M. Rachid Temal, rapporteur. Je reprends vos mots, monsieur le ministre ! (Sourires.)
La commission a voulu clarifier les missions de l’AFD. À titre personnel, j’aurais aimé aller beaucoup plus loin, notamment sur la question des dons et des prêts, qui fait l’objet d’un débat ancien. Le groupe AFD comprenant désormais plusieurs entités – je pense notamment à l’apport d’Expertise France –, il me semble que nous aurions dû séparer ses activités de dons de celles de prêt. L’AFD accorde, certes, des prêts mais son premier métier devrait être les dons. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Nous nous sommes, par ailleurs, efforcés de renforcer la cohérence du pilotage de l’AFD, point qui nous paraissait essentiel.
Actuellement, l’AFD est soumise à plus d’une centaine d’objectifs différents, fixés par les ministres de tutelle, par le Cicid et son secrétariat, par le Président de la République ou le Premier ministre. La commission a donc prévu la fixation d’un nombre limité d’objectifs figurant au sein du contrat d’objectifs et de moyens (COM), présenté au Parlement avant sa signature. Ce COM rénové permettra un meilleur exercice de la tutelle ministérielle.
Dans le cadre de la fusion d’Expertise France et de l’AFD, nous avons souhaité sauvegarder la notion de service public et veillé à ce que cette fusion ne nuise pas aux missions importantes d’Expertise France et à ses relations avec les ministères.
Nous avons enfin adopté en commission de nombreuses améliorations issues de tous les bords politiques. Je citerai le dispositif relatif à la restitution des biens mal acquis, auquel notre collègue Jean-Pierre Sueur, que je salue, a donné la première impulsion, ou encore l’augmentation des moyens transitant par les organisations non gouvernementales (ONG) ou les précisions apportées sur le respect des objectifs en matière de santé. Nous pouvons être fiers du travail qui a été accompli.
Il nous reste à débattre de ce texte. J’émets le vœu que l’apport de la Haute Assemblée, qui fait souvent preuve de sagesse et de hauteur de vue, soit respecté, soit maintenu à l’issue des échanges que nous aurons avec nos collègues députés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, sur des travées des groupes RDSE, RDPI, UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis non pas de l’ensemble du texte, mais seulement des dispositions relevant de son champ de compétences, à savoir les articles 1er, 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13.
Annoncé depuis 2018, ce projet de loi constitue un rendez-vous législatif très attendu, bien que repoussé à de nombreuses reprises. Michel Canévet et moi-même, en tant que corapporteurs spéciaux de ce budget pour la commission des finances, l’avions même désigné comme « l’Arlésienne » lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021.
Tout d’abord, je tiens à rappeler le constat unanime selon lequel l’intérêt budgétaire de ce texte est très limité. En effet, la trajectoire financière proposée par l’article 1er se contente essentiellement d’entériner les moyens déjà validés par le Parlement.
Ainsi, l’évolution pluriannuelle des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » prévue par le texte transmis au Sénat commence en 2020 et s’achève en 2022. Cette disposition s’apparente à une transmission avec quelques mois d’avance du projet de loi de finances pour 2022. Aucun des arguments avancés ne justifie cette lacune du texte, d’autant que nous avons adopté récemment la loi de programmation pour la recherche, qui prévoit une trajectoire jusqu’en 2030, ou encore un programme de stabilité jusqu’en 2027.
Afin que nous examinions une réelle « loi de programmation », nos deux commissions ont proposé de prolonger la trajectoire des crédits de la mission jusqu’en 2025, en prévoyant une clause de revoyure à mi-parcours. La commission des finances a souhaité proposer une trajectoire visant un double objectif : d’une part, consolider la progression de notre aide publique au développement (APD) pour éviter un nouveau décrochage avec les autres pays développés ; d’autre part, prévoir une trajectoire crédible et soutenable, compte tenu des contraintes pesant sur nos finances publiques actuellement.
Mes chers collègues, je sais que plusieurs autres amendements, tendant à prévoir des hausses plus importantes, ont été déposés. De mon côté, je reste très attaché à l’objectif d’une préservation des moyens de l’APD, mais aussi à la sincérité de la programmation de nos finances publiques.
Je vous proposerai, au nom de la commission des finances, un amendement en ce sens, visant à prévoir une hausse annuelle des crédits de 500 millions d’euros après 2022.
