M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce qui est en question ce soir, c’est l’unité de la République. C’est elle qui a été piétinée vendredi à Conflans, comme elle l’a été à Charlie Hebdo et au Bataclan en 2015, comme elle l’est chaque jour par ceux qui obligent Sonia Mabrouk, Mila, Zineb El Rhazoui, Salman Rushdie et tant d’autres à vivre sous protection policière. Comme elle est piétinée par ceux qui empêchent au quotidien des milliers de filles et de femmes musulmanes de se vêtir comme elles veulent, d’étudier à l’école publique et parfois tout simplement de sortir de chez elles.
Cet assaut, l’islamisme le mène dans le monde entier, contre les musulmans qui n’appliquent pas la charia, contre les chrétiens, les juifs, les athées. Mais en Europe, c’est la France qui est la première visée en raison, notamment, d’un des piliers de notre République que les fondamentalistes haïssent : la laïcité.
Puisque l’islamisme nous déclare la guerre, il faut d’abord parler de nos succès.
Le califat d’où partaient chaque jour des terroristes à destination de l’Europe pour y commettre des attentats majeurs a disparu, grâce à une coalition où la France a joué un rôle essentiel. Grâce à cela, les attentats d’aujourd’hui, aussi horribles soient-ils, sont commis par des loups solitaires, demi- fous livrés à eux-mêmes, à l’arme blanche, et non au fusil d’assaut en bande organisée.
La France est aussi au Sahel, quasi seule hélas, pour empêcher les djihadistes d’établir de nouvelles bases arrière pour d’autres attentats de masse. Mais, paradoxalement, cette bataille contre l’islamisme, c’est chez nous que nous risquons de la perdre. Les derniers chiffres font froid dans le dos : 74 % des musulmans de moins de 25 ans pensent que leurs convictions religieuses passent avant les lois de la République, contre 25 % des plus de 35 ans.
Ce constat effarant n’est pas le résultat de la seule propagande salafiste, il est aussi le résultat de nos propres lâchetés, qui ne datent pas d’aujourd’hui.
Le rapport Obin de 2004, soigneusement mis sous le tapis, les accommodements de tant de chefs de service avec les atteintes à la laïcité afin d’éviter les ennuis, notre incapacité à maîtriser les flux migratoires et les filières mafieuses de détournement des procédures d’asile, l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures d’expulsion pour 85 % des personnes concernées, les 4 000 étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) encore présents sur le territoire, et les ratés de la chaîne « police-justice », dont le maillon judiciaire est aujourd’hui le plus faible, miné par le manque de moyens et par l’ultragauche judiciaire en déni de réalité.
Il ne manquait plus que l’idée, abandonnée in extremis, de faire s’agenouiller des policiers place Beauvau pour se prosterner devant les indigénistes et les décoloniaux…
Ces lâchetés, il est d’autant plus difficile de s’y opposer qu’elles sont puissamment aidées par le chœur des pleureuses du camp du bien, des victimocrates et des indignés professionnels, prêts à bondir sur toute mesure de fermeté en criant à la discrimination et à la stigmatisation.
Il est difficile aussi de s’opposer à ce qui est en train de devenir le cancer de nos sociétés démocratiques. Ce n’est plus seulement dans les mosquées salafistes ou dans les prisons que se recrutent les djihadistes, c’est sur le web, devenu l’écosystème des fake news, du complotisme, de la haine et, désormais, des influenceurs islamistes.
L’assassinat de Samuel Paty a été préparé, et peut-être programmé, par une salve d’appels aux meurtres sur les pages salafistes. La mise au pas des réseaux « antisociaux » est une urgence, et il ne faut pas compter sur les milliardaires opérateurs de ces plateformes pour le faire spontanément, eux qui voudraient nous faire croire, parce que ça fait plus de clics, donc plus de fric, que les délits que sont les appels à la haine, à la colère, au meurtre et à tout ce qui peut gangrener nos sociétés démocratiques, font partie de la liberté d’expression.
Il fut un temps où la France se posait moins de questions. Elle accompagnait, elle accueillait des vagues de migrants et elle les assimilait. C’était le mot que l’on employait à l’époque et il ne choquait personne, ni les Français ni les immigrés. Notre pays était alors sûr de son modèle républicain, de sa conception de la laïcité, de sa façon de vivre ensemble et de sa place dans le monde.
