Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Monique de Marco. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de budget a le mérite de relever les financements à destination de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Cette hausse des crédits n’est certes pas le choc budgétaire espéré, comme le souligne la commission des affaires économiques, mais elle rompt avec des années de sous-investissement, dont les conséquences ont été dramatiques : dégradation des conditions de travail, tension croissante dans les universités, qui doivent accueillir toujours plus d’étudiants sans que les moyens suivent.
Nous souhaitons aussi saluer les mesures sociales prises en direction des étudiants, en particulier la mise en place du ticket de resto U à 1 euro. Les bourses sont revalorisées pour la deuxième année consécutive, après – rappelons-le tout de même – un gel en 2017 et en 2018.
La position du groupe écologiste est que l’ensemble des prestations sociales devrait suivre le coût de la vie, c’est-à-dire être a minima indexé sur l’inflation. Quand ce n’est pas le cas, c’est le pouvoir d’achat des plus pauvres qui s’érode.
Pour autant, ce projet de budget comporte des insuffisances majeures.
Concernant la recherche, tout d’abord, une partie des fonds additionnels ira financer les nouveaux postes précaires créés par la loi de programmation de la recherche, et ce au détriment des postes de titulaires. Les 700 recrutements de titulaires annoncés sont une réponse insuffisante à la pénurie de postes.
Je suis inquiète de la place accordée aux financements par appels à projets. Sur 600 millions d’euros d’augmentation du budget, 140 millions vont à l’Agence nationale de la recherche. Celle-ci bénéficie aussi de financements importants par le biais du plan de relance. S’y ajoutent les programmes d’investissements d’avenir, dont une part importante va à la recherche. Ces financements sont bienvenus ; le problème est qu’ils sont tous organisés selon la modalité de l’appel à projets.
Les appels à projets sont un bon complément du financement récurrent, mais leur généralisation n’est ni un gage d’excellence ni un gage d’efficacité.
La répartition des financements de l’Agence nationale de la recherche est déséquilibrée selon les structures et les territoires : une vingtaine de grandes universités concentre environ 80 % des financements.
Les équipes dépensent du temps et de l’argent pour candidater aux appels à projets, sans garantie de succès. On estime que le taux d’échec des candidatures auprès de l’ANR est de 75 % à 80 % ; ce gâchis doit nous alerter. Le temps de travail des chercheurs serait, dans de nombreux cas, mieux employé à faire ce qu’ils font le mieux : de la recherche
Par ailleurs, le groupe écologiste ne partage pas certaines priorités affichées concernant les domaines de recherche. J’ai été assez surprise, je dois le dire, en voyant que le programme 190, « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables », est en grande partie axé sur l’aéronautique et le nucléaire. Poursuivre des mirages tels que l’avion vert ou un nucléaire propre, est-ce vraiment raisonnable face à l’urgence écologique ?
Sur le volet de l’enseignement supérieur et de la vie étudiante, nous avons déjà mentionné les évolutions positives.
Mais il faut mettre les financements en regard de la crise exceptionnelle que nous traversons, qui aggrave encore une situation fortement dégradée.
La France dépense sensiblement moins par étudiant qu’il y a quinze ans. Vous pouvez certes indiquer, madame la ministre, que ces calculs ne prennent pas en compte l’ensemble des facteurs ; il n’empêche que les conditions d’études se dégradent.
Dans l’université que je connais le mieux, l’université de Bordeaux, le volume alloué aux travaux dirigés, ou TD, est passé ces dernières années de douze à dix séances par semestre, puis à huit seulement. Les amphithéâtres sont bondés, et les préfabriqués temporaires sont devenus des salles de cours permanentes. Même les marqueurs pour écrire sur les tableaux sont rationnés !
Un effort exceptionnel serait nécessaire, aujourd’hui, pour tenter de rattraper les coupes budgétaires du passé, mais aussi pour accueillir un nombre d’étudiants sans précédent.
Dans ce contexte, l’augmentation des financements pour la formation initiale n’est pas à la hauteur des enjeux.
Je regrette également que le budget de l’action n° 03 du programme 231, « Vie étudiante », qui concerne notamment la santé des étudiants, soit en baisse, alors que la renonciation aux soins est un problème bien connu, et que les besoins, qu’ils soient d’ordre physique ou psychologique, vont augmenter avec les contrecoups de la crise sanitaire.
