M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous statuons, cet après-midi et ce soir, sur l’initiative de groupes politiques qui entendent apporter un accroissement, d’ailleurs plutôt volumineux, à la Constitution sur le champ des relations entre l’État et les collectivités territoriales, relations que ces groupes se donnent pour objectif de transformer en profondeur.
En prenant un peu de recul, j’observe qu’il y a dix-huit ans une majorité politique identique portait la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, qui, de manière beaucoup plus sobre, a établi deux principes qui ont leur place dans la Constitution : celui de la République décentralisée et celui de la garantie des ressources financières des collectivités territoriales.
J’ajoute, pour montrer que l’enthousiasme à élargir la Constitution produit parfois peu d’effet, que, pour compléter le principe selon lequel les collectivités s’administrent librement par des conseils élus, un article 72-1 avait alors été introduit dans la Constitution pour permettre l’organisation de votes directs des citoyens – votes indicatifs ou délibératifs suivant les cas. Or si l’on fait le bilan des dix-sept dernières années, il en a été fait dans nos collectivités un usage particulièrement parcimonieux.
J’estime que cette proposition est d’ordre non pas constitutionnel, mais législatif. Une telle démarche a pour effet de « délayer » la Constitution en la faisant statuer sur des domaines qui ne sont pas de son niveau et de rigidifier la loi : des textes que l’on devrait pouvoir faire évoluer dans le temps par des lois sont ainsi figés dans la Constitution, leur modification nécessitant une procédure beaucoup plus contraignante, au point qu’il est parfois impossible de les modifier, comme nous le voyons sur un certain nombre d’autres sujets.
Nous pensons donc nous positionner de façon défavorable à cette proposition de loi constitutionnelle, et cela en raison de deux objections majeures.
La première tient à l’inscription dans la Constitution d’une faculté de créer des écarts de représentation de 1 à 3 entre citoyens pour l’élection de représentants au sein d’une même assemblée.
Je rappelle d’ailleurs à ceux qui font reproche au Conseil constitutionnel d’avoir établi une relation chiffrée de 1 à 1,5, c’est-à-dire de 80 % de la moyenne à 120 % de la moyenne de population représentée, que cette disposition a été adoptée dans les deux assemblées lors de la révision des circonscriptions en 2009. Tout le monde a alors trouvé naturel de limiter à un écart de 1 à 1,5 le pouvoir de vote et le pouvoir de participation à la délibération générale entre deux citoyens.
Je ne crois pas qu’il soit heureux de porter cet écart de 1 à 2 pour l’élection des assemblées territoriales – dans les conseils départementaux, certains représentants de canton auraient le même pouvoir de vote que deux représentants des cantons voisins – et de 1 à 3 pour l’élection des assemblées intercommunales. Cela nous paraît revenir sur un des principes ancrés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La deuxième objection sérieuse qui nous conduit à nous opposer à cette proposition est la volonté d’affaiblir, voire, en creux, d’abolir le pouvoir de l’État en matière de régulation des services publics lorsqu’ils donnent lieu à des transferts de compétences. L’idée de priver l’exécutif de son pouvoir réglementaire d’application de la loi lorsqu’il tend à régir des compétences qui ont été décentralisées, en oubliant que ces mêmes compétences consistent à exercer des services publics et à assurer des missions d’intérêt public au service des citoyens, cette idée de priver l’exécutif du pouvoir d’établir des normes générales qui sont des garanties d’égalité entre les citoyens nous paraît imprudente et insuffisamment délibérée.
J’ajoute qu’il existe un principe constitutionnel d’accessibilité du droit, en vertu duquel un citoyen doit pouvoir retrouver aisément quel est le droit applicable. Or, si certaines lois différaient dans leurs règles d’application entre nos 100 départements, cette accessibilité du droit deviendrait un défi.
Si ses auteurs ont sans doute des intentions louables, il me semble qu’il y a dans l’inspiration de cette proposition de loi constitutionnelle quelques préoccupations qui ne relèvent pas uniquement de la pensée éthérée et constitutionnelle, et que nous devons nous opposer à ces excès.
