Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy, pour explication de vote.
M. Henri Leroy. Je comprends parfaitement l’inquiétude de Mme Gisèle Jourda.
Dans le Livre blanc, on a fixé arbitrairement, si je puis me permettre cette expression, un nombre d’habitants. Or c’était totalement faux.
M. le ministre, je le crois, suivra l’exemple des autres ministres de l’intérieur. On ne peut en effet avancer sur la sécurité territoriale sans associer ce pilier de la sécurité qu’est le maire.
Quel que soit le cas de figure, quand viendra sur la table le sujet de la répartition des compétences entre la gendarmerie et la police, le ministre aura donc prévu, selon une logique implacable et incontournable – à moins que je ne me trompe ; nul n’a la science infuse ! –, de réunir autour de la table les élus de proximité. Ils pourront ainsi participer à la définition de la compétence territoriale des forces de sécurité concernant leur commune, en fonction de leur environnement, en zone urbaine, périurbaine ou rurale.
La perspective d’une telle conciliation doit être de nature à apaiser l’inquiétude de notre collègue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je suis très sensible à la question soulevée par Gisèle Jourda.
Nous avons eu l’occasion de l’évoquer, monsieur le ministre, à la suite du rapport d’information fait par nos collègues Rémy Pointereau et Corinne Féret au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, et intitulé L’Ancrage territorial de la sécurité intérieure.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour rendre un hommage très sincère à la gendarmerie, laquelle cultive depuis fort longtemps avec les élus locaux une relation de proximité et de synergie permettant que l’information circule. Ainsi, maires et gendarmes sont souvent d’excellents partenaires.
J’entends cependant les réflexions d’Henri Leroy et de M. le ministre. En France, nous avons longtemps organisé les choses en fonction de seuils de population. Cela n’est plus d’actualité, car il y a désormais des zones urbaines, périurbaines, et des connexions, notamment en termes de mobilité et d’accès routier ou ferroviaire : la délinquance a une agilité qui lui fait dépasser les frontières administratives. Il nous faut donc sans doute raisonner en termes de bassins de délinquance.
Ma chère collègue, je partage votre souhait d’un dialogue nourri et construit avec les élus locaux. Le maire joue à cet égard un rôle pivot, et il ne pourra en effet y avoir de continuum de sécurité dans le cadre d’une réforme, quelle qu’elle soit, en l’absence d’une étroite collaboration avec ces élus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour explication de vote.
Mme Gisèle Jourda. Pour avoir vécu dans le département de l’Aude, sous plusieurs gouvernements, les répartitions et zonages successifs entre police et gendarmerie, je me permets de dire respectueusement devant la Haute Assemblée que les choses ne sont pas si simples !
Je ne vois pas en quoi il serait dérangeant d’inscrire dans la loi le principe de la consultation des associations d’élus. Cela se pratique, certes, dans certains départements. Dans le mien, en revanche, je puis vous dire que tel n’était pas le cas et que les élus sont allés dans la rue pour protester.
Vous avez ainsi devant vous une socialiste qui a organisé dans son département une manifestation, alors que le gouvernement de l’époque était celui de M. Jospin. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) Par la suite, sous la présidence de M. Sarkozy, nous avons dû faire la même chose…
Les choses allant mieux en les disant, je souhaite que le principe d’une telle concertation soit inscrit dans la loi. Nous connaissons chacun des exemples locaux… Ma démarche est donc tout à fait fondée et respectueuse des lois de notre République.
Vous ne pouvez pas empêcher certains maires, jusqu’au seuil de 50 000 habitants, de vouloir une représentation plus efficace des forces de gendarmerie !
