gaz ». Il convient de prévoir un système déclaratif, une fois par an, comme c’est le cas pour l’assurance automobile. Voilà ce qu’est une assurance durable !
Il faut penser en termes de simplicité et d’efficacité, et ne pas avoir peur d’aller beaucoup plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’ici à 2040, dans vingt ans, les sinistres agricoles liés aux aléas climatiques auront doublé.
Comme vous le savez, 70 % des surfaces de grandes cultures et de vignes ne sont aujourd’hui pas couvertes contre l’ensemble des aléas climatiques. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai, puisque 30 % de ces surfaces sont assurées contre le seul risque de grêle. Les superficies de prairies et de maraîchage, dans leur quasi-totalité, ne sont pas couvertes par un contrat multi-périls, et sur celles-ci le FNGRA est considéré comme obsolète. Cela entraîne un double risque, pour nos exploitants agricoles et pour le monde de l’assurance.
Face à l’urgence de la situation, il apparaît plus que jamais important de mettre en place pour nos agriculteurs, à l’instar de ce qui existe aux États-Unis, une couverture généralisée des risques climatiques dont l’objectif serait de permettre à chaque exploitation de survivre en cas d’événement extrême.
En 2009 a été créé un contrat aléas climatiques, géré par les assureurs pour les cultures céréalières et viticoles. Ce contrat couvre l’ensemble des risques liés à la grêle, aux sécheresses, tempêtes et inondations. Les cotisations sont subventionnées à hauteur de 65 % par la PAC, sur le deuxième pilier. En cas de sinistre, une franchise de 30 % reste à la charge de l’agriculteur, franchise jugée trop élevée par l’ensemble de la profession.
En parallèle, le FNGRA continue d’indemniser ces aléas pour les prairies, l’arboriculture, le maraîchage et autres productions. La cotisation de 5,5 % prélevée sur l’ensemble des contrats agricoles est restée inchangée, bien que les risques assurables soient dorénavant exclus de toute indemnisation.
Comme nous le disions précédemment, les contrats d’assurance multirisque climatique demeurent peu souscrits. Aujourd’hui, seul un tiers des surfaces agricoles est assuré. Il faut rappeler que cette proportion était plus importante avant 2016, année lors de laquelle les subventions ont été versées avec plus d’un an de retard. Ce retard se cumulant avec une baisse des cours et une mauvaise récolte, les agriculteurs ont alors choisi de résilier leur contrat aléas climatiques, exception faite de ceux qui étaient installés dans des zones où le risque est élevé. Bilan pour les assureurs : les cotisations ont diminué, mais les risques sont restés constants, et nous observons aujourd’hui une forte dégradation de la rentabilité des contrats dans ce domaine.
Chez les assureurs, la rentabilité est calculée selon un rapport sinistre sur prime. Alors qu’il devrait être, comme le préconise la directive Solvabilité 2, inférieur à 65 %, nous constatons qu’en 2019 ce rapport s’établissait à 120 % chez Groupama et à 150 % chez Pacifica. Pour les autres compagnies – AXA, MMA, Suisse Grêle ou Allianz –, il est situé entre 70 % et 85 %.
Cette différence s’explique par une sélection des risques moins draconienne chez les mutualistes, et par des expertises moins rigoureuses. Les assureurs mutualistes avouent qu’il existe une fraude de l’ordre de 20 % du fait de ces conditions d’expertise.
C’est pourquoi la poursuite du système actuel de gestion des risques n’est plus envisageable en l’état. Il entraîne un phénomène d’antisélection de la part des agriculteurs et un désengagement de certaines compagnies d’assurance sur ce marché. Une rupture est nécessaire pour que la dynamique de couverture se mette en place rapidement.
La profession des assureurs travaille sur un projet de mise en place d’une couverture récolte universelle (CRU). Dans ce dispositif, les risques extrêmes seraient couverts pour toutes les productions, avec une franchise de 50 % et des cotisations entièrement subventionnées. En option, la franchise de 50 % pourrait être réduite jusqu’à 10 %, mais les cotisations seraient à la charge de l’agriculteur, qui pourra faire jouer la concurrence entre les assureurs et définir ainsi son modèle de garantie. Cette attractivité tarifaire en phase de démarrage nous semble indispensable pour aboutir à une généralisation rapide.
