Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au sein d’une société telle que la nôtre, chacun devrait être en mesure de gagner sa vie dignement ; nul ne devrait vivre enfermé chez soi, installé dans une situation de chômage durable, en marge de la société.
Pourtant, 2 millions de Français sont considérés comme éloignés de l’emploi. Avec la crise sanitaire, ces chiffres sont amenés à s’aggraver. Le creusement des inégalités est de plus en plus préoccupant. Près de 15 % des Français restent sous le seuil de pauvreté. Ces dernières années sont marquées par une stagnation des revenus les plus faibles, avec l’un des plus longs arrêts de la progression du niveau de vie jamais enregistrés depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pour contrer ce phénomène, les politiques de redistribution et d’insertion représentent l’un des plus puissants leviers contre la pauvreté. Être sans emploi ne constitue pas un destin, ce n’est pas une fatalité. Toutes les initiatives sont précieuses en matière de politique d’insertion.
C’est pourquoi le groupe Les Indépendants soutient pleinement la proposition de loi que la Haute Assemblée examine à présent. Au-delà de ce soutien, nous avons aussi déposé des amendements visant à l’améliorer, à apporter une pierre supplémentaire à l’édifice, afin que chacun puisse retrouver le chemin du travail dans les meilleures conditions possible.
Le titre Ier porte sur le dispositif d’insertion par l’activité économique.
En 2020, l’État a investi 1 milliard d’euros dans l’insertion par l’activité économique, qui associe mise en situation professionnelle, accompagnement personnel et formation. Si le dispositif est ambitieux, il mérite d’être consolidé.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes préconise de faciliter l’entrée dans le dispositif, actuellement filtré, de manière exclusive, par Pôle emploi. Nous sommes d’accord avec ce principe et c’est bien l’objet de cette proposition de loi. Il nous semble néanmoins qu’il est important que Pôle emploi garde un certain contrôle sur les renouvellements de contrats, au-delà des vingt-quatre premiers mois ; il s’agit, rappelons-le, de situations exceptionnelles.
L’accès à la formation doit également être amélioré et ne pas être de l’ordre du virtuel.
Enfin, pour les mêmes raisons, nous devons renforcer l’évaluation et le suivi des bénéficiaires dans le temps, pour permettre notamment la comparaison de ce dispositif avec les autres actions qui s’adressent à un public similaire. Le travail de la commission des affaires sociales a permis d’évoluer en ce sens.
Le titre II porte sur le dispositif expérimental « territoires zéro chômeur de longue durée », lancé par ATD Quart Monde. L’idée est intéressante ; au lieu de subventionner l’inactivité, mieux vaut subventionner le travail en créant des entreprises à but d’emploi ouvertes à tous les chômeurs de longue durée, sans sélection.
Il est proposé, dans le texte, d’étendre l’expérimentation, initialement mise en place dans dix territoires, à cinquante territoires supplémentaires.
Le principal débat porte sur le ciblage et le coût du dispositif. Effectivement, l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires sociales préconisent de recentrer le dispositif davantage sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et les seniors. Rappelons-le, il s’agit de contrats à durée indéterminée, contrairement aux dispositifs d’insertion par l’activité économique, qui sont des dispositifs de transition. Il paraît opportun de réserver ces créations d’emploi aux personnes les plus éloignées de l’emploi, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a adopté un amendement, déposé par le groupe Les Indépendants, visant à améliorer la communication des données administratives des salariés des entreprises à but d’emploi au fonds responsable de l’évaluation du dispositif. C’est une avancée importante !
Du point de vue du coût, les entreprises à but d’emploi restent déficitaires. Nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur la viabilité financière de l’expérimentation à long terme ; c’est pourquoi des évaluations plus solides sont nécessaires.
Je souhaite à présent vous présenter un amendement tendant à proposer un dispositif d’insertion complémentaire, dont le département de l’Allier est l’initiateur. Il s’agit de permettre aux bénéficiaires du RSA de reprendre une activité partielle dans une entreprise, à hauteur de 15 heures par semaines, tout en continuant à percevoir leur allocation pendant un an. À l’issue de cette durée, les salariés concernés pourraient bénéficier d’un contrat initiative emploi, subventionné par le département. Il s’agit d’une sortie en douceur, incitative mais sécurisée, du dispositif du RSA.
