Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Bruno Retailleau. Aujourd’hui, nous devons avoir le courage de ne pas laisser seuls les enseignants et les directeurs ; nous devons prendre nos responsabilités et voter une mesure que nous avons déjà votée il y a un an et demi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. Manifestement, il arrive que deux minutes trente ne suffisent pas…
La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Manifestement, ce sujet vous passionne et vous obsède, puisque c’est la troisième fois en deux ans que nous avons ce débat sur les parents qui accompagnent les sorties scolaires. Rassurez-vous, madame Delattre, tout le monde a compris – et personne n’est dupe – que vous ciblez en réalité une partie de nos compatriotes musulmans, plus particulièrement les femmes – Mme Benbassa a raison : 90 % de ces accompagnateurs sont des femmes.
Mme Nathalie Delattre. Ne parlez pas pour moi !
M. Fabien Gay. La question que nous devons nous poser est la suivante : avons-nous vraiment un problème ? Une étude a été menée : elle a recensé mille cas d’attaques contre la laïcité à l’école, dont deux cent quarante de la part de parents. Évidemment, c’est extrêmement grave, mais deux cent quarante sur des centaines de milliers de sorties scolaires, c’est quand même epsilon – pardonnez-moi de vous le dire ! Malgré cela, c’est la troisième fois que nous avons ce débat en deux ans.
Comme plusieurs collègues l’ont dit, les parents sont parties prenantes de la vie de l’école au quotidien : les kermesses, les sorties scolaires, les conseils d’école, etc. Surtout, les parents amènent leurs enfants à l’école tous les matins et reviennent les chercher tous les soirs ; les enfants connaissent les parents de leurs camarades et ils font très bien la distinction entre les parents et l’équipe enseignante.
Ensuite, Pierre Laurent a eu raison de le dire, imaginons un seul instant les cicatrices que laissera sur les enfants l’application de la mesure prévue par cet amendement. Les enseignants devront alors dire à des enfants que leurs parents ne pourront pas venir les accompagner lors d’une sortie scolaire. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.) Et tout cela dans l’école de la République !
Enfin, puisque cela fait trois fois que nous avons ce débat en deux ans, si vous voulez tant cette neutralité, mes chers collègues, donnez les moyens à l’éducation nationale de recruter les dizaines de milliers de personnes qui sont nécessaires pour accompagner les sorties scolaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
Si nous le faisons, nous n’aurons plus ce débat ! Mais il y a une petite contradiction, mes chers collègues, puisque vous voulez moins de fonctionnaires et que, chaque année, vous votez des baisses de crédits… Nous vous laissons volontiers dans votre contradiction, mais – de grâce ! – laissons les parents accompagner les enfants lors des sorties scolaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul ainsi que MM. Thomas Dossus et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, dans votre long exposé en appui de l’avis que vous avez donné sur ces amendements, vous avez recouru à une surabondance d’arguments, ce qui, de mon point de vue, affaiblit votre raisonnement. Quand on a un raisonnement fort, on n’a pas besoin de rajouter des arguments aux arguments.
Premièrement, ces amendements concernent l’école publique. Vous leur reprochez de ne pas concerner l’école privée, mais il s’agit d’une donnée fondamentale de la liberté de l’enseignement : le caractère propre des établissements privés fait que nous ne devons pas leur appliquer les mêmes règles qu’aux établissements publics, ou alors il faut remettre en cause la liberté de l’enseignement. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Deuxièmement, la distinction entre l’activité pédagogique hors les murs et celle dans les murs ne tient pas debout. Le professeur est neutre dans les murs, il l’est aussi hors les murs !
Plusieurs sénateurs du groupe CRCE. Parce qu’il est professeur !
M. Philippe Bas. Et il n’y a pas d’obstacle à ce que, si nous le décidons, l’accompagnateur de sortie scolaire se voie imposer des obligations de neutralité quand il participe avec le professeur à des activités pédagogiques hors les murs.
Troisièmement, ces parents, contrairement à ce que j’ai entendu, ne sont pas des usagers du service public. Ils ont une mission : ils ne se bornent pas à s’occuper de leurs propres enfants, ils s’occupent aussi des enfants des autres ; ils exercent, sous la conduite de l’enseignant, une parcelle d’autorité et participent le cas échéant à la mission pédagogique, en répondant aux questions des enfants, ils peuvent exercer une influence sur ces enfants comme les enseignants eux-mêmes.
