Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Féret, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’un fonds d’indemnisation au titre d’une contamination par un agent pathogène à transmission respiratoire peut surprendre. Ce serait en effet une première.
J’entends, bien entendu, les interrogations légitimes de plusieurs de mes collègues sur l’opportunité de créer un précédent, qui risquerait de fragiliser notre système assurantiel de réparation des risques professionnels. Ce système repose sur la responsabilisation des employeurs dans la protection de leurs salariés, protection qui s’est avérée difficile à garantir face à une maladie infectieuse ayant largement circulé dans la population générale, bien au-delà des seules situations professionnelles.
Je voudrais néanmoins rappeler l’esprit de cette proposition de loi, déposée par notre collègue Victoire Jasmin, que je salue. Ce texte a pour objectif essentiel de répondre à une situation parfaitement inédite. Il vient reconnaître l’engagement professionnel et bénévole de nombreux de nos concitoyens pendant la phase aiguë de l’épidémie de Covid-19 pour assurer la continuité de services indispensables à la vie de la Nation.
Dès le début de l’épidémie, les soignants et personnels d’établissements de santé et médico-sociaux se sont mobilisés pour prendre en charge les malades. À cette occasion, ils ont été exposés à un risque accru de contamination par le SARS-CoV-2, d’autant que les équipements de protection individuelle faisaient défaut. C’est la raison pour laquelle le ministre des solidarités et de la santé a annoncé la mise en place, en faveur des soignants, d’un dispositif de reconnaissance automatique comme maladie professionnelle de leur contamination. Toutefois, les contours de ce dispositif n’ont pas été précisés : nous ne savons pas s’il intégrera les personnels administratifs et d’entretien de ces établissements, et il devrait vraisemblablement se limiter à une réparation forfaitaire.
Par ailleurs, pendant le confinement, au-delà du soin, d’autres secteurs d’activité ont continué de fonctionner afin de répondre aux besoins essentiels de la Nation. Je pense aux premiers secours, aux ambulanciers, aux forces de sécurité, aux personnels de l’éducation nationale et des crèches qui ont accueilli les enfants de soignants, aux services d’aide à domicile, aux services de propreté et de salubrité publique, aux salariés des pompes funèbres, aux salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore aux salariés des abattoirs…
La réalité est la suivante : ces nombreux travailleurs et bénévoles, qui ont dû poursuivre leur activité en dehors de leur domicile pendant le confinement, ont été exposés à un risque accru d’infection par le coronavirus. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19, qui ont pu donner lieu, notamment à l’issue d’une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes ou incapacitantes, telles que des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques, ou ont pu conduire à des décès.
Or quels sont les recours s’ouvrant à elles pour obtenir une réparation juste de leurs préjudices, en reconnaissance du service rendu à la Nation ? À tout le mieux, elles devront s’engager dans une procédure longue de demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, avec un risque d’inégalités de traitement et, donc, de contentieux. Il est effectivement exigé dans ce cadre un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 %, le dispositif n’étant, du reste, pas ouvert aux bénévoles.
Face à cette situation, la proposition de loi vise à instituer un processus d’indemnisation intégrale simplifié et équitable de l’ensemble des personnes qui auraient été exposées à un risque accru de contamination pendant le confinement, au-delà des seuls personnels soignants. Comme c’est déjà le cas pour les victimes de l’amiante, cette réparation intégrale pourrait, le cas échéant, venir compléter la réparation forfaitaire obtenue par les travailleurs par la voie des tableaux de maladies professionnelles nouvellement créés ou des CRRMP.
Afin d’acter le lien entre l’indemnisation et le service rendu à la Nation par des personnes qui n’ont pu rester confinées, j’ai présenté en commission plusieurs amendements destinés à circonscrire tant le champ des bénéficiaires du fonds que son horizon temporel.
