Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le secrétaire d’État, ma question concerne les difficultés des pêcheurs de la côte ouest du département de la Manche, depuis l’abrogation, à la surprise générale, du traité de la baie de Granville, à la suite des accords du Brexit.
Signé en juillet 2000, ce traité entre la France et le Royaume-Uni réglementait la pêche à proximité de Jersey et faisait de ce secteur transfrontalier une entité juridique unique permettant de se partager la mer entre voisins.
De moins en moins nombreux, les bateaux français sont soumis à des réglementations restrictives : leur accès est encadré par des conditions de licence, de matériel et de quotas.
La proximité géographique entre Jersey et les côtes normandes est un cas unique et non délocalisable. Les bateaux qui pêchent dans les trois à douze milles forment une flotte composée de petites unités qui ne peuvent pêcher plus au large. L’accès à cette zone leur est donc indispensable.
Dès le mois de janvier, des inquiétudes ont vu le jour et il a été décidé d’une période de cent vingt jours, jusqu’au 30 avril, pour trouver un accord. Cependant, plusieurs incidents ont émaillé les relations avec Jersey.
Les licences données jusqu’alors par le comité de pêche sont désormais délivrées par Jersey aux bateaux pouvant justifier d’un nombre de dix jours de pêche. Sur 340 bateaux recensés, 57 ont obtenu leur licence. Les autres ne disposent que de licences provisoires expirant au 1er mai 2021.
À la suite d’un nouveau revirement de la Commission européenne, la débarque de bulots pêchés par des bateaux jersiais est interdite pour un pays tiers, car ces coquillages sont prélevés dans des eaux classées en B. Alors que les pêcheurs normands pêchent ces produits dans les mêmes eaux et débarquent sans problème, les bateaux de Jersey sont refoulés vers Ouistreham ou Saint-Malo, causant un préjudice économique aux ports de Granville et de Carteret.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d’État, cette situation n’est pas tenable et nos pêcheurs ne doivent pas être les grands sacrifiés sur l’autel de l’accord du Brexit.
Qu’entendez-vous faire pour remédier à cette profonde injustice, qui pourrait déboucher sur une situation sociale et économique explosive ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Sur le sujet des licences, madame la sénatrice, deux choses sont importantes : il convient d’obtenir, à court terme, les licences les plus complètes ou les plus nombreuses possible. Pour la zone économique exclusive, nous les avons obtenues jusqu’au 30 avril. Pour les îles anglo-normandes, nous les avons également obtenues jusqu’au 30 avril. Nous devons encore les obtenir, et ce le plus vite possible, pour la bande des six à douze milles, qui concerne avant tout les Hauts-de-France.
Au-delà du 30 avril, c’est le point que vous souleviez, nous devrons évidemment nous engager dans un système de licences stables et d’autorisations durables, pour la période qui court jusqu’à la fin du mois de juin 2026. Avec Annick Girardin, nous exerçons une forte pression sur la Commission, en particulier sur le commissaire à la pêche, pour que ce système soit défini rapidement.
Toutes les autorisations valables jusqu’au 30 avril entreront rapidement dans la deuxième phase de négociation, dans le but de les prolonger.
S’agissant du traité de la baie de Granville, vous le savez, l’accord global entre l’Union européenne et le Royaume-Uni permet, pour être très précis, deux options : soit la renégociation d’un nouvel accord, soit son prolongement. Nous avons jusqu’au début du mois d’avril pour faire part de l’option que nous privilégions et, le cas échéant, négocier ensuite.
Nous voulons évidemment préserver le maximum, voire l’intégralité, de l’acquis de l’accord de la baie de Granville, que cela se fasse par un accord spécifique ou par un complément à l’accord global avec le Royaume-Uni. Nous serons vigilants à maintenir le même niveau d’accès par les licences et par l’accord ultérieur.