Tel est le sens de cet amendement, que j’appelle mes collègues à soutenir. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. L’amendement n° 65 rectifié, présenté par Mme G. Jourda, MM. Cozic, Bourgi, Redon-Sarrazy, Antiste, Pla et Stanzione, Mme Artigalas, MM. Vallet, Devinaz et Vaugrenard, Mme Bonnefoy, M. Tissot, Mme Conway-Mouret, M. Sueur, Mmes Préville et Monier, M. Cardon et Mmes Féret et Poumirol, est ainsi libellé :
Avant l’article 23
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatorzième alinéa du 1 du I de l’annexe I de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les communes de moins de 50 000 habitants, ce principe peut connaître une dérogation lorsqu’une coopération étroite de la police nationale et de la gendarmerie nationale s’avère nécessaire. Les forces de la gendarmerie nationale peuvent alors, à la demande du maire et sous l’autorité du préfet, renforcer les actions de la police nationale. »
La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Dans la continuité de mon intervention précédente, je vous présente cet amendement d’appel : un appel à la souplesse, à l’efficacité, à l’optimisation des échanges et des coopérations territoriales de toutes les forces de sécurité, un appel, enfin, à une intégration plus directe de l’ensemble des acteurs dans ce fameux continuum de sécurité.
La clé de répartition arithmétique actuelle entre les forces de gendarmerie nationale et les forces de police nationale ne convainc plus ni les élus ni les forces de police et de gendarmerie. Dans le contexte sanitaire actuel, vous avez pu le constater, les bassins de délinquance évoluent – vous l’avez dit, monsieur le ministre. Les mesures sanitaires ont notamment renforcé les comportements d’occupation du domaine public. Face à ces réalités, les forces de l’ordre sont souvent en nombre insuffisant.
La connaissance des problématiques de sécurité en zone périurbaine par les forces de gendarmerie constitue, à mon sens, une indéniable amélioration de la sécurité globale de nombreux territoires. Je citerai ainsi la ville de Carcassonne qui comprend, en plus de sa zone urbaine, cinq hameaux rattachés qui se suivent et dont les populations sont similaires à celles des communes rurales limitrophes.
Il convient désormais de dépasser le seul critère démographique de leur répartition sur nos territoires, en tenant compte de leurs besoins ponctuels. Tel est l’objet de cet amendement.
Vous me répondrez que la possibilité de renforcer la zone de police nationale par la gendarmerie départementale existe déjà au travers de la coordination opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires (Corat), mise en place en 2011.
Ce dispositif prévoit notamment que, dans un cas imprévisible et urgent excédant ses capacités de réponse, une force peut demander le concours de l’autre force. La Corat s’applique pour les communes de toutes tailles, quelle que soit la zone de compétence. Mais nous voulons aller plus loin et prévoir un élément de souplesse si le maire en fait la demande.
Ainsi, cet amendement prévoit que, dans les communes de moins de 50 000 habitants, à la demande du maire et sous l’autorité du préfet, des brigades mobiles de gendarmerie pourront intervenir en appui ponctuel en zone de police nationale. Les unités de gendarmerie pourront donc venir s’agréger à la police nationale et renforcer ses actions dans nos zones urbaines.
Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez dépassé votre temps de parole et largement présenté votre amendement.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Même avis que sur l’amendement précédent : défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 290 rectifié, présenté par M. Durain, Mme Harribey, MM. Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste et Assouline, Mme Briquet, M. Cardon, Mme Conconne, MM. Fichet, Gillé et P. Joly, Mmes Lubin et S. Robert, MM. Temal, Tissot, Bourgi, Kerrouche, Leconte et Sueur, Mmes G. Jourda, Monier, Préville et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 23
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport préparatoire à la réforme urgente de l’organisation et du fonctionnement des corps d’inspection des forces de l’ordre nationales.
Ce rapport a pour objet l’élaboration d’un modèle reposant sur un organisme public non ministériel, doté d’un pouvoir d’initiative d’enquêtes et composé de membres appartenant aux corps respectifs de la police et de la gendarmerie nationales, du Défenseur des droits et de personnalités qualifiées.