Nous saluons l’effort budgétaire, mais il reste néanmoins en deçà de ce que les écologistes défendent depuis des années. À moins d’améliorations significatives, le groupe écologiste ne votera pas le budget de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Vincent Éblé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, que dire de ce budget ? J’en retiendrai trois éléments.
Il y a là, premièrement, un effort budgétaire inédit en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur. J’entends, ici ou là, que cet effort serait encore insuffisant ; notons quand même qu’il s’agit, à comparer avec le passé, d’un effort tout à fait nouveau : 600 millions d’euros supplémentaires par rapport au PLF 2020, auxquels il faut ajouter 1,14 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 865 millions d’euros en crédits de paiement pour la recherche dans le cadre du plan de relance, et 1,25 milliard d’euros dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA 4).
Ces multiples sources de financement, PIA 4, plan de relance, budget, produisent un choc de financement inédit en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur français.
M. Pierre Ouzoulias. C’est faux.
M. Julien Bargeton. Des amendements ont été déposés par la commission des finances, notamment par M. Rapin ; il faut les regarder avec attention.
M. Max Brisson. C’est certain…
M. Julien Bargeton. Ce budget 2021 donne de la crédibilité à la loi de programmation de la recherche et amorce le déploiement de sa stratégie afin de répondre aux enjeux structurels.
C’est le deuxième point sur lequel je voudrais insister : 164 millions d’euros de crédits du programme 150, « Formations supérieures et recherche universitaire », sont destinés à la mise en œuvre de la LPR. Surtout, ce PLF prévoit une hausse de plus de 400 millions d’euros, en autorisations d’engagement, des moyens dévolus à l’Agence nationale de la recherche, dont 117 millions au titre de la loi de programmation et 286 millions au titre du plan de relance.
Évidemment, comme des crédits sont engagés à la fois au titre, d’une part, du plan de relance, d’autre part, de la loi de programmation et des budgets courants, certains de nos collègues disent que c’est compliqué, que le budget n’est pas lisible, pas transparent… Le fait que, cette année, le budget s’assortisse d’un plan de relance – il faut en prendre acte – n’est évidemment pas sans conséquences sur la structure des missions, quelles qu’elles soient. Je rappellerai simplement, par exemple, qu’entre 2010 et 2015 les crédits de l’Agence nationale de la recherche ont baissé de 40 % ; on n’en est plus du tout là !
Les financements de base des laboratoires de recherche sont eux aussi abondés ; tous ces crédits permettent la mise en œuvre effective de la loi de programmation de la recherche.
Je suis d’accord sur la vigilance : il faudra regarder, dans les années à venir, 2022, 2023, au-delà, chaque année, que les étapes prévues dans la loi de programmation sont bien respectées. Quoi qu’il en soit, pour ce qui est de la première année et du projet de loi de finances pour 2021, il faut bien constater que tel est le cas.
Nous nous étions interrogés pendant l’examen du texte, et nous avons désormais la réponse budgétaire : ce budget marque la première étape de la loi de programmation de la recherche, ce qui n’empêche pas, évidemment, que le Parlement doive continuer à jouer tout son rôle, qui est celui du contrôle et de l’évaluation. Il faudra s’assurer que les étapes prévues sont bien franchies année après année, et surtout que les crédits soient bien consommés – c’est notre rôle aussi –, que les dépenses, une fois engagées, soient effectivement réalisées, et pour des projets qui portent leurs fruits.
Troisième et dernier point sur lequel je voudrais insister : la vie étudiante, et notamment la lutte contre les inégalités.
Ce budget fait de la lutte contre les inégalités et contre la précarité une priorité. C’était attendu, s’agissant notamment du programme 231, « Vie étudiante ». On constate que les crédits augmentent deux fois plus que l’an dernier : 2,5 % en 2020 – c’était déjà beaucoup –, 5 % pour 2021. Je voudrais noter, par exemple, la revalorisation des bourses sur critères sociaux versées aux étudiants, ou la mise en place du ticket-restaurant à 1 euro pour les étudiants boursiers, avancée saluée par plusieurs de nos collègues.