J’ai notamment proposé de définir les éléments qui permettront d’établir une présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole, dans le souci d’alléger la charge de la preuve pesant sur les victimes. Ces éléments auraient pu reposer, d’une part, sur une liste d’activités professionnelles ou bénévoles ayant été exposées à un risque accru de contamination et, d’autre part, sur des critères objectivables permettant de présumer, avec une assurance raisonnable, une contamination en milieu professionnel ou bénévole.
Ensuite, afin de consacrer le caractère exceptionnel du dispositif, j’ai proposé à la commission de fixer une borne temporelle au risque d’exposition professionnelle ou bénévole à la contamination justifiant une indemnisation intégrale. Il s’agissait de prendre acte du fait que, pendant la phase aiguë de l’épidémie, pour assurer la continuité de certains services, des personnes ont été plus exposées à un risque d’infection que toutes celles qui pouvaient rester à leur domicile. Cette période aurait débuté le 16 mars 2020, date de mise en place du confinement, et aurait pris fin à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 10 juillet 2020.
Enfin, s’agissant du financement du fonds, j’ai eu le souci de ne pas le faire reposer uniquement sur une contribution de la branche AT-MP, dont la logique assurantielle est régulièrement mise à mal. L’exposition au virus d’agents de l’État et l’indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident en effet pour une mobilisation de la solidarité nationale par un engagement financier de l’État. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission que le financement du fonds s’appuie également sur une contribution de l’État.
La commission des affaires sociales n’a pas adopté ces propositions de modification, qui, à mon sens, auraient garanti la crédibilité et le caractère opérationnel d’un dispositif qui entend répondre à une situation, je le répète, exceptionnelle. La commission a en effet estimé que, en l’état des connaissances scientifiques parcellaires sur les effets à long terme sur la santé du virus, les conditions n’étaient pas réunies pour instituer un fonds d’indemnisation. Pour autant, la majorité de la commission des affaires sociales a clairement affirmé que son abstention sur le texte en commission ne vaudrait pas adhésion en séance publique. Le texte qui vous est donc soumis en séance est essentiellement celui de la proposition de loi initiale, dont les articles n’ont pas été modifiés, seul l’intitulé du texte ayant fait l’objet d’une rectification rédactionnelle.
Bien que mes propositions de modification n’aient pas été retenues en commission, je vous invite, à titre personnel, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l’épidémie de covid-19. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise sanitaire que nous venons de vivre est, à bien des égards, inédite : inédite par sa fulgurance et sa diffusion – jamais un virus n’avait circulé aussi vite sur l’ensemble de la planète –, inédite par sa mortalité auprès des plus fragiles d’entre nous, inédite, enfin, par la mobilisation que nous lui avons opposée.
L’ensemble de nos forces sanitaires se sont mobilisées, en première ligne face au virus, sans faillir. Le pays a ainsi continué à vivre grâce à ces travailleurs de « deuxième ligne », pour citer le Président de la République : agriculteurs, éboueurs, enseignants, chauffeurs routiers, manutentionnaires, hôtes et hôtesses de caisse, travailleurs sociaux, sans oublier – et cette liste n’est pas exhaustive – les maires et les élus locaux, que votre chambre, mesdames, messieurs les sénateurs, représente si bien.
Vous avez raison, madame la sénatrice Jasmin, les conditions que l’épidémie nous a imposées pour les funérailles des victimes du Covid-19 ont été douloureuses pour les proches et pour les familles.
L’ensemble des Françaises et des Français se sont mobilisés face à cette épidémie. La crise sanitaire n’est d’ailleurs pas achevée, et les actualités internationales nous montrent qu’il nous faut rester vigilants partout, y compris sur notre territoire.
Pourtant, à la crise sanitaire s’ajoute maintenant le risque d’une crise socio-économique.
Nos concitoyens ont fait face, il est donc normal qu’ils demandent de la protection face à cette crise. Dans l’urgence, le Gouvernement y a répondu : activité partielle généralisée, primes au personnel soignant, plan de soutien aux secteurs sinistrés, allocation exceptionnelle pour les plus fragiles.