En revanche, comme l’a dit Mme la ministre, la proposition de loi organique, elle, établit un schéma de déroulement et de conclusion des expérimentations qui se rapproche du travail préparé par le Gouvernement après de longues concertations. Nous n’avons pas d’objection à cette proposition de loi organique et nous la soutiendrons. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vaste projet pour nous que de vouloir garantir le plein exercice des libertés locales ! Vaste projet, car les vagues de décentralisation se sont succédé, les transferts de compétences également, mais les moyens financiers, eux, se sont souvent réduits.
En parallèle, le rôle des élus a lui aussi évolué – je pense en particulier aux maires de petites ou très petites communes comme il en existe beaucoup chez moi, en Lozère.
D’abord, la montée de l’individualisme a profondément changé le rapport maire-administrés. Loin de la figure tutélaire, le maire est souvent désigné comme le premier responsable des dysfonctionnements face à des administrés toujours plus exigeants.
Ensuite, l’inflation législative a créé de nombreuses contraintes pour nos territoires : ils n’ont souvent ni les moyens financiers ni l’ingénierie nécessaires pour y faire face.
Dernière évolution, et non des moindres, l’intercommunalité, qui, si elle peut être un formidable catalyseur à l’échelon local, a aussi ses failles – nous les connaissons. La principale est la faible représentation des petites communes, qui fait que certaines d’entre elles, faute d’être considérées, se désintéressent du fait intercommunal, voire s’y opposent frontalement.
Si les objectifs de ces propositions de loi sont louables, le RDSE est partagé sur la mise en œuvre proposée – nous y reviendrons.
Concernant les dispositions visant à garantir une représentation équitable des territoires, notre groupe, comme en 2014, est pleinement favorable à la constitutionnalisation de ce principe. Sa mise en œuvre concrète, par la hausse des limites maximales d’écart de représentation, est une avancée appelée depuis de nombreuses années par les élus des petites communes et par le RDSE. Nous ne pouvons donc qu’y être favorables. Couplée à cette mesure, la clause générale de compétence vient rappeler l’importance de la commune dans l’édifice juridique français.
S’agissant de l’adaptation des compétences des collectivités aux réalités locales, nous sommes favorables aux dispositions de l’article 2 de la proposition de loi constitutionnelle, qui permet de clarifier l’exercice du pouvoir réglementaire local. Cet article s’inscrit dans la droite ligne du principe de libre administration des collectivités reconnu par l’article 72 de notre constitution. Cet ajout permettra la différenciation prévue à l’article 3.
L’octroi de compétences distinctes à des collectivités locales de même échelon, s’il peut parfois s’avérer nécessaire, doit rester calibré pour être efficace. Notre crainte est une différenciation sans borne qui conduirait à une disparition progressive des trois échelons que sont la région, le département et la commune. Or force est de constater que cette version ne nous satisfait pas : l’alinéa 8 de l’article 3 de la proposition de loi constitutionnelle renvoie à une future loi organique, mais ne donne pas de cap.
Plus globalement, la méthode employée nous dérange. Personne ici n’est sans savoir que le projet de loi 3D sera prochainement examiné. C’est pourquoi l’examen de ce texte, inscrit à l’ordre du jour il y a quelques semaines seulement, nous interroge. Non pas que le Sénat ne devrait plus prendre d’initiatives – loin de là –, mais, sur ces sujets de grande importance, tâchons de travailler en bonne intelligence pour établir un texte à la hauteur des attentes des élus locaux.
Pour en revenir aux textes que nous examinons, je rappelle que le RDSE a toujours été favorable à l’autonomie fiscale et financière des collectivités locales, mais l’autonomie proposée par la majorité sénatoriale suscite des inquiétudes sur nos travées. Si le RDSE est attaché à la liberté, nous estimons qu’elle ne doit pas s’apparenter à une concurrence organisée entre les territoires. Nous craignons que l’autonomie que vous proposez ne débouche sur une mise à mal de la péréquation, avec des communes riches qui vont devenir toujours plus riches et des communes pauvres qui vont l’être encore plus.
