compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 25 juin 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Remplacement de deux sénateurs

M. le président. M. Christophe Chaudun a fait connaître à M. le président du Sénat qu’il se démettait de son mandat de sénateur de la Sarthe à compter du jeudi 25 juin 2020, à minuit.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Muriel Cabaret, dont le mandat de sénatrice a commencé vendredi 26 juin, à zéro heure.

En application des articles L.O. 151 et L.O. 297 du code électoral, M. le président du Sénat a pris acte de la fin de plein droit, à compter du samedi 27 juin, à minuit, du mandat de sénateur de l’Ardèche de M. Jacques Genest.

En application de l’article L.O. 319 du code électoral, il est remplacé par Mme Catherine André, dont le mandat de sénatrice a commencé dimanche 28 juin, à zéro heure.

En votre nom à toutes et tous, je souhaite la plus cordiale bienvenue à nos nouveaux collègues.

3

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires sociales a été publiée.

Elle sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer
Discussion générale (suite)

Revalorisation des pensions de retraite agricoles

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (proposition n° 539, texte de la commission n° 550, rapport n° 549).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre lépidémie de covid-19. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour que vous puissiez examiner et, je l’espère, adopter cette proposition de loi revalorisant les pensions de retraite agricoles, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale sur la proposition du député André Chassaigne.

Ce texte nous concerne tous ; tout d’abord, parce qu’il s’agit d’une question de justice sociale ; ensuite, parce que le travail et la production des agriculteurs sont essentiels pour notre pays et pour chacun d’entre nous ; enfin, parce que le niveau des pensions agricoles n’est pas digne du travail de ces acteurs indispensables pour nos territoires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le système de pensions agricoles est issu d’une longue et riche histoire. Il illustre l’évolution des activités dans notre pays. Il pose la question de notre engagement, en tant que société, vis-à-vis de cette profession universelle.

Nos agriculteurs ne nous demandent pas l’aumône : ils ont droit à la reconnaissance de chacun d’entre nous. Et ils ont surtout le droit d’avoir la garantie d’une vie digne quand l’âge ne rend plus possible la poursuite de l’activité professionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation des retraités agricoles nous parle aussi d’universalité et de solidarité.

Je voudrais souligner qu’il y a là comme un paradoxe : le système de retraite agricole est catégoriel. Mais ce système ne peut fonctionner seul, avec les ressources issues des cotisations. Le régime de base repose largement sur des points et le régime complémentaire, je veux le rappeler, est lui intégralement en points. Ces régimes à points fonctionnent grâce à la solidarité nationale, car les deux sont bien compatibles, pour ceux qui en douteraient…

Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, votre engagement pour introduire plus d’équité dans notre système de retraite. Vous avez toujours voulu un débat riche et transpartisan. Dès 2018, le Sénat s’est mobilisé pour travailler sur une réforme globale du système de retraite, avec plusieurs colloques et travaux auxquels j’ai eu le plaisir d’assister.

Je cite la présentation qu’en faisait votre institution : « Simplification. Équité. Équilibre financier. Ces trois objectifs sont au cœur des recommandations du Sénat sur les retraites depuis plus de vingt ans. »

Je ne puis qu’être d’accord avec ces trois objectifs. Et je veux saluer les travaux, toujours d’une grande qualité, produits par votre assemblée ; je pense notamment aux rapports de M. René-Paul Savary, dont chacun connaît ici l’investissement et la maîtrise du sujet.

Les petites pensions de retraite sont une préoccupation du Gouvernement. Je veux rappeler que la réforme adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, avant la crise sanitaire, prévoyait ces mesures de justice sociale. Je veux aussi rappeler que j’avais pris l’engagement d’aller plus loin sur ce sujet. C’est pour cela que le Premier ministre a demandé aux députés Turquois et Causse de produire un rapport et des propositions.