Nous sommes aujourd’hui dans une seconde phase, avec le Ségur pour le monde de la santé, mais aussi le soutien aux salariés et aux entreprises et la préparation du plan de relance de l’activité.
Cette proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Victoire Jasmin et ses collègues du groupe socialiste et républicain vise à indemniser les personnes qui ont été touchées par le Covid-19 dans le cadre de leur activité professionnelle. Elle prévoit une indemnisation intégrale de toutes les personnes atteintes du Covid-19 ayant été en contact avec des personnes contaminées ou des objets susceptibles de l’être dans le cadre de leur activité professionnelle ou bénévole, ainsi que leurs ayants droit.
Le Gouvernement, madame la sénatrice, partage votre attention sur ce sujet sensible, éminemment complexe. Je connais la difficulté des personnes atteintes du Covid dans le cadre de leur activité professionnelle, ainsi que celle de leurs proches.
Selon cette proposition de loi, il reviendrait au demandeur de justifier de sa contamination dans un cadre professionnel. Une commission médicale indépendante constituée au sein du fonds se prononcerait sur le lien entre la contamination et la pathologie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la prise en charge des travailleurs atteints du Covid-19 dans le cadre professionnel est indispensable. C’est une préoccupation majeure du Gouvernement.
Tout d’abord, nous souhaitons apporter une attention particulière aux soignants – cela a été dit par Mme la rapporteure et par Mme la sénatrice Jasmin. Le 23 mars dernier, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, s’y est engagé : « Aux soignants qui tombent malades, je dis que le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle. »
Nous avons un devoir : faire en sorte que les soignants ayant contracté le Covid-19 après avoir soigné des patients atteints puissent obtenir une reconnaissance de maladie professionnelle et une indemnisation en cas de séquelles et de décès. S’agissant de ces travailleurs de première ligne, c’est la moindre des choses. Pour les autres travailleurs contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, nous voulons une indemnisation facilitée. C’est un objectif que je partage avec vous.
Madame la rapporteure, je ne partage cependant pas l’idée de créer un fonds d’indemnisation dédié, ce qui est le cœur de cette proposition de loi. Nous parlons de risques professionnels, nous parlons de travailleurs : notre sécurité sociale dispose d’une branche dédiée à ces questions, la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dites AT-MP, que vous avez vous-même évoquée dans votre propos.
Cette branche est la plus ancienne de notre système de protection sociale. Elle est gérée par les partenaires sociaux, et c’est d’ailleurs un pilier de notre démocratie sociale.
Enfin, cette branche fonctionne bien. Elle est tout à fait apte à cette mission.
À l’inverse, je le crois, créer un fonds serait un dispositif lourd et complexe. Il faudrait prévoir une expertise individuelle sur chaque dossier, ce qui serait aussi une source de nombreux contentieux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne crois pas que cela soit l’intérêt des victimes.
Ce que le Gouvernement propose, c’est de mettre en place un système de reconnaissance simplifié et rapide. Il se traduira par des décrets qui seront présentés très prochainement aux partenaires sociaux, comme le prévoient les textes en vigueur.
Nous allons donc créer un tableau de maladies professionnelles dédié. Il permettra à tous les soignants atteints d’une forme sévère de Covid-19 de bénéficier d’une reconnaissance en maladie professionnelle.
Comme cela m’a été demandé, je veux préciser quelques éléments.
Ce tableau concernera tous les soignants des établissements sanitaires et médico-sociaux, tous les personnels non soignants travaillant en présentiel dans ces structures, toutes les personnes assurant le transport et l’accompagnement des personnes atteintes du Covid-19.
Les professionnels de santé libéraux bénéficieront de cette reconnaissance dans les mêmes conditions que les autres soignants.
Pour les travailleurs non soignants – je crois que c’est notre objectif commun –, la procédure sera facilitée. En lieu et place des comités régionaux, un comité national dédié au Covid-19 sera constitué ; il assurera un traitement homogène et rapide des demandes.