Nous savons que plusieurs départements seraient intéressés par une telle expérimentation. C’est pourquoi, en complément de cet amendement, nous avons également déposé aujourd’hui une proposition de loi visant à lancer cette nouvelle expérimentation, qui n’appartient à aucun parti, si ce n’est à celui du bon sens et du progrès social. Chers collègues, je vous invite à vous associer à cette démarche.
Nous pensons que, au Sénat, il est important de permettre aux collectivités territoriales d’innover, d’expérimenter de nouvelles solutions dans leurs domaines de compétence. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient la proposition de loi et le rapport de Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ce texte contribuera à enrichir les actions des pouvoirs publics en direction des personnes en situation de vulnérabilité économique, bien souvent associée à une vulnérabilité sociale.
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet.
Mme Raymonde Poncet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi était attendue, depuis bien longtemps, par les acteurs de l’insertion professionnelle et les élus des territoires.
Le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » est novateur, ambitieux et dynamique. Il répond tant aux besoins des demandeurs d’emploi de longue durée qu’aux besoins non satisfaits de nos territoires, dont certains, dévitalisés, ont vu renaître une économie et une dynamique locales et, a fortiori, se renforcer un lien social qui s’était distendu.
Toutefois, c’est aussi un dispositif qui suscite du scepticisme chez certains. La preuve en est que c’est l’un des dispositifs les plus évalués de France, à la différence d’autres mesures prétendument créatrices d’emplois ; je pense notamment au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Cela doit nous amener à nous interroger sur la perception, très française, des fameux « indicateurs de performance ».
À Pierre Cahuc, qui évoque « le coût des emplois créés », à partir d’un calcul qui mériterait un débat, nous opposons non seulement le coût de la privation d’emploi, dont l’ampleur a été confirmée par une étude réalisée par le département d’économie de l’Université libre de Bruxelles, mais également l’utilité écologique et sociale de cette expérimentation.
En effet, nombre des activités supplémentaires créées dans les dix territoires expérimentateurs ont trait à la transition écologique et permettent la sauvegarde de l’environnement. Il convient dès lors d’en tenir compte et de mesurer, par exemple, leur impact sur notre empreinte carbone.
En outre, ces dispositifs ont permis de sortir de l’invisibilité des personnes qui échappaient aux radars de Pôle emploi et constituent les cohortes du non-recours aux prestations sociales.
Ce sont ces activités, qui visent à l’amélioration de « nos patrimoines critiques, à savoir notre patrimoine naturel et la santé sociale », pour reprendre la formule de la sociologue Dominique Méda, que nos fameux indicateurs économiques de performance devraient impérativement prendre en compte, en s’appuyant sur les nouveaux indicateurs de richesse introduits par la loi du 13 avril 2015 issue d’une proposition de loi d’Éva Sas.
Concernant maintenant l’examen du texte, je pense que l’on aurait pu faire l’économie de deux lectures en optant pour un vote conforme.
Même si nous n’approuvons pas l’entièreté des mesures adoptées par l’Assemblée nationale, notamment celles de l’article 3 bis ou de l’article 8, le texte final a été adopté à l’unanimité sur les bancs de cette chambre, aux fins d’aller vite, car la crise sociale nous oblige et un constat devrait s’imposer : nous n’avons pas le temps d’attendre !
Or, plutôt que d’aller dans ce sens, la commission des affaires sociales du Sénat a décidé de modifier sensiblement le dispositif, mettant à mal l’opérationnalité de ses dispositions. C’est, selon mon groupe, regrettable. Le Sénat va donc mettre à mal ce consensus, se faisant, au passage, le porte-voix des détracteurs, minoritaires, de l’expérimentation.
Peut-être le jeu en aurait-il valu la chandelle si le Sénat avait souhaité être plus ambitieux, afin de permettre à un plus grand nombre de territoires qui sont prêts et capables de répondre au cahier des charges de se lancer, mais il n’en est rien. Bien au contraire, le texte que nous examinons cet après-midi prévoit d’imposer une double tutelle et un copilotage : premièrement, une tutelle de Pôle emploi sur le choix des personnes qui pourront être recrutées dans les entreprises à but d’emploi ; deuxièmement, une tutelle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) sur le choix des activités développées par ces entreprises ; enfin un copilotage des préfets avec les comités locaux.
Ces tutelles vont vider le projet de ses fondamentaux, en faisant reposer celui-ci sur un principe de défiance et en recentralisant la démarche. Or non seulement cette défiance est l’antithèse du droit à l’expérimentation, mais elle va également à l’encontre d’un principe dont le Sénat se fait régulièrement le défenseur : faire confiance à l’intelligence territoriale, faire confiance aux territoires.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires présentera donc des amendements de suppression de ces mesures, afin de revenir au texte de l’Assemblée nationale. C’est seulement s’ils sont adoptés que nous pourrons voter ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes GEST et SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, mesdames les ministres, chers collègues, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, intégré à notre bloc de constitutionnalité, énonce, à son cinquième alinéa, que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Le droit à l’emploi constitue donc un droit fondamental, et il incombe au législateur d’en garantir l’effectivité pour nos concitoyens.
Malgré les différentes réformes structurelles mises en place par les gouvernements successifs, 4,2 millions de personnes sont aujourd’hui éloignées de l’emploi, dont 2,7 millions depuis plus d’un an. Nous partageons donc le constat des auteurs de la proposition de loi : nous n’avons pas tout essayé pour lutter contre le chômage. Il appartient au législateur de s’appuyer notamment sur le tissu associatif pour parvenir à des évolutions concrètes en vue de ramener vers l’emploi les personnes qui en sont privées.
La crise sanitaire inédite que nous traversons constitue un choc économique et social de grande ampleur. Un certain nombre de secteurs l’ont subi de plein fouet ; je pense notamment au commerce, à l’hôtellerie et à la construction.
En avril dernier, en plein confinement, nous assistions à une hausse inexorable du taux de chômage, atteignant son plus haut niveau depuis vingt-cinq ans. Le nombre de demandeurs d’emploi a ainsi augmenté de 22,6 %, ce qui représente plus de 840 000 personnes.
Nous le savons, les jeunes sont les premiers touchés par les effets de la crise. Ils sont plus de 700 000 à être arrivés sur le marché du travail et le contexte sanitaire laisse à penser que bon nombre d’entre eux éprouveront des difficultés en matière d’insertion ; je pense en particulier aux jeunes les moins qualifiés, qui seront le plus exposés au chômage et à la précarité.
Devant cette réalité, le Gouvernement a déjà annoncé un certain nombre de mesures, dans le cadre du plan France Relance. Seront débloqués 300 millions d’euros en faveur des structures d’insertion par l’activité économique et des entreprises adaptées, avec un objectif de 100 000 salariés supplémentaires dans les parcours d’insertion. Pour compléter ces dispositifs, l’État doit être aux côtés des acteurs économiques, des collectivités territoriales et des associations.
L’insertion par l’activité économique constitue ainsi une riposte efficace, qui concilie l’économique, le social et le territorial. Le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », promu à l’origine par des acteurs associatifs de terrain et lancé officiellement en 2016, grâce à une proposition de loi de Laurent Grandguillaume, est une réussite ; les premiers chiffres nous le démontrent.
Ainsi, plus de 70 % des quelque 2 000 personnes ayant bénéficié de ce dispositif sur les dix territoires retenus ont retrouvé un emploi. Ce formidable projet s’appuie sur des réalités locales et sur l’expérience d’acteurs associatifs de terrain. Il nous est aujourd’hui proposé de l’étendre et d’en faire bénéficier de nouveaux territoires frappés par le chômage. L’expérimentation sera ainsi prolongée de cinq ans et cinquante territoires de plus seront concernés.
Cette expérimentation, novatrice en ce qu’elle part des territoires et des compétences des personnes privées d’emploi, offre une solution complémentaire des politiques de l’emploi qui existent dans notre pays.
En tout état de cause, nous saluons la vision et les objectifs de cette proposition de loi. Celle-ci met en œuvre un certain nombre de propositions du pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique, remis voilà un an au Gouvernement et qui a pour objet de mobiliser, aux côtés de l’État, l’ensemble des acteurs de l’inclusion, les collectivités et les entreprises, dans un esprit de coconstruction.
Supprimer la procédure obligatoire d’agrément de Pôle emploi préalablement à toute embauche dans le cadre d’un parcours d’insertion apparaît nécessaire pour faciliter l’entrée dans un tel parcours. C’est pourquoi nous saluons cette disposition.
Nous défendrons, à cet égard, un amendement visant à prévoir le passage par un prescripteur habilité, afin de prolonger les parcours dans l’insertion par l’activité économique des salariés en insertion, en lieu et place de Pôle emploi uniquement. Il s’agit là d’une mesure de simplification, car cela offrirait au salarié en insertion la possibilité de bénéficier d’un regard tiers sur son parcours et mettrait à sa disposition des solutions complémentaires.
L’expérimentation du contrat de travail renforcé à durée indéterminée, instauré à l’article 3 de la proposition de loi, valorisera une démarche partenariale entre les collectivités territoriales, les entreprises et Pôle emploi, réunis dans un même objectif : l’insertion durable dans l’emploi des bénéficiaires de ce dispositif.
Le groupe RDPI soutiendra un certain nombre d’amendements à ce texte. Nous souhaitons en effet permettre à toutes les SIAE, et pas seulement à celles de moins de 50 salariés, de développer la formation, indispensable à la montée en compétences des personnes en parcours d’insertion.
Nous défendrons également un amendement visant à mettre en œuvre la mesure de revalorisation de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle prévue dans le cadre du plan France Relance.
Je conclurai en reprenant les mots inspirants du président du Conseil de l’inclusion dans l’emploi : « L’inclusion n’est ainsi pas l’affaire des exclus : elle est l’affaire de tous, pour redonner à ceux qui sont devenus des “invisibles” une place à part entière dans la société. »
Il est donc essentiel de favoriser le partenariat et d’associer l’ensemble des acteurs : entreprises, associations, collectivités territoriales. Tel est l’objet de la proposition de loi, et c’est la raison pour laquelle nous la soutiendrons.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, en juillet dernier, le Premier ministre désignait la lutte contre le chômage et la préservation de l’emploi comme la priorité absolue des dix-huit prochains mois. Nous ne pouvons que nous en féliciter dans le contexte actuel.
L’ampleur de la crise sanitaire a, en effet, fortement affecté le marché de l’emploi. Après une baisse en trompe-l’œil pendant le confinement – un grand nombre de personnes sans emploi ayant interrompu leurs recherches –, le taux de chômage devrait grimper à 9,7 % en fin d’année. Avec la reprise de l’épidémie, l’Insee n’exclut pas qu’il atteigne 10 %, alors même que notre pays connaît, depuis près de cinquante ans, un chômage de masse, que les différentes politiques de l’emploi peinent à enrayer.
Dans ces conditions, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui revêt une importance particulière.
Je pense, bien sûr, à son premier volet, qui reprend le pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique et s’inspire de la volonté du Président de la République de faire passer le nombre des bénéficiaires de l’insertion par l’activité économique de 140 000 à 240 000. La suppression de l’agrément préalable par Pôle emploi ou la mise en place d’un CDI inclusion pour les seniors sont des mesures qui vont dans le bon sens.
Je pense surtout à la prolongation de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Je salue ce dispositif, né dans les années 1990 et relancé par ATD Quart Monde il y a près de dix ans pour en finir avec le chômage de longue durée. Il repose en fait sur une idée assez simple : l’embauche en CDI de chômeurs de longue durée payés au SMIC par le développement d’activités locales via un fonds financé par la réaffectation des dépenses liées au traitement du chômage.
Certains, à l’époque, ont qualifié ce projet de farfelu, voire d’utopique. Mais les grandes réalisations ne sont-elles pas d’abord une utopie ?
Le bilan de la première phase est positif : à la fin de l’année 2018, l’expérimentation avait permis à 1 112 personnes de sortir de la privation d’emploi.
Malgré tout, plusieurs voix s’élèvent pour reprocher au projet d’être un gouffre financier. Mme la rapporteure elle-même estime que, si le dispositif « propose une réponse novatrice et intéressante à la problématique de l’exclusion », il « représente un coût pour les finances publiques » qui rendrait, à date, « sa généralisation difficilement soutenable ».
Mais ce dispositif ne doit pas s’apprécier seulement à l’aune de son aspect financier. Comme l’a rappelé le président du Comité scientifique d’évaluation de l’expérimentation, « l’enjeu prioritaire consiste à ramener à l’emploi les personnes qui en ont été durablement privées et d’apprécier l’impact positif du dispositif sur ces personnes, leur entourage, et plus généralement sur les territoires d’expérimentation ».
La première phase expérimentale a, en effet, montré comment des femmes et des hommes qui allaient très mal ont retrouvé un sens à leur vie et une utilité sociale. Le film de Marie-Monique Robin Nouvelle Cordée, qui a suivi pendant plusieurs années les personnes embauchées par l’entreprise à but d’emploi de Mauléon, dans les Deux-Sèvres, témoigne de cette métamorphose.
Nous ne pouvons ignorer les effets délétères de l’absence d’emploi sur la santé. La perte d’un travail et la difficulté à en retrouver un dégradent la santé des chômeurs : stress, perte de sommeil, problèmes cardiovasculaires, addictions, diabète, dépression… Selon une étude de l’Inserm, de 10 000 à 14 000 décès seraient ainsi imputables au chômage chaque année.
C’est pourquoi nous nous réjouissons de l’extension de cette expérimentation, même si les modalités retenues nous paraissent trop restrictives, qu’il s’agisse du nombre de territoires concernés ou de la durée de la prolongation. Certes, les débats à l’Assemblée nationale ont permis de porter à cinquante le nombre de nouveaux territoires, mais cela nous semble encore bien insuffisant. Nous savons que le conseil d’administration de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée a d’ores et déjà validé 122 projets en vue de la deuxième étape. Tous ceux qui remplissent les conditions devraient pouvoir accéder au dispositif. Madame la ministre, vous avez assuré à nos collègues de l’Assemblée nationale qu’il serait possible de rediscuter de ce seuil dans deux ou trois ans. Dont acte !
Par ailleurs, les territoires qui auront besoin de trois ans pour se préparer disposeront de moins de cinq ans pour expérimenter le dispositif, ce qui est dommageable.
Nous regrettons, enfin, certaines orientations prises par notre commission des affaires sociales, s’agissant notamment de la suppression du concours obligatoire des départements au financement des emplois supplémentaires créés, du copilotage du préfet ou de la double tutelle. Ces modifications nous semblent antinomiques de l’esprit de l’initiative, qui repose essentiellement sur la confiance faite aux territoires pour identifier les personnes privées d’emploi et les besoins non satisfaits.
Pour ces raisons, nous serons particulièrement attentifs aux débats et au sort réservé aux amendements déposés, notamment ceux du groupe RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, en 2016, le groupe CRCE avait voté en faveur de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », soutenue par de nombreuses associations, tout en rappelant que seule une politique publique ambitieuse apporterait une solution globale.
Depuis 2016, le contexte a été profondément bouleversé par la crise sanitaire due à la pandémie de la covid-19 et, surtout, par ses conséquences économiques, 800 000 personnes supplémentaires au chômage étant venues s’ajouter aux 2 millions de personnes déjà éloignées de l’emploi avant le déclenchement de la crise.
En cinq ans, sur dix territoires, 420 personnes ont pu bénéficier de l’expérimentation et sortir du chômage de longue durée, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, même si c’est un tout petit pas au regard de l’ampleur du phénomène.
Cependant, les initiatives locales ne peuvent remplacer une politique de l’emploi ambitieuse, permettant à chacune et chacun d’évoluer dans sa vie professionnelle, selon ses aspirations, sans perte de revenu et sans jamais passer par la case « chômage ».
C’est ce que soutient le groupe CRCE au travers de sa proposition de sécurité d’emploi ou de formation. Dans le cadre d’un nouveau service public de l’emploi et de la formation, auquel toute personne ayant achevé sa scolarité serait affiliée de droit, chacune et chacun pourrait alterner périodes de travail salarié et périodes de formation rémunérées, grâce à une réduction générale du temps de travail rendue possible par les gains de productivité qu’apportent les nouvelles technologies.
Ce n’est malheureusement pas la voie empruntée par le Gouvernement, qui, dans son plan de relance de 100 milliards d’euros, n’a prévu que 200 millions d’euros pour le soutien aux personnes précaires. Autrement dit, 0,2 % des crédits du plan de relance sont destinés à assurer la cohésion de la Nation en luttant contre la précarité.
Cette proposition de loi des députés de La République en Marche recycle les dispositions gouvernementales issues de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 et, de notre point de vue, dénature l’objectif premier de l’expérimentation.
Par exemple, la suppression de l’agrément préalable de Pôle emploi favorisera non pas l’accès à l’emploi pour les personnes qui en sont éloignées, mais bien la perte d’une connaissance de l’accompagnement vers le retour en emploi et, surtout, la disparition d’un service public national seul à même de garantir l’égalité d’accès sur l’ensemble du territoire.