Initialement, la commission des affaires étrangères a adopté une position différente lors de l’examen du texte. Toutefois, je crois sincèrement qu’un compromis est possible sur ce sujet, et je remercie les rapporteurs des affaires étrangères, nos collègues Hugues Saury et Rachid Temal, pour le dialogue constructif que nous avons eu, afin de bâtir une position commune.
Par ailleurs, le texte adopté par la commission des affaires étrangères intègre déjà plusieurs amendements sur l’initiative de la commission des finances.
Outre des amendements visant à améliorer la rédaction du texte, la commission des affaires étrangères a adopté un amendement visant à préciser les modalités de restitution des biens mal acquis. Je remercie à ce titre notre collègue Jean-Pierre Sueur pour les travaux menés sur ce sujet.
La commission a également adopté un amendement prévoyant d’avancer la date de remise du rapport annuel, afin que nous puissions disposer de ces informations lors de l’examen de la loi de règlement. Les rapporteurs de la commission des affaires étrangères et moi-même avons également proposé des amendements identiques visant à mettre les dispositions du texte relatives à la nomination des parlementaires au sein des conseils d’administration de l’AFD, d’Expertise France et du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) en cohérence avec la loi de 2018 sur le sujet.
La commission des affaires étrangères a également adopté l’amendement de la commission des finances visant à étoffer l’information du Parlement sur le besoin pluriannuel en fonds propres de l’AFD. En effet, nous devrions être prochainement amenés à nous prononcer sur la question, compte tenu du fait que la recapitalisation prévue par la dernière loi de finances pourrait se révéler insuffisante pour couvrir les besoins en fonds propres de l’Agence dans les prochaines années.
Enfin, la commission des affaires étrangères a adopté sur notre initiative un amendement tendant à recentrer les missions de la commission d’évaluation indépendante sur les aides et projets concrets de l’aide publique au développement. Il s’agit de bien séparer sa mission de celle qui est dévolue au Parlement par la Constitution en matière d’évaluation des politiques publiques.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, outre la proposition portant sur la trajectoire, et d’autres amendements rédactionnels ou de coordination, la commission des finances a décidé de vous soumettre deux autres amendements complémentaires. Ils portent respectivement sur la trajectoire des moyens humains de l’État dédiés à la politique de développement et sur la possibilité de débattre en séance publique du rapport annuel prévu à l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, sur des travées des groupes RDPI et SER, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Pascal Allizard et Antoine Lefèvre applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « 25 ans après la Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes à Pékin : où en sont les droits des femmes ? » : telle est la question que se posait la délégation aux droits des femmes, il y a un peu plus d’un an, le 5 mars 2020, à l’occasion d’un colloque organisé pour le vingt-cinquième anniversaire de la Conférence mondiale de Pékin.
Si le constat que nous dressions à l’époque était déjà pessimiste sur la réalité de l’avancée des droits des femmes dans certains pays, nous étions encore loin du compte.
En effet, la pandémie de covid-19 a exacerbé, à travers le monde, les inégalités et les violences de genre déjà à l’œuvre avant le début de cette crise sanitaire, économique et sociale. Ainsi, ONU Femmes estime qu’elle pourrait avoir effacé, en une année seulement, les vingt-cinq ans de progrès réalisés en matière d’égalité entre les femmes et les hommes depuis la Conférence mondiale de Pékin.
Quelques chiffres me semblent assez marquants pour illustrer le chemin qu’il reste à parcourir : les femmes gagnent encore 20 % de moins que les hommes et elles représentent 70 % des 1,2 milliard de personnes vivant avec moins de un dollar par jour ; deux tiers des adultes analphabètes sont des femmes et, encore aujourd’hui, plus de 130 millions de filles âgées de 6 à 17 ans ne vont pas à l’école ; des millions de filles et de femmes sont victimes de violences, de mariages forcés, de mutilations génitales et chaque trimestre de confinement, à l’échelle internationale, engendrerait 15 millions de cas supplémentaires de femmes et de filles exposées aux violences basées sur le genre.
Notre délégation travaille depuis de nombreuses années sur les droits des femmes et des filles dans le monde. Tous nos travaux nous ont confortés dans cette conviction : l’égalité des sexes et l’autonomisation économique et sociale des femmes constituent le socle essentiel d’un développement durable dans tous les pays en voie de développement.
