Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire a adopté hier, à l’unanimité, le projet de loi sur le Parquet européen et la justice pénale spécialisée. Les sujets abordés dans ce texte sont chers au ministère de la justice. Vous comprendrez donc le réel plaisir que j’ai à constater cette unanimité.
Je tiens d’abord à saluer ma prédécesseure, Nicole Belloubet, qui avait engagé cette réforme auprès de vous, en février dernier. L’Europe et l’environnement, tels sont les deux thèmes qui ont été au cœur du texte et des débats. Cette loi prend date pour l’avenir, en permettant à notre institution judiciaire d’accueillir en son sein une structure innovante et opérationnelle, pour exercer directement l’action publique partout sur le territoire des vingt-deux États membres qui y participent.
Le Sénat avait, il y a quelques années, émis un « carton jaune » pour s’opposer à la proposition de la Commission européenne créant le Parquet européen. Depuis lors, vous avez été entendus, et le texte qui fait désormais l’unanimité a pris pleinement en compte les objections que le Sénat et d’autres parlements nationaux avaient émises, illustrant ainsi l’utilité de la procédure de consultation renforcée des parlements nationaux qui figure dans le traité de Lisbonne.
Cette unanimité est aussi le fruit du travail réalisé sur un dossier qui, nous en sommes tous convaincus, devrait nous permettre d’être plus efficaces pour combattre les fraudes au budget de l’Union européenne.
Les dispositions relatives à la justice pénale spécialisée améliorent significativement l’efficacité et la cohérence de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, la délinquance économique et financière.
Le renforcement de l’efficacité de la justice en matière environnementale est le troisième grand axe de ce projet de loi. Grâce à des innovations, comme la CJIP ou les juridictions spécialisées, la justice sera mieux à même de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière environnementale.
Je suis heureux que le Sénat ait adopté ces dispositions audacieuses pour la justice environnementale et les ait complétées. Je pense notamment à la mesure permettant l’immobilisation d’un navire en cas de rejet des eaux de ballast par le capitaine. Ces ajouts, enrichis à l’Assemblée nationale par la création des officiers judiciaires de l’environnement, ont fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, et je m’en réjouis.
Je remercie le Sénat, et en particulier son rapporteur Philippe Bonnecarrère, pour les diverses améliorations qu’il a pu apporter notamment aux dispositions du titre III, et sur le sujet des réquisitions judiciaires.
Nous arrivons ainsi au bout d’un long cheminement de près de deux décennies, mais surtout nous marquons ensemble le début d’une étape nouvelle de la construction européenne, celle d’une Europe qui dispose désormais de moyens renforcés pour faire respecter son droit. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit, ainsi que M. le rapporteur.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le principal objet de ce texte est d’adapter le code de procédure pénale à la spécificité du travail des procureurs européens, délégués français nommés auprès du Parquet européen. De plus, ce projet de loi organise la spécialisation des juridictions en matière environnementale.
Je salue tout d’abord le travail exemplaire de nos deux rapporteurs, Philippe Bonnecarrère au Sénat et Naïma Moutchou à l’Assemblée nationale, et je me félicite de la parfaite ambiance qui a conduit à un accord unanime en commission mixte paritaire.
Il convient ensuite de saluer la mise en place du Parquet européen. Celui-ci sera compétent pour poursuivre les auteurs des fraudes au budget européen, notamment les fraudes transnationales à la TVA, le détournement des subventions européennes et la corruption des fonctionnaires européens.
Jusqu’à présent l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF) identifiait les problèmes, mais ne pouvait pas prendre de sanction directe, de sorte que dans les pays où les juridictions nationales ne fonctionnent pas correctement, les fraudes perdurent en toute impunité.
On ne peut pas, à la fois, critiquer l’Europe et refuser de lui donner les moyens de défendre ses intérêts. La création du Parquet européen en est un, dont le projet a été présenté par la Commission européenne en janvier 2017, puis adopté par règlement, en octobre 2017, en Conseil « Justice et affaires intérieures ».
