PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Article 24
I. – Après l’article 226-4-1 du code pénal, il est inséré un article 226-4-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 226-4-1-1. – La provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
« Les mêmes peines sont applicables en cas de provocation à identifier, dans le même but que celui mentionné à l’alinéa précédent, le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, le concubin ou l’enfant d’une personne mentionnée au premier alinéa. »
II. – Après l’article 226-16-1 du code pénal, il est inséré un article 226-16-2 ainsi rédigé :
« Art. 226-16-2. – Le fait de procéder ou faire procéder à un traitement de données à caractère personnel relatives à des fonctionnaires ou personnes chargées d’un service public en raison de leur qualité hors des finalités prévues par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Après de très nombreuses heures passées sur ces travées à étudier la grande majorité des dispositions de ce texte, nous arrivons finalement à l’article qui a causé le plus de controverses dans l’opinion publique et a mis le Gouvernement dans l’embarras, à juste titre.
Comment peut-on imaginer que la France, pays des droits de l’homme, puisse renier le plus cher de ses acquis, à savoir la liberté d’expression ? Comment peut-on concevoir que la presse française se retrouve muselée par un État qui ne sait ni regarder ni sanctionner les mauvais comportements de ses propres agents lorsqu’il y a lieu de le faire ?
La population sera, par ce texte, soumise à une surveillance généralisée, mais on lui interdira de procéder à des captations d’images susceptibles d’identifier des agents de police et de gendarmerie pour dénoncer des actes de violence policière.
Il arrive déjà, en pratique, que les forces de l’ordre s’opposent à ce qu’elles soient filmées ou photographiées en pleine action. Pourtant, une circulaire du ministre de l’intérieur en date du 23 décembre 2008 précise que cette opposition est contraire au droit.
Ce problème, ainsi que l’impunité qui règne parfois dans les rangs des forces de l’ordre et qui sape la relation de confiance qui devrait exister entre les citoyens et celles-ci, aurait dû être abordé dans ce texte, surtout que les infractions contre l’intégrité physique ou psychique des agents sont déjà prévues par le code pénal. Il aurait en revanche été utile de définir précisément cette notion, ainsi que celle d’impact psychique, qui s’avère aussi floue dans le droit actuel que dans la présente proposition de loi.
Comme nous l’avons déjà répété, ce texte est très lacunaire.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. D’emblée, je veux indiquer à la majorité sénatoriale que la réécriture de l’article 24 n’est, selon nous, pas une bonne idée. Il est clair que le texte voté à l’Assemblée nationale n’appelle qu’une réponse : l’abrogation.
À l’origine, la proposition de loi du groupe La République en Marche s’attaquait directement aux journalistes. En effet, c’est la loi de 1881 qui était visée. C’est le fait de diffuser des images pouvant porter atteinte à l’intégrité physique et psychique d’un agent de police nationale, de la gendarmerie nationale ou de la police municipale qui pouvait être sanctionné d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. Le tollé fut général et des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour défendre la liberté de la presse et les libertés publiques.
La majorité sénatoriale a habilement reculé pour mieux sauter. Vous ne faites plus référence à la loi de 1881, monsieur le rapporteur : vous introduisez dans le code pénal une disposition générale qui pourra – j’insiste sur ce point – concerner les journalistes comme les autres citoyens.
La rédaction proposée pour le premier alinéa de l’article 226-4-1-1 du code pénal est si limpide qu’elle pourrait passer inaperçue : « La provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale […] est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
En droit, les mots comptent. Vous ne pouvez pas dire que les journalistes ne peuvent pas être visés par une telle mesure si la justice en décide autrement ! C’est la justice qui décidera si la diffusion d’images relève de la provocation à l’identification ou pas. Pouvez-vous m’assurer que le juge, s’il est saisi de la diffusion d’une image comprenant le numéro d’immatriculation d’un agent, par exemple, ne décidera pas qu’il y a eu provocation à l’identification ?
Votre rédaction laisse entière la menace contre la liberté de la presse et renforce fortement les sanctions contre les diffusions d’images.
Le parallèle que vous dressez dans votre rapport avec la provocation au suicide, la provocation de mineurs à consommer des stupéfiants ou même la provocation à un assassinat apparaît éculé, outrancier et, surtout, erroné sur le plan juridique.
Enfin, n’oublions pas que cet article 24 se doublera de l’article 18 de la loi confortant le respect des principes de la République, qui autorise lui aussi des poursuites d’ordre général, et pas seulement en matière de terrorisme, contre la diffusion d’images de policiers, gendarmes ou policiers municipaux, entre autres.