Ces travaux sont en cours. Ils nous permettront, j’en suis sûr, d’avoir une meilleure vision d’ensemble : conjoints collaborateurs, aides familiaux, mais aussi artisans et indépendants, salariés précaires, autant de nos concitoyens qui, eux aussi, perçoivent généralement des petites retraites après un parcours professionnel souvent difficile. Le texte qui vous est soumis n’est pas exhaustif, et soyez convaincus que le Gouvernement a bien l’ensemble du sujet en tête.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen à l’Assemblée nationale a permis d’aboutir à un texte équilibré.

L’article 1er porte sur la revalorisation des pensions agricoles. Il s’agit du cœur de cette proposition de loi. Il reprend la garantie d’une pension totale équivalente à au moins 85 % du SMIC net agricole pour les chefs d’exploitation ayant effectué une carrière complète. Il prend en compte l’ensemble des pensions du bénéficiaire, dans un objectif d’équité. Il prévoit l’application du dispositif aux futurs et aux actuels pensionnés et une mise en œuvre au plus tard au 1er janvier 2022.

Je sais que certains souhaiteraient que cette mesure s’applique encore plus vite (Marques dapprobation sur les travées du groupe CRCE.), et c’est compréhensible. Je veux donc rappeler quelques éléments, comme je l’ai fait à l’Assemblée nationale.

Notre devoir, c’est de ne pas trahir la confiance du citoyen. En 2014, il a fallu seize mois pour la mise en place de la garantie à 75 % du SMIC. Et vous savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette garantie figurait déjà dans la loi Peiro, en 2002. Plus d’une décennie d’attente !

Aussi, je me refuse à faire voter des textes inapplicables, fussent-ils adoptés à l’unanimité. Voilà pourquoi le texte prévoit une application « au plus tard au 1er janvier 2022 ». Ne trahissons pas les attentes des agriculteurs et des agricultrices avec de fausses promesses.

Cette proposition de loi est un texte de progrès. Plus de 200 000 personnes, en métropole et dans les outre-mer, bénéficieront d’une hausse moyenne d’environ 110 euros de leur pension de retraite chaque mois.

J’ai parlé de l’outre-mer ; c’est le cœur de l’article 3. Le Gouvernement est conscient de la spécificité de l’activité économique sur ces territoires. C’est pourquoi le texte propose une adaptation de l’article 1er aux spécificités de carrière des agriculteurs ultramarins. Son application sera plus souple sur la durée d’affiliation et sur la durée cotisée, ce qui constituera un progrès. Ainsi, tous les retraités agriculteurs ultramarins qui ont liquidé à taux plein bénéficieront de la garantie.

L’article 4 s’inscrit dans cette logique de progrès pour les territoires ultramarins, en élargissant la couverture des salariés agricoles en matière de retraite complémentaire.

Enfin, s’agissant du financement, je veux rappeler aux parlementaires que ces débats auront lieu dans le cadre des lois budgétaires et à la lumière des travaux de la mission Causse-Turquois, que j’évoquais.

Cette proposition de loi nous le rappelle, beaucoup reste à faire pour offrir à tous nos concitoyens un système de retraite juste, pérenne et équitable.

Je voudrais terminer par un rappel, car ce texte s’inscrit dans une histoire, celle d’initiatives parlementaires visant à garantir un meilleur niveau de vie aux pensionnés agricoles. Je pense à la proposition de loi qui permit la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles. C’était au tournant du siècle dernier.

Si bien des choses ont évolué depuis lors, les débats tournaient déjà autour de deux sujets : la faiblesse des pensions de nos agriculteurs au regard de leurs efforts et de leur place dans la société ; les difficultés de financement inhérentes à ce régime.

Cette proposition de loi était issue du travail mené par le député Germinal Peiro. L’apport du Sénat, notamment à travers son rapporteur, le sénateur du Puy-de-Dôme Jean-Marc Juilhard, fut toutefois décisif. C’est lui qui porta l’inscription d’une garantie de pension fixée à 75 % du SMIC.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Cette proposition de loi fut adoptée à l’unanimité et de façon conforme entre les deux chambres.

En 2017, c’est un autre parlementaire du Puy-de-Dôme, André Chassaigne, qui mit de nouveau ce sujet à l’agenda.

Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons l’occasion, tous ensemble, de permettre à des centaines de milliers de Françaises et de Français d’améliorer leur quotidien. J’espère, au nom du Gouvernement, que c’est le sens que prendront vos débats.

