Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a de grands principes qui fondent notre droit et qui se confrontent : on ne soumet pas à un procès les individus n’étant pas en capacité de présenter personnellement leur défense ; on ne juge pas les fous. Cependant, on a le devoir de mettre hors d’état de nuire les individus dangereux et celui d’assurer aux parties civiles que justice soit faite quand le mal est fait.
L’irresponsabilité pénale ne doit être invoquée qu’en cas d’extrême nécessité, car la justice et la sécurité doivent être assurées. Mais depuis dix ans le nombre d’ordonnances d’irresponsabilité a fortement augmenté. Ce terme et, surtout, sa signification ne doivent pas être dévoyés. Or il semble que la culture de l’excuse soit aussi florissante que la culture du cannabis.
Je pense tout spécialement à la douleur de la famille de Sarah Halimi le 14 avril dernier, jour où les juges de la Cour de cassation ont confirmé que le meurtrier était pénalement irresponsable au moment des faits ; qu’il était en proie à une « bouffée délirante » lorsqu’il a tué sa voisine, après la consommation de stupéfiants.
Ce criminel ne sera pas jugé, car les juges ont estimé que fumer du cannabis en quantité et tuer une personne juive aux cris d’« Allah Akbar » n’était que la « bouffée délirante » passagère d’une personne tout à fait normale, refusant de voir qu’il était activement en proie à des bouffées islamistes, antisémites et criminelles.
Résultat : ni prison ni hôpital psychiatrique pour Kobili Traoré ; une bouffée de haine de plus dans la nature. Que se passera-t-il s’il récidive ?
Il y a la séparation des pouvoirs, mais nous sommes là aussi pour exprimer la colère d’une famille et de la famille nationale, pour faire en sorte que le code pénal et le code de procédure pénale ne légitiment pas la culture de l’excuse.
Abolir volontairement son discernement par la consommation volontaire de drogues, n’est-ce pas déjà avoir fauté ? La tolérance croissante de notre société face aux substances psychoactives et aux drogues nous expose à ces excès, à ces drames et à ces injustices.
Alors que le débat sur la légalisation du cannabis s’est invité au Parlement, au point que l’on a pu voir un député brandir un joint dans l’hémicycle du Palais-Bourbon – à croire qu’il venait d’en fumer un… –, les parlementaires doivent considérer l’expression de la responsabilité dans le droit en questionnant d’abord leur propre qualité de responsable politique.
Au-delà des évolutions législatives, il est bon que le sentiment d’injustice né de l’absence de procès et de jugement se fasse entendre par l’institution judiciaire elle-même : car c’est elle qui voit, entend, touche et doit comprendre le pays réel.
Il convient ensuite de donner aux juges, dans leur appréciation souveraine, les moyens financiers et humains nécessaires pour rendre la justice et mieux éclairer leur jugement.
Il y a une dernière condition pour que la justice soit rendue : son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, qui plus est lorsque le ministre de tutelle se vante d’être le ministre des délinquants ! (M. le garde des sceaux se gausse.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme nous tous, j’ai une pensée émue pour Sarah Halimi et les membres de sa famille. Son meurtre est une tragédie. La proposition de loi que nous examinons dépasse le cadre de cette affaire : pourtant, c’est bien ce meurtre qui a mis l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental au centre de l’actualité.
Mal comprise, l’irresponsabilité pénale choque parfois. Certains y voient une forme d’immunité, voire une incitation au crime. Or la réalité est bien différente. Il faut admettre que les troubles psychiques, même dangereux, ne se traitent pas avec une sanction pénale. La place de ceux qui en sont atteints est à l’hôpital et non pas en prison.
Cela ne signifie pas pour autant qu’ils doivent être remis en liberté. Quand le meurtrier de Mme Halimi a été déclaré irresponsable, la juridiction a « ordonné son admission en soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète ainsi que des mesures de sûreté ».