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le ministre, à la fin du mois de novembre 2020, vous avez reconnu devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que la police souffrait de sept péchés capitaux. Vous avez, à cette occasion, fait des propositions de réforme pour répondre, à la fois, à la crise provoquée par la multiplication des violences policières et à l’injonction du Président de la République de réaffirmer le lien de confiance entre la police et les citoyens.
Outre les questions de la formation et des moyens d’encadrement, vous avez cité comme péché capital – c’est le cinquième – le fonctionnement de l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Vous avez fait des propositions, sans aller très loin dans les préconisations, mais en reconnaissant qu’il existait un problème de transparence et de confiance et qu’il serait peut-être opportun de nommer une personnalité indépendante à la tête de cette inspection.
Cette réforme de l’IGPN est attendue, parce qu’elle est nécessaire. Les organes actuels de contrôle interne des forces de l’ordre font l’objet de critiques récurrentes en raison de leur manque d’indépendance, qui entretient le soupçon de partialité.
L’effet de corps lié à la composition actuelle des organes de contrôle qui comprennent majoritairement des policiers et des gendarmes rattachés organiquement au ministère de l’intérieur, via les directions générales de la police et de la gendarmerie, crée un sentiment d’entre-soi professionnel et entretient une culture corporatiste.
Comprenez bien, monsieur le ministre, que nous ne mettons pas en cause l’action des contrôleurs de l’IGPN en tant que telle. Ces derniers sont redoutés par les fonctionnaires de police, et nous ne disons en aucune façon que l’IGPN est une machine à laver les violences illégitimes.
Nous prenons également acte de certaines évolutions réalisées ces dernières années dans le sens de l’ouverture et de la transparence de l’institution – je pense notamment au bilan annuel de l’IGPN présenté à la presse et à la mise en place d’un comité d’orientation du contrôle interne –, mais elles restent insuffisantes, car votre ministère a une capacité de résistance incroyable lorsqu’il s’agit de prendre toute la mesure des crises.
Cette situation communément admise exige d’engager une véritable réforme structurelle, afin de faire évoluer les modalités du contrôle vers davantage de transparence et d’équilibre. Cette démarche est la condition pour que les autorités de contrôle regagnent en légitimité, en retrouvant l’impartialité dont elles n’auraient jamais dû se départir.
Pour y parvenir, il faut séparer la chaîne de contrôle et la chaîne de commandement. À défaut, les forces de l’ordre encourent le risque que les actions qu’elles mènent dans le cadre de leur mission de sécurité publique continuent d’être désavouées et contestées.
Cet amendement tend donc à vous inviter, monsieur le ministre, à donner suite à votre engagement de réforme de l’IGPN.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Dans le cadre du Beauvau de la sécurité, nous aurons l’occasion dans quelques semaines d’évoquer la question des inspections. Ce qui vaut pour l’IGPN vaut également pour l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et, de manière générale, pour toutes les inspections.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire précédemment, l’IGPN conduit, d’une part, des enquêtes administratives : il est tout à fait normal qu’elle soit, à ce titre, rattachée au directeur général de la police nationale et au ministre de l’intérieur. On n’imaginerait pas des enquêtes administratives faites par une inspection qui ne serait pas placée auprès du directeur général du ministre – cela n’aurait aucun sens ! –, qu’il s’agisse de l’inspection générale des finances (IGF) pour le ministère des finances ou de l’inspection générale de la justice pour le ministère de la justice.
D’autre part, l’IGPN peut être saisie dans le cadre judiciaire directement par le procureur de la République : elle ne rend alors pas compte des décisions qu’elle prend ou des faits qu’elle constate dans le cadre de ses enquêtes, comme tous les services de police. Dans ce cas, elle ne fait pas remonter d’informations au ministre de l’intérieur.
Il faut donc accepter cette dualité des inspections.
Ensuite, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, des dysfonctionnements. Ils existent, et j’ai justement dit qu’il fallait non pas moins, mais plus d’IGPN.
