Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Lorsque j’ai été élu dans cette assemblée, voilà quelques mois, des élus locaux de mon territoire, des professionnels de santé, des responsables associatifs, des amis, ma famille m’ont dit espérer que je porterais ici la voix de l’amour, de la tendresse, de la bienveillance à l’égard de celles et de ceux qui ne sont plus en mesure d’exprimer quoi que ce soit, qui sont infirmes et qui ne se reconnaissent plus dans la vie qu’ils ont eue, incapables qu’ils sont d’accomplir les choses essentielles de la vie et d’avoir des relations avec les autres.
J’ai en tête l’image que je me faisais du Sénat, à savoir une assemblée dans laquelle on pouvait, de temps à autre, sur des sujets de société, sur des questions concernant les collectivités locales, trouver des consensus qui dépassent les clivages, les a priori et les idéologies. Je pense que c’est possible sur ce sujet.
Il est, selon moi, de notre responsabilité d’entendre les familles, mais aussi les équipes, non seulement de médecins, mais aussi celles qui travaillent dans les Ehpad, dans les centres de rééducation pour personnes victimes d’accidents de la vie dramatiques. Toutes ces équipes ont besoin que le cadre législatif évolue. En effet, cela a été dit, le cadre actuel ne permet pas de répondre de manière bienveillante et adaptée à toutes les situations auxquelles elles sont confrontées.
C’est la raison pour laquelle je souhaite, mes chers collègues, que nous puissions laisser la possibilité au Gouvernement et à la majorité à l’Assemblée nationale, le moment venu, de s’emparer du texte que nous pourrions voter ici. Nous devons continuer à avancer ensemble dans un souci de dignité, de fraternité et, surtout, d’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Médevielle, Menonville et Chasseing, Mmes Paoli-Gagin et Mélot et MM. Lagourgue et Capus, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er.
La loi Claeys-Leonetti, votée en 2016, a déjà profondément modifié les dispositions applicables en matière d’accompagnement de la fin de vie. Cependant, il est globalement reconnu que cette loi n’est pas encore suffisamment bien appliquée. En conséquence, il semble plus judicieux de s’attacher à la faire appliquer plutôt que de modifier les dispositions déjà applicables, mais non encore appliquées. Je le répète, dans de nombreux cas, cette loi est largement suffisante.
J’ajoute que, dans notre pays, qui est en avance par rapport à d’autres où rien n’est prévu, on peut mettre fin à ses jours sans se rendre ni en Suisse ni en Belgique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure. Cet amendement tend à supprimer l’article 1er de la proposition de loi et donc à ne pas inscrire dans la loi le droit à l’aide active à mourir.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant que, à titre personnel, je suis contre la suppression de cet article, car, si la loi Claeys-Leonetti n’est pas suffisamment et uniformément appliquée sur le territoire, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte des lacunes. Elle n’offre pas de réponse satisfaisante dans certaines situations dans lesquelles les patients ne peuvent pas bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès parce qu’ils ne remplissent pas les critères, comme l’imminence du décès, par exemple. Dans ces conditions, les patients sont contraints soit de se rendre à l’étranger, soit de se résigner à une dégradation inéluctable et gravement incapacitante de leur état de santé, ce qui est source d’angoisse.
Toutefois, en ma qualité de rapporteure de la commission des affaires sociales, je me dois de dire que, la commission étant globalement opposée au texte, elle a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Je remercie l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui se sont exprimés en parole sur l’article 1er. Ce débat est légitime, important, intéressant. Les arguments ont pu être posés. Vous connaissez la position du Gouvernement, que j’ai présentée lors de la discussion générale.
Il y a un point sur lequel nous sommes d’accord, c’est la faible connaissance de loi Claeys-Leonetti et les difficultés à l’appréhender. J’ai eu la chance de travailler sur ce texte, à l’époque où j’étais député…
M. Rachid Temal. Socialiste !
M. Olivier Véran, ministre. … oui, socialiste ! (Sourires.) Ce n’est pas un gros mot, monsieur Temal, je vous rassure. (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre !
M. Olivier Véran, ministre. J’ai annoncé un cinquième plan de développement des soins palliatifs, car il est nécessaire d’avancer dans ce domaine. J’ai vu que cette annonce avait été appréciée.