C’est donc fidèle à cet engagement pour un système de retraite plus juste, équitable et solidaire que le Gouvernement soutient l’adoption de cette proposition de loi. (MM. Martin Lévrier et Franck Menonville applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les administrateurs de la commission.

En 2016, quand nos collègues députés André Chassaigne et Huguette Bello ont déposé leur proposition de loi, ils prévoyaient son entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Le texte que nous nous apprêtons à adopter devrait s’appliquer au 1er janvier 2022. Que de temps perdu pour arriver à cette mesure de justice, qui permettra de porter à 85 % du SMIC le montant garanti de pension pour un chef d’exploitation à carrière complète !

À l’heure où chacun s’attribue les mérites et la parenté de ce texte, nous n’oublions pas que le Gouvernement, ici au Sénat, avait fait échec à l’adoption définitive en première lecture de cette proposition de loi en 2018, en recourant au « vote bloqué ».

Deux ans après, le Sénat reprend donc l’examen de ce texte qu’avait rapporté à l’époque notre ancien collègue Dominique Watrin. Je suis heureuse aujourd’hui de porter ce texte devant vous avec mon collègue René-Paul Savary.

Je l’ai dit devant notre commission des affaires sociales et je le répète ici : ce texte est nécessaire, mais il n’est pas parfait, et, si nous allons le voter, nous n’oublions pas ses faiblesses. Je pense particulièrement à la question des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux, qui ne sont pas concernés par ce dispositif. Ce sont souvent des femmes avec de faibles pensions : il faudra que nous travaillions sur ce sujet, car c’est aussi un combat d’égalité, une question de justice et de reconnaissance du travail effectué.

Je pense également au mécanisme d’écrêtement ajouté à l’Assemblée nationale, sur lequel nous avons une appréciation divergente avec mon collègue rapporteur. Je regrette qu’un tel dispositif vienne affaiblir cette avancée.

Ces manques ne doivent cependant pas nous empêcher de voter ce texte et d’assurer au plus vite ce progrès social pour les exploitants agricoles retraités, actuels et futurs.

Je vous parle d’avancées et je tiens à en souligner d’autres, que ce texte permet également. Nous sommes au Sénat et, vous le savez, nous nous devons de veiller à la bonne application de la loi sur l’ensemble de nos territoires. Or, dans les départements d’outre-mer, la « garantie 75 % » n’était pas encore une réalité.

Alors que les critères d’éligibilité prévus ne correspondent pas aux réalités des exploitations agricoles ultramarines, ce texte vient apporter des adaptations nécessaires, en aménageant notamment la prise en compte de la durée d’assurance. La « garantie 85 % » que nous allons adopter trouvera donc à s’appliquer dans l’ensemble des départements.

Nous nous apprêtons également à renforcer les droits à la retraite complémentaire pour les salariés agricoles de la Guadeloupe et de La Réunion, pour qui elle n’existe pas encore.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte est important. Aussi, au nom de la commission des affaires sociales, nous vous invitons à le voter et à contribuer ainsi à compenser, pour les exploitants agricoles retraités, l’impact sur leurs pensions des faibles revenus qu’ils connaissent trop souvent durant leur carrière. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en effet une avancée que nous allons soutenir aujourd’hui. En revalorisant les petites retraites des chefs d’exploitation et d’entreprise agricole qui ont fait leur carrière à temps complet, nous ne devons pas oublier que ce sont aussi les revenus des agriculteurs qu’il faut travailler à améliorer.

Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, dans un système à points, de faibles revenus débouchent sur de faibles retraites. Ne l’oublions pas !

Nous ne devons pas oublier non plus que si nous créons ici un nouveau dispositif de solidarité, il existe par ailleurs l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), un dispositif du régime commun auquel les agriculteurs ne font pas forcément appel, malgré la limitation des recours sur les actifs successoraux. C’est toutefois un dispositif complémentaire au minimum contributif qui nous réunit aujourd’hui.

