M. Laurent Duplomb. Il faut remettre les Français au boulot, alors !
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Hervé Gillé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’opportunité de ce débat proposé par la délégation à la prospective sur la manière de se nourrir sainement, équitablement et durablement est indéniable dans le contexte actuel.
La révélation de nos dépendances nous interroge sur les autonomies minimales nécessaires en période de crise, surtout en termes alimentaires. Elle nous interroge aussi sur nos proximités de solidarité, nos modes de production et de consommation et leurs impacts environnementaux.
L’approche territoriale semble évidente pour partager une stratégie, définir en commun les objectifs et s’en donner les moyens. Les programmes alimentaires territoriaux, portés notamment par les syndicats mixtes, de type pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), sont de bons vecteurs. Pourtant, au cours de nos auditions, ils ont souvent montré des insuffisances et des fragilités qui les empêchent de jouer un réel rôle de levier. En outre, en matière d’aménagement foncier et de politique d’urbanisme, la singularité alimentaire est négligée et le manque de spécifications est à noter.
Au même titre que les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), ne serait-il pas souhaitable de généraliser la mise en œuvre de plans d’alimentation durable au sein des EPCI qui pourraient ainsi les déléguer, par intégration territoriale, dans les PAT ? Dans ce cas, un axe logistique est forcément nécessaire afin d’organiser les circuits locaux et compléter les approvisionnements de proximité pour livrer les donneurs d’ordre dans les meilleures conditions.
Parallèlement, ne faudrait-il pas renforcer les schémas de cohérence territoriale (SCOT) intégrateurs, en se fixant un cap d’autonomie alimentaire, modeste ou non ? Ils déclineraient des objectifs de développement et de préservation de surfaces dédiées ou pourraient, en cas d’impossibilité, instaurer un principe de compensation territoriale en relation de proximité.
Ces propositions s’appuient sur l’existant et contribuent à renforcer la territorialité. L’appropriation de ce sujet et son acceptabilité par les acteurs seraient a priori acquises – le département de la Gironde est par exemple prêt à accompagner les collectivités sur ces questions.
Qu’envisagez-vous concrètement sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Gillé, je l’ai dit, nous devons absolument coconstruire la politique de l’alimentation au niveau des territoires avec les collectivités locales. La définition de ces territoires peut varier selon les endroits : il peut parfois s’agir de la région tout entière, mais elle est parfois trop vaste pour cela – c’est par exemple le cas de la Nouvelle-Aquitaine –, il peut aussi s’agir d’une agglomération, comme celle de Bordeaux, ou d’un département, par exemple la Creuse.
Le projet de loi de décentralisation, différenciation et déconcentration, dit 3D, doit justement nous permettre de mettre en place une nouvelle étape de la décentralisation pour gérer ce pays différemment, y compris en matière alimentaire. Les choses sont nécessairement gérées différemment dans la métropole parisienne, en Vendée ou en Lozère – je veux de nouveau rendre hommage à Alain Bertrand comme le Sénat l’a fait en début d’après-midi.
Je l’ai dit, l’objectif du Gouvernement est zéro artificialisation, mais au-delà nous devons reconquérir des terres agricoles. C’est le seul moyen de réussir ! Si nous ne sommes pas capables de récupérer du foncier pour le mettre à la disposition de jeunes agriculteurs, nous n’arriverons pas à gagner notre pari. Le sol, le foncier, doit être considéré comme un bien public. Trop longtemps, nous avons sacrifié des terres agricoles : il fallait agrandir les villages, aménager des lotissements et des déviations, ouvrir des grandes surfaces, construire des autoroutes, etc.
Nous ne pouvons évidemment pas revenir sur le passé et regarder avec les yeux d’aujourd’hui ce qui a été fait dans les années 1970, mais forts de cette expérience, nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs. C’est la reconquête du foncier qui nous permettra de fournir une alimentation de proximité à nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, j’ai le sentiment que vous n’avez pas bien écouté mon intervention. Je vous ai fait des propositions concrètes sur les compétences des EPCI, sur les SCOT et sur la fixation d’objectifs territoriaux qui permettraient de travailler avec les Safer et les établissements publics fonciers locaux (EPFL) pour reconquérir du foncier.
Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut développer les coopérations entre les collectivités. Pour les métropoles comme pour les PCAET, il faut trouver des compensations sur d’autres territoires.
Il est essentiel d’avancer sur ces sujets dès maintenant et de manière concrète, sans repousser de nouveau aux calendes grecques la résolution de ces problèmes, à l’image de la loi foncière que vous nous aviez annoncée… (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de soixante ans, ici même au Sénat, le ministre de l’agriculture, Edgard Pisani, présentait la loi d’orientation agricole qui porte son nom et qui faisait suite à d’autres dispositifs importants adoptés deux ans plus tôt. Élaborée en lien avec Michel Debatisse, leader des jeunes agriculteurs, cette loi devait répondre aux faiblesses relevées à l’époque : « bas niveau de vie, absence d’espoir, vie difficile pour les femmes, inaptitude à la vie économique moderne ». Elle devait aussi répondre à un objectif : nourrir le monde – vaste programme et belle ambition !
Aujourd’hui, la véritable question, monsieur le ministre, n’est pas de savoir si ces objectifs ont été atteints – ce n’est visiblement pas le cas ! –, mais de savoir quelle agriculture nous voulons encourager et développer, quelle politique agricole commune nous voulons mettre en place et quels accords internationaux nous voulons conclure.
En France, nous avons la chance d’avoir un patrimoine naturel exceptionnel qui valorise nos territoires grâce à des femmes et des hommes passionnés et avec, entre autres, des démarches de qualité – IGP, AOP, AOC, agriculture biologique, label rouge, etc. – qui rassurent les consommateurs et sont le fer de lance de notre industrie agroalimentaire, si puissante à l’export.
Monsieur le ministre, le Président de la République a parlé hier de souveraineté alimentaire. Par conséquent, envisagez-vous de proposer une nouvelle loi d’orientation agricole qui permette aux agriculteurs et éleveurs de réellement vivre de leur métier et en même temps d’assurer à nos concitoyens une alimentation de qualité la plus locale possible ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Mandelli, je vous remercie d’avoir cité Edgard Pisani qui restera sûrement le meilleur ministre de l’agriculture de la Ve République ; tout était alors à construire et il s’est montré visionnaire, vous l’avez dit, en faisant voter la première loi d’orientation.
Aujourd’hui, plusieurs questions se posent à nous.
Une partie de l’agriculture souffre, mais ce n’est pas le cas de tous les secteurs. Pendant la crise, les revenus de certaines filières ont augmenté de 30 % à 40 %, car – évidemment ! – les gens ont continué à manger et les modes de consommation ont évolué.
En tout état de cause, notre agriculture doit muter en matière de développement durable et de transition agroécologique et sa compétitivité et sa productivité – ce ne sont pas des gros mots – doivent s’améliorer. Le New Green Deal proposé par la Commission européenne va dans ce sens et la France l’accepte. En particulier, nous soutenons les écoschémas du premier pilier obligatoires pour les États – ils sont indispensables. Nous devons lutter contre les différences d’approche entre les États membres de l’Union européenne, sans quoi nous ne nous en sortirons pas.
Nos concitoyens attendent de nouvelles pratiques, comme le bio, les labels ou tous les autres dispositifs que vous avez cités. Il faut d’ailleurs savoir que la France est le premier pays d’Europe en matière de reconnaissance de la qualité des produits. Cependant, ces nouvelles pratiques sont parfois en contradiction avec l’objectif de nourrir le plus grand nombre.
C’est pourquoi nous devons travailler à trouver un nouvel équilibre entre des standards de qualité qui soient le plus haut possible, des prix abordables pour nos concitoyens et des rémunérations décentes pour nos agriculteurs. Or, depuis vingt ans, le coût du panier moyen des Français reste le même : les produits alimentaires représentent toujours 11 % de leurs achats en grande surface.
