M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous dites qu’il faut effectuer davantage de paiements redistributifs, en particulier au bénéfice des exploitations de moins de 52 hectares. Je le conçois, et cela d’autant plus si l’on considère le territoire de vos origines. Mais je laisse M. le sénateur Redon-Sarrazy vous indiquer ce que les agriculteurs de son propre territoire en penseraient ! Pourtant, vos valeurs ne sont pas si éloignées…
Dans les zones intermédiaires, le paiement redistributif a une conséquence très importante sur le revenu des agriculteurs. Toute la difficulté est là : ce qui est probablement favorable aux agriculteurs de votre territoire ne l’est pas du tout pour des agriculteurs d’autres territoires, notamment dans les zones intermédiaires.
Dans ces zones, l’une des conséquences de la mise en place du paiement redistributif est que le niveau de rémunération de base, les fameux droits à paiement de base (DPB), est aujourd’hui inférieur à la moyenne nationale et très inférieur aux moyennes constatées dans le reste de l’Europe. Ceux qui souhaitent passer de 10 à 20 % de paiements redistributifs ont-ils évalué les conséquences d’une telle augmentation dans les zones intermédiaires ?
Je suis opposé à toute approche qui ne tiendrait compte que de la taille des exploitations. Dans les zones intermédiaires – M. Redon-Sarrazy vous le dirait mieux que moi –, les agriculteurs ont de grandes exploitations non parce qu’ils sont riches, mais parce que la rentabilité d’un hectare cultivé est si faible qu’il faut beaucoup d’hectares pour pouvoir en vivre. Telle est la réalité !
C’est pourquoi l’accentuation du paiement redistributif aurait des conséquences dramatiques dans les zones intermédiaires. Nous devons donc trouver le juste équilibre. C’est une tâche difficile, car certains jugent toujours que ce n’est pas assez quand d’autres estiment que cela va beaucoup trop loin.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour la réplique.
M. Gérard Lahellec. J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais il faut tout simplement être plus juste. J’observe que l’Allemagne infléchit ses politiques dans un sens plus redistributif…
M. Gérard Lahellec. Or il arrive que l’on fasse référence à la politique allemande, y compris dans cette enceinte. Il s’agit d’une mesure de justice qui, à mon sens, pourrait être mieux définie et relever de la compétence et des choix politiques de l’État français. (Mme Cathy Apourceau-Poly approuve.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Je souhaite tout d’abord saluer le travail du ministre de l’agriculture qui a engagé une forte concertation et approfondi de multiples hypothèses.
Une enveloppe a effectivement été définie pour conduire la PAC. Il faut continuer à se battre pour infléchir la politique européenne afin que les États membres obéissent aux mêmes règles et disposent de marges de manœuvre locales beaucoup plus réduites, et que soit limitée la concurrence entre pays. En effet, l’agriculture française est soumise à des règles de concurrence qu’elle a du mal à tenir.
J’ai eu l’occasion de vous parler des zones intermédiaires, monsieur le ministre, un sujet dont vous vous êtes saisi. Il faut comprendre que le schéma est un peu faussé car dans ces zones se trouvent souvent des vignobles, par exemple, qui contribuent à augmenter le revenu global des agriculteurs.
La situation de l’agriculture est catastrophique. Il n’y a plus ni revenus ni jeunes qui veulent s’installer. À défaut d’autre solution, la seule issue est malheureusement l’agrandissement des exploitations. Nous devons d’urgence trouver des solutions pour les zones intermédiaires qui, bien souvent, sont des zones de polyculture, en partie d’élevage bovin et en partie de cultures céréalières. La suppression des zones défavorisées a été une catastrophe pour l’élevage.
Par ailleurs, monsieur le ministre, il faut se battre pour ne pas faire de surtransposition dans le droit français : il faut des règles européennes, et rien que ces règles.
Enfin, même si les calculs sont forcément un peu compliqués, je tiens à insister sur la nécessité de faire simple pour éviter tous les conflits de contrôle, qu’ils concernent les agriculteurs ou même la France. Je rappelle en effet que notre pays a déjà été condamné parce que la lisibilité n’était pas suffisante et que les règles n’étaient pas forcément respectées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie de vos propos, monsieur le sénateur Louault. Comme je l’ai indiqué dès que j’ai été nommé à ce poste, les zones intermédiaires constituent à mes yeux une priorité. Les deux dernières politiques agricoles communes ont très largement affecté les revenus des 80 000 à 90 000 agriculteurs qui sont installés dans ces zones.
Nous partons toutefois d’une situation donnée. Les agriculteurs installés dans les zones intermédiaires demandent à juste titre une augmentation de leur rémunération. Mais en l’état actuel des choses, cela suppose d’opérer des transferts massifs au sein du premier pilier. Or les seuls transferts possibles sont entre les aides couplées et le paiement de base. Je me tourne donc vers les autres représentants du secteur de l’élevage, avec lesquels – je l’imagine – vous aurez un débat nourri, monsieur le sénateur…
Il nous faut trouver à nouveau un équilibre tout en ayant deux points en tête.
Premier point : le fameux écorégime que j’évoquais a une vertu très intéressante pour les zones intermédiaires puisqu’il consiste à répartir de 20 à 30 % – cette proportion n’est pas encore arrêtée – du premier pilier à l’ensemble des agriculteurs dès lors qu’ils atteignent les conditions de l’écorégime. Cette répartition est calculée sur la base d’un taux moyen à l’échelle nationale du paiement de base. Or les zones intermédiaires se situant en moyenne très largement en dessous du taux moyen national, ce système de convergence totale permettra de redonner un peu d’air auxdites zones.
Deuxième point : nous ne sommes pas parvenus, depuis 2012, à affecter suffisamment de crédits des MAE aux zones intermédiaires. Il s’agit de l’un des grands défis de cette nouvelle PAC.
Je pourrais évoquer d’autres sujets, mais le temps qui m’est imparti est épuisé. Quoi qu’il en soit, soyez assuré, monsieur le sénateur, que je suis très attentif à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Gisèle Jourda. Imputé sur le second pilier de la PAC, l’ICHN s’élève à environ 1,1 milliard d’euros par an et bénéficie à un tiers des exploitations françaises.
Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé publiquement à plusieurs reprises en faveur du maintien en l’état de l’enveloppe consacrée à l’ICHN dans la nouvelle PAC. Malgré cela, le taux de cofinancement européen proposé par le Conseil passe de 75 % à 65 %. Si ce taux était définitivement retenu et si la France décidait de maintenir l’enveloppe actuelle, elle devrait financer sur son budget 10 % supplémentaires, soit environ 108 millions d’euros.
Dans le contexte de la négociation qui va s’ouvrir demain à enveloppe fermée, quels arbitrages comptez-vous faire pour financer ces 108 millions d’euros, si bien entendu vous comptez le faire ?
Le second volet est lié aux conséquences de la sortie du zonage des zones défavorisées dites « simples ».
Ce zonage a fait l’objet d’une révision en 2018. Celle-ci a eu pour effet d’exclure 1 350 communes de la cartographie, laquelle fut présenté à la Commission européenne par vos prédécesseurs dans des conditions plus que déplorables, au vu desquelles ils s’étaient fermement engagés à la tribune du Sénat à accompagner par de multiples mesures les exploitations qui sortaient du dispositif, pour éviter l’effet ciseaux.
Qu’en est-il ? Dans l’Aude, rien, nada : l’ICHN a bel et bien disparu, mais aucune des promesses faites n’a été tenue. Quel dispositif avez-vous prévu pour aider, soutenir ces agriculteurs et ces éleveurs qui ne demandent qu’à vivre dignement de leurs exploitations ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Jourda, permettez-moi d’évoquer deux points très importants.
L’ICHN est financée par le second pilier de la PAC, dont le budget est arrêté à l’échelon européen et éventuellement complété par des transferts du premier pilier.
Or tout transfert du premier pilier vers le second entraîne une diminution de la rémunération de nos agriculteurs. Dans la mesure où je prône une PAC compétitive, vous comprendrez que je n’y sois guère favorable.
Les quatre principaux enjeux du second pilier sont : le financement des MAEC, levier d’accompagnement spécifique dont il convient de maintenir le niveau ; le maintien du niveau de l’ICHN ; l’assurance récolte ; le bio.
Si nous voulons maintenir les ambitions du second pilier de la PAC, il faut que l’État apporte non pas seulement 108 millions, mais 140 millions d’euros du budget national. La négociation de cette PAC nous conduit donc à faire des choix budgétaires. Telles sont les discussions que nous avons au sein du Gouvernement, au cours desquelles, pour ma part, je défends le maintien d’une grande ambition.
À défaut de cet effort supplémentaire de l’État à hauteur de 140 millions d’euros par an, soit 700 millions d’euros sur la période, nous ne pourrons pas maintenir nos objectifs en termes de bio, de maintien des MAEC et de l’ICHN, de tendanciel de l’assurance récolte. C’est dire l’importance de notre tâche.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.
Mme Gisèle Jourda. J’entends vos propos, monsieur le ministre. Cependant – je vous l’avais indiqué lorsque vous étiez venu dans l’Aude –, quand on fait des effets d’annonce en promettant à nos agriculteurs de les accompagner en cas de coup rude, comme la sortie d’une cartographie ou lorsqu’ils font face à des risques naturels, il faut respecter la parole donnée.
C’est pourquoi j’attends que des accompagnements soient au rendez-vous pour atténuer le drame que traversent ces éleveurs et agriculteurs, en particulier les jeunes qui avaient investi dans des secteurs défavorisés et qui ne peuvent plus vivre. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Depuis sa présentation le 1er juin 2018, le projet de réforme de la Commission européenne pour la PAC a nourri de difficiles échanges au sein du Conseil et du Parlement européens.
Le Sénat a effectué pour sa part un important travail de réflexion et de proposition. Ainsi, trois propositions de résolution européenne ont été adoptées en 2017, 2018 et 2019, les deux dernières en séance publique et à l’unanimité.
Au-delà de la question de la stabilité des moyens budgétaires, nous nous sommes vivement inquiétés de l’architecture générale du projet de la Commission européenne, notamment de l’impact du nouveau mode décentralisé de mise en œuvre de la PAC.
Décentraliser la PAC, c’est prendre le risque de distorsions de concurrence supplémentaires au sein du marché unique. Le Sénat y voit un réel danger de remplacement de la PAC par vingt-sept politiques agricoles nationales, désormais de moins en moins compatibles entre elles. En dernière analyse, nous courons le risque d’une déconstruction de la PAC.
Or, sur tous ces points essentiels, la position de la Commission européenne n’a pour ainsi dire jamais changé d’un iota. Depuis 2017, vos prédécesseurs, monsieur le ministre, n’ont pas agi à temps et efficacement pour faire bouger les lignes. Cette réforme ne correspondra donc guère aux vœux du Sénat ni aux besoins de nos agriculteurs dont l’inquiétude va croissant.
Reste désormais à clarifier un problème de fond : celui de l’articulation entre les modalités détaillées de la future PAC et la transcription juridique des objectifs affichés dans la transition verte.
J’en viens ainsi à mes deux questions, qui sont liées : qu’en est-il de la publication par la Commission européenne de ses études d’impact sur la stratégie concernant la biodiversité et sur celle nommée « de la ferme à la table » ? Comment, selon vous, articuler la réforme de la PAC et le Green Deal si l’on veut éviter un recul drastique de la production agricole européenne à l’horizon 2030, recul que le ministère américain de l’agriculture évalue pour sa part à 12 % ? Autre question de taille : face à une perspective de décroissance d’une telle ampleur de nos productions nationales, que deviendrait l’objectif de souveraineté alimentaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Rapin, je vous trouve sévère dans votre analyse de la régionalisation de la PAC.
Premièrement, le cadre politique de la PAC a été défini par les ministres en octobre de manière très précise. Par exemple, ce cadre impose l’écorégime à tous les États membres et empêche les effets d’éviction ou les dérogations.
Deuxièmement, si je n’ai pas encore obtenu gain de cause, sachez que je me bats pour que les fameux PSN soient non pas simplement signés dans des bureaux entre les États membres et la Commission, mais présentés au niveau du Conseil des ministres. En effet, j’estime que le plan stratégique national est un document politique dont tous les ministres des États membres doivent avoir connaissance et pouvoir discuter.
J’en viens à vos questions. Nous ne disposons toujours pas d’étude d’impact concernant la stratégie Farm to Fork. D’autres ministres européens en demandent sans relâche, comme moi, la réalisation.
Cette situation est d’autant plus problématique, notamment en termes de pur signal démocratique, que la seule étude d’impact dont nous disposons aujourd’hui concernant cette stratégie est américaine. Ce n’est pas acceptable, mais soyez assuré, monsieur le sénateur, qu’avec plusieurs ministres d’autres États membres, nous suivons ce dossier de près.
Cela étant dit, il ne faut pas confondre la stratégie Farm to Fork et la PAC. La première fixe des ambitions dont les moyens sont fournis par la seconde. Cela minimise d’ailleurs les conséquences du point précédent.
Enfin, je fais partie de ceux qui considèrent que la PAC est un des éléments du Green Deal. Mais tous les efforts que nous faisons dans le cadre de la PAC ne serviront à rien si la filière commerce, le fameux trade, ne suit pas. C’est pourquoi je me bats avec mes collègues, notamment Franck Riester et Clément Beaune, pour que l’écorégime que nous établissons pour la filière agricole soit transposé dans la filière commerce. En effet, nous ne pourrons lutter contre les distorsions de concurrence à l’échelle internationale sans nous assurer du respect de ce socle par les accords conclus à l’avenir.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le ministre, le violent épisode de gel qui a frappé nos agriculteurs vient alourdir des années compliquées. Je tiens de nouveau à leur apporter tout mon soutien et à saluer leur courage. En Aveyron, l’arboriculture a été touchée.
Les annonces sont plutôt rassurantes, notamment la création d’un fonds de solidarité exceptionnelle doté d’un milliard d’euros, comme l’a indiqué précédemment mon collègue Henri Cabanel.
Les enjeux restent toutefois nombreux : le changement climatique, la pandémie de covid-19, les défis de souveraineté et d’alimentation… L’agriculture est, depuis toujours, synonyme d’adaptation.
Je voudrais faire remonter les craintes de nos agriculteurs de zones très rurales au sujet de la future PAC. Les exploitations y sont de taille moyenne, voire petite, avec un modèle souvent orienté vers l’élevage – l’Aveyron est le premier département ovin de France, et l’un des tout premiers pour l’élevage bovin. Il s’agit d’une agriculture exigeante, qui demande un travail 365 jours par an !
Les aides directes du premier pilier de la PAC sont d’une importance capitale dans ces territoires.
Bien sûr, des ajustements sont nécessaires : nous comprenons les appels à l’évolution du système assurantiel du second pilier, mais nous redoutons des transferts depuis le premier pilier, qui auraient pour conséquence une diminution des aides impactant de plein fouet nos petites fermes. Une nouvelle étape dans l’exode rural que nous subissons déjà pourrait alors être franchie, malgré les efforts considérables de nos maires ruraux.
Monsieur le ministre, alors que vous planchez sur le plan stratégique national, quelles sont vos pistes concernant les vases communicants, et plus précisément l’évolution du taux de transfert du premier vers le second pilier dans la future PAC ? (M. Pierre Louault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, pour moi, il y a quatre maîtres-mots dans la nouvelle politique agricole commune.
Nous voulons une PAC compétitive, c’est-à-dire de production, une PAC qui tienne compte des spécificités des territoires, une PAC qui accompagne – le mot est très important – les transitions, notamment agroécologiques, enfin une PAC qui nous permette de regagner en souveraineté alimentaire.
Il ne sera possible d’atteindre ces quatre objectifs que si nous arrivons à stabiliser le premier pilier. Il a beaucoup été question des rémunérations lors des premières prises de parole. Mais si l’on veut aussi réussir l’accompagnement au titre du second pilier, l’État devra abonder ce dernier à hauteur de 140 millions d’euros par an pendant cinq ans, soit 700 millions d’euros.
Les discussions et les négociations qui sont en cours avec l’ensemble des parties prenantes montrent l’ampleur du défi, sans parler de la refonte de l’assurance récolte, que j’évoquais en réponse à M. le sénateur Cabanel. Si ce sujet est intrinsèquement lié à la PAC, car il relève du règlement Omnibus, j’ai aussi la conviction qu’il ne peut pas être traité exclusivement au sein de la politique agricole commune, sauf à opérer un transfert massif du premier pilier vers le second ou à réduire significativement l’ICHN, les MAEC ou le programme Ambition Bio, bref, le deuxième pilier dans son ensemble.
S’agissant de l’assurance récolte, il me semble que le monde agricole ne peut pas, seul, sur ses propres budgets ou ceux de la PAC, faire face aux aléas du changement climatique. D’où ma proposition de refonte du système.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Monsieur le ministre, en termes d’aménagement du territoire, nous avons la chance en France d’avoir un maillage extrêmement dense, avec des fermes et des agriculteurs partout sur notre sol.
Mais certains agriculteurs gagnent très mal leur vie, nombre d’entre eux touchant moins de 1 000 euros par mois. Je vous demande, à travers la PAC, d’être attentif à cette situation.
Enfin, permettez-moi de nouveau de vous inviter en Aveyron, monsieur le ministre. Nous vous recevrons de façon fort amicale et exprimerons ici et là nos problématiques.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Joël Labbé. Elle était belle, l’ambition de la France, impulsée par Stéphane Le Foll, d’atteindre 15 % de la surface agricole utile (SAU) en bio en 2022.
Or, vous l’avez annoncé vous-même il y a une dizaine de jours, monsieur le ministre, la France n’atteindra pas cet objectif de développement, loin de là. Il en ira très vraisemblablement de même de l’objectif d’intégration de 20 % de produits bio dans la restauration collective, voté dans la loi Égalim.
Mme Sophie Primas. Des importations !
M. Joël Labbé. Pourtant, malgré ces échecs, le Gouvernement continue de baisser l’accompagnement financier à cette agriculture. Après la fin du financement national de l’aide au maintien, c’est aujourd’hui la réforme de la PAC qui acte un nouveau recul.
Alors que la performance économique, sociale et environnementale de l’agriculture biologique est établie, alors que la demande des consommateurs ne cesse de croître, alors que l’urgence écologique est toujours plus prégnante, les premières propositions du PSN montrent que la bio sera la grande perdante de cette réforme.
D’après les chiffres qui sont sur la table des négociations, un agriculteur bio ne serait rémunéré qu’à hauteur de 70 euros d’aides environnementales par hectare dans la prochaine programmation, contre 202 euros dans la PAC actuelle, soit une baisse de 66 %.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous une telle diminution du soutien au maintien en agriculture biologique, alors même que la rémunération des services environnementaux faisait partie des engagements présidentiels ?
Il est certes essentiel d’accompagner tous les agriculteurs dans la transition, et pas seulement ceux qui sont en bio. Pour autant, monsieur le ministre, comment justifier ce coup de frein ? Allez-vous proposer un scénario alternatif permettant d’atteindre les objectifs de la France et de rémunérer ce système à la hauteur de ses performances économiques et écologiques conjuguées ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Labbé, tout d’abord, notre objectif était effectivement 15 % de bio en 2022. On finira vraisemblablement à 12,5 % ou 13 %. Je suis le premier à dire que ce n’est pas assez, mais c’est tout de même une augmentation de 50 % par rapport à 2017. Sans se contenter de ce résultat, on ne peut pas non plus critiquer à l’excès – ce n’est pas ce que vous faites, mais d’autres n’hésitent pas. Notre gouvernement aura augmenté de 50 % la SAU en bio dans notre pays en l’espace de cinq ans. Nous n’avons pas à rougir de ce résultat.
Quant aux écoles, il ne vous aura pas échappé que ce n’est pas moi qui passe les commandes ! Mais je sais que vous vous engagez aussi au niveau local.
Enfin, sur la PAC, j’ai pris connaissance avec grand étonnement de ce chiffre avancé d’une diminution de 66 %. Il y a en effet un différend sur la question de l’aide au maintien – nous en avons souvent parlé dans cet hémicycle. Faut-il plutôt porter nos efforts sur l’aide au maintien ou sur d’autres dispositifs ?
Mais les scenarii mis sur la table des négociations prévoient que l’enveloppe de financement du bio passerait de 250 millions à 340 millions d’euros. Cela, personne ne le dit ! On préfère clamer que le Gouvernement propose une diminution de 66 % des aides. Certains savent mieux que d’autres utiliser ce genre de chiffres quelque peu magiques.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Nous sommes d’accord sur les grandes masses, monsieur le ministre, mais vous ne pouvez nier le développement extraordinaire de l’agriculture biologique, lequel doit encore être accéléré.
L’attention au revenu des agriculteurs est louable et nécessaire, mais beaucoup d’agriculteurs restent aussi oubliés de la PAC. Je pense aux petites fermes, aux maraîchers, aux arboriculteurs, aux paysans herboristes, qui sont en marge du système et qui ne sont pas pris en considération, alors qu’ils assurent la résilience, l’emploi et le respect de l’environnement.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, pour notre pays, qui occupe la première place de l’Union européenne en matière agricole, l’agriculture est un secteur stratégique, qui se situe aujourd’hui au carrefour de nombreux enjeux. En plus de devoir assurer notre souveraineté alimentaire, il doit répondre à une exigence croissante de qualité.
Il s’agit aussi pour la profession de s’orienter vers une agriculture plus durable, respectueuse de l’environnement et soucieuse du climat.
Répondre à ces enjeux nécessite de la part des agriculteurs qu’ils réalisent de gros efforts, alors même qu’ils sont déjà soumis à de nombreuses contraintes telles que la multiplication des aléas climatiques ou encore la volatilité des prix. Dans ce contexte, les négociations en cours concernant la PAC constituent un enjeu de taille pour notre pays et ses agriculteurs.
À ce titre, nous savons tous que vous n’avez pas ménagé vos efforts pour placer la France au cœur des enjeux européens, ce qui a permis à la PAC de demeurer le premier budget européen, et à notre pays de conserver l’enveloppe qui lui était allouée. Ces aides de la PAC, sans lesquelles beaucoup d’agriculteurs auraient des revenus négatifs, doivent les encourager sur le chemin de ces mutations.
Les contours encore flous de cette nouvelle PAC suscitent toutefois des inquiétudes chez les agriculteurs. Ils craignent notamment qu’une mise en œuvre différenciée des objectifs de la politique européenne au travers des PSN n’aboutisse à des situations de distorsion de concurrence entre États membres.
Ils se soucient également des critères d’accès aux écorégimes, qui doivent être aussi inclusifs et incitatifs que possible.
Comment entendez-vous répondre à ces inquiétudes ? Plus largement, comment préserver la compétitivité et la rentabilité de notre agriculture tout en encourageant sa mutation vers un modèle plus durable et plus raisonné ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, tout d’abord, nous nous sommes beaucoup battus sur le caractère obligatoire de l’écorégime pour tous les États membres. Cette obligation est essentielle à mes yeux, car elle concourra véritablement à stopper la spirale de concurrence déloyale au sein du marché commun européen.
Rien n’est plus décourageant et désespérant que de voir deux produits issus de deux lieux de production différents au sein d’un même marché commun répondre à des normes de production différentes. L’écorégime va enfin permettre d’inverser cette tendance et de rétablir une concurrence loyale au sein du marché commun, puisqu’il s’imposera à tous les États membres.
J’insiste aussi sur le fait que cet écorégime, élément de transition agroécologique de la nouvelle PAC, doit être inclusif et permettre l’accompagnement des agriculteurs. La transition ne se fera pas sans les agriculteurs, et le dispositif doit être accessible. Il nous faut trouver les voies et moyens de parvenir au bon équilibre.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Venant d’un territoire frontalier, l’Alsace, je tenais encore à insister sur les inquiétudes en termes de concurrence que pourraient engendrer les mesures de la future PAC.
Le risque de concurrence déloyale existe à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, mais aussi à ses portes.
Aussi, nous comptons sur vous, avec l’Europe, pour veiller à ce que les importations extraeuropéennes répondent à des exigences qui soient au moins équivalentes à celles que nous imposons à nos agriculteurs. Il y va de la survie de notre agriculture.