J’ai également annoncé que nous voulions accélérer le processus pour rendre plus disponible le Midazolam en ville, de manière non pas à faciliter, mais à rendre possible, dans les situations qui le nécessitent, la sédation profonde et terminale, y compris en dehors de l’hôpital, au domicile des personnes.
Au fond, la question que vous posez, madame la sénatrice de La Gontrie, avec cette proposition de loi, va un peu au-delà de celle à laquelle répond la loi Claeys-Leonetti. Elle est la suivante : que faire quand la vie que nous vivons est devenue tellement insupportable que nous préférons la mort ?
L’un de mes professeurs à la faculté de médecine disait qu’on ne peut pas vouloir la mort, puisque, par essence, l’homme n’est pas constitué pour vouloir ce qu’il ne connaît pas. Les considérations religieuses peuvent laisser imaginer qu’il se passe des choses après la mort, mais la mort reste pour beaucoup l’inconnu.
Cela étant, on peut foncièrement et fondamentalement ne plus vouloir vivre la vie que l’on mène lorsque celle-ci est devenue trop insupportable.
Se posent donc deux questions différentes : est-ce que je veux mourir ou est-ce que je ne veux plus vivre la vie devenue insupportable que je vis aujourd’hui ? C’est à cette seconde interrogation que la loi Claeys-Leonetti apporte des réponses. Avec cette loi, il n’y a pas de solution qui ne puisse être apportée à un patient qui serait en souffrance physique, morale, absolument violente, irrémédiable, irréversible. Cette loi permet d’aller jusqu’à la sédation profonde et terminale.
On peut certes discuter de savoir si le fait d’être placé dans le coma, privé d’alimentation, est une façon plus ou moins respectable – pardon pour les mots que j’utilise ! – de soulager une souffrance que d’injecter un produit dans le cœur.
Encore une fois, je ne me positionne pas du côté de la morale et j’évite avec soin de revêtir la blouse de médecin que j’ai pu porter comme neurologue. J’ai d’ailleurs été moi-même confronté à de terribles situations, comme d’autres ici, qui ont fait part de leurs expériences. J’ai annoncé des diagnostics de maladies de Charcot, de sclérose latérale amyotrophique, des accidents vasculaires cérébraux extrêmement graves. J’ai été en lien avec des familles qui, parfois, demandaient que l’on abrège les souffrances d’un de leurs proches incapable d’exprimer ce besoin lui-même.
Il est évident que la situation est moins conflictuelle pour les médecins lorsque des directives anticipées ont été rédigées. Cela étant, il m’est aussi arrivé d’être confronté à des situations dans lesquelles les proches contestaient les directives anticipées. Dans tous les cas, il reste absolument nécessaire d’apaiser l’entourage, la famille, qu’il s’agisse de la fratrie, des parents, des enfants. La disparition de quelqu’un, lorsqu’elle est accompagnée par une décision des proches, fait aussi peser sur ces derniers une forme de responsabilité. Ce n’est pas simple ; c’est même très difficile.
Je me souviens d’un patient assez âgé, hémiplégique à la suite d’un AVC qui avait extrêmement abîmé la moitié de son cerveau. Il avait perdu la parole et ne la retrouverait jamais. Il avait fallu demander à sa femme si nous devions le transférer en réanimation, où il resterait éventuellement quatre ou cinq semaines dans le coma, l’espoir qu’il retrouve un peu de vigilance étant faible, ou si nous devions tout arrêter. Telles sont les questions qui se posent au quotidien pour les soignants.
Nous connaissons tous des couples de personnes âgées qui se disent qu’ils refuseront d’être lourdement handicapés et qu’ils se laisseront partir lorsque la fin de vie arrivera. En réalité, les choses sont plus complexes, car la mort, ou la pré-mort, ne frappe que très rarement à la porte. Souvent, les gens sont victimes d’accidents brutaux, vasculaires ou cardiaques, qui les laissent dans une situation de handicap très sévère, irréversible, que l’on ne peut pas anticiper.
Il faut donc apporter des réponses multiples, renforcer les soins palliatifs et mieux faire connaître la loi Claeys-Leonetti, fruit d’un consensus très fort entre la droite et la gauche, porté par deux grandes personnalités politiques, Alain Claeys et Jean Leonetti.