Élue d’un département hyper-rural, ces questions me touchent tout particulièrement ; c’est pour cela que j’en appelle à votre vigilance. On me répondra que les transferts de compétences sont compensés intégralement à date de ces transferts, mais il y a aussi des charges financières qui continuent d’augmenter. Par exemple, les départements ont la charge de l’aide sociale, qui – crise oblige – va continuer à augmenter.
Si nous sommes naturellement favorables aux mesures visant à consacrer une représentation équitable des territoires, nous avons des craintes quant à vos conceptions de la différenciation et de l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, dans la liberté qui le caractérise, le groupe RDSE sera partagé entre abstention et vote favorable sur ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre des propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, « pour le plein exercice des libertés locales », nous amène inévitablement à questionner ce périmètre.
Commençons par ce qui nous rassemble et par ce que nous partageons.
Nous partageons tout d’abord le constat des résultats désastreux des réformes qui se sont enchaînées, tant de l’organisation des collectivités que de la fiscalité locale. Au cours des dernières années, les principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités ont été méprisés par les gouvernements.
La réforme de la taxe d’habitation, puis la baisse de la fiscalité économique locale proposée dans le projet de loi de finances pour 2021 se situent malheureusement dans cette droite ligne.
Les élus locaux sont à bout face à l’érosion de leurs marges de manœuvre et face au comportement autoritaire du Gouvernement, qui leur impose cette austérité budgétaire. Aucune collectivité ne se satisfait de cette situation, madame la ministre. Chacune essaie pourtant de s’en sortir tant bien que mal, mais, au final – nous le savons –, ce sont nos concitoyens qui demain paieront plus pour avoir accès aux mêmes services publics locaux.
Puisque nous nous retrouvons sur ces constats, nous partageons aussi une partie des solutions. Tout d’abord, la reconnaissance dans la Constitution de la clause générale de compétence des communes est une bonne chose.
Depuis quelques années, cette clause est régulièrement mise à mal. Elle a d’ailleurs été supprimée pour les départements et les régions, ce qui est fort regrettable – nous le mesurons davantage encore à l’aune des interventions nécessaires pour faire face à la crise sanitaire. Réaffirmer cette clause pour les communes va dans le bon sens ; nous l’avons d’ailleurs toujours défendue.
Cette clause de compétence assure aux élus locaux de l’espace, de la liberté pour innover, adapter sur le terrain tout en restant dans le cadre républicain de l’égalité des citoyens devant la loi. Car oui, monsieur Ravier, la loi est la même pour tous et partout en République. Cela ne remet pas en cause la libre administration des collectivités territoriales, mais garantit à chacune et à chacun, quelle que soit sa condition sociale et territoriale, d’être un citoyen de la République. Je note d’ailleurs que M. Ravier, bien que passionné par les collectivités territoriales, nous a déjà quittés…
Indissociable de la liberté locale, l’autonomie financière est le levier d’action des élus : sans finances, il n’y a pas de compétences. Les coupes dans les ressources propres sont depuis trop longtemps dissimulées de manière artificielle par le remplacement d’impôts locaux avec un pouvoir de taux par des compensations et transferts de parts d’impôts nationaux.
Nous évoluons vers une fiscalité locale recentralisée, qui est non plus un outil budgétaire dans les mains des élus, mais un outil d’assujettissement du Gouvernement. Sans capacité d’action locale ni maîtrise des ressources financières, le lien entre citoyens et élus locaux s’étiole, et la démocratie locale, vidée de toute concrétisation, perd tout son sens.
Ne nous cachons pas derrière la crise sanitaire pour expliquer les faibles taux de participation aux élections municipales : ils s’expliquent par l’incapacité dans laquelle les élus locaux se trouvent aujourd’hui à répondre aux besoins de plus en plus urgents de leurs concitoyens.
Dans ce partage des constats et des solutions, il y a toutefois un « mais ». Prudents, il nous faut l’être sur le périmètre de ce que chacun nomme « libertés locales » et sur ce que nous sommes tentés d’y faire entrer : à chacun sa définition, certes, mais il nous faudra in fine en avoir une définition commune.
