Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mmes Françoise Férat, Martine Filleul.

1. Procès-verbal

2. Vœux du président du Sénat

3. Questions d’actualité au Gouvernement

politique vaccinale du gouvernement

Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Laurence Cohen.

baromètre de l’action publique

Mme Patricia Schillinger ; M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne ; Mme Patricia Schillinger.

stratégie vaccinale (I)

M. Patrick Kanner ; M. Jean Castex, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.

fracture territoriale et espérance de vie

M. André Guiol ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. André Guiol.

situation des étudiants (i)

Mme Monique de Marco ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

brexit

M. Dany Wattebled ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

stratégie vaccinale (ii)

M. Fabien Genet ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

détresse du monde étudiant

M. Pierre-Antoine Levi ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; M. Pierre-Antoine Levi.

fermeture du compte twitter de donald trump et lutte contre la haine en ligne

Mme Patricia Demas ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Patricia Demas.

situation des étudiants (ii)

Mme Sylvie Robert ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ; Mme Sylvie Robert.

lutte contre la délinquance en zone rurale

M. Bruno Rojouan ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

rave-party en ille-et-vilaine et efficacité du renseignement territorial

Mme Françoise Gatel ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

article 30 de la proposition de loi relative à la sécurité globale

Mme Laurence Muller-Bronn ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

politique industrielle de la france

Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

stratégie vaccinale (iii)

Mme Françoise Dumont ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.

avenir de l’usine sud de nickel en nouvelle-calédonie

M. Jean-François Longeot ; M. Jean Castex, Premier ministre.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

4. Candidatures à deux missions d’information

5. Problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols. – Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête

Mme Gisèle Jourda, rapportrice de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Débat interactif

Mme Maryse Carrère ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

M. Pascal Savoldelli ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Pascal Savoldelli.

Mme Sonia de La Provôté ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Sonia de La Provôté.

M. Étienne Blanc ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

M. Franck Menonville ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

M. Joël Labbé ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Joël Labbé.

Mme Patricia Schillinger ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Patricia Schillinger.

M. Joël Bigot ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Joël Bigot.

M. Jean-Pierre Moga ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Jean-Pierre Moga.

Mme Sabine Van Heghe ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Drexler ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Sabine Drexler.

M. Jean-Jacques Michau ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

M. Laurent Burgoa ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; M. Laurent Burgoa.

M. Fabien Genet ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

Mme Marta de Cidrac ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique ; Mme Marta de Cidrac.

M. Jean-François Husson ; Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique.

Conclusion du débat

M. Laurent Lafon, président de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols

6. Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique. – Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Débat interactif

Mme Michelle Gréaume ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Jean-Marie Mizzon ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Éric Kerrouche ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Patrick Chaize ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Pierre-Jean Verzelen ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Sophie Taillé-Polian ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Nadège Havet ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Maryse Carrère ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Nassimah Dindar ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Viviane Artigalas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Viviane Artigalas.

Mme Pascale Gruny ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Pascale Gruny.

Mme Martine Filleul ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; Mme Martine Filleul.

M. Cyril Pellevat ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Else Joseph ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

M. Bruno Rojouan ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

Mme Patricia Demas ; M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Conclusion du débat

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

Suspension et reprise de la séance

7. Avenir de l’entreprise EDF avec le projet Hercule. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme Denise Saint-Pé

M. Jean-Claude Tissot

M. Stéphane Ravier

M. Gérard Longuet

M. Franck Menonville

M. Daniel Salmon

Mme Marie Evrard

M. Jean-Claude Requier

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Patrick Chauvet

M. Serge Mérillou

M. Daniel Gremillet

M. Jean-Jacques Michau

M. Michel Savin

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

8. Ordre du jour

Nomination de membres de deux missions d’information

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Vœux du président du Sénat

M. le président. Monsieur le Premier ministre, au nom du Sénat, je tiens à vous adresser mes vœux, à vous-même et à tous les membres du Gouvernement.

Je veux également adresser mes vœux personnels à tous mes collègues sénatrices et sénateurs, ainsi qu’à l’ensemble des collaborateurs qui font la vie quotidienne du Sénat.

Je formule des vœux pour notre pays et pour tous nos compatriotes, notamment pour que nous puissions, ensemble, traverser et surmonter la crise sanitaire, qui impose souffrances, sacrifices et nécessaire discipline à nos concitoyens.

Notre vocation est de contribuer collectivement à surmonter cette crise, tout en préservant les exigences de la démocratie parlementaire, que nous incarnons avec nos collègues de l’Assemblée nationale.

Je vous souhaite la meilleure année qui soit, dans ces circonstances difficiles.

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

Enfin, vous n’oublierez pas les réflexes de protection sanitaire : les entrées et sorties de la salle des séances devront s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle, à l’exception de celles des membres du Gouvernement, lesquels entreront et sortiront par le devant, en étant attentifs aux gestes barrières.

politique vaccinale du gouvernement

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, après le fiasco des masques et des tests, les Françaises et les Français sont inquiets et doutent de la capacité de l’État à mettre en œuvre une stratégie vaccinale à la hauteur des défis, compte tenu des retards pris.

Pourtant, la mise sur le marché de plusieurs vaccins pour combattre les formes les plus graves de la covid-19 est une excellente nouvelle et ranime l’espoir, tout comme le traitement annoncé par l’Institut Pasteur de Lille, qui pourrait être prêt en février prochain.

La formidable performance des chercheuses et chercheurs aux quatre coins de la planète pour contrer ce coronavirus s’est malheureusement accompagnée d’une course effrénée des grands laboratoires pour obtenir le jackpot au lieu de jouer la coopération.

Agnès Pannier-Runacher a annoncé, et il était temps, la mise à contribution de trois sites en France pour concourir à l’effort de production de vaccins.

Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, quand allez-vous contraindre le laboratoire Sanofi à participer à cet effort collectif en mettant ses chaînes de production à disposition et à arrêter sa politique de suppression d’emplois, notamment dans les domaines de la recherche et du développement ?

Quand allez-vous recourir à la licence d’office pour produire des vaccins à prix coûtant et lever les brevets pour mettre les vaccins dans le domaine public ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Cohen, vous mettez en exergue le fol espoir qu’ouvrent l’arrivée et la mise sur le marché d’un certain nombre de vaccins, lesquels ont de surcroît le mérite d’être particulièrement efficaces, avec des taux de protection annoncés dépassant les 90 %, ce qui relève – je parle sous le contrôle d’Olivier Véran, qui est ministre de la santé et médecin – du plus haut niveau que puisse atteindre un vaccin.

Des doses de vaccins sont préréservées depuis sept mois, puisque nous avons commencé à travailler sur le sujet dès le mois d’avril dernier. Avec la Commission européenne, avec l’appui des grands pays de l’Union européenne, nous avons négocié six contrats, avec des réservations qui permettront l’accès à ces vaccins dès leur mise sur le marché.

Nous avons également, dès le mois de juin dernier, avec le lancement d’un appel à projets Capacity Building, fait en sorte de produire sur le territoire français et en Europe. C’était l’un des éléments essentiels de la négociation avec les laboratoires pharmaceutiques : s’assurer que, en mettant nos forces en commun, nous pouvions produire en Europe.

Nous sélectionnons, avec les laboratoires, les sites les plus productifs, les plus capacitaires. Il ne s’agit pas de faire du transfert technologique sur une dizaine de petits sites, ce qui consommerait beaucoup de forces scientifiques et industrielles. Aujourd’hui, c’est l’efficacité et le fait de produire pour les Européens qui nous conduisent.

C’est ce que nous sommes parvenus à faire, puisque 600 millions de doses préréservées chez Pfizer seront livrées cette année pour l’ensemble de l’Union européenne, ce qui signifie que nous avons l’appui industriel correspondant. Vous avez d’ailleurs cité la mise à contribution de trois sites.

S’agissant de Sanofi, le laboratoire travaille bien entendu sur le sujet, mais l’industrialisation d’un vaccin ne se fait pas en un claquement de doigts : cela dépend des sites et des technologies, et c’est sur ce travail qu’il s’est lancé.

Je rappelle également qu’il investit 600 millions d’euros dans une usine de vaccins, à l’horizon de deux ans. Nous anticipons, et je veux saluer ce travail de Sanofi pour accompagner la montée en puissance de la vaccination. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. À ma connaissance, Sanofi n’est pas un petit laboratoire ! Il est implanté sur le territoire du Val-de-Marne, et je puis vous assurer qu’il a des sites de production, le savoir-faire, les salariés et les chercheurs nécessaires. Il faut que Sanofi contribue effectivement et arrête de licencier !

Par ailleurs, vous avez refusé notre proposition de loi d’un pôle public du médicament et de la recherche. Madame la ministre chargée de l’industrie, monsieur le ministre de la santé, il n’est pas trop tard : vous pouvez vous ressaisir ! (Sourires.) Il faut écouter la voix de celles et ceux qui se retrouvent, à nos côtés, dans la campagne européenne de pétition « Pas de profit sur la pandémie ».

Nous appelons à la reconquête de la maîtrise publique de la production et de la diffusion des médicaments et des vaccins. Nous demandons la levée du secret des affaires pour une totale transparence des contrats signés avec Big Pharma. Nous exigeons que les vaccins et les traitements contre la pandémie soient un bien public mondial, librement accessible à toutes et à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

baromètre de l’action publique

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la crise sanitaire frappe notre pays, la situation de chaque commune, de chaque département et de chaque région demeure unique.

Cette pluralité de situations ne se cantonne pas au cas des pandémies. Nous le savons tous ici, une même mesure prise à l’échelle nationale n’obtient pas les mêmes résultats sur tout le territoire, même s’il est difficile de le prouver et de le quantifier.

Ce manque de visibilité ne permet pas de répondre efficacement au besoin de transparence des citoyens. Restaurer la confiance dans l’État et les politiques publiques qu’il mène est essentiel. Celles-ci nécessitent un pilotage efficace et une grande transparence.

Cette évaluation se doit d’être transparente, clé de voute d’une démocratie qui fonctionne. Apporter les informations aux citoyens de manière objective et compréhensible est crucial. Ils nous le demandent, et nous le leur devons.

Monsieur le ministre, dans le prolongement de la promesse du Président de la République d’inscrire son action et, avec elle, l’action de l’État sous le signe de la transparence, vous avez présenté aujourd’hui en conseil des ministres un nouvel outil : le baromètre de l’action publique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. On est sauvés !

Mme Patricia Schillinger. Pourriez-vous nous indiquer comment cet outil répond à l’exigence d’efficacité et d’efficience des politiques publiques ? Et comment contribue-t-il à la promesse de transparence portée par le chef de l’État ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Patricia Schillinger, je vous prie tout d’abord d’excuser Amélie de Montchalin, qui n’a pas encore pu nous rejoindre.

Depuis plus de trois ans, dans cet hémicycle, vous avez beaucoup débattu et adopté de nombreuses lois. C’est l’enjeu de la mission confiée par le Président de la République, sous l’autorité du Premier ministre, à Amélie de Montchalin : faire en sorte que nos réformes prioritaires trouvent une traduction concrète dans le quotidien des Français.

M. Jean-François Husson. Jusque-là, on en est loin !

M. Marc Fesneau, ministre délégué. Cette transformation de l’action publique que nous menons depuis 2017 est plus que jamais une priorité, et la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant presque une année ne la remet pas en cause, bien au contraire. Le baromètre des résultats de l’action publique, présenté ce matin par la ministre lors du séminaire gouvernemental, et désormais accessible à tous sur le site du Gouvernement, en témoigne de manière tangible, indicateurs à l’appui.

Cet outil donnera à voir aux Français les résultats concrets de vingt-cinq réformes prioritaires menées par le Gouvernement, sur la base d’indicateurs chiffrés dans huit domaines essentiels du quotidien, tels que la transition écologique, le travail, le développement de l’apprentissage ou encore la santé, pour ne citer que ces exemples.

Les résultats précis qui y figurent seront accessibles département par département, et toutes les données seront disponibles en open data et actualisées tous les trimestres, afin que l’on puisse en mesurer l’évolution.

Ce baromètre permettra à tous les acteurs, et en premier lieu à vous, parlementaires, de savoir concrètement ce qui avance chez vous, mais aussi ce qui, parfois, avance moins vite, donc ce sur quoi nous devons accélérer ou évoluer.

Cet outil contribuera à renforcer la confiance de nos concitoyens envers nos pouvoirs publics ; il permettra aussi d’accélérer la transformation concrète de l’action publique, au service des territoires et des citoyens. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse. J’espère que les territoires se saisiront de cet outil. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.) Nous aurons ainsi la possibilité de mesurer les conséquences de ces actions.

stratégie vaccinale (i)

M. le président. En saluant nos collègues nombreux dans les tribunes du public et dans la tribune d’honneur, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, l’épidémie qui nous frappe si durement depuis presque un an aujourd’hui nous impose humilité et responsabilité : humilité devant un virus évolutif, qui nous oblige à nous adapter en permanence ; responsabilité pour soutenir les politiques sanitaires, tant qu’elles nous sont présentées sur la base d’informations objectives, même quand elles sont dures pour nos concitoyens.

C’est donc en responsabilité que nous devons envisager la campagne vaccinale, qui est notre principal espoir pour maîtriser cette épidémie. Dès le mois de novembre, ici même, nous appelions le Gouvernement à mettre en place rapidement un plan clair, net et précis de vaccination. Ce n’était pas de la polémique, mais un appel à la prise en compte par l’exécutif d’une urgence absolue, dans l’esprit des conclusions du conseil scientifique rendu le 9 juillet 2020.

Vous étiez rassurant, nous affirmant que vous étiez dans l’action, alors que, quelques semaines plus tard, vous n’avez été que dans la réaction.

C’est le dos au mur que vous avez réagi, après que la polémique a justement été déclenchée par le Président de la République lui-même. Ce retard a un coût économique, social et humain considérable. Ce manque d’anticipation, associé à une stratégie assumée de la lenteur, à laquelle vous avez heureusement renoncé, doit s’effacer au profit d’une mobilisation générale qui tarde à venir.

Il faut associer plus étroitement les élus locaux et faire confiance à l’intelligence des territoires, plutôt qu’à des cabinets de consultants privés. Les centres de vaccination devraient être en place ; ils sont encore en déploiement. Le calendrier vaccinal devrait être arrêté ; il comporte encore des incohérences. Une campagne de communication devrait être lancée ; elle n’est pas à l’état de projet.

Je ne mets pas en doute votre bonne volonté, monsieur le Premier ministre, mais je m’inquiète de l’efficacité de vos choix.

Monsieur le Premier ministre, comment allez-vous rattraper votre manque d’anticipation pour gagner la course contre la montre qui s’est engagée face aux différentes mutations du virus ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, je répondrai tout d’abord bien volontiers aux vœux de bonne et heureuse année que vous avez bien voulu présenter au Gouvernement de la République dans cette année si importante et si particulière.

Je voudrais à mon tour vous adresser, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en mon nom personnel et au nom du Gouvernement, tous nos vœux pour la Haute Assemblée et pour la France, dans une période qui est effectivement, et depuis plusieurs mois, extrêmement complexe.

Monsieur le président Kanner, je vous remercie de votre question qui porte sur la stratégie vaccinale et, plus généralement, comme la question de Mme la sénatrice Cohen, sur la stratégie que nous employons depuis plusieurs mois pour faire face à cette pandémie.

Je voudrais tout d’abord élargir mon propos, en me reportant à la question précédemment posée sur ce sujet. Mesdames, messieurs les sénateurs, la France, et il faut s’en réjouir, n’a pas à rougir de sa stratégie globale de lutte contre cette pandémie. (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Après l’échec de la stratégie de tests, répète Mme Cohen – c’est une sorte de disque –, voici venu l’échec de la stratégie de vaccination.

Mme Sabine Van Heghe. Et vous oubliez les masques !

M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, où en est la stratégie de tests ? Faites une enquête comparative avec tous les autres États européens, nous y sommes prêts ! (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Non qu’il n’y ait pas eu de difficultés, comme il y en a eu partout. Mais la vérité, c’est que, aujourd’hui, la France est parmi les pays d’Europe qui testent le plus et le mieux.

M. Olivier Paccaud. Bref, nous sommes toujours les meilleurs !

M. Jean Castex, Premier ministre. Pas moins de 84 % des résultats des tests sont obtenus en moins de 24 heures. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Quant aux résultats de notre politique, contre laquelle le Sénat avait voté lorsque je l’avais sollicité pour le deuxième confinement, avec beaucoup d’humilité, cher président Kanner, mais avec assurance, dois-je vous rappeler que nous avons aujourd’hui le taux d’incidence parmi les plus bas d’Europe et le taux de positivité des tests – c’est sans doute un meilleur indicateur –, parmi les moins élevés d’Europe ? Ce sont des faits !

Nous avons confiné, certes sans l’accord du Sénat, avant les autres, et nous en avons tiré bénéfice, tout en préservant Noël et l’activité au mois de décembre ; vous le verrez, mesdames, messieurs les sénateurs, quand les chiffres de l’activité économique du dernier trimestre seront connus.

Je ne vous demande pas de cesser de critiquer et de contrôler le Gouvernement – c’est votre rôle –, mais ne nous autoflagellons pas !

M. Olivier Paccaud. L’autosatisfaction, cela suffit !

M. Jean Castex, Premier ministre. Non, monsieur le sénateur, ce n’est pas de l’autosatisfaction : ce sont des faits !

Ce n’est pas moi, ce sont les Françaises et les Français qui ont fait les efforts nécessaires, comme nous l’avions demandé, entre Noël et jour de l’an, qui en sont largement responsables.

M. Olivier Paccaud. Bref, tout va bien !

M. Jean Castex, Premier ministre. Non, tout ne va pas bien, mais dans quels pays est-ce le cas ? Vous voudrez bien nous les indiquer, et nous nous y rendrons.

M. Jean-François Husson. En Israël, on vaccine bien plus vite !

M. Laurent Duplomb. Expliquez cela aux restaurateurs !

M. Jean Castex, Premier ministre. Nous menons une action déterminée contre cette crise sanitaire. Il est vrai que les drames sont considérables, les dégâts tout autant, mais, à un moment donné, calmons le jeu ! Je rappelle que je suis ici dans la Chambre de la sérénité… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Laurence Rossignol. Répondez à M. Kanner !

M. Jean Castex, Premier ministre. Je ferai la même réponse, monsieur le président Kanner, s’agissant de la vaccination. La stratégie vaccinale vous a été présentée dans cet hémicycle. Étant cas contact, je n’ai pu venir moi-même, mais j’étais avantageusement représenté par le ministre de la santé.

Cette stratégie vaccinale n’a pas changé, vous la connaissez parfaitement et vous l’approuvez. Elle consiste, suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé, comme dans la plupart des pays, à rendre prioritaires les personnes les plus vulnérables au virus qui, si elles le contractent, sont susceptibles de développer les formes les plus graves, d’être hospitalisées ou admises dans les services de réanimation.

Vous savez combien ceux-ci ont joué un rôle majeur dans la lutte contre cette pandémie, avec tous les professionnels qui les composent et qui, depuis le mois de mars dernier, sont toujours présents. Là aussi, en termes comparatifs, soyons fiers de nos établissements de soins, soyons fiers de tous les personnels, quels qu’ils soient !

Nous avons commencé par le plus difficile, à savoir les résidents des Ehpad, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, et des USLD, les unités de soins de longue durée.

M. Laurent Duplomb. Avec un document de 45 pages !

M. Jean Castex, Premier ministre. Je connais votre expérience locale, mesdames, messieurs les sénateurs, et vous savez très bien qu’il faut prendre des précautions pour recueillir leur consentement.

Ne cherchez pas à juger immédiatement une stratégie vaccinale qui va prendre plusieurs mois. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, en France comme ailleurs, il est impossible de juger un match de 90 minutes à la deuxième seconde. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Notre stratégie vaccinale va se déployer ; elle monte en charge. Oui, monsieur le président Kanner, elle fait appel aux territoires. Simplement, vous en connaissez les contraintes. Nous avons des délais de livraison, correspondant aux commandes, et des vaccins qui ne peuvent pas, comme nous le souhaiterions, être déployés dans les pharmacies par tous les professionnels de santé, compte tenu notamment de leurs conditions de conservation. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Jean-François Husson. Et comment fait l’Allemagne ?

M. Jean Castex, Premier ministre. Les choses se font dans l’ordre, sur tous les territoires, en impliquant les acteurs locaux.

L’enjeu, et vous le savez, parce que c’est une spécificité de la France, est de susciter l’adhésion d’un maximum de nos concitoyens, qui n’est pas acquise. Je constate d’ailleurs, semaine après semaine, que cette adhésion s’accroît, et c’est tant mieux.

Nous allons, conformément à notre calendrier, que nous avons effectivement accéléré à la demande du Président de la République, ouvrir cette vaccination à partir de lundi prochain aux personnes âgées de plus de 75 ans.

M. Jean-François Husson. C’est ce que nous vous demandions de faire depuis le début !

M. Jean Castex, Premier ministre. L’honnêteté commande de vous dire que cette vaccination de 5 millions de personnes prendra plusieurs semaines. Il est donc inutile de nous interpeller dès la première semaine. (Vives exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’ai toujours dit la vérité, y compris quand il s’agissait de prendre des mesures difficiles, que vous n’avez pas approuvées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de l’anticipation : des vaccins stockés et non injectés, c’est du reconfinement assuré, avec ses dramatiques problèmes sociaux et économiques.

M. Patrick Kanner. Le 9 janvier dernier, à Tarbes, vous disiez, et vous aviez raison, qu’une politique sanitaire est une politique d’État.

Monsieur le Premier ministre, votre responsabilité est immense devant les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)

fracture territoriale et espérance de vie

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. André Guiol. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé, pour calmer le jeu. (Sourires.)

Monsieur le ministre, une série d’études diligentée par l’Association des maires ruraux de France à partir de données publiques dont certaines émanent de votre ministère affirme que l’espérance de vie des habitants en milieu rural serait de deux ans inférieure à celle d’un citadin.

Parallèlement, on constate que la probabilité d’accéder aux soins hospitaliers est en moyenne de 20 % inférieure pour les habitants de nos campagnes que pour les habitants des villes, faute de diagnostics précoces, dus probablement au manque de médecins généralistes.

Si nous connaissons les différences de traitement entre ces deux types d’habitats, nous y sommes encore plus sensibles lorsqu’il s’agit de la santé de nos concitoyens. Aussi, nous vous invitons, monsieur le ministre, à mieux intégrer les associations d’élus dans les différentes instances de santé, car nous connaissons les difficultés du moment et les dispositions prises par le Gouvernement dans ce domaine.

Je pense notamment à la réponse concrète, bien que partielle, qui vise à augmenter le numerus clausus des médecins, dont on ne mesurera les effets que dans dix ans.

Intervient également dans ces difficultés la nouvelle organisation de travail dans laquelle souhaitent légitimement exercer les jeunes médecins, mais qui affecte leur disponibilité.

Je pense enfin à la création des maisons de santé pluridisciplinaires, dont le développement est plombé, si j’ose dire, par l’obligation de disposer de deux médecins pour envisager leur ouverture.

Ma question, monsieur le ministre, est donc la suivante : en attendant que le système pallie cette carence de couverture médicale constatée, pourquoi ne pas suspendre un temps, avec le concours des infirmières et des infirmiers, cette obligation des deux médecins ?

Cette mesure provisoire, globalement peu onéreuse, apporterait une réponse concrète et rapide à nos difficultés, dans un secteur des plus sensibles. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé. (Ah ! sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur André Guiol, je vous remercie de votre question.

Vous avez raison de souligner que, parmi les facteurs pouvant expliquer que l’espérance de vie en bonne santé dans les territoires ruraux est plus faible que dans les grandes villes, il y a sans doute le problème de l’accès aux soignants et aux médecins.

Le problème est ancien : il y a toujours eu des divergences de répartition sur le territoire, comme en témoignent les cartographies françaises depuis le XIXe siècle. Mais, aujourd’hui plus qu’hier, cette situation est inacceptable.

Vous avez dit, monsieur le sénateur, que le numerus clausus avait été augmenté, mais que cela prendrait dix ans pour former plus de médecins. En réalité, nous l’avons supprimé, mais vous avez raison de souligner que cette mesure prendra du temps pour être effective.

Pendant des décennies, nous avons empêché les jeunes d’apprendre la médecine en France. C’était une aberration, mais, rassurez-vous, l’augmentation avait déjà commencé avant la suppression du numerus clausus : nous étions 3 500 dans ma promotion de deuxième année de médecine en 1998 ; il y a cette année 10 000 jeunes médecins en formation, donc cela viendra, mais il faut tenir.

Des solutions existent, comme la télémédecine. Depuis le début de la crise sanitaire, nous réalisons un million de téléconsultations par semaine, contre 10 000 auparavant. Je pense aussi aux organisations collectives. Je crois beaucoup aux communautés professionnelles territoriales de santé, les CPTS – les élus que je rencontre me disent qu’ils en sont satisfaits –, mais également à l’exercice regroupé dans ce que l’on appelle les maisons de santé pluridisciplinaires.

Monsieur le sénateur, la règle veut, il est vrai, qu’il y ait au moins deux médecins dans une maison de santé pluridisciplinaire, afin de la stabiliser dans la durée. En effet, si l’unique médecin s’en va, les autres soignants se retrouvent sur la touche.

Toutefois, la maison de santé peut être créée, même avec un seul médecin. C’est le financement de la création du poste d’assistant médical accompagnant les soignants dans leurs tâches administratives qui est corrélé à la présence de deux médecins.

Cependant, je fais mien votre point de vue, monsieur le sénateur, et je publierai prochainement une ordonnance offrant un délai, dans les maisons de santé comprenant un médecin et des soignants paramédicaux, permettant de recruter un nouveau médecin et de s’engager dans la voie de l’exercice collectif. Je pense que c’est déjà une bonne façon de répondre au problème que vous soulevez.

Nous continuerons à développer toutes ces offres de soins regroupés dans les territoires ruraux, périruraux et urbains. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour la réplique.

M. André Guiol. Une fois n’est pas coutume, la réponse me satisfait, monsieur le ministre !

situation des étudiants (i)

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Monique de Marco. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Léa, une étudiante de ma circonscription, en Gironde, m’a écrit ceci : « Je suis à un moment clé de ma vie, où je dois faire des choix importants pour mon avenir. Mais, aujourd’hui, il m’est impossible de me projeter, et personne n’est là pour m’aider. Je suis seule, derrière un écran sans vie, depuis des mois. […] Je me sens lâchement abandonnée par mes aînés. »

Madame la ministre, un tiers des étudiants montrent aujourd’hui des signes d’anxiété et de dépression. Leurs conditions de vie et d’études sont fortement dégradées. Leur isolement prolongé – les cours ont uniquement lieu en distanciel – et une vie sociale qui s’est réduite comme peau de chagrin risquent d’avoir des conséquences dramatiques.

La réouverture des universités était envisagée pour la rentrée de janvier, mais elle n’a finalement pas eu lieu.

Les consignes sont données tardivement, avec un manque criant de concertation. Les étudiants et les enseignants se sentent oubliés, déconsidérés, voire, serais-je tentée de dire, sacrifiés.

Ne pouvons-nous pas faire preuve d’imagination, d’intelligence collective ? Ne serait-il pas possible de proposer par exemple une partie des cours en présentiel, avec des jauges adaptées selon la taille des salles, pour rompre l’isolement de nos jeunes et leur redonner espoir en l’avenir ?

Il nous semble urgent de recruter plus de psychologues et de proposer un chèque santé aux étudiants. Il faut également répondre à la précarité, par exemple par un moratoire sur les loyers dans les résidences universitaires, un renforcement des aides, des recrutements d’assistantes sociales. Il est aussi plus que temps d’étendre le bénéficie du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans, qui en sont injustement exclus, en incluant les étudiants, pour ne pas laisser tomber nos jeunes face à la crise.

Au-delà de la concertation annoncée pour ce vendredi, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour faire face à la détresse des étudiants et atténuer leur isolement ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Madame la sénatrice, l’ensemble du Gouvernement – le sujet est interministériel puisqu’il concerne le futur emploi des jeunes, l’apprentissage ou l’orientation dans l’accès à l’enseignement supérieur – se préoccupe chaque jour de l’avenir de notre jeunesse et des étudiants.

Vous étiez au mois d’octobre dernier avec moi sur le campus du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) à Pessac. Vous avez vu comme moi la détresse de certains étudiants. Vous avez aussi vu, je pense, l’engagement exceptionnel des personnels des Crous et des services de santé, qui aident et accompagnent les étudiants, ainsi que celui des étudiants eux-mêmes. C’est tout cela que mon ministère soutient.

Oui, les cours sont en train de reprendre progressivement dans les établissements ! Oui, toute cette progression est coconstruite ! Dès le début du mois de décembre, nous avons commencé à travailler à une reprise très progressive au mois de janvier. Ce vendredi, nous continuerons de travailler pour augmenter le nombre d’étudiants pouvant bénéficier de cette reprise. L’enseignement, c’est évidemment avant tout une relation humaine qui se noue entre un professeur et ses étudiants.

Vous demandez plus de psychologues ? Le Premier ministre a annoncé doubler leur nombre dans les établissements d’enseignement supérieur. Et les Crous sont en train de recruter soixante assistantes sociales.

Les étudiants ont perdu leurs petits jobs ? Nous en avons créé 22 000 dans les universités, et nous allons continuer.

Aux questions nouvelles que soulève cette crise inédite, comme à celles qui se posent depuis très longtemps sur la précarité des étudiants, nous essayons d’apporter des réponses pragmatiques, concrètes, qui soient un véritable un bol d’air pour nos étudiants.

Je remercie une fois de plus l’ensemble des étudiants et des personnels, qui traversent cette crise du mieux possible, dans un contexte très compliqué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

brexit

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Avec la publication le 24 décembre d’un accord de 1 246 pages dans la langue de Shakespeare, le Brexit est décidément le miracle de Noël que l’on n’espérait plus ! Encore une fois, je tiens à saluer le travail hors pair du négociateur européen, Michel Barnier, et de toute son équipe.

Après quarante-sept ans de vie commune, quatre ans et demi d’instance de divorce, nous ne connaissons pas encore le montant de la pension alimentaire ! De nombreux intérêts européens et britanniques sont interdépendants ; nous devons assurer leur convergence. Il va falloir appliquer cet accord, l’interpréter, en faisant avec les possibilités qu’il offre et les limites qu’il comporte.

Monsieur le ministre, pour nos concitoyens et pour nos territoires, l’accord laisse de nombreuses questions en suspens. Dans les Hauts-de-France, on s’interroge sur ce qui se passera à la fin de la période de transition, prévue au mois de juin 2026, dans le secteur de la pêche. De nombreux eurodéputés ayant commencé lundi l’examen du texte partagent cette interrogation.

Je vous sais attentif aux craintes de nos pêcheurs. Comment voyez-vous les effets à court terme sur la pêche française et les perspectives post-2026 ?

Malgré l’application provisoire de l’accord, des pénuries dans les rayons sont constatées. Je ne parle pas des rayons de Marks & Spencer en France ; je parle de ceux des supermarchés britanniques. Si les rayons sont vides, c’est bien que nos produits n’ont pas pu être livrés. Anticipez-vous des difficultés dans le secteur des transports et pour nos agriculteurs, qui fournissent des denrées périssables à nos voisins d’outre-Manche ?

J’évoquerai enfin le protocole d’accord des services financiers, promis pour le mois de mars 2021. Quelles seront les étapes suivantes ?

Il apparaît en tout cas certain que notre négociation avec le Royaume-Uni est encore bien loin d’être achevée ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Wattebled, vous avez raison de le souligner : cet accord est finalement un bon accord. Il n’était pas attendu à la fin des négociations, qui ont été extrêmement difficiles.

Vous avez posé plusieurs questions, d’abord sur la pêche, qui est un souci important. Nous ne pensions pas pouvoir trouver un accord sur ce sujet. Le Royaume-Uni en avait fait le symbole même de sa souveraineté retrouvée. Or, comme vous l’avez vu, nous avons pu à la fois préserver l’accès aux eaux britanniques, mais aussi ne diminuer les quotas que de 25 % à l’horizon de juin 2026, quand les Britanniques exigeaient une baisse de 80 %. La négociation a été, je le crois, bien menée, et approuvée par les Vingt-Sept. C’est un acquis majeur.

Quelques points techniques, notamment sur l’accès aux 6-12 milles marins ou sur les îles anglo-normandes, doivent encore être réglés. Il restera aussi à négocier annuellement les totaux admissibles de capture (TAC), sur la base de l’existant, et à appréhender de la meilleure manière l’horizon de juin 2026.

Cela étant, nous disposons de toute une série d’outils pour, le cas échéant, prendre des mesures de sauvegarde, de rétorsion ou de compensation si, d’aventure, nous étions en difficulté dans la négociation de l’accès aux eaux britanniques, sachant, en outre, que les accords sur l’énergie entre l’Union européenne et le Royaume-Uni seront discutés au même moment. Avec ces deux leviers, nous serons en situation en juin 2026 de faire valoir nos avantages et de maintenir la stabilité relative dans l’accès aux eaux.

Pour les services financiers, la situation est très simple : l’Union européenne a pleinement conservé sa capacité à délivrer unilatéralement, au cas par cas et en fonction de ses propres intérêts, les équivalences financières lorsqu’elles seront demandées.

Enfin, la mise en œuvre de l’accord pose inévitablement des difficultés mécaniques pour l’approvisionnement d’un certain nombre de commerces britanniques, mais nous avions indiqué aux Britanniques que ce ne serait pas positif pour eux.

De même, leur situation sanitaire est, malheureusement, catastrophique. Il faudrait d’ailleurs vous informer, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de faire des comparaisons avec la France, mesdames.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cette situation catastrophique explique en grande partie les difficultés que vous évoquez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

stratégie vaccinale (ii)

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Genet. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Face aux malades du covid et à leurs familles parfois endeuillées, face à l’isolement, à la peur et à la tension psychologique qu’impose la crise à nos concitoyens, face à la menace du variant anglais et au risque de reconfinement, nous ne sommes pas d’humeur à polémiquer.

Mais, nous, parlementaires, nous ne sommes pas tirés au sort de manière anonyme et irresponsable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.) Nous rendons des comptes à nos concitoyens et nous relayons leurs légitimes interrogations.

Or, à vous entendre, monsieur le ministre, tout va toujours très bien ! Tout va très bien pour les vaccins ; tout va très bien pour les aiguilles ; tout va très bien avec la stratégie…

Mais si tout va si bien, pourquoi 20 % de la population n’est-elle pas vaccinée à l’heure actuelle, comme c’est le cas en Israël ? Pourquoi n’y a-t-il pas 2 millions de vaccinés, comme au Royaume-Uni ? Ou, au minimum, 500 000, comme en Allemagne ? Peut-être est-ce parce que vous avez choisi un « rythme de promenade en famille » et que la lenteur injustifiée de votre campagne de vaccination n’est à la hauteur « ni du moment ni des Français ». Tel est en tout cas l’avis, plein de colère, du Président de la République !

Heureusement, le dévouement sans borne de tous les professionnels de santé, l’engagement des préfets et des élus locaux offrent désormais un espoir sur le terrain ; j’ai pu le mesurer en préparant l’ouverture d’un centre de vaccination dans ma commune de Digoin.

Néanmoins, des inquiétudes persistent sur le rythme de cette campagne, en particulier en milieu rural.

Pourquoi, alors que tous les autres professionnels de santé peuvent participer à la campagne vaccinale, exclure les pharmaciens ? Pourquoi ne pas les autoriser à renforcer les équipes au sein des centres de vaccination ? Pourquoi ne pas vacciner sans attendre la totalité des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) afin de faire barrage au virus ? Pourquoi ne pas rendre obligatoire la vaccination anti-covid pour les personnels des Ehpad, comme c’est le cas de la vaccination contre l’hépatite B, qui est obligatoire pour les personnels de santé ?

Plus largement, au lieu de chercher à convaincre les incertains, commençons déjà par vacciner les volontaires ! Ils sont très nombreux et très impatients, monsieur le ministre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Tout d’abord, monsieur le sénateur, vous ne m’entendrez jamais dire que tout va bien. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne crois pas l’avoir dit, mais j’aimerais bien pouvoir le dire un jour dans cet hémicycle ou dans un autre. Ce serait une formidable nouvelle. Cela signifierait que je n’aurais plus à décompter quotidiennement 300 morts, 1 500 admissions à l’hôpital, 200 en réanimation et quelque 20 000 contaminations. Je crois que nous pouvons être d’accord sur ce point, monsieur le sénateur.

Personne ne nie les difficultés que pose la mise en place d’une logistique absolument immense dans notre pays, difficultés que connaissent d’ailleurs tous les pays. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous le savez, certains pays ont mis en place des vaccinations dans certains grands centres que l’on appelle des « vaccinodromes ». En Allemagne, la presse et les élus d’opposition ne sont pas plus tendres avec leur gouvernement que vous ne l’êtes avec nous. Outre-Rhin, on peut faire trois ou quatre heures de queue dehors pour être vacciné, voire attendre six heures au téléphone, et certains centres sont dépourvus de vaccins.

Personne n’est parfait, monsieur le sénateur, ni vous ni nous, mais nous essayons tous de nous améliorer. En l’occurrence, ce n’est pas le ministre qui vaccine, ce sont les dizaines de milliers de soignants dans les hôpitaux publics, les cliniques, les Ehpad, les centres de vaccination à destination des soignants et, demain, des personnes âgées de 75 ans et plus.

Nous pouvons saluer ces personnes, car elles font un gros travail. Les conditions dans lesquelles elles ont commencé n’étaient pourtant pas évidentes, mais il y a une montée en puissance. Hier, plus de 50 000 personnes ont été vaccinées dans notre pays. Le rythme sur lequel nous sommes n’a, je peux vous le dire, rien à envier à celui de nos voisins. Il continuera de s’accélérer progressivement, à mesure que les doses de vaccin nous seront livrées.

Monsieur le sénateur, vous posez des questions concrètes. Je compte sur les pharmaciens, en particulier lorsque nous disposerons d’un vaccin plus simple à utiliser, ne nécessitant pas d’être conservé à moins 80 degrés et n’étant pas conditionné en flacon de cinq ou dix doses. Les pharmaciens savent faire, comme en atteste la campagne de vaccination antigrippale, sur laquelle vous m’avez suffisamment interrogé. Je note d’ailleurs que tout se passe plutôt bien pour le moment – touchons du bois ! – à cet égard. Nous sommes capables de vacciner 5 millions de Français en une semaine. Nous ne nous passerons donc pas du savoir-faire et de l’engagement des pharmaciens.

La Haute Autorité de santé nous demande de ne pas vacciner les professionnels de santé de moins de 50 ans, car elle considère qu’il est trop tôt, qu’il faut commencer par les publics fragiles, c’est-à-dire les personnes vulnérables, en établissement collectif, celles qui risquent d’être admises en réanimation, à l’hôpital, ainsi que celles qui sont susceptibles de développer des formes pulmonaires graves. Si nous ne le faisions pas, vous pourriez nous le reprocher et, pour le coup, vous auriez raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

détresse du monde étudiant

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la détresse que connaissent actuellement les étudiants en raison de l’isolement provoqué par la fermeture des établissements de l’enseignement supérieur.

Le samedi 9 janvier dernier, un étudiant de l’université de Lyon 3 a tenté de mettre fin à ses jours en se défenestrant de sa résidence universitaire. Hier soir, toujours à Lyon, une autre étudiante a commis ce même geste désespéré. Ces gestes de désespoir doivent nous alerter sur la détresse des étudiants actuellement.

Depuis la fermeture des universités, l’immense majorité des étudiants considèrent que l’enseignement s’est dégradé. Les cours en distanciel sont devenus insupportables. Les étudiants n’en peuvent plus. Ils n’acceptent plus d’être infantilisés. Madame la ministre, ils sont au bord de la rupture.