La reconnaissance des maladies professionnelles est importante, vous le savez. Elle permet une prise en charge des frais de soins à hauteur de 100 % des tarifs d’assurance maladie, une prise en charge plus favorable des indemnités journalières et une indemnité en rente ou en capital en cas d’incapacité permanente.
Une rente est versée aux ayants droit en cas de décès, s’élevant à 40 % du salaire de la victime pour l’époux survivant et à 25 % pour chaque enfant à charge, jusqu’à leurs 20 ans.
C’est une indemnisation importante pour les victimes, dans un cadre simplifié et efficace, avec une prise en charge adaptée à l’origine professionnelle de la maladie.
Avec ces mesures, le Gouvernement entend atteindre l’objectif de votre proposition de loi.
Je veux maintenant aussi parler de financement.
Le Gouvernement ne souhaite pas faire porter la charge de l’indemnisation sur les employeurs directement concernés. Ce serait un non-sens pour ces entreprises qui se sont mobilisées pendant la crise. Nous souhaitons donc mettre en place un dispositif de mutualisation, puisque la cotisation AT-MP comprend une part mutualisée entre tous les employeurs. C’est bien une question de solidarité nationale et, là aussi, je crois que nous pouvons nous retrouver.
Cette part sera prise en charge par l’État pour les professionnels de santé libéraux qui ne bénéficient pas d’une couverture AT-MP.
Madame la rapporteure, je souhaiterais enfin souligner les risques de précédent que constituerait la création d’un fonds dédié. J’ai entendu dans votre propos liminaire que vous n’aviez pas souhaité les éluder, ce dont je vous remercie.
Une indemnisation en dehors de la logique de la branche AT-MP ouvrirait le sujet sur l’ensemble des maladies professionnelles. Cela mettrait en danger les fondements de la branche, qui permet une reconnaissance rapide et facilitée aux travailleurs en contrepartie d’une indemnisation déterminée.
Comment justifier qu’une personne ayant contracté le Covid dans un cadre professionnel soit mieux indemnisée qu’une autre atteinte d’un cancer professionnel ? La différence de traitement ne se justifierait pas, et ce sont donc les principes de la branche AT-MP qui seraient ébranlés.
Rappelons que cette branche fait l’objet d’un consensus social de très longue date. Elle permet une indemnisation rapide de plus de 650 000 accidents du travail et de 50 000 maladies professionnelles par an.
Madame la rapporteure, vous l’aurez compris, je partage pleinement votre objectif, comme, je le crois, l’ensemble de vos collègues sénateurs et sénatrices.
Les Françaises et les Français qui ont permis au pays de tenir méritent notre reconnaissance. Pour celles et ceux qui ont été victimes du Covid-19, nous devons être au rendez-vous.
Vous l’aurez compris aussi, le Gouvernement est attaché à la sécurité sociale et à la branche AT-MP, qui permettent d’indemniser les travailleurs touchés dans le cadre de leur activité. C’est pour cela qu’il propose d’agir par décret, rapidement, et dans le respect de la démocratie sociale. Il s’agit d’un choix de cohérence : nous le devons à tous ces travailleurs et à leurs familles.
Vous pouvez compter, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur mon engagement et celui du Gouvernement pour mettre en place cette indemnisation dans les meilleurs délais.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de Mme Victoire Jasmin portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19.
Avant toute chose, mes pensées se dirigent vers celles et ceux qui ont perdu un proche atteint par ce virus, mais aussi vers les familles dont un proche souffre encore aujourd’hui de ce mal.
J’adresse mes pensées les plus solidaires aux pays qui font face en ce moment même au pic épidémique ou à une reprise de l’épidémie sur leur territoire.
Force est de constater que cette pandémie s’est propagée à une très grande vitesse à travers le monde et qu’elle a mis à mal l’ensemble des structures de soins. C’est pourquoi les gouvernements ont été contraints de recourir au confinement pour limiter la propagation de la maladie et, ainsi, préserver les systèmes de soins d’un pic épidémique insoutenable pour nos organisations.