Le plus grand défi aujourd’hui n’est-il pas de réussir l’intégration dans un pays qui voit ses valeurs s’estomper, comme s’efface peu à peu « à la limite de la mer un visage de sable » ?
Le plus grand défi n’est-il pas de convaincre que ces valeurs sont non pas seulement celles du passé, mais aussi celles de l’avenir ? C’est ce à quoi nous appellent les auteurs de cette proposition de loi.
Bien sûr, cet exercice a ses limites parce que cette proposition de loi, si elle est adoptée un jour, le sera au terme forcément lointain d’une révision constitutionnelle, alors que depuis vendredi les Français attendent des actes plus que des lois. Mais le but de ses auteurs n’est sans doute pas seulement là. Il est de nous proposer un sursaut, de réveiller face au danger un pays qui s’assoupit, dans ce domaine comme dans d’autres.
Il est de rappeler, comme le faisait Samuel Paty à ses élèves, avec beaucoup de courage et de lucidité, que si nous devions abandonner les valeurs qui ont fondé notre République, la France ne mériterait plus de s’appeler la France.
C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ces jours de deuil national, le groupe CRCE et moi-même ne pouvons qu’appeler à plus de cohésion. Soyons unis, au moins en ce moment, au-delà de ce qui parfois nous divise : sensibilités politiques, origines ou croyances.
La décapitation de Samuel Paty a bouleversé en moi le professeur que j’ai été autant que la sénatrice que je suis. Deux ans après mon arrivée en France, j’ai passé les concours nationaux de l’enseignement. J’ai enseigné quinze ans en collège et lycée. J’ai essayé, moi aussi, partout où j’ai exercé, d’initier mes élèves de toutes origines à l’esprit critique, au débat, au respect de nos valeurs.
La tragédie de Conflans-Sainte-Honorine n’a pas seulement coûté la vie à un enseignant de la manière la plus barbare. Elle touche notre bien le plus précieux, la liberté d’expression.
Les hussards de la République sont toujours à leur poste. Nous leur devons l’hommage qui leur est rendu aujourd’hui, eux que, trop souvent, on critique. La République leur doit soutien, protection et respect. Les a-t-elle assez écoutés ? A-t-elle pris la mesure de la difficulté de leur tâche dans des contextes nouveaux ?
Oui, la République doit se défendre contre les fanatiques. Mais elle doit aussi distinguer ceux-ci de l’écrasante majorité des musulmans de ce pays, aspirant à pratiquer leur religion dans le respect de la neutralité de l’espace public et des lois qui nous unissent au-delà de nos différences. Le fanatisme ne prospère-t-il pas sur le terreau de l’abandon, là où l’État a abdiqué, là où les services publics et la police de proximité ont disparu ?
La radicalisation de l’islam est un mal dépassant nos frontières. On n’y portera pas remède par des mesures sans ambition. Ce qu’il nous faut, ce sont des moyens pour le renseignement, des hommes et des femmes sur le terrain et, au-delà des discours, un investissement concret de l’État de droit.
Rassemblons-nous, repensons ce fléau, et pas dans le court terme électoral. Les chantiers à ouvrir sont immenses, et nous ne les mènerons à bien qu’avec le concours des musulmans eux-mêmes. Vous conviendrez que ce n’est pas la proposition de loi dont nous débattons qui stoppera la diffusion de l’islam radical.
L’article 1er de notre Constitution est clair : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Ce texte fondateur, qui ne parle que d’une loi, celle de la République, embrasse la diversité de la France, de ses populations et de ses territoires. L’article 1er de la proposition de loi n’y ajoute rien.
Par l’article 2 de cette proposition de loi, vous souhaitez, dites-vous, prévenir toute immixtion des religions dans la sphère politique. Notre droit n’est-il pas assez armé ? La loi de 1905 ne suffit-elle donc pas ?
M. Philippe Bas. Non !
Mme Esther Benbassa. L’impact électoral des partis dits « communautaires » est en outre anecdotique.
M. Philippe Bas. Pour le moment…
Mme Esther Benbassa. Lors du scrutin législatif de 2017, les partis musulmans ont recueilli moins de 10 000 voix sur tout le territoire.
M. Stéphane Ravier. C’est beaucoup trop !
Mme Esther Benbassa. Œuvrons pour une République inclusive, qui respecte ses professeurs, ses soignants, les rémunère dignement et les encourage dans leur mission !
