M. Jean Hingray. Le présent amendement vise à valoriser et encadrer la participation des établissements privés à but non lucratif en contrat avec l’État à l’effort national de recherche.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour présenter l’amendement n° 74 rectifié.

M. Max Brisson. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour présenter l’amendement n° 132 rectifié bis.

M. Stéphane Piednoir. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laure Darcos, rapporteure. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Messieurs les sénateurs, ce que vous demandez existe déjà.

En effet, la recherche fait partie des missions de service public de l’enseignement supérieur énoncées dans le code de l’éducation ; en concourant à ces dernières, les Eespig ont naturellement une mission de recherche.

De plus, les contrats comprennent six thématiques obligatoires, parmi lesquelles la recherche. La qualification d’Eespig nécessite que les formations et les diplômes visés ou conférant grade soient adossés à la recherche, ce qui impose qu’on puisse reconnaître une activité de recherche à ces établissements.

Vous souhaitez qu’un dialogue financier soit prévu tous les trois ans. L’élaboration du contrat pluriannuel d’établissement entre l’État et les Eespig comprend déjà une annexe financière et permet donc ce dialogue régulier.

Enfin, vous souhaitez l’introduction d’un nouveau chapitre dans le code de la recherche comprenant un article unique relatif aux Eespig pour indiquer que ces établissements concourent à la mission de service public de la recherche et sont évalués par le Hcéres. Comme je l’expliquais précédemment, ils y concourent déjà. Par ailleurs, les amendements que vous avez adoptés prévoient des évaluations par d’autres organisations que le Hcéres : l’évaluation que vous souhaitez introduire serait donc redondante.

Je demande le retrait de ces trois amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 60, 74 rectifié et 132 rectifié bis.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 12.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article additionnel après l'article 12 - Amendements n° 60, n° 74 rectifié et 132 rectifié bis (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur
Discussion générale

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Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Pierre Jourdan, qui fut sénateur de l’Ardèche de 1971 à 1980.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

6

Hommage aux victimes d’une attaque terroriste survenue à Nice

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, attentat après attentat, la France des Lumières s’assombrit. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Quelques jours après l’abominable assassinat de Samuel Paty, le terrorisme islamiste vient de nouveau de frapper en la basilique Notre-Dame de l’Assomption, ce matin, à Nice, ville tellement meurtrie.

Je tiens, au nom du Sénat, à exprimer notre compassion et notre soutien aux familles des victimes et à leurs proches. J’ai une pensée émue pour les catholiques de France durement éprouvés en cette veille de fête de la Toussaint. Je pense aussi au père Hamel lâchement assassiné dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray au mois de juillet 2016. Je pense aux Niçoises et aux Niçois encore une fois éprouvés.

L’islamisme radical a déclenché contre notre pays une offensive de grande ampleur. Ces actes constituent une agression contre notre peuple, contre notre identité et contre – j’ose le mot – notre civilisation et les valeurs qu’elle porte. S’attaquer à une église, à un temple, à une synagogue ou à une mosquée, c’est s’attaquer à la République tout entière. Je pense au principe défini par Aristide Briand selon lequel la loi doit protéger la foi tant que la foi n’entend pas dicter la loi.

Nous sommes à la croisée des chemins. Faiblir, c’est renoncer. Renoncer, c’est abdiquer. Abdiquer sur les valeurs qui ont construit notre nation et notre République.