Comme le rappelle Éric Carpano, le président de l’université Lyon 3 : « La fermeture des universités, les cours à distance, l’arrêt des activités sportives, culturelles et festives ont favorisé l’isolement et la détresse psychologique. »

Avec la crise que nous traversons, c’est l’ensemble de la vie étudiante qui est bouleversée. En plus, on constate que la situation économique a plongé les plus fragiles dans la précarité.

Nous sommes au bord d’un décrochage massif qui risque d’entraîner de nombreux gestes de désespoir, comme ceux de samedi dernier et d’hier soir.

Madame la ministre, les étudiants veulent un cap. Il est invraisemblable de laisser les gens s’entasser dans les métros, mais d’interdire la reprise des cours en amphithéâtre, même avec le port du masque. Il y va de la qualité de leurs études, de la reconnaissance de leurs diplômes sur le marché du travail et surtout de leur santé physique et mentale.

Face à l’urgence de la situation, et pour éviter une succession de drames, que compte faire l’État pour apporter une réponse concrète à ces étudiants en détresse ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le sénateur, votre question me permet d’adresser toutes mes pensées aux familles, aux amis, aux communautés et aux camarades de ces étudiants qui, dans ces situations difficiles, souvent multicausales – des enquêtes sont d’ailleurs en cours –, attentent à leurs jours.

Votre question comporte plusieurs éléments.

Tout d’abord, il faut, me semble-t-il, rendre un hommage vibrant et appuyé à l’ensemble des chercheurs et des enseignants, qui travaillent d’arrache-pied dans les universités et les établissements d’enseignement supérieur pour que les cours aient lieu, que les diplômes ne soient pas dévalorisés et que nos jeunes puissent être accompagnés au mieux dans cette situation très difficile.

Pendant le deuxième confinement, nous n’avons pas fermé les universités. Toutes les salles de ressources sont restées ouvertes sur rendez-vous, afin que les étudiants puissent garder un minimum de contact avec leur établissement. Des enseignements ont été autorisés : ceux qu’il était impossible de mener en distanciel. Depuis le tout début du mois de janvier, il peut y avoir, pour les plus fragiles, une reprise des enseignements en présentiel, par groupes de dix. Ce vendredi, nous allons continuer de travailler avec les conférences des présidents et les conférences des directeurs d’établissement pour voir comment élargir ces dispositifs.

Oui, les étudiants les plus fragiles, ce sont ceux qui entrent dans l’enseignement supérieur cette année, ceux qui sont en situation de handicap, et les étudiants internationaux qui se retrouvent seuls sur notre sol. Nous le voyons bien, ils sont en réalité très nombreux.

C’est pourquoi nous allons travailler à de nouvelles propositions afin de pouvoir faire revenir les étudiants sur leur lieu d’enseignement. C’est très important pour leur avenir pédagogique et psychologique.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, je vous remercie de cette liste d’actions, mais c’est visiblement insuffisant ; les faits le montrent. Les étudiants ne doivent pas être sacrifiés ; pour le moment, le constat est qu’ils le sont. Or il y va de l’avenir de notre jeunesse ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)

fermeture du compte twitter de donald trump et lutte contre la haine en ligne

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. Ma question s’adressait à M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Pendant que le monde entier assistait avec effarement à l’envahissement du Capitole, un autre événement, non moins important, s’est déroulé au nez et à la barbe de la puissance publique : les comptes du président des États-Unis sur le Net ont été supprimés.

Un premier réflexe a conduit beaucoup de ceux qui s’indignent des excès récurrents de Donald Trump à se réjouir de l’attitude des Gafam. Cependant, à y regarder de plus près, cette censure doit nous pousser à nous interroger sur l’état des libertés publiques et sur le risque que ces multinationales font désormais peser sur la liberté d’expression.

Mme Patricia Demas. Les réseaux sociaux sont devenus un élément essentiel pour s’exprimer. Aussi, laisser à des entreprises privées le soin de censurer ou non sur la toile constitue une atteinte grave à la démocratie.

La démocratie n’exclut pas d’interférer et de réguler la liberté d’expression, mais les limites en la matière doivent être définies par la puissance publique, par la loi et régulées par les États et la justice.

M. David Assouline. C’est le Parlement qui doit faire la loi !

Mme Patricia Demas. Force est également de constater que nos grandes législations sur la liberté d’expression sont trop souvent inopérantes dans l’espace numérique. Les fake news et la haine envahissent les réseaux.

M. David Assouline. Le racisme, c’est un délit !

Mme Patricia Demas. Là encore, ce sont les entreprises qui décident d’un simple clic, de façon obscure, ce qui doit rester ou disparaître.

De quel droit une entreprise privée peut-elle décider de ce qu’on peut dire ou pas ? Tout défenseur des libertés se doit de répondre à cette question.

Le Gouvernement a annoncé le « besoin d’inventer une nouvelle forme de supervision démocratique ». Qu’entendez-vous par là ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice, je rejoins complètement votre analyse. (M. David Assouline sexclame.) Si l’on peut se réjouir que les plateformes aient réagi à la suite d’un certain nombre de propos, c’est un précédent historique, à plusieurs titres.

D’abord, cela met en valeur de manière éclatante le rôle des réseaux sociaux et des plus grandes plateformes dans nos vies démocratiques.

Ensuite, par cette action, pour la première fois, les plateformes reconnaissent de facto qu’elles ont une responsabilité sur le contenu publié sur leurs réseaux sociaux, qu’elles ne sont pas dans une position neutre. C’est très intéressant, car cela nous donne un levier pour avancer avec elles et pour agir.

Enfin, comme vous l’avez très bien résumé, cela pose la question, fondamentale, des règles du jeu et de la manière dont on peut refréner, voire empêcher l’expression de certaines opinions sur un réseau social.

C’est la raison pour laquelle nous nous sommes emparés du sujet à l’échelon européen. Comme vous le savez, le Président de la République et le Gouvernement, en particulier Cédric O, sont très proactifs à cet égard. Le projet de règlement Digital Services Act, qui prévoit des régulations, a été présenté et soutenu par les commissaires Margrethe Vestager et Thierry Breton en fin d’année dernière. Il fera l’objet d’une discussion tout au long de cette année.

Le Gouvernement est en train d’étudier la possibilité d’anticiper cette démarche à l’échelon national, afin de caler les règles du jeu du débat public.

M. David Assouline. La violence et la haine en ligne sont déjà punies ! Il y a déjà des règles !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Il appartient au législateur de fixer les règles du jeu et à la justice de les faire appliquer et de contrôler leur juste application. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. J’entends vos déclarations, madame la ministre déléguée, mais, aujourd’hui, il y a urgence. La transgression dans le monde numérique est un problème sociétal. Il est l’heure de passer des paroles aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation des étudiants (ii)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Sylvie Robert. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

La situation des jeunes, et singulièrement celle des étudiants, est très préoccupante. Plusieurs événements tragiques ayant émaillé ces dernières semaines et, tout récemment, ces derniers jours soulèvent beaucoup d’inquiétudes.

Vie sociale et collective inexistante, notamment sur les campus, flou manifeste du scénario de reprise, partiels en présentiel incompris et parfois compliqués après des mois de visio : la confusion et l’absence de perspectives qui règnent en cette rentrée de janvier ont créé et amplifié une angoisse et un mal-être chez nombre de jeunes. Cela nous oblige à agir et à prévenir.

En plus de la précarité qui augmente et des inégalités qui se creusent, les étudiants présentent des symptômes de détresse psychologique qui deviennent alarmants. Ils vont d’incertitudes en désespoir de constater que leur année universitaire se déroule de manière aussi chaotique, malgré l’investissement des enseignants, des équipes pédagogiques et des Crous. Nous savons d’ores et déjà qu’à la démotivation s’ajoutent de risques forts de décrochage.

Malheureusement, les jeunes, notamment les étudiants, ont été les oubliés de la conférence de presse du 7 janvier dernier. Que leur dites-vous aujourd’hui, madame la ministre ? Comment entendez-vous répondre à cette triste réalité ? Au-delà des dispositifs annoncés, quelles perspectives leur donnez-vous ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Madame la sénatrice, nous n’avons effectivement pas évoqué les étudiants le 7 janvier puisque nous avions annoncé plus tôt…

M. Jean Castex, Premier ministre. Oui ! Je l’avais annoncé auparavant !

Mme Frédérique Vidal, ministre. … que les établissements pourraient accueillir dès le 4 janvier des étudiants par groupes de dix. Certes, cela a concerné un nombre limité d’établissements, mais simplement parce que très peu avaient repris à cette date. Les étudiants étaient donc prioritaires dans le plan d’action du Gouvernement.

J’ai entendu la polémique sur la date de la circulaire. Heureusement que, dans l’enseignement supérieur, nous sommes capables de préparer des rentrées universitaires sans attendre la parution des circulaires.

Le Premier ministre avait reçu les conférences des présidents et des établissements au début du mois de décembre. Le ministère et l’ensemble des établissements avaient évidemment travaillé sur cette reprise. Pour preuve, dès le 4 janvier, des étudiants étaient bien de retour dans les établissements d’enseignement supérieur ayant rouvert.

Vous évoquez la difficulté d’organiser des examens en présentiel. En moyenne, sur le territoire, environ 20 % des examens se sont déroulés en présentiel. Ce sont des examens pour lesquels les équipes pédagogiques ont estimé qu’il était essentiel que les étudiants soient présents. Mais rappelez-vous : à la fin de l’année dernière, la polémique portait sur le fait que les examens à distance défavorisent les étudiants n’ayant pas accès aux ressources numériques. Comme il est hors de question de donner des diplômes et de brader ceux de 2020 et de 2021, la présence physique des étudiants lors de certains examens est importante.

Nous allons accompagner le retour des étudiants. Nous sommes parfaitement conscients – je l’ai indiqué – que l’enseignement est avant tout une question de relations humaines. Nos jeunes ont besoin de retrouver leurs enseignants, qui ont eux-mêmes besoin de retrouver leurs étudiants ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Pendant cette crise, on a beaucoup demandé aux jeunes, notamment aux étudiants.

Compte tenu de la gravité de la situation, il est effectivement urgent d’apporter des réponses – vous l’avez dit, madame la ministre –, notamment pour renforcer l’accompagnement humain, qu’il aurait peut-être d’ailleurs fallu anticiper.

Ce que les étudiants attendent surtout, c’est de pouvoir se projeter et d’avoir des perspectives. Oui, il est urgent que votre gouvernement adresse enfin un véritable discours à la jeunesse de notre pays, notamment aux étudiants ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

lutte contre la délinquance en zone rurale

M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Bruno Rojouan. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Nos campagnes sont de moins en moins paisibles. La ruralité n’est pas moins touchée que les zones urbaines par la violence. Lors de l’année écoulée, selon les propres chiffres du ministère de l’intérieur, les violences ont augmenté de 8 % dans les zones rurales et périurbaines quand elles diminuaient de 5 % dans les zones urbaines dans le même temps.

Le constat est sans appel. Coups et blessures : +10 % ; séquestrations : +15 % ; règlements de comptes et homicides : +15 % ; viols : +18 %. On assiste dans les zones rurales ou semi-rurales à une véritable radicalisation des comportements, que l’on voyait auparavant le plus souvent en zone urbaine.

Illustration dramatique de cette dégradation, le 23 décembre dernier, trois gendarmes venus porter secours à une femme victime de violences conjugales ont été abattus dans un petit hameau du Puy-de-Dôme, département voisin du mien. Je tiens ici à rendre hommage à leur courage et à leur dévouement.

Monsieur le ministre, votre majorité ne peut ignorer cette nouvelle géographie de la délinquance, extrêmement inquiétante. Cet échec n’est pas seulement celui de l’ancien monde ; c’est aussi le vôtre ! Vous êtes en responsabilité. Vous avez le devoir d’entendre la détresse de nos concitoyens et des élus des territoires ruraux.

Il y a urgence ! L’heure n’est plus aux discours ou à d’hypothétiques expérimentations. Les Français attendent des actes concrets, et rapidement.

Quelle analyse faites-vous de cette nouvelle délinquance qui gangrène nos territoires ruraux ? Et que comptez-vous faire pour la combattre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, je partage évidemment votre émotion à l’évocation des trois gendarmes morts pendant ces fêtes de Noël. J’ai bien entendu exprimé, au nom du Gouvernement et de la Nation, ma tristesse devant un tel drame et devant les grandes difficultés que connaissent les policiers et les gendarmes, qui ont perdu onze des leurs l’année dernière.

Toutefois, votre lecture n’est pas tout à fait celle du ministère de l’intérieur. Tout d’abord, zone de gendarmerie ne veut pas nécessairement dire zone rurale. La gendarmerie protège 51 % de la population française, certes sur 95 % du territoire, mais 70 % des statistiques que vous évoquez relèvent de zones urbaines. Les chiffres du ministère de l’intérieur, qui seront publiés le 20 janvier prochain, le montreront.

La délinquance croît certes de façon très importante, et plus en zone de gendarmerie qu’en zone de police, comme vous l’avez souligné, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle a plus augmenté dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Les violences conjugales et intrafamiliales expliquent pour une large part ces augmentations, quelles que soient les zones, ainsi que les refus d’obtempérer et les délits routiers.

On relève un refus d’obtempérer toutes les vingt minutes en zone de gendarmerie, un toutes les trente minutes en zone de police. Plus de la moitié des morts en service l’an dernier parmi les forces du ministère de l’intérieur sont dues à des refus d’obtempérer. Quant aux séquestrations que vous avez mentionnées, elles sont souvent liées au premier point que j’ai évoqué.

On relève en revanche, notamment en zone de gendarmerie, de très bons chiffres concernant les cambriolages, qui diminuent de 40 % alors qu’il s’agissait des délits les plus importants il y a encore deux ans. À cet égard, je remercie les gendarmes, qui font un travail courageux. De même, les faits attentatoires au monde agricole diminuent sur une grande partie du territoire national, même si leur nombre reste élevé.

Bien sûr, nous devons continuer de travailler, et vous avez raison de souligner la particularité de l’année 2020, le confinement et le couvre-feu ayant contribué à diluer les statistiques, en zone urbaine comme en zone rurale.

Mais n’ayez aucun doute, monsieur le sénateur : le travail continu de lutte contre la délinquance que nous menons et l’activité de l’autorité judiciaire, sous l’autorité du garde des sceaux, permettront d’apporter des réponses à vos questions. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

rave-party en ille-et-vilaine et efficacité du renseignement territorial

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre de l’intérieur, je veux vous parler d’une rave-party lunaire qui s’est tenue à la Saint-Sylvestre à Lieuron, charmant petit village d’Ille-et-Vilaine, mais sans doute de grand renom puisque plus de 2 500 « teufeurs » venus de France, de Belgique, d’Angleterre et d’Espagne s’y sont rassemblés. Cette rave-party interdite était extrêmement bien organisée : non seulement les entrées étaient filtrées et payantes, mais il y avait aussi des stands de vente de stupéfiants, de nourriture et d’alcool.

Cette rave-party lunaire était à haut risque sanitaire – nous en avons parlé, monsieur le ministre, il s’agissait d’une véritable provocation –, mais aussi en termes de sécurité puisqu’un véhicule de gendarmerie a été incendié et trois gendarmes agressés.

La critique est aisée, l’art plus difficile. Aussi je veux très sincèrement vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir sifflé la fin de la partie, en concertation avec les élus.

Comment se fait-il toutefois que 2 500 « teufeurs » aient pu trouver le lieu d’une fête qui semblait extrêmement bien organisée et que la gendarmerie n’ait pu infiltrer aucun réseau pour anticiper l’organisation de l’événement ? Une fois les fêtards sur place, il était impossible de faire sauter les parachutistes…

Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de l’incompréhension d’une partie de la population : comment se fait-il que certains Français partis skier en Suisse aient été placés en quarantaine à leur retour, mais que 2 500 « teufeurs » aient pu se disperser en France – certes après avoir été verbalisés – et propager le virus par la même occasion ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur. Permettez-moi de vous corriger, madame la sénatrice : ce sont non pas des « teufeurs », mais des délinquants qui se sont réunis ce soir-là, le caractère illégal de la manifestation ayant été établi. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je rappelle que, selon la loi de la République, la réunion non autorisée de plus de 500 personnes est illégale. Une information judiciaire a été ouverte par le procureur de la République, 2 000 personnes ont été verbalisées, 15 arrêtées, 4 mises en examen. Par ailleurs, 2,5 tonnes de matériel ont été saisies, dont 15 murs de son. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’autorité judiciaire. Ces actes n’ont donc pas été impunis.

Il est vrai que, contrairement à quelques boutefeux qui m’encourageaient parfois à le faire sur les réseaux sociaux ou à la télévision, je n’ai pas souhaité envoyer les parachutistes, dans des conditions extrêmement difficiles, sur des jeunes âgés de 15 à 20 ans. J’ai préféré, sous l’autorité du Premier ministre, clôturer le site afin d’éviter des blessures ou des décès. À cet égard, je salue le sang-froid des gendarmes.

L’ordre républicain a été tenu. Parmi les jeunes présents, 225 ont été verbalisés pour avoir consommé des stupéfiants ; les ordonnateurs ont été poursuivis, certains ont même été incarcérés.

Vous vous demandez comment l’organisation d’une telle manifestation a été possible, madame la sénatrice. C’est une question que le Sénat évoquera très certainement dans des projets de loi à venir. Le recours à des réseaux de communication parallèles, autres que le téléphone et le SMS, empêche le ministère de l’intérieur, qui ne fait qu’appliquer la loi de la République, d’intervenir. Comment pouvons-nous, dans l’ordre public, prévoir des manifestations de cette ampleur ? Nous devons nous poser la question. Quand c’est une rave-party, cela peut nous choquer. Quand ce sont des rassemblements de Black Blocs, cela nous choque encore plus.

Je demanderai au Parlement, sous l’autorité du Premier ministre, les moyens de renseignements pour activer les forces de l’ordre dans des conditions acceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

article 30 de la proposition de loi relative à la sécurité globale

M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

La nuit du 31 décembre, un accident tragique a eu lieu à Boofzheim, en Alsace. Un jeune homme de 25 ans a eu la tête arrachée en manipulant un tir d’artifice. Il habitait ma commune et voulait s’amuser avec un groupe d’amis. Il s’agissait non pas de délinquants qui tirent sur les forces publiques, mais de jeunes gens s’inscrivant dans une tradition festive solidement ancrée en Alsace, même si elle est de plus en plus décriée par les habitants, les autorités et les secours.

J’ai été interpellée par les maires, qui, malgré les interdictions, font face chaque année à des débordements, à des mutilations, et qui ont quelquefois la lourde charge d’annoncer aux parents le drame qui les frappe.

Aujourd’hui, nous devons admettre que les réglementations successives n’ont pas permis d’éviter de graves accidents. Pour être efficaces, les interdictions doivent impérativement être accompagnées de sanctions réellement dissuasives. C’est ce que prévoit l’article 30 de la proposition de relative à la sécurité globale pour les tirs de mortiers sur les forces de l’ordre, qui vise à durcir le régime des sanctions.

Concernant les tirs de divertissement, il faut obliger les organisateurs d’événements et de soirées à inscrire l’interdiction formelle des feux d’artifice dans tous les contrats de location de salles et sur tous les supports de communication, sauf si un professionnel agréé est recruté pour les tirer. Toute transgression de cette règle doit être assimilée à un délit sanctionné d’une amende forfaitaire et d’une inscription au casier judiciaire.

Je déposerai un amendement en ce sens lors de l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale au Sénat. Il faut stopper cette indulgence malsaine et complice.

Monsieur le ministre, dans la mesure où nous n’arrivons pas à contrôler la vente et l’achat de ces articles, pourquoi ne pas réserver l’usage des feux de divertissement aux seuls professionnels, comme c’est déjà le cas pour les mortiers, afin d’éviter que chacun ne puisse les tirer de son jardin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur. Madame la sénatrice, je partage bien entendu votre émotion à l’évocation de cette jeune personne décédée entre Noël et le Nouvel An dans votre circonscription. J’adresse mes condoléances à ses parents et à la commune.

Quand j’entends parler des mortiers et des feux d’artifice, j’ai aussi une pensée pour tous les policiers et les gendarmes qui ont été attaqués, comme ce fut le cas à Champigny-sur-Marne à la fin de l’été. Le travail effectué par les agents de la préfecture de police de Paris, en lien avec l’autorité judiciaire, nous a permis de confondre les responsables de ces attaques, qui ont transformé des mortiers en armes par destination. Il s’agit souvent de mineurs, malheureusement, qui en l’occurrence ont été identifiés grâce à l’important travail effectué pour relever des empreintes.

Comme vous l’avez souligné, la proposition de loi relative à la sécurité globale, sur laquelle j’ai été auditionné hier soir par la commission des lois du Sénat – je salue ici ses rapporteurs –, prévoit dans son article 30 que l’utilisation non professionnelle de feux d’artifice constitue désormais un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. La vente aussi sera pénalisée, y compris sur internet. Nous l’avons fait pour d’autres sujets lorsque j’étais en poste à Bercy. Je sais toutefois que les artificiers accomplissent un travail professionnel, et je suis prêt à examiner des possibilités d’amendements avec les rapporteurs du texte au Sénat.

Nous devons suivre ce problème avec attention, de même que celui du protoxyde d’azote, cher à la sénatrice Valérie Létard, et celui des rodéos urbains – la loi de 2018 a permis des avancées sur les saisies, mais il faut sans doute accorder des moyens supplémentaires à nos policiers et à nos gendarmes.

Au regard de l’importance des questions de sécurité en jeu, j’espère que nous pourrons ensemble coconstruire ce texte. Soyez-en assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’hésitera pas à émettre un avis favorable sur vos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Très bien !

politique industrielle de la france

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la ministre chargée de l’industrie, mes chers collègues, la crise sanitaire a souligné la défaillance de notre appareil productif dans des secteurs cruciaux de notre économie. Je pense en particulier à la pénurie de masques, de gants ou de matériel pour les professionnels de santé au début de la pandémie.

Les chiffres de l’année 2020 sont édifiants : 30 plans de licenciements par semaine en octobre, près de 1 million de suppressions d’emplois, 657 plans de licenciements entre le 1er mars et le 22 novembre. Mais le pire reste à venir ! Nous savons que, avec cette crise, le mouvement de délocalisation va encore s’accentuer et entraîner des suppressions d’emplois massives.

Nous attendons un véritable « bain de sang », pour reprendre une expression de Patrick Artus, auditionné ce matin par la commission des affaires économique. Pourtant, des milliards d’euros ont été versés aux entreprises à travers des plans de soutien, sans aucune contrepartie en termes de maintien de l’emploi, de reconversion ou de formation professionnelle.

Un grand groupe comme Michelin, qui a pourtant la capacité de mieux résister pendant la crise, rationalise sa production et ajoute encore au malheur, en annonçant la suppression en France de 2 300 emplois.

Un autre grand groupe, General Electric, qui s’était engagé à créer un millier d’emplois en France, a annoncé en septembre dernier un plan de restructuration menaçant près de 800 emplois. Comble du cynisme, son PDG s’octroie un bonus de 47 millions de dollars en récompense d’une gestion purement actionnariale et financière, qui a entraîné en plusieurs décennies des dizaines de milliers de suppressions d’emplois.

Face à ce constat, notre pays a besoin d’un État stratège qui se dote de véritables outils de planification pour réduire notre dépendance industrielle.

Madame la ministre, quelle est votre feuille de route nationale et européenne pour assurer notre souveraineté industrielle et retrouver nos emplois ? En particulier, quelle est votre stratégie concernant l’avenir des chantiers de l’Atlantique ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Blatrix Contat, vous avez posé de nombreuses questions, et je vais essayer d’y répondre au mieux. Je vous remercie d’éclairer l’enjeu de l’industrie et je me réjouis de voir qu’il est très largement partagé sur ces travées.

Depuis le début du quinquennat, le Président de la République a fait de la reconquête industrielle un de ses marqueurs économiques. Il était temps ! La France a en effet détruit un million d’emplois industriels entre 2000 et 2016.

Je rappelle que nous avons recréé de l’emploi industriel en 2017, 2018 et 2019. Ces créations d’emplois ne sont pas le fruit du hasard. Elles résultent de politiques déterminées et efficaces en matière de fiscalité, de droit du travail, de simplification administrative et d’innovation, pour ne citer que ces quelques chapitres. Ces politiques sont aujourd’hui poursuivies et renforcées au travers du plan de relance. Nous avons voulu, avec le Président de la République, le Premier ministre et Bruno Le Maire, faire de l’industrie l’une des priorités du plan de relance : sur 100 milliards d’euros, 35 milliards d’euros y sont consacrés. Et évidemment, madame la sénatrice, des contreparties sont prévues.

Lorsque nous baissons les impôts de production, nous facilitons l’investissement des entreprises qui produisent, emploient des salariés et investissent en France. Nous n’accompagnons pas les délocalisations, car une entreprise qui délocalise ne paye pas d’impôts de production.

Nous accompagnons également la modernisation des entreprises et la relocalisation de la production. En trois mois, 800 entreprises industrielles ont été accompagnées à hauteur de 800 millions d’euros pour financer des projets concrets, avec l’obligation de rembourser si elles ne les exécutent pas. Nous allons également accompagner 6 500 entreprises dans la numérisation de leur production.

C’est ainsi, en agissant concrètement pour les entreprises industrielles et leurs salariés, que nous défendrons et recréerons les emplois industriels.

stratégie vaccinale (iii)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Dumont, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Dumont. Ma question s’adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Dans son désormais habituel point hebdomadaire, le Premier ministre donnait, jeudi dernier, une liste des départements passant à un couvre-feu à dix-huit heures dès dimanche. Le Var semblait alors être le seul département de la région Sud à être épargné dans l’annonce du Premier ministre. Samedi, nouveau rebondissement : le couvre-feu était avancé à dix-huit heures dans le Var et la Drôme. Un à un, les départements français sont soumis à ce couvre-feu avancé, en attendant sans doute, comme chez nombre de nos voisins européens, de nouvelles mesures, peut-être plus contraignantes encore.

Les mauvais chiffres sont là : le nombre de personnes contaminées, bien sûr, mais aussi le faible nombre attendu de vaccinés. Un million tout juste de Français seront vaccinés à la fin du mois, 15 millions de personnes parmi les plus fragiles pour l’été, alors que les Britanniques se sont fixé comme objectif d’atteindre les 15 millions de vaccinés d’ici la mi-février. Dans le Var, seules 2 925 doses avaient été dispensées à la date d’hier, alors que le département compte 1,076 million d’habitants.

Parmi les voix qui s’élèvent, on compte celle des élus locaux : ils s’insurgent à juste titre contre votre politique sanitaire, qui ne tient pas compte de leurs mains tendues pour hâter la vaccination du plus grand nombre. Vous les laissez dans le flou s’agissant des séquences de livraison.

Votre stratégie aura en outre des conséquences économiques graves dans les territoires. Vous le savez, le Var est le second département le plus touristique de France. Mais il s’agit d’une économie particulièrement volatile, les touristes pouvant avoir peur de se rendre dans un département ou un pays où la population serait très largement non vaccinée. Votre stratégie vaccinale particulièrement lente pourrait donc signer l’acte de décès de l’économie touristique varoise et française si, l’été prochain, les chiffres de la vaccination n’étaient pas bons, et si ceux de nos voisins étaient bien meilleurs.

Aussi, monsieur le ministre, avant les traditionnelles annonces du jeudi, pourquoi ne pas vous appuyer sur les élus locaux et l’intelligence des territoires pour optimiser la stratégie vaccinale et prévoir un objectif bien plus ambitieux pour l’été ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Si vous veniez avec nous rencontrer les élus locaux, vous constateriez qu’ils sont en effet très contributeurs et qu’ils tiennent des discours souvent assez éloignés de ceux que l’on peut entendre à Paris.

Je suis d’ailleurs en lien étroit avec un certain nombre d’élus varois, y compris de votre bord politique, qui participent aux cellules de coordination départementale pour mettre en place la stratégie vaccinale.

L’un d’eux m’a expliqué qu’il avait recruté des médecins du département pour venir appuyer le centre de vaccination. Un autre m’a demandé s’il pouvait utiliser les véhicules dont il disposait pour déplacer des personnes âgées isolées des territoires du Haut-Var, du côté de la Dracénie, vers le centre de vaccination. Je lui ai répondu que nous n’étions pas jacobins au point qu’il faille me demander une autorisation pour cela ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Castex, Premier ministre. Heureusement !

M. Olivier Véran, ministre. Madame la sénatrice, je vous invite à venir constater par vous-même ce décalage entre ce que je perçois parfois dans cet hémicycle, ou un autre, et ce que j’entends sur le terrain (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. - Applaudissements sur les travées du groupe RDPI), à aller voir sur place ce que nous construisons tous les jours avec les élus locaux. Je vous invite par exemple à participer aux cellules départementales de coordination et d’organisation de la vaccination.

J’entends toutefois vos préoccupations, madame la sénatrice, et je vous répondrai, comme je pourrais le faire aux sénateurs des Alpes-Maritimes, du Gers ou des Hautes-Pyrénées, où nous étions récemment avec le Premier ministre, que la répartition des doses de vaccin dont nous disposons se fera au prorata de la population et non en fonction de l’appel de tel ou tel élu, ou des préoccupations particulières de tel ou tel territoire.

Nous avons fait une seule entorse à cette règle et distribué les 50 000 premières doses du vaccin Moderna aux communes du Grand Est, de Bourgogne-Franche-Comté et des Alpes-Maritimes, qui font face à une très forte recrudescence épidémique. Il me semble que chacun peut l’entendre.

Je serai vendredi à Troyes, avec M. Baroin. J’étais hier avec l’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF), l’Association des régions de France (ARF) et France urbaine. J’étais encore tout à l’heure au téléphone avec le président Rottner pour structurer les possibilités d’intervention des régions au service de nos concitoyens, en parfaite harmonie avec l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

avenir de l’usine sud de nickel en nouvelle-calédonie

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Ma question, que je pose au nom de mon collègue Gérard Poadja, s’adresse à M. le Premier ministre.

En Nouvelle-Calédonie, dans un contexte où l’écart entre indépendantistes et non-indépendantistes s’est considérablement resserré lors du référendum du 4 octobre dernier, Vale a décidé de vendre son usine métallurgique dans le sud du pays.

La Nouvelle-Calédonie s’est alors enflammée et l’on a assisté à des scènes rappelant les heures terribles des « événements » des années 1980.

Conscients de la gravité de la situation, nous étions intervenus afin que l’État pilote désormais au plus haut niveau ce dossier. Nous avions notamment suggéré que le champ du dialogue soit ouvert afin de construire un projet consensuel pour la reprise de l’usine, au-delà de l’offre à l’origine du conflit.

Il nous avait alors été indiqué qu’il n’y avait qu’une seule offre viable sur la table et que le Gouvernement la soutenait.

Depuis lors, il semblerait que la situation ait évolué puisque le ministre des outre-mer a précisé dans ses vœux aux Calédoniens que le Gouvernement ferait une nouvelle proposition très prochainement et que celle-ci prévoirait une implication plus forte de l’État.

Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Notre collègue Gérard Poadja et les députés calédoniens défendaient depuis plusieurs semaines l’idée d’une participation ou d’une prise de contrôle temporaire de l’État au capital de Vale afin que les acteurs disposent du temps nécessaire à la construction d’un consensus politique et industriel sur la poursuite de l’activité.

De la capacité du Gouvernement à donner véritablement corps à cette nouvelle perspective dépend le maintien de 3 000 emplois, le retour à la paix civile, ainsi que la reprise de l’activité. De cette impulsion dépend surtout la reprise du dialogue politique entre indépendantistes et non- indépendantistes, dialogue essentiel dans le cadre de la préparation du troisième référendum d’autodétermination prévu par l’accord de Nouméa.

Monsieur le Premier ministre, ma question est la suivante : comment le Gouvernement entend-il organiser l’implication plus forte de l’État dans le dossier de reprise de l’usine du Sud ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, messieurs les sénateurs Longeot et Poadja, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur le dossier extrêmement sensible de la Nouvelle-Calédonie, que je suis très directement, avec le concours actif de Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.

Vous le savez tous, la question du nickel est hautement stratégique pour ce territoire. Une usine Vale est en cours de cession au sud de l’île : 3 000 emplois sont concernés au seul titre des salariés et des sous-traitants et un seul repreneur est en lice.

L’État, qui intervient déjà très massivement dans cette entreprise, a décidé de maintenir son aide au bénéfice de tout repreneur, ce qui correspond à plus de 500 millions d’euros sous forme de prêts, de garanties de prêts et de défiscalisation.

Le projet de reprise a néanmoins fait l’objet d’une opposition violente, qui a conduit à des troubles très graves dans l’île au début du mois de décembre.

La réponse de l’État, par les forces de l’ordre et l’autorité judiciaire, a été très claire et très bien conduite. Je tiens à la saluer devant la Haute Assemblée. Elle n’a malheureusement pas pu empêcher de très nombreuses dégradations commises dans l’usine. J’observe avec vous qu’une partie des opposants au projet de cession, pourtant tout à fait satisfaisant, opposants qui sont plutôt de tendance indépendantiste, ont finalement demandé la nationalisation de l’usine par l’État… (Rires sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Le problème ne s’est malheureusement pas arrêté là puisque d’autres opposants ont fait le choix de bloquer une autre usine, la SLN (Société Le Nickel), dont l’État est actionnaire minoritaire via Eramet, pour « mettre la pression sur l’État dans le dossier de l’usine du Sud ». Ce faisant, ils ont placé cette usine au bord de la faillite, alors que 10 000 emplois sont concernés.

Sur ces dossiers, et dans l’affaire calédonienne plus généralement, le Gouvernement cherche avant tout la voie du dialogue.

Le ministre des outre-mer a passé trois semaines en Nouvelle-Calédonie, en octobre, immédiatement après la consultation référendaire. Après avoir rencontré tous les acteurs, il avait réussi à mettre tout le monde autour de la table. Le sujet du nickel, sans surprise, faisait partie de l’échéancier des concertations appelées à se tenir en novembre et en décembre, évidemment par visioconférence, pour les raisons que vous connaissez, la Nouvelle-Calédonie n’étant pas épargnée par la crise sanitaire. L’État a avancé des propositions pour faire évoluer l’offre de l’entreprise, rassurer les populations locales et apaiser les tensions.

Ces discussions se poursuivent et les autorités politiques locales compétentes y sont associées pour mettre au point définitivement les modalités de reprise du site, son accompagnement par l’État et son acceptabilité sociale, dans l’intérêt commun.

Mais pour pouvoir dialoguer – je le dis très tranquillement devant le Sénat –, encore faut-il réunir les conditions du dialogue, en Nouvelle-Calédonie comme partout. On ne dialogue pas, monsieur le sénateur, sous la menace ! Les blocages en cours, notamment sur le site de l’usine SLN, doivent cesser. La paix civile et l’ordre républicain ne sont pas négociables. Cette affirmation, loin d’affaiblir la volonté de dialogue du Gouvernement, contribue au contraire à la renforcer. On ne peut ni transiger ni tergiverser avec la tentation de la violence.

De même, je veux indiquer au Sénat que les décisions de justice qui ont été rendues ces dernières semaines pour condamner les casseurs doivent être appliquées et respectées. Si l’on condamne les violences, comme je me plais à constater que d’aucuns le font, on accepte que leurs auteurs soient condamnés.

Par ailleurs, pour dialoguer, il faut que tout le monde soit présent autour de la table. Je le redis ici publiquement devant le Sénat : tout en étant ferme sur le respect de certains principes, le Gouvernement continuera inlassablement d’appeler autour de la table l’ensemble des responsables politiques de l’île.

Monsieur le sénateur, vous avez fait le parallèle avec les terribles violences qui ont marqué ce territoire au début des années 1980. Je crois que nous devons résister à la tentation d’enfermer la Nouvelle-Calédonie dans cette référence ; le contexte n’est plus du tout le même. Trente années de rééquilibrage, de partage du pouvoir, de dialogue sont passées par là. Surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, la moitié de la population du Caillou a aujourd’hui moins de 30 ans !

Voilà la responsabilité historique devant laquelle la République et l’ensemble des acteurs politiques calédoniens se trouvent. Nous ne devons pas revenir vers le passé que vous avez évoqué dans votre question, monsieur le sénateur, ni le reproduire. Nous devons au contraire inventer une solution politique nouvelle pour la Calédonie, dans le cadre de la République française. Vous pouvez pour cela compter sur l’engagement de mon gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. - M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 20 janvier 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Candidatures à deux missions d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la mission commune d’information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités.

En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée, si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur l’évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d’une partie des Français.

En application de l’article 8 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée, si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

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Problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols

Débat sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, sur les conclusions de son rapport.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Gisèle Jourda, rapportrice de la commission d’enquête qui a demandé ce débat.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice de la commission denquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat fait suite aux travaux de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols.

Cette commission d’enquête est une réponse au mutisme et au manque de réactivité des autorités que je n’ai eu de cesse d’interpeller, en vain, après que les inondations meurtrières d’octobre 2018 dans l’Aude ont réveillé la pollution historique, en faisant dériver de l’arsenic le long de la vallée de l’Orbiel, ce qui a laissé les habitants, les familles, les associations et les élus concernés seuls, isolés, sans information, sans solution, face à des risques sanitaires et écologiques évidents.

Cette histoire n’est pas un cas isolé : des collèges ont été bâtis sur des sols pollués dans le Val-de-Marne, des terres agricoles sont contaminées par du plomb et du cadmium dans le Gard ou le Pas-de-Calais, le mercure est présent dans les sols de Guyane, etc. Dans un pays à la riche histoire industrielle et minière comme le nôtre, les cas de pollution des sols ne manquent pas. Pourtant, la lutte contre la dégradation des sols et la gestion des effets de cette dégradation sur la santé et l’environnement peinent encore à s’imposer comme une priorité des pouvoirs publics.

Mes chers collègues, la situation exige une mobilisation nationale. C’est ainsi que mon groupe, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a accepté ma requête et demandé la constitution de cette commission d’enquête. Je l’en remercie.

Ces travaux étaient nécessaires. Aucun territoire, que ce soit dans l’Hexagone ou dans les outre-mer, n’est épargné. À l’issue de nombreux déplacements et auditions, la commission d’enquête propose – excusez du peu ! – de refonder la politique de gestion des sites et sols pollués en France. Nous avons ainsi formulé cinquante propositions, réparties en six axes que je vais vous présenter succinctement.

Le premier axe porte sur la nécessaire amélioration de la qualité et la lisibilité de l’information. Pour ce faire, nous proposons d’agir sur trois volets.

D’abord, par analogie avec la pollution de l’air, nous proposons de consacrer un droit à l’information du public sur l’existence de pollutions dans les sols et leurs effets sur la santé et l’environnement.

Ensuite, nous suggérons d’établir une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés à ces pollutions.

Enfin, nous demandons que 50 millions d’euros soient consacrés à l’achèvement de l’inventaire et du diagnostic des sols des crèches et établissements scolaires situés sur des sites pollués.

À cet égard, madame la ministre, je regrette que vous ayez écarté, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, l’abondement de 50 millions d’euros des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » que le Sénat avait voté en première lecture, au-delà de toute ligne partisane, afin que cet inventaire puisse être mené à bien.

Quel soutien l’État compte apporter aux collectivités territoriales ayant hérité de nombreux terrains pollués et ne pouvant raisonnablement pas assumer le coût du diagnostic sur leurs seuls budgets ?

Le deuxième axe de nos propositions vise à poser les jalons d’un véritable droit de la protection des sols. Nous proposons en particulier d’introduire dans le code de l’environnement une définition de la pollution des sols. Nous appelons également à remédier aux asymétries entre le code de l’environnement et le code minier en matière de responsabilité des exploitants et de prévention des risques. Nous souhaitons ainsi étendre l’obligation de constitution de garanties financières aux exploitants de sites miniers et ajouter la protection de la santé publique à la liste des intérêts protégés par le code minier.

