M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration des projets de loi de finances, ce sujet étant d’actualité, puisque votre assemblée examinera dans quelques jours un projet de loi de finances rectificative.
Je remercie les sénateurs du groupe CRCE de nous donner l’occasion d’échanger sur cette importante question. C’est là un volet primordial de l’équilibre des pouvoirs qui caractérise notre constitution. Les différentes interventions ont montré la diversité des approches, des appréciations sur le rôle du Parlement, sur le poids de son intervention et finalement sur la portée de l’autorisation parlementaire.
Historiquement, ce sont les articles 34 et 47 de la Constitution qui définissent le rôle du Parlement et du Gouvernement en matière de lois de finances. Michel Debré, lors de son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958, en précisait le sens : « La loi, le budget et toutes les affaires qui sont de la compétence du Parlement ne sont pas, pour le Parlement, un monopole. L’intervention des assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu’un gouvernement accapare les travaux des assemblées au point que l’opposition ne puisse plus manifester sa présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. » Ainsi, s’il est du ressort du Gouvernement de proposer un texte initial, avec son équilibre propre, c’est bien le Parlement qui l’amende, le vote, le rejette parfois, et contrôle son exécution.
Il revient donc au Gouvernement, et plus précisément au ministre chargé des finances, de préparer le budget. Le projet de loi de finances que le Gouvernement présente au Parlement doit être la traduction budgétaire d’une politique qui a sa cohérence.
Par l’exercice de leur droit d’amendement et par le vote, les parlementaires modifient cet équilibre, plus ou moins radicalement, que ce soit en matière fiscale ou en matière budgétaire. Et c’est bien normal, puisque c’est devant le Parlement que le Gouvernement est responsable.
Cependant, il a souvent été reproché à la Ve République de restreindre la discussion budgétaire pour le Parlement à la caricaturale formule évoquée par le président Edgar Faure et rappelée par le sénateur Bargeton. Pourtant, historiquement, les parlements tirent leur raison d’être de l’autorisation de l’impôt, et donc du contrôle des finances de l’État, acte régalien s’il en est, au fondement de tout État moderne.
Au fil du temps, et sur l’initiative du Parlement lui-même, ses pouvoirs se sont progressivement étendus. C’est la LOLF, abondamment évoquée, à juste titre, qui a été le dernier, voire le principal outil d’émancipation, en confortant grandement l’autorisation parlementaire en matière budgétaire.
L’exercice du droit d’amendement parlementaire a été facilité par la possibilité de déposer des amendements de crédits sans qu’ils contreviennent à l’article 40 de la Constitution, lequel n’a jamais été modifié depuis 1958. Les positions des présidents des commissions des finances successifs ont aussi permis d’examiner et de débattre de propositions parlementaires, sachant que la notion même de gage est parfois réduite à sa plus simple expression.
Le nombre d’amendements déposés dans les deux chambres en première lecture est ainsi passé de 1 845 lors de l’examen du PLF pour 2006, année d’entrée en vigueur de la LOLF, à 4 719 lors de celui du PLF pour 2019, soit une multiplication par plus de deux. Cela démontre, s’il en était besoin, que le droit d’amendement est garanti.
Les pouvoirs des commissions des finances ont été étendus, leurs présidents, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux disposant de nouvelles possibilités de contrôler l’exécutif.
Alain Lambert, ancien président de la commission des finances du Sénat, résumait ainsi l’esprit de cette loi, dont il était l’un des grands instigateurs : « Le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées. »
Condition d’un contrôle efficace, l’accès à l’information budgétaire s’est par ailleurs considérablement amélioré, grâce à la LOLF, mais aussi aux technologies de l’information et de la communication. En matière budgétaire comme ailleurs, l’information est une forme de pouvoir, nous le savons.
Par ailleurs, la procédure entourant l’adoption des lois de financement de la sécurité sociale donne au Parlement un pouvoir et une vision sur un large champ de la dépense publique. Elle remet en perspective les travaux sur la loi de finances, leur inscription dans les finances publiques en général et leur articulation avec le modèle de protection sociale.