Toutefois, les services vitaux pour la Nation ont maintenu leur activité : notre système de soins, évidemment, mais aussi, les premiers secours, les ambulanciers, les forces de sécurité, les personnels de l’éducation nationale, les crèches chargées d’accueillir les enfants des soignants, les services d’aide à domicile, les salariés des pompes funèbres, la grande distribution, la logistique.
Les auteurs de cette proposition de loi estiment, à juste titre, que ces personnels ont été plus exposés que les autres à l’épidémie puisqu’ils ne pouvaient rester confinés, mis en arrêt maladie, en chômage partiel ou encore en télétravail. Ils estiment par ailleurs qu’une rupture d’égalité est apparue entre les soignants et les autres personnes mobilisées lorsque le ministre des solidarités et de la santé a annoncé que la Covid-19 serait reconnue comme maladie professionnelle pour les seuls soignants.
Toutefois, concernant les autres travailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé le mardi 16 juin, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, que lorsqu’ils ont été contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, ils pourront bénéficier d’une indemnisation au titre des maladies professionnelles. Vous avez également annoncé la publication, avec la ministre du travail, des décrets permettant cette évolution de la réglementation.
Cependant, si cette mesure supprime la rupture d’égalité que nous évoquions précédemment, elle ne répond pas au champ de l’indemnisation prévue par le présent texte. En effet, comme l’a présenté notre collègue rapporteure Corinne Féret, que nous remercions de son excellent travail, les auteurs de cette proposition de loi ajoutent au forfait de prise en charge au titre des maladies professionnelles un principe de réparation intégrale des préjudices des personnes souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par la Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole sur le territoire de la République française, été en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ou avec des objets susceptibles de l’être, ainsi que leurs ayants droit.
Pour ce faire, ils proposent de créer un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en définissent son financement en créant une taxe additionnelle de 1,5 % à la taxe Gafam et en affectant une fraction des cotisations des employeurs à la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.
Enfin, ils définissent la procédure de demande d’indemnisation auprès du fonds.
Tel qu’il est présenté, ce texte nous invite à formuler plusieurs remarques.
D’abord, il apparaît particulièrement difficile de caractériser l’origine de la contamination au SARS-CoV-2. En effet, cette maladie infectieuse se transmet par voie aérienne.
Le docteur Élisabeth Bouvet, présidente de la commission technique des vaccinations au sein de la Haute Autorité de santé, professeure des universités à la faculté de médecine Xavier-Bichat et spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, précisait notamment lors de la cinquantième journée Claude-Bernard en novembre 2007 que la transmission aérienne est définie par le passage de micro-organismes depuis une source à une personne à partir d’aérosols, entraînant une infection de la personne exposée.
Elle ajoutait, d’une part, que, pour les petites particules, la transmission peut se faire jusqu’à une distance supérieure à 1,8 mètre et qu’un contact direct avec la source est inutile. Elle précisait que les maladies se transmettant par petites particules sont à l’origine d’épidémies brutales et explosives.
Elle indiquait, d’autre part, que lorsque l’exposition s’opère par de grosses particules telles que des gouttelettes, il faut un contact proche, inférieur à 1 mètre.
Pour les maladies ne se transmettant pas par petites particules, mais requérant des gouttelettes, la diffusion est lente, intermittente, variable et sans cluster.
Enfin, si la contamination ne peut se faire que par contact direct avec les sécrétions respiratoires de la source, alors la transmission s’opère uniquement par le biais des sécrétions infectées depuis les mains jusqu’aux muqueuses respiratoires.
En conclusion, en matière de maladies infectieuses, il est peu probable que nous puissions caractériser le lieu de la contamination.
Ensuite, si nous n’ignorons pas que certaines personnes ont été mises en situation d’une surexposition, nous considérons qu’il ne faut pas confondre surexposition au danger du fait de son activité professionnelle et contraction de la maladie à l’occasion de la réalisation de cette activité.