Nous voterons donc contre cet article 24.
Monsieur le président, pour vous être agréable, je vous prie de considérer que l’amendement n° 90 rectifié, déposé par notre groupe, est ici défendu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, sur l’article.
M. Jean-Pierre Grand. La rédaction de l’article 24 tel qu’il nous est proposé permet la diffusion sur toutes les chaînes de télévision, sans flouter les visages, de l’image des membres des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.
Dans leur quartier, leur immeuble, à l’école de leurs enfants, dans leur vie civile et sociale, ils seront reconnus. Pour eux et leur famille, les dangers seront présents à tous les instants.
Cet article comporte des mesures sans effet dès lors que des millions de téléspectateurs pourront découvrir le visage des policiers dans leur mission de maintien de l’ordre, trop souvent face à des émeutiers de plus en plus violents, dont les visages n’apparaissent pas à l’écran.
Le visage est reconnu comme un élément d’identification. La captation par l’image d’un visage est encadrée par la loi.
L’article 24 ne définit pas ce qu’est un élément d’identification, dès lors qu’il exclut le mot « visage ». Il crée une inégalité devant la loi entre tous les citoyens, dont on ne peut pas diffuser le visage sans leur accord, et les membres des forces de l’ordre, pour lesquels la diffusion est admise par l’article 24.
Flouter le visage des membres des forces de l’ordre n’est pas une atteinte à la démocratie, mes chers collègues. C’est préserver les fonctionnaires au service de la République.
Je le dis avec force, les journalistes pourront toujours filmer les événements sans limite, et leurs reportages seront naturellement à la disposition de la justice. Ce qui sera flouté, c’est la diffusion. Le floutage n’est donc réservé qu’à la diffusion, quand le fonctionnaire reste identifiable.
J’y insiste, cette mesure a pour seul but de protéger les membres des forces de l’ordre et leurs familles.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Nous y sommes donc, à cet article 24, qui a tant défrayé la chronique !
Mes chers collègues, je vous le dis d’ores et déjà : qu’il s’agisse de l’écriture initiale, de sa réécriture – pour le moins controversée – par le Gouvernement ou de la nouvelle rédaction proposée par la majorité sénatoriale, aucune ne modifie notre opinion.
Le débat n’oppose pas ceux qui voudraient protéger les policiers et ceux qui ne le voudraient pas.
Mes chers collègues, oui, nos forces de l’ordre doivent être protégées quand elles sont attaquées ou menacées, et les familles de leurs membres encore plus. Nous partageons cette préoccupation. Nous n’avons aucune mansuétude envers ceux qui incitent à la haine contre les agents qui font l’honneur de la République.
Cependant, je relève qu’ils sont déjà protégés légalement par la loi de 1881 et par le code pénal. Les policiers disposent d’un arsenal législatif pour lutter contre les menaces, le harcèlement, les atteintes à la vie privée, etc., et c’est heureux.
Aucun élément sérieux ne démontre que ces qualifications juridiques seraient insuffisantes. La protection des policiers exige d’abord que ces lois soient appliquées sans faillir. Elle passe aussi par le renforcement du lien de confiance entre la police et la population, et c’est là que le bât blesse.
En réalité, ce texte traduit la faiblesse du Gouvernement, qui ne parvient pas à contenir le phénomène alarmant de la multiplication des violences policières. Le problème réside dans le fait que, en s’attaquant aux « simples » images, on ne voit pas les raisons profondes de ce malaise. Selon la formule consacrée, ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on fait baisser la température.
La moindre professionnalisation ainsi que la réduction brutale des effectifs spécialisés ont conduit à une augmentation massive de la violence. Cette orientation doit être modifiée. Il y a eu 2 500 blessés chez les gilets jaunes, 1 800 chez les policiers, 122 journalistes blessés ou entravés dans l’exercice de leurs fonctions. Ces chiffres ne plaisent à personne – encore moins peut-être aux membres de notre Haute Assemblée…
Ce que nous disons, c’est que la police française se replie sur elle-même, sur ses techniques, sur sa doctrine. Or, dans une démocratie, le niveau de monopole de la violence légitime est établi par l’État. Dès lors que l’État revendique ce monopole, il se doit d’être exemplaire. En démocratie, la liberté, c’est aussi le contrôle citoyen sur celles et ceux qui exercent l’autorité. Je n’invente rien : c’est l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’article 24. Nous demanderons même sa suppression. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liberté de la presse est un bien tellement précieux que nous devons y veiller comme à la prunelle de nos yeux.