Ce texte garantit donc une pension équivalente à 85 % du SMIC au 1er janvier 2022 et concerne à la fois le flux et le stock, c’est-à-dire ceux qui sont déjà à la retraite comme ceux qui toucheront leur pension après 2021. Il permet tout de même un relèvement substantiel des retraites agricoles, qui devraient passer de 904 euros à 1 025 euros.

Parce qu’il s’agit d’une attente forte des agriculteurs, la commission des affaires sociales, comme en 2018, soutient cette proposition de loi. Toutefois, notre commission a été vigilante sur plusieurs points.

Nous aurions bien évidemment préféré que l’entrée en vigueur ait lieu dès le 1er janvier 2021, mais nous avons eu comme priorité de ne pas retarder l’adoption de ce texte. C’est pourquoi nous souhaitons un vote conforme, d’autant que la CMP n’avait pas été inscrite à l’ordre du jour de la prochaine session extraordinaire et risquait donc d’être reportée aux calendes grecques – mieux vaut tenir que courir !

Le Gouvernement prétend que des problèmes techniques d’application seraient responsables de ce délai. Toutefois, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, en 2014, il a fallu seize mois pour organiser véritablement les choses. On peut penser que, en 2020, on mettra deux fois moins de temps, ce qui nous amène à janvier 2021. S’il y a une réelle volonté de part et d’autre, on doit pouvoir accélérer le processus !

De cette hésitation gouvernementale ressortent plusieurs lacunes sérieuses de rédaction du texte – ma collègue rapporteure et moi-même reviendrons sur cette question lors de la discussion des articles.

Nous nous sommes également interrogés sur le financement du dispositif, dont le surcoût est estimé à 261 millions d’euros. À l’origine, quand la loi a été déposée en 2018, elle concernait beaucoup plus de personnes – près de 300 000 – et son coût était évalué à 400 millions d’euros. Cette question méritera donc d’être posée lors du PLF.

En réalité, mes chers collègues, ce qui nous est présenté aujourd’hui, c’est un texte comme on ne les aime pas ! (Sourires.)

Tout d’abord, il nous est difficile de le modifier au Sénat, car, si nous ne le votons pas conforme, nous ne savons pas ce qu’il deviendra. Ensuite, pour l’instant, il n’est pas financé. On nous promet qu’il le sera lors du PLF 2021, nous serons vigilants sur ce point. En outre, il ne concerne pas tous les agriculteurs, seulement les chefs d’exploitation à temps complet qui ont eu une carrière complète ; les conjoints et les aidants familiaux sont oubliés. Enfin, la date d’application ne nous convient pas.

Néanmoins, nous vous demandons, mes chers collègues, de soutenir cette loi attendue de longue date, en espérant qu’elle réponde tout de même à la préoccupation d’un certain nombre d’agriculteurs – 196 000, en principe –, et le plus tôt possible. C’est la raison pour laquelle nous n’étions pas trop de deux rapporteurs pour cette proposition de loi (Sourires.), qui est importante, même si elle n’a fait l’objet d’aucun amendement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 décembre 2016, quelques mois avant l’élection présidentielle, donc dans un contexte budgétaire bien particulier, Huguette Bello et André Chassaigne déposaient à l’Assemblée nationale la proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui. Cosignée par les membres du groupe GDR, elle avait pour ambition de revaloriser les petites pensions de retraite des agriculteurs et de pointer la situation des retraités ultramarins.

Cette proposition de loi s’articule autour de deux piliers.

D’un côté, les articles 1er et 2 garantissent un niveau minimum de pension à l’ensemble des retraités, par une augmentation de leur montant à 85 % du niveau minimum du SMIC et par la création d’une nouvelle contribution sur les revenus financiers des sociétés financières et non financières liées au secteur agricole, affectée au régime de retraite complémentaire obligatoire.

De l’autre, les articles 3 à 5 contiennent des dispositions en faveur de la revalorisation des pensions des retraites agricoles dans les départements et régions d’outre-mer, en facilitant l’accès des chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole ultramarins à la garantie « 75 % du SMIC », mais aussi en garantissant la couverture des salariés agricoles par les régimes d’assurance vieillesse complémentaire sur l’ensemble du territoire national.