Sur le sujet de réglementation sanitaire très spécifique des mollusques bivalves, il est exigé, pour les pays tiers, un passage supplémentaire en bassin de purification. Dans la mesure où le Royaume-Uni est devenu pays tiers, nous devons respecter cette exigence. Un changement de notre réglementation sanitaire serait difficile à comprendre. Nous cherchons, avec la Commission européenne, le moyen de ne pas perturber cet approvisionnement, la situation que vous avez décrite étant à notre détriment, notamment pour les deux ports que vous avez cités, mais également au détriment du Royaume-Uni.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d’État, le programme Erasmus+ ne fait pas partie de l’accord de commerce et de coopération négocié avec le Royaume-Uni. Cette volonté de dernière minute des Britanniques, nous ne pouvons que la regretter. Erasmus est l’un des symboles de la réussite européenne, c’est l’esprit de notre volonté de vivre ensemble.
Depuis toujours, pour le Royaume-Uni, l’adhésion et la participation à l’Union européenne coûtent trop cher. Selon les Britanniques, Erasmus ne fait pas exception, particulièrement parce qu’ils accueillaient deux fois plus d’étudiants qu’ils n’en envoyaient dans le reste de l’Union européenne. On peut s’interroger légitimement sur le coût réel de l’accueil de participants Erasmus dans nos pays et son impact sur les économies nationales. C’est ce qu’a fait l’Autriche dans un rapport de recherche publié en juin 2018. Le résultat est sans appel : Erasmus est bénéfique pour les pays d’accueil. Plus intéressant encore, l’analyse conclut même que la balance économique est positive quand il y a plus de participants entrants que de participants sortants.
Nous devrions encore voir des participants britanniques et européens bénéficier d’Erasmus+ jusqu’en 2023, le temps que la programmation 2014-2020 soit achevée. Mais la suite est incertaine, ce qui n’est pas sans morceler le Royaume-Uni lui-même. Le pays a décidé de développer son propre programme, le Turing Scheme, qui se veut concurrent, mais ne prévoirait pas l’accueil d’étudiants étrangers. Il concernerait 35 000 étudiants dès septembre 2021, pour un montant de 100 millions de livres. Les moyens alloués paraissent insuffisants en comparaison d’Erasmus+.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les cas de l’Écosse et du Pays de Galles, qui ont manifesté leur intérêt pour continuer à participer au programme Erasmus+ ? L’Irlande du Nord semble déjà avoir trouvé une solution. Comment cela peut-il fonctionner, en particulier dans la situation de tension autour du protocole nord-irlandais ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la sénatrice, je ne reviens pas sur ce que j’ai dit sur le programme Erasmus. Vous avez rappelé mieux que je ne l’ai fait son importance et son impact économique positif, même quand il se traduit par un plus grand nombre d’« entrées » que de « sorties » étudiantes.
Nous ne nous résignons pas à ce que la situation reste ainsi avec le Royaume-Uni. Mais notre priorité, c’est que le programme Erasmus+ se développe sans le Royaume-Uni, grâce à un doublement de ses financements.
Le gouvernement britannique a mis en place plusieurs programmes. Vous avez cité le Youth Mobility Scheme, qui est une réponse potentielle au point évoqué par Olivier Cadic sur les volontaires internationaux en entreprise (VIE), cadre dans lequel nous pourrions réintégrer une possibilité d’accès. Vous avez également évoqué le programme Turing, qui permettrait aux étudiants britanniques de partir en mobilité internationale.
Nous pourrons avoir cette discussion bilatérale, mais je crois que c’est aujourd’hui aux Britanniques de préciser leurs intentions sur leur volonté ou non d’avoir une coopération universitaire avec nous. Dans le cadre de nos échanges bilatéraux, nous pourrons renforcer d’autres dispositifs spécifiques, comme celui des Young Leaders ou des bourses Fulbright, que nous menons avec les États-Unis.
Nous examinons toutes ces options. Un choix politique malheureux visant à se désengager d’un programme européen a été fait par le Royaume-Uni. Essayons désormais de consolider notre programme et tentons ensuite de « rattraper », si les Britanniques en ont la volonté, cette coopération.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, quelques semaines après l’entrée en vigueur du Brexit, les inconnues et les questionnements sont encore légion. Parmi les causes de ce choix du peuple britannique, la question migratoire a joué un rôle important. Or, malgré les promesses des tenants de la sortie de l’Union européenne, le départ du Royaume-Uni ne signifie pas la fin de l’immigration sur son sol, car nous savons que les considérations légales pèsent peu face à la détermination des personnes migrantes.