Le troisième axe porte sur l’amélioration de notre système de surveillance des installations industrielles et minières, qui se limite aujourd’hui à la naissance et à la cessation d’activité du site. Nous appelons ainsi à renforcer le contrôle des cas de non-déclaration des cessations d’activité, mais aussi à mettre en place une surveillance régulière des sols et des eaux souterraines des sites à risque, en particulier des installations soumises à déclaration.

Le quatrième axe vise à améliorer la gestion des risques sanitaires et la réparation des préjudices écologiques. Pour cela, nous préconisons, d’une part, la création de centres régionaux de santé environnementale chargés d’examiner les demandes d’évaluation des effets sanitaires d’expositions environnementales, d’autre part, l’introduction, dans le plan communal de sauvegarde de toute commune comptant un site référencé sur Basol, la base de données sur les sites et sols pollués, d’un volet spécifique consacré à l’alerte, l’information, la protection et le soutien de la population.

Le cinquième axe vise à améliorer la prévention et la réparation des préjudices écologiques par l’élargissement de la constitution de garanties financières.

Enfin, le dernier axe de nos propositions concerne la mobilisation des friches industrielles et minières polluées, au moment où nous devons lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. Nous proposons ainsi de faciliter le recours au dispositif de tiers demandeur.

Par ailleurs, nous souhaitons la création d’un fonds national de réhabilitation des sites et sols pollués, non seulement pour prendre en charge la dépollution des sites orphelins, mais également pour venir en aide aux collectivités qui ont hérité de friches polluées et ne disposent pas des fonds nécessaires à leur réhabilitation.

J’insiste, madame la ministre : les objectifs de ce fonds ne sont pas couverts par le fonds de soutien à la reconversion de friches que vous entendez mettre en place dans le cadre du plan de relance. En effet, le fonds de reconversion de votre ministère ne se limite pas aux friches polluées, il vise également des opérations qui sortent du champ de la dépollution. Notre fonds est plus ciblé.

C’est pourquoi, à la faveur d’un amendement transpartisan que j’avais déposé, le Sénat avait voté, lors de la première lecture du projet de loi de finances pour 2021, la création d’un tel fonds au sein de la mission « Plan de relance ». Malheureusement, vous avez de nouveau écarté, en nouvelle lecture, cette mesure que beaucoup d’élus appellent pourtant de leurs vœux.

Tel est donc l’esprit général de nos recommandations.

Je tiens à remercier sincèrement mes collègues et le président de la commission d’enquête, Laurent Lafon, de la qualité de nos travaux et de l’état d’esprit dans lequel ils ont été menés. Je le dis avec sincérité et conviction, vous me connaissez : en dépit de nos appartenances partisanes, nous avons tous partagé ce terrible constat et décidé de proposer des mesures d’envergure qui répondent aux besoins vitaux de nos territoires.

Je forme le vœu que le débat que nous engageons ouvre la voie à une véritable mobilisation des pouvoirs publics pour que la gestion des sites et des sols pollués en France ne se limite plus à une réponse ponctuelle sur un site pollué isolé, quand elle est apportée. Nous en appelons à une politique publique ambitieuse, capable de protéger l’ensemble de nos sols et de nos concitoyens. Une loi s’impose sur ce sujet. J’espère, madame la ministre, que vos réponses seront à la hauteur de ces attentes.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la présidente, madame la rapportrice, mesdames, messieurs les sénateurs, « être contemporain, c’est avoir conscience des héritages, consentis ou contestés » écrivait René Rémond. Je pense que cette leçon s’applique aux travaux de votre commission d’enquête.

La pollution des sols par l’activité industrielle ou minière est effectivement un héritage dont nous nous serions bien passés, celui d’une industrialisation rapide du pays pendant un siècle. Cette industrialisation a contribué – et c’est heureux ! – à l’augmentation du niveau de vie des Français, mais elle a aussi creusé notre dette environnementale, car la santé humaine et l’écologie ont été pendant longtemps le parent pauvre des politiques publiques.

Et, comme votre commission l’a écrit, cette histoire est celle, un peu partout dans le pays, de plus de 320 000 anciens sites d’activités industrielles ou de services et de près de 3 000 anciens sites miniers. C’est colossal !

À présent, notre responsabilité devant la Nation, ma responsabilité de ministre, c’est de faire face à cet héritage, d’en purger le passif et de changer les règles pour ne pas répéter les erreurs du passé. C’est une question de santé publique, de respect de l’environnement et de développement durable, bref, une question de tout premier plan pour la ministre de l’écologie que je suis ! Je tiens donc à vous remercier très sincèrement de votre invitation à venir m’exprimer devant vous.

Je commencerai par dire, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que la première des mesures, le b.a.-ba de la lutte contre les pollutions des sols, c’est la prévention.

Mon ministère travaille tous les jours à cette prévention. Qu’il s’agisse du contrôle des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ou de celui des installations minières, l’État exerce avec diligence son pouvoir de police pour prévenir les infiltrations dans les sols ou les eaux souterraines. Plus de 18 000 contrôles sont réalisés chaque année et nous allons augmenter leur nombre de 50 % d’ici à la fin du quinquennat.

Parfois, malheureusement, les mesures de prévention ne suffisent pas. Il appartient alors à la puissance publique de se retourner vers les exploitants en application du principe pollueur-payeur.

Vous le savez les exploitants des ICPE sont déjà soumis à des obligations de remise en état de leurs terrains après la cessation de leur activité. L’État a souhaité s’assurer que cette obligation soit remplie chaque fois, y compris si l’exploitation a fait faillite entre temps. C’est pourquoi les ICPE susceptibles de causer d’importantes pollutions, soit près de 800 sites, sont assujetties à des garanties financières. À cette heure, ce sont près de 650 millions d’euros qui sont provisionnés et directement mobilisables afin que les terrains puissent toujours être remis en sécurité.

Pour les mines, je le dis clairement, l’existant ne suffit pas. J’ai donc décidé que nous devions nous doter de nouvelles règles pour tirer toutes les leçons du passé. La réforme du code minier en est l’occasion.

Avec cette réforme, d’une part, nous nous donnons enfin les moyens de rechercher la responsabilité de la maison mère, ce qui permettra de continuer à agir, même si une filiale est fermée ou insolvable. D’autre part, nous étendons la police résiduelle des mines jusqu’à trente ans après l’arrêt des travaux miniers. L’État pourra donc chercher la responsabilité de l’exploitant durant trente ans. C’est un grand pas en avant.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, faire face à cet héritage industriel et minier, c’est aussi assurer la mémoire et la transparence : mémoire des sites pollués pour ne pas mettre en péril la santé humaine ; transparence sur leur recensement.

C’est l’engagement de mon ministère, qui a mis à la disposition du public plusieurs outils permettant à chacun de consulter la liste de tous les sites ayant hébergé une activité industrielle. Par exemple, la base de données des anciens sites industriels et activités de services (Basias) recense plus de 300 000 terrains.

J’y vois un double enjeu : d’une part, dépolluer les sols ; d’autre part, réussir le pari du recyclage urbain pour maîtriser l’étalement de nos villes. Vous le savez, l’artificialisation est une bombe à retardement pour la biodiversité comme pour le lien social, qui est si précieux.

Avec le plan de relance, nous mettons 300 millions d’euros sur la table pour accélérer le recyclage des friches. Dans ce cadre, mon ministère a lancé en novembre dernier un premier appel à projets piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Plus spécifiquement, madame la rapportrice, 40 millions d’euros sur deux ans permettront de reconvertir d’anciennes installations classées ou sites miniers et de leur offrir une nouvelle vie. Cela n’empêche évidemment pas qu’une part des 260 autres millions puisse également servir à la dépollution.

C’est un travail de fond, qui va durer. L’engagement de l’État pour faciliter les opérations de dépollution et revaloriser ces terrains disponibles perdurera aussi longtemps que nécessaire.

Enfin, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, faire face à cet héritage, c’est parfois faire face à la plus pressante des urgences et à des situations dans lesquelles l’État doit agir rapidement pour protéger la santé des populations ou circonscrire une pollution qui menace de s’étendre.

En effet, si l’État est engagé depuis plus de vingt ans dans le renforcement de la réglementation, de nombreuses pollutions historiques sont antérieures à cette prise de conscience des pouvoirs publics. De ce fait, chaque année, l’Ademe traite une vingtaine de sites et mobilise son expertise pour réaliser les opérations les plus urgentes, en ayant toujours à cœur la protection des personnes et celle de l’environnement.

L’État assume donc pleinement ses responsabilités. Et vous le voyez, qu’il s’agisse de nous doter de règles pour mettre les pollueurs devant leurs responsabilités, d’assumer les missions de l’État, dont la première est de protéger, ou encore de préparer l’avenir, tout en réparant le passé, nous sommes au rendez-vous !

Je crois pouvoir dire que nous viendrons à bout de cet héritage contesté de notre époque industrielle, en responsabilité et avec lucidité et détermination. Que notre génération laisse à ses enfants une terre plus propre qu’elle ne l’a trouvée, tel est le sens de mon combat, et je crois que nous le partageons tous, en particulier vous, madame la rapportrice. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Je me permets d’insister, madame le ministre, mes chers collègues, sur le respect du temps de parole, afin que les deux débats suivants puissent se tenir dans les meilleures conditions.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Si la lutte pour la préservation de l’environnement est une cause désormais largement admise, nous constatons que la lutte contre la pollution des sols en est le parent pauvre.

C’est d’ailleurs ce constat qui a motivé la création de cette commission d’enquête. À cet égard, je tiens d’ailleurs à remercier chaleureusement nos collègues Gisèle Jourda et Laurent Lafon, qui ont mené de main de maître ses travaux.

C’est vrai, le Gouvernement a mis sur la table 300 millions d’euros, mais cela apparaît largement insuffisant face aux dégâts constatés dans les territoires. Un peu partout en France, les mêmes schémas se répètent. D’abord, on constate sur d’anciens sites miniers que les sols sont pollués plus que de raison. Ensuite, on se rend compte de l’impossibilité d’appliquer le principe pollueur-payeur, l’exploitant ayant disparu ou étant insolvable. La conséquence est, hélas ! toujours la même : la charge de la dépollution revient aux collectivités, qui, souvent démunies, ne peuvent l’assumer.

Dans mon département, si je prends l’exemple des mines de Penarroya, à Pierrefitte-Nestalas, à la dépollution s’ajoutent des mesures de sécurisation demandées par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour prévenir d’éventuels éboulements lors d’intempéries. Ces demandes, si elles sont légitimes, ne tiennent pas compte des capacités financières des collectivités.

Aussi, madame la ministre, j’aimerais savoir ce qu’entend entreprendre le Gouvernement pour lutter efficacement contre la pollution des sols, après s’être opposé aux 750 millions d’euros de crédits ouverts par le Sénat lors de l’examen du PLF. Si vous ne souhaitez pas allouer davantage de crédits, comment comptez-vous étendre aux exploitants des sites miniers l’obligation de constitution de garanties financières pour la remise en état des sites après leur fermeture ?

Irez-vous jusqu’à permettre de rechercher la responsabilité de la maison mère lorsque des filiales sont défaillantes ?

En clair, à défaut d’octroyer des fonds suffisants à la dépollution des sites, quelle solution envisagez-vous pour faire payer les pollueurs ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice, la réforme du code minier que nous allons mettre en œuvre, et qui sera intégrée au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et résilience », vise justement à améliorer les dispositifs de concertation dans le cadre des autorisations de projets miniers en prenant en compte les enjeux environnementaux dès les premières étapes de la procédure afin d’être en mesure de rejeter plus rapidement les projets qui ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et d’améliorer la prise en considération des enjeux environnementaux en post-exploitation.

Ainsi, afin de prévenir les risques miniers, une meilleure prise en compte des risques sanitaires dans les objectifs de dépollution des friches minières est envisagée. Les sanctions dont vous parliez seront renforcées et harmonisées avec celles du code de l’environnement, notamment celles qui sont prévues pour les ICPE.

Sont aussi prévues l’extension des garanties financières à la remise en état du site minier après fermeture et l’extension pour une durée de trente ans des conditions d’exercice de la police résiduelle des mines afin de permettre à l’État de rechercher la responsabilité des exploitants en cas d’apparition de nouveaux désordres.

Je vous confirme, madame la sénatrice, que cette recherche de responsabilité ira jusqu’à la maison mère, justement pour pouvoir pallier les défaillances d’entreprises qui seraient insolvables ou auraient tout simplement déposé le bilan.

Cette réforme permettra donc une bien meilleure gestion du passif d’après-mines, et répondra, je pense, à la plupart de vos préoccupations.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. J’ai participé aux travaux de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols.

Le sujet est important dans mon département, qui a souffert, comme d’autres, de la désindustrialisation, à une époque où les entreprises n’étaient astreintes à quasiment aucune obligation forte en matière de dépollution des sols.

Je souscris donc pleinement à l’exigence d’une loi fondatrice sur ce sujet consacrant le rôle premier de l’État, à l’instar de la loi sur l’eau ou sur la pollution de l’air.

À la croisée des chemins, ces enjeux mêlent des questions sanitaires et écologiques qui ne peuvent se résumer à l’application du principe pollueur-payeur ou à la création d’un fonds, qui reste largement sous-doté, à hauteur de 40 millions d’euros, dont seulement 4 millions d’euros en crédits de paiement. Je rappelle que le Sénat avait adopté en loi de finances un amendement tendant à prévoir un fonds spécifique doté de 25 millions d’euros. Sans succès…

L’utilisation des sols doit répondre à l’intérêt général et être conforme aux principes d’aménagement définis par la puissance publique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, madame la ministre.

J’évoquerai trois exemples.

Le collège Saint-Exupéry à Vincennes est fermé depuis 2017 en raison d’une pollution au trichloréthylène antérieure aux années 1960. Le coût de sa dépollution dépasserait les 17 millions d’euros. Préalablement à la construction du collège Josette-et-Maurice-Audin à Vitry-sur-Seine, 8 millions d’euros ont été engagés pour la dépollution du site. Enfin, le collège Assia-Djebar à Ivry-sur-Seine n’a pu rouvrir à la suite de la découverte de traces de mercure supérieures aux normes.

La question de la dépollution de ces sites conditionne ainsi très clairement la réalisation par les collectivités des missions d’intérêt général qui leur sont confiées, en l’occurrence l’accueil et l’enseignement pour les collégiens.

Ma question est simple : que compte faire le Gouvernement pour régler ces situations impossibles non seulement pour les collectivités concernées, mais aussi pour les collégiens et leurs parents ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, une loi sur la pollution des sols serait un beau projet mais le texte Climat et résilience prévoit déjà un renforcement des sanctions en cas de pollution des sols due à une mauvaise gestion des déchets ou à l’exploitation d’une activité industrielle sans se conformer à la réglementation. Dans les cas de pollution grave et intentionnelle, ces peines pourront atteindre dix ans de prison et 4,5 millions d’euros d’amende, contre trois ans de prison et 150 000 euros d’amende aujourd’hui.

Quant aux cas que vous avez évoqués, ils n’ont pas forcément vocation à être traités de la même manière.

Ainsi, l’origine de la pollution du collège de Vincennes, dont les sols et les eaux souterraines sont pollués par des solvants chlorés ayant entraîné des dépassements importants des valeurs de référence dans l’air intérieur de plusieurs salles, est une activité industrielle ayant cessé depuis près d’un demi-siècle, soit à une époque où la réglementation relative aux établissements dangereux ne prévoyait pas d’obligation de remise en état des sites, celle-ci ayant été introduite en 1976.

Dans ce cas, la responsabilité de l’ancien exploitant ou de l’autorité de police ne peut pas être recherchée. En effet, les règles ont été respectées puisqu’il n’y en avait pas. La charge des travaux de réhabilitation revient donc aux gestionnaires et aux propriétaires actuels du site, à savoir le conseil départemental du Val-de-Marne et la commune de Vincennes.

Les services de l’État ont cependant apporté un appui au conseil départemental, notamment par l’examen du plan de gestion, qui doit encore être complété afin de définir plus précisément le scénario de gestion de la pollution.

À Ivry-sur-Seine, la situation est différente. La remise en état des terrains avait été réalisée par l’inspection des installations classées en 1994, dans le respect des dispositions alors applicables. Des teneurs résiduelles en mercure ayant été relevées, le préfet a émis des réserves sur le permis de construire, qui n’ont pas été respectées par l’aménageur. Dans ce cas, la responsabilité de l’aménageur est engagée.

Nous avons reçu un passif en héritage, mais chaque situation est différente. Nous allons essayer de les régler au cas par cas.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la réplique.

M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, si vous aviez accepté les 25 millions d’euros que le Sénat avait votés, votre enthousiasme sur une loi sur la dépollution des sols serait aujourd’hui plus crédible. À un moment donné, il faut bien donner des signes tangibles et concrets de la volonté politique.

Ensuite, je ne peux accepter ce que je viens d’entendre sur le collège de Vincennes. Tous mes collègues ne sont pas élus du Val-de-Marne, mais ils ont bien compris, en vous écoutant, que les frais de dépollution du collège, qui s’élèvent à 17 millions d’euros, allaient quasiment être à la charge d’une ville et d’un département ! Or ils connaissent tous le prix d’un collège.

Franchement, madame la ministre, vous devez, en responsabilité, respecter une forme de devoir de mémoire. L’entreprise qui a occupé ce site a connu de la croissance, elle a payé de la taxe professionnelle. Il y a donc eu un retour pour la société, il faut que celle-ci l’assume, dans le Val-de-Marne ou dans tout autre département.

Madame la ministre, j’y insiste, je fais appel à votre responsabilité dans cette affaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté.

Mme Sonia de La Provôté. Ma question porte sur le financement des projets d’aménagement des sites pollués, notamment dans le cadre du plan de relance.

Si le rapport de la commission d’enquête met en évidence la difficile mobilisation des friches industrielles et minières pour diverses raisons, dont la nature des pollutions, les risques physiques encourus et une disponibilité foncière complexe, il existe un autre écueil important pour la reconversion : le surcoût financier important lié à la dépollution et à la viabilisation, surtout quand une opération comporte la construction de logements.

Dans le cadre du plan de relance, c’est une belle occasion d’accélérer des projets sur des sites qui répondent, en outre, parfaitement aux objectifs d’urbanisation vertueuse et de zéro artificialisation nette.

Certes, le plan prévoit 300 millions d’euros gérés par l’Ademe pour la réhabilitation des friches, mais ils sont destinés exclusivement aux anciens sites industriels ICPE ou miniers. Or, nombre de friches industrielles et portuaires sont en cours de reconversion. Les projets ont démarré et subissent des surcoûts dus aux pollutions multiples. Malheureusement, ces friches ne sont pas, pour la plupart, d’anciens sites ICPE.

Certes, il existe le fonds « friches » des établissements publics fonciers et celui qui est géré par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), mais ils accompagnent surtout le diagnostic et le portage foncier.

En réalité, toute friche polluée, quel que soit son passé, devrait pouvoir être accompagnée par le fonds de relance, surtout parce que ce fonds est un outil d’accélération de l’opérationnel et du calendrier. L’occasion est donc manquée, en l’état, de simplifier et d’aider les porteurs de projets. Il eût été opportun d’éviter ces obstacles réglementaires et administratifs inadaptés. En outre, il existe dans certains départements un risque de non-consommation des crédits pour des raisons qui, vous l’avouerez, sont à l’opposé de l’objectif de relance.

Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’il serait utile de prioriser les projets engagés et de faire en sorte que les 300 millions du plan de relance leur soient accessibles en rendant les critères d’attribution moins restrictifs ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice, la reconquête des friches est effectivement un enjeu majeur d’aménagement durable des territoires pour répondre aux objectifs croisés de maîtrise de l’étalement urbain, de revitalisation urbaine et, par conséquent, de limitation de la consommation des espaces naturels agricoles et forestiers.

Les friches représentent ainsi un important gisement foncier, dont la mobilisation et la valorisation sont de nature à contribuer à l’objectif de zéro artificialisation nette fixée par le Gouvernement.

L’effort exceptionnel prévu dans le plan de relance doit permettre d’intervenir grâce au fonds pour le recyclage des friches, lequel est doté de 300 millions d’euros, dont 40 millions d’euros pour la reconversion des friches polluées issues d’anciens sites industriels ICPE ou miniers, dans le cadre d’un appel à projets lancé par l’Ademe. Une enveloppe de 260 millions d’euros entièrement territorialisée – un cahier des charges sera défini par chaque préfet de région – sera consacrée au recyclage foncier dans le cadre de projets d’aménagement urbain, de revitalisation des cœurs de ville et de périphéries urbaines, mais aussi de projets de requalification à vocation productive, y compris sur des sites qui n’ont pas été ICPE ou miniers.

Ce fonds est donc destiné à des projets d’aménagement de friches dont les bilans économiques restent déficitaires après prise en compte de toutes les autres subventions publiques et malgré la recherche et l’optimisation de tous les autres leviers d’équilibre.

Ne sont pas éligibles au fonds les opérations de simple mise en conformité à une obligation réglementaire et les opérations de simple démolition, dépollution, portage ou renaturation lorsqu’elles ne s’intègrent pas dans un projet plus global d’aménagement avec production ou réhabilitation de surfaces de logement, de surfaces économiques ou d’équipements publics.

Vous le voyez, le fonds Friches offre de nombreuses possibilités. Il n’est pas réservé aux seuls anciens sites ICPE ou miniers, une enveloppe de près de 260 millions d’euros étant prévue. Monsieur Savoldelli, il me semble que le collège de Vincennes devrait postuler à ce fonds.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour la réplique.

Mme Sonia de La Provôté. Madame la ministre, le coût de la dépollution des friches industrialo-portuaires et des friches polluées est extrêmement élevé : il est supérieur de 30 %. Il peut même doubler, par opportunité, quand il s’agit d’y construire ensuite des logements.

Les 260 millions d’euros vont être priorisés sur les programmes Action cœur de ville, Petites villes de demain et sur un certain nombre de projets. Très clairement, ce montant n’est pas suffisant pour accompagner les projets sur les friches, qui sont des sites particuliers, requérant un investissement important. Il eût été opportun qu’ils bénéficient du même accompagnement que les sites pollués.

Les 40 millions d’euros sont destinés aux anciens sites ICPE, mais tous les autres sites, dont un certain nombre sont pollués, ont également besoin d’un accompagnement. Or les 260 millions d’euros seront finalement peu mobilisés pour eux.

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Madame la ministre, en matière de dépollution des sols, on utilise aujourd’hui, pour l’essentiel, des techniques très impactantes. Les sols sont excavés, les terres stockées, puis transportées, souvent loin, dans des usines spécialisées où elles sont traitées, les reliquats étant stockés, souvent enterrés ou traités par ces mêmes entreprises.

D’autres techniques, beaucoup plus douces, existent toutefois. Elles sont mises en œuvre aujourd’hui dans un certain nombre de pays, notamment en Amérique du Nord, particulièrement au Québec. Ainsi, la phytoremédiation consiste à implanter judicieusement sur les terrains pollués soit des plantes, soit des arbres. On constate alors que le système racinaire capte les particules polluantes, notamment les métaux lourds, les résidus acides et même des résidus d’utilisation de produits pétroliers.

Il se trouve qu’un certain nombre d’entreprises françaises, essentiellement des pépinières, se sont intéressées à ce procédé. Elles ont participé à quelques programmes de recherche. Il en est notamment un qui a beaucoup évolué, sous l’impulsion d’un universitaire de Franche-Comté, qui a tissé des partenariats avec des pépinières de sa région et de la région Auvergne-Rhône-Alpes voisine. Au terme de ces travaux, il est apparu que la création d’une filière était opportune.

Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de lancer des appels à projets, notamment dans le cadre du plan de relance, afin de rassembler ces entreprises, des laboratoires de recherche, quelques universités, pour travailler sur cette technologie – j’emploie le terme à dessein –, qui est douce ? Elle a toutefois une exigence : il faut beaucoup anticiper, car le traitement des sols nécessite d’utiliser des végétaux pendant parfois dix ou quinze ans.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, ces sujets, vous vous en doutez, m’intéressent particulièrement. Les phytotechnologies regroupent un ensemble de techniques utilisant les espèces végétales pour extraire, contenir ou dégrader des polluants. Elles sont généralement utilisées in situ, sur une large variété de sols pollués ou susceptibles de l’être, qu’il s’agisse de sols agricoles ou de friches industrielles. Elles sont évidemment jugées plus compatibles, a priori, avec les enjeux du développement durable que les techniques classiques de traitement que vous avez évoquées. Elles sont en général utilisées comme compléments aux techniques conventionnelles, notamment dans les cas de pollution à grande échelle, souvent durant une longue période, vous l’avez dit, le traitement des sols pouvant nécessiter de nombreuses années.

Nous avons déjà commencé à travailler sur ce sujet. En 2013, l’Ademe et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) ont élaboré un guide sur l’état de l’art et la mise en œuvre de ces techniques. Dans le cadre de son appel à projets pour la reconversion des friches, l’Ademe a soutenu financièrement au cours des dernières années plusieurs projets de phytoremédiation, ou a porté elle-même des projets dans le cadre de ses missions de mise en sécurité des sites à responsable défaillant. Je pense, par exemple, au site de Saint-Laurent-le-Minier.

Des actions de recherche sont également portées par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), en lien avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), notamment, pour améliorer ces techniques.

Nous étudions attentivement tous les travaux de recherche, y compris ceux que vous avez mentionnés, qui sont effectivement très intéressants. L’Ineris procède en outre actuellement, pour le compte du ministère, à un retour d’expérience, dont les résultats sont attendus pour la fin de cette année, sur l’utilisation des phytotechnologies comme techniques de dépollution.

Nous devons travailler sur ces sujets, car ils offrent des solutions de remplacement qui n’avaient pas été suffisamment étudiées par le passé et dont nous mesurons aujourd’hui tout le potentiel.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le plan de relance prévoit un fonds de recyclage de 300 millions d’euros pour la réhabilitation des friches, dont 40 millions d’euros dédiés à la reconversion des friches polluées. Un appel à projets a été lancé en fin d’année dernière.

La dépollution de nos friches est essentielle à plusieurs égards, mais son financement reste une problématique majeure, comme l’a très bien souligné Mme la rapportrice. C’est notamment le cas dans la région Grand Est, qui a subi de grandes mutations industrielles et militaires et où subsistent encore de nombreuses friches, qui constituent des espaces non valorisés à ce jour.

Dans son rapport, la commission d’enquête, dont je salue le travail, propose un mécanisme complet pour permettre la dépollution et la réhabilitation de ces sites. Deux propositions ont retenu mon attention : l’instauration d’incitations fiscales dans le cadre de la réhabilitation des sites pollués et la création d’un fonds chargé de les financer.

Je pense que ces deux propositions sont à étudier conjointement afin d’adopter un mécanisme complet et de le rendre pérenne. Le fonds de recyclage prévu sur deux ans dans le plan de relance est bien évidemment très encourageant, mais il ne permettra pas néanmoins de venir à bout des problèmes que nous vivons sur nos territoires.

Par ailleurs, il me semble que le lien établi avec la lutte contre l’artificialisation des sols est nécessaire. En effet, la réutilisation des friches et des sols pollués réhabilités durablement est une piste évidente pour éviter de consommer des espaces nouveaux.

Madame la ministre, à la lumière des observations et des conclusions de la commission d’enquête, quelle dynamique de financement comptez-vous mettre en œuvre à l’issue du plan de relance ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, l’Ademe lance chaque année un appel à projets « Travaux de dépollution pour la reconversion des friches polluées ». Entre 2010 et 2019, elle a ainsi soutenu près de 130 projets de reconversion, pour un montant de 42 millions d’euros. Vous l’avez rappelé, dans le cadre du plan de relance, nous avons prévu 300 millions d’euros pour la réhabilitation des friches. Sur cette somme, 40 millions d’euros ont été confiés à l’Ademe et sont exclusivement dédiés à la réhabilitation d’anciens sites industriels ou miniers pollués.

Un premier appel à projets visant à soutenir à la fois les travaux de dépollution et des études préalables a été lancé début novembre 2020 par l’Ademe.

Je suis disposée à étudier la mise en place d’un dispositif pérenne, une fois que le retour d’expérience aura été effectué sur les situations nécessitant des financements complémentaires – ils ne sont pas forcément nécessaires quand le prix du foncier est élevé et que l’aménageur peut payer la dépollution – et que le dimensionnement des montants aura été évalué.

En revanche, soyons clairs, la question de l’alimentation de ce fonds n’est pas résolue et nécessitera une expertise. À mon sens, il faut faire les choses dans l’ordre : d’abord tirer toutes les leçons de ce qui aura été fait dans le cadre du plan de relance – on a deux ans –, puis étudier comment on peut pérenniser tout cela.

Un groupe de travail, présidé par la députée de la Charente, Sandra Marsaud, a pour mission de définir les outils à mettre en place pour accompagner les opérations qui n’ont pas d’équilibre économique, en particulier dans les zones où il y a peu de pression foncière. Plusieurs pistes sont aujourd’hui à l’étude. Sandra Marsaud a écouté différents points de vue, qui pourront nourrir sa réflexion et éventuellement donner lieu à la rédaction d’une proposition de loi. À suivre, donc, monsieur le sénateur !

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Les sols constituent une ressource inestimable, hélas trop souvent sous-estimée. Loin d’être un simple support pour les activités humaines, et au-delà de leur vocation fondamentalement nourricière, ils remplissent des fonctions essentielles pour le cycle de l’eau, du carbone et abritent une part importante de notre biodiversité.

Il est plus que nécessaire de se pencher sur la question de leur pollution. Je salue donc l’initiative de notre collègue Gisèle Jourda.

Ma question porte plus précisément sur le financement de la dépollution des sols.

Le PLF pour 2021 prévoit que la part départementale de la taxe d’aménagement des espaces naturels sensibles (TAENS) pourra financer également des opérations de renaturation, et donc de dépollution des sols.

S’il est essentiel de financer ces opérations, comme l’a montré le rapport, mettre en concurrence le financement des espaces naturels sensibles et de la dépollution des sols paraît plus que problématique. Les opérations de dépollution sont, on le sait, très coûteuses et pourraient vite consommer une part importante des fonds.

Par ailleurs, les financements « biodiversité » des départements seront déjà affectés, hélas ! par la crise du covid, notamment à cause des dépenses croissantes de RSA ou de la baisse des permis de construire.

Dans ce contexte se profile le risque d’un appauvrissement des fonds dédiés à la biodiversité, alors même que M. le Président de la République vient de faire des annonces fortes lors du One Planet Summit.

C’est pourquoi le rapport sénatorial propose des mécanismes de financement de la dépollution des sols. Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il s’assurer que le financement de la dépollution des sols ne se fera pas au détriment des espaces naturels sensibles ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, vous imaginez bien que je ne souhaite absolument pas que les espaces naturels sensibles perdent leurs financements au profit de la dépollution des sites.

Le plan de relance prévoit des mesures spécifiquement dédiées à la dépollution des friches : les 40 millions d’euros, plus les 260 millions d’euros qui peuvent éventuellement être ajoutés. Il prévoit également des mesures spécifiquement dédiées à la biodiversité. Les enveloppes ne sont a priori pas fongibles, sauf si l’on ne réussit pas à avoir assez de projets, mais, je vous rassure, nous en aurons suffisamment.

Les départements utiliseront bien évidemment leurs fonds comme ils le souhaitent, mais nous procédons, avec les préfectures, au recensement des projets des collectivités locales dans le cadre des différents dispositifs prévus par le plan de relance.

Nous travaillons également à une planification, dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), lesquels permettront aussi d’allouer des moyens à des projets de territoire intégrant des mesures de protection de la biodiversité.

Vous le voyez, par différents canaux et de manière assez organisée, grâce à des projets de territoire, nous faisons en sorte de résorber ces friches, de les dépolluer quand c’est nécessaire, et de les réutiliser, tout en travaillant à la protection de la biodiversité. À titre d’exemple, je rappelle que nous avons lancé un projet de plantation de haies de 7 000 kilomètres, pour un montant de 50 millions d’euros.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Madame la ministre, merci pour la précision de votre réponse. Nous connaissons tous votre attachement à la biodiversité. Pour autant, il y a parfois des arbitrages que vous avez du mal à gagner ; cela fait partie du jeu. Sachez en tout cas que nous serons derrière vous ; nous vous dérangerons même parfois, quand cela sera nécessaire.

Un sujet supranational se pose : on parle depuis longtemps du projet de directive-cadre sur la protection des sols ; ce texte est extrêmement attendu. Nous souhaiterions, madame la ministre, que la France joue véritablement son rôle pour qu’on avance sur ce sujet.

Enfin, à la demande de mon collègue Jacques Fernique, je dirai un mot du site Stocamine : il sera nécessaire de bien écouter les avis des élus locaux à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Notre pays déplore de nombreux cas de dégradation de la qualité de ses sols, rançon de sa riche histoire industrielle et minière. Cette pollution, à laquelle peu de nos territoires échappent, constitue une menace potentielle pour l’environnement et la santé des habitants des territoires.

Le rapport dont nous débattons relève que, à la différence de la pollution de l’air et de l’eau, qui fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement et d’un suivi très stricts de la part des autorités, la pollution des sols est mal appréhendée dans notre législation nationale, mais aussi à l’échelle européenne.

Je citerai en exemple mon département, le Haut-Rhin, et en particulier les communes de Wintzenheim et Sierentz, qui ont hérité de friches et de décharges orphelines issues de l’activité industrielle, notamment chimique.

Or, dans ces cas bien précis, il est impossible pour les élus locaux d’aller chercher les exploitants responsables : souvent, cela fait bien longtemps qu’ils ont mis la clé sous la porte.

Face à ces situations, il s’agit de pallier l’absence d’information à laquelle les responsables locaux sont trop souvent confrontés et qui est, pour eux, source d’inquiétude. Aussi, il convient de mettre en œuvre la plus grande transparence sur les risques sanitaires associés aux sites pollués. Il convient surtout de soutenir et d’accompagner les acteurs publics dans la dépollution et la reconversion de ces sites.

À cette fin, madame la ministre, comment entendez-vous clarifier les rôles de chacun en matière de lutte contre la pollution des sols ? Il faut permettre à chacun d’identifier clairement ses interlocuteurs.

Plus largement, quels moyens le Gouvernement entend-il déployer pour venir en aide aux collectivités ayant hérité de sols pollués, parfois sur des terrains privés, par d’anciennes activités industrielles ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Schillinger, les pollutions des sols peuvent être dramatiques, qu’elles résultent d’une mauvaise gestion des déchets ou des activités industrielles elles-mêmes.

Dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, nous allons renforcer les sanctions lorsque le non-respect d’une prescription ou la mauvaise gestion des déchets conduit à une pollution durable des sols. Comme je l’ai annoncé, les sanctions pourront aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende dans les cas les plus graves.

L’Ademe peut, à la demande de l’État, assurer la mise en sécurité d’une ICPE lorsqu’il y a défaillance de l’ancien exploitant ou des éventuels responsables subsidiaires, quand la maison mère est fautive ou lorsque le propriétaire du terrain est négligent ; elle peut aussi le faire en cas de menace grave pour les populations ou l’environnement. En revanche, la dépollution du site, qui permet un recyclage urbain, reste de la responsabilité du propriétaire du terrain ou du futur aménageur.

Dans certains cas, tels que les pollutions aux hydrocarbures des sols et les pollutions de nappes pouvant avoir un impact en dehors du site, une dépollution peut se révéler nécessaire pour mettre le site en sécurité. L’intervention de l’Ademe aura alors pour objectif de circonscrire la pollution sur le site. Je sais à ce propos, madame la sénatrice, que votre département connaît une pollution par le lindane ; nous sommes en train de nous en occuper.

Sur proposition des agences régionales de santé (ARS), quand l’enjeu sanitaire le nécessite, la mise en sécurité peut inclure le relogement temporaire ou définitif des riverains.

Depuis 1999, 550 interventions de mise en sécurité ont été conduites par l’Ademe, sur environ 350 sites.

Le budget de l’Ademe s’élève à environ 18 millions d’euros par an. Une trentaine d’accords d’intervention sont donnés chaque année ; il y a ainsi eu dix-neuf nouvelles interventions et onze poursuites d’intervention en 2019.

Environ quatre-vingts sites supplémentaires déjà identifiés par la Dreal pouvant faire l’objet d’une intervention de l’Ademe dans les prochaines années ont été repérés. Des moyens financiers et humains suffisants doivent donc être octroyés à l’Ademe pour réaliser ces mises en sécurité d’anciennes friches dans les meilleurs délais. Madame la sénatrice, je m’y emploie activement !

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.

Mme Patricia Schillinger. Merci, madame la ministre. Il est vrai que, dans mon département comme ailleurs, les élus vous harcèlent, car on a besoin d’avoir un décideur, ou un donneur d’ordres.

Je souhaite, comme mes collègues parlementaires, qu’un comité de pilotage puisse définir les actions à mener et effectuer les expertises nécessaires. On entend des interventions sur beaucoup de sujets, mais on a surtout besoin aujourd’hui de quelqu’un qui nous draine et nous dise ce qui est faisable ou non.

Je vous remercie encore, madame la ministre : je sais que je peux compter sur vous !

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Le rapport de cette commission d’enquête sénatoriale, auquel j’ai eu le bonheur de participer en tant que vice-président, est un modèle du genre. Je voudrais ici saluer tout particulièrement le travail et l’investissement de Gisèle Jourda, qui en a été la rapportrice, et de son président Laurent Lafon.

Ce rapport démontre, une nouvelle fois, combien notre institution est capable de produire des documents de qualité qui répondent à des enjeux majeurs, tels que la pollution des sols et la santé environnementale.

Nous attendons depuis bientôt dix ans une réforme d’ampleur du code minier ; vous avez abordé ce sujet tout à l’heure, madame la ministre. Un projet de loi était prévu ; il a même été soumis pour avis au Conseil national de la transition écologique (CNTE). Toutefois, le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat semble prévoir plutôt des ordonnances, ce qui restreindra, de fait, l’action des parlementaires, qui sont pourtant très impliqués sur le sujet.

Comme vous le savez, je suis très attaché à l’économie circulaire et je crois fermement à la possible reconversion des sols pollués. Néanmoins, dans le projet de loi que j’ai pu consulter, il manque une définition claire des termes « sols pollués », « friches », « réhabilitation », « remise en état » ou encore « usage ». Il s’agit pourtant de notions clés, car elles définissent le niveau de risque à prendre en compte et établissent ainsi le niveau de pollution acceptable ou non et les mesures de dépollution nécessaires à mettre en œuvre.

Aussi, dans le souci de favoriser une meilleure circularité de l’économie des sols, êtes-vous prête, madame la ministre, à suivre les recommandations de notre rapport pour définir ces termes essentiels ? Cette démarche serait un préalable notoire à la sécurisation juridique ; elle a d’ores et déjà été accomplie pour l’eau et pour l’air.

Au risque de voir se développer un « droit mou », le Gouvernement souhaite-t-il clarifier ces notions, qui garantiront une meilleure détermination de la chaîne des responsabilités et du champ des obligations en matière de gestion des sites et des sols pollués ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, je veux d’abord vous rassurer concernant le projet de loi relatif au code minier. Ses dispositions seront intégrées dans le projet de loi Climat et résilience. Effectivement, des ordonnances sont prévues sur certains aspects de ce problème, de manière à pouvoir, tout simplement, avancer au plus vite.

Je souhaite pour ma part que le code minier puisse être révisé avant la fin du quinquennat. Un compromis était nécessaire en la matière. En revanche, les dispositions relatives à l’après-mine, qui sont les plus sensibles, ne seront pas renvoyées à des ordonnances : elles figureront dans le texte même et pourront donc faire l’objet de débats et être amendées par le Parlement.

Quant aux notions que vous souhaitez sécuriser juridiquement, précisons que l’article L. 173-3 du code de l’environnement fait déjà référence à la pollution des sols : des sanctions pénales sont prévues lorsque des activités « ont porté gravement atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes ou provoqué une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau ». Le juge pénal est donc déjà à même de qualifier cette notion.