C’est pourquoi il nous paraît essentiel, aujourd’hui, d’orienter au mieux le financement de l’aide publique au développement vers des projets favorables au renforcement des droits des femmes et à l’égalité de genre. En la matière, la France soutient de longue date les engagements internationaux conclus, dans le cadre de l’ONU notamment, en faveur des droits des femmes, engagements qu’elle défend à l’échelle internationale dans ses relations bilatérales comme dans les enceintes multilatérales.
À cet égard, je citerai l’Agenda 2030 pour le développement durable, adopté par les 193 membres de l’ONU en 2015, qui fixe 17 objectifs de développement durable (ODD), parmi lesquels l’ODD 5 qui vise à « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ».
La France souscrit également aux critères de marquage « genre » des projets de développement, définis par le Comité d’aide au développement de l’OCDE.
D’importantes avancées sont intervenues récemment pour mieux orienter les financements de la politique de développement vers des projets favorables à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour autant, nous devons rester vigilants sur la mise en œuvre de cette politique comme sur les moyens, humains et financiers, qui lui sont alloués.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’examen par notre assemblée du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Du point de vue de l’intégration du genre comme priorité de la solidarité internationale, on peut se féliciter du travail accompli par nos collègues députés lors de l’examen du texte. Ils ont en effet inséré dans le projet de loi un nouvel article 1er A, qui inscrit directement dans la loi les grands objectifs de la politique de développement.
Cet article précise notamment que, dans le cadre de la diplomatie féministe de la France, la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales a pour objectif transversal la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans son rapport intitulé L’égalité femmes-hommes, un enjeu fondamental de solidarité internationale, adopté la semaine dernière, la délégation aux droits des femmes a formulé neuf recommandations permettant de mieux intégrer l’égalité de genre au sein de notre politique d’aide publique au développement, de sa conception à sa mise en œuvre sur le terrain. Nous estimons que, si ces recommandations sont appliquées, elles permettront à la France de se donner les moyens de ses ambitions en matière de diplomatie féministe. Nous avons déposé des amendements en ce sens.
Mme le président. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Claudine Lepage. En cette période de crise mondiale sans précédent, nous nous devons de protéger encore davantage toutes les femmes et les filles victimes d’inégalités et de violences à travers le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE, sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Richard Yung. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner un projet de loi très attendu, qui prend une résonance toute particulière avec la crise liée à la pandémie de covid.
Cette crise frappe plus durement les pays pauvres et fragiles. Elle rend plus difficile l’atteinte des 17 ODD, qui ont été fixés par le programme de développement durable à l’horizon 2030. Les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de lutte contre la pauvreté, de santé et d’éducation sont dangereusement remis en cause.
Face à ce constat alarmant, le secrétaire général de l’ONU a appelé à « un surcroît d’ambition et de mobilisation » pour atteindre les ODD d’ici à 2030. C’est exactement ce que nous faisons ! Un surcroît d’ambition et de mobilisation est d’autant plus nécessaire qu’un retard dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 avait été constaté.
Avec le texte ambitieux dont nous sommes saisis, la France est en capacité de répondre à cet appel. Elle est plus que jamais mobilisée pour lutter contre la pauvreté et les inégalités mondiales.
Notre pays est par ailleurs pleinement mobilisé pour aider l’Afrique à sortir de la pauvreté, ce qui est l’une de nos priorités, en concentrant les moyens de l’APD sur 19 pays prioritaires, dont 18 pays d’Afrique subsaharienne et en particulier 5 du Sahel. Aussi le Président de la République pourra-t-il faire des annonces lors du Sommet sur le financement des économies d’Afrique subsaharienne prévu le 18 mai prochain.
L’adoption unanime du projet de loi à l’Assemblée nationale témoigne du caractère consensuel de la réforme proposée par le Gouvernement. Je me félicite de l’état d’esprit constructif dans lequel notre commission a mené ses travaux, de façon convaincante et à vive allure. Je suis convaincu qu’un même état d’esprit nous animera d’ici à la fin de la discussion du texte en séance publique. Je remercie le président Cambon, les rapporteurs et tous les collègues qui ont bien voulu travailler avec nous.