Les chiffres le prouvent : en 2020, plus de 9 500 passages ou tentatives de passage de la Manche ont été recensés, soit quatre fois plus qu’en 2019. Dans ce cadre, on déplore au moins six morts et trois disparus. La mise en œuvre d’une politique migratoire orientée avant tout vers la sécurité humaine est donc absolument nécessaire, ma collègue Gisèle Jourda l’a parfaitement rappelé.
L’accord dont nous discutons aujourd’hui passe pourtant sous silence l’ensemble de ces questions. Le règlement de Dublin ne s’appliquant plus au Royaume-Uni, l’incertitude prévaut quant à la gestion du renvoi de migrants illégaux vers l’Union européenne. Les conditions de regroupement familial pour les mineurs non accompagnés restent aussi en suspens. Quel est l’avenir des accords de Sandhurst de 2018 ? Faute d’un cadre de regroupement clair, ces mineurs prennent aujourd’hui de gros risques pour traverser la Manche.
Cette nouvelle situation illustre davantage encore l’ineptie de la politique migratoire communautaire et ravive nos inquiétudes. Nos interrogations portent sur deux points.
Entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, quels mécanismes de coopération régiront les flux migratoires et le renvoi des migrants illégaux ? Entre le Royaume-Uni et la France, dans la mesure où la sécurisation massive des frontières ne dissuade personne de faire la traversée et ne fait que menacer des vies humaines, comment envisager une coopération future dans le respect des droits humains fondamentaux, notamment dans le cas de renvois systématiques vers la France ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, nous ne sommes plus dans le cadre, en vertu du Brexit, des règles de Dublin, ce qui signifie qu’un certain nombre d’accords bilatéraux continuent à s’appliquer. Je pense aux accords du Touquet, au protocole de Sangatte ou à l’accord de Sandhurst sur les mineurs isolés. Nous pourrons les adapter, je reviendrai sur ce point.
Il n’y a plus de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni à cet égard. De deux choses l’une, soit nous souhaitons donner la priorité à la coopération Union européenne-Royaume-Uni pour prolonger ou adapter les règles de Dublin, soit nous commençons, l’un n’excluant pas l’autre dans la durée, par une discussion bilatérale. La France étant concernée au premier chef par ce sujet, cette dernière option semble aujourd’hui la plus pragmatique.
Dans les mois qui viennent, nous devrions, en lien avec nos partenaires européens, proposer au Royaume-Uni un accord dupliquant ou adaptant les règles de Dublin en matière de reconduite. Surtout, il conviendra de renforcer, au-delà de l’application de ces règles de reconduite, la coopération bilatérale qui nous unit au Royaume-Uni, pas seulement par les accords et protocoles que j’ai signalés, mais par des coopérations très opérationnelles. Je pense à celles que Priti Patel et Gérald Darmanin, les deux ministres de l’intérieur, ont conclues à la fin du mois de décembre, afin d’éviter les traversées de la Manche en renforçant nos moyens communs. Ces traversées ont quadruplé entre 2019 et 2020. En les empêchant, nous sommes à la fois plus efficaces dans la lutte contre l’immigration illégale et plus humains, parce que nous empêchons des drames.
Nous avons refusé, comme le Royaume-Uni l’avait proposé, des interceptions en mer qui seraient humainement extrêmement dangereuses. Nous nous refusons à retenir une telle option. En revanche, nous sommes prêts à mener toutes les discussions nécessaires pour adapter sous une forme bilatérale le système de Dublin et pour renforcer notre coopération opérationnelle en matière migratoire avec le Royaume-Uni.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, vous venez d’évoquer les accords bilatéraux franco-britanniques. Toutefois, le dernier accord de novembre 2020 contre les tentatives de traversée de la Manche est un échec. Vous le dites vous-même, les traversées sont en augmentation constante.
On le voit bien, en matière de migrations, la politique européenne ne fonctionne pas. Nous continuons de faire l’autruche, de ne pas vouloir voir. À un moment donné, il faudra regarder les choses en face et en tirer les conséquences.