Notre combat est celui des Lumières contre l’obscurantisme. Aujourd’hui c’est l’esprit de la résistance qui doit nous animer ; c’est une nation solidaire et unie face à ce qui est désormais un ennemi – j’ose le mot – clairement désigné. Le Sénat, dans sa diversité, sera à la hauteur de ses responsabilités.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous invite à observer, non pas comme une répétition ou une forme de litanie, car nous ne cessons de nous recueillir en ces temps difficiles, un moment de recueillement, mais aussi d’engagement, en mémoire des victimes de cet attentat et de toutes celles et de tous ceux à qui nous devons d’être une République debout. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)

7

Évolution de la situation sanitaire et mesures nécessaires pour y répondre

Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative à l’évolution de la situation sanitaire et aux mesures nécessaires pour y répondre, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en effet dans un contexte particulièrement dramatique, après l’attentat atroce qui vient d’être perpétré à Nice, que je m’adresse à vous cet après-midi

Le Président de la République s’est rendu sur place. Et il était de mon devoir d’être présent ici, au Sénat, dans le cadre de mes fonctions, comme cela était prévu. La vie démocratique, que certains souhaitent abattre, doit plus que jamais suivre son cours.

La France subit une nouvelle fois une attaque sanglante. La République doit rester debout. Et c’est pour cette raison que je prononcerai depuis cette tribune le discours que j’avais préparé à votre intention.

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que le vendredi 16 octobre, avec le meurtre de Samuel Paty, c’est la liberté d’expression et d’enseigner qui étaient prises pour cibles. Aujourd’hui, avec les victimes de Nice, c’est la liberté de culte et, au-delà, la liberté de conscience qui sont attaquées.

Dans cette heure d’une gravité exceptionnelle où l’émotion du pays est à son comble, permettez-moi d’adresser, au nom du Gouvernement, mes plus profondes condoléances aux familles et aux proches des victimes. Je tiens également à exprimer un message de soutien, en notre nom à tous, aux catholiques de ce pays frappés au cœur, dans une de leurs églises et à la veille des fêtes de la Toussaint.

Le Président de la République a immédiatement convoqué pour demain un conseil de défense et de sécurité nationale, et j’ai d’ores et déjà porté le plan Vigipirate au niveau « urgence attentat » sur l’ensemble du territoire national.

Non, vous avez raison, monsieur le président, la République ne faiblira pas, la République n’abdiquera pas !

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut remonter à près d’un siècle dans l’histoire de la France, de l’Europe et du monde pour trouver une crise sanitaire comparable à celles que nous vivons.

Hier soir, le Président de la République a souhaité s’adresser directement aux Françaises et aux Français pour leur faire part des décisions qui ont été prises pour affronter l’épidémie. Il me revient aujourd’hui, comme l’article 50-1 de la Constitution m’y autorise, de venir devant vous pour vous présenter tout à la fois les raisons et les modalités de ces nouvelles mesures. Il nous appartiendra ensuite d’en débattre. Et il vous reviendra de vous prononcer.

Je tiens d’emblée à dire devant la Haute Assemblée avoir parfaitement conscience que nous demandons à nos concitoyens, dans une période déjà particulièrement troublée, de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices, rendus nécessaires par cette nouvelle flambée de l’épidémie.

Cette flambée, vous le savez, ne concerne pas que la France ; l’ensemble des pays européens y est aujourd’hui soumis. L’accélération brutale et soudaine, en large partie imprévue avec une telle intensité, y compris par la communauté scientifique, nous oblige à agir plus fortement encore. Car ce virus, convenons-en tous ensemble, doit appeler chacune et chacun à la plus grande humilité. Le caractère totalement inédit de cette crise et les difficultés à y faire face tiennent, en effet, à ce que ce virus n’existait pas il y a encore un an et reste toujours, en large part, imprévisible.

La France, à l’instar de ses voisins, a déconfiné de manière progressive et territorialisée à partir du 11 mai. Dès que les signes de reprise épidémique se sont manifestés cet été, elle a adopté une réponse également progressive et territorialisée, toujours à l’instar de ses voisins.

Devant la Haute Assemblée, dont je connais l’attachement à la France des territoires, au dialogue et à la proximité, je tiens à saluer les élus locaux. Je suis en relation permanente avec ces élus depuis des semaines et voudrais souligner leur grand sens des responsabilités. Dans la gestion de cette crise, le couple préfet-maire, dont je me suis toujours fait l’ardent promoteur, fonctionne très bien. Je remercie également les régions et les départements de leur mobilisation constante.