L’objectif principal des auteurs de cette proposition de loi était de restreindre le champ d’application de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Nos collègues souhaitaient empêcher que puissent être déclarés irresponsables ceux dont le comportement est à l’origine du trouble mental.
Leur initiative s’inscrit dans le sillage d’autres réflexions. Un projet de loi sur la question sera prochainement présenté et une mission flash est en cours sur le sujet à l’Assemblée nationale – les précédents orateurs l’ont déjà rappelé.
Le travail en commission, notamment les auditions menées dans le cadre de l’examen du présent texte, a montré toute la difficulté qu’il y a à tenter de rendre quelqu’un responsable de son irresponsabilité.
Nos collègues n’ont eu d’autre choix que de renoncer à modifier la règle de l’irresponsabilité pénale : aucune rédaction ne permettait d’éviter une atteinte aux principes fondamentaux de notre droit.
À ce titre, je salue la décision de la commission. C’est une décision de sagesse, qui ne laisse pas l’émotion, même légitime, prendre le pas sur l’intérêt général.
Avec sa rédaction, la commission nous propose d’améliorer plusieurs points de procédure du domaine de l’expertise judiciaire. Ces améliorations sont les bienvenues. Celle qui permet d’écarter tout conflit d’intérêts de la part de l’expert nous semble particulièrement pertinente.
En outre, le texte de la commission contient une disposition visant à ce qu’un procès pénal se tienne lorsque l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte de son fait fautif. La responsabilité pénale serait déterminée lors de ce procès afin de faire droit au besoin de procès des victimes.
Bien entendu, l’objectif est louable et nous tenons à ce que la place des victimes soit respectée. Toutefois, nous craignons que cette solution n’entraîne encore davantage de frustration : tenir un procès pour finalement déclarer l’auteur irresponsable ne sera pas plus facile pour la partie civile.
Par ailleurs, il semblerait que des doutes persistent quant à la solidité juridique de la rédaction proposée. Cette disposition nous inspire donc quelques réserves.
Enfin, le texte entend préciser pour l’ensemble des infractions que la consommation d’alcool ou de stupéfiants est une circonstance aggravante. Cette précision nous semble fondamentale. Nous nous étonnons d’ailleurs qu’elle ne soit pas systématique : pour certaines infractions, cette circonstance aggravante est déjà explicitement mentionnée, mais la rapporteure a pu constater qu’elle n’était pas prévue pour certains crimes pourtant particulièrement graves, comme la torture et les actes de barbarie.
Il nous paraît indispensable de l’étendre à l’ensemble des crimes et délits. Ainsi, le message sera clair : la consommation d’alcool ou de stupéfiants, loin d’excuser le comportement de l’auteur, renforce la peine qu’il encourt.
Ainsi, ce texte contribue à l’amélioration de notre droit pénal. Si nous ne souscrivons pas à l’ensemble de ses mesures, nous sommes particulièrement favorables à un renforcement des sanctions à l’encontre de ceux qui commettent des infractions sous l’influence de stupéfiants ou d’alcool. Nous soutiendrons donc l’adoption de cette proposition de loi !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le meurtre de Sarah Halimi nous a tous choqués.
Nombreux, nous attendions le procès de son meurtrier pour mieux comprendre comment s’est développé et comment se développe encore cet antisémitisme qui touche certains de nos jeunes ; mieux le comprendre pour mieux le combattre, en donnant un signal fort grâce à un vrai procès.
Le racisme n’a pas de raison d’être, l’antisémitisme n’a pas de fondement et nous nous devons de lutter contre ces fléaux afin de préserver notre unité et de faire Nation.
Nous attendions ce procès pour montrer que la bêtise peut se transformer en haine, la haine en violence meurtrière, et que la violence est punie par la loi.
Nous attendions ce procès pour dire la justice : la justice pour Sarah, la justice pour sa famille, la justice pour nous tous.
Or, de procès, il n’y a pas eu ; enfin, pas un vrai procès d’assises avec des jurés, en présence de l’accusé.
Le meurtrier, en plus d’être antisémite, était drogué et c’est bien la somme de tout cela qui l’a conduit à tuer Sarah Halimi. Mais, au moment des faits, une bouffée délirante lui a ôté son discernement : et si l’on peut juger les imbéciles, les méchants et les violents, on ne juge pas les fous.
Aucun des experts qui se sont prononcés dans cette affaire n’a remis en question la folie du meurtrier au moment de son crime. Mais aucun des experts n’a mis en doute le fait que le cannabis à haute dose consommé par le meurtrier y était pour quelque chose.
La seule question était : une maladie mentale a-t-elle été exacerbée par la drogue ou est-ce la drogue qui a conduit à la maladie mentale ? Il s’agit là d’un débat seulement médical.
S’agissant de la justice, une seule chose à retenir : le meurtrier n’avait plus de discernement au moment des faits, celui-ci ayant été aboli par sa consommation volontaire de cannabis, c’est-à-dire de son propre fait, en l’occurrence fautif.
Nous voici donc au point qui nous préoccupe. L’article 122-1 du code pénal, qui permet de déclarer un auteur pénalement irresponsable, devait-il s’appliquer à une personne dont le discernement a été altéré de son propre fait ? Que ce soit de son fait ou non, l’auteur était irresponsable au moment du meurtre et cela, nous ne pouvons rien y faire. Devrait-on le juger pour des faits qu’il n’a pas commis en toute conscience ?
Jusqu’à présent, notre droit et notre justice s’y sont toujours refusés, malgré les propositions faites en ce sens par certains spécialistes. Notre rapporteur nous propose de rester sur cette ligne. Malgré l’émoi suscité, nous nous devons de légiférer avec le recul nécessaire, en laissant de côté notre émotion légitime.
Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de nous poser des questions et, en particulier, de nous demander si l’approche mise en œuvre ne devrait pas être différenciée entre un auteur rendu meurtrier par sa propre faute et un auteur que le libre arbitre a quitté sans qu’il ait rien fait pour. Le premier ne pouvait ignorer que son comportement pouvait le pousser à ne plus se maîtriser ; le second est une victime collatérale de son propre état.
Cela change tout pour l’auteur, mais aussi pour les victimes, pour lesquelles entendre que quelqu’un s’est mis dans un état second volontairement et que cela l’exonère de responsabilité est particulièrement difficile. On sait que la justice est réparatrice pour les victimes, même si, dans le cas présent, elle ne ramènera pas une mère.
Le fait que la culpabilité de l’auteur soit reconnue permet de conférer aux personnes qui ont subi ses actes le statut de victime ; c’est pour cela que le jugement est important. Tel est l’objet de cette proposition de loi. Il s’agit de permettre que le jugement ne se limite pas à la décision de la chambre de l’instruction, comme c’est le cas en l’espèce, ou à l’ordonnance du juge d’instruction, mais que, lorsque l’auteur est à l’origine de l’abolition de son propre discernement, on rende tout de même justice aux victimes par un procès public.
Dans le cas Halimi, que se serait-il passé ? Un procès public aurait eu lieu, durant lequel l’auteur aurait, comme il l’a fait devant la chambre de l’instruction, reconnu son crime et présenté ses excuses aux victimes. Il aurait, très probablement, été déclaré irresponsable de la même façon.
Les victimes, elles, auraient été reconnues publiquement et la cour aurait pu rappeler, également publiquement, avec un écho plus large que celui de la chambre de l’instruction, que l’antisémitisme est pénalement répréhensible.
Pour la suite, l’auteur est en hôpital psychiatrique et sa seule sanction est de ne plus apparaître dans le périmètre géographique de son crime pendant vingt ans. Pourrait-il sortir libre dès demain, sans obligation de soins, sans être contraint de ne jamais retoucher à une quelconque drogue ? Ce sont les médecins, et non plus le tribunal, qui devront y répondre, alors que, à mon sens, le juge devrait pouvoir intervenir à ce moment, afin de prendre en compte la dangerosité potentielle de la personne que l’on aura à libérer un jour, si elle va mieux.
On ne juge pas les fous, c’est juste, mais savoir mesurer leur dangerosité et s’en protéger, c’est également justice.
Notre groupe salue l’initiative de nos deux collègues Nathalie Goulet et Jean Sol, qui nous donne l’occasion d’avoir aujourd’hui un débat nécessaire sur l’évolution de l’irresponsabilité pénale, mais également sur ce qui permet de la caractériser : l’expertise psychiatrique du prévenu ou de l’accusé.
Grâce à leurs travaux, nous aboutissons aujourd’hui à un texte équilibré que notre groupe soutiendra, en espérant, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement saura s’en inspirer, comme il a su le faire au cours des derniers mois pour d’autres propositions de loi sénatoriales, et je salue ici notre collègue Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que législateur, il est des combats que nous pouvons mener, des réponses que nous pouvons apporter, des besoins que nous pouvons satisfaire ; il en est d’autres pour lesquels la réponse est plus malaisée. La question de l’irresponsabilité pénale des malades psychiatriques exige ainsi beaucoup d’humilité.
Affaire après affaire, nous sommes collectivement choqués, meurtris, horrifiés par l’atrocité de faits commis, lesquels échappent parfois même à notre capacité à les nommer. En sympathie avec les proches des victimes, nous percevons le caractère incommensurable de leur douleur ; nous partageons leur besoin de comprendre, leur soif de justice, leur volonté d’obtenir réparation.
Comme les leurs, nos questionnements et nos exigences restent insatisfaits, car, si la justice commande qu’un auteur réponde de ses actes devant la société, l’irresponsable, au sens étymologique du terme, n’en a pas la capacité et laisse la société, comme les victimes, sans réponse.
Je n’oublierai ainsi jamais, parce que cela s’est passé sur le territoire de la commune dont j’étais le maire, ces deux familles détruites après qu’un jeune homme atteint de schizophrénie a tué sa petite amie. L’irresponsabilité n’efface pas l’horreur du crime, elle y ajoute l’incompréhension face au « crime du fou ».
Ces histoires dramatiques nourrissent une insatisfaction profonde et un débat public sur ce qui pourrait changer. Or la voie est étroite et l’on peut envisager les choses d’un tout autre point de vue.
Ainsi que l’a rappelé Jean Sol, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, les travaux communs de nos deux commissions étaient, à l’origine, d’une autre nature. Il s’agissait, à la demande de notre collègue Nathalie Delattre, d’examiner les conditions de l’expertise psychiatrique en matière pénale sur la base du constat que la santé mentale de nombreuses personnes incarcérées est défaillante, que ces dernières aient été atteintes de troubles mentaux avant leur procès ou qu’elles en aient développé par la suite. L’angle de départ était plutôt que ces malades mentaux n’avaient pas forcément leur place en prison.
Au-delà de la misère de la psychiatrie en France, déjà bien documentée par de nombreuses analyses, les travaux de nos commissions ont mis en lumière les grandes difficultés de l’expertise psychiatrique, laquelle s’appuie sur une ressource de plus en plus rare, et néanmoins plutôt peu et mal pilotée.
C’est ce à quoi l’essentiel de la proposition de loi de Jean Sol s’efforçait de remédier. Je ne voudrais pas, monsieur le garde des sceaux, que le débat sur l’irresponsabilité pénale occulte totalement cette partie du texte. Dans cette matière, certes moins noble et plus concrète, il est évident que le ministère de la justice doit progresser. Nous partons de loin : la commission a, par exemple, réalisé, il y a peu, que le dossier du travail des experts ne semblait tout simplement pas géré par la Chancellerie.
S’agissant de l’irresponsabilité pénale, nous recherchons un équilibre fragile entre le besoin de réparation des victimes et le fait que l’incarcération d’une personne malade ne saurait en aucune manière le satisfaire.
Avec Jean Sol, nous avons considéré que la question de l’intoxication volontaire par des substances psychoactives devait être posée. L’irresponsabilité ne doit pouvoir être retenue que lorsqu’elle n’a pas été expressément recherchée. C’est pourquoi la rédaction proposée dans la proposition de loi retenait la notion « d’exposition contrainte aux substances psychoactives », seule susceptible d’entraîner une abolition du discernement.
Cette rédaction préservait également la capacité du juge à apprécier les circonstances de l’espèce, ce qui me semble indispensable, le législateur ne pouvant tout prévoir, énumérer tous les cas de figure dans la loi et encore moins se substituer au juge ou à l’expert, même si, sous le coup de l’émotion, il peut en éprouver le besoin.
Il est, en revanche, une responsabilité qu’il porte, celle de créer les conditions d’une prise en charge correcte de la santé mentale dans notre pays et, même si je connais moins bien ce domaine, les conditions d’une administration correcte de la justice.
Nos réponses face aux crimes des personnes psychotiques resteront forcément insatisfaisantes, comme le sera peut-être notre débat d’aujourd’hui. Il est pourtant de notre responsabilité de les traduire dans des politiques publiques plus efficaces. Je forme le vœu que notre débat d’aujourd’hui puisse y contribuer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a dix-huit mois, j’interpellais Édouard Philippe, alors Premier ministre, dans cet hémicycle à la suite de la décision de la cour d’appel en ces termes : « Le droit, certes, mais la décision est-elle juste ? » Le Premier ministre, très embarrassé, m’a fait une réponse mi-figue mi-raisin d’où il ressortait que, certes, le droit était respecté, mais que la décision n’était pas juste.
Nous avons tous attendu avec beaucoup d’espoir la décision de la Cour de cassation, considérant que, si celle-ci décidait d’un procès, nous n’aurions peut-être pas à dire que la loi devait être modifiée, alors que l’émotion avait saisi tout le pays – et pas seulement la communauté juive, comme je l’ai entendu – après le massacre de Mme Halimi. Une telle décision aurait peut-être pu calmer le jeu, permettre aux victimes de faire leur deuil et faire en sorte qu’il puisse y avoir un vrai procès, après bien des erreurs dans la conduite de cette affaire.
Malheureusement, la Cour de cassation n’en a pas décidé ainsi, avec tout le respect que j’ai pour les magistrats. Ceux-ci se sont eux-mêmes légitimement défendus en indiquant qu’ils appliquaient la loi, laquelle ne permettait pas de distinguer ce qui provoque l’irresponsabilité provisoire. Dans ces conditions, ils considéraient qu’il ne leur revenait pas de déterminer si le meurtrier était ou non responsable de son irresponsabilité et renvoyaient, à raison, la question au législateur.
Et nous voilà avec ce texte mal ficelé.
J’entends bien que l’on ne légifère pas dans l’émotion, mais légiférer sur la demande des magistrats de la Cour de cassation, ce n’est pas légiférer dans l’émotion : c’est répondre à une demande de la magistrature pour lui permettre de mieux juger. Dans ces conditions, il me paraît tout à fait normal que le législateur fasse son travail.
Il ne s’agit pas de dire que l’on va juger les fous. Personne n’imagine qu’on en revienne au Moyen Âge, quand les fous étaient présentés avec capuchon et oreilles d’âne, encore que la justice du Moyen Âge n’était pas aussi caricaturale qu’on le dit parfois et faisait des distinctions sur le jugement des fous.
On évoque des cas de schizophrènes, mais dans ces cas-là, personne ne peut mettre en cause, ni de près ni de loin, la responsabilité de ces gens ; il est évident que, si vous souffrez d’une maladie mentale, quelle qu’elle soit, il n’y a pas lieu de mettre en cause votre responsabilité et il faut trouver des solutions acceptables pour les victimes comme pour la société.
Lorsque, cependant, le meurtrier ou le délinquant – peu importe la gravité de l’acte – est dans un état qu’il a lui-même provoqué, comment avancer que, peut-être, ce serait la société ou son entourage qui aurait provoqué une situation qui l’aurait poussé, parce qu’il ne se sentait pas en état, vers la drogue, l’alcool, ou je ne sais quel élément qui lui aurait fait perdre sa responsabilité ?