Je ne vois pas d’obstacle majeur, y compris d’ordre constitutionnel, à ce que l’on tienne compte de cette situation avec le même objectif que pour les enseignants, à savoir respecter la liberté de l’enfant, en évitant de l’exposer à une forme d’influence psychologique exercée par une certaine revendication d’appartenance religieuse qui s’imposerait à l’enfant par le port du voile ou d’autres signes religieux pendant les sorties scolaires. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Enfin, monsieur le ministre, ce n’est pas la tolérance à l’égard des cultes qui est en cause dans ces amendements. Si tel était le cas, il faudrait se poser la même question quand on impose aux professeurs la neutralité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Bas. Or personne ne dit que demander à un professeur de ne pas porter le voile est une atteinte à la tolérance à l’égard des cultes.
Par conséquent, je crois que les arguments qui nous sont opposés n’ont que peu de consistance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, je suis souvent d’accord avec vous et je vous soutiens en ce qui concerne ce texte. En même temps, je me réjouis de la liberté d’expression qui s’exerce dans notre démocratie : chacun peut y exprimer son point de vue.
Pour autant, les points de vue que j’entends ce soir me semblent irréconciliables, parce qu’ils partent de deux perspectives différentes.
La première, défendue par Max Brisson et d’autres collègues, est celle du regard porté sur l’école, creuset de la société, et de l’émancipation des esprits qui doivent être protégés de ce qui se passe à l’extérieur. Ce point de vue s’entend.
La seconde est aussi très juste ; selon elle, si on exclut des parents qui souhaitent s’intégrer, on les marque, en quelque sorte, au fer rouge.
Il nous est arrivé à tous d’accompagner nos enfants dans des endroits où nous n’allons jamais, par exemple pour des activités sportives. Et parce que nous aimons nos enfants, nous avons mis d’autres vêtements que ceux que nous portons habituellement. On ne peut donc pas dire qu’avec ces amendements on interdit aux parents de participer à des activités.
Je voudrais reprendre l’un des arguments avancés par Mme la rapporteure : il est extrêmement délicat de distinguer l’école dans les murs, où des parents qui viennent participer à des ateliers, par exemple de peinture, ne pourraient pas porter de signe ostentatoire, et l’école hors les murs où, parce qu’on franchit la porte de l’école pour une activité organisée par l’équipe enseignante et sous sa responsabilité, on pourrait en porter.
Revenons, mes chers collègues, à la vraie vie ! Comment un directeur d’école peut-il expliquer à une femme que, quand elle franchit la porte de l’établissement, elle doit s’habiller autrement, mais pas quand elle accompagne une sortie scolaire ? C’est un vrai problème !
Il ne s’agit pas de marquer au fer rouge les musulmans, pas plus que les chrétiens ou les juifs. De quoi parlons-nous en fait ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Écoutez ce que j’ai à dire, ma chère collègue ! Nous avons affaire à des entristes qui instrumentalisent une religion pour conquérir notre société. (Exclamations sur des travées des groupes CRCE et SER.) Or, mes chers collègues, vous avez dû voir des maires, dans certains territoires, porter un voile par prosélytisme.
Mme Nathalie Delattre. Par militantisme !
Mme Françoise Gatel. J’ai écouté les points de vue des uns et des autres : je voterai l’amendement de Max Brisson ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. Olivier Paccaud disait qu’on parlait beaucoup des accompagnants, mais peu des enseignants. Je voudrais témoigner à ce titre de ma modeste expérience.
J’ai été enseignant durant de nombreuses années et j’ai naturellement fait appel à des parents pour accompagner des sorties, que ce soit pour du ski de fond, de la natation, du rugby ou encore du football, et ces personnes étaient évidemment intéressées et motivées par la sortie en question – elles avaient même parfois un lien professionnel ou associatif avec l’activité.
En outre, il s’agit bien d’une activité pédagogique dans le cadre scolaire : elle est encadrée par un enseignant et accompagnée par des parents.
En tout cas, je peux aussi vous dire que je n’aurais jamais accepté, dans un stade ou une piscine ou sur une piste de ski de fond, un accompagnant en soutane, en burqa, en djellaba ou portant une kippa. Cela n’aurait pas eu de sens, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, et cela n’était pas acceptable. De même pour une accompagnatrice en piscine qui aurait porté un burkini.
La neutralité et les règles de la laïcité sont très importantes. Max Brisson l’a dit et je soutiens son amendement ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je voudrais rappeler l’objectif prioritaire de l’article 1er de ce projet de loi : conforter et étendre le principe de neutralité à toute personne assumant un service public, les fonctionnaires bien sûr, mais aussi d’autres personnes, y compris des salariés du secteur privé, qui travaillent dans une entreprise bénéficiant d’une délégation de service public.
À entendre l’avis qu’il a rendu sur ces amendements, je m’interroge finalement sur la position du Gouvernement : jusqu’où va, pour lui, la neutralité du service public ? L’éducation nationale n’est-elle pas un service public qu’il faut défendre, y compris en ce qui concerne la laïcité ?
