Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, sur l’article.
Mme Véronique Guillotin. « Il n’y a pas de bon père, c’est la règle : qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. » Cette citation n’est pas de moi, elle est d’un écrivain-philosophe, qui n’est autre que Jean-Paul Sartre !
Très longtemps, le père a été essentiellement perçu comme le pourvoyeur de revenus ; son objectif principal n’était pas de créer une relation avec ses enfants. Aux mères, les soins quotidiens ; aux pères, l’éducation au savoir et la protection financière de la famille.
Toutefois, cette vision patriarcale de la société a profondément changé. Aujourd’hui, ceux que l’on appelle « les nouveaux pères » cherchent à construire une paternité fondée sur la proximité et la complexité affective avec leurs enfants. De plus, la naissance n’est plus uniquement une affaire de femmes : c’est un événement qui bouleverse l’existence des deux parents, du couple et de la famille.
Parce qu’il répond aux attentes des familles et de très nombreux pères, l’allongement de la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant est une avancée sociale majeure.
Tout d’abord, la présence des deux parents pendant les premiers mois de la vie a une incidence positive durable et déterminante sur la santé et le développement des enfants.
Selon le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui préside la commission des 1 000 premiers jours, plus le père est présent pendant la grossesse et pendant les premiers jours qui suivent la naissance, plus la mère est sécurisée et plus le bébé trouve autour de lui ce qu’il lui faut pour se développer. Nos voisins européens l’ont d’ailleurs bien compris, à l’instar de nos jeunes.
Ensuite, cette mesure renforce l’égalité entre les hommes et les femmes en favorisant le partage des tâches au sein de la sphère familiale et en incitant à une répartition équitable entre vie familiale et vie professionnelle.
Enfin, alors que les femmes ont été considérées jusqu’à présent comme des mères en puissance, tous les salariés deviendront des parents en puissance.
Dans quelques instants, nous débattrons d’amendements visant à réduire la portée de cette mesure. Je ne les voterai pas. Nous le savons, les pères qui, aujourd’hui, ne prennent pas la totalité de leur congé s’autocensurent souvent, parce qu’ils craignent d’être mal vus dans leur entreprise, ou tout simplement parce qu’ils sont sous l’influence de représentations sociales.
Si ce dispositif devient facultatif, les pères ne seront certainement pas libres de prendre ou non leur congé. À mon sens, il faut donc maintenir son caractère obligatoire. C’est dans cette même logique que la parité en politique a pu progresser.
Les pères ne veulent pas être traités comme des parents de seconde zone : nous devons accompagner cette évolution sociétale. Aussi, j’espère que la Haute Assemblée aura la sagesse de repousser ces amendements, pour enfin donner aux pères la place qui leur revient dans l’accueil de l’enfant. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck, sur l’article.
Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est la première fois que je prends la parole dans cet hémicycle et je suis heureuse que ce soit pour une telle occasion : l’allongement de la durée du congé de paternité est une avancée que je tiens à saluer.
C’est une avancée pour les hommes c’est une avancée pour les femmes, c’est une avancée pour les familles, c’est une mesure qui répond à l’intérêt de l’enfant. C’est également une avancée pour toute notre société, qui a besoin d’aller encore plus loin vers l’égalité entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, du partage des tâches ou de l’implication des deux parents, dès les premiers jours de la vie de l’enfant.
Ces questions sont essentielles. Elles nous concernent tous. J’y ai été fortement sensibilisée lors de stages que j’ai effectués il y a quelques années au Québec. Je garde en mémoire plusieurs témoignages de parents. De jeunes pères soulignaient notamment tout ce que le congé de paternité avait de positif : grâce à lui, ils pouvaient s’investir auprès de leur enfant et prendre conscience de la parentalité, qu’il est si important d’apprendre à deux.
Ce congé permet aux deux parents de s’épauler l’un l’autre. De surcroît, il donne, notamment aux pères, l’envie de prolonger ce moment par un congé parental, dans un cadre bienveillant – le mot a toute son importance – et protecteur.
Ces envies, je les retrouve aujourd’hui dans notre société ; je les perçois autour de moi.
Prolonger le congé de paternité, c’est donc accompagner un changement de mentalités. De telles évolutions ne se décrètent pas : elles s’apprennent. Il est parfois nécessaire de passer par l’obligation, précisément pour concrétiser les changements. Il s’agit d’inciter, d’impliquer et d’encourager ; en particulier, le père doit se sentir légitime à prendre un congé lors de la naissance de son enfant.