Je ne dis pas que l’on est arrivé au bout du bout de la démarche, mais, objectivement, dans l’immense majorité des situations, lorsqu’elle est appliquée, cette loi répond aux problématiques rencontrées.
L’autre question, à laquelle vous semblez vouloir répondre par cette proposition de loi, madame la sénatrice, est la suivante : peut-on choisir les conditions et le moment de sa mort ? Évidemment, je peux comprendre que l’annonce d’un plan de développement des soins palliatifs ne réponde pas à cette question, qui est de nature différente.
Cette question, encore une fois, est elle aussi très légitime, mais elle nécessite un débat sociétal. Elle traverse notre société, année après année, décennie après décennie. Des pays qui étaient allés très loin dans l’autorisation du suicide assisté et de l’euthanasie sont un peu revenus en arrière, après avoir été confrontés à des situations qu’ils n’avaient pas suffisamment anticipées, notamment lorsque des mineurs ont été concernés. De telles situations ont provoqué un énorme émoi populaire, les gens se demandant si l’on n’était pas allé trop loin.
Je le répète, je ne me positionnerai jamais, en tant que ministre, sur le terrain de la morale. En revanche, je considère que, malgré tout le sérieux du travail qui a été effectué et l’ancienneté de la réflexion, les conditions pour aborder ce sujet ne sont pas réunies, a fortiori dans une proposition de loi, compte tenu du contexte épidémique que nous connaissons et de la sensibilité particulière, en ce moment, de la population à l’égard des personnes âgées, notamment dans les Ehpad et dans les services de réanimation. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
J’ajoute que le Gouvernement ne peut être favorable à une réforme qui n’a pas été présentée aux Français dans le cadre d’une campagne présidentielle… (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
J’ai le droit de vous faire part de ma position, mesdames, messieurs les sénateurs. Ayant été élu député démocratiquement et nommé ministre de ce gouvernement, je considère que, sur un sujet de société aussi grave que celui-ci, les Français doivent être informés préalablement, à l’occasion d’une élection. Je ne sais pas si notre candidat à la prochaine élection fera ce choix, je ne suis pas là pour vous le dire. Mon rôle est de vous dire que ce débat est légitime et qu’il se poursuivra. Il ne sera pas achevé après l’adoption d’un texte plutôt qu’un autre.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi et donc favorable à l’amendement de suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’un scrutin public a été demandé sur cet amendement.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Michelle Meunier ayant à juste titre fait part de sa position personnelle sur un texte qu’elle soutient, je rappelle que la commission, qui est défavorable à l’ensemble du texte, a bien évidemment émis un avis favorable sur l’amendement de suppression de l’article 1er.
Il a été dit que cette proposition de loi visait à améliorer la loi Claeys-Leonetti, mais ce n’est pas le cas. Cette loi a effectivement des faiblesses. À cet égard, je remercie M. le ministre d’avoir annoncé un plan de développement des soins palliatifs. Cette loi ne permet pas de répondre, il est vrai, à certaines situations, en particulier en cas de maladie de Charcot. Il faudra d’ailleurs que l’on se penche sur ce sujet.
Le texte qui nous est présenté est tout autre. C’est un texte sur le suicide assisté, sur l’euthanasie active, mais non une évolution normale ou possible de la loi Claeys-Leonetti. Cette proposition de loi ouvre de nouveaux droits et chacun, dans cet hémicycle, a le droit d’être pour ou d’être contre. Chaque position est respectable et rien ne justifie qu’un jugement de valeur soit porté sur les positions des uns et des autres. Ces questions touchent à l’intime, au vécu personnel, familial.
Je maintiens ce que j’ai dit en commission : la dignité est inhérente à la condition humaine, et une personne, quel que soit son état physique, voire psychique, reste digne jusqu’au dernier moment. La dignité tient aussi au regard que l’on porte sur la personne que l’on accompagne.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Notre commission a souhaité supprimer l’article 1er, ce qui n’empêchera pas la poursuite du débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité des interventions, qui ont montré, comme l’un de nos collègues l’a dit, que le Sénat est capable d’avoir des échanges transpartisans de qualité. C’était particulièrement notable ce matin. En tant qu’auteure du texte, je vous en remercie.