Pour ce qui concerne la programmation financière, il reste quelques divergences. Je regrette que notre commission ait réduit l’ambition du texte adopté par l’Assemblée nationale (M. Rachid Temal, rapporteur, le conteste.), qui visait à faire sorte que la France mette en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour atteindre l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’APD en 2025. J’espère qu’une rédaction de compromis pourra être trouvée.
Par ailleurs, tout en me réjouissant de la volonté de nos rapporteurs de consacrer à l’APD 60 % du produit de la TTF, je m’interroge sur l’opportunité d’abonder un instrument extrabudgétaire, le fonds de solidarité pour le développement (FSD), qui échappe au contrôle du Parlement et a longtemps servi à compenser la baisse des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
S’agissant de la commission indépendante d’évaluation, le groupe RDPI a déposé plusieurs amendements visant à assurer le caractère indépendant de la future instance.
Lors de l’examen de l’article 9, nous devrons notamment répondre à trois questions.
Premièrement, des parlementaires doivent-ils siéger au sein de la commission, sachant que l’Assemblée nationale et le Sénat disposent de leur propre capacité d’évaluation et qu’ils seront destinataires des rapports ?
Deuxièmement, les personnalités qualifiées doivent-elles être désignées par le Gouvernement, qui assure le pilotage de la politique d’APD ?
Troisièmement, quel rôle la Cour des comptes et son premier président doivent-ils jouer ?
Nous devrons en outre veiller à ce que la commission puisse se pencher sur la question du détournement de l’APD. Ce phénomène est difficile à évaluer. La Banque mondiale s’y est récemment essayée. En ce qui concerne les 22 pays les plus dépendants de son aide, elle estime à au moins 5 % la part des flux détournés vers des paradis fiscaux.
Cela m’amène à évoquer la question des biens dits « mal acquis ». Le procès en appel de l’oncle de Bachar el-Assad pour blanchiment de détournement de fonds publics montre, s’il en était encore besoin, combien il est nécessaire de créer un dispositif permettant la restitution, au plus près des populations des États concernés.
Pas moins de 500 millions d’euros de biens et de valeurs auraient été saisis en France ces dernières années. Le dispositif prévu à l’article 1er s’inspire très largement de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur, que je tiens à saluer et que nous avons suivi au travers de la rédaction de nos amendements.
Une autre avancée majeure est l’intégration, réclamée de longue date, d’Expertise France. Afin de garantir le succès de cette réforme, une attention particulière devra être accordée aux conditions d’emploi des salariés d’Expertise France. Il faudra trouver une solution pour faciliter la mobilité intragroupe.
J’espère que nous débats permettront d’améliorer ce texte, qui est d’ores et déjà très bon, afin que le groupe RDPI – et peut-être aussi tous les groupes – puisse le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est peu de dire que nous attendions, sous le sceau de l’urgence, ce projet de loi de programmation pour l’aide publique au développement (APD).
Face à l’ampleur des inégalités sociales et économiques mondiales, face aux déstabilisations qu’elles entraînent dans nombre d’États et de régions du monde, face à la pandémie aujourd’hui, au danger climatique, aux crises de plus en plus nombreuses, le développement solidaire de l’humanité n’est plus une option : c’est devenu la condition première de la sécurité humaine collective.
Le droit à un développement humain digne est le premier des biens communs à promouvoir. Nous en sommes loin ! La France doit changer d’échelle en matière d’APD et redéfinir le contenu de son aide.
Les objectifs justement rappelés, via un ajout de l’Assemblée nationale, en tête du projet de loi – éradication de la pauvreté, lutte contre les inégalités, promotion des droits humains, de l’éducation et de la santé, des droits des femmes, protection des biens publics mondiaux –, doivent guider toute notre action et non une logique d’influence au service d’une puissance réservée à un petit club de nations les plus riches et de quelques grands groupes privés.
C’est au service du développement de tous les peuples que le rayonnement de la France peut prendre du sens, et non au service d’une logique de concurrence et de puissance de plus en plus contestée et contestable.
Le débat sur la levée des brevets des vaccins illustre parfaitement ces deux logiques.
Considérer d’abord l’APD à l’aune, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, des « bénéfices à en attendre pour notre pays », ce serait continuer à rater la cible d’une politique solidaire internationale à la hauteur.
À son arrivée au Sénat, ce texte n’avait de programmation que le nom. La commission a faiblement corrigé cela avec la programmation des crédits budgétaires jusqu’en 2025.
Nous proposons une autre ambition : premièrement, en inscrivant enfin et clairement dans la loi l’objectif contraignant des 0,7 %, auquel la France se dérobe depuis des années ; deuxièmement, en fixant les objectifs chiffrés qui vont avec car, nous le savons, les taux ne suffisent pas ; troisièmement, en pérennisant cette ambition jusqu’en 2030. Membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la France ne peut pas décemment continuer à tourner le dos à ces objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations unies en 1971 !
Monsieur le ministre, l’argument, avancé pour se dérober, des incertitudes budgétaires ou politiques en vue des échéances de 2022 n’en est pas un. Au contraire ! La pandémie et ses terribles conséquences appellent un engagement massif contre les inégalités mondiales, pour le développement et la sécurité de tous. C’est le moment de garantir dans la durée une véritable ambition. Sans cela, le tournant dont vous parlez ne sera que belles paroles.
Pour financer cette ambition, il faut non seulement garantir nos choix budgétaires, mais nous vous proposerons également d’augmenter l’assiette, le rendement et l’affectation de la taxe sur les transactions financières. Car la financiarisation délirante du monde capitaliste, à l’origine du krach mondial de 2008, est une indécence chaque jour lancée à la face des plus pauvres de la planète.
Garantir une nouvelle ambition, c’est aussi réorienter notre aide en profondeur : priorité aux pays les moins avancés (PMA), aux services sociaux de base, à l’émancipation des femmes, aux dons et non aux prêts. Ces objectifs doivent être gravés dans le marbre avec des cibles chiffrées.
Enfin, et j’ai envie de dire qu’il s’agit en fait de l’essentiel, il convient de changer en profondeur la philosophie de notre aide, pour la tourner résolument vers la construction des bases solides d’un développement propre des pays destinataires et la dégager de toutes les logiques de pillage qui persistent encore largement.
Nos amendements iront dans ce sens, pour ce qui concerne les instruments du secteur privé (ISP) et les contrats de désendettement, lesquels doivent être mis en cause et sortis des comptes de l’APD, car ils maintiennent les pays concernés dans la dépendance financière au lieu de les en dégager.
Nous devons également consacrer des fonds importants à la construction de recettes fiscales pérennes et solides pour les pays bénéficiaires, comme le FMI commence même à le prôner.
Enfin, la cohérence de toutes nos politiques doit être recherchée. Car à quoi sert d’aider d’une main si nous prenons de l’autre autant, et trop souvent plus ?
Accords commerciaux et libre-échange, lutte contre le changement climatique, conventions fiscales, relations monétaires, conditions d’engagements léonines des grands groupes français… : tout doit être réexaminé si nous voulons que la cohérence en faveur du développement entre dans la réalité. Nous proposons à cette fin qu’un rapporteur spécial suive dans chaque assemblée du Parlement la mise en œuvre de cette cohérence transversale.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons, avec des suggestions d’amélioration, l’instauration d’un rapport et d’un débat annuel ainsi que la création d’une commission indépendante d’évaluation.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Laurent. Nous proposons également de renforcer le suivi citoyen des projets d’APD et de contrat de désendettement et de développement (C2D).
Mme le président. Vous dépassez largement votre temps de parole.
M. Pierre Laurent. En l’état, nous nous apprêtons à nous abstenir sur ce texte, mais nous ne désespérons pas d’obtenir lors du débat des progrès significatifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jacques Le Nay. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jacques Le Nay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Ce texte, très attendu, est notamment la concrétisation de l’engagement du Président de la République, pris au début de son mandat et rappelé lors de son discours à l’université de Ouagadougou, que 0,55 % du RNB de notre pays soient consacrés en 2020 aux politiques d’aide publique au développement.
Depuis lors, la pandémie du covid-19 a bouleversé les équilibres mondiaux et redistribué les enjeux des politiques d’APD. Elle a exacerbé des inégalités déjà existantes et en a créé de nouvelles.
Au-delà de la crise sanitaire mondiale que nous traversons, le déploiement de l’APD française s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par l’urgence climatique, mais aussi par la persistance des crises, l’aggravation des inégalités mondiales, la résurgence de logiques de puissances nationales affaiblissant le multilatéralisme, les guerres persistantes et les difficultés certaines à faire respecter les droits humains fondamentaux. Les ambitions, les outils et les moyens de la politique de développement solidaire ayant eux aussi évolué, il était nécessaire que nous puissions débattre sur ces sujets.