M. Philippe Bas. Très juste !
M. Jean-Pierre Sueur. À cet égard, monsieur le ministre, vous avez déclaré voilà quelque temps être horrifié par les images d’une manifestation à Paris. J’ai lu cette information avec intérêt, car, pour que vous ayez pu voir ces images, il a bien fallu que quelqu’un les prenne ! Il a fallu des photographes et des journalistes pour rendre compte de ce qui s’est passé.
Nous sommes pour la liberté de la presse totale et intégrale. La loi de 1881, qui n’a jamais été remise en cause, est un bien extrêmement précieux.
Je souscris évidemment aux propos que vient de tenir Patrick Kanner. Le Sénat doit aujourd’hui, me semble-t-il, être fidèle à ce qu’il est dans les moments où il s’illustre le plus : un défenseur des libertés, de toutes les libertés.
On nous dira qu’il faut protéger les forces de l’ordre. C’est évident, mais la protection qui est nous est proposée ici ne fonctionne pas. Si une photo paraît, qui dira s’il y a eu ou non une intention de provocation ?
S’agissant de la nécessité absolue de protéger les forces de l’ordre, je rappelle l’existence des articles 226-1, 222-33-2, 222-33-2-2, 222-17, 222-7, 226-8 du code pénal, ainsi que de la loi de 1978 sur la CNIL. Pour être parfaitement clair, je ne voudrais pas omettre les articles 24 et 39 de la loi de 1881.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Il nous reste à supprimer cet article 24 pour défendre la liberté de la presse. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certes, l’article 24 suscite des inquiétudes légitimes, mais il est également important de soutenir l’ensemble des forces de sécurité.
Cet article concerne la diffusion du visage ou de tout élément permettant l’identification d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou d’un policier municipal.
Je souligne bien entendu le travail important réalisé par M. le rapporteur et l’ensemble des membres de la commission des lois. Celle-ci est parvenue à modifier cet article en faisant référence à la loi de 1881 sur la liberté de la presse tout en réprimant les menaces à l’encontre des forces de sécurité.
Il faut protéger les membres des forces de l’ordre dans leur vie privée, ainsi que leur famille, contre l’identification malveillante, par cohérence avec l’article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Certains de nos collègues ont déposé des amendements visant à ajouter des catégories de personnes qui sont elles aussi souvent en difficulté, injuriées ou qui font l’objet de menaces graves.
Je rappelle, enfin, que la seconde partie de l’article 24 fait référence à la CNIL : il prévoit la répression de la constitution de fichiers visant des fonctionnaires et des personnes chargées d’un service public dans un but malveillant.
Je soutiendrai bien entendu cet article.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.
M. Thomas Dossus. Hier, le sénateur Jérôme Bascher, pour défendre la vidéosurveillance généralisée, nous demandait : qui a peur, aujourd’hui, des caméras de surveillance ? Il répondait : les délinquants.
Reprenons cette question : qui, aujourd’hui, chez les fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions, a peur d’être filmé ? Je n’ai pas la réponse. Je vous la laisse, monsieur le ministre…
Mardi, vous avez affirmé que les policiers sont les fonctionnaires les plus contrôlés, poursuivis et sanctionnés. C’est bien légitime et heureux ! Leurs responsabilités sont immenses : ils ont la possibilité de contrôler, d’interpeller, d’arrêter, d’utiliser la coercition au nom de l’État, dans le respect absolu de la proportionnalité. Il est donc parfaitement légitime que l’usage de ce pouvoir fasse l’objet d’une attention constante, dans un esprit de garantie de nos libertés.
C’est pourquoi ces fonctionnaires doivent pouvoir être filmés dans l’exercice de leurs fonctions. Donner aux forces de l’ordre les moyens d’empêcher d’être filmées, comme cet article le permettra, jettera la suspicion permanente sur leurs actions.
Pourtant, la confiance doit être rétablie. Oui, les images que nous avons pu voir ces derniers mois concernant le maintien de l’ordre ont permis de faire connaître des abus. On ne protégera pas l’institution policière avec des œillères !
Il faut lutter contre la mise en danger de la vie des agents. Il est temps d’apaiser les esprits et de restaurer la confiance, ce qui passe par une autre doctrine de maintien de l’ordre, l’actuelle étant dans l’impasse.
Il est temps d’envisager la désescalade plutôt que la fuite en avant, que cette loi accélère.