M. Laurent Duplomb. Et avec vous, ça ira mieux ?
M. Didier Guillaume, ministre. Pour que les choses changent, nous devons absolument faire porter l’effort sur l’éducation à l’alimentation. Si nous ne le faisons pas, nous courons à la catastrophe.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de suivre des démarches engagées par l’institut du goût qui organise des « classes du goût » dans les écoles auprès d’élèves de CM1 et de CM2. C’est ce type d’initiative qu’il faut encourager.
M. Didier Mandelli. Ensuite, on ne peut pas opposer les différents types d’agriculture, vous l’avez dit, et la priorité des priorités est que nos agriculteurs vivent décemment de leur métier, quelle que soit leur production. D’ailleurs, les grandes entreprises de l’agroalimentaire commercialisent plusieurs gammes : certains de leurs produits sont labellisés – bio ou autre –, quand d’autres sont destinés à nourrir le plus grand nombre dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre système alimentaire n’est pas soutenable, que ce soit en termes d’impact sur la santé, de consommation des ressources naturelles ou d’implication dans le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité.
Pour aller vers une alimentation durable, ce rapport nous invite, en premier lieu, à répondre à l’enjeu de l’autonomie alimentaire que notre pays a perdue au fil des dernières décennies. La crise due au covid-19 a permis de mesurer notre état de dépendance à l’égard d’acteurs lointains dans de nombreux secteurs stratégiques, particulièrement en matière d’alimentation.
Cette indépendance est une question vitale, non seulement pour l’humanité, mais aussi pour notre planète. Elle doit être un objectif de court terme pour préparer dès aujourd’hui les grands défis qui s’imposent à nous à l’horizon de 2050 : atteindre la neutralité carbone et nourrir une population de 10 milliards d’êtres humains en quantité et en qualité suffisantes.
Cet objectif de souveraineté alimentaire est bien entendu incompatible avec les traités commerciaux, tels que le traité de libre-échange transatlantique (Tafta) et l’accord économique et commercial global avec le Canada (CETA), qui s’emploient à faire tomber nos normes protectrices de l’environnement et de la santé humaine.
Cette relocalisation de l’agriculture doit aussi se faire dans sa dimension infranationale. En décembre dernier, notre collègue Françoise Laborde a soutenu une proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires qui soulevait la question de l’autonomie alimentaire. Elle pointait du doigt la grande dépendance de nos territoires qui ne maîtrisent qu’une partie infime des ressources agricoles consommées directement par leur population : 2 % en moyenne dans les cent premières aires urbaines. Pourtant, ces aires urbaines disposent localement des moyens pour couvrir plus de 54 % des besoins de la consommation alimentaire de leurs habitants.
Si l’autarcie alimentaire complète des territoires n’est pas réalisable ni même souhaitable, l’objectif d’un degré d’autonomie de 50 % est tout à fait atteignable. Il ne manque aujourd’hui que la volonté politique pour organiser la reconnexion entre production et consommation de produits agricoles.
Le rapport préconise ainsi de soutenir et d’encourager les projets alimentaires et agricoles de territoire afin d’accroître la part des approvisionnements locaux dans la consommation régulière. Monsieur le ministre, quelles sont les réponses que vous entendez apporter à la question de la nécessaire relocalisation de notre production agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Tissot, j’organiserai à l’automne une grande conférence pour parler de ces sujets. Pour autant, nous devons nous mettre d’accord sur les termes de la discussion : que signifient précisément souveraineté agricole, relocalisation, impact sur la santé, durabilité, etc. ? Tout le monde ne met pas la même chose derrière ces mots.
L’agriculture n’a jamais eu autant d’impact sur la santé ni fait autant d’efforts en matière de transition et, pour lutter contre le dénigrement, il faut aussi mettre en avant ce qui se passe bien.