Présupposer qu’il y a eu contamination sur le lieu de travail paraît pour le moins particulièrement délicat en matière infectieuse, contrairement à l’exposition à l’amiante, dont le lien de causalité était certain et pouvait assurément être imputé à la charge de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Reconnaître ici cette fiction juridique revient par ailleurs à faire porter aux employeurs la charge symbolique de la responsabilité de la contamination de leurs employés. Or le lien de causalité entre activité professionnelle et contraction de la maladie ne pouvant pas être justifié, nous regrettons que la voie de la reconnaissance au titre des maladies professionnelles ait été privilégiée.
J’ajoute que faire peser cette charge symbolique sur les employeurs privés, publics, ou sur les associations, alors que nous n’étions pas en capacité de leur permettre de protéger suffisamment leurs employés du fait de la pénurie de masques chirurgicaux et autres équipements de protection individuelle paraît d’autant plus injuste.
C’est pourquoi, afin d’éviter toute différence de traitement entre les soignants et les autres professionnels mobilisés durant le confinement et afin d’éviter de faire porter aux employeurs la charge symbolique que je viens de décrire, je m’interroge sur le recours à une autre solution que le Gouvernement aurait peut-être pu privilégier plutôt que de faire porter cette charge par la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Monsieur le secrétaire d’État, n’aurait-il pas été plus juste de garantir à ces travailleurs une prise en charge intégrale de la maladie, voire du préjudice, directement par l’assurance maladie sur présentation d’une attestation démontrant leur mobilisation durant le confinement ? C’est une réflexion.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de nombreux travailleurs et bénévoles ont poursuivi leur activité professionnelle ou associative pendant le confinement mis en place pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19.
Les professionnels de santé, hospitaliers et libéraux, étaient sur le front, et l’ensemble des personnes mobilisées pour assurer la continuité de services essentiels à la vie de la Nation l’étaient également. Mais le manque de protections les a exposés à un risque accru d’infection. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19 qui ont pu donner lieu à une hospitalisation dans un service de réanimation, mais aussi à des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques. Malheureusement, le pire s’est produit pour d’autres de ces professionnels, décédés des suites de cette contamination.
Le texte soumis à notre examen ce matin par notre collègue Victoire Jasmin prévoit la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de la Covid-19. Les auteurs de cette proposition de loi partent du principe qu’il appartient à la société dans son ensemble, et donc à l’État, d’assurer aux victimes de l’épidémie de Covid-19 une réparation simple, rapide et équitable de tous les préjudices subis.
Nous avons tous été sollicités par des associations ou des fédérations professionnelles. En tant que rapporteure sur le suivi du Covid-19 en lien avec la branche assurance maladie, j’ai notamment auditionné des représentants de la Fédération de l’hospitalisation privée, qui m’ont également proposé l’organisation d’un dispositif juridique unique à l’échelon national destiné à indemniser les victimes du Covid-19. Je les remercie de leur contribution.
Nous sommes très nombreux à avoir applaudi les soignants tous les soirs à vingt heures, sans pouvoir contribuer à la lutte contre cette épidémie sans précédent autrement qu’en restant chez nous.
Aujourd’hui, nous ne pouvons que partager cet objectif visant à témoigner notre légitime reconnaissance, et celle de la Nation tout entière, aux personnels soignants qui se sont retrouvés en première ligne durant toute cette période, et à tous ceux qui ont pris en charge au quotidien nos concitoyens contaminés au cours des soins ou dans le cadre de l’organisation des soins de suite, et à tous les travailleurs et bénévoles, qui, au péril de leur vie, ont permis la continuité de secteurs prioritaires.
L’article 1er de la proposition de loi définit les personnes potentiellement bénéficiaires. Le cadre est très large : il s’agit des personnes « souffrant d’une maladie ou d’une pathologie consécutive à la contamination par le Covid-19 et qui, préalablement à cette contamination, ont, dans l’exercice de leur profession ou d’une activité bénévole, été en contact régulier avec des personnes elles-mêmes contaminées ». Les ayants droit sont également concernés.