En raison de l’opposition de plusieurs États membres, le Parquet européen a été mis en place sous forme de coopération renforcée entre vingt-deux d’entre eux. Il constitue un outil de défense majeur des intérêts financiers de l’Union européenne.
La Hongrie et la Pologne font malheureusement partie des pays qui ne sont pas dans cette coopération. Cette absence a justifié de poser une conditionnalité liée au respect de l’État de droit, lors de la discussion du budget et du plan de relance européens. L’accord obtenu grâce à la présidence allemande a permis d’avancer sur ce point, mais l’idéal aurait été que ces deux pays intègrent cette coopération pour lever toute ambiguïté sur la manière dont ils utilisent les fonds européens.
L’historique de Mme Laura Kövesi, en Roumanie, nous incite à la prudence, même si le fonctionnement du Parquet européen, avec deux procureurs délégués par pays membre de la coopération renforcée, est une garantie contre les dérives. On ne peut pas lutter contre la corruption sans respecter l’État de droit. C’est un principe qu’il faut clairement établir, car on a parfois pu avoir l’impression que, en Roumanie, on pratiquait la loi des suspects.
Le Parquet européen constitue néanmoins un progrès majeur dans la construction européenne et pour la défense des intérêts de l’Union. Chaque État membre nommera deux procureurs européens délégués qui travailleront sur les sujets qui le concernent.
En raison des spécificités du fonctionnement de notre justice, nous avons dû adapter le code de procédure pénale : les procureurs délégués pourront prendre des mesures qui relèvent normalement du juge d’instruction, comme les mises en examen. En revanche, le contrôle des mesures attentatoires aux libertés sera confié au juge des libertés et de la détention.
Le groupe socialiste salue la mise en place du Parquet européen qui sera un outil utile pour la progression de l’État de droit et le bon contrôle des fonds européens.
En complément, le texte prévoit une spécialisation de la justice en matière d’environnement, afin d’améliorer le dispositif et de prendre en compte sa technicité. C’est une bonne initiative pour garantir une action efficace sur un sujet d’actualité majeur.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous poser trois questions.
Premièrement, il est heureux que vous n’ayez pas persisté à vouloir traiter par voie d’amendement la question des conditions de détention indignes, qui ont fait l’objet d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 30 janvier dernier. Cependant, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont tiré les conséquences de cette condamnation, de sorte qu’il faut désormais une intervention du législateur. Comment envisagez-vous de traiter le sujet ?
Deuxièmement, pouvez-vous nous dire comment vous aborderez, au niveau français ou européen, la question des données de connexion, à la suite de la décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2020 ?
Troisièmement, enfin, puisqu’il s’agit de justice environnementale, pourriez-vous nous donner quelques éléments de calendrier sur la mise en place d’un délit d’écocide et sur le référendum constitutionnel qui vise à mieux intégrer la défense de la planète dans les missions de notre pays ?
Ces questions n’empêchent pas le groupe socialiste d’être favorable aux conclusions de la commission mixte paritaire. Nous saluons la mise en place du Parquet européen, initiative nouvelle et majeure pour la défense des intérêts de l’Union et pour la construction européenne. (M. Jérôme Durain applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda.
Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi relatif au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée touche enfin à son aboutissement. Vous aurez compris à l’énoncé de son titre que le texte comporte divers dispositifs. Je ne reviendrai brièvement que sur quelques-uns d’entre eux.
Certains ont disparu, comme le délit d’interdiction d’apparaître dans les transports publics. D’autres n’ont pas été introduits, et c’est heureux, s’agissant notamment des conditions de détention indignes, même si c’est un problème sur lequel nous devrons nous pencher, comme tout le monde s’accorde à le dire, y compris et surtout M. le garde des sceaux. D’autres encore ont été parfaits, comme celui relatif à la justice spécialisée de l’environnement, même si cette justice a moins besoin de dispositifs nouveaux que de moyens.