Le projet de décret d’application de l’article 57 de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « loi ASAP », qui porte sur les évolutions des dispositions législatives relatives aux ICPE, prévoit bien de clarifier les notions de « réhabilitation » et de « remise en état ». La notion de « friche » existe déjà dans le vocabulaire de l’environnement, par une publication au Journal officiel ; elle est définie comme un « ensemble de terrains laissés à l’abandon sur lesquels peuvent subsister des installations ou des dépôts liés à des activités passées et qui sont susceptibles de présenter des risques de pollution ».

Des définitions semblent donc déjà exister. Néanmoins, nous allons évidemment étudier dans le détail les propositions qui ont été faites par votre commission d’enquête de manière à déterminer si des éclaircissements supplémentaires peuvent être apportés.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Madame la ministre, merci pour ces précisions. Nous sommes souvent interpellés en tant qu’élus sur ces sujets. Nous resterons très vigilants sur ce sujet majeur pour l’environnement. À l’heure où l’on parle de lutter contre l’artificialisation des sols, il est bon de savoir de quelle boîte à outils on peut disposer pour remobiliser ces terrains, qui seraient plus de 6 000 et défigurent nos villes et nos paysages. Ils doivent être réhabilités et réutilisés pour protéger l’environnement et mettre un terme à la consommation de terres agricoles.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.

M. Jean-Pierre Moga. Les travaux de notre commission d’enquête sur la pollution des sols ont révélé que celle-ci constituait un enjeu sanitaire et écologique majeur, un enjeu jusqu’à présent négligé, mal appréhendé et sous-estimé.

Je tiens donc à saluer le caractère pionnier des conclusions de notre commission d’enquête et les avancées qu’elles vont permettre de réaliser, et à adresser un remerciement tout particulier à son président, Laurent Lafon, et bien sûr à sa rapportrice, Gisèle Jourda, pour l’ampleur et la qualité de leur investissement.

Les conclusions de la commission d’enquête ont des airs de bilan écologique de la révolution industrielle. Elles identifient pour la première fois la dépollution des sols comme un impératif d’action écologique majeur. Elles établissent enfin un cadre global d’action, en six axes, pour y remédier.

Ma question, madame la ministre, porte sur le sixième de ces axes : « mobiliser les friches industrielles et minières dans une démarche d’aménagement durable ». L’une des propositions faites par la commission d’enquête dans le cadre de cet axe nous semble particulièrement importante : la création d’un fonds national dédié au financement de la réhabilitation des sites et sols pollués, géré par l’Ademe, pour les sites orphelins, mais aussi les sites non-orphelins pour lesquels le responsable n’a pas les moyens d’opérer. Un tel fonds me semble essentiel. C’est le nerf de la guerre, car l’insuffisance des financements est le principal obstacle à la dépollution des sols. Le problème est d’ailleurs identifié de longue date et des fonds comparables existent ailleurs dans le monde.

Madame la ministre, la création d’un tel fonds est-elle prévue par le Gouvernement ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur Moga, j’ai déjà quelque peu répondu à cette question, notamment lors de ma réponse à M. Menonville. Oui, dans le cadre du plan de relance, nous allons consacrer 300 millions d’euros à la réhabilitation des friches, dont 40 millions d’euros seront spécifiquement confiés à l’Ademe pour la réhabilitation d’anciens sites industriels et pollués.

Nous avons décidé de travailler sur un retour d’expérience de l’utilisation de ces fonds, afin de pouvoir identifier les situations qui nécessitent des financements complémentaires. Quand le foncier est cher, normalement, on n’a pas besoin de fonds supplémentaires. En revanche, quand le foncier est détendu, plus de questions se posent. Il faut aussi regarder le dimensionnement des montants nécessaires.

Nous sommes donc enclins à étudier la mise en place d’un tel dispositif.

La question qui se pose dès lors est celle-ci : comment alimenter ce fonds ? Plusieurs pistes peuvent être expertisées, notamment une fiscalité sur l’artificialisation du territoire, ou sur les activités ou les produits polluants, ou encore une dotation budgétaire du même type que celle dont bénéficie l’Ademe à ce jour. Il faut en tout cas vraiment prendre le temps de bien identifier les besoins, au regard de ce qui aura pu être fait dans le cadre du plan de relance, pour affiner tout cela et déterminer les meilleures pistes à suivre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Moga. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Mon collègue Pascal Savoldelli vous a parlé du collège de Vincennes, notre rapportrice Gisèle Jourda a évoqué la pollution minière de la vallée de l’Orbiel, véritable catastrophe écologique. Madame la ministre, je connais votre implication en faveur de l’environnement et de l’écologie, mais ne nous voilons pas la face : sans un tel fonds, il ne sera pas possible de dépolluer des sites de ce type, car ces opérations exigent des dépenses énormes.

Pour ma part, je ne pense pas qu’il convienne de ne taxer que les industries polluantes, qui subissent déjà beaucoup de contraintes ; il faut une taxe plus générale, pour qu’elle soit mieux acceptée par tout le monde.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. Je veux remercier notre collègue Gisèle Jourda pour la qualité de son rapport et souligner le consensus qui s’est dégagé entre les différents membres de cette commission d’enquête sur nos préconisations.

J’évoquerai la proposition de la commission de mettre un terme aux asymétries entre le code minier et le code de l’environnement en matière de responsabilité des exploitants et de prévention des risques sanitaires et environnementaux.

Notre commission d’enquête propose ainsi l’extension aux exploitants de sites miniers de l’obligation de constitution de garanties financières pour la remise en état de la mine après fermeture, l’intégration de la protection de la santé publique dans les intérêts protégés par le code minier, ainsi que l’extension aux sites miniers de la possibilité de rechercher la responsabilité de la société mère en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante.

Elle propose également l’intégration des travaux miniers dans l’autorisation environnementale afin d’harmoniser les procédures administratives d’instruction, de contrôle et de sanction entre les sites miniers et les sites d’installations classées pour la protection de l’environnement.

Enfin, nous proposons l’extension à trente ans après les travaux des conditions d’exercice de la police résiduelle des mines, afin de permettre à l’État de rechercher la responsabilité des exploitants en cas d’apparition de nouveaux désordres et dommages.

Le code minier a été adopté au milieu du siècle dernier. Nous attendons sa réforme depuis plus de dix ans. J’ai bien noté l’annonce récente de l’intégration de cette réforme dans le projet de loi relatif au climat que nous examinerons au printemps prochain. Je m’en réjouis, car le code minier est aujourd’hui inadapté, en particulier au regard du code de l’environnement.

Madame la ministre, quel sort entendez-vous réserver, dans les futurs débats parlementaires, aux propositions unanimes de notre commission d’enquête sur ces enjeux d’importance ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Madame la sénatrice Van Heghe, comme je l’ai dit, le principe d’une réforme du code minier a été annoncé au conseil de défense écologique du 23 mai 2019 ; le projet de réforme a reçu un avis favorable du Conseil national de la transition écologique le 16 novembre 2020 ; il a été intégré au projet de loi faisant suite à la Convention citoyenne pour le climat, que nous allons appeler « projet de loi Climat et résilience ».

Cette réforme vise à améliorer les dispositifs de concertation dans le cadre de l’autorisation de projets miniers, à prendre en compte les enjeux environnementaux dès les premières étapes de la procédure, afin d’être en mesure de rejeter plus rapidement des projets qui ne seraient pas à la hauteur de nos ambitions – soit dit en passant, cela nous permettra de ne plus avoir à régler des problèmes tels que celui de la Montagne d’or, qui montre les manques du code minier actuel – et à améliorer la prise en compte des enjeux environnementaux après l’exploitation.

Ainsi, pour la prévention des risques miniers, sont envisagées une meilleure prise en compte des risques sanitaires dans les objectifs de dépollution des friches minières – les sanctions seront renforcées pour être harmonisées avec celles du code de l’environnement –, l’extension des garanties financières à la remise en état du site minier après fermeture, et l’extension à trente ans des conditions d’exercice de la police résiduelle des mines, afin de permettre à l’État de rechercher la responsabilité des exploitants en cas d’apparition de nouveaux désordres.

Comme je le disais en réponse à M. Bigot, l’ensemble du volet consacré au renforcement des dispositions portant sur la période après l’exploitation minière, y compris les propositions de votre commission d’enquête, sera soumis au débat parlementaire et pourra donc faire l’objet d’amendements et, si nécessaire, d’améliorations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.

Mme Sabine Van Heghe. Madame la ministre, merci pour ces précisions. Cela fait trop longtemps que nous attendons cette réforme ; nous comptons vraiment sur votre intervention et sur le débat qui aura lieu au Parlement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler.

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, alors que nos voisins suisses ont mis en œuvre un programme de déstockage total et de traitement des polluants, on se contente trop souvent en France de les confiner, laissant aux générations futures, à nos enfants et petits-enfants, un cadeau empoisonné.

Je prendrai pour exemple la pollution au lindane dans le Haut-Rhin, que vous avez évoquée. Cette pollution est liée à une usine chimique qui a fabriqué cet insecticide jusqu’en 1974. Des produits présentant des défauts de fabrication ont alors été entreposés à différents endroits du département, en particulier à Sierentz et à Colmar.

Lorsque l’usine a fait faillite, en 1996, le site de son implantation, tout près de Bâle, a été occupé par des entreprises suisses. Depuis lors, nos voisins suisses ont entrepris la dépollution totale du site, pour près de 250 millions d’euros ; elle est aujourd’hui achevée. Des travaux similaires ont été réalisés récemment à Bonfol, toujours en Suisse, pour près de 400 millions d’euros, afin de résorber une décharge chimique située sur la frontière avec la France.

Du côté de Colmar, alors même que la quantité de lindane est bien moins importante, on s’est contenté d’une couverture dite « étanche » du site et d’une surveillance de la nappe à l’aval. Une surveillance a depuis montré qu’une langue de pollution s’échappe inexorablement de ce site et que la zone polluée ne cesse de s’agrandir.

Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur la résorption définitive des sites et des sols pollués ? Comptez-vous mettre en œuvre une politique d’élimination complète des polluants en lui allouant, comme le font nos voisins suisses, les moyens financiers nécessaires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. La Commission européenne a engagé des travaux pour améliorer les connaissances sur la présence et la gestion des déchets de lindane et d’hexachlorocyclohexane. Elle a ainsi mandaté un consortium de bureaux d’études afin de l’assister dans ce projet, tout d’abord pour réaliser un inventaire des sites où ces substances ou leurs déchets sont présents, puis pour apporter une aide et une expertise aux autorités des États membres confrontés à ces problématiques.

L’inventaire des sites ayant stocké, produit, manipulé ou utilisé du lindane a été transmis par la Commission aux États membres afin que ceux-ci puissent réagir. Sur la base des informations disponibles, la France a répondu à la Commission, au début de décembre 2020, afin de confirmer si tel ou tel site est susceptible, ou non, d’être pollué au lindane.

Dans le Haut-Rhin, j’ai en tête deux sites : Sierentz et le site PCUK de Wintzenheim, qui connaît la pollution la plus importante. Entre 700 et 750 tonnes de ces déchets ont été déposées sur ce site dans les années 1970. Un confinement a été mis en place en 1985, sous le contrôle des services de l’État ; il a été renforcé par l’Ademe. Il y a une couverture ; pour autant, comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, le fond n’a pas été traité, si bien qu’en hautes eaux la nappe peut être en contact avec le lindane.

L’Ademe est mandatée pour la surveillance des eaux souterraines, l’élaboration d’études d’impact et de comportement des polluants, l’entretien du confinement et la mise en place d’un dispositif de régulation des accès, avec signalétique, pour quatre ans. Le montant total engagé aujourd’hui s’élève à 1,4 million d’euros.

Nous examinons comment l’Ademe peut renforcer son intervention sur place afin de limiter les risques de pollution. Ce que je peux vous dire, madame la sénatrice, c’est que ces observations me permettront certainement de vous faire des annonces dans les prochains jours.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, pour les Suisses, ces assainissements sont une priorité absolue parce qu’ils savent que les coûts générés par une pollution seraient absolument pharaoniques. Ces mêmes Suisses connaissent bien nos dossiers, notamment celui de Stocamine, où il est prévu un prochain confinement.

Madame la ministre, Stocamine inquiète nos voisins suisses et allemands parce que ce dossier met en péril la plus grande nappe phréatique d’Europe. Les experts savent qu’aucun confinement n’empêchera l’eau d’arriver à des déchets qui n’auraient jamais dû se trouver là ; le jour où cette pollution surviendra, elle empoisonnera non seulement les Alsaciens, mais également les Suisses et les Allemands.

En Alsace, dès aujourd’hui, en prenant les bonnes décisions, vous aurez l’occasion de passer des paroles aux actes !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Permettez-moi de saluer à mon tour le travail conduit par notre commission d’enquête, qui pose un bilan clair de la situation nationale et émet des propositions concrètes pour permettre une réelle prise en compte des risques sanitaires et écologiques induits par la pollution de nos sols.

Ces risques touchent tout le territoire français, sans distinction, en métropole comme outre-mer, des milieux urbains aux zones rurales. Ainsi, dans l’Ariège, mon département, l’industrie textile et métallurgique, mais aussi l’extraction minière ont laissé pléthore de friches. L’inventaire conduit en 2003 répertoriait plus de 1 400 sites.

Le premier axe du rapport aborde le socle indispensable à toute action sanitaire et écologique : l’accès à l’information. Alors que les technologies le permettent, il n’existe aucun outil offrant une vision globale des données en la matière. L’accès à une base fiable consolidant les informations disponibles aujourd’hui, encore incomplètes et fragmentées, est une priorité.

La qualité de cette information s’impose comme un déterminant de l’efficacité de l’action en matière d’aménagement du territoire et de protection de la santé des populations et de l’environnement. Sa lisibilité est un enjeu de confiance dans la transparence et l’efficience de l’action publique.

À ce jour, chacun des outils existants répond à une finalité distincte et est orienté vers un public particulier. Ce sont plus d’une dizaine de bases de données différentes qui sont utilisées pour connaître les risques de pollution des sols.

N’est-il pas temps, madame la ministre, que l’État se dote d’une base lisible et accessible à tous les acteurs, des élus locaux aux citoyens, et non plus aux seuls experts ? Une forme vulgarisée des données indiquant les risques associés à une liste de substances polluantes et une cartographie interactive plus accessible sont des pistes d’amélioration identifiées par notre commission d’enquête.

Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser ce que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour fournir à tous une information sur l’état des sols français qui soit complète, fiable et accessible ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur Michau, vous avez complètement raison : il faut aujourd’hui rationaliser nos dispositifs afin que l’information soit clairement et facilement accessible à tous et sur tous les sites.

Le ministère de la transition écologique est transparent en la matière, depuis de nombreuses années. Des informations relatives aux sites et aux sols pollués sont contenues dans trois bases de données – Basias, Basol et Secteurs d’information sur les sols (SIS) – qui ont pour objectif l’information du public et des riverains, la communication sur l’action administrative de l’État et la conservation de la mémoire.

Historiquement, Basias et Basol concernent majoritairement des sites suivis par l’inspection des installations classées. Ces bases de données ne permettent donc pas d’avoir une vision complète des sites et sols pollués ou potentiellement pollués. Les pollutions causées par d’autres secteurs, tels que l’agriculture, notamment par l’usage de pesticides comme le chlordécone ou le lindane, les transports, avec les produits de conservation des traverses de chemins de fer, par exemple, ou d’autres activités économiques, comme les parkings, les zones commerciales, ou les ports, n’y sont pas répertoriées. Lorsqu’un usage est indiqué, celui-ci a pu évoluer au fil du temps sans que l’inspection dispose de cette information.

En 2014, la loi ALUR a créé les SIS, qui visaient notamment à disposer d’une base de données plus complète, comprenant des sites pollués par d’autres origines que des installations industrielles ou minières.

Ce que je souhaitais, c’était une coordination de ces trois bases de données. Elle est en train d’être mise en œuvre. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) a entamé en 2018 un travail de rationalisation de Basias, Basol et SIS dans une base unique nommée InfoSols, dont la première version, intégrant Basias et Basol, est opérationnelle depuis octobre dernier ; elle intégrera Basias courant 2021.

Ce travail doit permettre de répertorier l’ensemble des informations sur les sites et sols pollués dans un espace unique, de garantir la cohérence des informations de ces trois bases de données et d’améliorer la localisation de ces sites.

En matière de communication pour le grand public, des marges de progrès existent pour vulgariser et expliciter auprès des riverains et des associations les résultats des études réalisées, dont les rapports sont parfois longs et techniques, et les actions menées par les services de l’État qui en découlent. Le travail est en cours ; il doit être poursuivi.

En tout cas, la base InfoSols constitue déjà un point de départ très important pour la rationalisation et la facilitation de la transmission de l’information.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa.

M. Laurent Burgoa. Je tiens d’abord à remercier nos collègues du travail mené, travail véritablement nécessaire, la refonte du code minier étant un sujet de préoccupation depuis maintenant vingt-sept ans.

Madame la ministre, c’est sur la création d’un fonds de réhabilitation des sites et sols pollués que je souhaite vous interpeller.

L’élargissement du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat à la réforme du code minier ne doit pas permettre d’en soustraire l’enjeu de l’après-mine ! C’est une préoccupation que je partage d’ailleurs avec mon collègue député Olivier Gaillard.

En effet, aujourd’hui, nous connaissons les risques que constitue la présence d’anciennes mines sur nos territoires. Dans le Gard, de Saint-Félix-de-Pallières à Tornac, les conséquences sur la santé de nos compatriotes inquiètent.

Dans son rapport, la commission d’enquête du Sénat propose la création d’un fonds de réhabilitation des sites et sols pollués pour prendre en charge la dépollution de sites dits « orphelins », mais aussi pour venir en aide aux collectivités n’ayant pas la capacité de prendre en charge les coûts de la dépollution de terrains dont elles sont propriétaires.

Ma question est simple, madame la ministre : votre gouvernement soutiendra-t-il cette proposition ? Notre État sera-t-il enfin protecteur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, je ne peux à ce stade que vous apporter la même réponse que celle que j’ai faite à vos collègues tout à l’heure : sur les 300 millions d’euros du fonds Friches prévus dans le plan de relance, 40 millions d’euros sont dédiés aux ICPE et aux anciens sites miniers, ce qui n’empêchera pas d’utiliser les 260 millions d’euros restants.

Nous tenons vraiment à un retour d’expérience avant de mettre en place un fonds pérenne, car nous avons besoin de vérifier qu’il est bien nécessaire au regard de la tension du foncier et d’en identifier les pistes de financement.

Ce dernier point donnera sans doute lieu à des débats. Faut-il une taxation des entreprises susceptibles de polluer ? Faut-il une taxation plus large, avec une fiscalité sur l’artificialisation des sols ou sur les produits polluants ? Faut-il au contraire créer une dotation budgétaire, qu’il faudra aussi alimenter ?

Toutes ces questions demanderont du temps. Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus à ce stade.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, permettez-moi de porter à votre connaissance la décision du tribunal administratif de Nîmes du 21 décembre dernier. Dans son jugement, il annule neuf arrêtés, car, conclut-il, « le préfet du Gard, qui a usé de ses pouvoirs de police pour mettre à la charge des communes la sécurisation des déchets issus de l’exploitation minière, dont la gestion relevait d’une compétence étatique au titre du droit minier, a entaché sa décision d’une erreur de droit ».

Madame la ministre, visiblement, la justice estime que, dans la mesure où le Gouvernement a accepté la renonciation aux concessions minières par arrêtés, la surveillance et la prévention des risques de ces sites ont été transférées à l’État. Prenez donc vos responsabilités !

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet.

M. Fabien Genet. Je salue le travail remarquable que constitue le rapport de la commission d’enquête.

Madame la ministre, permettez-moi de vous emmener en Saône-et-Loire pour un rendez-vous en terre connue pour être polluée (Sourires.), tout d’abord dans ma commune de Digoin, petite ville au riche passé industriel, notamment en matière de céramiques. Malheureusement, au fil du temps, l’activité a été concurrencée et seules subsistent aujourd’hui des friches industrielles importantes.

Pour m’être battu comme maire voilà quelques mois aux côtés des salariés pour sauver une faïencerie locale qui avait déposé le bilan, je peux témoigner que la problématique de la pollution représente une véritable épée de Damoclès pour d’éventuels repreneurs.

Le rapport évoque bien la question du principe pollueur-payeur et pointe les pollutions historiques. Mettre à la charge du repreneur d’une activité industrielle parfois en difficulté le traitement de pollutions datant souvent de dix, vingt ou cinquante ans peut condamner l’activité et précipiter le moment où le site devient orphelin et à la charge des collectivités locales. Dans ce type de situation, ne serait-il pas utile d’accompagner le repreneur pour faciliter la dépollution ? Le fonds Friches peut-il être mobilisé ?

Autre exemple à rebours du précédent, celui de la commune de Montceau-les-Mines, ville au riche passé industriel et minier comptant plusieurs friches.

Ainsi, la centrale à charbon a arrêté son activité au début des années 2000. Le groupe propriétaire, qui s’est engagé à démanteler, ne fait pourtant dès lors que ralentir les procédures et repousser le moment où il devra achever cette dépollution. Face à une telle situation, comment l’État peut-il faire accélérer le processus ?

La maire de Montceau-les-Mines m’a signalé d’autres problèmes de friches industrielles en plein centre-ville : les opérations d’aménagement pour réaliser des logements butent souvent sur le coût de la dépollution et de la démolition. Pour siéger à la commission des élus chargés de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), je peux témoigner que les collectivités ayant des projets nécessitant des démolitions peinent à trouver des aides auprès des partenaires financiers. Comment convaincre ces derniers de s’investir au-delà des fonds d’État existants ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le sénateur, ces situations sont complexes, en effet.

Concernant la faïencerie de Digoin, la société historique est en liquidation judiciaire et le repreneur est tenu de respecter la législation ICPE. À ce titre, un arrêté imposera la constitution ou le cautionnement de garanties financières. La Dreal est particulièrement attentive à ce site, qui est régulièrement inspecté.

Il faut tout de même veiller, lorsqu’il y a des repreneurs successifs, à ce que les sols pollués soient réhabilités, le risque étant, sinon, de se retrouver avec des pollutions qui ne seraient pas traitées.

À Montceau-les-Mines, la centrale que vous avez citée s’est arrêtée en 2013. Les travaux de remise en état seront prochainement encadrés par arrêté préfectoral, leur fin étant prévue en 2024. En 2019, une grande partie des terrains – 70 % – a été libérée de toute occupation, mais des bâtiments doivent faire l’objet d’un désamiantage. Le sous-préfet réunit régulièrement un comité de suivi du site. Le prochain, qui est programmé à la mi-février 2021, permettra de faire état de l’avancement du chantier de dépollution.

Même si ce site n’est pas concerné, je rappelle que la loi ALUR a instauré le dispositif du tiers demandeur, le tiers étant généralement un aménageur, permettant à ce dernier de se substituer à l’ancien exploitant pour réaliser la remise en état du site, généralement pour son usage futur dans le cadre d’un aménagement déjà prévu.

Cette procédure de substitution présente de nombreux avantages : elle est évidemment soumise à accord du préfet, les travaux d’instruction sont courts, la réalisation des travaux de dépollution et de remise en état pour l’usage futur final se fait en une seule fois. C’est beaucoup moins coûteux – la question des coûts est en effet cruciale –, plus rapide et cela clarifie les responsabilités, notamment en cas de découverte d’une nouvelle pollution, entre l’ancien exploitant et le tiers demandeur. En outre, un dispositif de garantie financière permet de sécuriser les opérations de dépollution.

Monsieur le sénateur, des systèmes existent donc pour faciliter, simplifier et faire baisser les coûts, sans porter atteinte à l’exigence de dépollution que nous devons à nos enfants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Les friches et leurs reconversions sont des thèmes abordés dans l’excellent rapport de la commission d’enquête sur la pollution des sols. Ces espaces représentent une véritable opportunité pour nos territoires.

Madame la ministre, permettez-moi de m’appuyer sur un exemple malheureusement bien connu pour illustrer cette problématique. La plaine de Carrières-Triel-Chanteloup, dans les Yvelines, que vous connaissez, était jusqu’à tout récemment la plus grande décharge à ciel ouvert de France : 25 hectares souillés par 26 000 tonnes de gravats et détritus en tout genre.

Cette friche est aujourd’hui nettoyée, mais, d’après une étude en cours, l’accumulation de déchets pendant des années, dont 900 tonnes de matériaux dangereux, a laissé des traces dans les sols. Cette pollution s’ajoute d’ailleurs à celle qui résulte de l’épandage des eaux usées de Paris pendant de très nombreuses années. Il y a donc bien urgence à dépolluer. C’est une condition nécessaire à la réhabilitation de la plaine.

Les élus locaux sont mobilisés depuis le premier jour sur ce projet. Ils ont financé l’enlèvement des déchets. Ils ont réfléchi à un projet d’avenir pour la réhabilitation de cette friche en un écosystème tourné vers la forêt, mais aussi la faune et la flore existantes. Cette idée, défendue notamment par le département des Yvelines et les maires des communes, s’inscrit pleinement dans une logique de développement durable.

Vous l’avez compris, madame la ministre, la question de la dépollution fait également partie de leurs priorités et une étude est d’ailleurs en cours. L’État s’est associé à ces démarches au sein des comités de pilotage afin que ce fléau écologique ne soit bientôt plus qu’un souvenir, ce que nous espérons tous.

Madame la ministre, comment l’État va-t-il poursuivre son soutien aux initiatives des élus locaux concernant l’avenir de la plaine de Carrières-sous-Poissy ? Quelles sont les prochaines étapes ? Qui paie in fine ? Souvent, ce sont les élus locaux qui prennent en charge l’essentiel de ces dépollutions.

Plus largement, comment l’État accompagne-t-il les élus locaux sur la question des friches, qu’elles soient industrielles ou non ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. On a beaucoup entendu parler, madame de Cidrac, de cet énorme site de dépôts sauvages, qui était absolument aberrant. Nous travaillons sur la question de ces dépôts : la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, prévoit la création d’une filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour éviter les dépôts sauvages, par exemple de déchets du BTP. Dans mon souvenir, le site de Carrières-sous-Poissy en comptait beaucoup.

Nous n’en sommes pas au début du projet, la réhabilitation a déjà été pensée et de nombreux travaux ont déjà été mis en place. Je salue d’ailleurs le travail qui a été accompli par tous les acteurs du système et j’insiste sur la méthode très intéressante retenue : tous les acteurs se sont mis autour de la table pour essayer de trouver des solutions à ce problème et de construire un projet de territoire, qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats et pour lequel il peut y avoir un certain nombre de financements. L’État est déjà impliqué financièrement. Peut-être que des financements supplémentaires sont envisageables dans le cadre du plan de relance, notamment par le biais du fonds Friches.

Aujourd’hui, grâce à la loi AGEC, mais pas seulement, nous voulons renforcer les sanctions en cas de dépôts sauvages. Le préfet des Yvelines accompagne le projet.

De manière générale, face à ce type de problème, on ne parviendra à trouver des solutions qu’avec un projet de territoire. J’alerte sur la création possible de contrats de relance et de transition écologique (CRTE), qui dépassent la simple question des déchets et doivent être appréhendés comme de véritables projets de territoire de développement durable, ce qui leur permettra d’être alimentés par un certain nombre de financements.

Madame la sénatrice, je vous invite à contacter les services du ministère pour que nous puissions étudier cela de plus près.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

J’en profite pour attirer votre attention sur la plaine d’Achères, dans la commune de Saint-Germain-en-Laye, non loin du site dont nous venons de parler, qui connaît elle aussi un problème de dépollution, pris en charge par la ville de Saint-Germain-en-Laye. À cet égard, je souhaiterais rediscuter avec vous de la question du coût. Vous avez à juste titre rappelé le partenariat qui a été mis en place dans ce territoire. Continuons de travailler ensemble pour trouver des solutions à cette situation pesante.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Il semble aujourd’hui essentiel de prendre davantage en considération le sol, élément trop souvent oublié du triptyque air-sol-eau dans les politiques publiques environnementales. En effet, un sol sain et fertile stocke plus de carbone et renforce la résilience des territoires.

Dans son rapport, la commission d’enquête établit plusieurs constats et propose par exemple de mieux réparer les préjudices écologiques sur les sites pollués. Elle préconise ainsi que soit élaboré un plan d’action « détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué », sous l’autorité des préfets.

Ces propositions viennent combler les carences de l’État sur certains sites pollués, à l’heure où justement l’État veut imposer la norme du zéro artificialisation nette des sols. Il est donc essentiel que l’État définisse toutes les responsabilités, dont les siennes propres.

Permettez-moi d’ailleurs, madame la ministre, d’illustrer mon propos par deux exemples pris dans mon département de la Meurthe-et-Moselle.

À Blénod-lès-Pont-à-Mousson, pendant près de quarante-cinq ans, il y a eu un centre de production thermique fonctionnant au charbon. Fermé depuis six ans, il a laissé derrière lui un terril de 2,5 millions de mètres cubes de cendres externes – excusez du peu ! – sur plus de 30 hectares. La valorisation de cet amas cendreux, qui pourrait contaminer le sol, n’a jamais été véritablement pensée ni préconisée : durant les années d’exploitation du site, l’industriel n’a provisionné aucun fonds permettant de traiter le terril après la fermeture de la centrale. Si quelques solutions ont été envisagées, elles sont soit trop chères soit irréalisables.

Au-delà de la responsabilité administrative, il existe un enjeu juridique lié à la dépollution des sites contaminés lorsque l’entreprise responsable n’existe plus. Vous le savez, le scénario, dans ce cas, est aussi banal qu’affligeant.

La commune de Dieulouard a hébergé pendant plus de cinquante ans une usine de recyclage des huiles usagées. Le sous-sol du site est aujourd’hui souillé et pollué d’hydrocarbures et l’entreprise responsable a fait faillite. Qui se charge de la dépollution ? Qui paie ? Tout cela est-il bien codifié et solidement appréhendé juridiquement ?

Madame la ministre, comment l’État pourra-t-il aujourd’hui et demain mieux assumer ses responsabilités et combler les carences juridiques à l’égard des sites industriels pollués afin de créer à terme un cadre législatif robuste et protecteur ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Les exemples que vous avez évoqués, monsieur le sénateur Husson, et qui sont très parlants, le montrent : nous avons été obligés d’évoluer parce que la réglementation ne prévoyait ni la dépollution ni les risques d’atteinte à la santé publique.

Des garanties financières ont été mises en place depuis 2012 pour couvrir la mise en sécurité d’ICPE susceptibles d’être à l’origine de pollutions importantes des sols ou des eaux. Indépendamment de la mise en jeu des garanties financières pour les opérations qu’elles couvrent, l’exploitant demeure tenu de respecter ses obligations de cessation d’activité : mise en sécurité, puis remise en état du site.

Aujourd’hui, sur les 5 500 sites recensés, plus de la moitié sont des carrières qui sont soumises à des garanties financières pour un montant total de 3,5 milliards d’euros.

Les garanties financières relatives à la mise en sécurité concernent 870 sites, pour un montant total de 650 millions d’euros. Au cours des dix dernières années, les préfets ont appelé à une quinzaine de reprises des garanties financières auprès d’organismes de crédits pour un montant d’environ 3 millions d’euros, pour des problématiques de remise en état ou de mise en sécurité du site. On le voit, la réglementation évolue, car nous devons désormais tenir compte de l’existant et du passé.

Sur la question de la gestion des sols pollués, je vous rappelle que nous avons mis en place le principe de la gestion des risques selon l’usage. Nous ne sommes pas le seul pays à le faire : la Belgique et la Grande-Bretagne notamment agissent de même. Ce principe s’articule autour de deux actions : la recherche des possibilités de retrait des pollutions, notamment des pollutions concentrées, et l’obtention d’un niveau de réhabilitation compatible avec l’usage qui sera ensuite fait du terrain.

Les fonds qui sont aujourd’hui prévus dans le plan de relance permettent aussi de combler les manques de la réglementation passée afin d’essayer de rattraper ce retard. Je vous renvoie au débat que nous avons eu sur l’éventuelle pérennisation d’un tel fonds.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission d’enquête.

M. Laurent Lafon, président de la commission denquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative qu’a prise notre rapportrice, Gisèle Jourda, avec le soutien de son groupe, de créer cette commission d’enquête pour faire la lumière sur l’enjeu de la pollution des sols. Comme elle l’a bien expliqué, cette problématique est encore largement sous-estimée, alors qu’elle concerne l’ensemble de nos territoires. Sous son impulsion et grâce à sa détermination, nous avons « défriché », si j’ose dire (Mme la ministre rit.), un sujet complexe, mais majeur pour la santé de nos concitoyens et l’attractivité de nos territoires.

À cet égard, je salue l’engagement des membres de la commission d’enquête qui ont participé à nos travaux et les ont enrichis de l’expérience concrète qu’ils avaient de cette problématique.

Si je devais résumer notre principal message, madame la ministre, je le ferais ainsi : ne laissez pas les collectivités territoriales et leurs élus se débrouiller seuls avec des sols qui, je le rappelle, ont bien souvent été pollués par des activités anciennes, que l’État a souvent lui-même autorisées, voire promues pour des raisons économiques.

Les élus locaux sont au front lorsque des pollutions des sols apparaissent : c’est non seulement le cas des maires, au titre de leurs obligations en matière de protection de la sécurité et de la salubrité publiques, mais également des départements et des régions qui, en tant que gestionnaires d’établissements scolaires construits sur des sites historiquement pollués, sont amenés à prendre en charge des travaux de dépollution aux coûts parfois extrêmement élevés, que leurs seuls budgets ne peuvent pas supporter.

Or, bien souvent, gérer un sol pollué, c’est la double peine pour une collectivité territoriale propriétaire : les sols pollués problématiques sont, dans la plupart des cas, le résultat de pollutions historiques qui, il ne faut pas l’oublier, signent une activité disparue dans un mouvement de désindustrialisation. On l’a vu dans la vallée de l’Orbiel.

Alors même que les territoires doivent faire le deuil d’une activité industrielle ou minière autrefois dynamique et qui faisaient leur fierté, ils se retrouvent à devoir dépolluer à leurs frais des friches pour lesquelles la responsabilité de l’ancien exploitant ne peut plus être engagée pour les raisons que nous connaissons. Or ces territoires, confrontés à de lourdes difficultés pour soutenir leur reconversion économique, n’ont généralement pas la surface financière suffisante pour supporter le coût d’une dépollution d’une ampleur considérable.

Dans mon département, le Val-de-Marne, que Pascal Savoldelli a également cité, les établissements scolaires construits sur des sols pollués sont malheureusement nombreux. L’État ne peut pas raisonnablement laisser le département assumer seul le coût des diagnostics des sols et des travaux qui s’imposent alors que les pollutions sont souvent dues à des activités que l’État a lui-même autorisées.

Nous avons pour cela besoin du soutien et de la collaboration de l’État. Nous l’avons vu au cours des visites de terrain que nous avons organisées : c’est là où une véritable collaboration et coopération entre tous les acteurs – État, collectivités et population à travers le tissu associatif – s’est mise en place que les problèmes de pollution ont été les mieux appréhendés.

Madame la ministre, vous nous avez annoncé un certain nombre d’évolutions législatives dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, notamment la réforme du code minier que nous attendons depuis de nombreuses années. Nous serons bien entendu très attentifs à vos propositions.

J’ai cru comprendre de l’une de vos réponses qu’il y avait un désaccord entre vous et nous : il porte non pas sur ce point, mais sur le socle juridique en matière de définition de la pollution des sols, sur lequel nous avons beaucoup travaillé.

Ce futur texte nous offre une opportunité juridique et nous sommes à votre disposition et à celle de vos équipes pour l’enrichir et consolider le socle législatif afin de pouvoir, grâce à une définition juridique précise, enclencher un certain nombre d’actions. En effet, on le voit bien, sur un certain nombre de sites, ce qui bloque, au-delà de la question du financement que beaucoup d’entre nous ont évoquée cet après-midi, c’est aussi l’absence d’une assise juridique forte et clairement définie.

Madame la ministre, vous avez compris l’engagement du Sénat sur la question de la pollution des sols. Nous serons bien entendu très attentifs aux réponses que vous nous apporterez, notamment lors de l’examen du texte qui viendra en discussion ici même dans quelques semaines.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols.

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Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique

Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur les conclusions du rapport fait au nom de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Éric Gold, pour le groupe auteur de la demande.

M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. « L’illectronisme ne disparaîtra pas d’un coup de tablette magique ! » Tel est le titre du rapport d’information de notre ancien collègue Raymond Vall, rapporteur de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique », présidée par Jean-Marie Mizzon. Je tenais à commencer mon propos en saluant la qualité de leur travail respectif.

Sensible à cette question et à celle plus globale de la fracture numérique, le groupe du RDSE a souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur les conclusions de ce rapport d’information, dont je reprends avec motivation la teneur. Avec motivation, car l’illectronisme mérite que l’on s’y attarde : il s’agit d’une nouvelle forme d’exclusion dans notre monde hyperconnecté, s’inscrivant plus globalement dans une fracture numérique qui, comme l’a déclaré Sébastien Soriano, président il y a encore quelques jours de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), « ne fait qu’exacerber des fractures existantes, qu’elles soient territoriales, culturelles, sociales ou générationnelles ».

Pour ceux qui découvrent ce terme, et je crois qu’ils sont nombreux, l’illectronisme renvoie à une difficulté ou une incapacité à utiliser les appareils et outils numériques. Nul ne peut ignorer l’importance qu’a prise le numérique dans notre quotidien, à plus forte raison après l’année que nous venons de passer. S’il est souvent synonyme de progrès, d’innovation et de décloisonnement, il peut aussi accroître les inégalités, ce qui justifie que nous fassions preuve de la plus grande vigilance.

La mission d’information sur l’illectronisme a d’abord permis de faire un état des lieux précis de la situation, après trois mois d’investigations, trente et une auditions, quatre tables rondes et deux déplacements. Quarante-cinq propositions en ont émergé, sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

Partons tout d’abord des constats établis, car ils donnent une photographie de notre pays, loin de l’image d’Épinal de la start-up nation.

Ainsi, 14 millions de Français sont éloignés du numérique et un Français sur deux n’est pas à l’aise avec les outils numériques. Parmi les plus touchés par l’illectronisme, on trouve d’abord les personnes handicapées, les personnes détenues et celles qui maîtrisent mal notre langue, parlée et écrite, sans oublier bien sûr nos aînés.

Or, pour ces publics déjà souvent fragilisés par la vie, la maîtrise du numérique conditionne de plus en plus l’accès aux droits, dans un contexte de dématérialisation généralisée des services publics. Elle permet à l’État de réaliser 450 millions d’euros d’économies chaque année, mais laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches en ligne.

Et pour cause ! Loin d’être un plus, le numérique a remplacé les guichets dans de nombreux territoires. Je cite de nouveau Sébastien Soriano : « Tout s’est compliqué à partir du moment où on a commencé à vouloir fermer les guichets physiques. Or, l’enjeu, c’est d’abord de s’adapter à la vie des Français en prenant en compte leurs usages qui, en effet, passent de plus en plus par les canaux numériques, mais pas exclusivement. »

C’est d’autant plus vrai que l’ergonomie des sites publics est à la traîne. Et que dire de l’accessibilité aux personnes handicapées, obligation sociétale et juridique, qui n’est effective que pour 13 % des démarches administratives en ligne ?

Ces difficultés conduisent pour une partie à des renoncements aux droits inacceptables.

C’est également le cas pour les demandeurs d’emploi, qui sont 12 % à ne pas maîtriser les outils informatiques. Devenu l’une des compétences professionnelles de base, le numérique freine pour beaucoup l’accès au marché du travail. Cette situation est d’autant plus pénalisante que, depuis le début de la crise sanitaire, le télétravail a pris un essor considérable, qui devrait se confirmer dans les mois et les années à venir.

Malheureusement, alors que la demande d’assistance et de formation augmente, on manque d’outils pour repérer les fragilités et proposer des solutions adaptées.

On manque aussi de budget. Le Gouvernement n’a alloué que 10 millions d’euros en 2018 et 30 millions d’euros en 2019 au déploiement du Pass numérique, fer-de-lance de sa stratégie nationale pour un numérique inclusif. La copie a été revue récemment puisque 250 millions d’euros seront finalement alloués sur deux ans à la formation de 4 millions de personnes en situation d’illectronisme.

Nous estimons cependant qu’il faudrait un milliard d’euros pour rattraper le retard et toucher l’ensemble des 14 millions de Français concernés. Cette somme serait vite amortie puisque, on le sait, la résorption de la fracture numérique, encore bien présente dans bon nombre de territoires, et l’autonomie numérique permettraient de réaliser 1,6 milliard d’euros de bénéfices par an.

Les pouvoirs publics ont longtemps considéré que l’équipement suffisait, et que chaque personne s’autoformait naturellement. Le pass numérique est en ce sens un outil intéressant, puisqu’il déploie une offre de formation. Malheureusement, il a peu séduit, probablement du fait d’un manque de formateurs, découlant lui-même de la valeur trop faible du pass : 10 euros semblent insuffisants pour garantir la solvabilité des prestataires.

Notre mission a donc entrepris de formuler quarante-cinq propositions réparties autour de sept axes.

Tout d’abord, il est nécessaire d’évaluer plus finement l’exclusion numérique en renouvelant régulièrement l’enquête de l’Insee et en généralisant les cartographies locales qui permettront un déploiement au plus près des besoins sur le terrain.

Ensuite, il est indispensable de passer d’une logique du « 100 % dématérialisation » à une logique du « 100 % accessible », notamment en conservant un accueil physique ou téléphonique dans les services publics, et en renforçant les sanctions en cas de non-respect de l’obligation d’accessibilité des sites internet.

Comme je le mentionnais, 1 milliard d’euros doit être investi pour lutter contre l’illectronisme dans le cadre d’un fonds qui ferait de l’inclusion numérique une priorité nationale et un service d’intérêt économique général. D’une part, il nous faut favoriser la montée en puissance indispensable du pass numérique, notamment en augmentant sa valeur et en le déployant plus largement ; d’autre part, nous devons repenser l’offre et l’architecture de la médiation numérique, et la placer sous une bannière unique.

Il est également nécessaire de renforcer la qualité de l’offre de médiation, par exemple via la création d’un baccalauréat professionnel et une meilleure formation des travailleurs sociaux aux enjeux de la lutte contre l’exclusion numérique.

En complément du pass, la délivrance d’un chèque équipement permettrait aux ménages modestes d’acheter ou de louer du matériel informatique, de préférence reconditionné, pour réduire l’empreinte environnementale du numérique.

Pour épauler les collectivités locales, qui seraient pleinement intégrées au processus grâce à une conférence des financeurs dans chaque département et à un référent spécifique dans chaque intercommunalité, il est primordial de couvrir tout le territoire de hubs France Connectée d’ici à 2022. La stratégie nationale doit se déployer au plus près des besoins de chaque bassin de vie.

Enfin, nous devons nous appuyer sur l’école et sur l’entreprise pour recenser les difficultés, repérer les fragilités et mieux former à tous les âges de la vie. Il faut d’abord construire une éducation nationale 2.0 et mieux former les enseignants aux outils numériques pédagogiques. Pourquoi ne pas envisager, en outre, l’organisation d’un test de repérage de l’illectronisme lors de la journée défense et citoyenneté ?

Ensuite, il apparaît indispensable de créer un choc de qualification des salariés. Pour ce faire, l’inclusion numérique intégrerait le champ de la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le mécénat de compétences serait encouragé. Un amortissement des frais ou un crédit d’impôt serait également mis en place pour les PME et les TPE qui investissent dans les formations au numérique.

La crise a montré que le numérique n’était plus une option pour les entreprises, mais une condition de leur développement, voire de leur survie. Nous devons donc les soutenir dans cette voie, sans oublier les artisans, les commerçants et les autoentrepreneurs qui peuvent se sentir isolés face à de tels défis.

Dans ces situations, nous voyons bien que la médiation et l’accompagnement constituent des éléments fondamentaux. L’aménagement numérique du territoire et l’équipement informatique sont deux préalables indispensables, mais ils ne sont pas grand-chose sans une formation aux outils et sans accessibilité des sites internet.

Nous sommes tous, à un moment donné, touchés par l’illectronisme. Cette question nous concerne donc tous et, à plus forte raison, ceux pour qui l’essor du numérique complique davantage la vie, là où elle devrait s’en trouver facilitée.

Cette mission et le rapport qui en résulte appellent à un investissement massif pour faire entrer pleinement la France dans le XXIe siècle, sans laisser personne au bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le fond, la période que nous vivons est celle d’une grande transition.

D’une certaine manière, elle s’apparente à la mutation qui a eu lieu à la fin du XIXe siècle avec la mécanisation et le développement de l’utilisation du charbon, qui ont fait passer nos sociétés d’un modèle plutôt agraire à un modèle industriel, avec tout ce que cela a impliqué en termes de structuration de la société, de rapports économiques et d’émergence de nouvelles institutions. D’une certaine façon, cette période a façonné le monde tel que nous l’avons connu au XXe siècle.

Ce que nous sommes en train de vivre avec le numérique est à peu près similaire : ce qui est une transformation technologique, c’est-à-dire l’introduction du numérique dans l’économie, la société et dans nos vies, vient bouleverser l’ensemble du monde tel que nous le connaissons.

C’est vrai dans le domaine économique : nous assistons à l’émergence de nouvelles entreprises, de très grandes entreprises, qui sont des facteurs de complexité et une source de pouvoir, telles que nous n’en avons jamais connu. Je pense à de très grandes entreprises américaines et chinoises notamment.

C’est vrai dans le domaine du travail avec la transformation des relations sociales et, donc, des institutions qui en découlent.

C’est vrai aussi pour ce qui concerne la transformation du quotidien de nos concitoyens, poussée jusqu’à son paroxysme – on l’a vu – pendant le confinement. Le numérique est devenu l’épine dorsale d’une partie du fonctionnement de la société, allant jusqu’à modifier les relations interpersonnelles : je pense à la visioconférence qui nous permet de rester connectés à nos proches, mais surtout à l’utilisation des réseaux sociaux. Que nous considérions ce changement comme bon ou mauvais n’y change rien : il est déjà là et vient profondément changer notre société.

C’est vrai également – et mon propos n’est pas exhaustif – de notre démocratie. On observe une transformation du rapport des citoyens à la démocratie, sous la forme par exemple d’une remise en cause de la démocratie représentative. Cela peut même aller jusqu’à ce que l’on a observé dernièrement, à savoir notre difficulté à contrôler ou, en tout cas, à réguler ce nouvel espace qu’est le numérique. L’irruption du numérique dans nos vies pose de nombreuses questions, le cas du président Donald Trump en étant l’exemple le plus récent.

C’est vrai enfin des rapports géopolitiques, puisque l’ensemble de ces transformations technologiques se nourrissent l’une l’autre : l’émergence de la Chine dans cette révolution technologique est une réplique aux performances des États-Unis et aux difficultés que peut connaître l’Europe.

Pourquoi, me demanderez-vous, parler de ces grandes transitions durant ce débat sur l’illectronisme ? En réalité, les grandes transformations que je viens de mentionner sont particulièrement violentes pour nos sociétés. Ces moments de clair-obscur, comme dirait Gramsci, sont en effet porteurs d’énormément de nouvelles possibilités économiques, d’occasions à saisir pour l’économie de la connaissance, mais également de beaucoup de risques, en particulier celui d’une fracturation de notre société.

D’ailleurs, il est intéressant de constater à quel point le numérique est cité pour le rôle qu’il jouerait dans le déclenchement de certains événements récents, comme la révolte des « gilets jaunes », le Brexit, les ressorts du vote de la classe moyenne pour Donald Trump, et grosso modo dans la montée d’une forme de colère dans une partie de la population et des classes moyennes qui se sentent déclassées ou du moins laissées de côté par la révolution technologique, de la même manière qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la mécanisation de l’ensemble de l’économie avait abouti à un bouleversement des rapports sociaux.

L’obligation qui incombe aux pouvoirs publics et au gouvernement actuel, comme à ses prédécesseurs, est de faire en sorte d’accompagner cette transition, faute de quoi il est normal qu’une partie de la population, celle que Yuval Noah Harari appelle « les inutiles », se révolte contre une évolution qui ne lui correspond pas.

M. le sénateur Gold a cité un certain nombre de chiffres : aujourd’hui, 13 millions à 14 millions de Français se sentent éloignés du numérique ; un Français sur six ne sait pas se servir de l’outil numérique et n’utilise jamais un ordinateur ; un Français sur trois manque de compétences de base en matière numérique.

Il en résulte une inégalité factuelle, qui vient s’ajouter à d’autres inégalités : l’inégalité de l’accès aux services publics et privés. Ainsi, durant le confinement, certains de nos concitoyens n’ont certainement même pas su – poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde – télécharger ou imprimer leur attestation de sortie, soit parce qu’ils ne disposaient pas d’une connexion internet, soit parce qu’ils ne savaient pas s’en servir. On se doute bien de l’énorme différence de vécu entre ceux qui étaient connectés et ceux qui ne l’étaient pas.

Mais le fond du problème n’est pas tant ce problème d’inégalité des droits qu’un problème de grammaire. Nous sommes confrontés à l’incompréhension grandissante, par une partie de nos concitoyens, en France et à l’étranger, des tenants et aboutissants des grands enjeux du monde dans lequel nous vivons. En effet, le numérique s’immisce partout, comme dans les processus de recrutement, par exemple ; il pose la question de l’utilisation des données, celle de la cybersécurité, celle de la manière dont ce monde évolue et, plus généralement, celle de la structuration du monde de l’information.

Ce qui est en jeu – et nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ce que fait le Gouvernement en matière d’illectronisme –, c’est certes la question sociale, mais le fond du sujet, c’est la démocratie. Comment faire en sorte que l’ensemble des Français comprennent les enjeux actuels et soient suffisamment bien formés pour être des citoyens émancipés et autonomes dans un monde qui est de plus en plus numérisé ?

C’est pour répondre à cette question que le Gouvernement a fait de l’inclusion numérique un axe extrêmement important de sa politique. Je sais que votre mission d’information souhaitait un investissement plus important de notre part, mais je rappelle tout de même que les moyens consacrés à l’inclusion numérique, au sein du budget de l’État, sont passés entre 2017 et 2020 de 350 000 euros à 250 millions d’euros – je ferai observer à cet égard que l’illectronisme n’est pas apparu avec l’élection d’Emmanuel Macron… L’investissement dans ce domaine a beaucoup et progressivement augmenté pour faire en sorte que nous soyons à la hauteur des défis qui se présentent à nous.

Notre objectif est double : d’abord, accompagner les personnes en difficulté ; ensuite, accompagner les collectivités, qui sont la plupart du temps en première ligne, tout comme les autres acteurs concernés.

Toute la difficulté de l’exercice est de parvenir non seulement à mettre des moyens à disposition et à accompagner, mais également à structurer l’ensemble d’un secteur. En effet, le secteur de la médiation numérique, en partie du fait des apories de l’action de l’État, s’était structuré de façon un peu isolée, grâce au système D. Toute la complexité de notre action est de parvenir à la fois à mettre en œuvre nos politiques publiques et à structurer les institutions.

Vous évoquiez les hubs numériques, monsieur Gold. On pourrait aussi parler de la mise en réseau des acteurs, qu’il s’agisse d’acteurs institutionnels, d’organisations non gouvernementales (ONG), de l’État, des préfectures, ou même des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Pour nous, il est indispensable que toutes les initiatives soient prises en même temps.

Rester performant dans le domaine de l’innovation et faire en sorte que tout le monde reste à bord sont deux axes forts du plan de relance. J’aurai l’occasion et le plaisir de répondre à vos questions dans le débat qui va s’engager. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. En octobre 2017, les travaux du comité Action publique 2022 (CAP 2022) dévoilaient la volonté du Gouvernement de mettre en place des services publics totalement dématérialisés. Il s’agissait une nouvelle fois de faire des économies estimées à environ 450 millions d’euros.

Cette orientation posait, entre autres, la question de l’accès aux services publics. En effet, comme le rappelait Jacques Toubon, alors Défenseur des droits, près de 20 % des Françaises et des Français ne peuvent pas faire leurs démarches en ligne aujourd’hui, soit parce qu’ils n’ont pas le matériel, soit parce qu’ils vivent dans une zone blanche, soit encore parce qu’ils n’en ont pas les compétences, voire parfois du fait du manque d’accessibilité des sites internet aux personnes souffrant de handicaps.

À titre d’exemple, selon l’institut CSA, 36 % des personnes âgées de plus de 60 ans dans les Hauts-de-France étaient en situation d’exclusion numérique en 2018.

Ce constat pose forcément des questions.

Quid du devenir du principe d’égalité d’accès aux services publics ? Comment assurer un droit effectif, notamment en matière d’aides sociales, alors que les plus précaires sont les plus touchés par l’illectronisme ? Comment assurer notamment un droit effectif aux recours ?

Enfin, si l’école doit contribuer à la lutte contre l’illectronisme des enfants, d’autres dispositifs doivent être déployés pour les autres catégories de la population. À cet égard, les initiatives locales de médiation informatique doivent être saluées.

Face à cette situation, l’objectif envisagé par CAP 2022 d’une disparition progressive des accueils physiques pour atteindre le tout-numérique pose de sérieux problèmes. À cet égard, il me semble que l’axe n° 2 du rapport avance une piste intéressante, celle de la cohabitation permanente entre la démarche numérique et l’accueil physique. Il me semble toutefois que, en la matière, un accueil téléphonique servant d’appui ne suffira pas, et que c’est bien d’un accueil physique, d’une écoute et d’une aide qu’ont besoin les citoyennes et les citoyens de ce pays.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement prévoit-il de poursuivre la dématérialisation à marche forcée des services publics, rompant ainsi avec le principe d’égal accès à ces derniers ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, je souhaite revenir sur le projet que vous évoquez, autrement dit l’objectif d’une dématérialisation à 100 %. Je voudrais en effet replacer les choses dans leur contexte.

D’abord, la dématérialisation n’est pas forcément une mauvaise chose, y compris en matière d’accès aux droits des personnes.

Pour ne citer qu’un exemple, il y a un an et demi environ, à Bayonne, le patron de la caisse d’allocations familiales des Pyrénées-Atlantiques m’a expliqué que, le jour où ses services avaient dématérialisé le processus d’actualisation des droits des usagers – vous le savez, ces droits sont actualisés chaque mois –, ils avaient divisé par trois le taux de non-recours aux aides sociales. Tout cela en simplifiant la démarche d’actualisation des droits pour en permettre un accès à la carte.

Vous avez cependant raison sur un point : le numérique facilite les choses pour un certain nombre de personnes, mais en laisse aussi d’autres de côté. Je n’ai aucune difficulté à reconnaître que les gouvernements successifs sont probablement allés trop vite dans la dématérialisation, et qu’ils se sont insuffisamment interrogés sur la meilleure façon d’améliorer la qualité de celle-ci.

Avant même d’évoquer ceux qui ne savent pas se servir d’internet, il faut se rendre compte que les sites internet sont trop compliqués, qu’on n’y trouve pas les numéros de téléphone et que l’on s’y perd facilement.

Ce gouvernement a donc effectué un double travail.

Il a d’abord restauré les services publics : je pense notamment aux espaces France Service, qui se déploient de manière constante depuis l’annonce de leur création.

Il a ensuite souhaité conserver une voie d’accès physique, c’est-à-dire un guichet, même si celui-ci peut faire l’objet de mesures de rationalisation, réintroduire un contact via des numéros de téléphone – ma collègue Amélie de Montchalin y est très attachée –, et travailler sur la simplification à la fois du vocabulaire utilisé et de la navigation sur les sites des services publics. On sait en effet combien le vocabulaire administratif et la complexité du web peuvent engendrer des difficultés au quotidien, y compris pour des personnes à peu près autonomes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le secrétaire d’État, l’usage du numérique est devenu vital pour notre économie et notre société. Chacun le sait et en convient, singulièrement en ces temps de crise sanitaire.

Selon une enquête de l’Insee, en 2019, l’illectronisme concernait 17 % de la population. Ce taux atteignait même 50 % si l’on tient compte du halo de l’illectronisme, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas à l’aise avec le numérique et la dématérialisation des procédures.

Si le manque de compétences numériques est souvent une réalité, l’équipement même des ménages explique parfois l’inégalité devant l’inclusion numérique. Toujours selon l’enquête de l’Insee, le taux brut de non-équipement est minime dans l’agglomération parisienne – 8 % –, 1,6 fois plus élevé dans les communes rurales et dans les unités urbaines de moins de 10 000 habitants – 13 % – et 1,5 fois plus élevé dans les unités urbaines de plus de 10 000 habitants – 12 %.

Les raisons de ce manque d’équipements sont connues : le manque de compétences, le coût du matériel ou de l’abonnement figurent parmi les plus citées. Lors des travaux de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique que j’ai eu l’honneur et le plaisir de présider, ce constat a été dressé.

Dans son rapport d’information, mon collègue sénateur Raymond Vall, dont je salue le travail, a proposé plusieurs axes d’amélioration de la stratégie numérique du Gouvernement, avec notamment la création d’un fonds de lutte contre l’exclusion numérique. Ce fonds pourrait notamment contribuer à financer la remise d’un chèque équipement pour les ménages à bas revenus, soumise à la condition d’une participation à une formation financée par le pass numérique.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions envisagées par le Gouvernement pour améliorer l’équipement de ces ménages modestes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je tiens d’abord à vous remercier, vous et Raymond Vall, pour vos travaux sur le sujet.

Pour répondre très directement à votre question, l’exclusion ou la fracture numérique découlent de l’un de ces trois éléments : l’accès à une connexion, et donc à la fibre ou au mobile ; les usages, autrement dit savoir se servir d’internet ; enfin, l’équipement.

Le Gouvernement a opéré un choix extrêmement clair en se concentrant sur les usages. Même si je concède que la question s’est posée, nous avons décidé d’y « mettre le paquet » – pardonnez-moi cette expression – dans les semaines qui viennent, et ce pour plusieurs raisons.

La première raison tient à l’action des collectivités locales. Dans les années précédentes, les conseils départementaux et les conseils régionaux ont lancé beaucoup d’initiatives pour financer l’acquisition d’ordinateurs ou de tablettes pour les élèves.

L’honnêteté oblige à dire que ces opérations n’ont pas été un franc succès. Très souvent, soit parce que le professeur n’utilisait pas de tablette ou d’ordinateur en cours, soit parce que les élèves ne savaient pas suffisamment bien s’en servir, ces outils ont été laissés de côté, et ont été parfois même mis en vente sur internet. Nous avons donc sciemment décidé de commencer par changer les usages et faire progresser les Françaises et les Français dans ce secteur.

La seconde raison pour laquelle nous n’avons pas privilégié l’amélioration des équipements, c’est que les collectivités territoriales s’engagent beaucoup dans ce domaine, en investissant pour leurs administrés et en récupérant souvent des équipements donnés par des entreprises. J’étais à Trélazé il n’y a pas très longtemps : dans cette ville, la société CNP a fait don de 500 ordinateurs aux habitants d’un quartier difficile.

Il existe donc, dans certains territoires, des initiatives qui ne sont pas totalement satisfaisantes du point de vue de l’action publique, mais qui permettent tout de même d’attendre un peu. Je le répète, ce sont les usages qui concentrent aujourd’hui les efforts du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. La pandémie agit comme un révélateur des faiblesses préexistantes de notre pays, comme celles qui concernent actuellement l’université.

Notre université est en souffrance, la jeunesse étudiante en détresse sociale et psychologique. Dans les premiers mois de cette crise, le tout-numérique a révélé crûment les inégalités sociales. La précarité de la jeunesse étudiante est aussi, et fatalement, une précarité numérique. Elle a conduit au décrochage pédagogique et à une démotivation massive de ceux que l’on nomme pourtant les digital natives.

C’est pourquoi une première question se pose : quels moyens le Gouvernement entend-il consacrer au monde universitaire, tout d’abord sur le plan matériel, en matière d’infrastructures, d’équipements ou d’abonnements ? Peut-on imaginer négocier des forfaits préférentiels pour les étudiants, par exemple ?

Une deuxième question se pose : l’illectronisme est également une question d’usage et de compétences des étudiants comme des enseignants. Quelles sont les mesures prévues par le Gouvernement en matière de formation et d’acquisition des compétences dans ce secteur ?

Enfin, si la crise sanitaire a accéléré la transformation numérique des universités, celle-ci s’est faite dans l’urgence, sans réflexion critique sur son acceptabilité. Or les drames humains que connaît la jeunesse étudiante et l’épuisement généralisé en sont le témoignage funeste : l’enseignement ne peut se réduire à un espace virtuel. Un parcours étudiant ne se construit pas dans une solitude monacale, derrière un écran qui amplifie la ségrégation sociale.

Cela me conduit à poser une dernière question : quel travail entendez-vous mener pour engager une vraie politique numérique de l’enseignement supérieur qui soit au service de l’avenir de la jeunesse étudiante ? En quoi consisterait, selon vous, une numérisation vertueuse de l’université ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je ne suis pas certain de pouvoir répondre à l’intégralité de vos questions en deux minutes. (Sourires.)

Ma collègue Frédérique Vidal et moi-même, en lien avec les opérateurs, avons porté une attention particulière à la question étudiante pendant cette crise, en tout cas durant le premier confinement. Notre réflexion a notamment concerné les forfaits internet, et la possibilité de ne pas les interrompre au bout d’un certain moment, afin que les étudiants puissent continuer à avoir accès aux données disponibles et à leurs cours.

Nous avons travaillé sur un autre point qui, je le sais, faisait partie des recommandations du rapport, mais qui n’est hélas pas envisageable sur le plan légal, à savoir le zero rating – pardonnez-moi cet anglicisme –, comme on l’appelle : cette pratique consisterait à exonérer les étudiants de frais financiers lorsqu’ils consomment des données sur le site de leur université, par exemple. Les consommations ne sont alors pas comptabilisées dans leur forfait.

Nous avons examiné de très près cette possibilité : en Europe, il existe un principe général de neutralité du net qui nous interdit juridiquement de mettre en place ce type de solution. Cela étant, nous avons tout de même pris des mesures pour que les étudiants ne soient pas bloqués.

Je vous rejoins volontiers sur l’idée que la période est extrêmement difficile pour nos étudiants : ils ont vécu une rentrée dématérialisée, ce qui ne constitue pas pour eux une vraie rentrée dans cette période particulière de leur vie, qui n’est pas si éloignée pour moi. (Sourires.)

Nous ne pouvons pas tendre vers une éducation complètement dématérialisée. En tout cas, je n’y crois pas. Il faut que nous trouvions un juste milieu à la longue, entre des cours en présentiel, qui permettent de maintenir l’interaction physique et humaine nécessaire entre un professeur et ses élèves et entre les élèves eux-mêmes, et des cours dématérialisés, qui peuvent présenter un intérêt dans certains cas.

Enfin, s’agissant de la politique de lutte contre l’illectronisme, nous ne nous sommes pas concentrés spécifiquement sur le public étudiant. En revanche, nous avons prévu d’accorder une attention particulière à cette population dans le cadre de l’action conduite par les 4 000 conseillers numériques que nous envisageons de déployer sur le territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, l’illectronisme et l’inclusion numérique sont des problématiques transversales, à la croisée des chemins entre la culture, le social et l’aménagement du territoire. Je ne vous apprends rien en disant cela.

D’ailleurs, le rapport d’information de notre collègue Raymond Vall ne dit pas autre chose : « La priorité a longtemps été la couverture numérique du territoire, et non la maîtrise des usages par les personnes. » Je m’autorise ici une petite précision. En réalité, quand on parle de maîtrise des usages, on parle également de fracture numérique.

De fait, la fracture numérique qui touche les territoires, si elle est d’abord physique en raison d’un déploiement insuffisant des outils de communication, est aussi sociale et culturelle. Dès lors, quelles réponses apporter aux défis de l’inclusion numérique ?

Le rapport d’information met le doigt sur le nœud gordien de cette histoire : « Dans certains territoires, le manque de médiateurs labellisés […] est criant. » Ou encore : « La structuration des lieux de formation au numérique manque de clarté et plusieurs labels se sont déployés […] sans coordination. »

Surtout, le rapport précise que les interlocuteurs pour combattre l’illectronisme sont certes nombreux – les hubs France Connectée, les territoires d’action pour un numérique inclusif, les maisons France Services, les tiers-lieux « fabriques de territoire » –, mais qu’aucun ne peut assumer seul le poids d’une telle politique.

Je ne peux qu’approuver. On oublie pourtant trop souvent un acteur, même si le rapport l’évoque dans sa proposition n° 30. Cet acteur, tous les Français l’identifient. Celui-ci présente également l’avantage de disposer d’un maillage territorial idoine. Enfin et surtout, il est confronté, plus que tous les autres, aux défis de la numérisation. Vous l’aurez reconnu – enfin, je l’espère ! –, il s’agit de La Poste.

Aussi, ma question est la suivante : qu’attendez-vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que le groupe La Poste devienne le bras armé de notre politique publique en faveur de l’inclusion numérique, et pour qu’il redevienne le lien entre tous les Français qu’il était par le passé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Chaize, nous ne nous quittons plus, puisque nous échangions ensemble hier encore dans ce même hémicycle sur d’autres sujets. (Sourires.)

Vous abordez une question dont nous avons déjà discuté vous et moi à plusieurs reprises. Vous mettez le doigt sur le fond du sujet : le déploiement de l’inclusion numérique partout sur le territoire.

Cet enjeu est au cœur des actions qui seront menées grâce à l’enveloppe de 250 millions d’euros prévue dans le cadre du plan de relance du Gouvernement. C’est du reste la prégnance de cette problématique qui nous a conduits à prévoir un budget aussi important.

Le principal facteur limitant la mise en œuvre d’une politique de médiation numérique efficace est le manque de médiateurs numériques. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a annoncé le déploiement de 4 000 conseillers numériques partout sur le territoire, soit un doublement des acteurs disponibles. Il s’agit d’une sorte de « saut quantique » en matière d’offre d’accompagnement des Français dans les territoires.

Nous discutons avec tous les acteurs : les collectivités, les associations comme Emmaüs Connect, l’ensemble des associations qui s’engagent, les entreprises de l’économie sociale et solidaire – comme « Mon Assistant numérique » – qui, tous les jours, enseignent, accompagnent et forment les Français au numérique.

Nous discutons également avec le groupe La Poste : Philippe Wahl souhaite faire de l’inclusion numérique un axe fort de la politique de son groupe. Il souhaite mettre en place une stratégie qui permette de déployer les postiers sur le territoire, afin d’identifier toutes les personnes ayant besoin d’un accompagnement, notamment dans un certain nombre d’endroits où les collectivités seraient moins mobilisées ou moins dotées, là où les acteurs sont moins présents.

Ainsi, nous pourrions faire appel, via La Poste, à un certain nombre de conseillers numériques. En tout cas, je vous confirme la volonté de l’État de travailler avec ce groupe et la volonté de celui-ci de faire de l’inclusion numérique un élément central de sa politique dans les années à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Je voudrais commencer par remercier mes collègues ayant participé à la mission d’information sénatoriale, ainsi que le groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce sujet qui, en définitive, concerne tous les Français.

Si, évidemment, nous incitons tous à la formation des plus jeunes et à la formation tout au long de la vie sur les sujets du numérique, j’aimerais évoquer un pan entier de la population qui – ayons le courage de le dire – ne saura jamais se servir du numérique, pour des questions d’âge, de parcours de vie ou de situation individuelle.

Ces personnes, que nous ne parviendrons pas à former, ont besoin de services, notamment de services publics. Il faut absolument avoir à l’esprit qu’il est nécessaire de continuer à les accompagner.

Ainsi, il est indiqué dans le rapport de la mission d’information que les services publics et parapublics doivent impérativement conserver des lignes téléphoniques pour l’accueil des usagers. Si, en plus d’avoir les lignes téléphoniques, ils peuvent aussi avoir du personnel pour décrocher, et ce rapidement, c’est tant mieux !

Puisqu’il est question de service public, je voudrais évoquer le cas précis des maisons France Services.

Il reviendra donc aux collectivités locales d’assurer un certain nombre de services, soit via des lieux physiques, soit au travers d’un dispositif itinérant, se déplaçant de commune en commune. D’ailleurs, je pense que le service ainsi rendu sera de meilleure qualité, car les collectivités locales ont la connaissance du terrain.

En revanche, elles reprennent une compétence assumée jusqu’alors par l’État et par un certain nombre de ses services. Or, dans la vie, quand il y a transfert de compétences, il y a généralement, en parallèle, ce que l’on appelle un « transfert de moyens ». Là, le compte n’y est pas : on parle d’une contribution d’une trentaine de milliers d’euros par maison France Service. Si l’on veut que les services portés par les collectivités locales soient utiles, l’État doit accroître son aide financière !

À ce titre, puisque l’on nous parle de déconcentration, pourquoi ne pas transférer des agents de l’État – qui resteraient agents de l’État – au sein de ces structures, afin, encore une fois, d’améliorer les services rendus à nos compatriotes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Verzelen, j’aurai quelques difficultés à vous annoncer maintenant, sur ces travées, une augmentation de l’enveloppe consacrée aux maisons France Services et je vous renvoie, pour cette discussion, à Jacqueline Gourault, ma ministre de tutelle.

Néanmoins j’abonde dans votre sens : sur les 13 millions ou 14 millions de Français, environ, qui sont éloignés du numérique, on estime pouvoir en former la moitié ; l’autre moitié ne sera jamais formée.

Cela exige de conserver des guichets d’accueil physique ou de réintroduire des numéros d’appel téléphonique, comme je l’indiquais précédemment, mais aussi de pouvoir faire « à la place de ».

Accompagner, c’est l’objectif de France Service. C’est aussi ce qui nous pousse à consacrer une partie des 250 millions d’euros déployés dans le cadre du plan de relance à la distribution de ce que nous appelons des « kits d’inclusion numérique » aux secrétaires de mairie et aux travailleurs sociaux. Nous parlons précisément d’un effort de 40 millions d’euros – sur 250 millions d’euros, donc – pour équiper ces acteurs, qui sont en première ligne dans la lutte contre l’illectronisme, avec le développement d’outils comme Aidants Connect.

Ce dispositif, Aidants Connect, vise un objectif simple. Aujourd’hui, quand une personne fait une démarche numérique à la place d’une autre, celle-ci doit remettre à celle-là ses identifiants et mots de passe. On connaît tous l’exemple de ces travailleurs sociaux ayant en leur possession des pages noircies d’adresses e-mail et de mots de passe. C’est totalement illégal, mais il n’y a pas d’autre solution.

Nous avons donc créé Aidants Connect, que nous allons généraliser cette année, afin de fiabiliser sur le plan juridique cette relation entre l’aidant et l’aidé.

Nous travaillons également à faire progresser la formation au numérique des travailleurs sociaux. En effet, il y a les professionnels de la médiation numérique et tous les fonctionnaires – j’évoquais à l’instant les secrétaires de mairie –, mais les travailleurs sociaux se trouvent aussi en première ligne dans cette lutte et doivent être accompagnés.

Avec ces kits d’inclusion numérique, nous veillons donc, aussi, à aider ceux qui agissent « à la place de ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Comme vous l’avez souligné en introduction, monsieur le secrétaire d’État, nous faisons face à un enjeu de société majeur, à une transformation considérable.

Je vous remercie, d’ailleurs, d’avoir appréhendé le sujet d’une manière aussi large, car l’impression qui prédomine souvent est celle d’une politique extrêmement étriquée de l’État, se résumant à l’idée que cette transition représente une véritable aubaine pour qui veut réduire les dépenses publiques et les effectifs de fonctionnaires !

Vous parliez de médiation ; moi, je voudrais appeler à la création d’un grand service public du numérique, qui s’appuierait en premier lieu sur l’éducation nationale.

De très nombreux enseignants sont à former, de manière extrêmement approfondie. Ils doivent être formés pour pouvoir accompagner les élèves dans le maniement des outils, mais aussi, évidemment, pour les amener à être plus critiques face aux contenus qui se déversent sur eux. Je pense aux difficultés liées à l’utilisation des réseaux sociaux ou encore aux fausses informations qui circulent. L’investissement doit être massif et le plan de relance que vous évoquez, je crois, n’y suffira pas.

Au-delà de l’éducation nationale et des grands services publics, il faut aussi s’appuyer sur l’éducation populaire. Il me semble que celle-ci a fort à faire.

Quand je parle d’un grand service public, je n’envisage vraiment pas la construction d’une filière, tel que vous l’indiquiez. Il faut vraiment se dire que l’État et les collectivités ont un rôle majeur à jouer. Il s’agit, en effet, d’organiser une construction citoyenne face à un secteur du numérique – et c’est un enjeu extrêmement grave et prégnant à l’heure actuelle – structuré autour de multinationales, presque aussi puissantes que des États, mais absolument pas préoccupées par les questions démocratiques.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le fond, madame la sénatrice Taillé-Polian, je crois que nous sommes plutôt d’accord… Il peut y avoir un débat sémantique sur le choix du terme – filière ou service public –, mais l’objectif que nous visons est en définitive le même : structurer le secteur grâce à l’injection d’argent public.

Pourquoi fais-je mention de filière, de secteur, et pas de service public ?

Aujourd’hui, énormément d’acteurs agissent sur le terrain, en première ligne : les collectivités territoriales ; des organisations non gouvernementales telles que Emmaüs Connect ; des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Dans une acception très jacobine de l’action de l’État, nous aurions pu décider que celui-ci allait embaucher, payer et déployer sur l’ensemble du territoire les formateurs. Mais nous avons pris une décision tout autre, d’ailleurs en lien avec l’ensemble des acteurs, qui saluent pour la plupart, me semble-t-il, cette approche. Nous avons opté pour le financement, via la Banque des territoires, de ce que nous appelons des hubs territoriaux, permettant de mettre en relation les acteurs et de les équiper, par exemple en développant des logiciels Pix. Il s’agit, dans le cas de cette plateforme, de travailler sur des standards pour évaluer l’illectronisme – sans standards, il ne peut y avoir de politique publique !

C’est donc pour travailler à la mise en relation des acteurs que nous avons investi dans des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) : la SCIC Pix ou encore la SCIC Mednum. C’est aussi pour cela que nous avons proposé de financer le dispositif des conseillers numériques, en prévoyant une embauche, non pas par l’État, mais par les collectivités territoriales, par des associations comme Emmaüs Connect, voire, peut-être, par La Poste.

Le rôle de l’État – pour une fois, me direz-vous – n’a pas été de faire ; il a été de mettre en relation les acteurs.

Je manque de temps pour approfondir ce sujet, mais je vous rejoins sur la nécessité de suivre les jeunes. Une légende urbaine voudrait qu’il y ait une génération Y, née avec un téléphone portable à la main. Ce n’est pas vrai ! Le numérique, cela s’apprend ! C’est une grammaire particulière ! Si nous avons besoin de former les moins jeunes, il nous faut, aussi, accompagner les jeunes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Je n’appelle pas à la création de postes de fonctionnaires par milliers à travers la France en vue de l’instauration d’un service public unifié. Bien entendu, il s’agit plutôt de structurer les acteurs présents, qui sont notamment des acteurs associatifs ou du secteur de l’économie sociale et solidaire.

Mais l’idée que je défends, surtout, c’est que l’éducation nationale, qui est en soi, déjà, un service public, doit servir de cadre, tout comme elle peut aussi servir de lieu pour propager l’éducation au numérique – outils, logiciels, mais aussi contenus – dans le temps scolaire et en dehors du temps scolaire.

L’investissement, je pense, n’est pas encore à la hauteur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Le débat de ce jour intervient après l’adoption, hier soir, dans cet hémicycle, de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Je suis intervenue sur les problématiques liées à la captation de notre attention, une ressource très, voire trop prisée, avec un coût cognitif pour les usagers et un coût écologique pour notre planète.

Il y a le trop… Il y a aussi le pas assez !

Lutter contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique, c’est l’ambition que Raymond Vall a affichée, en qualité de sénateur du Gers, rappelant par la même occasion que le Sénat est aussi la chambre du numérique, puisque son développement et son accessibilité ont tout à voir avec l’aménagement du territoire.

Le constat d’une fracture, ou plutôt des fractures numériques traversant la France a conduit à l’adoption de nombreuses mesures au cours de dernières années et, très récemment, dans le cadre du plan de relance.

Dans un document publié en octobre, Jean-François Lucas, sociologue de la ville numérique, aborde certaines propositions tirées du rapport de notre ancien collègue. Il rappelle que « la période de confinement et la crise sanitaire, sociale et économique que nous vivons n’ont fait qu’accélérer la place du numérique dans notre société et amplifier les risques d’exclusion lui étant liés, rendant, de fait, la problématique de l’inclusion numérique plus actuelle que jamais ».

Deux constats ressortent, en effet, des conclusions du rapport de la mission d’information. D’une part, l’illectronisme, dont les conséquences sur le pacte social sont dévastatrices, a longtemps été sous-estimé. La crise en a été une révélatrice autant qu’une amplificatrice. D’autre part, la tendance a longtemps été à la couverture numérique du territoire, et non à la maîtrise des usages par les personnes. Il est notable que les moyens alloués par le passé – disons : au cours des vingt dernières années – n’ont pas été à la hauteur des enjeux.

C’est pourquoi je souhaiterais vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur l’intermédiation numérique et, plus spécifiquement, sur ces deux points : le développement des référents numériques au niveau des intercommunalités et l’état d’avancement dans la formation des médiateurs numériques et des médiateurs sociaux au numérique.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Vous avez commencé votre intervention, madame la sénatrice Havet, en évoquant la question du marché cognitif et de sa dérégulation. J’en profite pour conseiller aux membres de la Haute Assemblée la lecture du dernier livre de Gérald Bronner, intitulé Apocalypse cognitive, qui apporte des éléments tout à fait intéressants sur notre rapport aux réseaux sociaux et à l’information dans le cadre de la dérégulation du marché cognitif. Cela est parfaitement en lien avec la question que nous évoquons aujourd’hui : celle de l’illectronisme et de la capacité à comprendre comment évolue notre rapport à l’information.

Mais j’en reviens à la problématique de la formation des médiateurs numériques.

Nous avons donc annoncé le déploiement, dans les mois à venir, de 4 000 conseillers numériques sur le territoire. L’ensemble des acteurs engagés et, en premier lieu, les collectivités ont été invités dans ce cadre à postuler sur la plateforme en ligne conseiller-numerique.gouv.fr, ce que plusieurs milliers de collectivités ont fait.

Voilà quelques jours, j’ai signé la première convention de déploiement – pour trente conseillers – avec le département de l’Allier. Tous les niveaux de collectivités peuvent postuler au programme, mais nous avons effectivement choisi de nous appuyer sur les départements, compte tenu de leurs responsabilités en matière sociale, pour coordonner le déploiement au niveau local. Ce peut être également la région, quand celle-ci est investie sur le sujet.

Notre volonté est de proposer un dispositif le plus simple possible aux collectivités, afin d’avoir un déploiement le plus rapide possible. Nous discutons actuellement avec toutes celles qui ont présenté un dossier. J’aurai l’occasion, ce vendredi, de me déplacer dans un département limitrophe de Paris pour annoncer un autre déploiement de conseillers numériques.

Notre objectif, en tout cas, est bien de disposer, à la fin de l’année 2021, de plus de 2 500 conseillers numériques présents sur le terrain pour accompagner les Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Vous savez combien ce sujet est important pour le groupe du RDSE, monsieur le secrétaire d’État. Je me réjouis donc que nous puissions avoir ce débat et j’ai une pensée pour notre ancien collègue Raymond Vall, qui en est à l’origine.

Parallèlement à la lutte contre l’illectronisme, deux importants combats sont à mener.

