Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Au moment d’aborder la discussion des articles, je veux revenir sur plusieurs points qui ont paru essentiels à la commission.
Personne ne peut nier que la démarche dans laquelle nous sommes engagés est délicate : il s’agit d’être particulièrement attentifs à d’anciens condamnés qui ont purgé leur peine, qui sont donc en règle avec la justice, et qui peuvent néanmoins présenter une forte dangerosité, mais aussi à la liberté que tout citoyen a le droit de pouvoir exercer à partir du moment où il est en règle avec la justice. Et nous ne nous sommes pas engagés dans cette délicate démarche sans prendre un certain nombre de précautions.
Je suis d’ailleurs très heureux que notre collègue de l’Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi, Mme Yaël Braun-Pivet – elle s’est sans doute inspirée de nos propres travaux en rédigeant son texte – ait pris la précaution de soumettre celle-ci au Conseil d’État.
Ce dernier a rendu un avis circonstancié de treize pages qui n’est pas un brevet de constitutionnalité et de conventionnalité et qui soulève un certain nombre de problèmes examinés par plusieurs de collègues, mais qui montre aussi le chemin à emprunter pour concilier les deux exigences que j’ai rappelées, celles de la liberté et de la protection de la société.
Je crois nécessaire de reprendre très précisément les choses, parce que c’est non pas avec des incantations ou des réquisitions que nous répondrons aux questions que soulève cette proposition de loi, mais en étant précis sur les dispositions prises, sur la nature des restrictions aux libertés qui seraient autorisées et sur les garanties apportées pour que ces restrictions ne soient pas excessives.
Cette proposition de loi nous fait-elle entrer dans un régime dans lequel le condamné qui a purgé sa peine serait de nouveau condamné pour les mêmes faits, pour le même crime ou pour le même délit ? Je peux vous rassurer, mes chers collègues, la réponse est assurément non ! Et il n’y a pas de nuances à cette réponse. Le respect essentiel de cette règle de l’État de droit non bis in idem est bien garanti.
Comme vient de le rappeler le garde des sceaux, il s’agit d’une mesure de surveillance, non de rétention. La liberté de l’ancien condamné est donc non pas supprimée, mais restreinte. Il s’agit également d’une mesure d’accompagnement psychologique dont la mise en œuvre sera assurée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation dont la vocation est d’accompagner les anciens détenus dans leur démarche de réinsertion.
L’individu concerné conserve sa liberté et peut être incité à suivre les démarches nécessaires – formation, soutien psychologique… – pour faciliter sa réinsertion. De telles mesures ne peuvent en aucun cas être interprétées comme des peines. Le travail spécifique de la commission des lois du Sénat et de notre rapporteure a consisté à renforcer les mesures de surveillance et d’accompagnement de cette proposition de loi.
Je veux soulever un autre point qui me paraît extrêmement important : est-il nécessaire aujourd’hui d’intervenir par le biais de la loi ? Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, mes chers collègues, d’autres dispositifs existent déjà. Mais sont-ils pertinents ? Permettent-ils de concilier protection de la société et liberté d’une personne ayant purgé sa peine ?
Il me semble que la loi de 2015 relative au renseignement, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, que la loi qui a institué, à l’automne 2017, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et que la loi de 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme ne répondent pas à notre préoccupation.
La loi de 2016 permet de prévoir la mesure de sûreté au moment de la condamnation. Ceux qui ont été condamnés avant l’entrée en vigueur de cette loi ne peuvent donc en faire l’objet. Ce texte n’est alors pas pertinent pour régler le problème des quelque 150 condamnés qui vont être libérés en 2020, 2021 et 2022. Nous avons besoin d’un autre dispositif.
Dès lors, pouvons-nous nous contenter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues temporairement par la loi de l’automne 2017 qui nous a permis de sortir de l’état d’urgence ? Non, car ces textes n’ont pas le même objet : les mesures de surveillance prévues ne comportent aucune mesure d’accompagnement à la réinsertion. On ne se donne pas la chance d’au moins essayer de ramener à une vie normale un ancien condamné pour complicité de terrorisme. Ce dispositif ne couvre par conséquent que partiellement les finalités que nous voulons réaliser.