Il s’agit aussi de créer un climat favorable pour que tout un chacun puisse demander et obtenir un tel congé. Ainsi, l’on favorisera la sérénité au sein du couple, qui est souvent chamboulé par l’arrivée d’un enfant.
Enfin – je le rappelle à mon tour –, il s’agit de permettre à l’enfant de passer ses premiers jours avec ses deux parents : nous savons combien cette double présence est bénéfique pour son développement.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Elsa Schalck. L’allongement du congé de paternité est une avancée nécessaire, mais il n’est pas le seul enjeu. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Je pense notamment…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
Mme Elsa Schalck. … à l’accompagnement des familles à la parentalité. Ces questions me paraissent essentielles ! (MM. Martin Lévrier et Stéphane Artano applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. L’article 35 vient consacrer l’une des mesures phares de ce PLFSS : l’allongement de la durée du congé de paternité.
Ce doublement à vingt-huit jours, dont sept obligatoires, est un nouveau symbole du fameux « en même temps ». En avril 2019, la France faisait tout pour limiter la portée de la directive européenne relative au congé parental. Fidèle à la logique comptable qui guide son action, le Président de la République déclarait alors : « […] C’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable. »
Nous avons observé un changement de pied heureux, cinq mois plus tard, avec le lancement de la commission Cyrulnik, censée faire des 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant une priorité de l’action publique. Le rapport rendu un an plus tard préconise l’extension du congé de paternité à neuf semaines et une réforme du congé parental, qui serait beaucoup mieux rémunéré et d’une durée plus courte.
Entre les grandes promesses présidentielles et la logique comptable, il a fallu trancher et, comme souvent, c’est le portefeuille qui a gagné l’arbitrage. Le congé de paternité est étendu à quatre semaines, dont une seule est obligatoire, et la réforme du congé parental est renvoyée aux calendes grecques.
Nous saluons ce premier pas, mais nous restons sur notre faim, car la réforme du congé de paternité et des congés parentaux est essentielle à bien des égards.
Cette réforme est essentielle pour les enfants – les précédents orateurs l’ont rappelé. Elle permettra de les accueillir dans les meilleures conditions, de favoriser leur développement cognitif et de renforcer leur sécurité affective.
Elle est essentielle pour permettre au père, ou au second parent, de soulager la mère après l’épreuve de l’accouchement et, au-delà, pour assurer une meilleure répartition des tâches domestiques.
Elle est également essentielle pour que les parents, notamment celui qui n’a pas porté l’enfant neuf mois, puissent appréhender et découvrir la parentalité en nouant des liens avec leur progéniture.
Elle est essentielle, enfin, au combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Seul un congé de paternité allongé dans des proportions similaires au congé de maternité permettrait de lutter contre la discrimination à l’embauche des futures mères et contre les inégalités salariales. Tant que la parentalité n’aura pas des conséquences similaires, que l’employé soit père ou mère, ces discriminations perdureront.
Nous n’avons pas pu amender ce dispositif et nous le regrettons : de l’Espagne, avec ses seize semaines de congés payés, à la Suède, avec ses dix-huit mois de congés parentaux partageables, il y avait bien des modèles à suivre.
J’espère que, au-delà de la naissance, on imaginera demain dans notre pays un congé parental utilisable tout au long de la vie de l’enfant, pour l’accompagner beaucoup mieux quand le besoin s’en fait sentir !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, sur l’article.
Mme Nadège Havet. Mes chers collègues, le congé de paternité est actuellement de onze jours : il peut succéder au congé de naissance, qui dure, lui, trois jours. Dans ce cas, le père peut rester deux semaines auprès de son enfant. Qu’est-ce que deux semaines ?
Que change cet article ? Le congé est porté à vingt-huit jours. Sa durée est doublée : aux trois jours de congé de naissance, qui seront indemnisés par l’employeur, s’ajouteront vingt-cinq jours de congé de paternité, qui seront indemnisés par la sécurité sociale. En cas de naissance multiple, ce total sera porté à trente-deux jours.
Disons-le : il s’agit d’une avancée remarquable. Cette réforme, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2021, est un marqueur social fort du quinquennat.