Toutefois, cette stratégie se heurte aujourd’hui à la flambée de l’épidémie, j’insiste sur ce mot. Je l’ai dit ce matin devant l’Assemblée nationale et vous le savez : aucun pays d’Europe n’est épargné. Je discute régulièrement avec mes homologues de la situation à laquelle ils sont confrontés et des mesures qu’ils prennent.

En France, l’épidémie est désormais partout et sévit sur l’ensemble des territoires. Si la mortalité, comme pendant la première vague, affecte principalement des personnes très âgées, la maladie frappe toutes les générations, avec des formes graves et des séquelles parfois lourdes et durables.

Aujourd’hui, 60 % des lits de réanimation sont occupés par des patients covid, soit deux fois plus qu’il y a quinze jours. Nous allons devoir gérer un mois de novembre avec un pic d’hospitalisations vraisemblablement plus élevé qu’au mois d’avril dernier. L’accélération du virus nous oblige à presser la mise en œuvre de nouvelles mesures sanitaires

C’est la raison pour laquelle le Président de la République a décidé d’instaurer un nouveau confinement à l’échelle du pays tout entier jusqu’au 1er décembre avec des adaptations pour les seuls départements et territoires d’outre-mer. Tous nos voisins européens sont ou seront contraints d’adopter des mesures similaires, et ce pour une raison simple : c’est la seule solution pour sauver des vies.

Il ne m’a pas échappé que certains soutiennent que multiplier les lits de réanimation suffirait à endiguer l’épidémie. Mais c’est refuser de comprendre que les murs et les lits ne suffisent pas, que l’on ne forme pas un médecin réanimateur ou une infirmière spécialisée en six mois. Quand bien même, mesdames, messieurs les sénateurs, pourrions-nous augmenter sans limites nos capacités hospitalières, ce raisonnement supposerait que nous acceptions de voir le nombre de morts et de personnes intubées s’envoler. C’est exactement vers le contraire que nous devons aller : prévenir plutôt que guérir, empêcher l’épidémie de progresser.

Par ailleurs, il est une seconde idée fausse que je ne peux pas laisser prospérer et que j’entends bien combattre devant vous. Certains, en effet, proposent de confiner les plus vulnérables de nos concitoyens, à commencer par les personnes âgées. Qui peut croire qu’il serait possible d’établir un mur étanche entre les aînés et le reste de la population ?

Il est tout aussi faux de penser que l’on pourrait laisser galoper impunément l’épidémie dans toute la population sans qu’elle finisse par atteindre celles et ceux que nous cherchons justement à protéger.

Pourtant, nous savons d’expérience que le confinement n’est pas exempt de graves conséquences économiques, psychologiques et sociales. C’est la raison pour laquelle la nouvelle forme de confinement que nous avons décidée sera différente de celle que nous avons connue au printemps dernier. Nous avons appris et tiré des leçons de la première vague.

Première différence majeure : les établissements scolaires resteront ouverts. Le confinement du printemps dernier a accru le risque de décrochage scolaire pour les enfants, en particulier les plus défavorisés. Je sais également que les enseignants ont été alors affectés d’être séparés de leurs élèves, mais je sais aussi pouvoir compter sur leur dévouement et leur attachement à l’école de la République, à un moment où elle a été attaquée avec la volonté de l’intimider.

Au-delà de l’école, nos grands services publics – je pense à La Poste ou aux guichets des administrations – doivent également continuer à fonctionner dans cette nouvelle phase. Aussi, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées resteront ouverts ; et il en ira de même du secteur périscolaire.

Dès la rentrée de lundi, en dehors du renforcement général de nos mesures de sécurité, le protocole sanitaire applicable à ces établissements sera renforcé pour assurer la protection de tous : enfants, enseignants, parents d’élèves. Conformément aux avis que nous ont transmis hier la société française de pédiatrie et le Haut Conseil de la santé publique, le port du masque sera étendu aux enfants du primaire dès l’âge de 6 ans.