La non-publicité des décisions prises par l’IGPN ou des recommandations faites au ministre de l’intérieur était un défaut. C’est moi qui ai décidé de publier ces recommandations lors des récentes affaires que vous avez évoquées.
L’absence de caractère contraignant des propositions de l’IGPN faites dans le cadre d’enquêtes administratives est également un défaut : ces propositions doivent s’imposer au directeur général et au ministre comme un minimum – on peut imaginer que le ministre ait envie d’aller plus loin.
L’absence de délai de remise de ses conclusions de l’IGPN après sa saisine est un autre défaut.
Le dispositif est satisfaisant, sinon la justice ne saisirait pas l’IGPN presque systématiquement de tout ce qui concerne les difficultés impliquant des membres forces de l’ordre. Nous devons simplement assurer la transparence de ses décisions, les rendre contraignantes et garantir qu’elles seront rendues rapidement.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je regrette que M. le rapporteur ait balayé aussi rapidement notre amendement. L’IGPN n’est pas un sujet totalement anodin lorsqu’on évoque la sécurité globale.
Notre amendement, monsieur le ministre, est l’un de ceux que le Sénat n’a pas l’habitude de retenir, puisqu’il prévoit la remise d’un rapport pour associer le Parlement, en l’occurrence le Sénat, à la réflexion sur la réforme des corps d’inspection. Vous en avez convenu, celle-ci est nécessaire. La confiance dans nos forces de sécurité réside effectivement dans la transparence, qui n’est aujourd’hui pas suffisante – vous en êtes d’accord, me semble-t-il.
Nous prenons acte aujourd’hui de votre volonté de faire évoluer les choses. Nous souhaitons, comme vous l’aviez d’ailleurs préconisé lors de votre audition à l’Assemblée nationale, qu’une personnalité indépendante puisse être nommée à la tête de l’IGPN.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Si je me suis opposé à votre amendement, monsieur Marie, c’est parce que la jurisprudence constante de la commission des lois est d’être défavorable aux demandes de rapport.
La commission dispose de tous les outils, sous l’autorité de son président, pour mener des missions d’information et de contrôle quand les sujets se présentent. Nous ne voulons pas être étouffés par des rapports dont on sait – en tant que vieux parlementaire, je peux vous assurer que j’ai vu passer de nombreuses demandes de rapport… – que leur efficacité est vraiment très aléatoire.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 290 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 23
Après l’article 721-1-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 721-1-2 ainsi rédigé :
« Art. 721-1-2. – Les personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 221-4, 222-3, 222-8 et 222-10 du code pénal ne bénéficient pas des crédits de réduction de peine mentionnés à l’article 721 du présent code lorsque ces infractions ont été commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un magistrat, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, d’un agent de police municipale ou d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire.
« Une réduction de peine peut être accordée aux personnes mentionnées au premier alinéa qui ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite.
« Cette réduction, accordée par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines, ne peut excéder trois mois pour la première année d’incarcération, deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, sept jours par mois ; pour les peines supérieures à un an, le total de la réduction correspondant aux sept jours par mois ne peut toutefois excéder deux mois.
« Elle est prononcée en une seule fois lorsque l’incarcération est inférieure à une année et par fractions annuelles dans le cas contraire. Toutefois, pour l’incarcération subie sous le régime de la détention provisoire, elle est prononcée, le cas échéant, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.
« Dans l’année suivant son octroi, et en cas de mauvaise conduite du condamné en détention, la réduction de peine peut être rapportée en tout ou en partie par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines.
« Pour l’application du présent article, la situation de chaque condamné est examinée au moins une fois par an. »
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. L’article 23 de la proposition de loi prévoit de supprimer les crédits de réduction automatique de peine pour les auteurs d’infractions qui sont commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat public électif – les élus locaux –, de militaires de la gendarmerie nationale, d’agents de l’administration pénitentiaire, des douanes, de la police nationale, de la police municipale, ou de sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires. Je salue le travail fait par la commission des lois.