Les jeunes pères auront l’obligation de prendre sept de ces vingt-huit jours immédiatement après la naissance de l’enfant. Les vingt et un jours de congé restants pourront être pris dans la foulée ou ultérieurement, de manière fractionnée.
Cette mesure vient soutenir l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle est voulue, revendiquée, attendue par tous les parents. Depuis la création du congé de paternité, en 2002, aucun allongement n’avait été décidé. La commission des 1 000 premiers jours, qui a rendu son rapport en septembre dernier, met en avant la nécessité de renforcer ce temps parental afin de favoriser la création de liens d’attachement durables entre le second parent et l’enfant et, ainsi, d’accompagner le développement de celui-ci.
Il ne faudra pas laisser entendre que cette mesure est une contrainte : c’est au contraire une démarche positive et un élément fort de nos politiques sociales et familiales.
Nous voterons évidemment cet article, avec fierté : il va dans le sens de l’histoire ! Nous nous opposerons aux mesures qui auraient pour conséquence de réduire sa portée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Deux minutes trente : c’est le temps dont je dispose pour défendre l’allongement de la durée du congé de paternité et le caractère obligatoire de celui-ci.
Deux minutes trente : c’est aussi le temps que les pères accorderont en plus aux soins des enfants si nous ne faisons rien, et encore faudra-t-il attendre cinq ans pour obtenir ce résultat. Ce n’est pas moi qui le dis : cette tendance, qui n’est évidemment pas satisfaisante, a été mesurée par le Centre d’analyse stratégique en 2012.
Nous connaissons l’immense déséquilibre entre le temps consacré par les mères et par les pères aux soins des enfants. Cet écart ne nous semble pas acceptable ; il est le ferment d’une société inégalitaire, qui fait peser principalement sur les femmes la charge du soin parental, des tâches éducatives et du travail domestique.
Ne nous étonnons pas, si l’on maintient cet injuste déséquilibre, que le travail professionnel des femmes soit minoré et que le principe « à travail égal, salaire égal » demeure un slogan. Ne nous étonnons pas que les femmes travaillent gratuitement depuis mercredi 4 novembre à seize heures seize, ce qui sera le cas jusqu’à la fin de l’année.
Nous voulons modifier de façon radicale la répartition du temps de travail parental au sein du couple, et nous l’assumons. Nous entendons en finir avec le modèle « monsieur gagne-pain » et « madame au foyer ».
La seule manière d’avancer rapidement vers l’égalité, c’est de rendre ce congé de paternité obligatoire. Sans cela, il est à craindre qu’une telle avancée ne prenne trop de temps, le risque étant de se heurter à certains obstacles, comme ce cliché qui veut qu’un homme qui pouponne ne soit pas viril. En outre, le risque existe, en dépit de la formidable attente que suscite ce congé dans la population française, que certains hommes ne demandent pas à en bénéficier, par crainte de le demander à leur employeur.
Nous le savons, nous parviendrons à l’égalité, car la société française y est majoritairement prête, tout comme une partie de votre famille politique, chers collègues de droite, divisée sur la question. Nous remporterons cette bataille culturelle.
Nous voterons donc pour l’allongement de la durée du congé de paternité et pour son caractère obligatoire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales pour la famille. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je remercie tous ceux qui se sont exprimés. Je dois reconnaître que je buvais du petit-lait en vous écoutant !
L’allongement de la durée du congé de paternité figure parmi les recommandations du rapport des 1 000 jours, fruit du travail d’un comité de dix-huit experts.
Alors quand débute et quand se termine cette période des 1 000 jours ? Elle commence au quatrième mois de grossesse et s’étend jusqu’aux 2 ans de l’enfant, certains scientifiques la faisant démarrer et s’achever plus ou moins avant ou après.
Quoi qu’il en soit, la croissance la plus spectaculaire du cerveau humain a lieu à la fin de la grossesse et durant les deux premières années de la vie. C’est la période privilégiée pour apporter à l’enfant un sentiment d’attachement et de sécurité, pour favoriser son développement émotionnel et cognitif. Ces moments sont uniques. Pour les scientifiques, ils sont incontournables.
À ceux qui se demandent si le congé de paternité ne serait pas un gadget dans notre société, je rappelle que les neurosciences nous montrent le chemin depuis trente ans et prouvent combien il est important d’agir durant ces 1 000 premiers jours. Ces moments sont uniques, je le répète, et ne se renouvelleront pas.
À mon sens, la société doit être soutenante, elle doit aider les parents lors des premiers jours de la vie de l’enfant. L’importance de ces moments doit être prise en compte dans les politiques publiques. Les adultes que nous sommes aujourd’hui sont les enfants que nous étions hier. Plus un enfant a été élevé et éduqué dans l’amour, plus il est accompli à l’âge adulte. Le sentiment d’attachement et de sécurité est très important.
Vous le voyez, je suis complètement convaincue par l’allongement de la durée du congé de paternité, qui constitue, selon moi, une priorité de l’action publique, car il répond à la demande des nouvelles générations de parents. Écoutez-les : ils ont vraiment envie de passer ces moments avec leur bébé et de les partager.
Notre collègue l’a dit, il faut partager l’arrivée d’un enfant et ses conséquences, une naissance n’ayant rien d’anodin. La présence des deux parents auprès de l’enfant à un stade précoce permet un développement des systèmes affectif, émotionnel, relationnel et psychobiologique dès le plus jeune âge. Dans le rapport Cyrulnik, on parle d’« accordage affectif » : je partage entièrement le choix de ces mots.
On refuse de nombreux rapports dans cet hémicycle. Il existe pourtant des rapports qu’il faut lire et conserver. Lisez et conservez le travail de Boris Cyrulnik et de ses experts ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, sur l’article.
M. Philippe Mouiller. Mon intervention sera plus brève. Je poserai simplement une question très pragmatique. Je soutiendrai l’article 35, il n’y a pas de débat sur ce point, mais je m’interroge sur le calendrier. Certes, on peut s’interroger de la même façon sur toutes les mesures : interviennent-elles trop tôt ou trop tard ?
Si je comprends l’intérêt de l’avancée qui nous est proposée, est-il pertinent de l’inscrire dans ce PLFSS, en pleine épidémie de covid, alors que la situation est tendue pour nos entreprises ? Le calendrier est-il bien opportun ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’aurai l’occasion de m’exprimer plus longuement lorsque je donnerai l’avis du Gouvernement sur les amendements qui ont été déposés sur cet article, mais je tiens d’ores et déjà à évoquer deux ou trois éléments, même si Mme la rapporteure a dit beaucoup de choses, avec beaucoup de conviction et d’émotion, ce dont je la remercie, comme tous ceux d’entre vous qui ont pris la parole pour soutenir cette réforme.
Monsieur Gontard, nous n’allons pas bouder notre plaisir : il s’agit d’une réforme historique, dont nous devons nous réjouir, comme Mme Schalck. Merci, madame Schalck, de cette première intervention qui restera, je pense, dans votre mémoire.
Cette réforme est historique, car ce congé n’avait pas été modifié depuis 2002, soit dix-huit ans.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas la révolution non plus !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Vous auriez pu la faire aussi, cette réforme !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Mais si, madame de La Gontrie, nous sommes selon moi sur le chemin d’une révolution culturelle, comme l’a dit Mme Meunier. Le caractère obligatoire de cette mesure, dont nous allons débattre et auquel certains d’entre vous sont opposés, contribue à faire de cette réforme une révolution culturelle.
Toutes les raisons justifiant l’allongement de ce congé de paternité ont été évoquées. Cette réforme se justifie avant toutes choses pour l’enfant lui-même, vous l’avez très bien dit, madame la rapporteure. Les neurosciences nous montrent qu’un tel congé est important pour la relation entre l’enfant et les parents, qu’il favorise le développement de l’enfant.
Cette mesure favorise aussi l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, elle permet un partage des tâches domestiques et familiales et encourage l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle est l’une des recommandations phares du rapport de Boris Cyrulnik et fait partie d’un ensemble de dispositifs que nous mettons en place durant les 1 000 premiers jours de l’enfant. Ce PLFSS comporte plusieurs de ces mesures, en plus de l’allongement du congé de paternité, mais nous y reviendrons.
J’ajoute, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que nous n’aurons peut-être pas l’occasion d’insister sur ce point, que l’article 35 comporte également une avancée pour les parents adoptants : le Gouvernement a fait voter à l’Assemblée nationale un amendement visant à porter de dix à seize semaines la durée du congé d’adoption. Il s’agit là d’une véritable avancée pour ces parents, qui s’inscrit dans le cadre de la réforme de modernisation de l’adoption que je porte au sein du Gouvernement.