Aujourd’hui, une attention plus grande encore est accordée à la bonne information des parlementaires en amont de l’examen du projet de loi de finances.
De nombreuses annexes – j’ai entendu qu’elles pouvaient être parfois difficiles ou trop nombreuses – sont jointes à son dépôt, telles que les bleus et les jaunes budgétaires, que vous connaissez bien, ou encore l’annexe sur l’évaluation des voies et moyens, ou les documents de politique transversale, utiles pour éclairer les orientations d’une politique menée par le Gouvernement au travers de différents ministères. Une annexe présentant l’ensemble des évaluations préalables des mesures du PLF l’accompagne également, en application de la révision constitutionnelle de juillet 2008 et de la loi organique du 15 avril 2009.
En théorie, le Parlement est d’ailleurs associé à l’élaboration du PLF dès l’été. Tel était l’objet de la création du débat d’orientation des finances publiques, organisé généralement au mois de juillet, après la discussion en première lecture du projet de loi de règlement de l’exercice précédent. Ce débat doit permettre aux parlementaires de prendre connaissance des premières orientations budgétaires que le Gouvernement présente et de la maquette budgétaire qu’il envisage.
En théorie toujours, c’est lors de ce débat que les parlementaires peuvent se prononcer sur l’architecture du budget de l’État, sur le dispositif de performance, tant les objectifs que les indicateurs, ainsi que sur les moyens alloués aux ministères. En pratique, on observe que les débats portent davantage sur la trajectoire des finances publiques que sur le budget de l’État. Cela plaide d’ailleurs pour une réflexion sur l’avenir du débat d’orientation des finances publiques, qui sera très certainement au cœur des débats relatifs à la réforme de la gouvernance des finances publiques.
La loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a elle aussi permis de renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement en prévoyant que ce dernier se prononce sur une trajectoire pluriannuelle des finances publiques.
Les améliorations que ces évolutions organiques et que la pratique ont permises ne sont pas invisibles.
Dans son rapport de 2018 sur les systèmes budgétaires, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a souligné la réussite des réformes ambitieuses menées en faveur de l’autonomie des gestionnaires publics et la qualité de l’élaboration de la politique budgétaire. En particulier, le rapport souligne l’excellente qualité de la documentation mise à la disposition des parlementaires. La France est l’un des rares pays de l’OCDE où la performance budgétaire fait l’objet d’un examen annuel par des instances indépendantes, en l’espèce la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques.
Ainsi, ces vingt dernières années ont permis d’aller dans le sens d’une meilleure implication du Parlement dans l’élaboration des lois de finances.
Notre gouvernement est tout particulièrement attaché à poursuivre cette démarche et à étendre les dispositions et les principes établissant l’autorisation et le contrôle parlementaires en matière budgétaire.
En particulier, le Gouvernement a apporté des innovations, importantes à mes yeux, dans la transparence et la sincérité du budget, souvent avec l’aide des parlementaires. Ainsi, le premier budget vert a bénéficié du travail de la députée Bénédicte Peyrol, lors de la présentation du PLF pour 2021. La lisibilité apportée par cette pratique, aujourd’hui unique au monde, qui consiste à distinguer les dépenses vertes et mixtes selon leur impact environnemental, est aussi un exercice démocratique du Gouvernement, à la faveur d’une participation étendue du Parlement. De fait, cet exercice améliore considérablement l’information des citoyens et de leurs représentants, lesquels peuvent exercer leur droit d’amendement en étant pleinement éclairés sur les enjeux environnementaux.
L’objectif, qui motive jusqu’à ce débat aujourd’hui, est de rendre le budget toujours plus sincère et d’honorer l’autorisation parlementaire en matière budgétaire plus qu’elle ne l’a été ces trois dernières décennies.
Cette « sincérisation » consiste à proposer au Parlement un budget avec des financements bien calibrés par rapport aux besoins, en l’état des informations disponibles. Le travail réalisé depuis 2017 est, à cet égard, unanimement reconnu, que ce soit par le Sénat – j’en veux pour preuve les propos tenus par le précédent rapporteur général – ou par la Cour des comptes.