Alors que la France avait connu une récession parmi les plus fortes en Europe avec le confinement du mois de mars, tout doit être fait, cette fois-ci, pour éviter de connaître une chute de l’activité économique aussi brutale. Il ne peut être question de mettre de nouveau notre économie sous cloche. Le plus grand nombre d’entre nous doit continuer à pouvoir travailler, autant que possible, dans des conditions sanitaires optimales, tout en stoppant la circulation virale.

Pour cela, le recours au télétravail doit être organisé de la manière la plus massive possible dans les entreprises comme dans les administrations publiques. S’agissant de ceux pour qui le télétravail est impossible et dont les activités resteront autorisées, des attestations dérogatoires permettront de poursuivre leur activité.

Le secteur du BTP doit continuer à travailler, nos usines doivent fonctionner et les agriculteurs poursuivre leurs activités. Pour autant, nous le savons, mesdames, messieurs les sénateurs, ce confinement aura, malgré notre volonté de l’adapter, des conséquences sociales et économiques lourdes, en particulier pour les secteurs déjà fragilisés qui vont de nouveau faire l’objet d’une fermeture administrative. C’est aussi ce défi considérable que nous devons relever.

Je comprends la difficulté immense et la détresse qui touchent ceux que, pour des motifs d’intérêt général sanitaire, l’on empêche de travailler. Comme lors de la première vague, les commerces, à l’exception de ceux de première nécessité, seront fermés, ainsi que les bars et les restaurants. Seront également fermées les entreprises de l’événementiel, du sport, et les secteurs du cinéma et du spectacle vivant cesseront leur activité. Suspendre temporairement ces activités est particulièrement douloureux, car il y va aussi de l’esprit français. Mais nous devons à nos concitoyens une ligne claire et des décisions lisibles.

Je pense aussi à ceux dont l’activité qui, sans être formellement interdite, subit de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire : le tourisme, l’hôtellerie, l’aéronautique et l’automobile. Nous ferons tout pour accompagner ces secteurs, leurs salariés et en particulier les indépendants, afin de repousser et d’éviter le risque de faillite.

L’État, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, a déployé, au cours de la première vague, des mesures de soutien tout à fait exceptionnelles saluées en Europe comme étant parmi les plus ambitieuses. Ces mesures seront reconduites et amplifiées, car nous savons que notre tissu économique a été particulièrement fragilisé depuis le printemps dernier.

Mercredi, le conseil des ministres adoptera un nouveau projet de loi de finances rectificative pour l’exercice 2020 prévoyant une enveloppe de 20 milliards d’euros supplémentaires pour financer ces mesures de soutien exceptionnel. Ces dépenses, que nous devons assumer ensemble, sont d’abord un investissement, car elles ont pour objet de limiter le coût économique, financier, mais surtout humain de cette pandémie.

Le Gouvernement a parfaitement conscience que certains de nos concitoyens ont souffert plus que d’autres depuis le début de cette crise et que ce sont les mêmes qui seront tout particulièrement affectés par ce nouveau confinement ; je pense évidemment aux jeunes, aux indépendants, aux travailleurs dits « de la deuxième ligne », aux personnes fragiles et précaires.

En concertation avec les partenaires sociaux que j’ai reçus en début de semaine et dont je salue le haut sens des responsabilités, avec les associations et les organisations professionnelles, nous allons renforcer les solutions adaptées à leur situation. Permettez-moi de m’adresser directement à eux, à travers vous, pour leur dire que la solidarité nationale continuera à se déployer pleinement.

Les mesures que nous prenons sont particulièrement difficiles à accepter pour une population qui a déjà affronté de longues semaines de confinement au printemps dernier. C’est la raison pour laquelle la situation sera soumise à une première évaluation au bout de quinze jours, afin d’ajuster éventuellement ce dispositif. Nous sommes déjà à pied d’œuvre pour anticiper l’échéance du 1er décembre, pour améliorer encore nos outils de prévention, pour tester mieux et plus, pour alerter plus vite, pour protéger de manière plus efficace, pour vivre avec ce virus jusqu’à ce que la science nous permette d’en venir à bout.

Nos concitoyens sont inquiets, beaucoup sont en souffrance. Tous sont concernés par cette maladie, tous sont menacés par la crise économique qui en résulte. Cette crise, mesdames, messieurs les sénateurs, est finalement un rendez-vous avec nous-mêmes. Car la vie avec le virus, la maîtrise de l’épidémie reposent avant tout sur notre responsabilité individuelle et collective. Une part de la solution est entre les mains de chacune et chacun d’entre nous. Adaptons nos comportements, respectons les gestes barrières. Protégeons-nous, protégeons les autres, y compris chez nous.

Nous devons tous nous hisser à la hauteur des circonstances exceptionnelles que traverse la France. Nous vivons un moment particulièrement difficile. Nous devons affronter avec le virus un ennemi qui n’a ni stratégie, ni tactique, ni volonté particulière, mais qui tue. Aujourd’hui, si la France est de nouveau horrifiée et endeuillée, la République tient debout.

La double épreuve qui nous frappe est totalement inédite. Nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, faire corps. Nous faisons le choix de la vie et de la solidarité, car finalement c’est le seul qui s’impose. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de plusieurs présidents de groupe, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures, est reprise à quinze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.

Dans le débat, la parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays vit des heures noires.

La concorde nationale n’est pas, dans cette situation, quand il s’agit de préserver notre pacte républicain et notre modèle de société, une vaine expression. Soyons à la hauteur de l’attente des Français, qui ont besoin d’être rassurés, qui ont besoin de solidarité et qui ont besoin de se projeter, y compris dans la confiance en leurs dirigeants. L’angoisse, le désespoir, la peur, l’absence de perspectives composent le terreau fertile d’un potentiel délitement et affaiblissement de notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

Dans ce climat si inquiétant, mes premiers mots de compassion, après l’effroi et la sidération, vont vers les victimes du fanatisme islamiste, qui a encore frappé les habitants de la ville de Nice, une nouvelle fois meurtrie au travers de son église catholique. Je pense aussi à nos forces de sécurité, qui ont arrêté l’auteur de cette attaque ignoble et qui méritent plus que jamais notre respect, un respect à la hauteur de leur dévouement.

Ce dévouement et cette résilience, nous les retrouvons aujourd’hui dans chaque foyer français. Ainsi, je souhaite rendre hommage aux soignants, qui vont être une fois de plus en première ligne, alors que leur résistance physique et psychologique, héroïque bien souvent, a été fortement éprouvée. Et les semaines qui viennent, mes chers collègues, seront un enfer pour ces personnels soignants.

Je souhaite rendre hommage aux travailleurs qui ne pourront pas se confiner et qui continueront, malgré les risques pour leur santé, à faire en sorte que notre pays reste debout. J’aurai également une pensée pour nos compatriotes qui ont été touchés par ce virus, avec parfois des conséquences sur le long terme, pour ceux qui ont perdu des proches, pour ceux qui se battent actuellement contre cette maladie. J’aurai enfin une pensée pour une partie de nos concitoyens les plus fragiles, qui vont être confrontés à la solitude et la précarité.

Voilà neuf mois que la pandémie est entrée dans la vie de tous les Français. Elle l’a changée, percutée, détruite pour certains. Nous nous retrouvons ce jour au Parlement, dans cette enceinte qui est l’émanation du peuple français, pour évoquer les nouvelles mesures prises pour contrer la deuxième vague.

Cette nouvelle épreuve est grave. Elle demande un nouvel effort important, peut-être plus important même que celui qu’ont supporté les Français depuis le mois de mars dernier. Le pays tout entier est mobilisé pour faire face et chacun doit jouer son rôle.

Notre rôle, en tant que parlementaires, en tant que législateur, est de participer comme représentants du peuple au débat national. Valérie Rabault, mon homologue à l’Assemblée nationale, et moi-même vous avions demandé par courrier, monsieur le Premier ministre, le 10 septembre et encore le 15 octobre dernier, que le débat qui se tient aujourd’hui soit organisé bien en amont. Ce n’était pas un caprice, monsieur Castex : c’était une nécessité ! Vous l’avez refusé. Vous ne l’estimiez pas nécessaire dans votre réponse du 19 octobre.

Je le regrette, alors que nous nous retrouvons aujourd’hui pour entériner une décision très lourde de conséquences, annoncée hier soir par le Président de la République, sans qu’aucun débat éclairé et digne de ce nom ait pu avoir lieu préalablement dans les enceintes du Parlement. Le débat est normal, important dans une démocratie. Le débat devant les Français doit se faire dans notre enceinte et pas ailleurs. Sinon, la défiance sera au rendez-vous.

Nous regrettons votre gestion trop pyramidale. L’exécutif ne s’est pas senti obligé de présenter publiquement devant quiconque les différents scenarii sur lesquels il a travaillé. Les éléments de diagnostic sur lesquels il se fonde pour arrêter sa décision ont fait l’objet de cette réunion, disons-le, surréaliste, mardi soir dernier, avenue de Ségur.

La fonction délibérative de notre démocratie est ainsi remplacée par un débat qui n’aboutit qu’à un enregistrement a posteriori d’une décision prise ailleurs, puis détaillée plus finement devant la presse que devant la représentation nationale ce jour. Nous ne pouvons pas, monsieur le Premier ministre, être les supplétifs de quelques conseils que ce soit, aussi scientifiques soient-ils.

Votre gouvernement recherche l’unité nationale, mais ne fait rien pour la créer. Le Président de la République l’a dit hier soir : « J’ai décidé de confiner le pays. » Les consultations mises en place avant cette décision n’étaient donc que de pure forme.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Patrick Kanner. Pour autant, en responsabilité, je dirais même en conscience, et eu égard à la situation actuelle, nous voterons en faveur de ce qui est devenu inévitable (Marques détonnement sur les travées du groupe Les Républicains.) : des mesures sanitaires plus strictes pour protéger les Français, car leur santé doit être notre priorité. Mais je le dis très nettement, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, ce vote n’est en aucun cas un vote de confiance pour le Gouvernement ; il n’est pas non plus un quitus donné pour l’action de celui-ci depuis le début de cette crise.

M. Patrick Kanner. C’est un vote favorable pour, encore une fois, protéger les Français.

Certes, le combat contre le virus est extrêmement difficile. Nous ne le nierons pas. Aucun gouvernement dans le monde n’y était préparé. Cette maladie est évolutive : elle ne frappe pas toujours là où on l’attend, et la deuxième vague dans laquelle nous sommes pris au piège, qui est encore devant nous, s’annonce plus terrible que ce que nous avions annoncé et que ce que nous avions vécu au printemps dernier.

Mais nous ne pouvons pas vous accorder notre confiance, monsieur le Premier ministre. De nombreux spécialistes, parmi lesquels le président du conseil scientifique, estimaient probable une deuxième vague. Le 27 juillet, un rapport dudit conseil jugeait, « fortement probable la survenue d’un retour du virus en novembre ou au plus tard dans l’hiver ».

Le 14 juillet dernier, le Président de la République affirmait que nous étions prêts à affronter une seconde vague. Vous-même, le 27 août, vous déclariez : « Face à la pandémie, il n’y a pas de quoi s’affoler. » Le 22 octobre, le ministre des solidarités et de la santé avançait, à l’appui du couvre-feu que : « sans mesures nouvelles là où c’est nécessaire pour freiner l’épidémie, il y aurait dans les quinze jours jusqu’à 50 000 malades diagnostiqués quotidiennement ». Ce seuil a été atteint quatre jours après cette déclaration. Hier soir, Emmanuel Macron, Président de la République, se déclarait « surpris par l’évolution du virus », présentant des comparaisons avec les autres États européens.

Monsieur le Premier ministre, je ne vous demande pas d’être « aussi faible » ou « aussi mauvais » que d’autres États européens, je vous demande d’être meilleur ! Nous ne pouvons pas vous faire confiance, car gouverner c’est prévoir. Ces déclarations montrent que ce n’était pas le cas. Ce manque d’anticipation va coûter très cher à la Nation.

Comme au printemps, la qualité de la réponse sanitaire déterminera le nombre de vies que nous sauverons. Il faut prendre en compte toutes ces alertes. Comme le disait hier notre collègue Bernard Jomier dans cette enceinte même, tous les rapports relèvent un dysfonctionnement dans la gestion de la pandémie : une myriade d’agences sanitaires, la création d’agences nouvelles, et la stratégie « tester, tracer, isoler » qui n’a pas fonctionné. Les nouvelles annonces restrictives sont nécessaires, mais elles sont aussi le marqueur d’un échec en matière de politique de santé publique.

La situation de l’hôpital public s’est dégradée. La lenteur de la mise en place du Ségur de la santé place les soignants devant un dilemme insoluble : ils ne peuvent que tenir malgré les insuffisances, sinon l’hôpital public implosera, ce qui affectera encore plus la santé de nos concitoyens.

Nous vous avons auditionné le 6 mai dernier, monsieur Castex, alors que vous étiez chargé du déconfinement. Vous êtes désormais le Premier ministre chargé du reconfinement. Dans ce cadre, j’ai une question simple à vous poser : pouvez-vous nous présenter clairement, avec précision, les différents scenarii qui nous permettront d’éviter un troisième reconfinement début 2021 ?

Nous relevons ces points par esprit de responsabilité. Contrairement à ce qu’ont pu dire ces derniers jours votre porte-parole et votre ministre des solidarités et de la santé, nous avons fait des propositions : cela fait neuf mois que nous répondons présents, que nous sommes au rendez-vous pour accompagner les Français face à cette crise. En matière de santé publique, nous vous avions alerté sur les dysfonctionnements.

Nos propositions ont également porté sur la question sociale. Sur ce point, aucun quitus non plus ne sera donné à votre gouvernement, qui n’a pas pris la mesure de l’urgence. Un million de Français ont rejoint les plus de 9 millions de Français qui étaient déjà sous le seuil de pauvreté. Cette situation est dramatique. Il aurait fallu réagir plus en amont, plus rapidement, plus efficacement. Vos annonces de samedi dernier ne répondent pas à ce drame social en perspective. Il n’y en a pas eu depuis, malgré le durcissement.

Vous pratiquez un saupoudrage, qui ne prend pas en compte l’ampleur de ce qui existe déjà, et encore moins de ce qui attend notre pays. Bien sûr, des mesures d’urgence ont été prises au début de la crise, et nous avions d’ailleurs voté vos différents budgets rectificatifs, mais les jeunes, les pauvres, les nouveaux précaires sont sortis de votre radar. À ceux-là, vous proposez des aides exceptionnelles et ponctuelles, quand la deuxième vague nous confirme qu’un grand nombre de Français risquent de s’installer dans la précarité sur un temps long.

Dans le même temps, la suppression de l’impôt sur la fortune et l’instauration de la flat tax au début du quinquennat ont eu pour effet de faire fortement augmenter le revenu des 0,1 % des Français les plus aisés, tandis que la distribution des dividendes, de plus en plus concentrée, a explosé ces derniers mois. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est la vie, mes chers collègues ! Cet « en même temps » là, c’est de la fracture sociale en puissance !

Ainsi, il vous faudra répondre à ces questions de plus en plus pressantes, monsieur le Premier ministre.

Quand allez-vous penser de nouvelles ressources tirées de la taxation du capital pour qu’une réelle solidarité nationale s’exerce dans cette crise ?