Notre nation vit déjà dans l’anxiété de la pandémie. Elle doit surmonter le traumatisme de la mort horrible de Samuel Paty. En cette période de deuil national, le plus sage aurait été de retirer ce texte qui n’apportera aucune avancée et risque d’aggraver les crispations.
Nous ne refusons pourtant pas le débat, et nous le mènerons lors de l’examen d’une loi plus ambitieuse.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous débattons de la prééminence des lois de la République, nous sommes tous hantés par le crime, d’une violence inouïe, qui a pris pour cible Samuel Paty, professeur de l’école de la République. Nous nous inclinons devant sa mémoire et manifestons notre solidarité à sa famille et à la communauté éducative.
Quand le terrorisme s’attaque à l’école républicaine, à la liberté et à l’esprit des Lumières qui la fondent, à la possibilité pour tous les enfants de devenir des citoyens libres, la sidération première laisse la voie à la nécessité de l’action, pour que cela ne soit plus. Nous nous accorderons tous sur ces travées pour affirmer l’impérieuse nécessité de rappeler sans cesse le réveil républicain face aux obscurantismes. Mais ce constat, partagé avec une profonde gravité, n’est pas tout. Il ne constitue pas une fin en lui-même.
Tout l’enjeu pour nous, législateurs, est de savoir comment animer effectivement ce réveil républicain. Par quels moyens ? À quel niveau d’intervention ?
Le texte que nous examinons matérialise cette problématique non pas seulement de la réponse proposée, mais bien de la solution apportée. À ce titre, il nous apparaît qu’il appelle des réserves importantes.
À commencer par son intitulé. La présente proposition de loi constitutionnelle viendrait « garantir la prééminence des lois de la République ». Cette formulation est étonnante puisque, dans notre État de droit fondé sur la hiérarchie des normes, les lois de la République sont, au sens institutionnel, prééminentes. Elles s’imposent aux textes de rang inférieur et fondent le contrôle de légalité. Cette assertion tautologique interroge donc, et je parlerai plutôt dans la suite de mon propos de « respect des lois de la République », qui constitue en réalité le cœur du défi qui se pose à nous.
Dans le prolongement de son intitulé, l’article 1er de la proposition de loi vient insérer une nouvelle phrase dans l’article 1er de la Constitution : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »
Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais cette phrase nous renvoie inévitablement à ce que prévoient explicitement l’article 1er de la Constitution de 1958 et l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui posent les principes d’unicité et d’égalité, et dans lesquels le Conseil constitutionnel puise les fondements de la jurisprudence à laquelle les auteurs de la proposition de loi se réfèrent.
Je me limiterai à citer l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est assez explicite : « [La loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » L’article 1er du présent texte semble donc déclaratoire et satisfait par le droit constitutionnel en vigueur.
Enfin, l’article 2, en disposant que les partis et groupements politiques sont également soumis au principe de la laïcité, ne semble pas non plus de nature à réaliser l’objet qu’il vise.
Outre l’enjeu de dénaturation du principe de laïcité tel qu’il est compris dans notre Constitution, les débats en commission ont montré la difficile appréciation du champ d’application de l’article.
Il s’agirait, selon les auteurs de la proposition de loi, de lutter contre les partis et groupements communautaristes, sans toutefois fragiliser les partis « issus d’une tradition religieuse, mais respectant l’unicité du peuple français, comme les partis issus de la démocratie chrétienne ». Ce champ ne correspond pas à la lettre de l’article 2, et les effets de bord, par rapport aux objectifs initiaux, sont évidents.
En tout état de cause, il faut bien rappeler que les groupements politiques sont soumis au respect de la loi et agissent dans la limite de la sauvegarde de l’ordre public.
Finalement, comme en témoignent la stratégie de lutte contre le séparatisme précisée par le Président de la République au début de ce mois, ainsi que les débats en commission sur la dissolution des associations et les différents domaines visés par l’exposé des motifs, l’axe pertinent pour garantir effectivement le respect, par tous, des principes et des lois de notre République apparaît relever du niveau de la loi.
Ainsi, afin de « renforcer la laïcité et consolider les principes républicains », il pourrait être possible, à droit constitutionnel constant, de suspendre des actes municipaux relatifs à la régulation de l’accès des hommes aux piscines à certains horaires, d’étendre des obligations de neutralité aux entreprises délégataires du service public, d’étendre les motifs de dissolution des associations aux atteintes à la dignité de la personne, ou encore de mieux encadrer le financement public des associations.