Mes chers collègues, écoutons nos concitoyens et les journalistes. Laissons-les témoigner. Permettons-leur de rétablir la confiance trop longtemps dégradée.
Pour cette raison, nous souhaitons l’abrogation de cet article.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, sur l’article.
M. Thierry Cozic. « La publicité est la sauvegarde du peuple. » Tout ce qui est d’intérêt public doit être rendu public. En ce sens, si l’œil du peuple illustre la médaille des colporteurs de papiers publics, créée en 1789, ce n’est sûrement pas un hasard.
Le problème que pose l’article 24 est l’anonymisation des agents publics disposant du monopole de la violence physique légitime, comme Max Weber se plaisait à le qualifier.
M. Philippe Bas. Le monopole de « la contrainte » !
M. Thierry Cozic. Le Conseil de l’Europe, qui est, ni plus ni moins, le garant des libertés fondamentales en Europe, nous a exhortés, en décembre dernier, à amender cet article, estimant qu’il portait atteinte à la liberté d’expression. C’est à nous qu’il appartient de veiller à la compatibilité de ce texte avec les normes contenues dans les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, auxquelles je rappelle que la France est partie.
On ne peut nier que cet article renforcera l’impunité policière et cette propension des forces de l’ordre à s’opposer au fait d’être filmées au cours d’une opération. Même s’il n’interdit pas en soi de filmer, il n’en demeure pas moins qu’il va tout changer sur le terrain et donner un blanc-seing aux forces de l’ordre pour s’opposer toujours plus violemment à la prise d’images.
Je vous parlais en préambule de la médaille des colporteurs. Aujourd’hui, cet œil du peuple, ce sont les caméras. C’est grâce à elles que nous pouvons rendre compte de manquements, alerter, témoigner. Elles participent à la vigilance du peuple.
On ne protégera pas les forces de l’ordre en créant des dispositifs de nature à nourrir le sentiment de leur impunité.
L’État de droit, monsieur le ministre, ce n’est pas l’État policier. L’État de droit, c’est le droit de surveiller l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, les arguments peuvent paraître redondants, mais l’affaire est importante.
La crise de notre République procède aussi d’une distance croissante entre une partie de la population et nos forces de police. Il faut donc renouer la confiance réciproque. Or ce n’est pas en mettant en place des dispositifs qui cachent davantage les réalités et en permettant que les forces de l’ordre, au motif de la provocation à l’identification, puissent s’opposer à des prises d’images que l’on réglera ce problème.
Tout d’abord, on peut s’étonner que les autorités policières et l’ensemble de l’État ne se soient pas suffisamment mobilisés pour utiliser systématiquement le droit existant, qui devrait pouvoir mieux protéger les policiers quand ils sont réellement menacés. Nous avons tous en tête un certain nombre de drames.
Mais, dans le même temps, nous avons besoin que le pays reprenne confiance grâce à la certitude qu’on ne lui cache pas des réalités et des pratiques inacceptables, ainsi que des violences répétitives.
Nombre de personnes ont été éborgnées ou ont connu des difficultés de santé à la suite de violences policières commises lors des mobilisations sociales, comme celle des gilets jaunes. De nombreux manifestants ont été condamnés, tandis que les rapports de l’IGAS ont très fréquemment tendu à minimiser la gravité de certaines pratiques des forces de l’ordre. D’ailleurs, si celles-ci relèvent davantage d’une carence d’encadrement que de simples dérives personnelles, elles sont tellement nombreuses qu’elles révèlent tout de même un problème systémique.
Je le dis tout net : renforcer l’idée que l’État soutient « aveuglément » les forces de police et, de manière générale, considère que ceux qui expriment leur désaccord et manifestent ne sont pas « du même camp » constitue une menace grave pour la République.
À cet égard, l’article 24 ouvre des brèches qui limitent l’exercice des libertés publiques et ne renforcent pas la confiance dans la police, sans rendre la protection de celle-ci nécessairement plus efficace.
C’est pourquoi je vous invite à voter la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, sur l’article.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 5 décembre 2020, le Président Emmanuel Macron a évoqué les violences policières, permettant enfin la reconnaissance d’une réalité vécue sur le terrain et attestée par des vidéos captées dans la rue.
Nous attendons toujours les propositions pour remédier à cette réalité. Si le problème est nommé, si l’on connaît son existence, les solutions qui nous sont proposées pour y faire face ne le résorberont pas. Au contraire, le dispositif que l’on nous propose avec cette proposition de loi contribuera à « invisibiliser » les violences policières.
