M. Philippe Bas, rapporteur. Nous aussi !
M. Jean Louis Masson. J’estime que le programme du président Macron pour sa campagne présidentielle comprenait, en matière électorale, d’excellentes choses.
Certaines de ces propositions ne peuvent plus être mises en œuvre aujourd’hui, mais il s’agissait malgré tout d’engagements du Président de la République. Je pense en particulier à la réduction du nombre de parlementaires – c’est une bonne chose, je l’ai toujours dit, même avant les élections. Il est dommage que l’on ne puisse plus y revenir.
Cela dit, il y avait d’autres engagements du Président de la République, comme l’introduction d’une dose de proportionnelle dans les scrutins. Là encore, j’ai toujours été très favorable à cette évolution ; sur ce point – c’est d’ailleurs assez rare –, je suis tout à fait d’accord avec François Bayrou, le président du MoDem ; cela m’arrive de temps en temps. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, pour une fois, je suis d’accord avec lui !
Le Bulletin quotidien d’hier, lundi 25 janvier, rapporte ainsi ses propos : « Moi, je n’ai pas l’habitude de renoncer à ce que je considère comme essentiel. Je déplore, une nouvelle fois, la brutalité du scrutin majoritaire, dans lequel ni le pluralisme ni l’équité ne sont respectés. »
Il a, je crois, tout à fait raison et, en lisant la presse, j’ai appris qu’il avait l’intention de profiter des débats sur ce projet de loi à l’Assemblée nationale pour essayer, sinon de faire évoluer le texte, du moins de soulever le problème. Je profite donc, quant à moi, de cette intervention pour vous dire qu’il y a aussi des sénateurs qui sont pour ; il y en a également qui sont contre, je vous rassure, madame le ministre.
Il y a un dernier point, à propos des élections en général et des élections régionales en particulier, auquel tient considérablement M. Bayrou, c’est la banque de la démocratie…
Mme le président. Mon cher collègue, pourriez-vous mieux positionner votre masque, s’il vous plaît ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER.)
M. Jean Louis Masson. Bien sûr, madame la présidente.
C’était un engagement très fort et c’est une réflexion importante dans une démocratie, surtout en période d’épidémie ; en effet, dans une telle période, celui qui a peu de moyens sera beaucoup plus pénalisé que celui qui a en a beaucoup. En période d’épidémie, l’argent joue, dans les campagnes électorales, un rôle encore plus important qu’habituellement. C’est extrêmement préoccupant.
La moindre des choses serait que tout candidat puisse souscrire un emprunt, sans discrimination entre les candidats. J’ai personnellement vécu ce problème pendant les élections européennes. Il y avait des discriminations très fortes et non liées à la probabilité de remboursement, puisque des partis ayant un très gros potentiel électoral n’ont pas pu emprunter auprès des banques, tandis que d’autres, qui ont certes atteint le seuil de 5 %, seuil d’éligibilité et de remboursement, mais sans le dépasser de beaucoup, n’ont eu aucune difficulté.
Ainsi, un certain nombre de problèmes mériteraient d’être examinés. D’où cette proposition de renvoi en commission.
Pour terminer, je veux vous dire, madame le ministre, que ce qui se passe aujourd’hui au Gouvernement présente des aspects très positifs ; j’y reviendrai ultérieurement. J’ai notamment beaucoup apprécié la position du Premier ministre, M. Castex, qui a pris ses responsabilités,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Ah ?
M. Jean Louis Masson. … de manière très courageuse, sur un dossier qui concerne les régions et le découpage régional, donc les élections régionales : la question de l’Alsace. En effet, samedi dernier, M. Castex a été très courageux en Alsace. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’y reviendrai. Il faudrait également avoir une réflexion sur l’organisation des grandes régions, qui sont démesurément grandes ; j’ai déposé des amendements à ce sujet.
Tout cela vient à l’appui de ma motion de renvoi en commission.
M. Philippe Bas, rapporteur. Notre collègue présente une motion de renvoi en commission, mais, comme il n’appartient plus à la commission des lois, il n’a pas pu mesurer directement à quel point les travaux de celle-ci ont été approfondis. Je veux donc en témoigner et en remercier notre président et chacun de nos collègues. Par conséquent, il ne me semble pas indispensable de renvoyer le texte en commission.