Cette hausse du programme « Vie étudiante » est donc sans équivalent depuis des années, alors même que 2020 marquait déjà un effort significatif.
Je voudrais aussi, toujours dans le cadre de ce programme, insister sur l’ouverture de 20 000 places supplémentaires à l’université, financée là aussi, c’est vrai, pour moitié au titre du plan de relance – près de 60 millions d’euros – et pour moitié au titre des crédits du plan Étudiants – 60 millions également. Au regard des résultats exceptionnels du baccalauréat dans le contexte de la crise de la covid-19, il faut ouvrir davantage de places, et le taux de réussite de la session 2020 est bel et bien pris en compte dans ce budget.
Je résume : un effort inédit, jamais vu dans l’histoire récente, en tout cas dans les dernières années, en matière de recherche et d’enseignement supérieur ; une première étape de la loi de programmation de la recherche mise en œuvre effectivement, concrètement, comme nous le demandions ; une priorité marquée, très visible, accordée à la lutte contre la précarité et aux crédits de la vie étudiante.
Au-delà des différences d’appréciation, au-delà de nos divergences, qui sont bien naturelles, il me semble que nous pouvons saluer ce budget – cela a été fait, avec, parfois, des réserves –, qui, à tous les titres, est exceptionnel. (M. David Assouline ironise.)
Notre groupe le votera tout en examinant certains des amendements déposés avec un œil bienveillant, car il est important aussi que notre assemblée joue son rôle et qu’elle améliore les textes quand elle le peut. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, partout dans le monde, la pandémie a mis en exergue la recherche, la quête d’un vaccin, en particulier, étant devenue le principal espoir d’un retour à une vie normale. Ainsi se trouve illustré l’un des enjeux fondamentaux de la mission budgétaire consacrée à la recherche et à l’enseignement supérieur.
Il y a quelques semaines, à l’occasion de l’examen de la loi de programmation de la recherche, nous avions tous déploré l’affaiblissement du rayonnement scientifique de la France, alors que notre pays produit des talents, comme en témoigne, par exemple, l’attribution d’un prix Nobel de chimie à une chercheuse française résidant à Berlin. Il est regrettable que de telles personnalités aient dû exercer leurs compétences hors de nos frontières pour briller.
Aussi peut-on saluer la traduction, dans ce budget 2021, de la première étape de la trajectoire financière pluriannuelle que nous avons récemment adoptée. Le présent projet de loi de finances prévoit, en effet, une hausse de 225 millions d’euros des crédits du programme 172, « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ».
Nos collègues rapporteurs ont très justement souligné que cette somme ne financerait pas exclusivement des dépenses nouvelles. Les moyens mobilisés au titre du plan de relance, soit 1 142 millions d’euros en autorisations d’engagement et 865 millions d’euros en crédits de paiement, ainsi que le quatrième programme d’investissements d’avenir, doté de 1 250 millions d’euros, confirment cet engagement considérable pour la recherche.
Comme mes collègues, toutefois, je regrette le manque de visibilité de ces crédits budgétaires, dont l’éclatement complique grandement la compréhension.
Néanmoins, cette évolution permettra – je l’espère – de redonner à la recherche française toute la place qu’elle mérite, et de répondre aux attentes de la communauté scientifique.
Parmi ces attentes, j’évoquerai la question de l’attractivité du métier. La mission prévoit 130 millions d’euros pour améliorer la rémunération des personnels. Mise en œuvre de la réforme des régimes indemnitaires ou encore revalorisation de 30 % de la rémunération des doctorants : tout cela va dans le bon sens, celui d’une meilleure reconnaissance des carrières de chercheurs.
On peut également se réjouir de l’accroissement des capacités de l’Agence nationale de la recherche, à hauteur de 403 millions d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement. Ce renfort est indispensable pour améliorer le taux de succès des appels à projets génériques, qui est de 17 % actuellement, soit un niveau bien trop faible.
J’en viens au deuxième volet de cette mission : l’enseignement supérieur, qui, comme la recherche, porte les germes de la richesse d’une nation.