Il reste un point important à régler : l’estimation du montant des subventions pour la ferme France est aujourd’hui de l’ordre de 780 millions à 950 millions d’euros par an.
Pour rappel, la subvention de la PAC sur les contrats aléas climatiques est de 120 millions d’euros par an, et le FNGRA de 120 millions par an. Nous arrivons à un total de 240 millions d’euros ; il reste 600 millions d’euros à trouver !
L’avantage de la CRU sera également d’offrir un interlocuteur unique à l’agriculteur, tant pour les cotisations que pour les sinistres. Cela évitera les confusions et les situations dramatiques que nous observons chaque année, certains agriculteurs pensant à tort que le FNGRA pourra intervenir, ce qui n’est en réalité jamais le cas sur les risques assurables.
Il est aussi primordial que l’ensemble des acteurs de l’assurance interviennent sur ce sujet. La concurrence est en effet une chose saine, et force l’intelligence à trouver des moyens de gestion et d’indemnisation qui soient justes pour chaque partie. Cela tendra à diminuer le recours à la subvention d’équilibre qui sera imposée aux contribuables français ou européens, dans le cas où l’assureur est unique.
Je crois beaucoup en cette CRU actuellement à l’étude. Je valide également les points de la proposition de résolution qui visent à mieux évaluer les pertes de rendement en allongeant la moyenne olympique sur une durée de dix ou quinze ans, sans nécessairement la supprimer à terme ; à favoriser le règlement rapide de l’indemnisation, qui relèvera uniquement de l’assurance récolte ; à sécuriser l’enveloppe budgétaire dédiée à la subvention des primes d’assurance ; à faire respecter le calendrier de versement des aides publiques ; à développer une politique ambitieuse de prévention pour inciter les agriculteurs à recourir davantage à l’irrigation,…
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Vincent Segouin. … au drainage, à la mise en œuvre de retenues d’eau.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier mes collègues du groupe RDSE d’avoir déposé cette proposition de résolution qui vise à encourager le développement de l’assurance récolte.
L’agriculture fait partie de l’activité économique de notre pays et couvre 50 % de la superficie de notre territoire, soit 28 millions d’hectares. Elle représente une part significative de notre produit intérieur brut via l’agroalimentaire.
Cette activité est sujette aux aléas climatiques, sanitaires et économiques. Si l’on considère les négociations internationales, nous constatons que l’aléa économique est très important. Pour ces raisons, un tiers de nos agriculteurs ont un revenu inférieur à 500 euros par mois.
En 2005, alors que je présidais la commission des affaires économiques du Sénat, nous avions mis en place un système assurantiel. Mais en 2009 – Bruno Le Maire était alors ministre de l’agriculture –, dans le cadre d’une loi d’adaptation, nous avons buté sur le système de la réassurance. Nous avions rencontré Mme Christine Lagarde, qui était alors ministre de l’économie, et obtenu l’accord du président Sarkozy pour que l’État s’engage dans le système assurantiel. Après le changement de gouvernement, l’affaire n’a pas eu de suite.
Pour ma part, je considère que le système assurantiel engage l’État, mais seulement sur une période de cinq ans. Si le système est mis en place dans de bonnes conditions, il n’aura même pas intervenir.
Nous constatons que, sur les 400 000 exploitations agricoles les plus importantes de notre pays, seules 60 000 sont couvertes par un contrat d’assurance.
Pourquoi l’assurance récolte ne fonctionne-t-elle pas ? Ces contrats concernent pourtant des exploitations fréquemment confrontées aux risques. Les compagnies d’assurances font valoir que le retour par rapport aux cotisations d’assurance n’est pas équilibré et que d’autres parties du système assurantiel viennent complémenter.
C’est un problème important, car une exploitation connaît en moyenne un sinistre tous les cinq ans.
Un système vise aujourd’hui à financer en partie les primes d’assurance : les aides actuelles de l’Union européenne permettent d’avoir une subvention au titre des primes d’assurance à hauteur de 65 %, et de 45 % pour des assurances complémentaires. Mais la mise en œuvre n’est pas rapide.