D’abord, il faut s’assurer que les plus démunis aient accès aux outils informatiques. Nous parlons là de lutte pour l’inclusion numérique à tout âge et, sur ce sujet, je tiens à saluer le travail des collectivités. Ce sont elles qui, le plus souvent, fournissent, notamment aux jeunes, ces outils indispensables à leur réussite. Nous l’avons encore vu au moment du confinement.

Ensuite, il faut s’assurer que l’ensemble de la population dispose d’une connexion de haut ou de très haut débit. Ce rappel me semble important lorsque l’on sait que, dès demain, les plus de 75 ans pourront – et devront, peut-être – prendre rendez-vous dans un centre de vaccination par le biais de la plateforme Doctolib.

Je vous épargnerai les polémiques sur la collecte des données, mais, si l’initiative prise sous l’angle de la simplification est intéressante, il faudrait s’assurer que l’ensemble de nos concitoyens soient sur un pied d’égalité quant à l’accès à cette plateforme. Or je crains que ce ne soit pas le cas.

Pour une majeure partie, les nombreux Français concernés par l’illectronisme sont âgés et vivent dans des zones où l’accès à une connexion de qualité relève du parcours du combattant. Je ne souhaite pas polémiquer, ni même opposer les urbains aux ruraux, mais je crains que la solution Doctolib ne vienne surtout aider les populations non affectées par la fracture numérique.

Je ne suis pas opposée à la dématérialisation – loin de là ! Celle-ci permet de faire des économies, réduit les délais et évite de nombreux déplacements. Il faut néanmoins toujours veiller à ce qu’elle facilite les relations avec les usagers.

Mis en place depuis plus de cinq ans, le label « e-accessible » vise à valoriser les démarches d’accessibilité instaurées par les administrations.

Monsieur le secrétaire d’État, quand trois Français sur cinq, environ, estiment rencontrer des difficultés dans leurs démarches administratives en ligne, quel bilan pouvez-vous dresser de ce label ? Combien de nos administrations en sont titulaires ? Quelles pistes d’amélioration sont exploitables pour garantir un service public en ligne plus efficace ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je voudrais d’abord apporter une correction à certains de vos propos, madame la sénatrice Carrère. La vaccination des plus de 75 ans, qui sera ouverte, je crois, à partir de demain, se fera en majeure partie dans des centres de vaccination et, effectivement, nous avons demandé à ces centres de vaccination de recourir à des systèmes d’information. Mais cela ne se réduit pas à Doctolib. Les centres ont le choix entre cette plateforme ou deux autres outils : KelDoc et Maiia. Ils sont parfaitement libres de choisir leur système de réservation.

Par ailleurs, si une réservation de créneaux par internet est prévue, le dispositif ne se limite pas à cela, pour tenir compte, évidemment, du fait que l’on s’adresse dans un premier temps à un public âgé. L’ensemble des 600 centres de vaccination disposeront également d’un numéro de téléphone.

D’ailleurs, j’invite les Françaises et les Français à se rendre, dès demain, sur le site sante.fr. Ils y trouveront la liste des 600 sites de vaccination, avec le lien pour réserver en ligne ou un numéro de téléphone pour prendre rendez-vous. En Allemagne, où la vaccination est ouverte aux plus de 70 ans – me semble-t-il –, on observe que la moitié des rendez-vous sont pris par téléphone et l’autre moitié via les plateformes de réservation.

S’agissant du label que vous avez évoqué, je crois malheureusement qu’il a été supprimé, en raison de son efficacité assez réduite.

Pour autant, nous sommes en train de déployer une stratégie du numérique en santé, qui m’apparaît être soutenue par l’ensemble des associations de patients et des acteurs du secteur de la santé, notamment parce qu’elle est extrêmement inclusive et accorde une attention particulière à l’accompagnement des patients dans leur usage du numérique – donc, à leur inclusion numérique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar.

Mme Nassimah Dindar. Je ne vais pas m’étendre, mes chers collègues, sur les chiffres qui ont été donnés : 14 millions de Français en situation d’illectronisme et 50 % de nos concitoyens reconnaissant ne pas être à l’aise avec le numérique. La situation est pire dans les territoires ultramarins, où la fracture générationnelle est plus précoce et plus prononcée.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les outils et les usages. J’aimerais également parler des publics.

Nous avons abordé les difficultés rencontrées par les publics vulnérables, que sont les personnes âgées ou encore la jeunesse et les étudiants. À La Réunion, comme dans les autres territoires ultramarins, la crise sanitaire a largement modifié le fonctionnement de notre société, avec une accélération des mutations managériales liée à la généralisation du télétravail ou une amplification de l’utilisation du numérique comme outil de la continuité pédagogique.

Mais, en matière de démarches administratives, le virage ne peut pas être pris de la même façon dans nos territoires, dans la mesure où, chez nous, l’illettrisme se conjugue encore avec l’illectronisme. Je parle ici de La Réunion, mais c’est aussi le cas à Mayotte.

Par ailleurs, comment pouvons-nous aborder ce virage sans laisser certains de nos concitoyens au bord du chemin quand, on le sait, les personnes handicapées restent malgré tout largement éloignées de l’outil numérique et que seulement 13 % des sites sont accessibles pour ces publics ? Qu’en est-il des personnes âgées isolées ?

Monsieur le secrétaire d’État, dans les 250 millions d’euros du plan de relance affectés à l’inclusion numérique, quelle priorité l’État entend-il accorder aux personnes porteuses de handicaps, afin que la simplification, utile et indispensable, engendrée par les démarches administratives en ligne bénéficie au plus grand nombre ? Que compte faire le Gouvernement, en lien avec les collectivités, pour l’inclusion numérique des personnes handicapées ?

J’ai également bien noté l’existence du dispositif Aidants Connect. Comment se déploiera-t-il à La Réunion ? Combien de conseillers numériques y sont prévus ? Telles sont les questions que je me permets de vous poser pour mon territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le cadre du déploiement de la stratégie nationale d’inclusion numérique, nous accordons une attention particulière aux territoires ultramarins.

Après ma visite en Guyane, voilà quelques mois, je vous annonce que je me rendrai normalement à La Réunion à la fin du mois de février, pour travailler sur cette thématique de l’inclusion numérique – mais pas uniquement, car La Réunion compte aussi des start-ups très prometteuses.

J’ai également eu l’occasion, récemment, d’évoquer la stratégie nationale d’inclusion numérique par visioconférence avec le Hub Ultra Numérique, qui est le hub d’inclusion numérique de La Réunion.

Je ne sais pas vous dire aujourd’hui, madame la sénatrice Dindar, combien de conseillers numériques seront déployés en outre-mer ou sur votre territoire en particulier. J’espère pouvoir avancer sur ce sujet d’ici à mon déplacement de la fin du mois de février.

Effectivement, vous mentionnez un problème qui vient percuter celui de l’illectronisme : l’illettrisme, s’il est présent dans certains territoires d’outre-mer, affecte aussi l’Hexagone. Je me suis rendu voilà peu dans l’Aisne, où le taux d’illettrisme atteint 17 %.

On se rend bien compte à quel point, en cas d’illettrisme, le numérique devient facteur de difficultés supplémentaires. Lorsqu’il y a accueil en guichet, la personne concernée peut toujours présenter sa demande à l’oral. N’ayant pas accès à la lecture ni à l’écriture, elle rencontre encore plus de difficultés face à l’outil numérique. D’où la nécessité de maintenir des guichets d’accueil physique.

La question des personnes handicapées est, je pense, un sujet un peu particulier et différent de celui de l’illectronisme.

D’abord, parce que la dématérialisation peut être un facteur essentiel de simplification, notamment pour les personnes handicapées en situation de handicap physique. D’ailleurs celles-ci sont demandeuses d’une dématérialisation plus importante.

Ensuite, parce que cette question concerne plus l’accessibilité des sites internet que l’illectronisme, même si des recoupages existent entre les deux problématiques. À l’occasion de la Conférence nationale du handicap, j’ai annoncé notre volonté d’atteindre, d’ici à 2022, un taux de 80 % des sites internet de l’État respectant le référentiel général d’accessibilité pour les administrations, ou RGAA. C’est un progrès très important et je crois que, sous la responsabilité de Sophie Cluzel, puis, aujourd’hui, d’Amélie de Montchalin, cette question de l’accessibilité des sites aux personnes en situation de handicap est traitée avec énormément d’attention.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. À mon tour, je souhaite remercier le groupe du RDSE d’avoir mené cette mission d’information sur l’illectronisme, ayant abouti au constat – cela a déjà été dit – que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise dans cette pratique.

L’obligation de tenir les cours à distance a révélé une nette carence des compétences numériques, tant au sein du corps enseignant que chez les élèves et les étudiants.

La dématérialisation des services publics souligne également les graves inégalités existant entre les territoires, inégalités risquant de s’aggraver si cette dématérialisation est généralisée et exclut les autres moyens d’accès à ces services. Il est impératif de conserver des portes de sortie pour les usagers qui ne maîtrisent pas encore les outils numériques ou ne parviendront pas à le faire rapidement.

Le numérique est un écosystème global, qui touche désormais toute notre économie et une grande partie de notre vie quotidienne. Le besoin d’accompagnement est donc incontournable.

Le rapport sénatorial sur l’inclusion numérique propose, pour y répondre, la création d’une filière professionnelle de médiateurs.

Toute la question consiste, monsieur le secrétaire d’État, à s’assurer que ces emplois de médiateurs numériques soient pérennes et bien rémunérés, afin d’attirer des profils compétents. Il ne peut s’agir d’emplois mobiles et sans aucune durabilité. Pourquoi ne pas faire de ces médiateurs des agents de service public employés, notamment en milieu rural, dans les maisons France Services, lesquelles seront déployées dans chaque canton d’ici à 2022 ?

Que les médiateurs soient dépendants des collectivités territoriales ou rattachés au monde associatif, il apparaît indispensable que leur financement soit en partie, si ce n’est en totalité, pris en charge par l’État. Sur ce point précis, le Sénat a préconisé la mobilisation d’un fonds de 1 milliard d’euros d’ici à 2022, soit quatre fois plus que le montant alloué par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance. Ces sommes pourraient participer à l’émergence de cette nouvelle filière professionnelle, par le lancement d’un plan national de formation et par une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure le Gouvernement mettra en œuvre ces propositions ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Votre intervention, madame la sénatrice, me donne l’occasion de revenir sur la stratégie de long terme en matière de soutien à l’inclusion numérique du Gouvernement.

Premier élément, nous travaillons au développement de la validation des acquis de l’expérience pour les médiateurs numériques actuellement en poste, afin de consolider la situation des personnels qui s’impliquent déjà sur le terrain. Jusqu’ici, effectivement, on avait plutôt recours au système D, ce qui n’ouvrait pas la voie à la certification professionnelle. Nous visons donc la professionnalisation du secteur, la médiation numérique étant un vrai métier.

Deuxième élément, nous travaillons sur le pass numérique, dont le sénateur Éric Gold a indiqué qu’il avait connu quelques difficultés de lancement.

Ce n’est pas totalement faux. Jusqu’à présent, nous avons consacré 40 millions d’euros à ce programme de pass numérique, déployé auprès de 87 collectivités. Mais nous avons fait face à une difficulté en termes de temporalité : le temps que nous signions les conventionnements, que les collectivités votent leur budget et entament le déploiement, les pass numériques sont arrivés sur le terrain au début de l’année 2020. Or, pour dépenser un pass numérique, il faut se rendre quelque part et les lieux ont tous fermé !

Mais notre volonté est bien de développer ce dispositif, pour faire du pass numérique, à long terme, une sorte de monnaie ou de moyen de financement des lieux qui ont une activité de médiation numérique.

Autrement dit, nous accélérerons le mouvement et la montée en compétences des lieux de médiation par le déploiement des conseillers numériques. Mais nous continuerons, au-delà du plan de relance, à financer l’inclusion numérique et nous entendons pour cela nous appuyer sur ce pass numérique, déployé par la société Aptic, dont le dirigeant Gérald Elbaz avait, je crois, été auditionné par la mission d’information.

Cet outil, à notre sens, peut être extrêmement efficace dans le financement de la lutte contre l’exclusion numérique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Nous ne doutons pas que le Gouvernement souhaite faire de la lutte contre l’exclusion numérique une politique publique structurelle. La meilleure preuve de cela sera d’abonder de façon significative les crédits alloués à l’inclusion numérique. Au regard des enjeux que j’ai évoqués, enjeux essentiels pour notre société, 250 millions d’euros, ce n’est pas assez ! Il nous faut une véritable ambition politique !

Je crois vous avoir entendu dire, monsieur le secrétaire d’État, que vous aviez fait mieux que vos prédécesseurs. Je vous rappelle tout de même que c’est vous qui avez voulu la dématérialisation des services publics et que la crise est passée par là. Il est donc extrêmement important de former aux usages. Vous devez y mettre les moyens !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. La numérisation provoque une transformation globale de l’économie et les PME sont amenées à opérer rapidement leur propre révolution numérique, sous peine de ne plus être compétitives, voire de disparaître.

Or la France accuse un réel retard en la matière, comme en atteste son quinzième rang européen selon l’indice DESI, pour Digital Economy and Society Index, de la Commission européenne.

Quelques chiffres : un tiers des dirigeants ne se sentent pas à l’aise avec les outils numériques ; l’illectronisme frappe 19 % des Français ; la pénurie de compétences en matière numérique se traduit par 191 000 postes à pourvoir d’ici à 2022.

Tout comme l’illettrisme empêche de s’exprimer à l’écrit, l’illectronisme exclut des modes de communication modernes et freine l’insertion professionnelle. Le premier confinement a révélé au grand jour les difficultés rencontrées par ces salariés contraints de passer au télétravail et ne maîtrisant pas l’outil numérique.

Il est donc urgent d’accompagner les TPE-PME pour relever le défi du numérique et de doter tous les actifs des compétences numériques minimales pour garantir leur employabilité. Cela exige de faciliter le financement de la formation au numérique dans les entreprises.

Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu de l’importance du capital humain dans l’économie numérique, envisagez-vous de considérer enfin les dépenses de formation au numérique comme un investissement, en permettant aux PME et TPE soit d’amortir ces dépenses, soit de bénéficier d’un crédit d’impôt intégrant la formation des dirigeants et des salariés à l’utilisation des outils numériques ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous évoquez les retards de numérisation que subissent une partie de nos TPE et PME. En la matière, la France est effectivement classée seizième ou dix-septième sur les vingt-sept pays de l’Union européenne ; et vous avez pleinement raison de souligner que cette situation est liée, très largement, à une forme d’illectronisme des dirigeants et des salariés de ces entreprises.

En résulte une nécessité absolue : accompagner les créateurs, fondateurs ou présidents des entreprises, ainsi que leurs salariés, pour accélérer la digitalisation de nos TPE et PME. Pour certaines d’entre elles, c’est une question de survie – on l’a vu particulièrement pendant le confinement, avec la problématique de la digitalisation des commerces de centre-ville.

C’est pourquoi, en lien avec Alain Griset, nous travaillons pour que les 4 000 conseillers numériques que nous allons déployer puissent répondre à cette demande d’accompagnement, qu’il s’agisse des petits patrons ou de leurs employés.

C’est souvent lorsque ces dirigeants d’entreprise se présentent au guichet d’une maison France Service ou d’un secrétariat de mairie que l’on s’aperçoit qu’ils sont concernés par l’illectronisme. Par la même occasion, on peut alors se pencher sur leur situation personnelle et sur la situation de leur entreprise.

Pour autant, nous n’avons pas prévu de transformer les crédits de formation au numérique en crédits d’investissement pour les entreprises : cette question plus globale relèverait davantage de la ministre du travail. En tout état de cause, la digitalisation des TPE et PME est étroitement liée à la lutte contre l’illectronisme, partout dans nos territoires !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne répondez pas du tout à ma question. Vous me renvoyez à vos collègues : soit ! Mais j’espère tout de même que vous les croisez de temps en temps et que vous pouvez appeler leur attention sur tel ou tel sujet…

Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, j’ai consacré un rapport à l’accompagnement de la transition numérique des PME. J’ai mené un certain nombre d’auditions dans ce cadre et je vous assure qu’il s’agit là d’un frein considérable.

Vous insistez sur les 4 000 conseillers numériques : mais pour aider tout le monde, particuliers et entreprises confondus, ces effectifs sont dérisoires ! J’ai bien peur que de graves difficultés ne persistent, alors même que les enjeux numériques ne s’imposeront pas dans dix ans, mais demain, et que la maîtrise de ces outils est essentielle pour l’employabilité.

Cela étant, je saisis cette occasion pour saluer l’initiative lancée, dans mon département, par le conseil départemental et par le préfet pour bâtir un plan inédit de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme – les deux vont effectivement de pair.

Mon département, dont vous avez parlé, est le berceau de la langue française : il a vu naître Jean de La Fontaine, Jean Racine et Alexandre Dumas. Mais aujourd’hui il est le premier département frappé par l’illettrisme, avec tout ce que cela implique en termes de RSA ou de chômage !

De leur côté, les entreprises ont besoin de personnes formées ; or, si elles ne viennent pas chez nous, c’est précisément parce qu’elles ne trouvent pas à y recruter. Vous ne cessez de citer les 4 000 conseillers qui vont être déployés pour accompagner je ne sais combien de personnes ; vous nous parlez également de France Service, mais ce n’est pas la réponse que j’attendais, et j’en suis bien triste !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, ma question rejoint celle de M. Chaize et j’espère qu’elle vous donnera l’occasion d’approfondir la réponse que vous lui avez apportée.

S’il existe un foisonnement d’offres de médiation et d’initiatives pour former nos concitoyens à l’utilisation du numérique, les difficultés, comme dans le cas de la lutte contre l’illettrisme, tiennent pour beaucoup à la capacité à identifier et à atteindre les bénéficiaires. Or La Poste peut jouer un rôle fondamental à cet égard.

Tout d’abord, grâce à son maillage territorial, avec ses 17 000 points de contact et par le biais de ses postiers, qui sillonnent toute la France, elle couvre toutes les zones géographiques, y compris les plus reculées.

Ensuite, ses agents sont régulièrement en contact avec des publics éloignés du numérique, personnes fragilisées ou isolées. Ils peuvent détecter leurs besoins avant de les orienter vers une formation. La Poste a ainsi mis en place, dès 2019, un plan pour l’inclusion numérique, des tests de détection, du matériel en libre-service, des médiateurs et des formations « coup de pouce » : elle pourrait très vite former un million de personnes.

Son président-directeur général, M. Wahl, l’a indiqué : il serait tout à fait favorable à ce que La Poste soit l’un des acteurs d’une politique publique de l’inclusion numérique.

À cette fin, il faudrait ajouter cette problématique à ses missions de service public. Néanmoins, il est évident que des ressources humaines et financières doivent, en contrepartie, lui être attribuées.

Votre gouvernement serait-il, de son côté, prêt à ajouter aux missions dévolues à La Poste l’inclusion numérique et à lui octroyer les moyens nécessaires à son exercice ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, votre question me permet de compléter ma réponse à votre collègue Viviane Artigalas, selon laquelle c’est nous qui avons lancé le mouvement de dématérialisation.

Madame Artigalas, pardonnez-moi de partager le fardeau. Quand nous avons été élus en 2017, le taux de dématérialisation était de 60 %. Nous l’avons certes porté à 70 % ; mais, avant cette majorité-là, il y en avait une autre que vous connaissez bien, à laquelle j’appartenais aussi, et qui a pris beaucoup d’initiatives en la matière ; pour ce qui concerne la dématérialisation, la responsabilité est même partagée par l’ensemble des majorités qui ont été au pouvoir.

Madame Filleul, pour ce qui concerne votre question, j’aurai du mal à aller plus loin que dans ma réponse à M. Chaize.

Nous discutons actuellement avec Philippe Wahl de la manière d’associer La Poste au chantier de l’inclusion numérique.

Les postiers vont effectivement jusqu’aux particuliers : ils peuvent bel et bien jouer un rôle de détection de l’illectronisme, par exemple chez les personnes âgées qui ne sortent pas de chez elles. Ils peuvent également les accompagner en participant à la formation dans un certain nombre de cadres, dans les territoires où les collectivités territoriales ou d’autres acteurs ont moins d’initiatives ou de capacités d’action.

Nous travaillons également avec Philippe Wahl pour réunir l’ensemble des entreprises qui, d’une certaine manière, sont les acteurs de la dématérialisation : je pense aux banques, aux mutuelles, à la SNCF ou encore à Enedis.

De toute évidence, la gestion de la dématérialisation et des difficultés qu’elle entraîne va bien au-delà des services publics. Avec La Poste, nous travaillons à réunir ces entreprises, qui souvent soutiennent les points d’information médiation multiservices (Pimms), pour que, tous ensemble, privé, public et société civile réunis, nous apportions une réponse à la hauteur de la problématique à laquelle nous sommes confrontés !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, un nouveau contrat d’entreprise est en préparation entre l’État et La Poste : ce travail serait l’occasion de généraliser les expérimentations que La Poste a déjà menées, que ce soit dans les quartiers de la politique de la ville ou dans les outre-mer.

Cette problématique doit être inscrite dans les missions de La Poste : ainsi, toutes les actions menées à ce titre pourront être financées !

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le secrétaire d’État, la lutte contre l’illectronisme n’est pas une problématique nouvelle, mais le confinement nous en a rappelé l’importance et a mis en lumière les dangers du tout-numérique.

Il est temps que les pouvoirs publics se saisissent réellement de ce sujet et que le numérique soit rendu plus inclusif.

En parallèle, le Gouvernement doit éviter la disparition de guichets physiques d’accès aux droits. Le Défenseur des droits a souligné cette nécessité dans son rapport de 2019 consacré à la dématérialisation et aux inégalités d’accès aux services publics. Il y recommande d’inscrire dans le code des relations entre le public et l’administration (CRPA) une disposition imposant de préserver plusieurs modalités d’accès aux services publics, afin que les personnes ayant des difficultés à utiliser les plateformes numériques aient toujours accès à leurs droits.

Le respect de cette obligation est particulièrement important pour les territoires de montagne, qui ne disposent pas encore d’une couverture numérique satisfaisante et dont les populations sont, de ce fait, plus susceptibles de souffrir de l’illectronisme.

Renforcer le déploiement des maisons France Services est une solution pour s’assurer de la préservation des guichets physiques. Il faut également y associer des travailleurs sociaux et des médiateurs numériques pour garantir un accompagnement généraliste et de qualité de la population.

Ces services publics de proximité seraient également chargés de détecter les publics ayant du mal à utiliser les outils numériques : ils pourront les aider à accéder à l’aide dont ils ont besoin pour mieux les appréhender. En effet, la formation aux outils numériques est un aspect essentiel de la lutte contre l’illectronisme. Elle doit être adaptée la diversité des publics qui en ont besoin.

En outre, l’échelon de mise en œuvre de ce dispositif doit être adapté aux besoins des territoires : ceux où la population souffre le plus de l’illectronisme doivent faire l’objet d’une priorisation.

Loin de moi l’idée de diaboliser la dématérialisation : c’est une bonne chose. On estime par ailleurs qu’à terme elle permettra à l’État d’économiser 450 millions d’euros chaque année. Seulement, elle doit être mise en œuvre de façon mesurée, graduée, et ne laisser personne de côté. En ce sens, une partie des économies dégagées grâce à la dématérialisation des services publics pourrait être utilement réorientée vers la lutte contre l’illectronisme et en faveur de l’accessibilité des plateformes numériques.

Ma question est donc triple : avez-vous prévu de rediriger une partie des économies réalisées grâce à la dématérialisation des services publics vers la lutte contre l’illectronisme et, si oui, à quelle hauteur ? Prévoyez-vous de prioriser la lutte contre l’illectronisme dans les territoires où la population est plus affectée et, si tel est le cas, comment comptez-vous identifier ces territoires ? Le Gouvernement s’engage-t-il à préserver plusieurs modalités d’accès au service public ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je vous le dis d’emblée : nous préserverons bien entendu plusieurs voies d’accès au service public.

Vous m’interrogez également sur la manière d’investir les économies dégagées par la dématérialisation. Nous avons effectivement examiné les moyens de réinjecter une partie de cet argent dans la formation des Français au numérique. J’ai même travaillé un temps sur une déclinaison du principe pollueur-payeur, en vertu duquel, dès lors que vous dématérialisez, vous devez assumer davantage de responsabilités.

Pour ne rien vous cacher, on aurait vite abouti à une usine à gaz ; à tout le moins, il aurait été compliqué de poursuivre le travail de dématérialisation dans un tel cadre. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de le dire, y compris au sujet de l’accessibilité aux services publics : la dématérialisation n’est pas forcément une mauvaise chose – il y a quelques instants, j’ai cité l’exemple des caisses d’allocations familiales.

Aussi, sans imposer d’obligations supplémentaires aux instances qui dématérialisent, sans flécher les économies dégagées, nous avons décidé d’investir 250 millions d’euros à ce titre.

Il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux collectivités territoriales, mais de les accompagner dans le déploiement des politiques d’inclusion numérique, en les mettant en réseau et en cartographiant l’offre de médiateurs numériques disponible. Jusqu’à présent, cette cartographie était très lacunaire. Or nous devons faire en sorte que les collectivités puissent répondre à l’appel d’offres des conseillers numériques.

Pour répondre à votre deuxième question, ce n’est pas nous qui allons prioriser ex ante les lieux où les besoins en inclusion numérique sont les plus grands. En effet, les situations sont extrêmement diverses : les besoins peuvent se trouver dans les villes comme dans les campagnes et concerner l’ensemble des classes d’âge.

Néanmoins, nous avons la volonté d’apporter une réponse aux besoins des collectivités et nous veillerons évidemment à garantir une péréquation entre les territoires, pour éviter la logique du « premier arrivé, premier servi » !

Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Monsieur le secrétaire d’État, ce débat relatif à l’illectronisme et à la fracture numérique met en lumière un problème saillant de la société.

Reconnaissons-le : internet a facilité les démarches. L’accès aux services publics a été encouragé dans nos territoires et il serait absurde de renoncer aux gains obtenus. Les derniers confinements ont même renforcé l’usage du numérique, plus ou moins subi, mais surmonté.

Il y a cependant des retards. Pour les combler, l’éducation nationale est appelée à jouer un rôle privilégié. Or elle subit des difficultés, comme l’a démontré la crise sanitaire.

Il faut d’abord dresser un état des lieux de ces problèmes, qui vont au-delà du simple accès à une tablette ou à un ordinateur personnel.

Comme l’a proposé la mission d’information, il faut élaborer une cartographie par académie. À cette fin, il faut se pencher sur les différentes difficultés rencontrées, dans chaque établissement, par les élèves et les enseignants et affectant la continuité pédagogique, qu’il s’agisse des infrastructures, des zones blanches ou des compétences numériques.

À cet égard, il convient de dresser un état des lieux détaillé des compétences numériques des enseignants et des élèves. Il faut, par exemple, recenser les élèves en situation d’illectronisme. Plusieurs de mes collègues l’ont souligné, il s’agit là d’une nouvelle forme d’illettrisme. À Charleville-Mézières, dans mon département des Ardennes, l’observatoire communal de la lecture publique s’est notamment penché sur ce problème, auquel il a consacré une expérimentation tout à fait intéressante.

Les enseignants ont été en première ligne, et je les salue. La question de leur formation à l’outil numérique pédagogique est posée : elle doit être obligatoire, au titre de la formation initiale ou continue. Pour autant, ne soyons pas béats et ne tombons dans les illusions d’une certaine digitalisation. Comme l’explique le rapport Vall, il s’agit de passer d’une logique du « 100 % dématérialisé » à une logique du « 100 % accessible ». La dématérialisation ne doit pas être une solution pour fermer des services, mais une manière de les améliorer.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : comment le Gouvernement entend-il accompagner cette démarche, en particulier auprès des acteurs de l’éducation nationale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous avez raison d’évoquer le rôle central de l’éducation nationale dans la lutte contre l’illectronisme sous toutes ses formes. On ne naît pas avec un téléphone portable à la main et l’on aurait tort d’estimer que les problèmes d’accès aux services publics en ligne ne touchent que les personnes âgées.

Je l’ai déjà indiqué : j’ai eu l’occasion de me rendre dans la région de Bayonne pour assister à une session de formation que l’assurance maladie consacrait à son site en ligne. Le public ne comprenait que des jeunes de moins de 25 ans, dont les difficultés à appréhender l’outil numérique étaient extrêmement fortes. En effet, c’est une chose d’utiliser Instagram, d’envoyer des messages par Messenger ou d’aller sur Facebook avec son téléphone portable ; c’en est une autre d’actualiser son dossier pour Pôle emploi, de remplir sa déclaration d’impôt ou de rédiger un CV. D’ailleurs, les conseillers de Pôle emploi vous le diront : très souvent, lorsqu’ils demandent aux jeunes de leur faire suivre leur CV, leurs interlocuteurs ne comprennent pas ce qui leur est demandé.

Nous devons donc également accompagner les jeunes dans leur maîtrise des outils numériques et leur compréhension du monde. À ce titre, Jean-Michel Blanquer et le ministère de l’éducation nationale mènent, sur plusieurs aspects, un travail important.

Il s’agit, tout d’abord, de faire progresser l’éducation au numérique, avec la généralisation de l’heure et demie de cours hebdomadaire réservée à cette matière en classe de seconde ; ensuite, d’assurer l’identification par les chefs d’établissement, notamment à la suite du confinement, des élèves et des familles qui auraient des difficultés de connexion ; et, enfin, de sensibiliser les professeurs à la question du numérique. Il est parfois nécessaire de les accompagner eux-mêmes, car ils peuvent se sentir un peu délaissés – j’ai vécu cette situation en tant que parent d’élève –, pour qu’ils puissent accompagner leurs classes.

Bien entendu, il reste encore beaucoup de travail à accomplir : c’est une très grande transition, que nous devons accompagner. Mais, je vous le certifie, c’est un sujet que le Gouvernement prend à cœur !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Rojouan.

M. Bruno Rojouan. Monsieur le secrétaire d’État, mes propos rejoindront largement ceux des précédents intervenants.

Pour permettre l’essor du numérique, la stratégie française a consisté, pendant de nombreuses années, à se focaliser sur le déploiement d’infrastructures. Ce chantier est certes très important, mais il a relégué aux oubliettes la formation des usagers, qui est pourtant essentielle.

En procédant ainsi, on a mis la charrue avant les bœufs et, aujourd’hui, nos concitoyens en paient le prix. Les différents orateurs l’ont dit et répété, plus de 14 millions de Français ne maîtrisent pas l’outil informatique, alors que ce dernier est progressivement devenu indispensable dans notre société.

Pourtant, des associations et des collectivités ont, de longue date, engagé des actions pour lutter contre la fracture numérique. Dans la conquête actuelle, elles ne doivent pas être oubliées.

Il s’agit d’assurer une familiarisation à l’outil numérique dès le plus jeune âge, à l’école ou ailleurs, par exemple dans les centres sociaux, comme c’est le cas dans mon département ; de réévaluer régulièrement les nouveaux besoins ; et de former les personnes en situation d’exclusion, particulièrement dans la ruralité. Je pense par exemple au département de l’Allier, que vous connaissez bien désormais, pour vous y être rendu récemment ! On m’annonce d’ailleurs que vous y viendrez de nouveau samedi prochain.

Ce dernier axe doit particulièrement retenir notre attention. Un changement de cap doit s’opérer pour permettre un déploiement pérenne de la formation aux outils numériques. Il faut substituer à la logique d’assistance, en vertu de laquelle le médiateur fait à la place de la personne formée, une logique de savoir-faire, tendant à l’autonomie numérique.

Cette logique, celle du savoir-faire soi-même, est prioritaire, car l’environnement numérique évolue en permanence, peut-être même trop vite dans certains cas, et seule une compréhension globale des outils et des logiciels peut permettre à chacun d’envisager sans crainte ces changements à long terme.

Dans cette perspective, le lancement d’un plan national de formation au métier de médiateur et le regroupement sous une bannière unique de l’ensemble des réseaux et offres de formation numérique paraissent évidemment indispensables.

C’est un fait incontestable : l’inclusion numérique est devenue essentielle pour mener une vie normale. Pouvez-vous nous préciser comment vous voyez l’évolution, à long terme, des actions que lance aujourd’hui le Gouvernement en matière de formation ? Enfin, je vous incite à une certaine prudence avant de substituer le numérique à l’accueil !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, j’ai effectivement eu l’occasion de présenter en avant-première notre vision du numérique dans le beau département de l’Allier : je m’y suis rendu il y a quelques semaines pour signer, avec Claude Riboulet, président du conseil départemental, un accord relatif au déploiement de conseillers numériques.

Cette visite m’a également permis de préciser et d’illustrer ce que nous voulons faire, par exemple avec la visite du tiers-lieu du Mazier, du bocage numérique, à Bourbon-l’Archambault.

Notre volonté n’est pas de remplacer le Mazier et l’ensemble des tiers-lieux, qui accomplissent un travail exceptionnel sur l’ensemble du territoire ; nous souhaitons simplement donner aux collectivités et, le cas échéant, aux associations les moyens d’embaucher un médiateur numérique. Au Mazier, j’ai d’ailleurs rencontré une personne qui pourrait très bien être dans ce cas de figure et bénéficier du plan de recrutement des conseillers numériques.

Telle est notre volonté sur le long terme, au-delà des 250 millions d’euros du plan de relance : mettre en réseau, connecter et structurer l’ensemble des acteurs qui, depuis très longtemps, s’engagent en faveur de l’inclusion numérique, en leur donnant les outils dont ils ont besoin. J’y insiste, ils font un travail extraordinaire, mais il faut les accompagner : il faut garantir des standards et des outils communs, faute de quoi chacun aura tendance à réinventer la roue dans son coin.

Il s’agit aujourd’hui de professionnaliser et de structurer ce secteur : c’est le travail que nous devons mener à long terme. Déployer des conseillers numériques, c’est, en quelque sorte, mettre de l’essence dans le moteur. Il s’agit d’un effort indispensable ; mais encore faut-il s’assurer que ce moteur fonctionne dans la durée. C’est ce à quoi nous devons nous atteler à présent en structurant ce secteur !

(M. Pierre Laurent remplace Mme Nathalie Delattre au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas.

Mme Patricia Demas. Les conclusions du rapport sénatorial de Raymond Vall sur la lutte contre l’illectronisme montrent que la fracture numérique s’aggrave. La période que nous vivons en est d’ailleurs un révélateur supplémentaire : aujourd’hui, les Français coupés du numérique souffrent, à tous les niveaux, encore plus que les autres.

Monsieur le secrétaire d’État, nous le savons, les causes de l’illectronisme sont multiples et, pour reprendre l’une de vos expressions, il nous faut réellement passer un cap pour bâtir une politique publique de l’inclusion numérique au plus près des Français et des territoires.

Reste une question incontournable pour cet immense chantier, qui touche toutes les générations et tous les secteurs : celle des moyens. Ils restent insuffisants, malgré des avancées notables.

S’agissant des mesures engagées, je souhaite moi aussi revenir sur le dispositif des 4 000 conseillers numériques financés par l’État pour deux ans afin d’accompagner les usagers en difficulté ou, tout simplement, éloignés des fondamentaux.

Aussi, ma question porte sur les modalités de ces recrutements, tels qu’elles sont spécifiées dans l’appel à manifestation d’intérêt, et que vous voulez rapides.

D’après les informations que j’ai pu recueillir dans mon département des Alpes-Maritimes, il serait utile, pour les collectivités candidates, que les délais de quinze jours accordés pour contractualiser soient étendus à un mois. Cet assouplissement permettrait une meilleure organisation des recrutements, respectueuse, non seulement, des règles de la comptabilité publique et du droit public, mais aussi du souhait et des exigences du financeur. Il irait également dans l’intérêt des futurs conseillers.

Enfin, se pose la question cruciale de la pérennisation de ces contrats à leur terme, afin de s’inscrire dans une plus-value favorable aux territoires et aux usagers. Il en est de même des mesures favorisant les partenariats entre tous les acteurs territoriaux ou soutenant tout simplement l’ingénierie de projets, pour cette professionnalisation du secteur que vous appelez de vos vœux !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, au sujet du processus de contractualisation et de déploiement des conseillers numériques, je vous réponds sans détour : une fois que la collectivité aura candidaté, nous nous adapterons.

La durée de quinze jours a effectivement été évoquée, car notre volonté est d’aller assez vite pour que, dès le début de l’année prochaine, des conseillers numériques soient sur le terrain.

Vous l’avez rappelé, nous prévoyons 350 heures de formation pour faire de ces médiateurs numériques une véritable profession. Il faut prendre en compte le temps nécessaire pour conventionner, recruter et assurer cette formation et, en parallèle, il ne faut pas trop désespérer Billancourt ! (Sourires.) Mais, bien entendu, nous n’allons pas laisser de côté telle ou telle collectivité s’il lui faut quinze jours supplémentaires. J’y insiste, nous voulons avancer et nous saurons nous adapter le moment venu.

Vous évoquez également la pérennité de cet engagement, au-delà des 250 millions d’euros mobilisés sur deux ans. Nous en sommes pleinement conscients : le problème de l’illectronisme n’aura pas disparu dans deux ans, malgré cet important effort d’investissement consenti par l’État.

La pérennisation de ces emplois, ou en tout cas la pérennité de cette action, doit donc être envisagée. Vous avez raison de soulever la question. Toutefois, comme je l’ai dit aux représentants des associations de collectivités, il me semble préférable de prendre le problème dans l’autre sens.

Il y a quatre ans, 350 000 euros étaient alloués à l’inclusion numérique. Aujourd’hui, ces financements atteignent 250 millions d’euros. Pour l’heure, faisons en sorte que les conseillers numériques arrivent sur le terrain ; ma priorité est de déployer ces professionnels, pour que la politique d’inclusion numérique passe à une autre échelle !

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier l’ensemble des orateurs ayant participé à ce débat. Les questions posées illustrent l’intérêt du Sénat pour la lutte contre l’illectronisme, l’accès de tous au numérique étant de plus en plus la condition de l’exercice des droits et des devoirs : accès à l’éducation, au travail, aux services publics, aux droits sociaux et à la citoyenneté.

Le numérique, révolution majeure du XXIe siècle, pénètre tous les aspects de notre vie quotidienne. Il modifie en profondeur les relations entre l’administration et ses usagers. Il est tout à la fois une chance pour nos concitoyens, une occasion à saisir pour la revitalisation des territoires et un handicap supplémentaire, voire un nouveau facteur discriminant.

Oui, un effort sans précédent doit être consenti pour la formation à tous les niveaux, notamment par l’école et par les entreprises, en matière de médiation numérique.

Le principe d’accessibilité aux services publics, qui nous est cher, doit demeurer une priorité de l’État pour accompagner les usagers et favoriser une véritable autonomie numérique, l’objectif étant de ne pas avoir à se substituer à l’usager.

Le groupe du RDSE est vigoureusement attaché au principe d’égalité devant le service public. À nos yeux, la réduction de la fracture numérique, qu’elle soit due à une couverture insuffisante du territoire ou à l’illectronisme, y participe pleinement.

Comme l’a relevé la mission d’information constituée sur l’initiative de notre ancien collègue Raymond Vall, les personnes les moins bien dotées en compétences ou en équipements numériques sont davantage victimes d’un « processus d’exclusion administrative ».

Les entreprises peuvent également être concernées et, contrairement aux idées reçues, toutes les générations peuvent être touchées à un moment donné.

C’est la raison pour laquelle le programme Action publique 2022, qui vise la dématérialisation des 250 démarches les plus courantes d’ici au mois de mai 2022, nous préoccupe. Au total, 40 % de la population ne se sentirait pas à l’aise pour accomplir des démarches en ligne.