Nos collègues rapporteurs ont rappelé les chiffres ; je soulignerai simplement les 2,3 % de hausse des crédits de paiement pour 2021. Cette hausse est bien entendu positive ; mais suffira-t-elle à répondre aux difficultés, en particulier économiques et sociales, que rencontrent d’ordinaire beaucoup d’étudiants, et que la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver ?
Madame la ministre, est-il normal, dans le pays développé qu’est la France, de voir des étudiants affluer dans les Restos du cœur ou renoncer à des soins médicaux, faute d’argent ?
M. Pierre Ouzoulias. C’est scandaleux !
M. Bernard Fialaire. La présentation stratégique annexée au projet de loi de finances fait état d’un renforcement de l’accès aux services sociaux et médicaux. Comment sera-t-il mis en œuvre, sachant que les Crous sont à bout de souffle ?
J’ai bien noté la mobilisation de 133,5 millions d’euros supplémentaires, dont les trois quarts alimenteront la revalorisation des bourses, le ticket U à 1 euro ou encore le gel des loyers des résidences universitaires. Mais tout cela sera-t-il à la hauteur des enjeux, alors qu’est souvent évoquée la triste prévision du sacrifice d’une génération dite « covid » ?
Pour ce qui est, enfin, de la qualité de la formation, garante de la bonne intégration des étudiants, comment la pandémie va-t-elle affecter le « contrat de réussite » créé par la loi de 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants ?
On peut avoir des craintes concernant en particulier les élèves de première année de faculté, plus enclins au décrochage. Vous le savez, madame la ministre, la Conférence des présidents d’universités appelle à une reprise des cours en présentiel au plus vite, l’enseignement à distance ne pouvant pas tout. Que leur répondez-vous ?
Je conclurai par un dernier mot sur les élèves infirmiers et les internes appelés soudainement en renfort dans les unités covid des hôpitaux. Sans être préparés, beaucoup d’entre eux ont travaillé dans des conditions difficiles, parfois aux dépens de leur temps d’apprentissage. Aussi me semblerait-il juste de valoriser, dans leurs carrières, d’une façon ou d’une autre, cette expérience si particulière, pour ne pas dire cette expérience de « guerre ».
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, rarement aura été aussi vain, futile et factice l’exercice de discussion budgétaire auquel nous nous livrons ce jour. Il survient dans un moment de crise majeure et de fragilisation extrême des établissements de l’enseignement supérieur, des étudiants et de la communauté éducative. Alors que l’université aurait besoin d’être secourue sans délais par un plan d’aide d’urgence, elle est restée à l’écart des quatre lois de finances rectificatives et des dispositions budgétaires de la loi de programmation de la recherche.
La pandémie a mis en lumière et exacerbé les conditions matérielles catastrophiques dans lesquelles se débattent la grande majorité des étudiants. Sans moyens supplémentaires, les universités ont tenté d’assurer leurs missions pédagogiques, de continuer à accueillir les étudiants dans le respect des normes sanitaires et de fournir des moyens d’existence aux étudiants les plus fragiles. Ouvrons les yeux, mes chers collègues : la faim rôde sur les campus, les universités sont exsangues et la situation économique des Crous est gravement compromise.
Votre gouvernement a décidé d’envisager la réouverture des campus en février de l’année prochaine. Vous me permettrez de considérer que cette décision a été prise pour des raisons davantage économiques que sanitaires, car les universités seraient prêtes à recevoir les étudiants si vous les aidiez financièrement à aménager leurs conditions d’accueil.
Soyons honnêtes : il n’est pas possible de maintenir pendant bientôt un an les étudiants à l’écart de leurs campus sans que cette séparation forcée ait de conséquence sur leur formation, sur leur santé psychique et sur la fonction même de l’institution universitaire. Sous nos yeux point une génération sacrifiée. L’ensemble du système universitaire est installé sur un volcan ; il est de notre responsabilité collective, mes chers collègues, que son éruption ne survienne pas avec la débâcle.
Pour affronter cette situation exceptionnelle et permettre aux universités d’y faire face « quoi qu’il en coûte », il aurait fallu un budget exceptionnel. Or celui que vous nous présentez est structurellement insuffisant pour maintenir l’essentiel et satisfaire nos ambitions collectives pour l’université.