On l’évoque souvent, les élus locaux et l’ensemble des forces de l’ordre sont, hélas ! en première ligne face à la violence et aux incivilités.
Je participe, comme le font d’autres collègues dans leur département, aux journées nationales organisées sous l’autorité des préfets et des sous-préfets en l’honneur des sapeurs-pompiers, des policiers et des gendarmes victimes du devoir. Chaque année, nous dénombrons malheureusement une vingtaine de décès en service de membres des forces de l’ordre.
En ce qui concerne les élus, nous avons en mémoire le décès du maire de Signes en août 2019. Des élus sont fréquemment menacés ou agressés, ce qui pose de réels problèmes. D’où la nécessité d’une grande fermeté pénale à l’encontre de ceux qui s’attaquent aux membres des forces de sécurité, des forces de l’ordre et aux élus locaux.
À ce titre, un rapport de Philippe Bas, paru en octobre 2019, intitulé Plan d’action pour une plus grande sécurité des maires, développait un certain nombre de propositions. Il faut renforcer la réponse pénale à l’égard des infractions commises sur les catégories de métiers ciblées par les nouvelles dispositions.
Je soutiendrai donc cet article qui a été largement retravaillé par nos collègues.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je l’ai déjà dit, rien dans ce texte n’a été envisagé pour remédier à la culture de l’impunité qui porte atteinte à l’image des forces de l’ordre et contribue à saper le lien de confiance nécessaire entre celles-ci et la population.
Alors que nous commençons l’étude du titre IV relatif aux forces de sécurité intérieure, nous nous devons de reconnaître la réalité que vivent certains de nos citoyens au quotidien, malgré le peu d’enquêtes permettant de la documenter, chiffres à l’appui : c’est celle des contrôles au faciès.
Selon l’enquête publiée en 2017 par le Défenseur des droits Jacques Toubon, on a vingt fois plus de chances d’être contrôlé quand on est un jeune homme « noir » ou « arabe » en France.
Une autre étude, menée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 2009, montrait déjà que, sur 500 contrôles policiers observés à plusieurs endroits de Paris, les personnes perçues comme « noires » ou « arabes » ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « blanches ».
Mon groupe et moi-même regrettons que l’amendement que nous souhaitions initialement présenter à cet endroit du texte, et qui avait pour objet d’instaurer le récépissé de contrôle d’identité papier afin de lutter contre le délit de faciès et les contrôles d’identité abusifs, ait été déclaré irrecevable. Nous avions présenté dès 2011 une proposition de loi en ce sens – les écologistes étaient, à l’époque, représentés pour la première fois au Sénat.
Ce récépissé aurait été une avancée pour rétablir la confiance entre la police et la population dans son ensemble.
Nous nous étonnons qu’un texte qui prévoit tant de mesures instaurant davantage de contrôle des citoyens à tous les niveaux ne puisse contenir en son sein un dispositif mettant en place, en contrepartie, des garde-fous à l’action parfois abusive des forces de l’ordre. Nous ne pouvons plus faire l’autruche face à ces abus…
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet article est très important bien qu’étant très technique. Il aurait d’ailleurs pu justifier, me semble-t-il, la présence du garde des sceaux, puisqu’il porte sur la mise en œuvre des crédits de réduction de peine.
Pour présenter les choses de manière quelque peu sommaire, lorsqu’une personne est incarcérée dans le cadre d’une condamnation définitive, elle peut bénéficier de deux types de réductions de peine : d’une part, de réductions de peine en fonction, pour le dire de manière simple, du comportement ; d’autre part, de réductions de peines dites, de manière impropre ou excessive, « automatiques », qui s’appliquent en fonction de la durée de la détention.