Les autres articles concernent, d’une part, la reconnaissance de la Covid comme maladie professionnelle et, d’autre part, la création d’un fonds d’indemnisation.
Je salue votre travail, madame la rapporteure. Cependant, malgré les aménagements que vous aviez proposés lors de l’examen du texte en commission, le double dispositif continue à s’inscrire dans le cadre des maladies professionnelles.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, une reconnaissance en maladie professionnelle implique une prise en charge à 100 % des frais médicaux, des indemnités journalières majorées par rapport à un simple arrêt de travail et la possibilité d’une rente d’incapacité si les personnes gardent des séquelles.
La mise en place d’un fonds d’indemnisation pour une contamination par une maladie infectieuse constituerait un précédent majeur qui bouleverserait les principes ayant jusqu’à présent prévalu pour engager la responsabilité de l’État et justifier d’une indemnisation.
C’est un sujet complexe, et nous exprimons des réserves, lesquelles ont justifié notre abstention en commission. Comme le rappelait notre collègue Gérard Dériot, rapporteur de la branche AT-MP, « les maladies professionnelles sont établies en fonction des risques encourus dans le cadre d’une activité économique définie. Si l’on s’engage dans cette voie, nous créons un précédent pour les prochaines épidémies qui frapperont notre pays ».
Cependant, nous saluons la mise en place du dispositif de reconnaissance automatique en maladie professionnelle de la contamination des soignants hospitaliers ou libéraux que vous avez présenté, monsieur le secrétaire d’État, dès lors que ceux-ci ont été exposés à un risque accru d’infection. Mais un risque accru en l’absence de matériel de protection suffisant, ce qui n’est pas sans poser la question de la responsabilité de cette absence de protection.
Toutefois, cette proposition de loi va bien au-delà en instituant un principe de réparation intégrale des préjudices subis pour l’ensemble des personnes qui auraient exposé en milieu professionnel ou bénévole. Or, pour ces personnes, il sera particulièrement difficile d’établir l’origine professionnelle de leur contamination.
L’adossement du fonds à l’Oniam, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, me paraît peu approprié. La vocation de l’Oniam, je le rappelle, est d’indemniser les dommages causés par un accident médical ou des dommages imputables à une activité de recherche biomédicale, une affection iatrogène liée à un traitement médical ou une infection nosocomiale contractée dans un établissement de santé.
D’ailleurs les associations et les fédérations proposant une indemnisation de ce type n’ont pas toutes la même approche. Si l’Association des accidentés de la vie, la Fnath, propose la création d’une commission d’indemnisation qui déterminerait les critères et les modalités d’accès à un fonds d’indemnisation déjà existant comme l’Oniam, d’autres, comme l’association Coronavictimes, ont demandé au Gouvernement de créer un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19 sur le modèle de celui des victimes de l’amiante, le FIVA, pour aller plus loin que la reconnaissance en maladie professionnelle. Cette association dénonce une faute de l’État – et même un empilement de fautes –, lequel n’a pas mis en place les mesures de protection nécessaires et n’a pas assuré l’accès aux soins hospitaliers de tous les malades.
Alors, compte tenu des incertitudes scientifiques qui persistent encore dans la connaissance du Covid-19, puisqu’on en apprend tous les jours sur cette maladie, compte tenu du fait que l’épidémie n’a pas pris fin, que les contaminations se poursuivent et qu’il est difficile d’en évaluer les effets sur la santé à long terme – des études sont en cours sur des patients continuant à souffrir de pathologies incapacitantes assez lourdes et conservant de graves symptômes à distance de la contamination –, il nous semble qu’il sera difficile pour une commission médicale indépendante du fonds d’envisager un mécanisme d’indemnisation et il nous semble donc prématuré de créer ce dispositif.
Pour toutes ces raisons, nous n’apporterons pas notre soutien à cette proposition de loi et, après nous être abstenus en commission, nous votons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)