La crise actuelle a créé une tension inévitable et incontestable entre le local et le national. L’action et la communication gouvernementales ont beaucoup déçu. De nombreux élus et citoyens se sont retrouvés démunis, et encore aujourd’hui, madame la ministre, face à l’absence de concertation pour l’instauration du couvre-feu.
Des velléités d’indépendance accrue ont donc pu se développer dans ce climat prônant un pouvoir local plus apte que le national à réagir. C’est souvent vrai, mais de telles demandes peuvent aussi se trouver mêlées aux désirs et particularismes locaux qui menacent le cadre républicain d’unicité et d’indivisibilité de la France, d’où le besoin de plus de décentralisation, mais aussi de plus de République, de plus de déconcentration pour sécuriser l’action des élus locaux.
C’est dans ce contexte que vous proposez d’introduire les concepts de représentation équitable des territoires et de différenciation territoriale. Les débats à ces sujets sont légitimes et doivent nourrir notre réflexion.
La différenciation que vous proposez de développer par l’attribution de compétences différentes aux collectivités et la possibilité de déroger aux lois et règlements nationaux nous paraissent dangereuses en l’état. Comme l’indiquent les auteurs des propositions dans l’exposé des motifs, cela aboutira à moins de normes, à moins de contraintes,…
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. … mais aussi – j’en termine, monsieur le président – à moins de protection pour les citoyens. Il y a donc de réels risques de ne plus contrôler ce que la différenciation créera.
En cette période compliquée, la prudence nous semble donc être le maître mot. C’est pourquoi, en l’état, le groupe CRCE votera certains articles, mais il ne votera pas ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur ces travées, depuis toujours, nous veillons à l’autonomie et au respect de nos collectivités. Nous veillons à ce que leurs dotations ne baissent pas et à ce que les élus soient reconnus. Pour autant, nous n’avons pas toujours été entendus, en particulier lors du débat sur la loi NOTRe, loi que beaucoup aujourd’hui considèrent comme funeste.
Aujourd’hui, si j’ai bien compris ce que nous a expliqué le Premier ministre, ici même, au Sénat, la commune n’est plus une entité grenouille à faire grossir en bœuf. Le département semble même retrouver ses lettres de noblesse. Il me paraît donc que le moment est à saisir pour repenser, adapter, voire alléger le fonctionnement de nos collectivités.
Tel était l’objectif de la délégation aux collectivités territoriales dont je salue, au nom du groupe Union Centriste, l’ancien président Jean-Marie Bockel, qui a su traduire la volonté des élus locaux dans les « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales ». Ces 50 propositions ont donné naissance à trois propositions de loi dont nous étudions aujourd’hui les volets constitutionnel et organique.
Au travers des présentes propositions de loi, quatre objectifs sont recherchés : assurer une représentation équitable des collectivités, adapter leurs compétences à leur réalité, garantir leur autonomie financière et, enfin, réviser le régime constitutionnel de nos collectivités ultramarines.
Une représentation équitable implique que l’écart entre le nombre d’élus représentant le territoire et le nombre d’élus censés le représenter en fonction de sa démographie puisse atteindre 50 %.
Combien de communautés de communes ou de communautés d’agglomération dysfonctionnent-elles, parce que les plus petites communes n’ont plus voix au chapitre et que la ville-centre, majoritaire à elle seule, gère l’agglomération comme si c’était chez elle, et uniquement chez elle ? Et je ne parle pas de la métropole de Lyon au sein de laquelle certaines communes ne sont plus représentées, niées, trop petites, alors que le confinement nous a prouvé la véritable utilité des petites communes.
Parlons des compétences, maintenant.
Ces textes permettront une adaptation des compétences en fonction de ce que les collectivités peuvent, veulent ou non réaliser. Il me semble que c’est le volet le plus difficile à mettre en œuvre. Il est clair que le fait de permettre à une collectivité d’exercer une mission qu’elle souhaite exercer alors que, dans la collectivité voisine, c’est à un autre échelon que l’affaire se traite, cela revient à créer de l’inégalité.