Comme l’ont souligné les auteurs de la proposition de résolution, le taux de perte à 30 % est bien trop élevé. Le revenu d’un agriculteur devant en effet se situer entre 5 % et 10 % du revenu de son exploitation, il faudrait ramener le taux de perte à 20 % ; un taux de 10 % serait, selon moi, encore plus adapté.
Pour pouvoir généraliser le système assurantiel à l’ensemble des exploitations, et donc à la ferme France, je propose de supprimer la déduction pour épargne de précaution. Cela permettrait aux exploitations les plus performantes de souscrire un contrat de d’assurance et de bénéficier des subventions au titre des primes à hauteur de 65 % et 45 %.
Pour la deuxième partie, c’est-à-dire la prime d’assurance complémentaire permettant de garantir le niveau de revenus, avec un taux national de 45 %, nous pourrions solliciter les actrices économiques que sont les régions.
Monsieur le ministre, si vous voulez pérenniser l’activité agricole en France et sauver des emplois face aux enjeux climatiques, sanitaires, économiques et internationaux, sachez que le système assurantiel est un des éléments majeurs pour l’avenir de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette initiative qui permet de remettre au goût du jour ce débat d’actualité, lequel a déjà eu lieu au sein de la Haute Assemblée. Nous pouvons ainsi faire un point d’étape.
Le dérèglement climatique est une réalité que nul ne peut contester, vous l’avez tous rappelé. On en dissertait beaucoup moins il y a dix ans ! Un long chemin a donc été parcouru et nous avons, les uns et les autres, pris conscience d’un problème sur lequel les agriculteurs, et d’autres, alertaient depuis des années.
La récurrence des événements climatiques le démontre. La sécheresse dans le Gard, la grêle dans la Drôme ou encore les violents orages dans l’Aude sont autant de moments qui nous ont rappelé encore récemment, avec une force inédite, l’urgence d’agir. J’aurais également pu évoquer les inondations de 2016, qui ont profondément marqué les zones céréalières – j’ai vécu cet épisode dans le Loir-et-Cher.
La gestion de ces aléas climatiques est l’un des défis majeurs auxquels sont confrontés nos agriculteurs, et donc, compte tenu de l’importance de ces derniers, nos activités économiques et la société tout entière.
On a parfois le sentiment que le mot « tempéré » s’applique de moins en moins au climat. Or nous faisons tous le constat que les agriculteurs, confrontés à des dérèglements climatiques de grande ampleur, de plus en plus fréquents et variés – on voit se succéder des épisodes de grêle, de gel, d’inondations, de sécheresse ! –, sont encore insuffisamment protégés.
Plusieurs dispositifs ont pourtant été mis en place pour les accompagner, comme les exonérations de cotisations sociales et d’impôt foncier ou la déclaration plus fréquente de l’état de catastrophe naturelle ; M. le sénateur Émorine nous a utilement rappelé le chemin parcouru depuis des années et le chemin qu’il faudrait sans doute encore parcourir. J’y reviendrai. Cela dit, nous devons nous interroger : ces dispositifs étaient-ils assez ambitieux et leur soutenabilité est-elle assurée, alors même que ces aléas climatiques sont de moins en moins exceptionnels, de plus en plus habituels ?
Le Sénat a pris très tôt la mesure de ces enjeux, cela a été rappelé par le sénateur Collin, l’auteur de la proposition de résolution, ou par le sénateur Montaugé. Voilà plus de dix ans, l’auteur du texte a déposé une proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, qui n’a pas été examinée. Or force est de constater que le recours à des mécanismes alternatifs comme l’assurance récolte demeure extrêmement faible, comme l’a rappelé la sénatrice Sollogoub.
Dans ces conditions, pour enfin avancer, le Gouvernement a annoncé, par la voix du ministre de l’agriculture, le 20 juin 2019, une consultation de l’ensemble des parties prenantes – organisations professionnelles agricoles, chambres d’agriculture, mutualité sociale agricole, différents groupes privés bancaires et assurantiels – afin de travailler à des pistes, pour que soit instauré un véritable système d’assurance récolte, simple, mais ambitieux, et surtout attractif. C’est la question qui est devant nous. Ce groupe de travail a été installé en juillet 2019 et ses conclusions seront rendues – c’est l’occasion de vous le dire – aux alentours de la mi-juillet.