En outre, les mesures de surveillance prévues dans la loi de 2017 sont plus sévères encore que celles que nous proposons – et nous pourrons d’ailleurs permettre à l’État d’y recourir. Elles permettent l’assignation à résidence, peuvent imposer un pointage quotidien dans les services de police ou de gendarmerie. De nature administrative, le juge judiciaire ne les contrôle pas.
Or, afin d’améliorer les garanties de respect des libertés, nous proposons non pas des mesures purement administratives, mais des mesures judiciaires, contrôlées par une juridiction. Nous protégeons ainsi mieux les libertés, contrairement à ce que d’aucuns semblent avoir suggéré, qu’en nous en remettant purement et simplement aux mesures d’ordre administratif de notre arsenal juridique.
Enfin, la loi relative au renseignement, que je connais bien, mobilise des moyens extrêmement importants. N’est-il pas plus raisonnable de prendre une mesure de surveillance et d’accompagnement pour les anciens condamnés ayant purgé leur peine ? Dans l’hypothèse où leur comportement renforcerait les soupçons de risque de récidive, il serait alors temps de mobiliser des moyens de surveillance complémentaire très forts, très intenses, et qui supposent également une mobilisation importante de personnels.
Au regard des dispositifs existants, on comprend tout l’intérêt de la proposition de loi dont nous débattons. Les mesures proposées sont proportionnées, moins restrictives que d’autres – c’est en tout cas ce que j’ai essayé de démontrer –, offrent une garantie judiciaire qui n’existe pas en cas de mesure administrative et sont respectueuses de la règle non bis in idem.
Forts de ces constatations, nous devons adopter ce texte amendé par la commission.
Mme Éliane Assassi. C’est bien, nous avons deux rapports !
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine
Article 1er
Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « et du jugement des » sont remplacés par les mots : « , du jugement et des mesures de sûreté en matière d’ » ;
1° bis L’article 706-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de sûreté prévues à la section 4 du présent titre sont ordonnées sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris. » ;
2° Est ajoutée une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Mesures de sûreté applicables aux auteurs d’infractions terroristes
« Art. 706-25-15. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste s’appuyant sur des éléments actuels et circonstanciés, ordonner, aux seules fins de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive, une mesure de sûreté comportant une ou plusieurs des obligations suivantes :
« 1° Répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;
« 1° bis (nouveau) Recevoir les visites du service pénitentiaire d’insertion et de probation et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ;
« 1° ter (nouveau) Prévenir le service pénitentiaire d’insertion et de probation de ses changements d’emploi et de ses changements de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour ;
« 1° quater (nouveau) Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;
« 2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;
« 3° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout changement d’emploi ou de résidence, lorsque ce changement est de nature à mettre obstacle à l’exécution de la mesure de sûreté ;
« 4° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger ;
« 4° bis (nouveau) Ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ;
« 5° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ;
« 6° Ne pas entrer en relation avec certaines personnes, notamment les auteurs ou complices de l’infraction, ou catégories de personnes spécialement désignées ;
« 7° S’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ;
« 7° bis (nouveau) Ne pas détenir ou porter une arme ;
« 8° (Supprimé)
« 9° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel la personne concernée est tenue de résider.
« Les obligations auxquelles la personne concernée est astreinte sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et, le cas échéant, avec le concours des organismes habilités à cet effet.
« I bis (nouveau). – Après vérification de la faisabilité technique de la mesure, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut décider du placement sous surveillance électronique mobile de la personne faisant l’objet de l’une ou plusieurs des obligations mentionnées aux 4°, 6° et 7° du I du présent article, dans les conditions prévues aux articles 763-12 et 763-13. Ce placement est subordonné au consentement de la personne. Il ne peut être prononcé concomitamment à l’obligation prévue au 5° du I du présent article. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l’intéressé.
« II. – La mesure de sûreté prévue au I peut être ordonnée pour une période d’une durée maximale de deux ans. À l’issue de cette période, la mesure de sûreté peut être renouvelée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, et pour la même durée dans la limite de cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, dans la limite de trois ans. Cette limite est portée à dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ou, lorsque le condamné est mineur, à cinq ans.