M. Laurent Duplomb. Enfin !
M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Duplomb, je passe mon temps à le faire et à répondre à des gens qui pensent que rien ne se passe bien. Tout à l’heure, vous disiez vous-même que personne ne réussissait à s’en sortir et que tout allait mal…
S’agissant de la souveraineté alimentaire, si l’on veut être très objectif, la France est très peu dépendante des autres pays du monde en matière d’alimentation. Bien évidemment, nous sommes dépendants pour les fruits exotiques, le cacao, bref, tout ce que l’on ne peut pas faire pousser chez nous. Notre dépendance est liée surtout aux intrants,…
M. Laurent Duplomb. Et pas aux cours des produits agricoles ?
M. Didier Guillaume, ministre. … et nous devons lutter contre cela. On l’évoquait tout à l’heure à propos des protéines végétales, et c’est un de nos objectifs.
Il faut définir le modèle agricole agroalimentaire que l’on veut pour notre pays, mais cela ne peut pas se faire uniquement à l’intérieur de la France. Notre pays est un timbre-poste à l’échelle de la planète. Certes, notre agriculture est saine, sûre, durable, tracée ; c’est une des meilleures du monde, si ce n’est la meilleure, mais il nous faut travailler à une harmonisation européenne en matière d’alimentation. C’est absolument indispensable, mais ce débat essentiel sera mené à la rentrée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour la réplique.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, vous avez avoué être satisfait du budget de la PAC. Vous avez raison, il a été sanctuarisé pour ces prochaines années. Vous avez aussi dit que vous alliez maintenant vous tourner, pour faire le partage au niveau national, vers la profession.
Permettez-moi d’insister sur le fait que cette dernière se compose d’un large éventail, et qu’il y a différents modèles. Bien sûr qu’il ne faut pas opposer les modèles agricoles, mais reconnaissez qu’il y a des visions différentes. Force est de constater que, sur ces travées, on ne défend pas tous le même modèle. Il faut donc écouter tout le monde, et c’est vous qui allez faire l’arbitre.
Je suis souvent en opposition avec Laurent Duplomb, et pourtant nous sommes voisins, géographiquement parlant, mais je le rejoins pour vous demander de prendre le temps de regarder les exploitations qui ne sont pas montrées du doigt, celles qui gagnent de l’argent, parce qu’il y en a. Toutes les exploitations ne sont pas moribondes, et tous les agriculteurs n’ont pas envie de se suicider. Surtout, ils ne sont pas tous victimes de l’agribashing.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Claude Tissot. Regardez les systèmes qui marchent et encouragez les autres à s’en rapprocher. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Je veux tout d’abord remercier et féliciter nos collègues Cartron et Fichet pour la qualité de leur rapport. Pour ma part, j’aimerais profiter de ce débat en faveur d’une alimentation durable pour attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le grave problème de dénutrition, qui est devenu un véritable enjeu de santé publique dans notre pays. On parle de dénutrition lorsque les apports alimentaires sont insuffisants pour couvrir les besoins nutritionnels des personnes. En France, on estime à 2 millions le nombre de cas.
J’étais hier en réunion de travail avec des chefs, comme Christian Têtedoie, Michel Guérard, mais aussi des parlementaires, engagés comme moi sur les dossiers liés à la table française, des médecins nutritionnistes ou exerçant auprès des personnes âgées ou de grands malades. Il ressort de nos discussions que ce que l’on peut baptiser « malbouffe » à l’hôpital touche 10 % des enfants malades, 20 % des adultes hospitalisés, et ce chiffre grimpe à 40 % chez les patients cancéreux, et plus de 50 % chez les personnes âgées hospitalisées. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), un tiers des résidents auraient besoin de mieux se nourrir.
La dénutrition a des conséquences concrètes mesurables. On constate une augmentation de la durée de séjour à l’hôpital, des réadmissions non programmées et de la mortalité.
La dénutrition à l’hôpital, c’est d’abord un problème de budget : on dispose rarement de plus 4 euros de coût matière pour préparer le petit-déjeuner, le déjeuner, un goûter et le dîner. C’est aussi un problème de formation : les personnels qui travaillent en restauration collective ne sont pas toujours sensibilisés aux problématiques.
Enfin, ce problème sanitaire, social et environnemental est bien identifié, puisqu’il a fait l’objet, on le sait, de nombreux rapports. Dès lors, monsieur le ministre, comment passer aux actes ? Une semaine nationale relative à la dénutrition est prévue au mois de novembre. Quels sont les objectifs que vous lui assignez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous êtes une des spécialistes de l’alimentation dans cette assemblée. Vous êtes engagée depuis longtemps sur ce sujet.