Néanmoins, le mérite de cette motion est qu’elle vous aura permis, mon cher collègue, de défendre, dans le détail, chacun de vos amendements, ce qui est susceptible de nous faire gagner du temps dans la suite de la discussion. (Sourires et applaudissements sur diverses travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Si seulement !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cette motion, madame la présidente.
Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 49, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, nous sommes amenés à examiner le report de scrutins à venir, en l’espèce, le renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, afin d’assurer la plus complète protection de nos concitoyens et le meilleur fonctionnement possible de nos institutions.
Nous prenons cette décision avec, en toile de fond, plusieurs incertitudes sanitaires : l’émergence de différents variants, qui affectent la rapidité des contaminations à la covid-19, la saturation possible des hôpitaux et la perspective, rendue publique jeudi dernier par le ministre de la santé, d’une vaccination pour tous à la fin de l’été.
Malgré ces très grandes incertitudes, notre démocratie tient le cap et nous avons tout intérêt à agir avec calme et pragmatisme pour aborder ces échéances électorales. Ce projet de loi témoigne que l’organisation des deux scrutins départementaux et régionaux pourra se tenir avec trois mois de décalage, sans préjudice majeur.
Nous souscrivons pleinement au projet de report des élections à juin 2021 et au retour au droit commun du calendrier électoral, avec l’organisation des prochains scrutins locaux en mars 2028. Nous sommes également favorables à un protocole sanitaire renforcé, à la possibilité de recevoir deux procurations, à l’augmentation des plafonds de campagne, à la possibilité de reporter le vote des budgets des départements et des régions et au dépôt différé des comptes de campagne. Ce sont des mesures de bon sens.
Nous proposons, si vous l’acceptez, monsieur le président de la commission, d’évaluer, à l’automne prochain, les difficultés liées à l’article R. 44 du code électoral relatif au nombre d’assesseurs tenant les bureaux de vote ; le recours à des assesseurs payés par les collectivités est une charge supplémentaire pour celles-ci et l’État se grandirait en la compensant a posteriori.
Je dois le préciser, le groupe du RDSE est attaché à la tenue de ces élections en juin 2021, parce que les échelons départementaux et régionaux ne sont pas des antichambres de l’élection présidentielle. Pierre Mauroy le disait, la décentralisation n’est pas qu’une démarche administrative, qu’un dispositif institutionnel ; c’est un souffle, un élan pour l’unité de la République, pour sa cohésion et l’efficacité de son action.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Notre République a besoin de conseillers départementaux renouvelés, de conseillers régionaux renforcés et de relais, d’élus de proximité qui puissent affronter ensemble les crises sociales, économiques, sanitaires et territoriales. En particulier, les conseillers départementaux ont, entre leurs mains, des missions de solidarité et de proximité quotidiennes. À ce titre, j’apprécierais que l’État prenne en charge, dès le mois de mai, des campagnes institutionnelles pour rappeler le rôle de ces conseillers.
Certes, nous sommes sous la Ve République, mais l’échéance présidentielle doit-elle pour autant tourner à l’obsession ? Je ne le crois pas et le Sénat non plus. L’enjeu majeur de ces deux scrutins est, selon nous, l’organisation de réelles campagnes électorales ; c’est à nous qu’il revient de rendre ces élections attractives, afin de rompre ce que Pierre Mendès France appelait l’« indifférence démocratique ».
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Il s’agit de ne pas se retrouver, comme en mars dernier, avec des conseillers élus par un socle trop faible d’électeurs, faisant ainsi le lit, sur les réseaux pas si « sociaux », d’un populisme évoquant des manipulations, des élections tronquées…
Qui peut se contenter d’être élu par 20 % de ses électeurs et, dans ces conditions, mener sereinement un projet municipal ? Nous plaidons donc pour que chaque candidat ait la possibilité de mener une campagne en dehors de son canapé. Gaston Monnerville l’affirmait déjà, lorsqu’il était président du Sénat, dans un discours de 1962 : rien ne saurait remplacer « la discussion, l’affrontement des thèses diverses, l’examen approfondi des conséquences probables des décisions prises, méthode sans laquelle il n’y a ni démocratie véritable ni stabilité possible des institutions ».
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Voilà notre objectif ; l’indifférence démocratique ne se combat pas à coups de votes par correspondance.