Le Parquet européen reste la grande affaire de ce texte. Philippe Bonnecarrère a rappelé qu’il s’agissait d’une idée ancienne, qui date d’une quarantaine d’années et qui a fini par donner lieu à un règlement en 2017. Ce parquet est né du constat que les transferts financiers opérés par l’Union européenne, que ce soit en matière de recettes, issues notamment de la TVA transfrontalière, ou qu’il s’agisse des fonds qu’elle peut verser, comme les subventions de la politique agricole commune, donnent lieu à de multiples fraudes, d’un montant parfois très important. On chiffre ainsi la fraude à la TVA transfrontalière à 50 milliards d’euros par an. Il s’agit donc de s’opposer à ces infractions qui portent atteinte directement à l’Union européenne.
La création du Parquet européen était rendue nécessaire par le fait que les instruments dont nous disposions n’étaient pas suffisants. Ni l’OLAF qui lutte contre les fraudes, ni Eurojust ou Europol qui sont des organismes de coopération n’ont de pouvoir de poursuite ou d’enquête permettant de condamner les auteurs des fraudes, au-delà de leur dépistage. La chose est faite avec le Parquet européen.
Cependant, s’agissant d’un parquet, on ne peut éluder la question de la souveraineté nationale. La justice, mission régalienne des États, ne peut pas être déléguée à l’Union européenne : tout le monde en conviendra, ou du moins tout le monde en avait initialement convenu, au Sénat, comme vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux. Ces réticences de la Haute Assemblée sur les premières moutures qui émanaient de la Commission européenne ont permis d’aboutir au texte de la commission mixte paritaire qui nous est désormais soumis, et dont je pense qu’il sera unanimement approuvé sur ces travées.
La difficulté restait de conserver la souveraineté nationale et de respecter le principe européen de subsidiarité. Nous y sommes parvenus, car le Parquet européen repose sur la collégialité : chacun des vingt-deux États membres y aura un représentant. Un principe de décentralisation vient compléter cette collégialité, qui permet d’enquêter et d’instruire les affaires en fonction de la procédure pénale applicable dans chacun des États. Nous estimons donc que le Parquet européen respecte la souveraineté nationale et peut être accepté.
En revanche, ces principes que nous allons entériner n’excluent pas les difficultés, car ce parquet reste un corps étranger qui devra être reçu dans l’ordre juridique interne à une vitesse convenable. À cet égard, je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’inscrire dans ses compétences la lutte antiterroriste, comme le propose le Président de la République. Commençons par le faire fonctionner, avant d’envisager des évolutions possibles. En matière de lutte contre le terrorisme, mieux vaut privilégier le développement des contrôles aux frontières et l’accroissement des moyens de nos services de renseignement plutôt que d’étendre les compétences d’un parquet encore balbutiant, même si on lui souhaite de savoir marcher aussi rapidement que possible.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire, en regrettant toutefois, monsieur le garde des sceaux, que la langue française n’ait pas été retenue comme langue officielle,…
Mme Muriel Jourda. … alors qu’elle l’est à la Cour de justice de l’Union européenne. Nous déplorons d’autant plus l’usage de l’anglais que la Grande-Bretagne s’apprête à quitter l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons comporte de nombreuses mesures et concerne de multiples champs de notre droit pénal. Le temps qui m’est alloué ne me permettra d’évoquer que certains de ces sujets, pourtant fondamentaux.
À l’heure où le Conseil européen vient enfin d’adopter le budget et le plan de relance européens, l’importance du Parquet européen apparaît en pleine lumière. Son rôle est essentiel dans la lutte contre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
Ces fraudes représentent chaque année des milliards d’euros, de sorte qu’il était primordial d’instaurer une coordination à l’échelon européen. Même si tous les États membres ne participent pas encore à cette coopération renforcée, les autres pourront toujours y adhérer ultérieurement.
La clarification que le projet de loi apporte au cadre procédural, à l’endroit des procureurs européens délégués, arrive au bon moment, pour l’entrée en fonction imminente du Parquet européen.
Les deux assemblées ont pu apporter des précisions sur les compétences des procureurs européens délégués, notamment dans l’instruction et l’articulation avec les autres juges, particulièrement celui des libertés et de la détention. Nous serons vigilants aux premiers exercices des procureurs européens délégués et du Parquet européen.
Je veux rappeler que ce parquet fait partie d’une construction plus large à laquelle Eurojust et Europol participent également.
La coopération judiciaire et policière au niveau européen est essentielle pour la réussite de la lutte contre la fraude financière.
Ce texte aborde aussi la question de la justice environnementale, qui a d’ailleurs fait son apparition dans le titre, lors de l’examen devant l’Assemblée nationale.
Là encore, le dialogue entre les deux chambres sur des sujets d’intérêt commun aboutit à un travail équilibré. Cela permet de bien prendre en compte les diverses sensibilités qui demandent à s’exprimer sur les questions de justice environnementale.
Il s’agit d’une base intéressante pour les travaux qui nous attendent durant l’année 2021. Nous serons amenés à nous prononcer, avant le peuple français, sur une intégration plus profonde des préoccupations liées à la préservation de l’environnement dans notre droit constitutionnel. Je tiens, à cette occasion, à rappeler notre attachement au bicamérisme et au rôle du Parlement dans l’élaboration des lois.
Enfin, le dernier point que je souhaite aborder est la suppression de l’article 11 relatif à une nouvelle peine complémentaire, dite d’interdiction de paraître.
Malgré les travaux du Sénat, qui avait tenté de rendre cette interdiction applicable, nous devons constater que l’instrument proposé n’était pas satisfaisant. La réflexion doit se poursuivre. Je souhaite que nous apportions des solutions adaptées au fléau des infractions graves, et souvent violentes, qui ont cours dans nos transports en commun, et ce sur l’ensemble du territoire.
Le groupe Les Indépendants - République et Territoires votera bien sûr ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, on estime à plusieurs dizaines de milliards d’euros le préjudice causé à l’Union européenne par des actes de fraude et de corruption. Ces chiffres, gargantuesques, doivent nous interpeller sur l’urgente nécessité de renforcer la poursuite des auteurs de telles infractions financières, au niveau européen.
C’est l’objet principal du texte sur lequel nous nous prononçons. Celui-ci vise, en l’espèce, à instituer un parquet européen, faisant ainsi droit à un souhait émis de longue date par la Commission européenne, ainsi que par certains États membres de l’Union européenne.
Par ses dispositions, ce projet de loi vient donc permettre, d’une part, l’adaptation de notre législation à la création d’un parquet européen et, d’autre part, l’amélioration des dispositifs actuels concernant la justice pénale spécialisée en France.
Certaines de ces adaptations nous apparaissent particulièrement pertinentes et nous tenons à les saluer.
L’instauration, en premier lieu, de pôles régionaux spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale est un nouveau concept intéressant. En effet, la multiplication des normes dans ce domaine en fait, à l’heure actuelle, un contentieux très technique. La spécialisation des magistrats est de ce fait une innovation positive.
L’attribution, en second lieu, d’une compétence en matière d’affaires de pollution des eaux maritimes aux juridictions du littoral spécialisées est également une très belle avancée, que nous accueillons avec enthousiasme.
Nous constatons la pertinence de ces adaptations, ainsi que, de manière plus large, l’importance de la création d’un parquet européen. Mais, sans moyens alloués à ces nouveaux pôles, sans formation concrète dispensée à ces magistrats, ces innovations risquent de souffrir des mêmes maux dont souffrent déjà les juridictions conventionnelles.
En outre, l’article 8 interroge. Il tend à créer une convention, qui permettrait au procureur de conclure un accord avec une personne morale mise en cause pour un délit environnemental, en lieu et place d’un procès. Une telle procédure créerait une justice d’exception pour les délits environnementaux, en libérant les principaux pollueurs de toute reconnaissance de leur responsabilité.