Ce budget, comme tous ceux qui l’ont précédé depuis dix ans, ne donne pas aux établissements les ressources supplémentaires nécessaires pour contrepeser la hausse de la démographie estudiantine. Une nouvelle fois, comme chaque année depuis dix ans, la dépense moyenne par étudiant est en baisse ; il se pourrait qu’elle franchisse, en 2021, le seuil fatidique des 10 000 euros. Notre rapporteur spécial, la sénatrice Paoli-Gagin, nous le dit : « Le mode de financement des universités paraît au mieux fragile et peu pérenne, au pire obsolète. ».
En 2021, première année de mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche, les plafonds d’emplois seront en baisse, tant ceux qui sont rémunérés par les titres 2 et 3 que ceux qui sont directement financés par les opérateurs. Les rares créations d’emplois le seront « en mobilisant la vacance sous plafond d’emplois ». Votre ministère, madame la ministre, a trouvé la martingale prodigieuse, qui consiste à financer des promesses par des promesses !
MM. Max Brisson et Stéphane Piednoir. Ah !
M. Pierre Ouzoulias. La situation budgétaire de la recherche n’est pas meilleure, et la chose est extravagante quand on se rappelle que la loi de programmation de la recherche, qui n’est pas encore promulguée, s’était vu assigner pour projet de porter « un effort budgétaire inédit depuis la période de l’après-guerre ». Vous me permettrez de reprendre les analyses implacables et affligées du rapporteur spécial, le sénateur Rapin, pour vous exposer rapidement ce désastre.
En 2021, cet « effort budgétaire inédit » se manifestera par une baisse des moyens budgétaires de la Mires consacrés à la recherche par rapport aux dépenses du budget général de l’État. Ce ratio était de 4,6 % en 2020 ; il diminuera à 3,9 % en 2021. Toujours plus désabusé, notre rapporteur spécial montre que les crédits supplémentaires qui donneraient l’impression de satisfaire les objectifs de la loi de programmation sont en fait destinés à « venir combler des “trous budgétaires” identifiés de longue date ».
In fine, les moyens réellement nouveaux de ce budget consistent en une maigre enveloppe de 124 millions d’euros. Je partage totalement la conclusion de notre collègue Jean-François Rapin : « Ces choix budgétaires sont aux antipodes de l’esprit ayant présidé à l’élaboration d’une loi de programmation. »
Ce constat amer nous oblige à nous interroger sur la façon dont ce gouvernement nous a trompés sur ses intentions véritables et sur la sincérité de la loi de programmation.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Tout en nuances…
M. Pierre Ouzoulias. Ce budget est un affront pour la recherche et un affront pour la représentation nationale ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Vincent Éblé. Très juste !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette année, l’étude du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche se déroule dans un contexte particulier à de multiples égards.
Il est particulier, tout d’abord, parce que le débat budgétaire intervient dans la situation sanitaire et économique que l’on connaît. Dans le monde universitaire, la crise se traduit notamment par la tenue de cours à distance, par la difficulté pour les doctorants de mener à bien leurs enquêtes de terrain, ou par les freins rencontrés par les laboratoires pour avancer dans leurs travaux.
Il est particulier, également, car l’analyse budgétaire a lieu juste après l’adoption de la LPR. À ce titre, ce premier budget post-LPR se révèle la traduction financière des engagements que vous avez pris. Il exprime l’esprit et la vision du Gouvernement quant à l’application concrète de cette LPR, au travers de la ventilation des crédits et des choix qui sont opérés. J’y reviendrai mais, dans sa maquette et dans son articulation avec le plan de relance, c’est là un budget de surprises, qui laisse un goût d’incertitude.
C’est à l’aune de ces éléments contextuels que nous sommes amenés à nous prononcer sur ce budget pour 2021. Je porterai une appréciation mitigée : si, d’un point de vue « macro », les montants affichés sont conformes à ceux de la LPR, d’un point de vue « micro », en revanche, les doutes et les questionnements demeurent nombreux et puissants, notamment pour l’avenir.
Dit autrement, les budgets présentés sont similaires à ceux qui sont inscrits dans la LPR, mais au prix de tours de « passe-passe » budgétaires qui soulèvent de multiples craintes et interrogations quant à la sincérité et à la fiabilité de vos engagements sur la durée.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Sylvie Robert. Engager ainsi le déploiement budgétaire de la LPR n’est clairement pas la manière idoine ni de rassurer les acteurs ni de crédibiliser votre soutien à la recherche.