Pour autant, rien ne nous interdit de penser à l’avenir. Une trop grande majorité de jeunes ne postent plus de lettres et ne viennent même pas voter. En mars 2028, nos concitoyens auront depuis longtemps, je l’espère, l’accès à la téléphonie mobile dans toute la France ; c’est loin d’être le cas actuellement. Nous pourrions ainsi nous donner collectivement pour objectif de rendre le vote électronique possible et pleinement sécurisé pour ce scrutin.
Le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec la plus grande humilité et la plus grande prudence que nous devons aborder l’examen de ce texte. En effet, à l’heure où nous parlons, nous ne savons pas réellement ni de façon définitive quelle sera la situation sanitaire de notre pays au mois de juin prochain et pendant les mois qui précéderont, au cours desquels se déroulera la campagne électorale et s’organiseront les élections. J’y reviendrai.
Bien évidemment, madame la ministre – cela a été dit –, il faudra tout mettre en œuvre pour que, le jour du vote, il y ait du gel hydroalcoolique dans les bureaux de vote et pour que la distanciation physique soit respectée ; comment pourrait-il en être autrement ? Cela dit, avouons-le, tant le 15 mars que le 28 juin 2020, ce n’était pas forcément au sein des bureaux de vote que le risque de contracter la maladie était le plus fort.
Cette crainte s’ajoute à une crise politique, à une crise de défiance qui traverse notre démocratie, élection après élection. Nous devons y apporter des réponses, tant pour les élections départementales et régionales à venir que, plus largement, pour les élections suivantes. Oui, nous pensons qu’il faut répondre à cette exigence démocratique et sortir du slogan, de la posture incantatoire consistant à affirmer que la démocratie ne peut pas être confinée. Nous devons tout mettre en œuvre pour que ces élections puissent se tenir en juin prochain.
D’abord, ces élections locales – les élections départementales et régionales – sont importantes quant aux politiques publiques que les institutions concernées mènent et aux services qu’elles rendent aux citoyens du matin au soir, tout au long de leur vie. (Brouhaha persistant sur les travées du groupe SER.)
Je suis désolée, mes chers collègues, je ne m’entends même plus parler, pourtant je parle fort…
Mme le président. Mes chers collègues, je vous demande instamment de respecter les orateurs et de cesser vos discussions privées. Lors de l’intervention de Mme la ministre, le niveau sonore était déjà difficilement supportable.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Je vous remercie, madame la présidente.
Il faut entretenir la vitalité de la démocratie locale, parce que les collectivités ont été et sont toujours fortement mobilisées dans cette période de crise sanitaire et parce que – M. le rapporteur l’indiquait – repousser ces élections à une date postérieure à l’élection présidentielle nuirait à la nature même de ces institutions.
Madame la ministre, sans vouloir vous faire de procès d’intention, je veux vous alerter : nous ne pourrions pas envisager un report des élections locales si celles-ci ne pouvaient pas se tenir au mois de juin prochain pour des raisons sanitaires, tout en constatant la tenue d’un référendum à l’automne. Si la situation sanitaire ne permettait pas de maintenir ces élections en juin prochain, nous nous trouverions dans une situation de report excessif. Là est toute l’exigence de ce projet de loi, qui ne vise pas simplement à reporter la date de ces élections.
Notre formation politique l’a dit lors de son audition par M. Debré, et je l’ai répété lors de mon propos liminaire en commission des lois : permettre à des élections de se tenir, cela signifie bien sûr sécuriser le processus le jour du vote, mais cela implique également de sécuriser la campagne électorale.
L’ensemble des candidats, potentiels ou supposés, l’ensemble des formations politiques, en tout cas celles qui contribueront à la vitalité du débat démocratique dans les semaines et dans les mois à venir, ont déjà anticipé la question ; elles réfléchissent aux moyens d’adapter les modalités de cette campagne. Ainsi, autour du 1er avril, ce sera bien la capacité d’assurer l’égalité entre les sortants et les autres candidats qu’il nous faudra évaluer.
Selon nous, l’article 2 ne peut pas se limiter à une simple « clause de revoyure » ; il s’agit bel et bien d’une démonstration des mesures mises en œuvre, par le Gouvernement, pour répondre à ce besoin de démocratie.
Je termine en indiquant que nous nous félicitons que l’examen en commission ait permis d’améliorer ce texte, lequel n’est pas qu’un texte de fatalité, de simple report des élections ; il vise à une meilleure organisation des élections départementales et régionales, dans un cadre garantissant la sécurité sanitaire de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Didier Marie applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la date retenue fait consensus et vous disiez votre détermination, madame la ministre, à voir les élections se tenir en juin.