De même, le Gouvernement a évité autant que possible de procéder à l’ouverture et à l’annulation de crédits par décrets d’avance, préférant un usage systématique des projets de loi de finances rectificative. Trop souvent, les décrets d’avance n’ont été qu’un moyen commode de pallier l’insuffisante sincérité des programmations initiales. (M. Jérôme Bascher s’exclame.)
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Il aura fallu l’urgence de la troisième vague de l’épidémie et l’imminence du collectif budgétaire pour nous décider à recourir de nouveau aux décrets d’avance, cette fois dans le respect de la lettre et de l’esprit de la LOLF.
Enfin, dans la même veine, je rappelle que le niveau de mise en réserve des crédits est passé de 8 % à 3 % entre 2017 et 2019. Autant de preuves, s’il en fallait, d’une gestion fine et sérieuse du budget, permise notamment par la responsabilisation des gestionnaires de programme.
Tous ces efforts permettent de respecter complètement les droits du Parlement en matière budgétaire, ce qui contribue à en étendre la portée.
Je tiens à souligner toute la considération du Gouvernement pour le travail des parlementaires, toujours très mobilisés, plus encore dans le cadre de la crise économique et sanitaire que nous traversons.
C’est aussi en pleine crise sanitaire que le Gouvernement a pris le soin d’anticiper le calendrier de dépôt du projet de loi de règlement, effort entamé en 2018, en présentant ce texte au conseil des ministres en même temps que le programme de stabilité et en le déposant avec deux semaines d’avance au Parlement, le 14 avril dernier. Cette anticipation contribue, nous en sommes convaincus, au chaînage vertueux auquel ont concouru le Parlement, la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques et les administrations. Ce chaînage a nettement amélioré la sincérité du budget et facilité l’exercice par le Parlement de sa mission d’évaluation des politiques publiques.
Le Gouvernement suit évidemment avec beaucoup d’attention plusieurs propositions émanant des deux chambres pour améliorer la gouvernance de nos finances publiques. Je ne veux pas ici trancher des débats qui pourraient avoir lieu au cours des semaines ou des mois à venir ni donner l’impression que nous nous approprions le travail de députés et de sénateurs qui réfléchissent depuis de longs mois à la façon dont notre système budgétaire est pensé.
En tant que ministre attaché à sa fonction et à son ancien mandat de parlementaire, je tiens à souligner qu’il est sain et indispensable que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement en matière budgétaire, que le rôle du Haut Conseil des finances publiques, s’il devait être valorisé, permettra aussi aux parlementaires de disposer d’informations et de données garantissant la sincérité du débat, que l’évaluation de l’utilité sociale d’une dépense passe notamment par celle de sa performance et que notre volonté, que vous partagez, d’avoir une vision pluriannuelle de l’évolution des finances publiques contribue à la fois à la sincérité, à la lisibilité et à la clarté d’une politique budgétaire.
Un nouveau souffle a été donné au contrôle de l’exécution et à l’évaluation des politiques publiques depuis plusieurs années, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Je ne peux que voir d’un œil bienveillant les initiatives consistant à approfondir les droits budgétaires du Parlement tout en répondant à la nécessité de prendre en compte les enjeux actuels.
Pour terminer, je remercie de nouveau le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat et l’ensemble des intervenants, qui, par leur diversité, y ont contribué de manière utile. Je ne doute pas que, lors des prochains débats sur les propositions de loi organique en matière de finances publiques, nous aurons de nouveau, en ayant à l’esprit nos échanges d’aujourd’hui, à nous repencher sur ces questions. Il nous reviendra d’y apporter des réponses en faisant le pari à la fois d’une meilleure efficacité et d’une plus grande clarté des débats budgétaires au cours des prochaines années, et finalement d’un esprit plus démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ? »
6
Organisation des travaux
M. le président. Mes chers collègues, pour l’organisation de la discussion générale sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, au regard de l’ampleur de ce texte, nous pourrions accorder un temps de parole de douze minutes à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et un temps de parole de dix minutes à la commission des affaires économiques, à laquelle 125 articles du texte ont été délégués au fond.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 14 juin 2021 :
À seize heures et le soir :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (texte de la commission n° 667, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER