COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Daniel Gremillet,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel des règles sanitaires

M. le président. Mes chers collègues, afin de respecter les règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’enceinte du palais et qu’il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés.

L’hémicycle fait bien sûr l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection en profondeur chaque semaine, tandis que les micros sont chaque fois désinfectés.

Chacun veillera au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des membres du Gouvernement, qui sortiront par le devant.

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement – les premières depuis le renouvellement de notre assemblée.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif à observer l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse de celui du temps de parole ou de celui des uns et des autres.

rapidité de la mise en œuvre du plan de relance

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à vous, monsieur le Premier ministre.

À l’heure où le Président de la République s’apprête vraisemblablement à durcir les mesures sanitaires pour faire face à la deuxième vague de la covid-19, je voudrais surtout vous parler de leur impact social.

C’est un véritable drame que vivent des centaines de milliers de familles françaises : 715 000 emplois ont été détruits au premier semestre, et, d’ici à la fin de l’année, nous serons vraisemblablement non loin du million.

L’approche que nous avons eue de la pandémie fera sombrer de très nombreux ménages déjà précaires dans l’extrême pauvreté et les classes moyennes dans la précarité.

Le pays est inquiet, vous le savez. Votre tâche n’est pas facile, mais c’est vous qui êtes aux responsabilités. C’est bien pourquoi il ne faut pas seulement recalibrer le volet sanitaire ; nous vous invitons aussi à recalibrer le soutien à l’économie.

La deuxième vague de la pandémie impose d’accélérer en parallèle le plan de relance. Dès le mois de juillet dernier, le Sénat vous avait alerté sur la nécessité d’agir tout de suite, comme l’ont fait nos voisins allemands et anglais, mais le plan de relance n’a cessé d’être différé.

Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative 2, il avait été annoncé que ces mesures seraient mises en œuvre dès le PLFR 3. À l’occasion de ce PLFR 3, il nous a été annoncé qu’elles le seraient dans un PLFR 4. Or ce PLFR 4 n’est jamais arrivé.

Le plan de relance est finalement porté par le budget pour 2021, donc concrètement différé au début de l’année prochaine. Cela va nous conduire à dégainer avec plusieurs mois de retard… Nos concitoyens ne peuvent pas attendre : de nombreux commerces, de nombreux artisans, des TPE, des PME ne tiendront pas encore trois mois. Des secteurs entiers se trouvent dans une extrême difficulté.

Dans ces conditions, monsieur le Premier ministre, allez-vous accélérer la mise en œuvre du plan de relance, et si oui, comment ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez tout d’abord d’adresser, au nom du Gouvernement, mes plus sincères félicitations aux nouvelles sénatrices et aux nouveaux sénateurs qui ont rejoint, à la faveur du dernier scrutin, le Palais du Luxembourg.

Je voudrais également, monsieur le président, vous adresser mes félicitations personnelles pour votre brillante réélection à la tête de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

Monsieur le président Hervé Marseille, vous l’avez dit, la situation de notre pays est extrêmement difficile. La France, tout comme, vous le voyez bien, l’Europe entière, est confrontée à une deuxième vague de l’épidémie, désormais bien installée et forte.

Vous l’avez également souligné, elle va conduire le Gouvernement, dans la continuité des dispositions qu’il a prises, à adopter des mesures complémentaires pour faire face à cette situation. Vous avez raison, le Président de la République aura l’occasion d’y revenir dès ce soir.

Évidemment, je partage tout à fait votre point de vue selon lequel cette crise sanitaire et sa reprise ont des effets délétères, tant sur l’économie que sur la situation sociale de notre pays.

Vous m’interrogez sur les mesures que le Gouvernement a prises et va prendre sur ce registre.

Je me permets tout d’abord de vous indiquer ou de vous rappeler – la Haute Assemblée le sait bien, car nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet au mois de juillet dernier, et un récent rapport vient de le confirmer – que la France a été l’un des tout premiers pays européens à engager des moyens – 470 milliards d’euros, très précisément – dès le début de la crise, pour faire face à ses conséquences économiques et sociales.

Ces sommes tout à fait considérables, qui n’ont d’ailleurs pas encore été toutes complètement dépensées, sont évidemment très utiles dans la période actuelle, et elles continueront à l’être.

Je me permets d’indiquer à la Haute Assemblée que les secteurs les plus touchés, en particulier – pour faire le lien direct avec les mesures à caractère sanitaire – tous les secteurs professionnels qui sont concernés par la mise en œuvre des mesures administratives qu’appelle la présente situation, font l’objet de mesures extrêmement précises relevant de la solidarité nationale, solidarité qui leur est due, car ils ne sont pour rien dans cette situation.

Ainsi, nous avons décidé non seulement, leur ai-je précisé, de reporter au moins jusqu’à la fin de la présente année civile les dates d’échéance des mesures mises en œuvre dans le cadre du fonds de solidarité – temps partiel, exonérations de charges –, mais encore, je le précise devant le Sénat, de renforcer le contenu et la portée de ces mesures. Et cela ne se limite pas au fonds de solidarité.

À cet égard, j’indique au Sénat que les ministres et moi-même ne cessons de discuter avec les représentants des secteurs professionnels concernés de la nature de ces mesures. Pour être très précis, il reste encore à traiter des sujets relatifs aux loyers et aux assurances, sur lesquels des progrès sont nécessaires.

S’agissant du reste de l’activité économique, je précise à la Haute Assemblée – c’est un élément essentiel de notre stratégie – que nous prenons et allons continuer à prendre les mesures de protection sanitaire que la situation exige. Mais notre objectif est, d’une part, que l’activité économique du pays se poursuive autant que possible – plus de 90 % des entreprises françaises fonctionnent à peu près normalement, monsieur le président, ce qui est heureux –, et, d’autre part, que les activités scolaires et éducatives au sens large se poursuivent, elles aussi, normalement. À l’exception de quelques clusters, c’est encore très largement le cas aujourd’hui.

Néanmoins, vous l’avez rappelé, la crise sanitaire a aussi un impact sur le reste de l’économie. Vous avez à juste titre souligné, d’une part, la montée des chiffres du chômage, et, d’autre part, les situations de pauvreté que cela génère, parce que, classiquement, dans une crise, ce sont toujours les plus vulnérables qui sont les premiers concernés.

Au-delà des mesures que j’ai indiquées et qui ont été prises dans le cadre des PLFR successifs que le Sénat a examinés, le plan de relance est en partie destiné à faire face à cette situation. À cet égard, je précise qu’il y aura bien un PLFR 4 !

Je veux insister sur un point : parmi les victimes de la crise actuelle, il y a les jeunes. J’indique à la Haute Assemblée que le volet « jeunes » du plan de relance – 6 milliards d’euros – est déjà entré en vigueur. En août et en septembre, les chiffres de l’apprentissage et de l’alternance, notamment, ont été très positifs : après un effondrement au premier semestre, ils ont augmenté de plus 9 % en août 2020 par rapport à août 2019. Les dispositifs spécifiques en direction des jeunes fonctionnent donc.

M. Jean Castex, Premier ministre. S’agissant des plus démunis, et sans vouloir être trop long, je confirme que la situation est effectivement préoccupante. J’ai reçu personnellement l’ensemble des associations concernées et je leur ai dit que, samedi prochain, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la misère, après la concertation, j’annoncerai un certain nombre de mesures que les circonstances actuelles exigent. (Murmures sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que, particulièrement dans les difficultés actuelles traversées par notre pays, qui exigent plus que jamais rassemblement et sens des responsabilités, le Gouvernement tout entier, derrière le Président de la République, est mobilisé et déterminé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

situation critique dans les hôpitaux

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Laurence Cohen. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Monsieur le ministre, en cette période de rebond de pandémie de la covid-19, notre système de santé est de nouveau sous tension. Tous les voyants sont au rouge. Vous assurez maîtriser la situation. Le Président de la République va faire des annonces ce soir, orientées visiblement vers de nouvelles restrictions de libertés, mais ce n’est pas la solution.

Vous n’avez pas tiré les leçons de la première vague, et de nouveau les hôpitaux sont saturés. Les personnels soignants crient leur inquiétude et leur colère. Ils sont épuisés, démunis, sous-payés, avec des directions de plus en plus autoritaires, et on leur demande de faire face de nouveau.

Cette fois, la pandémie se répand partout sur le territoire ; cette fois, il n’y aura pas de renforts de personnels pour aller au secours de telle ou telle région débordée. Et l’hôpital n’a toujours pas les moyens nécessaires pour faire face de nouveau à un manque insupportable de lits et de personnels. Quant à la médecine de ville, elle est aussi en difficulté.

Aussi, ma question est simple, monsieur le ministre : que dites-vous aux personnels hospitaliers qui seront dans la rue demain pour dire que le Ségur ne fait pas le compte ? Que dites-vous à toutes celles et à tous ceux qui démissionnent, des chefs de service – je pense notamment au docteur Maurice Raphaël, chef des urgences de l’hôpital Bicêtre depuis dix ans –, jusqu’aux infirmières et aux aides-soignantes ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, voici ce que je dis, comme ministre des solidarités et de la santé, aux soignants : « Tenez bon, on est avec vous, merci pour votre action, on y arrivera ! » (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains.)

Madame la sénatrice, à entendre le début de votre question, je me suis presque demandé si l’on parlait bien d’une épidémie causée par un virus circulant en France, en Europe et dans le reste du monde, qui a mis à plat les trois quarts de la planète pendant des mois durant…

À entendre votre question, je me suis demandé si, finalement, vous ne pointiez pas, dans la situation sanitaire que nous connaissons, une responsabilité qui ne serait pas d’origine virale ou naturelle. Tel n’était évidemment pas le cas, madame la sénatrice, mais je tenais tout de même à vous le faire préciser.

Madame la sénatrice, dans quelques jours, dans quelques semaines, vous voterez – je l’espère – un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui porte en lui-même le renouveau de l’hôpital public : création de 4 000 lits – alors que, jusqu’à présent, on en fermait des milliers tous les ans –, embauche de 15 000 soignants à l’hôpital – alors que cela fait des années que la masse salariale n’était plus adaptée à la charge de travail –, sortie de la tarification à l’activité pour aller vers une dotation populationnelle, changements des règles de gouvernance internes aux établissements de santé, pour permettre une meilleure représentativité des professionnels de santé en leur sein, enfin – j’allais oublier, pardon ! – quelque 8,8 milliards d’euros de revalorisation annuelle des salaires pour 1,6 million de salariés du soin à l’hôpital et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, dont 85 % sont des femmes. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Madame la sénatrice, vous allez ainsi avoir la possibilité de voter – j’espère que vous le ferez – la plus forte réduction en une seule fois de l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans l’histoire de notre pays – 8,8 milliards d’euros !

Madame la sénatrice, tous les personnels soignants de l’hôpital, et même les personnels non soignants, ont déjà touché 90 euros net par mois de plus, ce qui n’est pas rien.

Dans quelques mois, en mars au plus tard, ils percevront 93 euros net de plus par mois. Grâce à un travail sur les grilles salariales, ils toucheront également en moyenne 35 euros de plus par mois. Au travers de l’engagement collectif de ses membres, l’aide-soignante, au sein d’une équipe, bénéficiera d’une revalorisation identique, relativement, à celle du médecin.

Madame la sénatrice, je respecte profondément le dialogue social dans notre pays. Vous avez indiqué que des syndicats appelaient à la grève. Dont acte ! Mais, sans vous faire affront, je vous rappellerai qu’une majorité de ces syndicats a signé les accords du Ségur – je tiens la liste à votre disposition – et en assure la promotion, parce que ces accords sont bons et apportent au problème de l’attractivité de l’hôpital une solution non pas instantanée, mais durable, nécessaire, efficace et qui était devenue urgente.

Encore une fois, je remercie les soignants et je leur dis de tenir bon. Je crois que, de notre part, c’est aussi cela qu’ils ont envie d’entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Rassurez-vous, monsieur le ministre, nous n’avons pas oublié qu’il y avait un virus, qui représente un défi important ! Mais vous continuez à ne pas entendre les personnels.

Effectivement, ils se sont battus et ils ont obtenu des augmentations de salaire. Mais ce qu’ils demandent, c’est 300 euros par mois.

M. Olivier Véran, ministre. Ils les ont eus !

Mme Laurence Cohen. Aujourd’hui, des soignants continuent à démissionner parce qu’ils ne sont pas respectés. Il ne suffit pas de leur dire « tenez bon » ; il faut en finir avec les cadences infernales à l’hôpital, avec le travail sans discontinuer. « On manque de personnels, on manque de lits ! » : voilà ce que nous disent les personnels, et vous ne voulez pas les entendre.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit encore près de 1 milliard d’euros d’économies. Vous continuez à faire des choix qui étranglent l’hôpital et qui mettent à genoux la médecine de ville. Ce n’est pas ce qu’attendent les personnels.

Effectivement, monsieur le ministre, si vous ne voulez pas les entendre dans la rue (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), si vous ne voulez pas nous entendre, nous, membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Laurence Cohen. … vous vous exposerez à répondre de l’accusation de non-assistance à personnels en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)

M. Olivier Véran, ministre. Tout en finesse…

situation dans le haut-karabakh (i)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Bernard Buis. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, il n’est pas besoin de rappeler ici la longue histoire d’amitié qui unit la France et l’Arménie et l’affection que nous portons à nos amis arméniens.

De nombreuses villes de mon département, la Drôme, mais aussi du Rhône, de l’Isère et des régions parisienne et marseillaise ont tissé des liens étroits avec le Haut-Karabakh, en raison des liens de fraternité entre Français et Arméniens. Une belle illustration en est la signature d’une charte d’amitié entre le département de la Drôme et le Haut-Karabakh en 2015.

Le 27 septembre 2020, nous avons assisté impuissants à l’entrée en conflit de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh.

Cette offensive militaire est venue brutalement raviver le « conflit gelé » autour de ce territoire, qui bénéficiait, depuis l’accord de cessez-le-feu de 1994, d’une relative stabilité, certes marquée par des épisodes de tension.

Aujourd’hui, avec la nouvelle violation de ce cessez-le-feu, notre inquiétude est grande. Nous constatons des affrontements d’une extraordinaire violence, qui se développent non seulement le long de la ligne de front, mais aussi dans nos villes amies : Stepanakert – amie avec la ville de Valence –, Chouchi, Martuni. Les premières victimes en sont les populations civiles, des familles arméniennes que nous connaissons bien.

Je sais, monsieur le ministre, que, dans le cadre du groupe de Minsk, vous ne ménagez pas vos efforts pour résoudre ce conflit et pour aboutir à une solution garantissant la paix et la sécurité des populations civiles.

Toutefois, notre préoccupation est vive quand nous voyons que le cessez-le-feu humanitaire négocié samedi dernier peine, lui aussi, à être respecté.

Dans de nombreuses villes de France, et hier soir à Paris, nous avons affirmé, nombreux, notre entier soutien au peuple arménien et karabahiote, ainsi que notre indéfectible amitié.

Monsieur le ministre, que peut faire la France pour arrêter cette offensive de l’Azerbaïdjan, qui est meurtrière pour les populations civiles d’Artsakh ? Je vous remercie par avance de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Bernard Buis, dans cette affaire grave, il y a, pour la France, une urgence, un devoir et une exigence.

Une urgence, parce que l’escalade qui se poursuit entraîne de nouvelles victimes, particulièrement des victimes civiles. Cette situation suscite une émotion légitime, en particulier en France, du fait de la proximité des liens humains, des liens culturels, des liens historiques qui nous lient à l’Arménie. Vous avez fait part de cette émotion, que je comprends et que je partage.

Cette émotion, elle justifie que nous accentuions encore nos efforts pour faire accepter l’arrangement qui est intervenu samedi à Moscou, en notre présence, pour aboutir à un cessez-le-feu. Il y a urgence, parce que les ingérences étrangères, en particulier celle de la Turquie, alimentent cette escalade. Elles ne sont pas acceptables.

Il y a aussi un devoir, celui du mandat que nous a confié l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, dans le cadre du groupe de Minsk, que vous avez cité et que nous coprésidons avec la Russie et les États-Unis. Nos efforts se poursuivent en permanence, y compris, monsieur le sénateur, en ce moment même à Erevan et à Bakou.

Il y a enfin une exigence, mesdames, messieurs les sénateurs, celle de l’impartialité. En effet, c’est la condition de notre crédibilité de médiateur.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Et à ceux qui souhaitent voir la France y renoncer, je dis que l’amitié qui nous lie à l’Arménie, au peuple arménien, serait mal servie si nous renoncions à ce rôle d’équilibre, car perdre notre impartialité, ce serait aussi laisser la porte ouverte à un rôle plus direct de la Turquie dans le règlement de la crise. Or il n’est pas possible qu’un pays puisse être à la fois protagoniste d’un conflit et partie prenante de son règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

situation sociale dans le pays

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise que nous sommes en train de vivre est grave. Elle sera longue et elle affecte déjà fortement, vous le savez, la vie de nombre de nos concitoyens.

Ce constat, nous le faisons collectivement depuis de nombreux mois, et il vient malheureusement d’être confirmé par ce chiffre dramatique : la crise sanitaire, mes chers collègues, a fait basculer 1 million de Français dans la pauvreté. Ils rejoignent les 9 millions de nos concitoyens qui vivaient déjà sous le seuil de pauvreté.

Dans le même temps, un rapport de France Stratégie nous informe que la suppression de l’impôt sur la fortune et l’instauration de la flat tax au début du quinquennat ont eu pour effet de faire fortement augmenter les revenus des 0,1 % des Français les plus aisés, tandis que la distribution de dividendes, de plus en plus ciblée, a explosé.

Cette concentration du capital n’est pas acceptable. Elle l’est encore moins quand tant de Français sont dans la souffrance.

Votre politique aggrave les inégalités sociales et territoriales. Vous auriez dû agir ; il est trop tard. Je vous demande donc de réagir.

Ainsi, je fais un rêve : celui d’un gouvernement capable de revenir sur ses erreurs, de supprimer son bouclier fiscal, devenu un tremplin fiscal, et de penser à de nouvelles ressources liées à la taxation du capital ; celui d’un gouvernement qui ouvre le revenu minimum aux jeunes pour les empêcher de sombrer ; celui d’un gouvernement qui abroge sa réforme de l’aide personnalisée au logement, l’APL, qui revalorise le point d’indice pour les agents de la fonction publique et qui donne un coup de pouce au SMIC.

En somme, je fais le rêve d’un gouvernement qui lutte enfin contre les inégalités, qui dégrippe l’ascenseur social et qui empêche de nouvelles catégories de la population de tomber dans la précarité.

Monsieur le Premier ministre, la réalité est là, sous vos yeux, sous nos yeux, tragique. Allez-vous la prendre en compte et enfin changer de cap ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Patrick Kanner, je voudrais rappeler à la Haute Assemblée que, contrairement à vos affirmations, avant la survenue de la crise sanitaire, grâce à la politique que nous avons conduite, inverse de celle que vous préconisez, notamment grâce à une baisse des impôts, la croissance en France était l’une des meilleures de l’Union européenne,…

M. François Patriat. C’est vrai !

M. Jean Castex, Premier ministre. … le niveau de chômage était également l’un des plus satisfaisants, tandis que les investissements étrangers n’avaient jamais été aussi nombreux depuis dix ans.

Bref, cher président Kanner, des résultats économiques nettement supérieurs à ceux que vous aviez enregistrés à la fin du précédent quinquennat ! (Vives protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Philippe Dallier. Ce n’était pas difficile ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Castex, Premier ministre. Je le rappelle, depuis la survenue de la crise sanitaire, nous assistons effectivement, et malheureusement, ici comme ailleurs, à une forte dégradation et des chiffres du chômage et, hélas, de ceux de la pauvreté.

Je rappelle au Sénat que notre système de protection sociale présente heureusement des amortisseurs – soyons-en fiers ! –, qui, si nous établissons une comparaison avec des pays étrangers et proches, ont permis de faire face mieux qu’ailleurs à cette dégradation.

Mme Laurence Rossignol. Il faut donc ne rien faire ?

M. Jean Castex, Premier ministre. Contrairement à ce que vous dites, nous ne sommes pas du tout restés inactifs à l’endroit de ces populations depuis le début de la crise : je vous rappelle que plus de 2 milliards d’euros – vous en avez débattu dans cette assemblée à l’occasion des PLFR successifs – ont été débloqués à destination de ces publics. (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

Une aide exceptionnelle de solidarité a été versée le 15 mai dernier à 4,1 millions de foyers en difficulté, tandis que, au mois de juin, 200 euros ont été versés à 800 000 jeunes en difficulté, pour un total de 160 millions d’euros.

Mon gouvernement a revalorisé d’un peu plus de 100 euros l’allocation de rentrée scolaire, cependant que le plan de relance comprend des mesures de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté et prévoit 100 millions d’euros également pour renforcer l’hébergement des plus démunis.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure au président Marseille, nous ajusterons nos moyens pour tenir compte de la deuxième vague épidémique et de ses conséquences sociales.

Nous menons aussi une politique de fond. Je vous le dis, nous ne souhaitons pas instaurer un revenu de solidarité active, ou RSA, jeune.

L’objectif de fond du Gouvernement, c’est de faire face aux problèmes que rencontrent les plus démunis dans la crise. Cette réponse sera à la hauteur, mais elle n’invalide pas notre politique de fond, qui, plutôt que d’installer des gens dans les allocations, vise à les insérer par le travail, par l’activité économique, par le logement, par la santé. Là encore, les moyens affectés à ces politiques seront augmentés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, votre réponse ne définit pas une politique, c’est un slogan ! J’ai le sentiment que, quand les Français tombent, les plus riches de nos concitoyens peuvent dormir tranquillement : le Gouvernement veille sur eux. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je le regrette. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, ce n’est pas de l’égalité, c’est de l’équité : demander un effort supplémentaire à ceux qui ont tant obtenu depuis le début de ce quinquennat n’aurait pas été scandaleux. Vous vous y refusez : je tiens à vous dire que les Français sauront vous juger. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)