Le Gouvernement prétend sortir les personnes de la précarité, objectif que nous soutenons complètement, mais sa majorité propose, au travers de l’article 7, de supprimer l’application du bonus-malus sur les cotisations d’assurance chômage en cas de recours abusif à l’emploi de courte durée. La droite sénatoriale va encore plus loin, en faisant disparaître tout malus pour les contrats courts. Autrement dit, les employeurs sont invités à recruter en contrat précaire, y compris les seniors, pour lesquels est créé un CDI au rabais. Les personnes auront le choix, désormais, entre la précarité en dehors de l’emploi et la précarité dans l’emploi…
Avec ce texte, c’est la nature même du secteur de l’inclusion par l’activité économique et des expérimentations « territoires zéro chômeur de longue durée » qui est remise en cause.
Mes chers collègues, nous savons toutes et tous que la persistance du chômage de longue durée ne relève pas d’abord d’une responsabilité individuelle et qu’elle résulte du système économique et social, ce qui entre forcément en contradiction avec l’article 8, qui prolonge l’expérimentation du renforcement des contrôles sur les chômeurs dans leur recherche d’emploi, et avec l’article 9, qui vise à responsabiliser les salariés via l’utilisation de leur compte personnel de formation avant toute prise en charge financière par les régions ou Pôle emploi.
La droite sénatoriale pense que le cumul des contrats d’insertion et des contrats à temps partiel de moins de 20 heures va permettre de sortir les personnes de la précarité. Ce n’est pas notre avis.
Pour l’ensemble de ces raisons, et malgré notre soutien à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », nous ne pourrons voter en faveur de cette proposition de loi, dont l’esprit initial nous paraît dénaturé. Toutefois, comme nous sommes, par nature, optimistes et opiniâtres, nous allons nous battre pour que nos amendements soient pris en compte : peut-être cela nous amènera-t-il à modifier notre position. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons entraîne inévitablement une crise économique majeure pour notre pays. Ainsi, 715 000 emplois ont été détruits en début d’année. Le 7 octobre dernier, le journal Le Monde titrait : « Un million de nouveaux pauvres d’ici à fin 2020 ». Ce sont désormais plus de 10 millions de Français qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
La rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, Mme Verdier-Jouclas, souhaitait voir dans l’ouverture de la session parlementaire par l’examen de ce texte un « symbole fort adressé à l’ensemble de nos concitoyens touchés par la privation d’emploi ». Je partage son analyse. Au regard de la crise que nous traversons, les choix ont un sens. Que nous examinions en ouverture de session la proposition de loi relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » constitue la traduction des préoccupations de nombreux Français, la traduction de nos préoccupations.
Le symbole est d’autant plus fort que le cœur du texte émane directement du terrain, plus précisément de notre riche tissu associatif. Comme vous le savez, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste sont attachés aux principes de décentralisation et de subsidiarité. Or la présente proposition de loi s’inspire de cet esprit de dialogue entre le terrain et la représentation nationale et de construction des solutions localement et elle bat en brèche la logique bien trop souvent descendante de la production de la loi.
Les symboles ont toutefois leurs limites. Si les attentes peuvent être grandes à l’égard du texte qu’examine aujourd’hui notre assemblée, soulignons d’emblée que celui-ci n’a pas vocation à supprimer le chômage de masse. Il nous faut prendre en compte les limites et les apports de l’expérimentation.
Sur les dix territoires d’expérimentation prévus par la première loi relative aux « territoires zéro chômeur de longue durée » de 2016, 918 personnes ont été embauchées. Étendre le dispositif à cinquante nouveaux territoires ne permettrait que de multiplier approximativement par cinq ce chiffre. C’est donc une goutte d’eau au regard des 2 685 000 chômeurs de longue durée comptabilisés au deuxième trimestre de 2020.
Comme Mme la rapporteure Frédérique Puissat l’a indiqué en commission, il s’agit de proposer « une solution complémentaire aux autres outils existants, qui serait particulièrement pertinente pour certains publics ou pour certains territoires ». L’extension de l’expérimentation ouvre ainsi la possibilité de réaliser un travail sur mesure, au plus près du terrain, tout en posant des jalons nécessaires dans la refondation de la politique de l’emploi.
