Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous avons souhaité déposer deux amendements afin de préciser davantage la portée de l’article 1er élaboré par Mme le rapporteur.
Cet article ne fait référence qu’à l’hypothèse dans laquelle le lien causal entre comportement et abolition du discernement a conduit à une abolition temporaire du discernement.
Par cet amendement, nous souhaitons permettre au juge du fond de décider, lorsque l’origine de l’absence de discernement résulte du comportement du mis en cause, qu’un procès ait lieu, que cette absence de discernement soit définitive ou temporaire.
L’objet du présent amendement est donc de renvoyer au juge du fond le soin de statuer sur le caractère temporaire ou non de l’abolition de discernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Votre amendement est totalement contraire à l’esprit du texte que nous avons voté en commission. Précisément, l’idée n’est pas de transférer toutes les personnes irresponsables devant la juridiction de jugement, mais seulement celles dont un fait fautif a causé l’abolition temporaire.
Si l’on enlève « temporaire » du dispositif, celui-ci devient totalement déséquilibré. Dès lors, autant supprimer l’article 122-1 !
La commission a fort bien fait d’émettre un avis défavorable sur votre amendement, dont l’adoption déséquilibrerait le texte. Je vous propose donc de le retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis évidemment sur la même ligne que Mme la rapporteure. Si l’abolition du discernement n’est pas temporaire, alors elle est encore en cours dans la phase de jugement. Cela signifie donc que l’on juge un fou, ce qui est contraire à ce que nous souhaitons.
L’accusé doit être à même de comprendre le procès. Si nous ne sommes pas dans cette situation, alors nous sommes, au regard des règles qui sont les nôtres, dans une forme de régression. Tout le monde sera d’accord là-dessus.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Madame Jacqueline Eustache-Brinio, l’amendement n° 4 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bas, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer le mot :
fautif
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Cet article concerne la notion de « fait fautif », laquelle nous semble complexe à circonscrire et susceptible d’ouvrir la voie à de multiples interprétations juridiques non dépourvues de conséquences.
Cette formulation pourrait ainsi être entendue comme renvoyant nécessairement à une infraction pénale ; or la loi pénale étant d’interprétation stricte, cela risquerait de poser quelques difficultés.
Une consommation excessive d’alcool à son domicile, par exemple, ne constitue pas en soi une infraction pénale, pas plus que la non-prise d’un traitement médicamenteux consécutif à une pathologie psychiatrique qui ne serait pas imposé par une autorité judiciaire au titre d’une obligation de soins.
Pour l’ensemble de ces raisons, il nous paraît indispensable de supprimer l’adjectif « fautif » de l’article 1er, afin de ne pas limiter la caractérisation des cas dans lequel le comportement du mis en cause a contribué à l’abolition de son discernement, quand bien même ce comportement n’est pas constitutif, en soi, d’une infraction pénale.
Tel est l’objet de cet amendement, qui nous semble essentiel pour conforter cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Sagesse.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Compte tenu de mes réserves sur l’article 1er, je ne peux être favorable à un amendement qui en élargit encore le champ d’application.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Un mot d’explication de vote en soutien de cet amendement.
Nous l’avons constaté lors de nos différents échanges, nous nous accordons tous sur quelques points, parmi lesquels le sacro-saint principe selon lequel on ne peut pas juger les fous. C’est la raison pour laquelle Jacqueline Eustache-Brinio vient de retirer, après les explications du rapporteur et du garde des sceaux, son amendement n° 4 rectifié bis.
Il s’agit ici d’autre chose : si nous ne voulons pas juger les fous, nous entendons apporter un remède à un texte, qui nécessite quelques explications.
Comme l’a dit Jean-Pierre Sueur, le statu quo n’est pas possible. Nous avons d’ailleurs rejoint l’analyse de la commission des lois et du rapporteur afin que les familles des victimes, voire les victimes, si elles sont encore en vie, puissent bénéficier d’un procès, qui est un moment important, pour la victime, pour sa famille ou pour ses proches.
À ce titre, la ligne de crête dégagée par la commission est la bonne, qui consiste à cibler les situations dans lesquelles une sorte de choix volontaire a présidé, chez celui qui a commis le délit ou le crime, à l’abolition de son discernement.
Cet amendement vise à retirer du texte la mention d’un « fait fautif ». Que cherchons-nous ? Nous voulons savoir si le fait générateur est la volonté de celui qui, par la prise immodérée d’alcool ou de stupéfiants, a aboli son discernement. Peu importe la cause, que le fait soit fautif ou non, que sa volonté soit liée ou non à une infraction.
Or « fait fautif » renvoie directement à une infraction pénale ; c’est ce que nous ne voulons pas. Les exemples avancés par Jacqueline Eustache-Brinio me semblent probants, cette notion atténue le dispositif que nous proposent Mme le rapporteur et la commission des lois.
C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
statuera
insérer les mots :
, avant l’examen au fond,
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous l’avons dit, nous sommes défavorables à l’article 1er ; pour autant, nous proposons ici une précision procédurale : qu’il soit procédé à l’examen de l’irresponsabilité éventuelle par la juridiction de jugement avant l’examen de l’affaire au fond.
C’est toujours le cas pour les exceptions de procédure, mais il me semble qu’il est très important de le rappeler et de le préciser. Lorsqu’une cour d’assises va être saisie de ce cas de figure, il faudra traiter d’emblée la question de l’irresponsabilité, avant que ne s’ouvre le débat sur les faits.
À défaut, notre crainte que des jurés populaires ne puissent finalement pas prononcer l’irresponsabilité serait renforcée.
En toute logique, nous souhaitons donc que l’examen de cette irresponsabilité pénale éventuelle ait lieu avant celui de l’affaire au fond.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. La commission a émis un avis de sagesse sur votre amendement, madame de La Gontrie, dans la mesure où vous avez parfaitement compris le dispositif. Il consiste, premièrement, à conserver le bloc de l’article 122-1 du code pénal, deuxièmement, à ne déférer que les personnes dont le discernement a été aboli temporairement. Le fait que l’examen de l’irresponsabilité intervienne in limine litis ne me semble pas être un problème.
L’avis de sagesse – positive, ajouterai-je – de la commission se justifie par le fait que celle-ci n’a pas pu évaluer ce dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis défavorable à cet amendement, car comment pourrait-on dissocier l’examen de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental et l’examen au fond du dossier ? J’ai du mal à concevoir la mise en œuvre pratique de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le garde des sceaux, c’est pourtant précisément ce que fait la chambre de l’instruction ! Je suis intriguée par votre argument, car la chambre de l’instruction examine la question de l’irresponsabilité pénale, alors même qu’elle ne statuera pas sur le fond. Votre argument ne me semble donc pas recevable…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … et je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. La réponse de Mme de La Gontrie ne me satisfait pas et je suis totalement d’accord avec ce qu’a dit le garde des sceaux. En effet, je ne sais pas comment l’on peut juger de l’irresponsabilité d’une personne sans parler du fond du dossier.
Selon vous, madame de La Gontrie, c’est ce que fait la chambre de l’instruction. Certes, mais nous parlons d’un renvoi en jugement, car c’est là le but de tout le dispositif.
La solution que la commission des lois propose pour régler le problème de l’irresponsabilité pénale dans un contexte déterminé, c’est de renvoyer l’affaire en audience de jugement. Or vous proposez de dissocier la question de la responsabilité pour la traiter en premier. C’est incompréhensible, car à partir du moment où l’on renvoie l’affaire en audience de jugement, il est impossible de séparer la question de la responsabilité et le fond du dossier.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 122-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le discernement est la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le discernement est nécessaire à l’établissement de l’imputabilité, élément indispensable pour répondre pénalement des conséquences de ses actes. Il est ensuite une composante essentielle de la capacité pénale, l’aptitude à la sanction supposant d’en comprendre le sens.
C’est pourquoi il nous est apparu utile et opportun d’inscrire dans le code pénal une définition du discernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Aucune définition du discernement ne figure, effectivement, dans le code pénal.
C’est pourquoi la commission a souhaité avoir l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. André Reichardt. Et le Larousse ?
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Exercer son discernement, c’est tout simplement savoir ce que l’on fait. Pourquoi ajouter une définition qui complexifiera la notion ? D’autant que l’on pourra ensuite faire la définition de la définition ! Ce qui est compliqué, c’est de savoir si le discernement est totalement aboli ou s’il est simplement altéré.
Dans la loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, qui a été votée il y a peu de temps, la notion du discernement du mineur a été introduite, alors qu’elle n’existait pas dans l’ordonnance de 1945 : « Est capable de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet. »
Pour le reste, je rappelle que la notion de discernement, qui est utilisée depuis la loi du 22 juillet 1992, n’a jamais posé aucun problème, à ma connaissance. Personne n’a jugé nécessaire de s’interroger pour savoir ce qu’était le discernement, car chacun sent bien de quoi il s’agit. Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Nous suivrons le Gouvernement : l’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Au détour de cet amendement, nous abordons un point fondamental, à savoir la précision que nous voulons désormais introduire dans le traitement de ce type d’affaires.
La notion de discernement, à laquelle on a beaucoup recours en droit pénal, n’était pas définie jusqu’à présent. M. le garde des sceaux a d’ailleurs utilement rappelé que nous avions éprouvé le besoin de le faire s’agissant des mineurs ; ne pas le faire pour les personnes majeures serait étrange.
Ce que nous proposons dans cet amendement, c’est d’appliquer aux personnes majeures la définition que donne du discernement le code de la justice pénale des mineurs.
Les appréciations variées qui ont pu être portées sur l’état des personnes devant être jugées s’expliquent sans doute, en partie, par un manque de précision dans la définition du discernement. Voilà pourquoi nous proposons cette clarification.
Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-… ainsi rédigé :
« Art. 122-…. – Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l’infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement prévoit la possibilité d’imputer la responsabilité de l’auteur d’une infraction, pour lequel l’abolition du discernement serait la cause exclusive de la prise volontaire de toxiques.
Cette rédaction s’inspire de l’article 20 de la loi organique du 23 novembre 1995 du code pénal espagnol, qui prévoit ainsi l’établissement de la responsabilité pénale d’une personne, dès lors que celle-ci a volontairement recherché l’intoxication, en vue de se mettre dans un état où il n’y a plus de responsabilité ni de discernement.
Si nous ne voulons pas en rester au statu quo, des formulations de ce type sont absolument nécessaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Une étude de la division de législation comparée du Sénat a donné un aperçu exhaustif de l’ensemble des codes européens, y compris le code espagnol, que vous citez, lequel introduit une exception à ce qui est notre article 122-1 de notre code pénal, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.
En outre, le cas visé dans cet amendement fait déjà l’objet d’une jurisprudence qui est largement appliquée et de manière constante, dès lors qu’une personne s’intoxique pour se donner le courage de commettre son crime.
Adopter cet amendement reviendrait à amender l’article 122-1 du code pénal. Or c’est précisément ce que la commission ne souhaite pas faire. C’est la raison pour laquelle elle a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Sueur, vous posez dans votre amendement une question importante à laquelle je ne suis pas insensible.
La folie peut être endogène, ou bien avoir des causes exogènes, notamment la prise de psychotropes ou d’alcool. Vous suggérez de pénaliser ceux qui absorbent volontairement des produits psychotropes ou de l’alcool en très ou trop grande quantité, et qui, perdant ainsi la raison, commettent une infraction.
C’est une piste sur laquelle je travaille et qui a nourri ma réflexion. J’ai préparé un texte qui vient d’être soumis au Conseil d’État. Pour l’instant, je vous demande donc de retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Sueur, l’amendement n° 9 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis sensible à l’intérêt que M. le garde des sceaux porte à notre amendement. Vous comprendrez cependant que nous ne le retirions pas, car l’argument selon lequel le Gouvernement a préparé, de son côté, un texte qu’il a soumis au Conseil d’État ne saurait justifier le retrait de notre proposition dans le cadre du présent texte.
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le septième alinéa de l’article 706-136 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Une obligation de soins. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Les personnes déclarées irresponsables peuvent, au titre des mesures prévues à l’article 706-135 du code de procédure pénale, par décision motivée, être admises en soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète sur le modèle des soins sans consentement.
Le présent amendement prévoit la possibilité nouvelle pour le juge du fond, conformément à la recommandation n° 10 du rapport de la mission sur l’irresponsabilité pénale rendu en février 2021, de prononcer, en complément de cette hospitalisation, une mesure de sûreté d’obligation de soins dont la durée pourra aller jusqu’à vingt ans.
De nombreuses mesures essentielles au bon fonctionnement du système judiciaire, notamment celle sur la revalorisation du travail des experts, sont d’ordre réglementaire, de sorte qu’elles relèvent uniquement de l’action du Gouvernement.
Or il me paraît essentiel d’intégrer dans notre arsenal législatif cette proposition d’une obligation de soins comme mesure de sûreté. En effet, en plus de l’admission en hôpital de soins psychiatriques prévue dans le cadre d’une décision d’irresponsabilité, le rapport commandé par Mme Belloubet suggère de manière judicieuse que les juges puissent aussi prononcer une peine de sûreté liée à l’obligation de soins. Il est logique de vouloir éviter ce qui pourrait être assimilé à des sorties sèches, et de soumettre les personnes dont le discernement a été aboli, de manière temporaire ou non, à un suivi post-hospitalisation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il faut être clair sur ce point qui est pour moi une ligne rouge infranchissable.
Je suis totalement défavorable à cet amendement, dont les dispositions auront pour conséquence de judiciariser ce qui relève de la psychiatrie. Le procédé est assez curieux et même tout à fait inquiétant.
M. Guy Benarroche. Ah !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 2
Après l’article 132-80 du code pénal, il est inséré un article 132-81 ainsi rédigé :
« Art. 132-81. – Lorsqu’un crime ou un délit est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de stupéfiants, le maximum de la peine privative de liberté est relevé ainsi qu’il suit :
« 1° Il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l’infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ;
« 2° Il est porté à trente ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de vingt ans de réclusion criminelle ;
« 3° Il est porté à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle ;
« 4° Il est porté à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction est punie de dix ans d’emprisonnement ;
« 5° Il est porté à dix ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de sept ans d’emprisonnement ;
« 6° Il est porté à sept ans d’emprisonnement lorsque l’infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement ;
« 7° Le maximum de la peine privative de liberté et d’amende sont portés au double lorsque l’infraction est punie de trois ans d’emprisonnement au plus. »
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet article prévoit de créer une aggravation des peines pour les crimes et délits commis en état d’intoxication.
Les questions de prise de stupéfiants ou de consommation d’alcool devraient d’abord être mieux traitées d’un point de vue sanitaire, plutôt qu’être constamment envisagées d’un point de vue pénal.
En outre, la commission indique dans son rapport qu’elle a constaté « qu’une part prédominante des cas d’irresponsabilité pénale comporte la consommation de stupéfiants et d’alcool » et qu’elle a « en conséquence estimé nécessaire d’agir sur les facteurs déterminants de l’irresponsabilité, en faisant de l’état d’ivresse alcoolique ou sous l’emprise de stupéfiants une circonstance aggravante pour l’ensemble des crimes et délits ».
Légiférer en ce sens, ce serait oublier que la prise de drogue ou d’alcool ne constitue pas nécessairement un comportement fautif, et qu’elle peut être non pas la cause, mais la conséquence de l’abolition du discernement. Une mauvaise observance des soins, un arrêt du traitement, une consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants peuvent faire partie de la maladie plutôt qu’en être la cause.
Ces situations sont d’ailleurs très fréquentes dans le cas des psychoses où les traitements administrés peuvent avoir des effets inhibiteurs qui minent toute activité quotidienne, de sorte qu’on peut leur substituer, à tort pour nous, mais à raison pour les patients, des toxiques qui soulagent sur le moment.
Quoi qu’il en soit, il n’apparaît pas concevable de revoir l’échelle des peines au détour d’une proposition de loi que je qualifie encore « de circonstance ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. C’est un avis défavorable. En effet, une étude attentive de la jurisprudence sur le sujet de l’irresponsabilité montre que l’alcool et les stupéfiants sont très souvent en cause.
En outre, la commission a examiné avec une très grande attention les dispositions du code pénal, et elle a constaté qu’il existait au moins sept délits et crimes qui ne donnaient pas lieu à une aggravation des peines en cas de prise d’alcool et de stupéfiants. Parmi ceux-ci, l’on trouve les actes de barbarie et de torture, le meurtre, les coups et blessures ayant entraîné la mort, les violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, l’homicide involontaire et les blessures involontaires.
Les dispositions prévues à cet article permettent, de manière globale, d’aggraver les peines encourues pour l’ensemble des délits lorsque la personne qui les commet agit en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de stupéfiants.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous allons soutenir cet amendement n° 6 de Mme Assassi.
Premièrement, j’ai souvent eu l’occasion de dire que l’application de l’article 45, ici comme à l’Assemblée nationale, relevait de l’aléatoire, et nous en avons quelque exemple puisque, dans le cas présent, elle porte bien au-delà de l’objet du texte.
Deuxièmement, nous devons veiller à ne pas mélanger ce qui concerne la médecine et la santé, et ce qui relève ou doit relever du tout judiciaire.
Il y a là une double confusion. C’est la raison pour laquelle nous soutenons cet amendement. S’il n’était pas adopté, nous voterions contre l’article 2.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. Pellevat et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Belrhiti, MM. Charon et Savary, Mmes Borchio Fontimp et Micouleau, MM. Sido et Laménie, Mmes Garnier et Imbert, MM. J.M. Boyer, H. Leroy et Milon, Mme Gosselin et MM. D. Laurent, Savin et Bouchet, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’avant-dernier alinéa de l’article 222-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’impact de ces violences sur la victime est pris en compte pour l’application des articles 122-1, 122-2 et 122-5 lorsque sa responsabilité pénale est engagée. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.