Sans préjuger des résultats de cette concertation ni des arbitrages que le Gouvernement rendra ensuite, je veux dresser un bref bilan d’étape. Tout d’abord, il existe désormais un consensus partagé par toutes les parties prenantes : pour être bonne, une exploitation agricole doit être plus résiliente – c’est d’ailleurs le mot qui a été employé, je crois, par le sénateur Montaugé –, c’est-à-dire capable de faire face aux aléas, aux bonnes et surtout, évidemment, aux mauvaises années.
Une telle résilience suppose de doter les agriculteurs d’outils adaptés. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a créé la dotation pour épargne de précaution, dont plusieurs d’entre vous ont parlé. Elle suppose aussi d’orienter la production, ce qui passe par la diversification des cultures, mais aussi par l’évolution des pratiques. Elle suppose enfin de poursuivre le travail mené dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l’eau…
M. François Bonhomme. Ce n’est pas beaucoup !
M. Marc Fesneau, ministre. … notamment, pour ne citer que deux exemples, sur le Vidourle, dans le Gard, et sur l’Ouvèze ardéchoise.
Toutefois, ces dispositifs ne sauraient suffire à eux seuls et les mécanismes de mutualisation des risques, qui sont à la base du système assurantiel, paraissent particulièrement intéressants aux yeux de tous les participants du groupe de travail. Dès lors, le Gouvernement ne peut que partager un certain nombre de points de votre proposition de résolution.
Le mécanisme d’assurance récolte pose nécessairement la question de l’articulation avec le régime des calamités agricoles, particulièrement dans le cas où les deux outils seraient amenés à se superposer – je pense à l’arboriculture et aux prairies, évoquées par certains d’entre vous – ; c’est le premier point de votre proposition de résolution. C’est évident, le régime assurantiel n’a pas vocation à se substituer à celui des calamités, qui conserve toute sa pertinence pour les pertes de fonds, c’est-à-dire lorsqu’il y a destruction de l’outil de travail et qu’il ne s’agit pas seulement d’une année de mauvaise récolte.
En outre, dans la perspective de la mise en place d’un système assurantiel, l’enjeu est de rendre le dispositif attractif, alors que, aujourd’hui, les contrats sont trop peu souscrits. Il va sans dire qu’une simplification, dans le respect du principe de sécurité juridique, serait nécessaire ; votre proposition de résolution invite, dans un second point, le Gouvernement à procéder à cette simplification. S’ajoute à cela la prise en compte de la diversité des productions, dont a parlé le sénateur Bonhomme.
Cela dit, d’autres points de votre proposition de résolution suscitent, à ce stade, des interrogations de la part du Gouvernement.
Je dirai tout d’abord un mot de la période de référence prise en compte pour l’appréciation du potentiel de production. Vous n’ignorez pas que, dans le cadre des négociations de la prochaine PAC, la France porte l’ambition d’un allongement à huit ans de la période de référence pour le calcul des rendements assurés. Il s’agit du premier point de divergence entre nous, puisque vous proposez une période de dix ou quinze ans. Le Gouvernement n’y est pas favorable : une période de référence trop longue conduirait à une déconnexion des réalités de terrain. Le potentiel de production historique doit être apprécié en cohérence avec la réalité de l’impact durable des changements climatiques. Si tel n’était pas le cas, le risque des pertes de production serait logiquement plus important donc, mécaniquement, les cotisations à verser le seraient aussi.
De la même manière, nous devons débattre du seuil des pertes déclenchant le dispositif : 30 % des récoltes, comme c’est le cas aujourd’hui, ou 20 %, comme le prévoit le règlement Omnibus, évoqué par le sénateur Menonville ?
En outre, le Gouvernement souhaite dissiper un certain nombre de malentendus au sujet du versement des aides à l’assurance récolte, financées dans le cadre de la PAC. Cela a été évoqué par le sénateur Segouin, ces versements sont revenus à la normale depuis 2018, car, c’est vrai, en 2016, le décalage des versements avait marqué les agriculteurs. Les paiements interviennent désormais à partir du mois de février de l’année qui suit ; très concrètement, la majorité des agriculteurs a déjà perçu l’aide à l’assurance récolte pour la campagne de 2019.
Enfin, nous avons un point de divergence sur les taux de subvention : 65 % pour un contrat simple et 45 % pour un contrat de niveau complémentaire. Porter le niveau de subvention à 70 % du contrat et abaisser le seuil de déclenchement de 30 % à 20 % du potentiel de recueil conduiraient à un surcoût d’environ 450 millions d’euros par an, financé à due concurrence par la diminution d’autres actions incluses dans les différents piliers de la PAC, en particulier le deuxième.
Or, on l’a dit, ce pilier finance également des mesures de transformation et d’évolution. Cela n’est pas raisonnable, en tout cas à ce stade, dans la mesure où les actions pour 2020 et 2021 – années de transition de la PAC – sont déjà prévues, voire engagées. Cette question a été soulevée en particulier par les sénateurs Constant et Gay.
Monsieur le sénateur Cabanel, vous nous invitiez à faire des choix ; effectivement, il faudra en faire entre les différents piliers. L’heure des choix viendra au moment de la décision sur la PAC.
Pour terminer, je veux insister sur l’absolue nécessité de mettre en avant la prévention pour faire face aux aléas climatiques. Je constate que ce point de vue n’est qu’en partie abordé par votre proposition de résolution, à la fin. Le Gouvernement souhaite qu’un exploitant agricole soit davantage aidé s’il investit dans un système de prévention et d’évolution de son exploitation. Ce sujet a été évoqué, en d’autres termes, si j’ai bien compris, par le sénateur Cabanel.
Dans le cas de l’arboriculture, par exemple, il convient d’encourager l’équipement en filets paragrêles ; l’agriculteur ayant investi dans la prévention doit pouvoir percevoir davantage d’aides, lorsqu’il est indemnisé à la suite d’un sinistre, que celui qui n’a pas investi dans un tel système. Cela fait partie des pistes de travail, de même que la nécessité d’améliorer la formation de nos agriculteurs en la matière.
Le Gouvernement partage donc votre constat et votre ambition : l’instauration d’un système plus simple, plus efficace et plus attractif d’assurance récolte, mais, outre le problème de calendrier que nous rencontrons, au regard de la PAC et des consultations en cours, certains points de votre proposition de résolution posent encore question – la période de référence, le seuil de déclenchement de l’assurance et le niveau de subventions, je n’y reviens pas.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’en remet à la sagesse connue du Sénat pour l’adoption de cette proposition de résolution. Il croit fermement à notre capacité collective à trouver des solutions pérennes pour accompagner les agriculteurs, donc notre société, face au changement climatique. Cette proposition de résolution nous permet de prendre date, de distinguer ce qui constitue d’ores et déjà les points de convergence – par exemple, l’encouragement à la couverture des risques – et les points sur lesquels nous devrons encore débattre et travailler, à l’issue des conclusions qui seront rendues au mois de juillet prochain. C’est l’enjeu du travail que nous aurons à mener, avec vous en particulier, puisque vous avez été très en pointe sur ces sujets.
Encourager la couverture des risques doit s’accompagner de mesures de prévention, de protection et d’encouragement à faire évoluer les modèles de production. Un tel changement doit aussi se faire avec l’idée que l’agriculture française devra compter avec d’autres formes d’aléas ; il n’y a pas que les aléas climatiques, il y a également des aléas de marché, des cours mondiaux, et tout cela est très lié. Nous débattrons de cela quand nous aborderons la question assurantielle dans le cadre du débat sur la PAC, le sénateur Louault l’a indiqué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Collin, je vous remercie du débat que cette proposition de résolution a permis de tenir. Certaines étapes sont devant nous ; j’ai dressé quelques éléments de calendrier pour que nous puissions avancer face à des aléas climatiques de plus en plus nombreux et fréquents. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, du RDSE et UC.)