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons rester dans l’inaction. Nous devons continuer à discuter avec le Royaume-Uni.
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons pu observer ces dernières années un soutien actif et une contribution substantielle du Royaume-Uni à la mise en place d’une stratégie européenne de cybersécurité.
L’expérience et l’expertise de ce pays dans le domaine de la cybersécurité sont largement respectées en Europe, le Royaume-Uni allant jusqu’à se positionner parfois en chef de file sur certains projets majeurs.
Le Royaume-Uni a également permis une belle avancée en Europe dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité, en fournissant du personnel et de l’expertise à Europol et à l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information, l’Enisa.
Enfin, il a également efficacement travaillé avec les pays européens partageant sa vision, celle qui consiste à rechercher clairement la responsabilité de certaines grandes cyberattaques récentes, en encourageant d’autres pays à nommer les groupes responsables, parfois même les États commanditaires, mais aussi celle qui recherche une sanction à la hauteur des crimes commis.
Désormais, avec un Brexit effectif, la stratégie de sécurité nationale du Royaume-Uni, qui reposait jusqu’à présent, sur trois piliers – relations privilégiées avec les États-Unis, qualité de membre de l’OTAN et statut d’État membre de l’Union européenne –, devrait évoluer. En effet, l’affaiblissement du dernier pilier risque de se faire mathématiquement au profit des deux premiers, même si nous espérons que cela ne se passera pas ainsi, surtout dans le contexte international actuel, où le risque en matière de cybersécurité est plus important que jamais.
Monsieur le secrétaire d’État, bien que nous ayant déjà rassurés sur de nombreux points en commission, pourriez-vous nous dire si le Royaume-Uni a sollicité une invitation à participer à certaines activités de l’Enisa, notamment en matière de renforcement des capacités, connaissances et informations, ainsi que de sensibilisation et d’éducation, comme le prévoit l’accord ?
Le cas échéant, des contacts ont-ils déjà pu être mis en place entre Londres et l’Enisa, afin d’évoquer les contours de cette future participation ? Qu’en sera-t-il de la participation britannique aux exercices de cybersécurité menés en Europe, comme l’exercice Cyber Europe, organisé par l’Enisa, qui alimente la coopération entre les États européens ?
Enfin, plus généralement, par rapport au fonds Brexit, ce fameux fonds d’ajustement de 5 milliards d’euros, pourriez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, la position de la France dans le cadre des négociations ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je serai bref sur la partie relative à la cybersécurité, ayant déjà donné quelques éléments. Vous ajoutez toutefois un point important sur la relation du Royaume-Uni avec l’agence européenne Enisa après le Brexit. À ma connaissance, à ce jour, le Royaume-Uni n’a pas encore sollicité de coopération avec l’agence, comme il a la possibilité de le faire aux termes de l’accord. À ce stade, la participation du Royaume-Uni à l’exercice de cybersécurité de 2022 n’est donc pas prévue, mais, s’il en fait la demande, il peut encore nous rejoindre.
S’agissant du fonds d’ajustement, la France a soutenu sa création pour les secteurs et les régions les plus touchés par l’impact du Brexit, notamment le secteur de la pêche. Cinq milliards d’euros ont été prévus pour les deux prochaines années dans la programmation budgétaire européenne. Nous discutons actuellement des critères et, je le dis très clairement, à ce stade, ils ne sont pas satisfaisants pour la France, car l’enveloppe dont nous bénéficierions, tous secteurs confondus, serait trop limitée. Nous parlons de plusieurs centaines de millions d’euros, ce n’est pas négligeable, mais nous devrions être mieux dotés. Nous y travaillons.
Le secteur de la pêche est la priorité de ce fonds d’ajustement, tous États membres confondus. Mais, là encore, il nous semble que les critères devraient mieux rendre justice à l’impact du Brexit sur la pêche française.