Vous avez bien fait d’évoquer un problème dont on ne parle pas assez : la dénutrition ou la malnutrition. On la constate chez les personnes âgées, les jeunes, dans les quartiers difficiles, en grande pauvreté.
Il faut faire attention quand on parle de « malbouffe », qui est surtout attachée à la restauration rapide. C’est un peu différent de la malnutrition ou de la dénutrition. (Acquiescements sur plusieurs travées.)
Cependant, vous avez raison, on s’aperçoit que, pour une raison ou une autre, en Ehpad, à l’hôpital, on mange moins ou on mange moins bien. Certes, cela peut être parce que l’on n’a pas envie de manger ou que l’on a envie de moins manger, mais on sait quand même qu’il y a un problème avec l’alimentation à l’hôpital. Je me bats pour y remédier.
J’ai rencontré l’ensemble de ceux qui travaillent dans la restauration collective pour évoquer le prix des repas. L’hôpital a globalement des difficultés aujourd’hui. Je ne sais pas si le sujet est à l’ordre du jour du Ségur de la santé, mais il est indispensable de pouvoir augmenter le coût matière du repas à l’hôpital et dans les Ehpad, afin de permettre de mieux y manger. Une augmentation de 10 centimes d’euros seulement permettrait de changer du tout au tout, mais pour arriver à cela, la décision est plus du ressort du ministère de la santé.
Pour répondre plus précisément à votre question, dans le cadre du pacte productif que nous avons lancé l’année dernière, et qui sera intégré dans le plan de relance, l’un des volets porte sur l’alimentation durable pour la santé. Il rejoint totalement ce que dit le rapport de Mme Cartron et de M. Fichet au sujet des produits durables et de la qualité nutritionnelle.
Dans la loi Égalim, nous avons travaillé pour mettre en place le Nutriscore. Un tel dispositif n’existe pas pour les hôpitaux et les Ehpad, et il faut que nous y travaillions, en relation avec le ministère de la santé. Vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport d’information de nos collègues dresse un état des lieux du système alimentaire français et formule des propositions pour faire émerger une alimentation plus durable.
L’une de ces propositions consiste à promouvoir un discours équilibré et apaisé sur la consommation de produits animaux : il faut en manger moins pour manger des produits de meilleure qualité. C’est une volonté qui fait son chemin chez bon nombre de nos concitoyens.
Comme vous le savez, l’élevage extensif répond parfaitement à ce double objectif du moins et du plus. En montagne, par exemple, les animaux élevés en plein air rejoignent les alpages aux beaux jours pour redescendre dès les premières gelées. Ils entretiennent l’espace, contribuent à la biodiversité et les produits qui en sont issus, la viande, le lait et le fromage, ont un intérêt nutritionnel incontestable.
Pourtant, la présence des grands prédateurs, en particulier le loup et l’ours, contraint les éleveurs à modifier leurs techniques d’élevage, ce qu’ils déplorent. En effet, les bergers sont contraints de parquer leurs troupeaux, de les rentrer le plus souvent possible dans les bergeries, et de réduire, d’année en année, la période d’estive.
Alors, forcément, la qualité de la viande s’en ressent. C’est bien dommage pour les amateurs de l’agneau de Sisteron, par exemple, car il pourrait bientôt disparaître de nos boucheries.