Reste à savoir si les modalités du vote seront compatibles avec les risques sanitaires que nous connaissons ; à ce sujet, nous pouvons nous en remettre à l’expérience des collectivités, puisque, depuis mars 2020 et encore plus depuis l’automne dernier, nous y voyons beaucoup plus clair et on a gagné en expérience.
Le Sénat propose d’ajouter l’avis du comité scientifique sur les modalités des élections et demande que l’on sollicite les conseils de ce comité pour l’organisation de la campagne ; c’est l’objet de l’article 2. En effet, c’est la principale question : comment cette campagne se déroulera-t-elle face à la crise qui a conduit le Gouvernement à mandater le président Debré pour étudier les conditions d’organisation ou de report des élections ?
Je partage le sentiment que le président de Régions de France a pu exprimer dans Le Journal du dimanche : nous avons besoin d’une respiration démocratique. En revanche, la petite musique, que l’on cherche à instiller, selon laquelle « on » – l’exécutif –, voudrait profiter de la crise sanitaire pour enjamber les prochaines échéances locales me semble infondée. Notre rapporteur le rappelait précédemment : alimenter cette musique serait alimenter le fantasme d’une manipulation politique et jeter l’opprobre sur l’ensemble du personnel politique, nous compris.
Lors de son audition, le président Debré faisait part de sa sympathie pour Léon Blum ; je ne prendrai quant à moi que peu de risques en citant Pierre Mendès France : « La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral. »
J’ajoute que ce soupçon n’existerait pas si les échéances régionales et présidentielle étaient enfin totalement décorrélées ; quarante ans après les lois Defferre, la France n’a pas totalement donné à ses régions et à ses départements une identité locale propre. Nous ne pouvons que souhaiter que ces élections cessent de conforter ou de sanctionner une politique nationale. À titre personnel, je souhaite ardemment que la France se pose la question d’une journée entière consacrée aux scrutins locaux dans leur ensemble.
L’option proposée dans le rapport Debré consistant à reporter à la fin du mois de juin 2021 les élections régionales et départementales a fait l’objet d’un large consensus politique. La commission des lois y a donc souscrit, en apportant quelques modifications substantielles, notamment sur le calendrier. Notre rapporteur l’a précisé, ce report respecte tant les principes que la jurisprudence constitutionnels, en ayant pour objectif d’intérêt général de préserver les électeurs et les candidats face à la covid-19.
La commission a souhaité modifier l’article 1er du projet initial en proposant également un autre calendrier que celui proposé par le Gouvernement pour les échéances ultérieures. Celui-ci prévoyait de tenir les élections régionales et départementales en décembre 2027, afin de revenir, à partir de mars 2033, à un calendrier classique. La solution de la commission, qui consiste à décaler les élections à mars 2028, permet de revenir plus rapidement au droit commun sans percuter d’autres élections.
Le rapporteur a souhaité ajouter au projet de loi l’article 1er bis, qui permet aux électeurs de disposer de deux procurations, avec la possibilité, à titre dérogatoire, de voter dans une autre commune que celle du mandant. Le Gouvernement a émis des réserves sur ces mesures. Il craint, pour la première, l’occurrence de fraudes – ce risque ne nous semble pas totalement avéré, au regard des élections municipales de juin dernier, lors desquelles cette double procuration était autorisée – et, pour la seconde, il ne s’y oppose pas tant sur le principe que sur ses modalités. Nous adhérons à l’idée de faciliter la participation et de l’encourager grâce à ces dispositifs.
En ce qui concerne l’article 2 du projet de loi initial, qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport du comité scientifique, la commission des lois du Sénat, craignant sans doute que cette « clause de revoyure » puisse fonder un potentiel report des élections après juin prochain, a proposé une rédaction plus sécurisée.
M. le rapporteur l’écrit d’ailleurs : « La situation sanitaire reste d’ailleurs très incertaine. Reporter les élections régionales et départementales en juin 2021 pourrait même paraître optimiste : l’immunité collective ne devrait pas être atteinte à cette date, malgré la campagne engagée pour vacciner la population. » Toutefois, nous souhaitons que les élections aient lieu, que la vie démocratique s’exerce normalement et que l’on ne crée pas de difficultés constitutionnelles.
Nous allons par ailleurs adapter, à raison, cet après-midi, l’article 4 du texte, relatif aux règles de propagande et de financement électoral, afin que les campagnes puissent se dérouler dans de bonnes conditions d’égalité entre candidats et de sincérité du scrutin.
L’article 5, introduit par le rapporteur, vient utilement compléter le dispositif précédent, en octroyant un délai supplémentaire aux candidats pour le dépôt de leurs comptes de campagne. À l’article 6, que nous avons ajouté, il nous est proposé d’instituer une campagne audiovisuelle sur certaines chaînes du service public pour les prochaines élections régionales. Nous comprenons l’utilité démocratique d’une telle intention pour sensibiliser nos concitoyens au rôle des régions et des départements et donc aux enjeux de leur renouvellement. Les difficultés matérielles que rencontrerait évidemment France Télévisions pour la mise en œuvre de cette mesure et le coût que celle-ci représente nous semblent tout à fait surmontables.
Enfin, la commission a introduit, en adoptant des amendements de notre collègue Catherine Di Folco, les articles 8 et 9, utiles aux collectivités locales concernées ; un délai supplémentaire leur est octroyé pour adopter les budgets primitifs et les comptes administratifs ; ces collectivités disposeront donc d’une plus grande souplesse et de davantage de sérénité dans leur préparation budgétaire.
Le groupe Union Centriste soutiendra le projet de loi dans la rédaction issue de son examen par notre commission des lois, afin que les élections régionales et départementales se tiennent en juin 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le principe démocratique de notre République est consacré par la Constitution de 1958. Alors que nous examinons ce projet de loi, deux questions se posent : l’épidémie justifie-t-elle de suspendre la démocratie et sous quelles conditions le report d’une élection est-il démocratique ?
À la première question, la réponse du Président de la République a été claire. Le 13 avril 2020, il a déclaré : « Cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie ». Voilà pour le discours.
Passons désormais aux actes : quand le report des élections est-il démocratique et sous quelles conditions ?
Pour répondre à cette question, il convient de se référer aux principes habituels de notre droit : la sincérité, l’égalité, la proportionnalité des mesures au regard du motif d’intérêt général et la périodicité du scrutin ; autant de butoirs qui permettent de faire obstacle aux manipulations. Faire fi de ces principes constituerait un danger pour la démocratie.
Un consensus se dessine pour reporter les élections à juin 2021, mais non au-delà.
Face à la crise sanitaire, les pays ont réagi de manière complètement adaptée. De nombreuses démocraties maintiennent leurs scrutins électoraux : les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne en 2020 et, plus récemment, le Portugal, malgré le confinement, ainsi que, prochainement, les Pays-Bas, la Finlande, Israël, l’Écosse, la Palestine et, de nouveau, l’Allemagne.
En France, à la suite des élections municipales de 2020 et après la publication du rapport de Jean-Louis Debré, un consensus s’est dessiné pour faire en sorte que les élections départementales et régionales soient reportées au mois de juin prochain, mais non au-delà.
Avant même la rédaction de ce rapport, quelques voix avaient déjà évoqué l’éventualité d’une modification du calendrier électoral, en arguant qu’un report des élections départementales et régionales au-delà de l’élection présidentielle permettrait de mettre en œuvre plus facilement le plan de relance. Si l’on en juge par les récentes déclarations de Jean-Louis Debré, cette hypothèse a été mise de côté dès le départ.
Toutefois, cette possibilité revient régulièrement dans certains discours, car la situation sanitaire empêcherait non seulement la tenue des élections, mais encore l’organisation de la campagne. Or cela pose un véritable problème constitutionnel, du point de vue de la loyauté et de la périodicité raisonnable du scrutin. Sur le plan politique, cette sorte d’inversion du calendrier électoral traduirait, encore une fois, la dérive de nos institutions, dans lesquelles tout procéderait de l’élection d’un monarque républicain. Un tel report briserait le consensus politique et reviendrait même à s’interroger sur la volonté du Gouvernement.
L’objectif est donc de maintenir ces élections. Le report « sec » n’est donc pas une solution. Pourquoi en sommes-nous là ? Tout simplement parce que le Gouvernement fait tout pour nous mettre face au choix entre le report et la construction d’une abstention électorale. Il ne propose rien, sinon le report sec ; il va même jusqu’à repousser certains aménagements proposés par la commission des lois.
Ainsi, nous allons de report en report : report des municipales, légitime à l’époque, report des élections partielles et report, désormais, des élections régionales et départementales ; jusqu’où ? Le report n’est pas une solution en soi, parce que nous ne disposons pas d’informations sur la façon dont la pandémie évoluera. C’est une solution de facilité et ne prévoir aucune autre solution est d’autant plus déconcertant que l’exécutif évoque lui-même la tenue d’un référendum…
Contrairement au collègue qui m’a précédé à la tribune, je pense que la question est justement de savoir si l’exécutif souhaite vraiment que ces élections se tiennent.
En outre, il est évident que, si l’élection présidentielle se tenait cette année, nous aurions déjà adopté des dispositions. Les élections locales semblent donc être considérées comme des élections de second ordre.
Par ailleurs, que compte faire ce gouvernement pour anticiper l’échéance de 2022, voire celle d’un référendum ?
Enfin, sommes-nous le seul pays du monde à ne pas savoir adapter notre droit électoral ?
La démocratie est un bien essentiel et il faut maintenir son bon fonctionnement ; telle est notre position.
Suspendre la démocratie pendant une épidémie, c’est renoncer au fait que la temporalité est aussi un substrat et un des piliers de la démocratie. Les Français n’ont pas seulement le droit d’aller travailler et de faire leurs courses, ils ont aussi la possibilité, sinon le devoir, d’exprimer leur opinion. Les moments de démocratie électorale sont des moments d’expression d’autant plus nécessaires que les espaces habituels de prises de parole sont actuellement mis sous cloche. En période de pandémie, la démocratie n’est pas un inconvénient, bien au contraire !
Comme dans d’autres pays, le report des élections doit être mis à profit pour prévoir des dispositifs permettant d’assurer la continuité démocratique et l’intégrité électorale. C’est le moment d’anticiper et de préparer. Les propositions des parlementaires n’ont pas manqué depuis un an et nous en reprenons quelques-unes aujourd’hui.
Tout d’abord, s’agissant de la capacité à faire une campagne officielle dans les médias, nous considérons que cette avancée est une bonne chose. Elle a d’ailleurs été reprise par la commission des lois.
Je souhaite également souligner l’adoption en commission de l’amendement de Jean-Pierre Sueur relatif à la nécessaire publication des marges d’erreur dans les sondages d’opinion.
Enfin, il est vrai que la démocratie ne se réduit pas au vote. Mais sans vote, il n’y a pas de démocratie. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements pour permettre à chacun de voter et pour lutter contre le risque d’une abstention massive qui nuirait à la légitimité des élus.
C’était l’occasion de réintroduire le vote par correspondance. Bien entendu, il est tard pour mettre en place cette option qui a déjà été introduite seize fois dans cet hémicycle, par des propositions de lois ou d’amendements. Et comme nous la reportons sans cesse, il n’est jamais temps de la mettre en place, alors même que nous la concevons comme un complément du vote à l’urne.
Le vote anticipé permet, dans les pays où il est utilisé, une plus grande participation, ainsi qu’une répartition utile en période de crise sanitaire. C’est ainsi le cas au Portugal où le vote anticipé a été multiplié par cinq lors des élections qui viennent de se dérouler.
S’agissant des doubles procurations, nous en avons déjà exposé les faiblesses : elles sont contraires aux standards internationaux, à l’égalité du scrutin et au secret du vote. Elles sont également socialement inégalitaires. Pour autant, puisque c’est pratiquement l’unique aménagement qui sera potentiellement retenu, nous nous abstiendrons sur ce point.
Enfin, nous serons attentifs à la clause de revoyure fixée au 1er avril. Le périmètre a été utilement recentré par le rapporteur qui a également souhaité responsabiliser le Gouvernement en la matière.
Nous voterons donc ce texte, parce qu’il constitue un consensus électoral, tout en formulant le souhait que de nouveaux aménagements soient prévus.
Bien entendu, nous le votons parce qu’il dispose d’un report uniquement au mois de juin prochain. Plus tard, cela créerait des soucis, pas seulement constitutionnels.
Les décisions que nous prenons façonnent, aujourd’hui et demain, la santé de notre démocratie. Je nous souhaite donc, en guise de vœux de début d’année, de veiller à sa bonne santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)