Ce projet de loi de programmation permet d’entériner des ambitions affichées depuis quelques années.
Je pense, par exemple, à l’objectif des 0,55 % du RNB devant être consacrés à l’APD en 2020, objectif qui a été atteint.
Je pense également à l’amélioration de la redevabilité de la politique de développement solidaire, via un rapport annuel du Gouvernement au Parlement, qui comportera toutes les informations nécessaires à la compréhension globale des actions menées au cours de l’année qui précède et où sera notamment mentionnée la liste des pays dans lesquels intervient l’AFD. Cette mention nous permettra, lors du débat qui suivra la remise de ce rapport, d’échanger sur les financements accordés à certains pays émergents.
La création d’une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement solidaire et la transformation d’Expertise France en société par actions simplifiée au sein du groupe AFD sont également des avancées auxquelles nous souscrivons.
Cependant, si ces avancées doivent être saluées, certaines dispositions nous semblent trop timides. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a contribué à clarifier le texte, via plusieurs modifications, et, à cette occasion, je souhaite remercier les corapporteurs de la qualité de leurs travaux.
La priorisation des objectifs était nécessaire pour une meilleure lisibilité des politiques de développement, et je salue l’inscription de la protection de la planète comme l’un d’entre eux. En effet, la crise sanitaire due au covid ne doit pas placer la situation d’urgence climatique au second plan.
La commission a également proposé une véritable programmation jusqu’en 2025, rendu la taxe sur les transactions financières à sa vocation première, amélioré l’information du Parlement et renforcé la tutelle de l’État sur l’AFD.
Enfin, elle a œuvré pour que la part de dons de l’APD soit renforcée en fixant un objectif de 65 % de dons, contre 59 % actuellement.
Il nous semble que le texte proposé par notre commission est équilibré, mais nous insisterons sur quelques points.
Nous soutiendrons plusieurs amendements afin de défendre l’usage du français dans les instances internationales, la promotion de son apprentissage et l’aiguillage de financements de l’AFD vers les établissements enseignant notre langue. Nous souhaitons également que le français soit la langue de travail de l’AFD.
Il nous a semblé que les territoires d’outre-mer n’étaient pas reconnus à leur juste valeur ; aussi, nous vous proposerons un amendement visant à clarifier leur rôle dans le cadre de la politique de développement solidaire, afin d’en faire des territoires relais, essentiels dans leur environnement régional.
Nous proposerons également un dispositif alternatif à celui de l’article 9, en soutenant l’amendement de notre collègue Michel Canévet.
Le Parlement contrôle et évalue, en vertu de son rôle constitutionnel, les politiques d’aides publiques. L’amendement vise donc à regrouper et à centraliser les activités de contrôle de la politique française de développement, tout en les élargissant au sein de cette nouvelle commission indépendante.
Les différents groupes parlementaires d’amitié seraient en particulier associés aux travaux de la commission, en apportant leur éclairage et leur évaluation sur leur zone de compétence. Un autre amendement tend à approfondir cette participation des groupes d’amitié à la politique de développement, en les associant aux travaux des conseils locaux de développement, autre nouveauté de ce texte.
Enfin, nous soutiendrons, par un amendement de notre collègue Olivier Cadic, nos entrepreneurs français à l’étranger, qui contribuent directement à la création de richesse dans les pays dans lesquels ils s’implantent.
Étant soumis au droit local, ces entrepreneurs français à l’étranger ne bénéficient d’aucune aide française dans le cadre de la pandémie ou lors de catastrophes naturelles, par exemple. Ouvrir le dispositif de garantie et d’aides à l’ensemble des entrepreneurs français à l’étranger dans le besoin permettrait d’épauler un partenaire majeur de l’aide publique au développement lorsqu’ils sont en difficulté.
À l’heure actuelle, l’actualité mondiale nous montre plus que jamais à quel point l’aide publique au développement est cruciale. Plusieurs pays, plusieurs régions du monde, sont en proie à des déséquilibres qui laissent craindre, dans un futur proche, l’émergence de situations contraires à nos intérêts.
L’APD, levier puissant de notre diplomatie et de notre rayonnement, doit répondre aux défis communs par la pérennisation de la solidarité internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. André Guiol et Richard Yung applaudissent également.)