Ne fixons pas des principes à géométrie variable !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat est très intéressant ; de nombreux arguments, souvent parfaitement acceptables, ont été avancés et, même si on dit qu’il ne faut philosopher qu’après avoir mangé (Sourires.), il me semble important de leur apporter, avant que vous ne votiez, quelques éléments de réponse.
Bienheureux celui qui a un point de vue définitif sur un sujet aussi important.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat traverse incontestablement la société française, il est donc naturel qu’il ait aussi lieu ici. Je ne me permettrai pas de vous écraser de certitudes, mais nos doutes ne doivent pas nous empêcher de cheminer vers une conviction.
Je voudrais d’abord faire remarquer une nouvelle fois que ces amendements ne concernent que l’école publique. Il y a d’ailleurs, dans l’argumentaire de M. Brisson, une petite contradiction. Sans doute faudra-t-il préciser les choses, si ces amendements devaient prospérer, car le service public de l’éducation comprend aussi l’école privée sous contrat – en effet, les enseignants y sont payés par l’État.
Ensuite, monsieur le sénateur Brisson, vous avez parlé des établissements publics locaux. Il y a donc une difficulté et ma question, si elle est rhétorique, est à la fois efficace et provocante : pourquoi n’imposez-vous cette neutralité pour les accompagnants de sorties scolaires, qui n’ont rien à voir avec les fonctionnaires de l’éducation nationale, qu’à l’école publique ?
Je veux redire à quel point on peut quand même s’étonner du fait que des vêtements religieux continuent d’être portés dans des écoles sous contrat, sans parler de celles hors contrat. Le règlement intérieur de certains établissements catholiques interdit le port de signes religieux, ce qui n’a rien à voir avec la pratique ou l’enseignement de la religion. Par ailleurs, des établissements catholiques acceptent le port de vêtements religieux, y compris par les mineures musulmanes. Et je ne parle pas des écoles, collèges ou lycées musulmans sous contrat qui existent à Lyon ou à Lille et dont l’État a favorisé l’ouverture sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, ce qui était une très bonne chose. Je constate que cet argument n’a guère été contrecarré durant le débat.
Monsieur Bas, vous dites que les accompagnants sont des collaborateurs occasionnels, pas des usagers. Je ne voudrais pas vous offenser, en lisant une étude du Conseil d’État de 2013, institution que vous connaissez bien et qui dit peu de bêtises – concédons-le ! Dans la continuité de son importante jurisprudence, le Conseil d’État écrivait très clairement que les parents d’élèves avaient la qualité d’usagers du service public et qu’en tant que tels ils n’étaient pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse : « L’emploi, par diverses sources et pour des finalités diverses, de la notion de “collaborateur”, de “collaborateur occasionnel” ou de “participant” ne dessine pas une catégorie juridique, dont les membres seraient, entre autres, soumis au principe de neutralité religieuse. » C’est ce que dit le Conseil d’État, monsieur le sénateur !
M. Philippe Bas. C’est bien pour cela qu’il faut une disposition législative ! Le Conseil d’État n’est pas au-dessus de la loi.
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, monsieur Bas, mais le Conseil d’État définit bien la qualité d’usager du service public et je ne peux pas imaginer que vous critiquiez cette grande maison…
M. Philippe Bas. Si, justement !
M. Gérald Darmanin, ministre. … simplement pour affaiblir les arguments du Gouvernement !
M. le sénateur Retailleau évoquait un débat droite-gauche au moment de l’examen du texte qui est devenu la loi de 2004 et il estimait qu’on retrouvait aujourd’hui le même débat.
Il n’est pas exact de dire qu’à l’époque le débat était entre la droite et la gauche, puisqu’une quarantaine de députés de droite, tout à fait respectables bien sûr, n’a pas voté ce texte – je l’ai d’ailleurs rappelé à l’Assemblée nationale à M. Le Fur qui faisait partie de ces députés.
M. Hervé parlait d’une forme de débat inversé, puisqu’un sénateur communiste défendait la présence de bonnes sœurs à l’intérieur des centres pénitentiaires.
M. Gérard Longuet. De religieuses !
M. Gérald Darmanin, ministre. Absolument ! Je m’en excuse auprès d’elles si elles nous écoutent ! (Sourires.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Vous êtes pardonné !
M. Gérard Longuet. Vous aurez l’absolution ! (Mêmes mouvements.)
M. Gérald Darmanin, ministre. À tout pécheur, miséricorde ! (Nouveaux sourires.)
En tout cas, s’il existe une incongruité dans le discours collectif, c’est bien le glissement qui s’est produit dans la droite française : si je me réfère à ma petite expérience politique, elle était auparavant très attentive à l’expression des croyances religieuses et à la place du citoyen croyant dans l’espace public, et ses courants traditionnels, sans parler de son courant libéral – cela se comprend au regard de l’histoire des idées –, n’ont pas toujours défendu la laïcité. Cela explique peut-être nos difficultés dans ce débat.
Or depuis au moins la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le libéralisme politique français estime que l’expression des opinions, même les opinions religieuses ou celles qui nous gênent, doit être possible dans l’espace public.
Ce glissement dans l’histoire des idées est fort intéressant, mais vous ne m’enlèverez pas de l’esprit qu’il provient d’une distinction qui est faite entre l’islam et les autres religions.
Madame Delattre, personne ne doute un seul instant que vous parlez ici du foulard. Ce serait bien hypocrite pour nos concitoyens de ne pas le dire. (Mme Nathalie Delattre proteste.) Certains le disent d’ailleurs eux-mêmes et il faut entendre cette colère, cette crainte, cette peur, tout en essayant de les raisonner quand cela est possible. Il faut pouvoir leur dire que pas une seule femme voilée, à ma connaissance en tout cas, n’a commis un attentat mortel sur le sol de la République. (Mme Nathalie Delattre proteste de nouveau.) C’est un constat, madame la sénatrice, et il serait hypocrite de dire que la question du voile n’est pas à l’origine de ces amendements.
La question est de savoir si on accepte l’expression religieuse et si le voile pose un problème à la République. C’est une question intéressante et importante, que je ne sous-estime pas, mais ne dites pas qu’on ne parle pas ici du voile ! Il est évident que la question du voile sous-tend ces amendements.
Plusieurs sénateurs du groupe SER. C’est clair !
M. Gérald Darmanin, ministre. On a le droit d’en discuter, mais il faut être clair en effet. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, plusieurs sénateurs de la majorité sénatoriale ont avancé l’argument selon lequel les représentants des cultes seraient réservés sur ce projet de loi.
J’attire alors votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que les représentants de l’ensemble des cultes, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, sont fondamentalement opposés à la disposition prévue dans ces amendements (M. Max Brisson proteste.), y compris si elle est limitée à l’école publique. Relisez, monsieur Brisson, la position du Grand Rabbin de France, celle du président de la Conférence des évêques de France ou celle du président de la Fédération protestante de France ! Ils sont tous opposés à cette proposition, ce qui ne veut évidemment pas dire que le Sénat n’a pas le droit de l’adopter.
Je voudrais aussi dire à M. Retailleau qu’en 2004 le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, était très défavorable à cette mesure. Il s’y est toujours opposé, il l’a d’ailleurs écrit dans son livre La République, les religions, l’espérance. De très nombreux responsables politiques de la droite française ont pris la même position. Il ne me semble donc pas que ce débat soit simplement un débat droite-gauche.
Pour terminer, et puisque M. Retailleau a dit que le débat venait de 2004 et que rien n’avait changé, je voudrais citer Aristide Briand. Lorsque la question de l’interdiction des vêtements religieux dans l’espace public s’est posée, Aristide Briand a déclaré, le 26 juin 1905, devant la Chambre des députés…
M. Bruno Retailleau. Y avait-il eu des attentats ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il n’est peut-être pas nécessaire de caricaturer, monsieur Retailleau !
Écoutons les paroles d’Aristide Briand, alors rapporteur du projet et des propositions de loi concernant la séparation des Églises et de l’État :
« Messieurs, au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique, qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission, mais bien au contraire d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule (Applaudissements et rires au centre et à droite), que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, d’imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements.
« Je ferai du reste observer à l’honorable M. Chabert que le problème n’est pas aussi simple ni aussi facile à résoudre qu’il semble le supposer. Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens. »
On pourrait évidemment reprendre cet argument pour celles qui se distinguent par le voile islamique, mais je reprends la citation :…
M. Max Brisson. Quel est le rapport avec le sujet ?
M. Gérald Darmanin, ministre. … « Mais la soutane une fois supprimée, M. Chabert peut être sûr que, si l’église devait y trouver son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus la soutane, mais qui se différencierait encore assez du veston et de la redingote pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen.
« Alors, c’est sciemment que j’ai refusé ces dispositions, considérant que la loi d’interdiction de l’intolérance, mais d’autorisation de la liberté, permettait au Parlement d’assouvir ce que la République voulait. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 286 rectifié bis et 150 rectifié ter.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 177 |
Contre | 141 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, les amendements nos 56 rectifié, 266 rectifié, 231 rectifié, 60 rectifié et 487 rectifié n’ont plus d’objet.
La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. J’informe mes collègues de la commission des lois que la réunion, initialement prévue à vingt heures quarante-cinq, aura finalement lieu à vingt et une heure quinze.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)