Allons-nous accepter que des délinquants environnementaux puissent bénéficier d’allégements procéduraux ? Allons-nous tolérer qu’ils puissent se soustraire à un procès public ? La protection environnementale n’est pas un sujet de second plan et ne peut, de ce fait, pâtir des complaisances d’une justice qui permet aux entreprises d’acheter leur impunité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous nous associons volontiers à l’objectif initial de ce texte, nous constatons que son manque d’ambition et sa faiblesse en matière de justice environnementale en diminuent grandement la visée.
Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires s’abstiendront.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire est parvenue sans peine, hier, à l’adoption d’un texte commun.
Je ne peux que m’en réjouir car, compte tenu de l’ampleur des fraudes contre les intérêts financiers de l’Union européenne, il était indispensable de mettre rapidement en place un effort de répression concerté et conjoint.
Nous espérions que ce Parquet européen soit opérationnel à la fin de 2020, mais la crise sanitaire qui a touché le monde entier nous a fait perdre presque une année, malgré l’engagement de la procédure accélérée en janvier 2019.
La création d’un parquet européen, chargé d’enquêter et de poursuivre en justice les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, est un combat de longue date entrepris par la France, et une véritable révolution à laquelle ont pris part vingt-deux des vingt-sept États membres.
L’adaptation de notre législation en ce sens représente donc une avancée majeure pour l’Europe.
L’accord issu de nos travaux d’hier permettra également de renforcer la justice pénale spécialisée, notamment en matière d’atteintes à l’environnement, trop rarement poursuivies et sanctionnées.
Un même mouvement a été introduit en matière civile par le Gouvernement en cours de navette.
Ainsi, dans chacune des trente-six cours d’appel de notre pays, une juridiction spécialisée sur l’environnement sera créée afin de rendre des décisions civiles et pénales plus rapides et plus efficaces.
La convention judiciaire environnementale permettra, quant à elle, une sanction plus rapide par le biais d’une amende, d’une remise en état ou d’une réparation du préjudice.
Les conventions créées par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – dite Sapin II – ont déjà fait leur preuve en matière fiscale. Une peine pouvant atteindre 30 % du chiffre d’affaires et la possibilité de publicité de la convention seront, à n’en point douter, dissuasives.
Le Parlement a opéré des apports importants en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement. Je pense notamment à l’amendement permettant l’immobilisation d’un navire ayant jeté ses eaux de ballast dans les eaux territoriales. Je pense également à l’extension, sur l’initiative de nos collègues députés, du champ de compétence des pôles spécialisés aux infractions ayant un fort impact environnemental, mais ne figurant pas dans le code de l’environnement.
Cette nouvelle justice pour l’environnement va dans le bon sens, même si nous savons tous qu’il faudra aller plus loin dans le cadre d’une réglementation internationale.
En dehors des mesures relatives à l’environnement, un certain nombre de dispositions ont contribué à enrichir le texte.
Je citerai l’adaptation, proposée par mon groupe, du dispositif de spécialisation départementale des juridictions aux situations dans lesquelles le ressort d’une juridiction excède les limites départementales.
Le Sénat a également enrichi les dispositions ayant tiré les conséquences de décisions du Conseil constitutionnel, relatives notamment à la possibilité de comparaître personnellement devant un juge en cas d’appel contre une décision de refus de mise en liberté ou en cas de saisine directe de la chambre de l’instruction, dans l’hypothèse où le JLD ou le juge d’instruction n’a pas statué dans les délais légaux.
Je suis évidemment favorable à l’adaptation prévue à Mayotte de cette mesure, qui renforcera les droits des détenus, mais cela démontre, une fois de plus, les sérieuses difficultés qu’engendre le détachement de la cour d’appel à La Réunion. Voilà un exemple supplémentaire qui, je l’espère, monsieur le garde des sceaux, vous convaincra du bien-fondé de la création d’une cour d’appel de plein exercice dans le cent unième département.