L’un des progrès notables de la loi Perben II a été de prévoir que ces réductions de peine s’appliquaient sauf avis contraire du juge de l’application des peines (JAP), car ce juge n’a absolument pas la capacité d’examiner chaque année la situation de tous les détenus. Cette mesure permettait de sanctionner le détenu qui se comportait de manière inadéquate en prison, tout en faisant bénéficier ceux qui se comportaient normalement de ces réductions.
Il nous est proposé aujourd’hui la mesure inverse : le JAP devra statuer, et il n’y aura plus de système « automatique ».
Cet article pose un autre problème. La gestion carcérale est extrêmement complexe et il faut garder en ligne de mire, à la fois, le comportement le plus adapté ou paisible du détenu, sa capacité à s’insérer dans la vie carcérale et sa réinsertion potentielle. C’est par les réductions de peine que l’on arrive à motiver suffisamment les détenus, puisque celles-ci peuvent être retirées lorsque leur comportement n’est pas adéquat.
C’est donc par ces réductions de peine que l’on peut gérer la paix carcérale – et Dieu sait si, comme vous le savez tous, cette mission est complexe à mener –, tout en entamant le processus de réinsertion.
Par ailleurs, la mesure proposée pose un problème constitutionnel parce qu’elle fait le tri en fonction des victimes. On constate d’ailleurs que les amendements sur cet article fleurissent ! Pourquoi les policiers et pas les journalistes ? Un amendement porte sur ce point. Pourquoi les militaires et pas les enseignants ? C’est l’objet d’un autre amendement.
On ne peut que constater qu’il s’agit d’une sorte d’inventaire à la Prévert et qu’en fonction des victimes il y aura lieu de gérer différemment les détenus. C’est ce qui pose problème d’un point de vue constitutionnel : si la qualité de la victime doit être prise en compte au moment de la condamnation, elle ne doit pas l’être au moment de l’exécution de la peine. Un tel dispositif ne tient pas.
Enfin, le garde des sceaux a annoncé un projet de loi qui doit porter sur les mêmes sujets. Comment allons-nous articuler les deux, sachant qu’il a indiqué dans les médias qu’il mettrait fin aux réductions de peine ?
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 84 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 115 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 280 rectifié bis est présenté par M. Durain, Mme Harribey, MM. Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste et Assouline, Mmes Bonnefoy et Briquet, M. Cardon, Mme Conconne, MM. Fichet, Gillé et P. Joly, Mmes Lubin et S. Robert, MM. Temal, Tissot, Bourgi, Kerrouche, Leconte et Sueur, Mmes G. Jourda, Monier, Préville et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 84 rectifié.
M. Pascal Savoldelli. L’argumentation qui vient d’être développée par Marie-Pierre de La Gontrie recoupe les arguments qui sont les nôtres pour demander la suppression de cet article. Si l’on revient aux dispositions antérieures à 2004, les JAP vont crouler sous une montagne de dossiers. En définitive, ce sont eux qui seront pointés du doigt, car on leur fera porter des responsabilités qu’ils n’ont pas les moyens d’assumer – certains d’entre vous le savent bien, mes chers collègues.
Ensuite, selon l’estimation de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap), entre un quart et un tiers des condamnés voient déjà leurs crédits de réduction de peine réduits ou entièrement supprimés. Il est donc nécessaire de se saisir du problème de la manière la plus fine possible pour estimer l’efficacité d’un retour à la situation antérieure.
Enfin, j’ai eu l’occasion de visiter la prison de Fresnes. Nous sommes face à un problème bien réel : quarante établissements pénitentiaires ont été considérés comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants. Ce constat découle non pas d’une expertise de notre groupe, mais de décisions analogues de la justice française et de la Cour européenne des droits de l’homme. On ne peut pas afficher comme objectif une conduite exemplaire à la sortie de l’univers carcéral quand on constate l’état des quarante établissements pointés du doigt.
On peut afficher faussement un objectif de sécurité globale, mais on constatera ensuite une augmentation de l’insécurité dans l’ensemble de nos territoires.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.