« II bis. – La mesure de sûreté prévue au I ne peut pas être ordonnée à l’encontre des personnes libérées avant la promulgation de la loi n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.
« III. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que :
« 1° Si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées au premier alinéa du même I ;
« 2° Et si cette mesure constitue l’unique moyen adapté de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive.
« La mesure de sûreté prévue audit I n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du code pénal, ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.
« Art. 706-25-16. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-15 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« À l’issue de cette période, la commission adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la surveillance mentionnée à l’article 706-25-15 au vu des critères définis au I du même article 706-25-15.
« Art. 706-25-17. – La décision prévue à l’article 706-25-15 est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. Elle doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-16, ainsi que des conditions mentionnées au III de l’article 706-25-15.
« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.
« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République antiterroriste, ordonner la mainlevée de la mesure. Le président de la même juridiction peut, dans les mêmes conditions, compléter ou supprimer les obligations à laquelle la personne est astreinte. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations de la mesure de sûreté.
« Art. 706-25-17-1. – Les décisions de la juridiction régionale de la rétention de sûreté prévues à la présente section peuvent faire l’objet des recours prévus aux deux derniers alinéas de l’article 706-53-15.
« Art. 706-25-17-2. – Les obligations prévues à l’article 706-25-15 sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-15 doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706-25-18. – Le fait pour la personne soumise à une mesure de sûreté en application de l’article 706-25-15 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
« Art. 706-25-19. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, M. Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer les mots :
caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme
La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, les magistrats auditionnés ont souligné à quel point la définition de la « particulière dangerosité » est difficile pour justifier la mise en place de mesures de sûreté à l’issue de la peine.
La « probabilité très élevée de récidive », un des critères cumulatifs retenus, est elle-même très compliquée à évaluer, et cette mention semble surabondante au regard de la finalité du dispositif explicité par le même alinéa.
L’autre critère – l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme – n’est guère plus satisfaisant. Comment mesurer une telle adhésion ? Par des faits ? Par des prises de position ? Dans le premier cas, la personne incarcérée étant, par définition, privée de liberté, il sera difficile de recueillir des éléments comme la consultation régulière de sites promouvant le terrorisme ou la participation à la préparation d’attentats. Dans le second cas, soit l’adhésion est dissimulée, et donc très difficile à établir, soit elle est explicitée et peut, en conséquence, faire l’objet d’une nouvelle condamnation.
En outre, pour être efficaces, ces mesures exigent le déploiement de moyens importants, qu’il s’agisse du renseignement pénitentiaire ou des juridictions.
Les auteurs de cette proposition de loi se sont fixé pour objectif de renforcer la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Nous visons, nous aussi, ce but. Toutefois, nous considérons que ces dispositions sont de nature à complexifier les outils judiciaires et administratifs existants. Avant toute nouvelle modification législative, il convient de renforcer les moyens à l’appui des dispositifs en vigueur !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cher collègue, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont efforcés de caractériser le plus précisément possible la notion de « particulière dangerosité », afin d’éviter tout risque d’arbitraire.
Le texte de la commission garantit un équilibre à la fois opérationnel et sécurisant sur le plan constitutionnel. Or votre amendement tend à remettre en cause tout le travail que nous avons mené à cette fin.
En supprimant les caractères permettant d’établir la dangerosité d’une personne, vous laisseriez aux autorités judiciaires un très large pouvoir d’appréciation. Il me semble qu’une telle modification fragilise fortement la mesure sur le plan constitutionnel.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, votre amendement tend à supprimer la définition de la « particulière dangerosité » des personnes pouvant faire l’objet des nouvelles mesures de sûreté.
Cette définition me semble pourtant indispensable. En effet, la caractérisation de la dangerosité est un élément central du nouveau dispositif : elle permettra le prononcé de mesures restrictives de liberté à l’encontre de personnes qui ont fini d’exécuter leur peine à raison de la menace grave pour l’ordre public qu’elles représentent.