La commission des affaires sociales du Sénat a adopté le 24 juin dernier, à l’unanimité et sans modification, cette proposition de loi de revalorisation des petites retraites agricoles. C’est bien là l’essentiel. Et cela démontre que, quel que soit notre bord politique, quel que soit notre territoire, quelle que soit l’époque, notre assemblée a toujours tenu en grande estime le monde agricole. Nous savons tous ce que la France leur doit et quel pilier ils constituent dans notre république.

D’aucuns voudront nous rappeler le chemin chaotique de cette proposition de loi…

M. Martin Lévrier. … et transformer cette belle conclusion avec un regard politique qui me semble malvenu aujourd’hui, voire essayer de nous reprocher de voter aujourd’hui ce que nous aurions fait échouer hier…

« À chacun sa vérité », aurait dit Luigi Pirandello. Mais il est essentiel malgré tout de rappeler ici quelques éléments factuels, qui permettront à chacun de bien comprendre nos décisions.

Le texte, porté par le chef de file des élus communistes André Chassaigne, avait été adopté à l’unanimité en première lecture en février 2017, sous la précédente législature. En mai 2018, via une procédure de vote bloqué, le Gouvernement a demandé au Sénat un report de la date d’application de cette proposition. Le groupe CRCE a préféré retirer ce texte plutôt que de voter cette modification. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)

Mme Céline Brulin. Et voilà que c’est de notre faute !

M. Martin Lévrier. Conscients des difficultés pour nos agriculteurs, nous avions une ambition et un engagement forts auprès d’eux. Nous sortions des états généraux de l’alimentation, qui s’étaient clôturés seulement deux mois avant et avaient pour principal objectif de permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. (Mêmes mouvements.)

Mme Éliane Assassi. Vous inversez tout !

M. Martin Lévrier. Nous étions en pleine préparation d’une réforme systémique des retraites, dont l’ambition, en particulier pour le monde agricole, allait bien au-delà de la proposition que nous examinons aujourd’hui.

M. François Bonhomme. Et avec quel succès ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Martin Lévrier. Nous étions convaincus que cette proposition de loi, à l’époque, ne répondait pas à la nécessité d’agir avec réalisme, équité et l’assurance d’un financement pérenne.

Dès lors, comment voter un texte qui ne revalorisait qu’un seul type de pensions, à l’exclusion de toutes les autres, en particulier de celles des indépendants ou des artisans, tout aussi faibles, alors que nous travaillions sur un système universel des retraites ? N’était-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains.)

M. François Bonhomme. L’expression est bien choisie !

M. Olivier Jacquin. Vous êtes gonflé !

M. Martin Lévrier. Au regard de cette réalité de l’époque, nous avions donc l’impression d’une loi construite dans l’urgence, qui entrait en collision avec les travaux du Gouvernement et qui risquait d’apporter plus de confusion que de solutions.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !

M. Martin Lévrier. Je vous rappelle également, mes chers collègues, que la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs étaient alors opposés à cette proposition de loi non financée, non pérenne et bien moins ambitieuse pour eux que les engagements vers lesquels nous allions dans la réforme systémique de notre système de retraite.

M. Fabien Gay. Vous voulez parler de la réforme qui faisait baisser les pensions ?

M. Martin Lévrier. La crise de la covid-19 vient de frapper de plein fouet notre pays. Une crise économique sans précédent s’abat sur nous. Même si nombre de décisions pour en limiter l’ampleur ont été prises avec justesse par le Gouvernement, le pragmatisme doit aujourd’hui l’emporter sur toute considération, que celle-ci soit idéologique ou centrée sur la certitude d’avoir raison.

Il était donc de bon sens de suspendre notre réforme systémique des retraites. Comme il est d’évidence de dire et rappeler que l’urgence pour les agriculteurs est toujours la même.

C’est pourquoi nous nous réjouissons que cette proposition de loi revienne en discussion dans notre assemblée. Nous saluons l’accord qui a eu lieu à l’Assemblée nationale. Nous sommes conscients, et devons le rappeler, que cette avancée constitue un petit pas, qui ne résout pas tout, en particulier la situation des conjoints des chefs d’exploitation ou des employés agricoles.