Nul ne saurait s’opposer à la modernisation de l’État. Bien au contraire, le principe d’adaptabilité et de mutabilité du service public doit trouver sa pleine application. Comme l’affirmait Gaston Jèze, le « pape des finances publiques » : « L’organisation d’un service public proprement dit est susceptible d’être modifiée à tout instant. […] Il faut pouvoir toujours apporter les changements nécessités par les transformations économiques, sociales, politiques, par les nouveaux idéals politiques et sociaux. »

Ainsi, lorsqu’elle est correctement préparée, la dématérialisation constitue un réel progrès. Il est du devoir de l’État d’adapter le service public aux besoins des usagers, qui eux-mêmes évoluent. Il en est ainsi de l’amélioration de l’accessibilité des sites publics pour toutes les personnes handicapées. Le retard pris dans ce domaine est inacceptable, alors que les contraintes sont moindres que pour les travaux d’adaptation des bâtiments ou des transports en commun.

De même, l’information doit être intelligible pour les usagers et le service concerné aisément joignable.

Si un basculement plus important des canaux de communication traditionnels vers le numérique est bienvenu, ces dispositifs doivent demeurer complémentaires. Notre ancien collègue Pierre-Yves Collombat le soulignait : « La dématérialisation des démarches doit être pensée en fonction de l’usager réel et non de l’usager rêvé. »

De surcroît, comme le souligne le Défenseur des droits dans son rapport de 2019 consacré à la dématérialisation des démarches administratives, « l’objectif de l’amélioration du service rendu à l’usager ne sera pas atteint si l’ambition collective portée dans ce processus se résume à pallier la disparition des services publics sur certains territoires ». Le recul de la présence humaine aux guichets et la dématérialisation ont ainsi été la source de nombreuses ruptures d’égalité entre les usagers.

Monsieur le secrétaire d’État, la dématérialisation ne doit être ni l’ennemie de l’aménagement du territoire ni le symbole de logiques purement budgétaires, qui aboutissent à un service public déshumanisé.

Enfin, la transformation numérique ne doit pas exonérer l’État de l’indispensable simplification préalable des démarches. C’est pourquoi la reconnaissance du droit à l’erreur, défendue par la mission, est indispensable. La transposition sous forme numérique de la complexité administrative existante ou, pis, son aggravation nous mènerait à l’échec.

À nos yeux, l’inclusion numérique doit être une priorité nationale. Il faut donc passer des annonces aux actes : j’espère que les propositions de la mission d’information créée par notre groupe, ainsi que les inquiétudes exprimées par la Haute Assemblée, éclaireront l’action du Gouvernement en la matière afin de guider nos concitoyens pour relever les défis de la numérisation de la société ! (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport fait au nom de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Avenir de l’entreprise EDF avec le projet Hercule

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quel avenir pour l’entreprise EDF avec le projet Hercule ? »

Dans le débat, la parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe auteur de la demande.

M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a demandé ce débat sur l’avenir d’EDF et le projet Hercule pour trois raisons.

La première est liée à l’opacité des négociations avec la Commission européenne : ni les parlementaires que nous sommes, ni les usagers, ni les salariés ne sont aujourd’hui informés. Le pire, c’est que vous envisagez, madame la ministre, de passer par un cavalier législatif dans le texte issu des travaux de la Convention citoyenne sur le climat, en nous demandant de vous autoriser à légiférer par ordonnances. Pour nous, c’est non, et il me semble que l’ensemble des groupes qui composent cet hémicycle partageront cet avis.

La deuxième raison, c’est que, à chaque démantèlement d’une entreprise publique – ce fut le cas pour France Télécom, GDF ou encore la SNCF –, les prix explosent pour les usagers, qui deviennent des clients, et les conditions de travail des salariés se dégradent.

Le pire, c’est lorsque vous livrez un monopole naturel au privé : cela conduit souvent à des scandales financiers, économiques et sociaux, comme ce fut le cas avec la privatisation des autoroutes ou de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Alors, plutôt que d’attendre dix ans pour lancer une commission d’enquête qui démontrera ce que nous savons déjà, chaque groupe doit se prononcer aujourd’hui : voulons-nous livrer un monopole de fait et démanteler une nouvelle fois une entreprise publique, alors que tout nous invite à faire exactement l’inverse ?

Troisième raison, enfin : vous vous abritez derrière l’argument selon lequel ce projet Hercule ne répondrait qu’à un débat très technique, sur une simple réorganisation de l’entreprise, sans conséquence pour les usagers ni les salariés. Nous pensons, au contraire, que ce débat est politique à l’extrême et qu’il n’y a pas de fatalité.

Nous entendons d’ailleurs en profiter pour donner à tous les clés pour bien comprendre la situation : l’énergie, et donc EDF, est un bien commun indispensable à tous, comme le rappellent notre Constitution et le préambule de la Constitution de 1946. Elle est nécessaire pour se chauffer, se laver, manger, mais aussi se déplacer, produire et consommer. Avec l’arrivée de la 5G et des objets connectés, avec les data centers et les voitures électriques, les besoins en électricité et en énergie seront toujours importants.

Nous devons donc mener une véritable réflexion sur le système de production, de transport et de distribution de l’électricité, mais également sur la maîtrise de la demande énergétique, loin des slogans moralisateurs d’EDF, avec sa campagne #MetsTonPull. Les enjeux de souveraineté industrielle, sanitaire et énergétique devraient être au cœur des politiques publiques qui façonneront notre économie pour les années à venir.

Au contraire, le choix a été fait de livrer l’électricité au marché. C’est précisément l’erreur que commettent les libéraux, avec des conséquences dramatiques, car théoriser que l’énergie est une marchandise comme une autre révèle soit une méconnaissance totale du sujet soit la mise en œuvre d’une véritable escroquerie en bande organisée.

L’énergie est le seul bien dont la production doit être absolument égale à la consommation pour notre marché national, même si nous pouvons être exportateurs ou importateurs, car, aujourd’hui, les réseaux sont connectés. Si vous produisez plus, c’est la surtension et le blackout ; si vous produisez moins, c’est la sous-tension et donc le blackout.

En conséquence, le mythe de la compétition entre acteurs alternatifs et entreprise historique dans le but de faire baisser les prix, ne peut être qu’un leurre, car une entente entre l’ensemble des acteurs est absolument nécessaire pour livrer aux usagers leurs besoins exacts.

Les libéraux ont donc créé de toutes pièces un marché de l’énergie qui vise non pas à répondre à la demande ou à baisser les prix, mais bien à faire varier ceux-ci artificiellement pour garantir des dividendes aux acteurs alternatifs.

C’est précisément pour cela que, depuis un siècle, des réflexions ont été engagées pour sortir l’énergie des lois du marché. Il aura fallu deux tentatives avortées, la première, celle de Jean Jaurès, en 1894, et la seconde durant le Front populaire, à la fin des années 1930, pour que la France nationalise enfin le secteur de l’énergie, de l’électricité et du gaz, mais aussi les mines, entre 1944 et 1947. Un statut protecteur a également été créé pour les agents par le ministre communiste Marcel Paul.

EDF était la garantie d’égalité de nos territoires ; où que vous habitiez, vous aviez accès à l’électricité à un prix abordable pour le plus grand nombre grâce aux tarifs réglementés. Pourtant, à partir du début des années 1990, la libéralisation est lancée, avec la création de Réseau de transport d’électricité (RTE) pour le transport et d’Enedis pour la distribution.

Hercule marque une nouvelle étape du démantèlement et de la déréglementation du secteur, puisque vous vous apprêtez à désintégrer l’entreprise publique et à la livrer aux marchés financiers. Il s’agit donc d’une nouvelle spoliation d’un bien commun, avec pour seul résultat des libéralisations, 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique, des augmentations successives des tarifs réglementés de près de 70 % et des attaques incessantes contre ces tarifs.

Ce projet Hercule est l’enfant de Jupiter, négocié avec la Commission européenne ; il ne peut qu’aboutir à un marché de dupes, car augmenter le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) pour mieux rémunérer EDF, fragilisée par les investissements à venir, en contrepartie d’un démantèlement de l’entreprise publique et de l’octroi au privé des concessions des barrages hydroélectriques est une hérésie.

Arrêtons-nous un instant sur ce système aberrant qu’est l’Arenh et prenons un exemple pour mieux comprendre la situation. Imaginez que l’on demande à Renault de vendre un quart de sa production de Clio à Peugeot à prix coûtant, afin que Peugeot puisse concurrencer Renault sur le marché automobile. Cela paraît complètement fou ? Eh bien, remplacez Renault par EDF et Peugeot par les acteurs alternatifs et vous avez le système de l’Arenh !

À cela s’ajoute la demande de ces acteurs de sortir de l’Arenh pendant la crise pour se servir sur le marché de gros de l’électricité, dont le prix du mégawattheure était tombé à 21 euros, contre 42 euros pour l’Arenh. Pour eux, c’est donc fromage et dessert ; ils auraient tort de s’en priver, car ce sont EDF et les usagers qui paient la note. N’oublions pas que l’Arenh a été inventé pour permettre, prétendument, aux acteurs alternatifs d’investir pour produire à leur tour. Résultat : le néant.

Que savons-nous d’Hercule et de la future architecture d’EDF ? Trois entités seront mises en place : EDF Bleu, d’abord, incluant le nucléaire et le thermique à flammes, qui sera nationalisé à 100 % ; EDF Vert, ensuite, qui comprendrait Enedis, les énergies renouvelables (EnR), Dalkia, EDF Outre-Mer et Corse, une partie des activités internationales et la direction commerciale et sera livré au privé à hauteur de 35 % ; EDF Azur, enfin, avec les barrages hydroélectriques, qui resteraient publics, mais dont les concessions pourraient être confiées au privé.

Nous y voyons trois risques. On a pu penser que ce projet reviendrait à nationaliser les dettes et à privatiser les profits. Ce n’est pas tout à fait exact. La force d’une entreprise intégrée est que les profits dégagés dans une branche peuvent être réinvestis dans une autre. Par exemple, on pourrait aujourd’hui investir dans la sécurisation du nucléaire, les EPR et le démantèlement des réacteurs qui le nécessitent. Or, isoler de cette filière, notamment, les EnR et Enedis, qui réalisent des profits à hauteur de 600 millions d’euros chaque année, revient à amputer gravement l’entreprise de sa capacité à investir et à innover demain.

Le pire, c’est que nous connaissons la suite. Dans quelques années, vous viendrez nous dire : « Regardez, l’entité publique croule sous les dettes, il faut l’ouvrir au privé pour lui donner de la capacité à investir, blablabla… » Nous ne connaissons déjà que trop bien cette litanie libérale. Nous souhaitons donc savoir s’il est vrai que le projet Hercule prévoit la création de ces trois filières étanches entre elles avec une holding de tête.

Le deuxième risque qui nous guette concerne l’hydroélectrique. Même si les cent cinquante barrages restent propriété de l’État, combien de concessions seront confiées au privé ? Alors que la part du nucléaire est appelée à décroître dans notre mix énergétique, nous allons remettre au privé une part considérable de notre énergie pilotable nécessaire à l’équilibre électrique.

Nous courrons alors le risque qu’il se passe la même chose qu’en Californie dans les années 2000, lorsque le privé avait organisé un blackout pour que les prix payés par l’État de Californie soient suffisamment rémunérateurs pour les actionnaires, au mépris total des intérêts de la population. Vous êtes donc en train de placer notre sécurité et notre souveraineté électrique dans les mains des marchés financiers.

Enfin, troisième et dernier risque : aujourd’hui, en cas de coup dur, comme les grandes tempêtes de 1999, le service public et ses salariés répondent présent, y compris ceux des départements voisins. Qu’en sera-t-il demain, lorsque tout sera démantelé et que Direct Énergie aura le monopole sur une région, Total sur une autre et EDF sur une troisième ? Nous vous laissons imaginer les résultats de cette concurrence.

Pour conclure, je voudrais simplement rappeler que, en novembre 2016, le candidat Emmanuel Macron publiait un livre titré Révolution. Madame la ministre, mes chers collègues, ce qui serait révolutionnaire, aujourd’hui, ce serait de cesser de suivre les vieilles recettes de Mme Thatcher et d’arrêter de tout livrer au marché. Dans tous les domaines, c’est un désastre ; il est temps d’admettre les erreurs commises et d’y remédier, plutôt que de s’obstiner pour les justifier.

Ce qui serait révolutionnaire, ce serait de renationaliser EDF et GDF et d’en faire deux entreprises publiques disposant d’un monopole public ; ce qui serait révolutionnaire, ce serait de constituer un véritable service public de l’énergie du XXIe siècle, démocratisé, cogéré entre les élus, les salariés et les usagers. Si vous le souhaitez, nous avons déjà déposé une proposition de résolution en ce sens au Sénat, il n’y a plus qu’à l’inscrire à l’ordre du jour et à l’adopter ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réorganisation éventuelle du groupe EDF par le projet Hercule, élaboré par sa direction à la demande du Gouvernement, ne manque pas de nous interroger.

Sur le fond, tout d’abord, force est de constater que l’objectif visé initialement avec la mise en place de l’Arenh est loin d’avoir été atteint. Imposer à EDF de réserver à ses concurrents français et européens une partie de sa production nucléaire à un prix fixe de 42 euros par mégawattheure, qui n’a maintenant plus bougé depuis dix ans, suscite des interrogations.

Le bénéfice annoncé pour le consommateur, sous prétexte de concurrence accrue, est en réalité inexistant, avec un prix de l’électricité sans cesse croissant, au point que la précarité énergétique, qui était auparavant un épiphénomène en France, est aujourd’hui une réalité grandissante.

D’un autre côté, de multiples fournisseurs alternatifs, qui ne produisent pas un seul kilowattheure d’électricité, boursicotent au gré des prix de gros et se fournissent chez EDF chaque fois que c’est à leur avantage.

Je comprends donc que l’État négocie âprement avec Bruxelles pour remédier à cette situation ubuesque qui met à mal notre champion mondial de l’électricité.

Pour autant, le projet Hercule visant à séparer le groupe EDF en trois entités m’interpelle. Que l’État souhaite conserver dans le giron national une EDF Bleue, gérant le nucléaire, une énergie qui a permis à la France de bénéficier depuis des décennies de l’électricité la moins chère d’Europe, me paraît indispensable et je souscris pleinement à cette approche stratégique ; qu’il en aille de même pour une EDF Azur, spécialisé dans la production hydroélectrique de nos grands barrages, j’y souscris également, sous réserve, néanmoins, que les autres exploitants déjà en place en France, comme la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) dans les Pyrénées, voient également leurs intérêts préservés.

En revanche, l’ouverture à des capitaux privés d’une filiale dite Verte regroupant les activités de fourniture d’électricité aux particuliers et aux entreprises, le développement des EnR et, surtout, la distribution d’électricité me paraît plus que hasardeuse. S’agissant de la fourniture d’électricité, ce projet marquerait la fin des tarifs réglementés en France, ce qui ne me paraît pas satisfaisant pour les abonnés concernés, au vu de la situation économique des prochaines années.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, je m’inquiète également que l’appât du gain lié à la promotion du grand éolien offshore conduise à reléguer au second rang la production d’énergie renouvelable photovoltaïque ou issue de la biomasse, solutions qui valorisent nos territoires.

Je suis surtout indignée à l’idée que le réseau de distribution électrique, qui appartient aux collectivités locales, à nos communes, et qui a seulement été concédé à Enedis puisse dépendre des desiderata d’investisseurs privés. Cette hypothèse me laisse sans voix !

Investir sur le réseau électrique est une nécessité et non une option, les coupures d’électricité liée aux intempéries nous le rappellent régulièrement. J’ajoute que la péréquation nationale issue du tarif d’utilisation des réseaux publics d’énergie (Turpe) est la seule garante d’un service public de qualité, y compris en zone rurale. Le principe d’égalité des usagers devant le service public en dépend.

Aussi, pourquoi vouloir remettre en question un système électrique national qui a fait ses preuves, au risque de transformer, avec le projet Hercule, le groupe EDF en un colosse aux pieds d’argile ?

Sur la forme, maintenant, pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, qu’un projet de loi sera bien présenté au Parlement sur ce sujet, comme vous nous l’aviez annoncé lors d’une audition au Sénat au mois de novembre dernier ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons a, logiquement, relégué au second plan de nombreux débats sur l’avenir de notre pays. Toutefois, les discussions sur notre politique énergétique doivent impérativement revenir au premier plan en ce début d’année et je remercie le groupe CRCE d’avoir provoqué ce débat.

Le secteur énergétique traverse une zone de turbulences, avec des incertitudes et des changements profonds, la volatilité et la baisse des prix de l’énergie, les enjeux de la transition écologique, avec la part croissante des énergies renouvelables, ou encore les difficultés rencontrées pour l’entretien du parc nucléaire.

En tant que groupe intégré à l’ensemble du secteur de l’énergie, EDF possède donc un rôle central en termes d’indépendance énergétique de notre pays, de maîtrise de notre politique énergétique et de transition écologique. Pourtant, les premières annonces concernant le projet Hercule semblent aller totalement à contre-courant des besoins que nous imposent ces nouveaux défis. En effet, le Gouvernement propose un découpage purement capitalistique de cet opérateur historique formé par le Conseil national de la Résistance.

Ne soyons pas dupes : le Gouvernement ne répond pas à une demande de la Commission européenne, il poursuit simplement son opération de démantèlement des entreprises publiques inspirée par des considérations uniquement financières. Il est vrai que le groupe EDF rencontre des difficultés, mais celles-ci résultent de choix politiques inadaptés et court-termistes. La sous-rémunération chronique de l’actif industriel d’EDF par l’Arenh et la sous-capitalisation par un État actionnaire irresponsable ont logiquement conduit à la situation actuelle.

Alors que les enjeux de la transition écologique devraient être au cœur de nos discussions, le démantèlement du groupe EDF par le projet Hercule pourrait profondément remettre en cause nos choix en matière d’énergie et conduire à une perte de notre indépendance énergétique.

En effet, la filialisation à l’extrême de l’ensemble des activités du secteur énergétique risque de conduire à une profonde remise en cause de la cohérence de la filière électrique. Ainsi, la désintégration d’EDF priverait totalement le groupe d’une stratégie coordonnée à long terme, dans la production comme dans la distribution.

L’exemple des réseaux de distribution est frappant, car il justifie, à lui seul, le monopole naturel du secteur de l’électricité par la complexité des infrastructures et de la gestion du réseau. Or, dans le projet Hercule, la société Enedis serait intégrée à une filiale dont le capital serait ouvert au privé à hauteur de 35 %.

Les logiques financières permettront-elles de gérer un réseau de distribution performant et également réparti ? Je crains que ce ne soit pas le cas. Ainsi, le contexte spécifique du marché de l’électricité exige que le Gouvernement dispose d’une vraie capacité à mettre en œuvre une politique énergétique maîtrisée et souveraine.

Dans ce contexte de crise sociale, la maîtrise des prix et la cohérence de la filière électrique doivent être notre principale préoccupation. Maintenir un tarif du kilowattheure identique pour l’ensemble de nos concitoyens, quel que soit leur lieu d’habitation, est une mesure de justice sociale. Je tiens à saluer ici l’engagement des agents d’EDF, mobilisés pour défendre une idée essentielle : EDF appartient à tous et tous les Français doivent avoir leur mot à dire sur ce projet de démantèlement, comme nous le faisons valoir dans notre proposition de référendum d’initiative partagée.

Conserver une entité forte, qui défend la souveraineté énergétique de notre pays et, plus globalement, notre intérêt général, est indispensable pour répondre à l’urgence écologique et sociale. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera avec fermeté au démantèlement du groupe EDF. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réalité nous oblige à dire que l’un de nos derniers fleurons industriels, EDF, est en danger de mort.

Pour tenter de le sauver, la réponse d’Emmanuel Macron s’appelle le projet Hercule et repose sur un démantèlement en trois filiales : la première, les infrastructures et les activités coûteuses de production pour EDF Bleu, supportée par l’État, la deuxième, les activités de distribution rentable pour EDF Vert, filiale ouverte aux marchés financiers, et le troisième, EDF Azur, pour les grands barrages.

Il s’agit là simplement de la conséquence du processus de libéralisation-destruction voulu par la Commission européenne et exécuté depuis par tous les gouvernements français successifs.

En 2000, votre Europe a forcé EDF à devenir une société anonyme, en 2010, la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite Nome, impose l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’Arenh, qui permet aux concurrents d’acheter à l’opérateur une partie de sa production au prix fixe de 42 euros le mégawattheure, un prix inchangé depuis lors, largement en deçà du niveau du marché et qui constitue un véritable boulet financier pour EDF.

Notons que le coût de l’énergie aura augmenté de 50 % pour les ménages durant la même période, preuve que la concurrence n’est pas toujours synonyme de baisse des prix.

On voudrait aujourd’hui nous imposer la mise en concurrence de nos concessions hydrauliques, alors que celles-ci devraient au contraire bénéficier d’une protection prioritaire en restant sous contrôle entier de l’État.

Puisque ce projet fait appel à la mythologie herculéenne, osons nettoyer les écuries de Bruxelles ! Sortons des traités européens qui nous pénalisent ; sortons des logiques masochistes antinationales et antisociales ; refusons collectivement de livrer nos capacités énergétiques aux appétits voraces de quelques financiers et reprenons la main ! Nous en avons les talents, à nous d’en trouver les moyens.

EDF, deuxième producteur d’électricité au monde, nous assure une électricité parmi les moins chères en Europe et les moins dispendieuses en gaz carbonique de tous les pays développés. Il ne s’agira donc pas d’un retour en arrière avec un État impotent, mais de se projeter dans le futur avec un État stratège, protecteur, qui permettra aux hommes et aux femmes d’EDF de piloter, d’innover et donc de pérenniser leur entreprise, de garantir le statut des agents tout en fournissant, dans le meilleur respect de l’environnement, la même qualité de service à leurs clients.

Pour assurer sa compétitivité, les défis de l’avenir exigent de tourner le dos aux talibans verts coupés des réalités économiques et réellement écologiques. L’avenir d’EDF passe par une maîtrise de sa dette, aujourd’hui colossale – 70 milliards d’euros –, par un investissement considérable, certes, avec près de 200 milliards d’euros, mais vital pour la livraison de trente EPR d’ici à 2085, pour le grand carénage du parc nucléaire, pour l’innovation dans les nouvelles énergies, pour la combinaison vertueuse nucléaire-hydraulique, mais aussi par la suppression de l’Arenh.

Les Français ne doivent pas subir les coupures, les blackouts que tous les pays du monde connaissent aujourd’hui pour avoir cru à l’hérésie, à l’idiotie, selon laquelle l’énergie serait un bien marchand comme un autre.

L’énergie, madame la ministre, n’est pas un bien marchand sur lequel on peut spéculer à l’envi, c’est une garantie d’indépendance et donc de protection nationale, qui ne saurait être laissée entre les mains d’idéologues et de financiers.

Par conséquent, pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si d’autres scénarios que ce projet Hercule ont été envisagés par le Gouvernement pour sauver EDF ?

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis de conviction libérale et résolument européen, et pourtant je voudrais remercier le groupe communiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat. Bien que je ne partage absolument pas ses conclusions,…

M. Fabien Gay. Comme souvent !

M. Gérard Longuet. … l’intervention de Fabien Gay m’a réjoui.

Force est de reconnaître que dans ce débat, vous avez une énorme responsabilité – nulle culpabilité, mais une noble tâche –, madame la ministre, car il vous reviendra de combattre la Commission européenne.

Dans le temps qui m’est imparti, j’aborderai un seul sujet, à savoir l’avenir de l’énergie électrique nucléaire. La Commission – est-ce l’effet des mesures qu’elle a prises : les quatre paquets en vingt-cinq ans, les directives, les règlements ? – a considérablement contribué à affaiblir le nucléaire dans notre pays parce qu’elle commet une erreur dans son analyse de marché. Pour que l’offre et la demande se rencontrent, il faut pouvoir stocker ; or l’électricité ne se stocke pas et se transporte mal. Mais surtout – c’est le troisième point que méconnaît complètement la Commission –, la production électrique est devenue le résultat de choix politiques.

Il se trouve que certains pays européens récusent le nucléaire – c’est leur droit –, mais ils doivent en tirer les conséquences : leurs coûts de production seront nécessairement plus élevés, surtout si leur est imputé – ce que je souhaite vivement – le coût de la tonne de CO2 qu’ils émettent. La nature a doté nos voisins allemands de charbon, de lignite, mais ce n’est pas une raison pour soutenir la Commission afin d’affaiblir un nucléaire français qui, lui, a l’immense mérite de nous apporter l’indépendance – c’est une nécessité absolue –, une réponse écologique à l’impératif de produire de l’énergie électrique – pas de carbone –, et cela, en situation d’équilibre de long terme, à un prix moindre que les autres modes de production d’électricité. Enfin, l’énergie électrique nucléaire constitue un soutien à un secteur de recherche scientifique et technologique qui emploie plus de 200 000 salariés et qui nous place sur le podium international – médaille d’or, d’argent ou de bronze – dans une compétition où nous n’avons pas toujours de si beaux atouts.

L’Arenh – on doit le constater après dix ans d’expérience – est un échec,…

M. Gérard Longuet. … et pas seulement parce que le prix de 42 euros du mégawattheure est faible, mais aussi – et peut-être surtout – parce que c’est ce qu’on appelle un piège – j’allais employer un terme plus vulgaire : face, EDF perd ; pile, ses concurrents gagnent. EDF ne peut pas s’en sortir.

Dans la négociation que vous conduisez avec Bruxelles, une porte s’ouvre et vous avez des soutiens : il est de la responsabilité du Gouvernement de saisir cette occasion, car le nucléaire n’appartient pas au passé. Il serait extraordinaire de le penser, alors même que Bill Gates, qui incarne l’une des plus belles réussites capitalistes mondiales, investit largement dans le nucléaire sous des formes différentes – notamment dans le Small Modular Reactor (SMR), que la France devrait développer plus rapidement parce qu’il apporte une réponse, qui plus est décarbonée, au besoin mondial d’énergie.

Nous avons tous les atouts de la réussite et nous risquons de nous censurer, si ce que vous appelez le « contrat pour défense », c’est-à-dire cet écart de prix qui serait compensé et qui se trouve au cœur de la négociation avec Bruxelles, était adopté dans de mauvaises conditions. Ce serait notamment le cas si, comme pour l’Arenh, était retenu un prix de décroissance, de renoncement ou en quelque sorte de censure des capacités industrielles et scientifiques de notre pays, car si l’on tarife le nucléaire au coût marginal, il est évident que l’on ne peut assurer ni le renouvellement du patrimoine ni surtout le développement scientifique, industriel et technique. Au moment même où on parle de réacteurs à neutrons rapides, de réacteurs à sodium et de fusion nucléaire, cela reviendrait à se mutiler.

Madame la ministre, cette responsabilité est la vôtre et celle de votre gouvernement. Le président Macron s’est rendu au Creusot ; il a découvert que le nucléaire n’était pas le complément, mais la condition du renouvelable… Il n’y aura pas d’électricité décarbonée sans nucléaire. Il vous appartient donc d’obtenir le meilleur accord. Que ferez-vous si vous ne l’obtenez pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Requier et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques semaines, l’avenir d’EDF, avec le projet Hercule, est au cœur de l’actualité. En effet, depuis octobre, les négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne se sont accélérées dans une certaine opacité.

Je salue donc la tenue de ce débat sollicité par nos collègues du groupe CRCE autour de l’avenir d’EDF, fleuron de l’État stratège, sujet ô combien majeur et stratégique aujourd’hui.

Comme chacun le sait, les débats liés à la politique énergétique sont souvent placés sous le signe du nucléaire. La France a fait le pari de l’atome, et ce pari – il faut le rappeler – a été réussi. Cette formidable aventure industrielle lancée au milieu du siècle dernier a doté notre pays d’une avance considérable et de prix compétitifs. Grâce à nos ingénieurs et à nos investissements massifs, dont nous tirons aujourd’hui collectivement parti, nous avons œuvré pour notre souveraineté énergétique. Le nucléaire nous assure aujourd’hui encore une production d’électricité décarbonée pilotable et très compétitive.

Il est aujourd’hui illusoire d’espérer atteindre la neutralité carbone dans notre pays sans le nucléaire. Cet actif national constitue donc un atout pour la transition énergétique. Il représente aussi assurément un atout concurrentiel pour nos concitoyens et nos entreprises. Cependant, nous devons faire preuve de lucidité face à la situation dans laquelle se trouve notre appareil de production entièrement détenu par EDF.

Je distinguerai deux principales difficultés qui paraissent interdépendantes : premièrement, le vieillissement de notre parc nucléaire et, deuxièmement, la tarification applicable à l’électricité en France.

Notre parc a été construit en à peine deux décennies. Le défi de sa modernisation nous place aujourd’hui face à un mur d’investissement. Pour capitaliser sur cet atout national, il nous faut redonner des capacités d’investissement à EDF, dont la dette se chiffre aujourd’hui en dizaines de milliards d’euros.

Or cette capacité d’investissement reste grevée par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. C’est pourquoi il est urgent de l’adapter avant sa fin programmée en 2026. Ce système inadapté, voire absurde, pénalise l’avenir d’EDF et sa capacité d’investissement.

Pour conclure, permettez-moi de livrer une conviction : le nucléaire doit rester un actif public. Les enjeux de souveraineté et de sûreté sont trop importants pour que nous soumettions nos centrales nucléaires à des logiques inadaptées de mise en concurrence. C’est pourquoi la constitution d’une entité 100 % publique, dite EDF Bleu, me paraît pour le moins indispensable. Elle devrait nous permettre d’assurer collectivement le choix de la modernisation, mais il est indispensable dans le même temps d’assurer le développement des énergies renouvelables, qui ne présentent ni les mêmes contraintes ni les mêmes avantages.

La constitution d’une entité spécifique, dite EDF Vert, ouverte aux capitaux privés, mais qui, nous dit-on, resterait majoritairement détenue par EDF Bleu, peut s’avérer pertinente pour stimuler l’innovation, mais de grandes garanties doivent nous être apportées, et nous en manquons. Je pense notamment au développement de la filière hydrogène, véritable potentialité d’avenir pour EDF. Toutefois, comme d’autres orateurs l’ont déjà indiqué, il me semble nécessaire d’exclure la distribution du champ de compétences d’EDF Vert.

Enfin, l’hydraulique, si précieux pour l’économie des territoires et pour la transition énergétique, doit également rester à l’abri de l’ouverture à la concurrence. Cela doit nous être garanti.

Dans ces conditions, le projet Hercule, s’il voit le jour, devra apporter un certain nombre de garanties ; il devra également être porteur d’une ambition d’avenir pour EDF et permettre que l’entreprise demeure un ensemble complètement intégré et contrôlé par l’État, afin d’assurer une stratégie globale garantissant durablement notre souveraineté énergétique. Nous en sommes loin.

Pour autant, le statu quo, notamment concernant l’Arenh, serait aujourd’hui préjudiciable pour l’avenir d’EDF. C’est pour cela qu’il faut poursuivre nos échanges avec la Commission européenne en faisant preuve de détermination – c’est légitime ! En effet, la France doit être déterminée dans la défense de ses intérêts pour assurer l’avenir de notre géant mondial, garant de notre souveraineté énergétique. Le Parlement doit évidemment être associé à toutes ces démarches en transparence, grâce au dépôt, le moment venu, d’un véritable projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les écologistes ont rarement été en accord avec la politique énergétique menée par EDF – une politique jamais débattue démocratiquement –, ils reconnaissent le rôle moteur de cette entreprise stratège, garante d’un service public efficace et d’une qualité de service reconnue de par le monde.

EDF a été fondée sur l’idée que l’énergie est un bien public. Alors qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé imaginer démanteler EDF, ce gouvernement en prépare la dislocation. Avec son projet Hercule, il porte un coup fatal à ce bien commun, déjà fortement fragilisé.

Ce projet ne répond ni aux problématiques de l’entreprise ni aux enjeux énergétiques du XXIe siècle. C’est toute la logique du service public de l’énergie qui est mise à mal. Cette privatisation d’une partie de l’activité – la partie vendable étant bien entendu celle constituée des énergies renouvelables et du réseau – se traduira par des pertes d’emplois et par la baisse des investissements dans la recherche et le développement.

Nous lançons également une alerte sur la question des barrages hydrauliques français, première source d’énergie renouvelable France. Les cent cinquante contrats de concession seraient remis en concurrence, comme l’exige la Commission européenne. Or une mise en concurrence de ce secteur représenterait un danger certain pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement.

Par ailleurs, les centrales nucléaires et les barrages sont indissociables. Les barrages du Rhône sont fréquemment utilisés pour le refroidissement des centrales. Les barrages servent également au stockage, puisqu’ils sont remplis lors des périodes de faible consommation, car – il faut le rappeler – le nucléaire, lui non plus, n’est pas en adéquation avec la consommation.

Hercule ne répond pas non plus à la question des moteurs de l’endettement de l’entreprise et du portage de la dette. Il ne répond pas à la sous-rémunération chronique dont souffre l’entreprise depuis la mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, un coût minoré à l’époque pour faire croire que le nucléaire est peu cher.

Madame la ministre, la politique énergétique française est aujourd’hui à un tournant. Les décisions prises seront cruciales, notamment pour la bonne opérationnalité de la transition énergétique de la France dans les dix ans à venir. La fuite en avant dans le nucléaire, avec la construction de six nouveaux EPR annoncée par le Président de la République, relève d’une stratégie énergétique mortifère pour le pays et intenable financièrement pour l’entreprise déjà surendettée à hauteur de 36 milliards d’euros, sans parler des 80 milliards à 100 milliards d’euros nécessaires au démantèlement ni des 25 milliards à 40 milliards d’euros qui seront alloués à Cigéo à Bure.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’EDF se trouve face à un mur d’investissement en raison de son parc nucléaire vieillissant et doit investir dans les énergies renouvelables et le stockage.

Non, le modèle de l’EPR n’est pas l’avenir d’EDF. Flamanville en est un exemple criant : le coût de ce fiasco technologique et industriel est passé de 3 milliards à bientôt 19 milliards d’euros, pour un coût de production de l’électricité s’élevant à 110 euros du mégawattheure alors que les récents appels d’offres pour le photovoltaïque au sol atteignent 45 euros du mégawattheure.

Oui, garder coûte que coûte le nucléaire a un prix. Le Gouvernement est prêt à cette désintégration industrielle et à la sape de tout le service public de l’énergie pour renforcer et maintenir cette énergie du passé. Hercule commence par un « H », comme Hinkley Point.

La position des sénateurs et sénatrices écologistes est assez simple et claire : nous demandons dans un premier temps le retrait immédiat de ce projet délétère. Nous appelons ensuite à l’ouverture d’un véritable dialogue avec tous les acteurs. Les négociations se poursuivent en ce moment à Bruxelles dans une opacité totale. Il n’est pas acceptable que les organisations syndicales et la représentation nationale soient totalement exclues des négociations relatives à ce sujet majeur qui concerne tous les Français. Un véritable débat national sur l’avenir d’EDF nous paraît indispensable pour répondre à l’urgence climatique et assurer la viabilité financière et industrielle de l’entreprise.

Les crises actuelles nous rappellent combien un service public fort est nécessaire pour affronter les défis sanitaires, économiques et climatiques. Seul un grand pôle public de l’énergie peut garantir l’accès de toutes et tous à ce bien commun. Face à la précarité énergétique qui frappe près de 12 millions de foyers en France, il est un droit pour nos concitoyens et il doit leur être garanti à des tarifs abordables.

Madame la ministre, la situation calamiteuse d’EDF nous place face à deux choix. Le vôtre est une fuite en avant pour sauver une énergie obsolète qui ne sera jamais rentable et qui oblige l’État à une renationalisation du parc nucléaire pour assurer à sa charge des investissements colossaux. Ce choix ignore toute rationalité économique et même de sécurité nationale : les généraux ne disent-ils pas, en faisant allusion à nos centrales, que la France est vulnérable en temps de paix et indéfendable en temps de guerre ?

Le deuxième choix est le nôtre : il consiste à arrêter les frais, à assumer les pertes d’EDF, notamment vis-à-vis de nos partenaires chinois et britanniques, et à planifier une sortie progressive du nucléaire en développant en parallèle les énergies renouvelables et les économies d’énergie pour une vraie indépendance énergétique.

Cette stratégie qui engage la France sur deux ou trois décennies mérite un débat national que vous refusez honteusement aux Françaises et aux Français. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie Evrard.

Mme Marie Evrard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer l’avenir d’un grand groupe national et international comme Électricité de France, EDF, suscite inévitablement des controverses, mais le projet de réorganisation Hercule mérite mieux que des caricatures « surfant » sur les craintes légitimes des salariés de l’entreprise et des consommateurs.

Au contraire, comme l’a déclaré le Président de la République lors de son discours relatif à la stratégie et à la méthode pour la transition écologique, le 27 novembre 2018, nous pouvons transformer les colères en solutions. Avec EDF, notre pays détient un champion national, mais aussi international. Ce champion dispose d’un parc de production d’électricité parmi les plus décarbonées au monde grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité. C’est une chance, et nous pouvons en être fiers, alors que la transition énergétique et la décarbonation de l’économie sont dans tous les agendas.

Le 8 décembre 2020, le Président de la République a rappelé au cours de sa visite de l’usine Framatome du Creusot le choix fait par la France d’un mix électrique reposant sur deux sources décarbonées : le nucléaire et les énergies renouvelables. Il a affirmé à cette occasion que notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. Le nucléaire, cette énergie non seulement décarbonée et sûre, nous assure également notre statut de grande puissance.

Mais le nucléaire n’est pas la solution unique. C’est pourquoi la programmation pluriannuelle de l’énergie présentée en 2018 a fixé de nouveaux objectifs : le nucléaire devra représenter 50 % du mix énergétique de notre pays en 2035 au lieu de 70 % à l’heure actuelle, et la part de l’électricité d’origine renouvelable dans notre mix énergétique devra passer de 18 % à 40 % en 2030.

Les 10 et 11 décembre 2020, le Conseil européen a donné son feu vert à la proposition de la Commission européenne de fixer comme objectif une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Avec ce choix de mix électrique national, et pour atteindre cet objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre encore plus ambitieux, il est important pour notre pays qu’EDF continue à jouer un rôle clé dans la transition énergétique.

Pour cela, cette réussite française doit avoir les moyens d’investir, à la fois dans le parc nucléaire existant et de façon massive dans les énergies renouvelables, dans les réseaux et les autres aspects de la transition énergétique comme l’hydrogène propre. C’est d’autant plus nécessaire que, dans le même temps, les principaux concurrents européens d’EDF investissent massivement sur tous ces sujets. Or les mécanismes de régulation économique du nucléaire et de l’hydroélectricité, instaurés il y a plusieurs années, ne sont plus adaptés à la réalité des marchés de l’électricité et ne permettent plus à EDF d’investir dans tous les aspects de la transition énergétique. La régulation actuelle du parc nucléaire existant ne permet ainsi plus de garantir la couverture des coûts et des investissements nécessaires à son fonctionnement.

Depuis la mise en place, en 2011, du dispositif de l’Arenh, en contrepartie de la conservation de son parc nucléaire, EDF peut vendre jusqu’en 2025 environ 25 % de l’électricité produite par son parc nucléaire aux autres fournisseurs privés concurrents. L’objectif initial était d’inciter ces derniers à investir dans la production d’électricité, mais comme l’avait expliqué le président-directeur général d’EDF lors de son audition, le 2 mai 2019, par la commission des affaires économiques du Sénat, ce dispositif revient à ce que des investissements publics subventionnent des acteurs privés, dont certains disposent de moyens considérables, tout en empêchant EDF de profiter du produit de son travail et sans inciter ses concurrents à construire des capacités de production nouvelles.

Dans le même temps, EDF fait face à de nombreux défis, avec son parc nucléaire comptant 56 réacteurs. Initialement estimé à 55 milliards d’euros, le coût des travaux du grand carénage devrait être beaucoup plus élevé. La Cour des comptes l’estime à 100 milliards d’euros. Cela pose la question du financement de ces travaux. Alors que les plus anciens réacteurs en fonctionnement dépassent leur quarantième année d’exploitation, l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs est un enjeu économique majeur.