En complément de ce fonds d’ajustement, je veux souligner aussi que le Gouvernement, par la voix d’Annick Girardin, a présenté un plan de soutien de court, moyen et long terme au secteur de la pêche. Ce plan a commencé à être mis en œuvre partiellement, mais, pour l’être complètement, il doit être autorisé par les autorités européennes, et Annick Girardin et moi-même y travaillons en urgence.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le secrétaire d’État, afin de répondre à la crainte de dumping économique que pourrait exercer le Royaume-Uni au détriment de l’Union européenne, l’accord du 24 décembre comporte des garanties sur la concurrence loyale en matière de commerce et d’investissement. Je rappelle les deux principales, celle de non-régression en matière sociale, qui pourrait viser notamment le projet britannique de réforme du temps de travail, et celle concernant les principes de bonne gouvernance dans le domaine fiscal.
On ne peut que souscrire à ces clauses protectrices pour l’Europe. Mais il faut reconnaître aussi que l’on a rarement vu des mesures aussi contraignantes et dures dans un accord de libre-échange. Nous n’en demandons pas autant à la Chine, par exemple.
En outre, certains États membres de l’Union, comme les Pays-Bas ou l’Irlande, offrent des accords de complaisance fiscale à des multinationales pour les attirer sur leur sol. Sur le plan social, là aussi, chacun joue sa propre partition. Le salaire mensuel minimum, par exemple, est de 312 euros seulement en Bulgarie. Le Parlement européen s’est d’ailleurs prononcé, le mois dernier, pour un salaire minimum européen.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : l’Union européenne est-elle prête à s’attaquer plus frontalement aux logiques fiscales et sociales concurrentielles qui s’affrontent à l’intérieur de l’Union européenne, comme elle le fait à l’égard du Royaume-Uni, devenu un État tiers ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur Guérini, vous avez raison, cet accord, dans sa dimension économique et commerciale, qui en constitue le cœur, comporte des avancées très substantielles sur la vérification du respect de nos règles, qu’il s’agisse des contrôles à l’entrée sur le territoire de l’Union européenne ou plus largement du respect de l’ensemble des niveaux de réglementation européenne. Ces principes doivent servir de modèle, me semble-t-il, pour les futurs accords commerciaux.
En interne, au sein de l’Union européenne, nous devons également être lucides, le risque de compétition existe. Déjà présent avant le Brexit, il demeure, et nous devons renforcer nos propres standards sociaux et fiscaux.
C’est la bataille que nous avons engagée sur le travail détaché depuis 2017, avec une directive qui limite les possibilités ou la durée des détachements. J’espère que nous aurons dans les prochaines semaines un accord supplémentaire sur un règlement dit de sécurité sociale qui permettra de renforcer la lutte contre la fraude, notamment contre les sociétés « boîtes aux lettres », responsables d’une large partie du détachement en Europe. Si ces standards s’appliquent à l’Union européenne, nous serons capables de les faire respecter dans le cadre de notre relation économique avec le Royaume-Uni.
En matière fiscale, c’est sans doute plus difficile encore, car la règle de l’unanimité s’applique, mais sur des sujets très concrets, comme la taxation du numérique, nous pouvons malgré tout obtenir une juste taxation dans les mois qui viennent, en espérant que cet exemple ouvrira la voie à plus de convergence fiscale. Même si cela reste à confirmer, le Royaume-Uni figure toujours parmi les États ambitieux en matière de taxation des entreprises numériques. Tant mieux !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le secrétaire d’État, si l’accord sur le Brexit a permis d’éviter le no deal tant redouté, notamment grâce à la pugnacité de Michel Barnier, notre négociateur, le secteur de l’industrie financière demeure le grand oublié de l’accord, alors même que c’est un domaine d’activité primordial outre-Manche.
Dans ce cadre, j’appelle tout particulièrement votre attention sur une thématique bien spécifique, celle des chambres de compensation. Créées après la crise des subprimes en 2008, ces institutions servent d’intermédiaires entre les acheteurs et les vendeurs de titres financiers. Sur un marché financier, toutes les opérations transitent par ces dernières, dont le rôle est de garantir la bonne tenue des transactions en assurant le règlement et la livraison des titres. Or la plupart de ces chambres, ou du moins les plus influentes, se trouvent au Royaume-Uni, désormais considéré comme un pays tiers.