Mais doit-on empêcher une commune de réaliser une action qui relève du ressort communautaire si l’EPCI ne s’en saisit pas ? Les communes en question, me direz-vous, disposent peut-être de moyens que les autres n’ont pas. Mais peut-être veulent-elles justement mettre les moyens que d’autres ne souhaitent pas y consacrer. Et peut-être est-ce cela justement faire de la politique ?
C’est pourquoi il est bon de voir un texte limitant le pouvoir réglementaire national sur les collectivités, tout comme il est bon de constitutionnaliser la clause de compétence générale des communes.
Alors, c’est vrai, il n’y aura pas les mêmes avantages à vivre dans la collectivité X que dans la collectivité Y, mais c’est à cela que servent les élections : choisir ses élus et son cadre de vie.
J’aimerais également saluer la reconnaissance dans la proposition de loi organique des études d’impact et des avis du Conseil national d’évaluation des normes, ainsi que la possibilité introduite par nos collègues socialistes de faire appel à des organismes publics indépendants pour réaliser ces études d’impact.
Toujours parmi les sujets de satisfaction, j’ajoute l’allongement de la période d’expérimentation et la possibilité, au terme des expérimentations, de les étendre à tout ou partie – et c’est bien entendu le mot « partie » qui m’intéresse – du territoire.
Évoquons les ressources, ensuite.
Comment ne pas approuver que celles-ci puissent être déconnectées des impôts nationaux, sur lesquels les collectivités n’ont aucune prise ? Par ailleurs, on nous retire la taxe d’habitation, coupant ainsi un lien fort – quand bien même n’est-il pas agréable – entre la commune et ses habitants. Tailler dans les ressources propres des communes revient à mettre ces dernières sous tutelle, car on les rend ainsi dépendantes des dotations. Comment définir une politique si l’on ne peut définir les moyens à y consacrer ?
Je comprends donc cette dissociation même si, là encore, je crains que nous n’attendions longtemps avant que celle-ci puisse s’appliquer. En revanche, et cela devrait être mis en place rapidement, il est indispensable de prévoir le réexamen régulier des moyens affectés aux politiques décentralisées. Je peux citer l’Yonne, département de 350 000 habitants auquel, avant la crise, il manquait 50 millions d’euros pour boucler le budget lié au revenu de solidarité active (RSA), compte tenu de ce que lui donne l’État.
Cela doit nous servir d’exemple, afin que nous n’acceptions pas une nouvelle décentralisation – quand bien même serait-elle souhaitée – sans compensation financière et sans clause de réexamen régulier.
Mentionnons les collectivités ultramarines, enfin.
Notre groupe compte des élus ultramarins, qui ont su nous sensibiliser à leurs problèmes. Notre collègue Lana Tetuanui a proposé plusieurs amendements, qui ont été rejetés par la commission. Ils visaient à aider la collectivité de Polynésie – mais les difficultés rencontrées par les uns doivent l’être par les autres – à mieux s’administrer.
Pour autant, dans sa sagesse, la commission a limité l’intervention de ces propositions de loi sur les articles 73 et 74 de la Constitution, ouvrant le débat, mais préférant laisser mûrir les sujets avant de les faire entrer dans la loi.
En conclusion, je rappelle que toutes nos collectivités – je dis bien « toutes » –, si proches ou lointaines soient-elles de Paris, ont besoin de souplesse et de réactivité de la part de l’État. Toutes ont besoin de bon sens et d’agilité. Ces propositions de loi en apportent : c’est pourquoi le groupe Union Centriste les votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, confiance, proximité, autonomie, ce sont davantage que trois mots : ce sont les socles des libertés locales, les bases d’une gestion locale à la hauteur des attentes de nos concitoyens, les fondements de la cohésion nationale tant ébréchée aujourd’hui.
La représentativité est en crise : face au besoin de proximité, c’est encore le sentiment d’éloignement qui règne aujourd’hui. La crise des gilets jaunes a mis en exergue le sentiment d’abandon dans nos territoires et dans notre réalité.
Or, chaque fois, les réformes – loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, et loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi Maptam – ont contribué à éloigner encore plus nos concitoyens de leurs élus et à accroître le millefeuille territorial.