En somme, mes chers collègues, ne dressons pas de vaines et fausses oppositions entre ceux qui, d’un côté, soutenant la présente proposition de loi, seraient pour le réveil républicain face aux comportements séparatistes se logeant jusque dans les interstices du quotidien et ceux qui, de l’autre côté, exprimant de sérieuses réserves sur la pertinence de son contenu, seraient des partisans de l’inaction, de la fébrilité ou de l’abandon sur le terrain des idées.
Car l’enjeu des lois réside dans leur contenu normatif, pas dans l’intention performative. Dire qu’une proposition de loi « garantit la prééminence des lois de la République » ne revient pas à assurer effectivement le respect par chacun des principes de la République. De même, ne pas voter un texte ne revient pas toujours à s’opposer à son objet.
L’enjeu, je veux ici le redire, est l’angle d’attaque, la méthode de fond que nous choisissons pour assurer le plein respect des principes et des lois de notre République. En tant que législateurs, nous devons être à la hauteur de la gravité du réel, qui appelle plus qu’une réponse symbolique et déclaratoire au sein de notre Constitution.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne pourra pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vendredi 16 octobre, un hussard de la République, Samuel Paty, a été décapité. La semaine d’avant, des prêcheurs de mort, des militants de l’islam politique, des lâches cachés derrière des réseaux sociaux, ont désigné comme cible à abattre un professeur d’histoire-géographie – vous savez, mes chers collègues, l’un de ceux pour qui, comme le rappelait Victor Hugo, « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne ». Laissez-moi dire à sa famille et ses amis toutes nos pensées et toute notre reconnaissance pour son travail si utile.
Chaque républicain se sent meurtri. Chaque femme, chaque homme, formé à l’école de la République se sent personnellement attaqué dans ses valeurs. La République, qui a tant donné pour l’émancipation et la liberté de chacun, vaut bien que nous nous engagions encore et encore pour la défendre. Aucune désertion n’est possible.
Je salue, depuis nos débats sur la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard de février 2016, qui visait à constitutionnaliser la laïcité, l’évolution des esprits, y compris au sein de la majorité sénatoriale. Nous en avons ici une traduction.
L’article 1er de la proposition de loi peut paraître redondant avec notre bloc de constitutionnalité, mais aussi avec d’autres textes bien présents dans notre société, mais nous le voterons. Je rappellerai, mes chers collègues, que le point 13 de la charte de la laïcité à l’école, présente dans tous les carnets de correspondance des collégiens, prévoit bien une disposition similaire à celle de l’article 1er de la proposition de loi : « Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’École de la République. »
Cette charte, signée par l’ensemble des parents et des élèves, est remise à tous en début d’année scolaire. Je n’en retirerais pas une ligne, car ses principes sont justes. Sans nul doute faudra-t-il encore l’expliquer, l’illustrer, mais elle est nécessaire.
L’article 2 de la proposition de loi tend, quant à lui, à interdire des partis dits « communautaires » : il vise en particulier ceux qui sont gangrenés par l’islam politique. Là aussi, mes chers collègues, l’intention est louable, mais nous sommes plus réservés sur la mise en œuvre : le terme « communautaire » est sujet à de vastes interprétations et donne lieu à des recours judiciaires coûteux et longs. D’autant qu’une communauté est le plus souvent revendiquée comme telle par des militants pour parler au nom de personnes qui n’ont rien demandé, et qui se retrouvent assignées à leur origine ou à leur religion supposée.
Par ailleurs, tous les partis dits « communautaires » auront vite fait de « se draper » de propositions généralistes pour échapper au radar.
Les islamistes politiques pourront continuer à être présents sur d’autres listes républicaines, voire négocier de petits arrangements avec nos règles communes.
Le groupe du RDSE proposera, pour sa part, dans un autre texte d’interdire, sur le modèle de l’article 141-5 du code de l’éducation, des signes distinctifs manifestement religieux dans la propagande électorale.
Aujourd’hui, mes chers collègues, nous devons trouver des véhicules législatifs plus appropriés pour être plus efficaces. Partout où la République est attaquée, nous devons faire front sans trembler, sans « oui, mais… ».