Dans ce cas, à mon sens, le législateur doit faire la balance entre la liberté et les droits individuels, que les magistrats défendent très bien, je compte sur eux pour cela, et la défense de la société, la défense de ce que nous voulons incarner collectivement, quelles que soient nos opinions : de gauche, de droite ou du centre, là n’est pas le sujet.
Le sujet, c’est de savoir comment la société traite ses victimes, l’ensemble de ceux qui subissent, d’une manière ou d’une autre. Si vous vous contentez de leur dire, « vous comprenez, l’article 122-1 ne le permet pas », pardon de vous dire que vous êtes déconnecté des gens et des réalités !
Il y a des familles, servez-les ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Christian Bilhac applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative aux causes de l’irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l’expertise en matière pénale
Chapitre Ier
Des causes de l’irresponsabilité pénale
Article 1er
Après le premier alinéa de l’article 706-120 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le juge d’instruction au moment du règlement de son information estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l’application de l’article 122-1 du code pénal et, le cas échéant, sur la culpabilité. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 7 est présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Éliane Assassi. Alors qu’une majorité semble se dégager pour que nous ne touchions à l’article 122-1 du code pénal, ma crainte est que cet article 1er ne conduise à le faire tomber.
C’est la raison pour laquelle nous en demandons la suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 7.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai présenté cet amendement lors de la discussion générale. Il nous semble que la solution imaginée par la commission des lois, in fine, n’est pas réaliste.
D’une part, la chambre de l’instruction a procédé et procède à de vraies audiences avec contradictoire et publicité ; d’autre part, nous considérons que ce n’est pas fondamentalement le rôle d’un tribunal correctionnel ou, singulièrement, d’une cour d’assises, que de déclarer l’irresponsabilité ou l’hospitalisation sous contrainte, même si le droit le permet. Une cour d’assises est beaucoup plus habituée à condamner, tout simplement. Par conséquent, on modifie l’équilibre de notre processus judiciaire.
Il faut que la chambre de l’instruction fasse son travail, ce qui n’est pas du tout exclusif des amendements que nous présenterons et qui visent à prendre en compte les cas où l’auteur, en toute responsabilité, organise en quelque sorte son irresponsabilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Madame Assassi, monsieur Sueur, vous ne serez pas étonnés que l’avis de la commission soit défavorable.
Madame Assassi, j’ai bien entendu vos propos lors de la discussion générale, mais ce texte n’emporte pas de contournement de la procédure de l’article 122-1, qui va rester intégralement en l’état ; il est seulement prévu un renvoi devant les juridictions du fond en cas de fait fautif ayant causé l’abolition temporaire du discernement. Nous n’avons donc aucune volonté de contourner les dispositions de l’article 122-1, l’ensemble du bloc de l’instruction tel qu’il existe aujourd’hui, avec les expertises, sera maintenu, y compris le débat issu de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, dite loi « Dati » dans le cadre de la procédure d’instruction. C’est en cas de fait fautif, et dans ce cas-là seulement, qu’il y aura renvoi devant la juridiction de jugement.
J’ajoute, à l’attention de M. Sueur, que la chambre de l’instruction n’est pas une juridiction de jugement, elle ne prononce pas de peine et elle peut parfaitement se réunir en l’absence de la personne responsable de la mise en examen. En tous les cas, elle ne propose un sursis à statuer que lorsque les personnes ne sont pas en état d’être jugées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je m’en remets à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements, parce que je veux exprimer la nécessité de débattre de ces questions.
Je suis évidemment défavorable à l’article 1er dans cette rédaction et, comme je l’ai indiqué, je suis défavorable au texte, mais il me semble important que nous puissions débattre et je suis très attaché à m’enrichir du débat lorsque celui-ci est constructif.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 7.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer le mot :
temporaire
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.