Or nos concitoyens retrouveront le chemin des urnes lorsqu’ils auront le sentiment que les décideurs, les élus, l’administration apportent des solutions à leurs préoccupations dans une démarche sincère, désintéressée et efficace.
À cela s’ajoute le trop-plein de normes générales, édictées d’en haut. L’horizontalité de la prise de décision doit succéder à la verticalité. Comme le met en valeur la présente proposition de loi constitutionnelle, à la centralité jacobine doivent désormais succéder une décentralisation plus approfondie et la confiance en nos élus locaux : ces derniers ont la connaissance et l’expérience du terrain que ne possède pas le pouvoir central. Cette étape nécessaire permettra de retrouver la proximité.
Le principe de subsidiarité devrait être appliqué face à la logique réglementaire centralisée, qui domine en France. Aussi, la territorialisation des politiques publiques doit aujourd’hui devenir un impératif. Nous devons tenir compte, dans la fabrication de la loi, des différentes réalités des territoires. Nous devons donner la possibilité à nos territoires, comme le propose le présent texte, d’adapter les règles à leur réalité. Nos concitoyens demandent que leur réalité soit écoutée, et cette demande est légitime : c’est la base de la cohésion nationale, de l’équité territoriale et des libertés locales.
La crise sanitaire a une fois de plus mis en évidence la responsabilité, la capacité à réagir et à gérer, l’exemplarité de nos collectivités locales, de nos communes, pour faire face à une situation urgente et assurer une gestion au quotidien dans l’inconnu. Celles-ci ont fait preuve de réactivité, alors qu’elles avaient été honteusement balancées auparavant avec le hashtag #BalanceTonMaire.
La clause générale de compétence de nos communes doit donc assurément être consacrée dans la Constitution. Nos communes ont largement fait leurs preuves et ont, une fois de plus, été au front : après la première ligne des soignants, nos maires et nos élus locaux étaient en deuxième ligne. Elles doivent donc garder les moyens de leur action sur le moyen et le long terme.
L’État doit leur faire confiance, mais, la confiance, cela ne se décrète pas : cela se vit au jour le jour, dans l’exercice des fonctions et dans la facilité accordée à la résolution des problématiques.
Ces propositions de loi sont l’occasion pour l’État de montrer sa confiance aux élus locaux. Vous devez saisir cette opportunité, madame la ministre, pour renouer le lien avec nos collectivités locales, nos communes, nos territoires.
Renouer le lien, c’est aussi renouer avec la proximité telle que l’affirmait la proposition de loi organique visant à garantir une République de proximité de notre collègue Rémy Pointereau, qui prévoyait très justement la possibilité d’exercer de manière concomitante un mandat de parlementaire et celui de maire d’une commune de moins de 9 000 habitants ou celui de président d’une intercommunalité de moins de 15 000 habitants.
Des parlementaires déconnectés du terrain, on en voit depuis trois ans ! Ils n’ont pas véritablement fait leurs preuves…
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. La suppression de la réserve parlementaire est allée dans le même sens : elle est révélatrice d’un État jacobin, qui donne du pouvoir aux représentants de l’État et l’enlève aux élus de terrain. (Très bien ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Or nos édiles locaux portent la légitimité à élaborer et à soutenir des projets de territoire.
Enfin, qu’on le redise à l’occasion de l’examen de cette brillante proposition de loi constitutionnelle : la liberté passe par l’autonomie et, notamment, l’autonomie financière. La pratique actuelle va à l’encontre de celle-ci, à l’exemple de la suppression de la taxe d’habitation par l’État, sans pour autant que la ressource supprimée soit suffisamment compensée. Il s’agit d’une atteinte claire à la liberté d’action de nos collectivités locales : c’est inacceptable ! Cela va à l’encontre de la demande de démocratie locale de nos concitoyens. Cela va à l’encontre de la demande de davantage de proximité.
Pour conclure, mes chers collègues, madame la ministre, je dirai tout simplement : arrêtons de faire de l’aménagement du territoire et faisons de l’aménagement des territoires ! Il me semble essentiel d’affirmer que, pour nous élus, la décentralisation ne peut que s’effectuer et se vivre dans la confiance, la proximité et l’autonomie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)