En premier lieu, ce flou est entretenu sur le plan formel. En effet, la maquette budgétaire et l’articulation entre les crédits de la Mires et le plan de relance rendent le budget très peu lisible. Traditionnellement, l’exercice s’avère déjà complexe ; mais cette année – vous l’avez dit, mes chers collègues –, entre les changements de périmètre, le quatrième programme d’investissements d’avenir et les mesures inscrites au plan de relance, le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur se trouve littéralement éclaté. Songeons que, désormais, près de 20 % des crédits qui lui sont affectés le sont hors Mires !
Cette remarque n’est pas purement formelle : la tendance que je viens de décrire a des implications de fond. Elle pose en particulier le problème du contrôle démocratique du budget par le Parlement. Rappelons qu’à l’heure actuelle, sauf actualité m’ayant échappé, le montant des subventions dédiées aux établissements publics à caractère scientifique et technologique, comme l’Inserm ou le CNRS, nous est encore inconnu – l’un de mes collègues l’a dit –, près de 50 millions d’euros n’étant toujours pas distribués.
Ainsi, l’opacité et l’affaiblissement de la lisibilité des crédits de la recherche et de l’enseignement supérieur renforcent cette impression de budget en trompe-l’œil.
J’ajoute quelques interrogations pour l’avenir : en réalité, vous vous reposez sur le plan de relance pour prendre en charge les crédits qui devraient naturellement figurer au sein de la Mires.
M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
Mme Sylvie Robert. Je prends un exemple : les crédits de la recherche duale. Peut-être vous êtes-vous « amusés », ou plutôt évertués, à les chercher du côté du programme 191. On y constate que le budget de la Mires est extrêmement généreux… puisqu’il est à zéro euro ! Mais il faut savoir être persévérant, mes chers collègues, car le programme n’a pas complètement disparu. Nous pouvons être rassurés : la France continuera à investir dans la recherche duale, mais au titre du plan de relance !
Une question, madame la ministre : est-ce le rôle du plan de relance de financer l’intégralité d’un budget constitutif de la Mires ?
M. Max Brisson. Non !
Mme Sylvie Robert. Si je ne m’abuse, la vocation du plan de relance, comme son nom l’indique, est d’investir et de stimuler la reprise de l’activité. Son essence n’est pas de se substituer à un programme de mission. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Sylvie Robert. En procédant ainsi, vous recourez à un artifice, car ce tour de magie budgétaire vous permet de faire concorder superficiellement les montants de la LPR avec ceux de la Mires. Mais le plan de relance n’est pas éternel : lorsqu’il s’éteindra, dans deux ans, comment ferez-vous ? Comment ferez-vous pour rester fidèle à la trajectoire budgétaire que vous vous êtes fixée, dès lors qu’il faudra réintroduire au sein de la Mires la recherche duale, par exemple, mais aussi d’autres crédits ?
Certes, me direz-vous, ce sont probablement d’autres que vous qui devront trouver les ressources supplémentaires pour respecter la lettre, ou plutôt les chiffres, de la LPR sans pour autant sacrifier les autres programmes.
« Sans sacrifier les autres programmes », dis-je, quoique, à vrai dire, vous ayez d’ores et déjà commencé à « déshabiller Pierre pour habiller Paul », et ce alors même que vous utilisez l’aubaine du plan de relance pour financier partiellement votre budget ! Car tous les programmes liés à la recherche, excepté ceux qui sont concernés par la LPR, stagnent ou sont en baisse.
C’est notamment le cas du programme 190, qui porte sur la recherche dans les énergies renouvelables, les mobilités propres et la protection de l’environnement. Bien que les travaux de recherche en la matière soient essentiels pour notre avenir, et bien que le Gouvernement ait annoncé un vaste plan en faveur de l’hydrogène, vous baissez les crédits de ce programme pour majorer ceux de la LPR.
Une nouvelle fois, madame la ministre, qu’en sera-t-il dans deux ans ? L’avenir réel, et non factice, de la recherche est-il lisible dans cette baisse de crédits ?