Je terminerai enfin en saluant l’entente à laquelle nous sommes parvenus s’agissant de la suppression de l’article 11, qui introduisait, dans le code des transports, une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun et dans les lieux destinés à leur accès.
Parce que nous avons à cœur de faire avancer l’Europe et la protection de l’environnement, le groupe RDPI votera les conclusions de la commission mixte paritaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme chacun sait, depuis 2016 et le référendum britannique, l’Europe subit malheureusement les rebondissements sans fin du Brexit. Les péripéties ont été nombreuses et n’ont pas toujours rendu service à ceux qui, comme au groupe du RDSE, défendent le projet d’une Europe mieux intégrée et plus vertueuse.
Dans ce contexte, nous nous réjouissons de poursuivre la discussion d’un texte participant au renforcement de la coopération européenne et à la mutualisation des efforts des nations qui la composent.
De la même façon, nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur celui-ci, d’autant qu’il porte sur l’une des fonctions les plus fondamentales de nos pouvoirs publics.
Sans en refaire l’historique, je rappellerai qu’il a été institué, en octobre 2017, au niveau européen, un parquet chargé de poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Ce dernier a d’ailleurs récemment trouvé son siège au Luxembourg. Il ne reste plus qu’à procéder à la désignation, par chacun des États membres, des procureurs délégués chargés de mener les enquêtes au niveau national.
Au préalable, il revient à chaque État de définir la place de ces nouveaux procureurs au sein du système judiciaire national. C’est l’objet du titre Ier du présent projet de loi, qui, outre certaines questions techniques, soulève des interrogations déjà mises en avant par mon collègue Jean-Claude Requier lors de précédents débats.
Quelle conséquence pourrait avoir l’introduction de ce nouvel organisme au regard des spécificités de notre appareil institutionnel ? Plus particulièrement, comment se fera à terme l’articulation du procureur européen avec le juge d’instruction français ? Faudra-t-il de nouveau se poser la question de son existence ?
Ces questions sont d’autant plus légitimes qu’elles ne concerneront qu’une minorité de pays au sein de l’Union européenne. D’où l’hypothèse que ces deux acteurs judiciaires peinent vite à accommoder leurs fonctions, puisque, du point de vue européen, nous voyons mal comment il pourra être tenu compte de ce binôme.
Par ailleurs, le titre II du texte a pour objet d’améliorer la spécialisation de nos juridictions pénales. Sur ce point aussi, nous avons déjà fait certaines observations dont je redirai la teneur, car ce phénomène de spécialisation des juridictions pose mécaniquement le problème de l’accès à la justice.
Des rapports et des avis nous alertent depuis longtemps à ce sujet : la création de tribunaux spécialisés dans des domaines très limités peut conduire à une concentration de la spécialisation au sein d’un seul tribunal pour tout le pays ou pour une seule région. C’est évidemment un obstacle pour l’accès au juge, engendrant un risque d’éloigner le juge du justiciable, d’autant que l’accès à une justice dématérialisée de qualité, efficace et peu onéreuse demeure, malgré vos efforts, monsieur le garde des sceaux, un rêve lointain.
Nous regrettons tant la poursuite de la concentration administrative en région parisienne que le déséquilibre dont souffrent les territoires, notamment les territoires ruraux. La vigilance doit donc rester de mise.
Je terminerai en évoquant les dispositions du titre III, et nos regrets d’y trouver une forme de dispersion.
Sans en contester le bien-fondé, il demeure que certaines de ces dispositions ne se rattachent ni à l’objectif d’instauration d’un parquet européen ni au renforcement des juridictions spécialisées. Sans doute n’y avait-il pas de wagon législatif plus pertinent, mais, comme toujours, nous nous méfions des textes balais et disparates, dans le détail desquels se nichent parfois de bien mauvaises surprises.
Au regard de ces observations, le groupe du RDSE votera en faveur de ce texte. (MM. Jean-Claude Requier et Alain Marc applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.