Vous le savez, nous sommes en train de bâtir des parcours 1 000 jours pour l’ensemble des parents, y compris pour ceux qui connaissent des situations de fragilité liées, par exemple, à l’arrivée d’un enfant prématuré, en situation de handicap ou au fait d’être eux-mêmes en situation de handicap. À cet égard, je rappelle que le 17 novembre prochain sera la journée mondiale de la prématurité. Toutes ces situations de fragilité posant des problèmes spécifiques, nous créons des parcours des 1 000 jours adaptés.
L’extension du congé d’adoption de dix à seize semaines prévue dans cet article est une première pierre. Il s’agit d’une avancée pour ceux de nos concitoyens qui sont engagés dans un parcours d’adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 312 rectifié bis, présenté par Mme Puissat, M. Cardoux, Mme Micouleau, MM. Bonne, Savary, Meurant, Sol et Calvet, Mme Thomas, M. Grosperrin, Mme Deromedi, M. Dallier, Mmes Lassarade, Malet, Estrosi Sassone et Noël, MM. Milon et Brisson, Mme Gruny et MM. Babary, Savin, D. Laurent, Sautarel et C. Vial, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le délai de prévenance de l’employeur quant à la date prévisionnelle de l’accouchement et aux dates de prise du congé et à la durée du ou des congés, le délai dans lequel les jours de congé doivent être pris, les modalités de fractionnement de la période de vingt-et-un et vingt-huit jours ainsi que la nature du contrat de travail et les conditions d’ancienneté nécessaires pour pouvoir bénéficier dudit congé sont fixés par décret.
La parole est à Mme Frédérique Puissat.
Mme Frédérique Puissat. Cet amendement tend à prévoir que, pour bénéficier du congé de paternité dans sa nouvelle forme, le salarié doit remplir des conditions en termes d’ancienneté et de contrat de travail. Les modalités seront fixées par décret.
J’ai bien conscience, compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, que défendre un tel amendement, c’est nager à contre-courant. Cela étant, notre rôle n’est pas d’aller tous dans le même sens, il est aussi de faire état de certaines réalités du terrain.
Comme Philippe Mouiller, je m’interroge sur la temporalité de cette mesure. Vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, que cet article était attendu de tous. J’ignore si c’est vraiment le cas, mais ce qui est certain, c’est que personne ne vient me voir dans ma permanence pour me dire : « Madame la sénatrice, il est impératif de doubler la durée du congé de paternité et d’imposer quatre jours de congé supplémentaires après la naissance d’un enfant. »
Tous ceux qui ont travaillé dans le secteur de la protection de l’enfance sont très sensibles au soutien à la parentalité, mais, aujourd’hui, l’inquiétude est grande de savoir si nos systèmes sociaux vont tenir.
Le fait marquant de ce PLFSS, je suis désolée de le dire, ce n’est pas cet article, ce sont les 50 milliards d’euros de déficit. Les Français se demandent aujourd’hui si leurs retraites pourront être payées et si nos systèmes sociaux vont tenir.
M. François Bonhomme. Exactement !
M. Xavier Iacovelli. Il faut arrêter de faire des enfants alors !
Mme Frédérique Puissat. Quant aux milieux économiques, ils se demandent si nos entreprises vont, elles aussi, pouvoir tenir. Certains chefs d’entreprise – vous les avez entendus comme moi – sont au bord du burn-out et se demandent comment ils pourront assurer l’économie de demain.
Cet article est certes le bienvenu, mais pas maintenant, car il va imposer de nouvelles contraintes aux entreprises. Or je ne suis pas certaine que les petites et moyennes entreprises, notamment, soient capables de les supporter. (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 594 rectifié est présenté par M. J.B. Blanc, Mme Dumas, MM. Houpert et Decool, Mmes Lavarde, Loisier et Deromedi, MM. Cambon et Calvet, Mme Gruny, M. Brisson, Mme Thomas, MM. Bascher, Laménie, Wattebled et Boré, Mme Estrosi Sassone et MM. Cazabonne et Regnard.