En effet, nous le savons tous, Londres reste une place financière incontournable, y compris pour l’Union européenne. L’autorité de supervision de ces chambres de compensation et leur réglementation posent problème, car de nombreux échanges de l’Union européenne transitent par des chambres londoniennes qui se voient appliquer le droit britannique. Une éventuelle faillite d’une chambre de compensation londonienne aurait de lourdes conséquences financières et économiques pour l’Union européenne.
Cette situation m’appelle à vous poser deux questions, monsieur le secrétaire d’État.
Premièrement, si le règlement EMIR – European Market Infrastructure Regulation – pose un cadre pour les chambres européennes, qu’en est-il pour les chambres de compensation basées au Royaume-Uni ?
Deuxièmement, quelles actions le Gouvernement mène-t-il face à cet angle mort de l’accord post-Brexit ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, le sujet des chambres de compensation et des services financiers en général est évidemment majeur, compte tenu de leur rôle dans l’économie britannique, de l’importance de la place de Londres, mais aussi de leur impact économique systémique, selon l’expression consacrée. C’est donc un domaine dans lequel nous conservons, à l’égard du Royaume-Uni comme des autres pays tiers, une capacité de décision unilatérale, à travers cet outil appelé « décision d’équivalence », qui reste toujours entre nos mains, de caractère provisoire et révocable.
Pour les chambres de compensation en particulier, au regard de leur concentration au Royaume-Uni et de leur importance pour la continuité des services financiers, à la fin de l’année 2020, la Commission européenne avait donné une équivalence courant jusqu’à la mi-2022, permettant l’accès de nos opérateurs aux chambres de compensation britanniques. D’ici là, nous devons faire deux choses que vous évoquiez dans votre référence au règlement EMIR, monsieur le sénateur.
D’abord, en l’assumant pleinement, nous devons encourager tout mouvement de relocalisation des chambres de compensation, car c’est un véritable élément de souveraineté financière de l’Union européenne. La relocalisation ne sera sans doute jamais complète, et elle ne se fera pas d’un seul coup, mais nous devons l’encourager dans cette période de transition que permet l’équivalence jusqu’en 2022. Nous y travaillons avec les autres grandes places financières européennes, notamment celles d’Allemagne.
Ensuite, nous devrons nous demander si le Royaume-Uni garde le même niveau d’encadrement et de régulation de ses chambres de compensation. Ce sera en effet la condition sine qua non d’un éventuel prolongement de la décision d’équivalence au-delà de l’été 2022.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le secrétaire d’État, l’incursion de l’Union européenne dans le domaine de la pêche s’était initialement développée avec l’ambition commune d’une pêche durable, innovante et compétitive. Elle était née de la volonté d’assurer la pérennité des pêcheries et de garantir des revenus et des emplois stables aux pêcheurs.
Je souhaite à mon tour vous faire part de mes inquiétudes sur les négociations inachevées du volet pêche dans les accords du Brexit. Ce dernier affecte en effet plus de 600 navires français, dont les prises en eaux britanniques représentent 30 % du chiffre d’affaires.
Pas moins de 92 % des pêcheurs britanniques auraient voté pour le Brexit. Compte tenu de leur insatisfaction et de leur volonté de retrouver une totale souveraineté sur leurs eaux, je crains que le secteur de la pêche ne soit sacrifié au profit d’autres domaines. Le saut dans l’inconnu que représente l’après-30 juin 2026 est préoccupant.
Quelques semaines après l’entrée en vigueur de l’accord, nous percevons déjà une oscillation dans son application. Je pense ici au cas des îles anglo-normandes et à la perte de droits historiques séculaires applicables entre nos deux pays, qui nous donne un avant-goût de ce que pourraient devenir nos relations en termes de pêche à partir du 1er juillet 2026.
Monsieur le secrétaire d’État, indépendamment de votre plan d’engagements à court terme, ma question est double. Après cette période de transition, ne doit-on pas redouter une diminution significative de l’accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques ? À ce jour, quelle est l’avancée des négociations entre nos pays pour l’accès aux eaux britanniques territoriales et à celles des îles anglo-normandes ?