Mais ce n’est pas cela qu’il faut faire pour protéger les victimes de violences policières, qu’elles soient manifestantes ou non, et les agents des forces de l’ordre. Pour lutter contre ce sentiment d’impunité, contre cette impression que les choses ne vont plus dans notre République entre population et forces de l’ordre, il faudrait réparer. Et que nous propose-t-on ? De faire comme si le problème n’existait pas ! Or nous savons toutes et tous qu’il existe.
Monsieur le ministre, vous avez reçu un courrier des avocats de familles victimes de violences policières, qui souhaitaient participer au Beauvau de la sécurité. Je crois qu’elles doivent être incluses dans le processus de débat qui doit permettre de résorber ces difficultés. Arrêtons de nier ces problèmes, cessons de les « invisibiliser ». Au contraire, trouvons les solutions : c’est cela qui permettra de protéger les forces de l’ordre contre ce sentiment d’injustice.
Notre République a besoin d’une police présente, respectée, qui ait des liens forts avec la population, mais elle a aussi besoin, conformément à son histoire, d’une presse forte, libre, indépendante, qui prenne toute sa place pour informer les citoyennes et les citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 90 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 116 est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 281 rectifié bis est présenté par M. Durain, Mme Harribey, MM. Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste et Assouline, Mmes Bonnefoy et Briquet, M. Cardon, Mme Conconne, MM. Fichet, Gillé et P. Joly, Mme Lubin, MM. Temal, Tissot, Bourgi, Kerrouche, Leconte et Sueur, Mmes G. Jourda, Monier, Préville et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 90 rectifié.
Mme Éliane Assassi. Comme je l’ai indiqué, cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 116.
Mme Esther Benbassa. Dans cette nouvelle rédaction de l’article 24, la « provocation à l’identification » a été substituée à la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre. Les peines prévues ont été alourdies et ce nouveau délit, introduit dans le code pénal et non dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, s’applique également aux familles des membres des forces de l’ordre.
Cette rédaction est insatisfaisante. La disposition est définie de manière trop large et ouvre la voie à des interprétations arbitraires, qui pourraient contribuer à entraver le travail des journalistes.
Cette disposition porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, car le risque de sanctions, l’obligation de supprimer tout élément d’identification sur les vidéos ou images montrant des policiers et le critère d’intention – très large et flou, vous me le concéderez – sont autant d’éléments de nature à dissuader la collecte d’éléments concernant l’action de la police.
En ce sens, cette disposition crée aussi des obstacles au contrôle de l’action des policiers et gendarmes, car les vidéos de policiers ont été essentielles pour dénoncer les pratiques illégales de certains membres des forces de l’ordre et, dans certains cas, permettre l’ouverture d’enquêtes.
Soulignons enfin l’avis de la Défenseure des droits, qui souligne que l’infraction prévue par cette proposition de loi n’est pas nécessaire à la protection des policiers et gendarmes. Nous sommes contre cette disposition, que nous vous proposons de supprimer.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour présenter l’amendement n° 281 rectifié bis.
Mme Laurence Harribey. Après le balayage en commission d’un article 24 unanimement jugé attentatoire aux libertés et inapplicable, les rapporteurs ont introduit un amendement de réécriture.
Toutefois, les principaux écueils de la version initiale n’ont pas été corrigés : son imprécision rend l’article juridiquement fragile et inapplicable ; les difficultés liées à la caractérisation de l’intentionnalité n’ont pas été dissipées ; le maintien de la mention de « but manifeste » de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime continue d’octroyer aux forces de l’ordre une marge de manœuvre importante et subjective sur leur interprétation de l’intention malveillante. Et si la provocation est pénalement déterminée, la notion d’identification ne constitue pas, en elle-même, un fait punissable. Il paraît donc juridiquement dangereux de faire reposer l’élément matériel de ce nouveau délit sur une non-infraction.
En outre, le texte ne précise pas si la provocation punie est celle qui a, in fine, abouti à l’identification des policiers concernés ou bien toutes les provocations à l’identification, sans considération de leur résultat.
Par ailleurs, cet article nous semble redondant avec les articles 24 et 39 de la loi de 1881, ainsi qu’avec les dispositions pénales réprimant le harcèlement moral, le cyberharcèlement, les menaces, les violences volontaires, les atteintes à la représentation et la divulgation de données personnelles. Enfin, sa conjonction avec l’article 18 du projet de loi relatif au respect des principes de la République pose problème.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)