Pour autant, ce texte permet une avancée essentielle et urgente, et c’est donc tout naturellement que nous appelons à voter cette proposition de loi sans amendement. Bien évidemment, nous garderons un œil attentif sur le prochain PLF pour le financement de cette réforme, dont nous souhaitons qu’elle s’applique au plus vite, si possible avant le 1er janvier 2022.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, nos agriculteurs ont contribué à construire notre autonomie et notre souveraineté alimentaire. Je veux à ce titre saluer leur mobilisation sans faille durant la crise que nous traversons. Sans eux, la continuité de la chaîne alimentaire n’aurait pas été garantie.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture était très attendue, tant en métropole que dans les territoires ultramarins. Elle vise à revaloriser le montant des pensions agricoles des retraités actuels et futurs de 75 % à 85 % du SMIC net pour une carrière complète.

Cette mesure correspond à une demande formulée depuis 2003 par la profession agricole. Le Gouvernement a néanmoins souhaité reporter l’entrée en vigueur de cette disposition à janvier 2022, tout en restreignant le nombre des bénéficiaires potentiels – ils passent de 292 000 à 196 000. Même si nous déplorons ce report et cette restriction, notre esprit de responsabilité nous invite à voter ce texte.

Pour des raisons de justice sociale, il me semble que nous devons procéder à la revalorisation des retraites agricoles, et cela le plus tôt possible. En effet, le montant moyen des retraites s’élève actuellement à 905 euros – quelque 953 euros pour les hommes et 852 euros pour les femmes. Le texte que nous examinons aujourd’hui le porterait à 1 025 euros.

Depuis près de cinquante ans, le monde agricole a contribué à l’essor économique de notre pays. Force est de constater qu’il n’en a pas toujours tiré les bénéfices. Ce métier est beau, mais difficile. La fatigue est plus que réelle et les heures de travail ne se comptent pas. Est-il nécessaire de rappeler que l’élevage nécessite un investissement de 365 jours par an ?

Trop nombreux sont encore ceux qui vivent très modestement et dont les revenus sont quelquefois inférieurs aux minimas sociaux. Nous ne pouvons pas différer le moment d’envoyer un signal fort de solidarité nationale. Ce moment est venu ! Pour des raisons d’attractivité économique du métier et plus encore d’accès au foncier, de nombreux jeunes agriculteurs renoncent à s’installer.

Il s’agit d’un véritable enjeu de transmission et de renouvellement des générations. En effet, le niveau des retraites détermine, entre autres, les conditions de cession des exploitations.

Monsieur le secrétaire d’État, ne pouvons-nous pas imaginer pour demain un système incitatif de majoration des points de retraite conditionnée à la transmission au profit d’un jeune agriculteur, notamment hors du cadre familial ? Cette question ne concerne pas directement cette proposition de loi ; il s’agit d’une proposition pour l’avenir.

Ce texte prévoit aussi de faciliter l’accès à la garantie des 75 % du SMIC pour les exploitants agricoles ultramarins, sujet sur lequel mon collègue Jean-Louis Lagourgue avait alerté le ministre de l’agriculture et de l’alimentation en février dernier.

Cette mesure bénéficiera notamment aux retraités agricoles de Guadeloupe et de La Réunion, qui ne bénéficient pas d’accord leur facilitant cet accès, contrairement aux agriculteurs de Martinique et de Guyane. Nous saluons cette avancée importante, notamment pour les chefs d’exploitation.

Très peu d’agriculteurs ultramarins arrivant à l’âge de la retraite peuvent faire état d’une carrière complète et bénéficier du dispositif de garantie de 75 % du SMIC. Les agriculteurs ultramarins retraités perçoivent en moyenne 375 euros de pension et un quart d’entre eux perçoit moins de 100 euros. Aussi, nous accueillons très favorablement cette disposition.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, qui constitue une véritable mesure de justice sociale et d’équité. (Mme Laurence Cohen et M. Jean-Claude Requier applaudissent.)