S’il était adopté, cet amendement aurait pour conséquence de vider le texte de sa substance, l’article 1er prévoyant l’instauration de l’aide active à mourir.
Ce matin, incontestablement, des voix favorables à cette proposition de loi se sont exprimées sur ces travées, au-delà de celles du groupe ayant déposé ce texte et de celles de l’opposition du Sénat. Pour tout dire, même si je n’ai pas procédé à un véritable comptage, il me semble que la plus grande partie des présents se sont exprimés de manière positive, pas toutes, certes, et j’ai très bien entendu ceux qui se sont exprimés ou ont manifesté dans un autre sens.
Pour autant, un problème démocratique se pose. Nos règles particulières font que le scrutin public va permettre de décider massivement de l’adoption ou non de cet amendement. Il n’est pas exclu que ce vote ne reflète absolument pas la position de cet hémicycle, alors même qu’il est ce matin très fourni. Je ne sais pas si le groupe qui a demandé un scrutin public entend le maintenir, mais je pense que celui-ci pose un problème. Aussi, je souhaiterais que ce groupe laisse la démocratie se manifester au Sénat sans scrutin public. Les collègues investis dans ce débat doivent décider. De notre côté, ceux d’entre nous qui sont présents voteront contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. J’ai souhaité intervenir sur cet amendement, car il se trouve que j’ai assisté à l’audition par la commission des députés Claeys et Leonetti. Si ce texte comporte des avancées dans certains domaines, notamment en ce qui concerne les soins palliatifs, il ne me paraît pas satisfaisant, car il ne prend pas en compte les demandes et les attentes de nombreux Français, qui souhaitent, en cas de maladie incurable, pouvoir bénéficier d’un suicide assisté.
Une demi-heure avant l’audition, j’ai reçu l’appel d’une amie qui se trouvait dans cette situation et qui souhaitait se rendre en Suisse. En fait, ce n’est pas si facile. C’est même très compliqué. Elle n’y est d’ailleurs pas parvenue.
Son seul souhait, car elle savait sa vie finie, c’était de pouvoir s’endormir en tenant les mains de son fils et de sa fille. Son agonie a duré des semaines. Son fils, qui vit outre-mer, a dû repartir, parce qu’il a aussi une famille. Voilà, elle est partie sans que sa dernière volonté ait été accomplie.
C’est pour cela que je ne voterai pas cet amendement. Je voterai cette proposition de loi, car telle serait, j’en suis sûre, la volonté de mon amie. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je trouve moi aussi que nos débats ce matin sont extrêmement riches. Nous y livrons, ce qui n’est pas souvent le cas, une part de notre vécu et de ce que nous portons au plus profond de nous-mêmes, au-delà de nos sensibilités politiques. Nous évoquons des sujets difficiles. Pour ma part, je respecte toutes les positions, même si je pense qu’il est extrêmement important que le Sénat avance et joue son rôle en votant cette proposition de loi. On l’a entendu, il s’agit de répondre à une attente des Françaises et des Français.
Monsieur le ministre, vous considérez qu’un débat de société est nécessaire, mais cet argument ne me convainc pas. Dans ce cas, où est la souveraineté du Parlement ? Il me convainc d’autant moins que l’abolition de la peine de mort ne s’est pas faite par voie référendaire. Elle a été décidée par le monde politique. On peut avoir des convictions, mais il faut être attentif à la réalité.
Enfin, je suis très attachée, comme beaucoup de mes collègues, à la liberté de pouvoir choisir sa mort, qui me semble essentielle.
Je trouve assez hypocrite que l’on dise que la loi est suffisante alors que tous les exemples qui ont été évoqués montrent que ce n’est pas le cas. Notre vécu le démontre également.
Il est également hypocrite de se dire qu’une solution peut être trouvée à l’étranger. On sait très bien que le coût de cette solution est un barrage financier terrible pour beaucoup. En outre, elle ne permet pas d’être accompagné. Comme l’a rappelé M. Cadic, la présence de la famille n’est souvent pas possible, alors qu’elle est primordiale. En pareil cas, il ne s’agit pas d’une mort décidée, douce, parmi les siens.