Aussi, il paraît nécessaire de définir le plus précisément possible comment cette dangerosité doit être appréciée par les juridictions qui devront se prononcer sur les nouvelles mesures de sûreté. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, je sollicite quelques précisions sur ce sujet, que j’ai déjà évoqué au cours de la discussion générale.
Pour caractériser les éléments de dangerosité, une procédure contradictoire sera sans doute organisée. Mais comment la garantir ? Comment s’assurer de son efficacité dès lors que certaines sources voudront être protégées ? (M. le garde des sceaux manifeste son désaccord.)
Une partie des informations permettant d’affirmer que la personne considérée représente effectivement un risque proviennent de nos services de renseignement. Or ces derniers ne voudront pas dévoiler leurs sources, exposer comment ils ont obtenu tel ou tel élément. De telles situations risquent de se répéter systématiquement. Aussi, quelle peut être l’efficacité de ce type de mesure ?
Je suis sûr que vous êtes attaché au principe du contradictoire et que vous voulez, comme nous, le garantir. Mais, dans ces conditions, cette mesure est mort-née et cet article n’a aucun sens !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, des psychologues et des psychiatres mèneront tout de même une évaluation pendant une période de six semaines : ce travail offrira une base de réflexion pour caractériser la dangerosité d’une personne.
C’est d’ailleurs la procédure de droit commun : en matière criminelle, l’expertise psychiatrique et psychologique est obligatoire. Les conclusions du psychiatre, du psychologue ou des deux peuvent apporter un certain nombre d’éléments quant à la dangerosité de l’accusé.
Ensuite viennent le contradictoire et ce que dit l’intéressé lui-même. S’il reconnaît qu’il persiste dans son idéologie, sa dangerosité ne fait absolument plus débat !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour explication de vote.
M. Éric Gold. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Mme Assassi, présidente de notre groupe, l’a souligné il y a quelques instants : l’alinéa 17 prévoit l’une des onze mesures de sûreté que peut ordonner la juridiction régionale de la rétention de sûreté sur réquisition du procureur de la République.
En vertu de ces dispositions, le condamné qui a purgé sa peine doit « se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ».
Bien d’autres dispositions sont contestables, sans parler de la logique globale du système qui nous est proposé. Mais il s’agit là, selon nous, d’une des mesures les plus attentatoires à nos libertés fondamentales, notamment à la liberté d’aller et venir.
Comment peut-on penser réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits en les obligeant, possiblement pendant plusieurs années, à se rendre dans un commissariat pour justifier leur présence jusqu’à trois fois par semaine, soit pratiquement un jour sur deux ? Je le répète : il s’agit là d’un obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante.
En outre, ce millefeuille de dispositions tantôt administratives tantôt judiciaires, allant des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, au suivi socio-judiciaire en passant par les nouvelles mesures de sûreté que contient ce texte, nuit à la bonne compréhension du système dans sa globalité et de notre politique pénale en la matière.
Le Conseil d’État lui-même semble perplexe. Dans son avis, il indique : « Cette complexité peut aussi nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires, lorsqu’elle appelle l’intervention d’autorités ou de services différents, entre lesquels la nécessaire coopération reste à construire. »
Monsieur le garde des sceaux, il faudra que vous nous éclairiez de manière assez précise, qu’il s’agisse des subtilités qui différencient ces mesures ou de leur cohérence finale !
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’alinéa 17.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Chère collègue, nous parlons de personnes condamnées pour terrorisme après avoir fait allégeance à une idéologie : ce n’est pas tout à fait rien.
À cet égard, le contrôle est essentiel. Bien sûr, nous souhaitons tous que ces personnes retrouvent le chemin d’une vie normale…
Mme Éliane Assassi. En pointant trois fois par semaine ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mais personne, a priori, ne peut mesurer le degré de déradicalisation : personne ne peut savoir dans quelle mesure les intéressés sont libérés de l’idéologie au nom de laquelle ils ont perpétré des actes que l’on ne peut pas oublier.
Seul un contrôle régulier impliquant la présence physique permet de savoir si la situation s’aggrave ou si elle s’améliore, à mesure que recule l’adhésion à cette idéologie.