L’amendement n° 618 rectifié quinquies est présenté par Mmes Deseyne, Lassarade et Borchio Fontimp, MM. Le Rudulier et Panunzi, Mmes Puissat et Belrhiti, MM. B. Fournier, Grosperrin, Cardoux, Segouin, Duplomb, Piednoir et Meurant, Mme Lopez, M. Bonhomme, Mme Chauvin, MM. Saury, Rapin, Mandelli et Savary, Mmes Di Folco et Garriaud-Maylam, MM. Daubresse et Pointereau, Mme Delmont-Koropoulis, M. Chevrollier, Mme Schalck, M. Babary et Mme Noël.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
1° Première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
dans la limite d’un fractionnement en deux périodes de congés
2° Après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le nombre de fractionnements peut être augmenté avec l’accord de l’employeur ou lorsqu’une convention ou accord collectif le prévoit expressément.
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour présenter l’amendement n° 594 rectifié.
Mme Pascale Gruny. Cet amendement va dans le même sens que celui que vient de présenter notre collègue Frédérique Puissat.
Il est nécessaire, à mon sens, que le législateur encadre les modalités de fractionnement du congé de paternité et d’accueil de l’enfant. En effet, des absences courtes et répétées sont source de désorganisation au sein des entreprises.
Certaines entreprises pourraient être confrontées à des difficultés d’aménagement des plannings si le congé était séquencé en de multiples absences de courte durée. Il est donc préférable d’aménager le congé en un fractionnement en deux blocs de périodes distinctes, en laissant la possibilité aux entreprises qui le souhaitent de prévoir des règles spécifiques, le cas échéant par convention ou par accord collectif.
Cet amendement vise à faciliter et à sécuriser la mise en œuvre du congé de paternité et d’accueil de l’enfant par les employeurs et par les salariés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour présenter l’amendement n° 618 rectifié quinquies.
Mme Chantal Deseyne. Je ne reviens pas sur l’allongement de la durée du congé de paternité ni sur son intérêt. J’aurais pu tenir les mêmes propos que certains de mes collègues à ce sujet.
Par cet amendement, il s’agit simplement d’encadrer les modalités de mise en œuvre de ce congé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. J’ai bien noté, chers collègues, que vous n’étiez pas contre l’allongement de la durée du congé de paternité et que vous souhaitez simplement l’assortir de conditions.
J’émets un avis défavorable sur l’amendement 312 rectifié bis, qui vise à prévoir par décret des conditions d’ancienneté ou de nature du contrat de travail pour bénéficier du congé de paternité.
Le bénéfice du congé de paternité est aujourd’hui ouvert à tous les salariés. Je ne trouve donc pas opportun de créer ce type de discrimination à l’occasion de son allongement. De telles conditions risqueraient en effet de toucher les salariés les plus précaires, qui, à mon sens, ont autant le droit de bénéficier du dispositif que les autres, le besoin de s’occuper du nouveau-né étant le même pour tous. Elles risqueraient en outre de créer des différences de traitement peu compréhensibles pour les salariés.
J’émets également un avis défavorable sur les amendements identiques nos 594 rectifié et 618 rectifié quinquies. Ces amendements tendent à limiter le fractionnement à deux périodes seulement, sauf accord de l’employeur ou accord collectif plus favorable.
Cette limitation me paraît restreindre la liberté du salarié de prendre les jours facultatifs de congé selon ses besoins de famille. Je ne suis pas certaine que des absences courtes soient plus déstabilisatrices pour l’entreprise que des absences longues. L’inverse peut aussi être vrai, cela dépend de la situation et des activités de l’entreprise.
Je vous rappelle, en outre, que les possibilités de fractionnement seront fixées par décret ; le Gouvernement définira ces modalités en concertation avec les partenaires sociaux.
J’entends bien l’attention que vous portez aux petites et moyennes entreprises, mais si l’on impose des conditions, on ne parviendra jamais à augmenter le taux de recours, qui stagne à 67 % depuis 2003.
Il faut prendre en compte le fait que, aujourd’hui, certains pères ne s’autorisent pas à demander à leur patron de bénéficier d’un congé de paternité, alors que sa durée n’est que de onze jours.
J’ai pour ma part été chef d’une toute petite entreprise. La question est de savoir où placer le curseur entre travail et paternité. Je pense que le travail est très important, car il faut subvenir aux besoins de sa famille, mais les moments que l’on passe avec ses enfants sont uniques. On ne peut pas rattraper les moments perdus, alors que le travail, on peut toujours le faire plus tard. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST.)