Pour toutes ces raisons, ne votons pas la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous allons bientôt discuter dans cet hémicycle du projet de loi confortant les principes de la République. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous rappeler deux de ces principes.
D’abord, la République repose sur la souveraineté populaire, la souveraineté de la Nation, dont nous sommes ici les représentants. C’est le Parlement qui fait la loi et qui décide aujourd’hui de ce qu’il faut faire et ne pas faire. Le césarisme référendaire n’est pas constitutif de notre République.
Ensuite, vous avez évoqué votre professeur de médecine, selon qui on ne peut demander la mort parce que l’on ne sait pas ce qu’il y a après. Permettez-moi de vous rappeler que, dans cet hémicycle, le débat n’est à aucun moment sorti des limites de la laïcité. Ceux qui pensent qu’il y a quelque chose après la mort, comme ceux qui pensent qu’il n’y a rien ont eu un débat extrêmement noble et respectueux des sentiments religieux et non religieux des uns des autres. Ils ont abordé ces questions en termes de droits. Je rappelle ici un second principe de la République, monsieur le ministre.
Par ailleurs, j’ai écouté avec beaucoup d’émotion les expériences qui nous ont été transmises, notamment celle du sénateur Arnaud. En effet, j’ai senti, et je me suis reconnu dans ce qu’il a dit, une longue fréquentation des services de soins palliatifs. Quand on vit ce que les gens vivent dans ces services pendant trois semaines, un mois, on porte ici une opinion qui n’a plus rien à voir. C’est important de le dire.
Enfin, vous le savez, monsieur le ministre, car vous êtes médecin, il règne aujourd’hui une grande hypocrisie sur ces questions. En effet, la pratique dans les services va au-delà de la loi Claeys-Leonetti, face à la détresse des familles, d’un malade qui n’en peut plus et qui réclame la mort. Vous savez très bien que, dans le cadre d’une discussion apaisée avec les familles, le personnel médical va au-delà. Mettons fin à cette hypocrisie et acceptons de faire avancer les droits et de protéger les médecins, comme ils nous le demandent aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je veux d’abord saluer à mon tour la qualité des débats que nous avons ce matin sur ce sujet important. Ce texte nous a donné l’occasion d’en discuter dans l’hémicycle, mais également au sein de chaque groupe politique.
Ainsi, il était important pour le nôtre de recueillir la vision et le ressenti de ses membres en les laissant échanger ; les membres de la commission des affaires sociales ont en particulier pu exposer leurs points de vue à leurs collègues. C’est ce qui nous permet, aujourd’hui, de définir une position globale de notre groupe, sachant que chacun de ses membres conserve une position individuelle, qui sera respectée au moment du vote. Je confirme à ce propos notre demande de scrutin public.
Ce rappel était important, parce que ce sujet est transpartisan : chacun peut, au regard de son expérience et de son vécu, exprimer son ressenti, sa prise de position et son vote.
Enfin, madame de La Gontrie, j’entends vos remarques et votre remise en cause du système de scrutin public en vigueur ici. Je me souviens qu’il constituait en 2011 une pratique courante de votre groupe politique ; c’est quand cela vous arrange que vous exprimez une telle remise en cause ! Nous allons donc assumer jusqu’au bout notre demande de scrutin public. Je n’en connais d’ailleurs pas du tout le résultat : au sein de notre groupe aussi, des visions différentes s’expriment, ce ne sera pas un vote massif dans un sens ou dans l’autre. J’attends donc de voir la démocratie s’exprimer au Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Oh, la démocratie…
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Comme cela a été rappelé, cet amendement tend à vider ce texte de la totalité de sa substance. Je regrette à ce propos l’utilisation du scrutin public. Au vu du débat qui vient d’avoir lieu, il serait bon que chacun puisse s’exprimer directement par son vote personnel.
La liberté de choisir la fin de sa propre vie est un sujet qui touche chacun d’entre nous dans ce qu’il a de plus intime. Toutes et tous, nous connaissons des situations où cette question se pose avec force, comme notre collègue Olivier Cadic l’a rappelé. Quelles que soient nos convictions, nos spiritualités, nos expériences personnelles, la réalité vient s’y confronter. L’actualité médiatique vient également nourrir la réflexion et l’émotion collectives par des cas particuliers bouleversants.
Il me semble que, à l’instar de nombre de nos voisins européens – cela aussi a été rappelé –, notre société est prête à une telle évolution ; elle en est même demandeuse. Je ne reviendrai pas sur le sondage de 2019 d’après lequel cette évolution recueille une opinion favorable auprès de 96 % des Françaises et des Français. L’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population rendent chaque jour ce sujet plus prégnant.
Je comprends naturellement les réticences des membres du corps médical : mettre fin à une vie heurte profondément le cœur même de leur engagement professionnel et va à l’encontre du serment qui est le leur. Il me semble cependant que les progrès considérables de la médecine, qui se poursuivent et continueront de se poursuivre, nous amènent évidemment à envisager ce débat sous un autre angle.
Alors que l’espérance de vie avoisine les 80 ans et que celle des générations qui arrivent aujourd’hui sur cette terre pourrait approcher le siècle, alors que la technologie et le transhumanisme ouvrent des possibilités vertigineuses, je crois qu’il est indispensable d’accepter que toutes et tous ne souhaitent pas poursuivre leur vie dans des conditions de santé ou de forme physique qu’ils jugent insatisfaisantes.
Le défi du grand âge, de la maladie et de la détérioration du corps, voire de la conscience, pose cette question avec toujours plus d’acuité. Il est selon moi de plus en plus temps d’accepter les choix individuels mûrement réfléchis de nombre de nos concitoyens.
La majorité de notre groupe est donc bien sûr opposée à cet amendement de suppression ; je le suis moi-même totalement. Il est plus que temps d’inscrire dans la loi cette ultime liberté, afin que chacun puisse désormais exprimer son choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais souligner que, s’il n’y avait pas cet amendement, cet article pourrait être soumis au vote. Un scrutin public, s’il en fallait un, pourrait alors exprimer réellement, avec transparence, les votes individuels au sein des groupes où la liberté de vote fait qu’ils seront divers.
Je trouve très regrettable de ne pas pouvoir voter pour cette loi. Je suis ici afin de voter pour quelque chose, et non pas contre. On se trouve forcé de voter contre un amendement, ce qui est complètement illisible à l’extérieur de notre hémicycle. Ce que demande l’opinion publique, c’est si nous allons prendre position pour ou contre ce texte législatif. Or la situation est ici complètement inversée : on nous oblige à prendre une position illisible et, d’une certaine manière, hypocrite et contournant la responsabilité de chacun d’entre nous de dire, à l’extérieur de notre assemblée, s’il est pour ou contre ce texte. Si vous êtes contre, faites-le savoir au moment du vote sur l’article, mais ne nous obligez pas à émettre un vote « contre » qui est illisible et, pour ceux qui demandent ce scrutin public, quelque peu hypocrite ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. J’écoute les interventions qui se sont succédé depuis tout à l’heure : il y en a pour tout le monde ! Chacun a une vision différente du droit de mourir : certains ne sont pas d’accord pour qu’on aide à mourir et d’autres pensent qu’il vaudrait mieux laisser mourir.
Pour ma part, j’ai toute confiance en nos médecins. On ne dit pas que c’est facile aujourd’hui, même dans les pays étrangers, d’aider quelqu’un à mourir ; M. Cadic l’a rappelé. C’est une procédure longue, qui n’est mise en œuvre que si l’on est sûr que l’issue est fatale.
Même si ce texte est adopté, ce ne sera pas une obligation que de procéder à l’acte d’assistance à une mort plus rapide. On ne fera que donner le choix à celui qui le veut, parce qu’il sait très bien que, demain, l’issue de sa maladie sera fatale.
De plus, je veux rappeler que ce choix est réclamé non seulement par des patients, mais aussi par certains médecins qui sont confrontés à des malades pour lesquels ils n’ont plus aucune solution et qui ne savent pas quoi leur répondre. J’irai même plus loin, monsieur le ministre : M. le Président de la République avait été sollicité en direct par des patients et, pour lui, la seule réponse était qu’on ne peut pas, aujourd’hui, répondre à cette demande.
Alors, pourquoi ne pas procéder au vote de cette proposition de loi et, ensuite, laisser le choix aux citoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)