Chaque fois que l’égalité hommes-femmes, la liberté de conscience et la dignité des personnes seront attaquées, nous devrons faire front. Contre l’antisémitisme, nous ne devons pas trembler. Contre les déferlantes de haine sur les réseaux sociaux, nous devons agir ensemble. Partout où les enfants de la République subiront ces violences, l’État devra agir, en mobilisant également des moyens judiciaires et policiers.
Nous devrons sans doute prendre des mesures draconiennes pour mettre l’islam politique hors la loi. Car c’est la seule voie de paix possible, y compris pour nos concitoyens musulmans, pratiquants ou non. Plus que jamais, la République se nourrira de nos actes. Or, au Sénat, des actes, nous en avons posé !
En juillet dernier, nos collègues Nathalie Delattre et Jacqueline Eustache-Brinio ont expliqué, dans un rapport remarquable de lucidité, comment faire face et lutter ensemble contre la radicalisation islamique. Ce rapport montre que nos valeurs républicaines sont sapées dans tous les aspects de notre vie quotidienne.
Comme le rappelait très justement Jean-Claude Requier, le président de notre groupe, cet attentat démontre aussi qu’il est du devoir de l’État de soutenir sans faillir tous ceux qui combattent au quotidien pour faire vivre la laïcité. C’est ce que nous devons à tous les Samuel Paty qui vont, dès le 2 novembre prochain, dire à nos enfants qu’il est de la responsabilité de l’école d’expliquer les valeurs de notre République et que la Nation, élus en tête, est tout entière aux côtés des enseignants. Le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président – je salue votre première présence au fauteuil de la présidence de séance –, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi, aujourd’hui, en France, on peut mourir décapité pour avoir fait un cours d’éducation civique sur la liberté d’expression. Cette décapitation, ce meurtre horrible de Samuel Paty vient « percuter » notre agenda législatif et, par là même, le justifie. Car nous avons bien fait, cher Philippe Bas, d’inscrire en priorité ce combat pour la loi républicaine, contre le totalitarisme islamiste.
Au-delà des larmes, sans doute légitimes, des rassemblements et des marches, les discours…
M. Philippe Pemezec. Ras-le-bol des discours !
M. Bruno Retailleau. … ne parviennent plus à masquer la réalité. La réalité est crue et difficile, mais il faut la regarder en face : nous sommes en train de perdre la guerre contre l’islamisme radical.
M. Philippe Pemezec. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Il faut réagir, et c’est ce à quoi nous vous invitons aujourd’hui, mes chers collègues.
Nous avons de quoi être préoccupés quand nous voyons le chef de l’État attendre la quatrième année de sa présidence pour inscrire à l’ordre du jour un texte contre le séparatisme islamiste. Il faut entendre les préoccupations évoquées il y a quelques minutes par le garde des sceaux, que la règle commune semble gêner…
M. Bruno Retailleau. … et qui rappelle les exceptions pour ne pas avoir à renforcer cette règle commune, laquelle est pourtant explicitée dans l’exposé des motifs du texte.
Le Sénat, ce n’est pas le café du commerce ! Le droit nécessite des précisions : qui peut croire ici que les Ultramarins et les Alsaciens pourraient constituer une menace ? Ce ne sont que des arguties juridiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Marc et Arnaud de Belenet applaudissent également.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Après vous avoir écouté, monsieur le garde des sceaux, j’attends de pied ferme votre texte.
Cet acte odieux doit être pris pour ce qu’il est : c’est non seulement un acte barbare, mais aussi l’application de la charia en France. Dans les collèges de certaines zones territoriales, quels professeurs oseront désormais montrer des caricatures ? Une jeune fille qui se promenait dans une rue de Strasbourg le 18 septembre dernier a été agressée parce qu’elle était en jupe.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On n’en sait rien !
M. Bruno Retailleau. N’est-ce pas là aussi un indice profondément inquiétant ? Nous sommes en train de perdre, mes chers collègues, cette bataille, parce que nous ne croyons pas suffisamment en nos valeurs, en ce que nous sommes.
Alors, certes, nous avons, cher Claude Malhuret, depuis trop longtemps, accumulé trop de lâchetés. Mais c’est parce que nous refusons de livrer une guerre qui doit être un combat global contre le djihadisme violent ! Il faut s’occuper non pas des revenants, monsieur le garde des sceaux, mais des sortants. Que fait-on de la prison qui est devenue, selon Hugo Micheron, un chercheur remarquable, « l’ENA du djihadisme » ? Un autre front est ouvert, celui des enclaves territoriales. Sur ce point aussi, j’espère que le texte qui nous est promis par le Président de la République sera à la hauteur.
Et puis il y a l’espace symbolique des esprits, sans tomber dans le piège ni de l’islamophobie ni de la guerre mémorielle, qui conduit à la « disqualification radicale de la France », pour reprendre l’expression de Pierre Nora, et qui alimente tous ceux qui ont pour la France une haine inextinguible.
Si nous voulons reprendre la main sur la situation, il faudra contrôler l’immigration massive. Le tueur de Villeurbanne était afghan ; l’homme au hachoir devant les anciens locaux de Charlie Hebdo était un faux mineur pakistanais ; celui qui a décapité Samuel Paty était un réfugié tchétchène. Le lien est désormais établi entre l’immigration massive, la difficulté d’assimiler nos valeurs républicaines et la montée des communautarismes, qui est le véritable terreau de l’islamisme.
Notre texte tombe – je le crois – à point. Je voudrais simplement dire, avec toute la sincérité dont nous sommes capables dans cet hémicycle, que ce combat n’est pas partisan. Je me sens plus proche de Jean-Pierre Chevènement, de Manuel Valls et de bien d’autres représentants de la gauche républicaine que de certains membres de ma famille politique.
Que prévoit le texte ? Son article 1er précise ce que doit être la laïcité dans une période de confusion, de brouillage des repères et de revendications identitaires et islamistes. Il explicite la définition de la laïcité, non pas celle que l’on connaît avec la loi de 1905, dirigée vers l’État, mais celle qui s’adresse à chaque citoyen, qui ne peut évoquer ni son origine ni sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune.
Voilà quelle est la règle ! Elle vaut d’être rappelée au sommet de la hiérarchie de nos normes non seulement pour adresser un signal clair aux magistrats, mais également pour donner, comme le disait Philippe Bas, aux principaux de collèges, aux proviseurs, aux chefs d’entreprise, aux dirigeants d’associations, une boussole indispensable à leur vie quotidienne.
L’article 4 de la Constitution est relatif aux partis politiques, lesquels doivent respecter la démocratie et la souveraineté : le texte y ajoute la laïcité. C’est une évidence ! La voie de l’article 89 de la Constitution permettra que se tienne automatiquement un référendum : le moment est venu de consulter le peuple français. C’est tout l’avantage de la proposition de loi constitutionnelle qu’Hervé Marseille, Philippe Bas et moi-même avons cosignée.
Cette clarification est bienvenue, car – on le voit bien – la loi de 1905 ne peut pas tout. Si tel était le cas, monsieur le garde des sceaux, il n’y aurait pas eu la loi de 2004 contre les signes ostentatoires, et une autre loi spécifique n’aurait pas non plus été nécessaire en 2010.
Cette clarification est également utile au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2004. Vous l’avez vous-même souligné, il s’agissait à l’époque de régir les relations entre collectivités publiques, alors qu’avec notre texte nous visons les règlements intérieurs des entreprises, des associations et des clubs sportifs qui peuvent être le foyer d’une radicalisation lorsque les islamistes mettent la main sur ces structures.
Graver une jurisprudence dans le marbre constitutionnel, vous pouvez me croire, c’est important. Car ce que peut faire un juge un jour, un autre juge peut le défaire le lendemain.
Mes chers collègues, la France vient de nouveau de vivre un épisode tragique, extrêmement douloureux. Entre l’école, la République et la France, il y a une identification. Le pacte républicain, le pacte national, c’est le pacte scolaire. Si la IIIe République a appelé les professeurs des « instituteurs », c’est parce qu’il fallait « instituer » un nouveau régime : la République.
On dit parfois qu’il faut toucher à la loi fondamentale d’une main prudente. Je pense qu’il y a de fausses prudences, mes chers collègues, qui sont de vraies lâchetés : le moment est venu non seulement d’affirmer ce que nous sommes, quelles sont nos valeurs, mais aussi d’éradiquer l’islamisme sans aucune concession, en rappelant que la loi de la République est plus forte que la loi religieuse.
Nous pouvons le faire ensemble, monsieur le garde des sceaux. J’ai entendu les appels à l’unité nationale : ici, au Sénat, nous y avons toujours répondu, dans toutes les crises. Mais vous refusez aujourd’hui la main que l’on vous tend. Pour vous, l’unité nationale, c’est dans un seul sens.
Mes chers amis, que vive la République et que vive la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)