À l’inverse et de manière complémentaire, le plan de relance présenté à la rentrée vise à agir vite et fort pour l’emploi. À titre d’exemple, 1 milliard d’euros sont consacrés à la formation des salariés en activité partielle et au renforcement des compétences. Pour aider les jeunes arrivant sur le marché du travail, le Gouvernement prévoit aussi une enveloppe de 6,7 milliards d’euros, soit un triplement des moyens alloués à l’emploi des jeunes. Enfin, avec la généralisation de l’accompagnement de l’activité partielle, ce sont 9 millions de salariés qui n’auront pas été privés de leur emploi en 2020. Le plan de relance ajoute 7,6 milliards d’euros en faveur de l’activité partielle de longue durée.
Avant d’entrer dans le détail du contenu des articles, je souhaite féliciter notre rapporteure, Frédérique Puissat, pour son travail méthodique, mené dans un contexte bien particulier : entre la situation sanitaire que nous connaissons et le renouvellement partiel du Sénat, la préparation de ce texte n’a pas été aisée. La majorité de nos collègues n’a pas pu réellement s’imprégner de son contenu, qui ne se limite pas, bien au contraire, à la seule extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Les dispositions qui se rapportent à celle-ci sont d’ailleurs reléguées au sein du titre II de la proposition de loi.
J’en viens au titre Ier. Il contient divers dispositifs visant à mettre en œuvre plusieurs propositions du pacte d’ambition remis au Gouvernement à la rentrée 2019, après concertation avec les acteurs de l’insertion par l’activité économique. Selon la promesse du Président de la République, 100 000 salariés supplémentaires doivent intégrer les parcours d’insertion.
L’article 1er est une mesure d’assouplissement, issue de remontées du terrain. Il vise à supprimer l’agrément obligatoire de Pôle emploi pour les embauches au sein des structures de l’insertion par l’activité économique. Il est essentiel de faire confiance aux acteurs locaux. Cet article y contribue.
La création de nouveaux types de contrats prévue aux articles 2 et 3 bis peut légitimement amener à s’interroger, d’autant que plus de 200 000 contrats aidés ont été supprimés par l’exécutif au début du quinquennat. Certains acteurs de l’IAE ne sont pas favorables à l’expérimentation d’un « contrat passerelle » et demandent avant tout plus de souplesse, plus de confiance en leurs compétences et plus de moyens financiers.
Un CDI « inclusion senior » permettrait néanmoins de mieux répondre aux besoins des personnes en fin de carrière. Les amendements présentés par Mme la rapporteure améliorent sensiblement le texte de ces articles.
Le titre II est consacré à la prolongation et à l’extension de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » proprement dite.
Cette expérimentation vise, dans des territoires volontaires, à insérer dans l’emploi des personnes qui en sont privées durablement, en s’appuyant sur des entreprises à but d’emploi. Grâce à un financement de l’État, ces dernières offrent aux personnes éligibles volontaires un emploi correspondant à leurs compétences, dans le cadre d’activités socialement utiles qui n’entrent pas en concurrence avec le tissu économique local.
Sur ce sujet, le texte issu de l’Assemblée nationale a été bonifié. Je salue le passage de quarante à soixante du nombre de territoires ouverts à l’expérimentation, ainsi que la sécurisation des dix premiers territoires et de leur financement. Faut-il accroître davantage le nombre de territoires concernés, alors que 120 territoires seraient déjà candidats ? Je me rangerai à l’avis de Mme la rapporteure : entre le coût du dispositif et les externalités positives attendues, la neutralité financière de l’expérimentation n’est pas encore pleinement démontrée. Aussi élargir davantage l’expérimentation tendrait-il à fragiliser l’ensemble du dispositif, d’autant que nous ne disposons pas de tout le recul nécessaire, puisque le comité scientifique n’a pas encore rendu son rapport final.
Enfin, le titre III accueille plusieurs mesures d’ordre social. Je pense en particulier à l’article 9 bis, qui prolonge une expérimentation, et à l’article 9 ter, qui en crée de nouvelles.
Pour conclure, il est indéniable que le retour en emploi entraîne une amélioration significative de la situation des bénéficiaires, qui retrouvent ainsi une place dans la société et l’estime d’eux-mêmes, tout en voyant un certain nombre de leurs difficultés matérielles se réduire. Il nous faut multiplier les outils émanant du terrain qui répondent à cet objectif.
À cet égard, si le dispositif de cette proposition de loi peut paraître bien faible au regard de l’enjeu actuel, il participe à la régénérescence des politiques sociales. Le groupe Union Centriste votera en faveur de l’adoption de ce texte.