L’Union internationale pour la conservation de la nature précisait, en 2014, dans son rapport sur les écosystèmes montagnards : « La labellisation implique des normes de qualité et de fabrication qui imposent de conserver les procédés traditionnels d’élevage et les méthodes artisanales de production à la ferme. Elle favorise ainsi souvent les pratiques de parcours qui permettent de maintenir ou de créer des paysages agricoles ouverts, favorables à la biodiversité. »
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si l’élevage extensif a encore un avenir en France. Quelles sont les perspectives d’avenir crédibles pour ces éleveurs, pour leur métier, pour leur savoir-faire et pour leurs produits ? (MM. Joël Labbé et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, je réponds « oui », trois fois « oui », là encore. L’élevage extensif a un avenir, et c’est même le modèle. Nous devons privilégier la polyculture et l’élevage extensif dans notre pays. Il ne s’agit pas de l’opposer à l’autre mode d’élevage, dont on a aussi besoin. Ce n’est pas mon discours. D’ailleurs, dans le titre II de la loi Égalim, il y a des avancées s’agissant de la construction de nouveaux bâtiments d’élevage.
Cependant, la question que vous posez est essentielle. Aujourd’hui, on sait très bien que l’élevage extensif joue un rôle environnemental essentiel, dans la lutte contre le changement climatique ou pour l’entretien des paysages.
Je veux absolument continuer à parler dans la PAC des parcours peu productifs et prévoir des aides favorisant l’élevage extensif. Cependant, vous le savez, puisque vous êtes une spécialiste, se pose le problème des prédateurs. Nous avons vu ce qui s’est passé récemment dans les Pyrénées. Nous savons ce qui se passe chez vous, dans le massif des Hautes-Alpes, avec le loup, qui attaque des troupeaux de brebis. Personne ne veut éradiquer les ours et les loups ; tout le monde est favorable à la biodiversité. D’ailleurs, le plan Loup est encore monté en puissance cette année pour faire en sorte que la cohabitation se passe bien.
Cependant, on sait que c’est très difficile. Vous avez vu, comme je l’ai vu lorsque j’étais élu local, des bergers, des femmes, des hommes pleurer en constatant les dégâts faits par le loup sur leur troupeau de brebis. Ce n’est pas leur métier : ils sont là pour nourrir en produisant soit du lait, soit de la viande. C’est un vrai problème sur lequel nous devons avancer.
De plus, cette forme d’élevage correspond tout à fait, je le crois, aux aspirations de la société. Les touristes, les citadins qui viennent à la campagne aiment bien voir paître un troupeau de brebis en se promenant au cœur de paysages entretenus. Madame la sénatrice, je peux vous assurer que je ferai tout pour promouvoir et défendre le plus possible l’élevage extensif et trouver la bonne formule de cohabitation entre l’éleveur et le prédateur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, je voudrais saluer nos deux corapporteurs et l’ensemble de la délégation à la prospective, avec son président, qui nous a permis de bénéficier d’un rapport d’une aussi grande qualité.
En 2050, il y aura 10 milliards d’humains sur terre. Les besoins alimentaires vont donc être multipliés par deux. Face à cette réalité, notre pays doit être responsable, innovant et exemplaire.
Cette notion d’alimentation durable est à la croisée de nombreuses préoccupations, environnementales – réduction de l’empreinte écologique, lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, préservation des espaces verts et des terres arables –, sociales – réduction du gaspillage alimentaire, dont on n’a pas beaucoup parlé ce soir, accès à une alimentation de qualité pour tous –, économiques – juste rémunération de toute la chaîne alimentaire, agriculteurs et producteurs locaux, partout en France – et de santé publique. À ce dernier titre, je pense à l’industrie agroalimentaire, avec laquelle nous devons travailler pour lutter contre la malnutrition, le surpoids et l’obésité.
Pour chapeauter tout cela, Mme Cartron l’a bien dit, une éducation, de la maternelle au lycée, est indispensable afin que l’activité physique, les règles hygiénodiététiques, dont on connaît les vertus, couplées à une alimentation saine, équilibrée et diversifiée, se diffusent.
Il faut avoir à l’esprit que cette alimentation est délivrée par les collectivités, qui fournissent plus de 4 milliards de repas chaque année. Ce sont donc des acteurs clés du secteur. Depuis la loi Égalim, l’idée d’une gouvernance territoriale partagée par l’ensemble des acteurs du système agricole et alimentaire reste un concept assez mal défini, et les élus locaux s’interrogent toujours sur la forme concrète que va prendre ce dispositif, qui doit s’appuyer sur les collectivités.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment cela va se matérialiser ?