À cela s’ajoute la revalorisation à la hausse des coûts globaux des EPR d’Hinkley Point et de Flamanville et la construction annoncée de six nouveaux EPR en France. En parallèle, le développement de l’hydroélectricité, deuxième source de production électrique dans notre pays, est bloqué dans l’attente du règlement des contentieux communautaires.

Parce que les Français ne comprendraient pas qu’EDF soit reléguée au son second plan pour relever les défis multiples de la transition énergétique, le projet Hercule de réorganisation du groupe EDF, fruit de négociations européennes particulièrement difficiles, doit permettre à notre champion national de tenir son rang.

Pour autant, notre groupe restera extrêmement vigilant quant à la finalisation de ce projet. Il n’est pas question de démanteler EDF. Cette réorganisation du groupe et de ses activités ne doit en aucun cas casser le fleuron de l’énergie français.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Marie Evrard. Par ailleurs, quid des structures hydroélectriques devenues obsolètes, dont l’ouverture à la concurrence a été souvent repoussée ?

Nous attendons enfin que le projet Hercule puisse permettre à EDF de financer tous les aspects évoqués de la transition énergétique et écologique, tout en permettant à l’entreprise de rester aux avant-postes en la matière.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’électricité, bénéficiant d’un statut particulier, est considérée par le Conseil d’État comme un produit de première nécessité non substituable, ce qui explique que sa production ne puisse être traitée comme une activité de marché quelconque.

Depuis l’Acte unique européen, le dogme de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité grignote progressivement notre souveraineté énergétique, et nous en subissons les conséquences.

Le plan de sauvetage Hercule impose une nouvelle séparation des activités d’EDF en deux ou trois entités portées par une société holding : EDF Bleu, portant la production nucléaire, à capitaux totalement publics, et éventuellement ses barrages hydrauliques qui pourraient toutefois être cantonnés au sein de l’entité EDF Azur, et EDF Vert, ouvert aux capitaux privés, incluant les énergies renouvelables et Enedis. En contrepartie de cette scission, le prix de l’Arenh pourrait être enfin revalorisé pour redonner à EDF une capacité d’investissement qui lui fait actuellement défaut et lui offrir de la marge face à son fort endettement.

Le tarif de l’Arenh – contrepartie à la situation monopolistique d’EDF – est fixé à 42 euros par mégawattheure depuis 2012. En raison du refus par la Commission européenne de toutes les propositions de révision, il pénalise EDF et la place dans une situation inéquitable face aux fournisseurs alternatifs qui se tournent soit vers l’Arenh, soit vers le marché de gros, soit vers la justice dès que cela les arrange. L’ouverture à la concurrence n’a pour l’instant ni favorisé l’émergence de nouvelles capacités de production par ces fournisseurs alternatifs ni profité aux consommateurs.

La concurrence artificielle à marche forcée sur les industries de réseau, dont la nature se prête peu à ce jeu, se fait ainsi au détriment des consommateurs, ce qui n’est conforme ni aux principes généraux du droit de la concurrence ni aux objectifs de l’ouverture du marché européen de l’énergie. La baisse des prix de l’électricité n’a pas eu lieu. Quelle ironie !

Le groupe du RDSE ne peut envisager une maîtrise de la production énergétique et des réseaux qui ne demeurerait pas dans le giron de l’État et qui ne garantirait pas la sécurité d’approvisionnement de la France.

De surcroît, après toutes les subventions octroyées par l’État pour le développement des énergies renouvelables, il serait inacceptable de perdre la main sur ce secteur devenu très rentable. Le projet Hercule fait d’ailleurs l’objet de spéculations sur les marchés. Nous pensons, pour notre part, que le capital d’EDF doit demeurer largement public. La transition énergétique et le respect de l’accord de Paris supposent que l’État conserve le contrôle sur le nucléaire et l’ensemble des énergies renouvelables, hydraulique compris, avec leurs risques et leurs bénéfices.

Nous craignons que la réorganisation des activités d’EDF ne finisse par affaiblir davantage le nucléaire, fleuron de l’industrie française, construit et financé par les contribuables, à contre-courant du discours prononcé au Creusot dans lequel le Président de la République déclarait que l’atome devait continuer à être un pilier du mix énergétique pour les décennies à venir.

S’il s’agit, en revanche, dans une démarche tactique, de ne pas confier au marché une partie des activités actuellement réalisées par EDF – par exemple, une mise à l’abri des concessions hydroélectriques face aux exigences de la Commission européenne quant à leur mise en concurrence –, nous y serions favorables. Mais nous craignons que la solution retenue ne permette pas d’éviter cette issue.

L’absence de transparence nous inquiète. L’obtention des informations au travers de la seule presse n’est pas acceptable. La représentation nationale devrait être associée à l’élaboration d’un projet aussi fondamental et stratégique. Pourquoi ne pas instaurer une nouvelle commission Champsaur ? Les salariés et les citoyens sont totalement exclus de l’état des négociations entre la France et la Commission européenne ; les interrogations sont donc légitimes.

Est-ce l’étape ultime du processus de libéralisation engagé dès les années 1990 ou une tentative de protection de nos actifs énergétiques ? Démantèlement ou préservation du patrimoine national énergétique, nous considérons que le Gouvernement doit rendre compte des négociations en cours et rassurer nos concitoyens, ainsi que les salariés d’EDF, quant à l’avenir de notre souveraineté énergétique, la préservation des emplois et l’accès de tous à l’énergie à un prix abordable.

Madame la ministre, je vous remercie de nous indiquer dans quel scénario nous sommes, afin que nous, parlementaires, puissions à notre tour réaliser nos propres travaux d’Hercule en arrêtant un positionnement clair et argumenté.

Pour rester dans la parabole herculéenne, je conclurai en indiquant que la pression du « tout marché » qui s’exerce sur notre société est aussi puissante et lancinante que celle que produit la dérive des continents au niveau du détroit de Gibraltar. Aussi, les colonnes d’Hercule, qui pourraient matérialiser le bicamérisme cher au président du Sénat – bicamérisme reposant sur nos deux assemblées –, seront-elles assez fortes pour résister aux forces en présence ? En tout cas, une seule colonne hésitante ne suffira pas ! (MM. Éric Gold et Franck Menonville applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous sommes au cœur d’une crise sanitaire et économique sans précédent, que chacun s’inquiète des conséquences de la pandémie sur sa vie quotidienne, mais aussi sur notre avenir collectif, le Gouvernement se lance en catimini dans la réorganisation du secteur électrique français.

À la fin de 2018, le Président de la République a demandé à Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, de réfléchir à la réorganisation des activités du groupe afin « de renforcer sa contribution à la transition énergétique et de mettre en œuvre les orientations définies dans le plan prévisionnel de l’énergie ». Or il semble aujourd’hui que, loin des enjeux de transition énergétique, c’est bien la poursuite du processus de libéralisation engagé en 1996 qui se profile avec le projet Hercule.

Nous l’avons dit et je pense que nous partageons tous ce constat, le secteur et la filière électrique dans leur ensemble sont des outils stratégiques essentiels. Pourtant, comme cela a été souligné lors du débat d’hier, la sécurité d’approvisionnement reste fragile.

Nous évoluons, par ailleurs, dans un contexte de sous-investissement dans la production électrique, malgré les soutiens financiers colossaux aux fournisseurs alternatifs. En effet, la part des énergies renouvelables est encore largement minoritaire dans la consommation énergétique des ménages et des entreprises, loin des objectifs du paquet énergie-climat.

Celui-ci prévoit, en effet, de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2030 d’au moins 40 % par rapport à 1990, et de porter la part des énergies renouvelables à 32 %.

Parallèlement, la précarité énergétique augmente dans notre pays, touchant un ménage sur cinq. Pourtant, l’électricité est un bien essentiel et l’accès à l’énergie à un prix abordable est un droit que l’on doit garantir à tous les usagers, car il participe pleinement au droit au logement décent reconnu de valeur constitutionnelle.

L’État dispose d’une responsabilité première sur l’organisation de ce secteur. Si EDF, qu’il détient à 83,6 %, reste un géant au premier rang mondial, dont le chiffre d’affaires atteignait 69 milliards d’euros en 2018, il n’en demeure pas moins que le groupe est endetté à hauteur de 41 milliards d’euros. Le secteur électrique est fragilisé, en particulier la filière nucléaire. Autrefois fierté de la Nation, elle suscite la défiance depuis l’accident de Fukushima, et l’on s’interroge sur la durée de vie soutenable des centrales pour garantir la sécurité de tous.

Réduire l’activité d’EDF au nucléaire comme l’a laissé entendre le président Macron lors de son discours du Creusot est mortifère. Prétendre résoudre tous les dysfonctionnements en généralisant le marché, en éclatant un peu plus le groupe, en segmentant les activités et en privatisant les énergies renouvelables et le réseau de distribution est un non-sens. Ce serait une fuite en avant, alors que l’urgence climatique exige une planification et des investissements massifs de long terme, incompatibles avec le marché, puisqu’ils exigent une forte maîtrise publique.

Nous le répétons encore une fois, l’avenir d’EDF ne peut se négocier dans l’opacité et le secret, c’est l’affaire de tous.

La réponse du Premier ministre qui explique que « les négociations avec Bruxelles se poursuivent et qu’aucun accord n’a été trouvé à ce stade » peine à nous convaincre.

Il en est de même de la promesse qui a été faite de maintenir une entreprise intégrée. Fabien Gay l’a souligné à juste titre : comment des entités indépendantes pourront-elles être intégrées ? D’autant qu’une note de l’Agence des participations de l’État, datant de mai 2020, nous rappelle que la position de la Commission européenne est claire : il faut démanteler EDF et l’éclater en quatre structures étanches.

Cette position interdit la mise en place d’une stratégie de groupe et de toute politique industrielle cohérente. Pire, elle permettrait que les filiales de la holding EDF se fassent concurrence entre elles !

Que dire enfin de la demande de séparation juridique des activités nucléaires qui interdirait que les bénéfices tirés des investissements déjà amortis ne puissent être réinvestis dans des activités nucléaires nouvelles ?

Enfin, comme cela a été confirmé dans la réponse du Premier ministre aux organisations syndicales, « l’équipement électrique du pays, les prix de l’énergie et l’amélioration du service public sont les grands absents de ce projet ».

Vous comprendrez, mes chers collègues, que, devant les défis économiques, financiers et techniques que devra affronter notre système électrique, qu’il s’agisse du renouveau des réseaux de distribution, de l’augmentation des énergies renouvelables dans le mix énergétique, ou des défis du nouveau nucléaire, nous ne pouvons accepter qu’EDF soit à nouveau découpée et le système électrique livré un peu plus aux intérêts privés, en dehors de tout contrôle démocratique.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons demandé ce débat et qui justifient notre opposition au projet Hercule. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat proposé par nos collègues du groupe CRCE concernant l’avenir d’EDF, le contenu du projet Hercule et ses conséquences pour l’entreprise est à la fois opportun en termes de calendrier et légitime dans les interrogations qu’il suscite.

Il est opportun, car des craintes et des doutes sont en train de naître, faute d’informations officielles et de réponses claires de la part d’EDF et du Gouvernement. La presse se fait régulièrement l’écho du projet Hercule sans que nous soyons associés aux réflexions et aux décisions, sans que les salariés comprennent l’avenir qu’on leur trace.

Engagé sur l’initiative du précédent gouvernement, qui avait demandé au groupe EDF de réfléchir à sa propre transformation, le projet Hercule devrait aboutir à une réorganisation profonde des différentes composantes du secteur électrique français que sont les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité exercées par le groupe.

La présentation officielle du projet devait initialement avoir lieu en fin d’année 2019. Elle a été repoussée à de nombreuses reprises, en raison de la prolongation des discussions entre la France et les institutions européennes. Où en est-on, madame la ministre, de ce calendrier ?

Ce débat est opportun également, car toutes les rumeurs courent sur le fond du projet Hercule. Elles sont contradictoires et suscitent de l’inquiétude. Les nouvelles modalités d’organisation proposées suggèrent la création de plusieurs structures, parfois deux, parfois trois. On évoque une EDF Bleue, une EDF Verte, une EDF Azur, chacune reprenant une partie des activités actuelles : le nucléaire, l’hydraulique, le transport d’électricité, la distribution, la fourniture d’électricité, les énergies renouvelables. Le périmètre de chaque entité est également très évolutif.

L’État détient quasiment 84 % du groupe EDF. C’est donc bien à lui de définir les objectifs et les ambitions d’un tel projet de réorganisation. Madame la ministre, quelle est la stratégie du Gouvernement ? Quel cadre, quels objectifs et quelles ambitions avez-vous donnés au projet Hercule ?

Notre débat est également légitime sur le fond. La réorganisation d’EDF suscite de nombreuses interrogations en matière juridique, d’enjeux sociaux pour les salariés et d’avenir pour une entreprise dans un domaine stratégique. J’aimerais en relayer quelques-unes.

Concernant le nucléaire, par exemple, les critiques régulières autour du mécanisme d’accès régulé au nucléaire historique (Arenh) sont une des motivations principales de la réorganisation du groupe.

Celui-ci est fortement endetté, à hauteur de 41 milliards d’euros à la fin de 2019, et il fait face à un mur d’investissement, notamment au titre de la rénovation du parc existant et de la construction de l’EPR de Flamanville. Pour contribuer à ces investissements, une réforme de l’Arenh supposée mieux garantir les revenus d’EDF est sollicitée de longue date.

Le groupe souhaiterait à la fois l’augmentation du tarif de l’Arenh et une refonte du système, afin que les fournisseurs le dédommagent lorsqu’ils recourent au marché de gros.

C’est un enjeu essentiel pour le respect de la concurrence sur le marché de l’énergie, mais aussi, et surtout, pour le maintien d’un prix abordable pour les consommateurs. Cette réforme doit, à notre sens, être concomitante à celle de la réorganisation du groupe. Sans cela, le projet Hercule ne pourra être accepté.

Il faut donc garantir solidement la sécurité juridique en matière de respect du droit de la concurrence et de séparation des activités dans le projet Hercule.

Réformer le marché du nucléaire ne doit pas conduire à un démantèlement du groupe historique français ni à une augmentation des prix de l’électricité en France.

Enfin, d’un point de vue social, la crainte des salariés s’est manifestée lors de deux journées de grève en fin d’année 2020.

Madame la ministre, est-il possible de prendre des engagements sur l’avenir de l’emploi en France dans le secteur de l’énergie ? Comment associez-vous les salariés à cette réorganisation ?

M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Serge Mérillou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, démanteler et privatiser, tels semblent être les maîtres mots du Gouvernement quand il s’agit du sort de nos entreprises publiques. Après Aéroports de Paris (ADP), l’avenir du groupe EDF inquiète…

Le projet Hercule, qui va hypothéquer l’évolution d’un de nos fleurons industriels et mettre à mal notre service public de l’énergie, est la seule proposition que le Gouvernement ait trouvée pour satisfaire aux exigences européennes. Salariés, collectivités territoriales, élus et consommateurs montent au créneau pour exprimer leurs craintes de voir cette entreprise, héritage du Conseil national de la Résistance, démantelée et l’énergie, ce bien commun, soumis aux lois du marché.

Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le devenir des activités hydroélectriques. Ce sujet m’est cher, car mon département compte plusieurs barrages EDF sur la rivière Dordogne.

La Commission européenne a mis la France en demeure d’ouvrir ses concessions à la concurrence pour respecter le droit européen et son propre cadre législatif – il s’agit de la loi de 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, et de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.

Ces textes ont amorcé la dangereuse libéralisation des activités hydroélectriques, alors que nombre de pays de l’Union européenne ont su protéger leurs concessions.

Le groupe socialiste s’était alors fermement opposé à ce processus en déposant une proposition de loi permettant de prolonger les concessions hydroélectriques.

Vous affirmez désormais ne pas souhaiter leur mise en concurrence en les intégrant dans EDF Azur. Quid des concessions qui n’appartiennent pas à EDF ?

Dans les territoires, l’inquiétude monte. La SHEM, filiale d’Engie, pourrait faire l’objet d’une mise en concurrence qui, si elle était actée, menacerait inexorablement sa survie.

L’eau n’est pas un produit quelconque, c’est un bien commun. Les barrages sont acteurs de la gestion de l’eau sur nos territoires. Le tourisme, la pêche, l’irrigation, l’eau potable, la régulation des débits, donc des crues, dépendent directement de leur activité. La mise en concurrence des concessions serait un coup dur pour cette gestion.

Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la filialisation de l’hydroélectricité ne se traduira pas in fine par une sortie de l’hydraulique d’EDF pour faire face aux exigences de la Commission européenne ?

Votre projet de scission d’EDF ouvre à terme une brèche, prélude à une désintégration du groupe, dans une logique purement libérale. Ce n’est pas acceptable pour les membres du groupe socialiste, car nous tenons au service public et à la préservation de l’aménagement du territoire.

Le moment est venu que l’État stratège prenne le pas sur l’État régulateur, voire liquidateur, qui plie devant les diktats de l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons décidé de déposer une proposition de référendum d’initiative partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a soixante-quinze ans, le général de Gaulle affirmait en ces lieux, devant l’Assemblée consultative provisoire : « C’est le rôle de l’État d’assurer lui-même la mise en valeur des grandes sources de l’énergie. »

Dans l’immédiat après-guerre, « le retour à la Nation des sources d’énergie », adopté par le Conseil national de la Résistance, conduisait à la création d’EDF.

Depuis lors, si l’organisation et les activités du groupe ont évolué, celui-ci continue d’occuper une place éminente dans notre politique énergétique et notre activité économique : il constitue un pan incommensurable de notre héritage collectif, auquel les Français sont très attachés.

Avec 165 000 salariés et 49 milliards d’euros de chiffre d’affaires, EDF est un fleuron français et européen dont la construction a pris du temps. Face à l’urgence climatique, le groupe est plus que jamais le garant de notre souveraineté énergétique et le fer de lance de notre transition énergétique.

Dans ce contexte, les réformes du marché de l’électricité engagées par le Gouvernement nous inquiètent tous au plus haut point, sur toutes les travées de l’hémicycle.

Le Gouvernement mène en effet trois négociations auprès de la Commission européenne sur le dispositif de l’Arenh, le groupe EDF et les concessions hydrauliques. Le projet Hercule pourrait conduire à un partage des activités du groupe, que les salariés n’hésitent pas à qualifier de démantèlement en plusieurs filiales : mes collègues ont déjà mentionné EDF Bleu, EDF Vert et EDF Azur.

Ces réformes posent de lourdes difficultés tant dans la méthode adoptée que dans le contenu.

S’agissant de la méthode, tout d’abord, les négociations sont conduites dans la plus grande opacité, excluant tout à la fois parlementaires et élus locaux. Pourtant, dès le mois de juin dernier, la commission des affaires économiques du Sénat avait appelé le Gouvernement à associer le Parlement aux réflexions de l’exécutif.

Au mois de novembre suivant, madame la ministre, vous aviez déclaré devant la même commission : « Si le projet Hercule aboutit, il nécessitera une loi et donnera donc lieu à un débat au Parlement. »

Où en sont donc les négociations avec la Commission européenne ? Quand associerez-vous enfin les parlementaires et les élus locaux à ces négociations ? Quels sont le véhicule juridique et le calendrier envisagés ? Pouvez-vous nous confirmer que ces réformes ne seront pas présentées, au détour d’une lettre rectificative ou d’un amendement, dans les projets de loi Climat ou 4D ?

Madame la ministre, il faut respecter la place du Parlement. Le sujet est important pour l’avenir de l’économie de notre pays et pour notre indépendance énergétique, au service de nos concitoyens.

En ce qui concerne leur contenu, ces réformes soulèvent trois craintes légitimes.

Le premier motif de préoccupation tient au caractère public et intégré du nouveau groupe. Interrogé par la commission des affaires économiques, M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, avait indiqué que la réorganisation devrait respecter « le caractère intégré du groupe ».

Nous attendons du Gouvernement qu’il indique comment il entend garantir l’unicité du groupe. Il doit surtout préciser les activités qu’il souhaite ouvrir aux capitaux privés. Nos élus locaux sont très inquiets face à la perspective d’une éventuelle ouverture à la concurrence du réseau public de distribution d’électricité ou des concessions hydroélectriques.

Le deuxième motif de préoccupation a trait à l’intérêt de ces réformes. Sollicité par la même commission, M. Jean-Bernard Lévy avait affirmé que le but de la réorganisation était « de dégager 2 milliards d’euros supplémentaires chaque année ».

Nous attendons du Gouvernement qu’il précise l’impact financier de ces réformes. Est-ce seulement à la hauteur du « mur de l’investissement » auquel EDF est confrontée ? Avec une dette de 40 milliards d’euros, le groupe doit en effet parvenir à financer, tout à la fois, le grand carénage, les chantiers des EPR ou encore les énergies renouvelables, sans compter la construction des trois nouvelles paires d’EPR à l’étude.

Le dernier motif de préoccupation concerne les répercussions de ces réformes, car elles auront un impact sur les salariés du groupe, sur les concessions des collectivités et sur le prix de l’électricité.

Le Gouvernement doit apporter des réponses claires à la représentation nationale dans tous ces domaines. Il est dangereux de réformer dans le brouillard, sur un sujet aussi sensible, alors que la crise sanitaire est toujours devant nous.

Je tiens à remercier le groupe CRCE, à l’initiative de ce débat sur un sujet stratégique pour nos concitoyens et pour l’avenir de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, nous sommes interpellés directement par les élus et par les salariés d’EDF au sujet du projet baptisé Hercule. Tous pointent le risque que fait peser cette réorganisation à marche forcée sur le service public de l’électricité et sur la transition énergétique.

Madame la ministre, il y a en effet de quoi s’interroger. Dans la mesure où le sujet est stratégique, puisqu’il concerne l’avenir d’un géant de l’énergie, garant de notre souveraineté énergétique, il aurait été normal que vous informiez régulièrement le Parlement, les élus locaux et les acteurs concernés des négociations entamées avec Bruxelles.

Malheureusement, vous avez fait le choix de mener ces tractations dans l’opacité la plus totale, et la représentation nationale n’a pas pu disposer en temps réel des informations auxquelles elle aurait dû avoir accès, puisque celles-ci concernent une entreprise publique et un patrimoine national produisant un bien de première nécessité, l’électricité.

Ces réclamations figuraient déjà dans le rapport d’information sénatorial du 17 juin 2020 sur le plan de relance : « Les sénateurs jugent essentiel que le Parlement soit pleinement associé aux travaux stratégiques de l’exécutif, alors que se profilent plusieurs réformes majeures et notamment au sein du groupe EDF. »

Il aura pourtant fallu attendre l’initiative du Parlement, en l’occurrence de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie, pour que ce débat soit enfin programmé au Sénat.

Madame la ministre, nous nous interrogeons : pourquoi ne pas avoir associé la représentation nationale à ce projet qui touche directement à la souveraineté énergétique de notre pays ?

Pour que le débat sur votre projet de scission et de démantèlement d’EDF ne soit pas confisqué, nous avons décidé, avec d’autres parlementaires, de déposer une proposition de référendum d’initiative partagée.

En effet, nous ne pouvons accepter que notre réflexion sur ce projet ne soit guidée que par des impératifs de mise en concurrence. Nous craignons que cette réorganisation ne conduise à sacrifier les intérêts des salariés, des usagers, des contribuables et in fine de la France, au profit exclusif d’actionnaires privés.

Un autre sujet d’inquiétude majeur concerne la possible privatisation des barrages. Quel sera leur destin ? Là encore, nous n’en savons rien.

Enfin, cette restructuration suscite beaucoup d’inquiétudes quant à son impact social.

Madame la ministre, la représentation nationale a besoin de réponses précises. Pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement des négociations avec la Commission européenne ? Comment comptez-vous préserver les secteurs essentiels et stratégiques pour notre pays afin de préparer une transition écologique qui nécessitera des investissements massifs ? Allez-vous associer la représentation nationale à vos travaux et quel véhicule législatif utiliserez-vous pour soumettre cette réforme au Parlement ? Enfin, comment répondez-vous au désarroi des salariés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2015 et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la Commission européenne réclame l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques françaises exploitées par EDF.

L’hypothèse de mise en concurrence de ces concessions soulève de nombreuses inquiétudes auxquelles ni le Gouvernement ni la Commission n’ont apporté à ce jour de réponse.

Outre leur fonction de production d’électricité, les barrages jouent un rôle essentiel dans l’aménagement du territoire. N’y a-t-il pas un risque à faire passer la rentabilité de ces concessions avant les usages agricoles, touristiques et d’irrigation qui font vivre nos territoires ?

Les conséquences du changement climatique affectent déjà nos ressources en eau. Étant donné l’intérêt stratégique de cette ressource vitale, notre pays ne devrait-il pas plutôt affirmer et défendre sa souveraineté nationale en la matière ?

L’entretien de ces ouvrages est un élément essentiel pour la sécurité des populations. La multiplication d’opérateurs ne risque-t-elle pas de compliquer le travail du gestionnaire de réseau de transport d’électricité, RTE, ou de son successeur, au risque d’augmenter les risques de blackout ? Rappelons en effet que ces ouvrages permettent de gérer les pointes de consommation, mais aussi d’approvisionner nos centrales nucléaires en cas de besoin urgent de refroidissement des réacteurs !

Enfin, cette ouverture à la concurrence ne risque-t-elle pas de faire gonfler le prix de l’électricité française ? Des exploitants privés seront certainement tentés de maximiser leurs profits au détriment des consommateurs.

Lors d’un précédent débat, Mme Élisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique et solidaire, a reconnu devant cette assemblée que la situation de notre pays était unique en Europe. En effet, les pays voisins ne sont pas soumis, de par leurs régimes spécifiques, à la même obligation de mise en concurrence de leurs exploitations hydroélectriques.

La conséquence absurde de cette situation, c’est que la France, voulant faire figure de bonne élève aux yeux de la Commission européenne, se retrouverait seule en Europe à ouvrir ses concessions à la concurrence. Le groupe EDF, champion national, perdrait ainsi une part importante de son activité.

Consciente de cette situation, votre prédécesseur avait mentionné des hypothèses de travail visant à éviter la mise en concurrence de nos barrages, grâce notamment à la création de structures publiques à 100 %.

Ces propos font forcément écho aux derniers scénarios du projet Hercule évoqués dans la presse. La création d’une filiale EDF Azur spécialisée dans l’hydroélectricité pourrait, selon le statut qui lui sera donné, jouer ce rôle de structure publique à 100 % permettant d’éviter la mise en concurrence. Encore faut-il que l’intention y soit…

Au cours des derniers mois, madame la ministre, mes collègues parlementaires vous ont régulièrement interpellée sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques françaises. Chaque fois, vous vous êtes contentée d’indiquer que les discussions avec la Commission européenne étaient en cours, et vous vous êtes réfugiée derrière la mise en demeure faite à la France pour ne pas répondre.

Cette situation ne peut plus durer. Nos concitoyens ont besoin et ont le droit de savoir quelle politique mène ce gouvernement. Travaillez-vous à l’arrivée de nouveaux exploitants dans notre pays au nom du libéralisme, ou bien êtes-vous partisane de la défense de notre souveraineté nationale ?

Mes collègues ont été nombreux à vous interroger sur l’état d’avancement des discussions avec la Commission européenne. Je vous demanderai seulement de préciser votre position : êtes-vous oui ou non favorable à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques françaises ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce soir, dans l’hémicycle, nous parlons de l’avenir d’un opérateur historique et d’un fleuron national, mais aussi de l’avenir de notre pays. Le sujet dépasse le champ de nos mandats et les clivages politiques, car nous avons tous à cœur de construire un avenir meilleur.

M. Fabien Gay. Pas de la même manière !

Mme Barbara Pompili, ministre. J’ai entendu trop de contre-vérités dans ce débat, et je vais essayer de les corriger. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. Fabien Gay. Ça commence bien !

Mme Barbara Pompili, ministre. Comme le Président de la République l’a réaffirmé, le 8 décembre dernier, au Creusot, la France a fait le choix d’un mix électrique décarboné avec une part de nucléaire. Nous prenons désormais massivement le tournant des énergies renouvelables. Nous faisons le choix de la résilience et de la transition vers un mix électrique plus équilibré, ce dont je me réjouis.

Nous empruntons cette voie en responsabilité, pour atteindre la neutralité carbone tout en diversifiant notre approvisionnement, comme vous l’avez voté, et pour nous doter d’une économie écologique.

La France figure déjà parmi les pays les plus vertueux dans la lutte contre le changement climatique. Un Français émet en moyenne 20 % de gaz à effet de serre en moins qu’un Européen et 35 % en moins qu’un Allemand. Notre pays dispose d’une électricité décarbonée, socle sur lequel nous pouvons développer la mobilité électrique comme la production d’hydrogène non issu des fossiles.

M. François Bonhomme. Grâce au nucléaire…

Mme Barbara Pompili, ministre. Un tel constat ne doit cependant pas nous empêcher de regarder vers l’avenir. La performance française est le fruit de l’histoire, de choix politiques inscrits dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui.

Le débat aura lieu en son temps sur l’évolution du mix de notre production d’électricité. Ce n’est pas le sujet de ce soir.

En revanche, j’ai entendu les craintes que vous avez exprimées, et qui sont parfaitement légitimes, tout autant que les interrogations et les doutes, dès lors que l’enjeu porte sur un fleuron français.

En tant que ministre de l’écologie et de l’énergie, je tiens à rappeler que, à l’heure où nous parlons, partout en Europe, les concurrents d’EDF montent en puissance sur les énergies renouvelables, sur cette grande révolution qu’est l’hydrogène, mais aussi sur l’efficacité énergétique et le stockage.

M. Fabien Gay. Et donc ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Je le dis tout net : le Gouvernement refuse que la France et EDF soient reléguées au second plan de cette bataille, faute d’avoir su adapter notre régulation aux évolutions des marchés de l’énergie.

Ce serait le prix de l’immobilisme, de l’attentisme, et je le refuse !

M. Fabien Gay. Donc, vous privatisez !

Mme Barbara Pompili, ministre. Il y va, et vous en avez parlé, de notre souveraineté, de notre rayonnement, et il y va encore une fois, tout simplement, de l’avenir de notre pays.

Alors, oui, EDF doit être un champion mondial de la transition écologique et énergétique. C’est mon engagement et celui du Gouvernement, et c’est ce que je suis venue rappeler ce soir.

M. Fabien Gay. Voilà un bon discours libéral !

Mme Barbara Pompili, ministre. Atteindre cette ambition, cela demande de regarder la réalité en face, toute la réalité.

M. Fabien Gay. Ah oui ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Quelle est-elle ? Aujourd’hui, les cadres de régulation ne sont pas adaptés. Ils ne permettent pas à EDF de relever cette ambition ; ils ne lui donnent pas les moyens suffisants pour investir, notamment dans les énergies renouvelables.

M. Jean-Claude Tissot. À qui la faute ?

Mme Barbara Pompili, ministre. D’un côté, s’agissant du nucléaire, le tarif historique, l’Arenh, qui permet à tous les fournisseurs d’acheter la production nucléaire à un prix régulé, a certes rempli un rôle en permettant qu’émerge une concurrence dans la fourniture d’électricité (Eh oui ! sur les travées du groupe CRCE.) et que les Français puissent choisir librement leur contrat. Les fournisseurs alternatifs assurent désormais la commercialisation de 40 % des volumes d’électricité.

M. Fabien Gay. Mais pas la production !

Mme Barbara Pompili, ministre. C’est juste !

Ce dispositif, créé en 2010, ne permet pas de garantir correctement la couverture des coûts et des investissements nécessaires au fonctionnement du parc nucléaire existant. Son prix n’a plus été révisé depuis 2012 et, vous le savez comme moi, le nucléaire a un coût. Beaucoup d’entre vous ont parlé d’un mur d’investissement. La sécurité aussi a un coût ; la maintenance, l’entretien, la modernisation ont un coût.

M. Fabien Gay. La sous-traitance !

Mme Barbara Pompili, ministre. De l’autre côté, la régulation de l’hydroélectricité, à laquelle vous êtes très attachés, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, est aussi dépassée. Notre pays doit faire face à deux contentieux européens et, disons-le clairement, cela nous met aujourd’hui dans une situation de blocage qui empêche d’engager de nouveaux développements et la modernisation de nos installations, qui en ont bien besoin.

M. Jean-Claude Tissot. C’est faux !

Mme Barbara Pompili, ministre. Nous devons, là aussi, évoluer, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’électricité produite par les barrages d’EDF, il s’agit aussi, et vous l’avez mentionné, de la gestion d’une ressource rare et de plus en plus précieuse, l’eau.

Oui, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est exact, le Gouvernement a engagé une réflexion et ouvert une discussion avec Bruxelles, en lien étroit avec l’entreprise, afin de donner à EDF tous les moyens d’assumer son rôle dans la transition de notre pays.

Très concrètement, cela veut dire, d’abord, garantir le financement du parc nucléaire existant et donc réformer les conditions de vente de sa production. Oui, je crois qu’EDF doit être rémunérée à hauteur des coûts qu’elle supporte. D’ailleurs, monsieur le sénateur Gay (M. Fabien Gay sexclame.), que j’ai écouté avec attention sans l’interrompre, notre projet de régulation du nucléaire vise précisément à garantir la couverture des coûts et la rémunération du parc nucléaire, et ce quelles que soient les évolutions de prix sur les marchés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce serait une garantie très forte, inédite à cette échelle en Europe, qui assurerait à EDF le fait de disposer des ressources financières suffisantes pour faire face aux dépenses liées à l’exploitation du parc existant, y compris le remboursement de la dette qui y est attachée.

Oui, les consommateurs français doivent être protégés contre les variations imprévisibles des prix de gros, avec un prix de l’énergie nucléaire existant, stable et prévisible ne fluctuant pas au gré des variations de marché. À ce titre, je veux rassurer Mme la sénatrice Saint-Pé : l’évolution de l’organisation du groupe n’aura aucun impact sur l’existence des tarifs réglementés et la péréquation ne sera pas remise en cause.

Mme Céline Brulin. Si ce n’est pas une contre-vérité !

Mme Barbara Pompili, ministre. C’est avec ces deux principes au cœur que nous poursuivons la discussion.

De même, nous entendons mettre un terme aux contentieux sur les concessions hydrauliques d’EDF, car notre objectif est simple : conforter le parc hydraulique en permettant à EDF de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence.

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Barbara Pompili, ministre. Alors, vous le voyez, nous ne cachons rien : rien de nos ambitions, et rien de notre exigence. Bien sûr, certains voudraient faire croire que la discrétion qui préside à tout type de négociation avec Bruxelles est le signe d’un complot, pour je ne sais quel résultat. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. Fabien Gay. Nous n’avons jamais dit cela !

Mme Barbara Pompili, ministre. Je le redis devant vous, notre seul mandat, notre unique exigence sont d’aboutir à cette évolution majeure de la régulation, parce qu’elle est en faveur d’EDF, de la protection du consommateur, de notre politique énergétique, et que notre pays a tout à y gagner.

Comme nous n’avons rien à cacher, je le dis avec la plus grande clarté, ces évolutions, si nous arrivons à un accord, nécessiteront une modification de certaines des structures internes du groupe. La Commission sera attentive à la manière dont les activités de production régulée seront organisées par rapport aux autres activités du groupe.

M. Fabien Gay. Nous y voilà !

Mme Barbara Pompili, ministre. Mais laissez-moi être claire jusqu’au bout, car ce soir, comme depuis le début de ce projet, trois contre-vérités continuent à être professées.

Non, nous n’allons pas dépecer EDF, comme vous le prétendez.

Mme Barbara Pompili, ministre. Non, nous n’allons pas non plus démanteler le groupe.

M. Jean-Claude Tissot. Mais bien sûr que si !

Mme Barbara Pompili, ministre. Oui, évidemment, nous préserverons le statut des salariés, auxquels je veux ce soir rendre hommage et que je veux rassurer.

M. Fabien Gay. C’est pour cela qu’ils sont en grève !

Mme Barbara Pompili, ministre. Ce dont nous parlons ce soir, c’est bien de la nécessité de doter EDF d’une structure à même de pérenniser ses activités, d’accroître ses perspectives de développement et de financer sa croissance pour assurer le financement des parcs nucléaire et hydroélectrique, tout en constituant un grand champion des nouveaux métiers de la transition.

Avec ce projet, les parcours professionnels des personnels d’EDF seront préservés ; le statut des industries électriques et gazières sera préservé et l’ensemble des activités restera détenu très majoritairement par EDF, dans le cadre d’un groupe public et intégré. Je rappelle que l’actionnariat privé existe déjà dans EDF.

M. Fabien Gay. Nous le savons !

Mme Barbara Pompili, ministre. Il pourrait être question, par exemple, de prévoir des plafonds ; cela fera partie du débat. Oui, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, EDF est une entreprise publique et le restera ; cela fait partie de l’ADN du groupe et même, je crois, d’une part de l’ADN français.

Nous n’en sommes qu’au début de ce chantier. À ce stade, nous ne sommes pas encore parvenus à un accord global avec la Commission européenne et les échanges se poursuivent. Cela prend du temps, mais c’est aussi parce que le Gouvernement tient bon sur les points essentiels du projet et que nous voulons qu’il soit solide.

Si cette négociation ouvre le champ des possibles, je le dis devant vous, jamais elle ne se substituera à la voix des élus de la Nation ni à l’indispensable discussion parlementaire sur l’avenir d’EDF avant toute réforme. Je vous confirme que cette discussion ne se fera pas dans le cadre d’un projet de loi Climat et Résilience ou d’un projet de loi 4D ; il y aura un texte spécifique sur ce sujet.

De même, une réorganisation ne peut se faire qu’en débattant et en décidant dans le cadre des instances de gouvernance du groupe, avec les partenaires sociaux. Je m’y engage, car je crois que ce débat à venir, beaucoup plus qu’une obligation légale ou politique, est le gage de la meilleure décision pour le pays.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire ce soir. Loin des rumeurs, loin des contre-vérités, loin des peurs, avec ce projet, nous entendons donner à EDF les moyens de rester le premier électricien bas-carbone d’Europe, en sécurisant le financement de son parc historique et en dégageant les moyens nécessaires pour devenir un champion de la transition énergétique. Nul démantèlement, nul dépeçage, nulle remise en cause du statut des salariés ne sont au programme : c’est bien à assurer l’avenir de la transition énergétique de la France que le Gouvernement travaille, et vous pouvez compter sur ma totale détermination.

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel avenir pour l’entreprise EDF avec le projet Hercule ? »

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 19 janvier 2021 :

À neuf heures trente :

Trente-six questions orales.

À quatorze heures trente et le soir :

Proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, présentée par Mme Dominique Estrosi Sassone et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 262, 2020-2021) ;

Proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage, présentée par M. Patrick Chaize, Mme Sylviane Noël, M. Alain Chatillon et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 266, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures cinquante-cinq.)

 

nomination de membres de deux missions dinformation

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, les listes des candidatures préalablement publiées sont ratifiées.

Mission dinformation sur lévolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation dune partie des Français

Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Viviane Artigalas, MM. Serge Babary, Arnaud Bazin, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Vincent Capo Canellas, Alain Duffourg, Mme Dominique Estrosi Sassone, Annick Jacquemet, Annie Le Houerou, Anne-Catherine Loisier, Viviane Malet, MM. Jean-Jacques Michau, Philippe Mouiller, Mmes Raymonde Poncet Monge, Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, M. Stéphane Sautarel, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, MM. Jean Sol et Dany Wattebled.

Mission commune dinformation chargée dévaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions dactivités

M. Jean Michel Arnaud, Mme Esther Benbassa, M. Henri Cabanel, Mmes Laurence Cohen, Catherine Deroche, MM. Fabien Genet, Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Muriel Jourda, MM. Roger Karoutchi, Michel Laugier, Martin Lévrier, Franck Menonville, Alain Milon, Olivier Paccaud, Sebastien Pla, Mmes Sophie Primas, Évelyne Renaud-Garabedian et Sylvie Robert.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER