M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est naturellement avec beaucoup de sérieux et de sens des responsabilités que nous avons examiné ce projet de loi.
La commission des affaires économiques s’est appuyée sur l’expertise et la compétence reconnues de quatre rapporteurs spécialistes de leur domaine : Anne-Catherine Loisier pour les sujets concernant la consommation, l’alimentation, l’agriculture et la forêt, dans le prolongement des travaux menés sur la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) dont elle était l’un des rapporteurs ; Dominique Estrosi Sassone pour le volet logement, spécialiste de ces questions, qui a notamment été rapporteure la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN ; Daniel Gremillet, président du groupe d’études « Énergie » et rapporteur de la loi Énergie-climat ; et enfin Jean-Baptiste Blanc pour le volet artificialisation des sols, dans le prolongement du groupe de travail qu’il a animé depuis le début de l’année.
Je voudrais, dans le temps beaucoup trop limité qui m’est imparti, relayer leur voix afin de donner à cette intervention une portée générale, et afin aussi de rendre hommage à leur travail passionné, fait d’écoute et de réflexion avec leurs collègues des différentes commissions et avec les administrateurs.
Madame la ministre, notre préoccupation constante a été d’améliorer l’efficacité de ce texte. Nous partageons en effet avec le Gouvernement l’idée qu’une transition vers une économie plus sobre en carbone n’est pas une option, mais une nécessité absolue.
Nous souhaitons une transition écologique ambitieuse, créatrice de valeur et d’emplois. C’est une priorité identifiée depuis longtemps par notre commission. De ce point de vue, l’opposition entre l’économie et l’environnement est pour nous un total contresens. Le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité sont des dangers majeurs pour l’économie et, à l’inverse, la transition écologique est un formidable gisement de croissance et d’emplois. Pour la mener, la France dispose de nombreux atouts.
Mes chers collègues, n’oublions pas que la France se distingue d’ores et déjà par un très faible niveau d’émissions de gaz à effet de serre. Elle dispose, par ailleurs, de très nombreux acteurs économiques, également très performants, puisqu’ils sont des leaders mondiaux en matière de croissance verte !
C’est pourquoi nous avons la conviction que la transformation de notre économie se fera grâce au dynamisme des entreprises, des agriculteurs, de tous les acteurs, et grâce au sens des responsabilités des consommateurs, bref grâce aux Français.
Nous souhaitons une transition qui se fonde sur les découvertes scientifiques, sur l’innovation, l’entrepreneuriat, la liberté et la responsabilité individuelle. L’avenir, c’est pour nous une croissance verte et vertueuse.
Pendant trop longtemps, la France a amélioré son empreinte carbone en délocalisant ses émissions, puis en important massivement des biens, notamment industriels. Or désindustrialiser la France, ce n’est pas décarboner la planète.
C’est pourquoi nous souhaitons une transition écologique qui soit compatible non seulement avec la compétitivité des entreprises françaises et avec notre souveraineté, mais aussi avec notre responsabilité morale dans le monde.
De même, dans le secteur agricole, veillons à ce que nos exigences environnementales, légitimes, ne renchérissent pas le prix des denrées alimentaires. Veillons aussi à ce que, en créant les conditions d’une concurrence tellement déloyale, elles ne favorisent pas toujours plus les importations en provenance de pays qui ne les respecteraient pas !
Oui, il existe une complémentarité entre l’objectif à atteindre d’une économie plus décarbonée et la recherche d’une plus grande souveraineté économique !
Vous l’aurez compris, notre commission a visé, dans l’examen de ce texte, un juste équilibre entre des préoccupations environnementales et économiques, auxquelles j’ajouterai, évidemment, des préoccupations sociales.
La crise des « gilets jaunes » nous a en effet montré le risque de créer des laissés-pour-compte de la transition écologique. Nous avons eu à cœur, grâce à nos amendements, d’y embarquer tous les Français et dans tous les domaines. Telles sont les convictions qui ont animé notre commission.
Par conséquent, quel jugement portons-nous sur ce texte ? Je dirai sobrement qu’il comporte des dispositions de portée inégale. Il fixe indéniablement des objectifs pertinents et prévoit certaines mesures utiles, alors que d’autres visent selon nous davantage l’affichage que l’efficacité. En outre, certains articles sans portée juridique relèvent plus de l’effet d’annonce que de la loi.
Enfin, le projet de loi fait des impasses que nous avons cherché à combler, notamment dans le domaine de l’énergie ou dans celui des forêts, cher à Anne-Catherine Loisier.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, issu des travaux de la commission, a donc été à notre sens considérablement enrichi, puisque nous avons adopté 200 amendements !
Qu’avons-nous cherché à faire ? Le premier objectif a été de relever l’ambition du projet de loi initial. Sous l’impulsion des rapporteurs, quand cela était possible et utile, nous avons rapproché certaines échéances, et élargi certaines cibles ou le champ d’application de certaines mesures. Je pense notamment, chère Dominique Estrosi Sassone, à la rénovation énergétique des logements, à l’affichage environnemental, ou à la lutte contre la déforestation importée.
Nous avons deuxièmement cherché à combler les angles morts du texte. Il nous a semblé important de muscler le volet énergétique, dans la mesure où la décarbonation de notre économie passe en premier lieu par celle de notre mix énergétique. C’est pourquoi nous avons ajouté des dispositions relatives à l’hydroélectricité, à l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, et au nucléaire.
De la même façon, nous avons ouvert le sujet de la connaissance de nos sous-sols, dans le cadre de la réforme du code minier. À l’heure d’une transition économique inédite, reposant sur le numérique et sur les batteries électriques, il est inenvisageable de ne pas connaître les richesses de nos propres sous-sols, et de seulement compter sur l’exploitation de ceux des pays en voie de développement, dans des conditions environnementales et sociales souvent loin d’être vertueuses.
C’est une question de souveraineté, mais je vous le dis, c’est aussi une question de morale.
Nous avons prévu, troisièmement, des dispositions pour accompagner les ménages les plus précaires et les petites entreprises dans cette transition. La commission a adopté des amendements qui tendent à lutter contre la précarité énergétique en améliorant l’accès aux aides, en facilitant la réalisation de travaux, en garantissant un reste à charge minimal, ou en rendant possible la gratuité des « accompagnateurs Sichel ». Les pouvoirs publics doivent préserver le pouvoir d’achat des plus modestes dans cette transition, à défaut de quoi nous nous heurterions à une opposition frontale à tout changement !
Nous avons adopté, quatrièmement, des amendements pour recalibrer certains dispositifs. Je pense, par exemple, à la liste des produits à privilégier dans la restauration collective, qui est aujourd’hui trop restrictive. Nous l’avons élargie aux produits locaux et aux circuits courts.
Je pense aussi à l’adoption d’un plan « Éco’Azote », plus incitatif et plus opérationnel que des taxes qui ont comme défauts majeurs – je le redis – de mettre les agriculteurs en situation de concurrence déloyale au sein même de l’Europe, et de les taxer tous, même ceux qui sont bons élèves. Nous ne sommes pas des adeptes de la punition collective.
Nous avons, cinquièmement, souhaité simplifier les dispositifs proposés, chaque fois que cela était possible. Il est en effet paradoxal que la transition écologique se traduise par la multiplication de normes réglementaires qui souvent, voire toujours, freinent les initiatives.
C’est en ce sens que nous avons simplifié les dispositions sur le réemploi des friches, ou sur l’exploitation de la petite hydroélectricité. Il faut veiller, en effet, à ce que cette transition ne se traduise pas par une immixtion croissante dans notre quotidien d’un dirigisme étatique et technocratique qui nous veut du bien, malgré nous, tout en bridant les initiatives les plus vertueuses et les plus innovantes.
Mme Anne-Catherine Loisier. Bravo !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Nous avons enfin souhaité – cela ne vous étonnera pas – remettre les collectivités territoriales au centre du processus. La transition environnementale ne doit pas être le prétexte d’une recentralisation. Dans ce pays jacobin, il faut décentraliser certaines décisions à un échelon de proximité qui est aussi celui de la responsabilité. C’est le cas, notamment, en matière de lutte contre l’artificialisation des sols, ou encore en matière d’urbanisme commercial.
Au total, mes chers collègues, nous considérons que ce texte sort renforcé des travaux en commission, malgré vos réserves, madame la ministre. Nous le trouvons plus ambitieux, plus opérationnel, plus lisible, plus efficace, plus pragmatique. Bien loin de nous opposer à la démarche du Gouvernement et de nos collègues de l’Assemblée nationale, nous avons souhaité saisir cette occasion pour consolider la transition du pays vers une économie plus sobre en carbone, en misant sur les dispositifs les plus efficaces pour leur impact positif sur le climat.
J’espère que la voie de l’intelligence collective que vous nous indiquiez précédemment, madame la ministre, ira jusqu’à la volonté commune d’une commission mixte paritaire conclusive. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous n’en sommes pas encore à la commission mixte paritaire… (Sourires.)
La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Michel Laugier, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le secteur de l’éducation, de la culture et de la communication doit prendre toute sa place dans la protection de notre environnement.
Est-ce que ce projet de loi constitue le texte fondateur qui était promis ? Malheureusement, non ! Il comprend une profusion de mesures, mais celles-ci n’auront pas de conséquences réelles, faute de volonté.
C’est pourquoi la commission de la culture s’est efforcée de soumettre plusieurs mesures, intégrées dans le texte de la commission, qui devraient avoir un véritable effet sur les comportements.
En ce qui concerne l’éducation, tout d’abord, nous avons constaté que les apports du projet de loi initial étaient principalement symboliques. L’éducation au développement durable existe depuis près de quarante-cinq ans à l’école. La première instruction relative au développement durable date de 1977 !
Plus récemment, la circulaire de la rentrée 2020 met notamment en œuvre la refonte des programmes, de la maternelle jusqu’au lycée, pour y renforcer les enseignements relatifs au changement climatique, à la biodiversité et au développement durable.
Concernant la publicité dans les médias, le Gouvernement n’a pas réussi à concilier son ambition pour l’environnement et le modèle économique des médias privés. Les recettes publicitaires représentent 95 % des ressources des chaînes privées. Toute restriction aura donc des conséquences immédiates sur la qualité des programmes.
L’interdiction des publicités pour les énergies fossiles, prévue à l’article 4, ne représenterait qu’une perte de 0,1 % des recettes publicitaires pour les chaînes de télévision, et de 0,3 % pour les radios. On mesure le caractère symbolique de cette disposition.
Quant à l’autorégulation prévue à l’article 5, elle ne fixe aucun véritable objectif ni aucun délai. On peut donc penser que ce dispositif ne fera qu’accompagner l’évolution naturelle de la consommation sans essayer de faire évoluer les comportements.
Par conséquent, la commission de la culture a considéré que ces dispositions étaient insuffisantes et qu’il fallait aller plus loin sans pour autant menacer le modèle économique des médias.
La commission de la culture et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ont inscrit dans le texte la création d’un code de bonne conduite spécifique à France Télévisions, Radio France et France Médias Monde. Celui-ci organisera, d’ici le 1er janvier 2023, la disparition des communications commerciales promouvant des produits néfastes pour l’environnement, dès lors qu’il existe des alternatives qui ne le sont pas.
La publicité ne représente que 10 % des ressources de l’audiovisuel public. Il n’y a donc pas de difficulté à lui demander d’être exemplaire. L’État est le seul actionnaire de ces sociétés, il doit être cohérent et refuser qu’elles se financent au détriment de l’environnement.
S’agissant des dispositions qui modifient le régime de la publicité extérieure, à savoir les articles 6 et 7, la commission de la culture et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable sont tombées d’accord pour proposer une solution qui offre aux maires davantage de pouvoirs, tout en empêchant que les inégalités ne se creusent exagérément sur le territoire en matière d’affichage.
La publicité extérieure constitue, en effet, un véritable enjeu d’intérêt local, ce qui justifie que les élus locaux disposent de responsabilités plus étendues dans ce domaine.
Cependant, pour lutter correctement contre la pollution visuelle, il faut veiller à ce que des prescriptions minimales s’appliquent sur tout le territoire. Il faut aussi que les élus des petites communes qui n’auraient pas les moyens humains ou techniques nécessaires pour exercer la police de la publicité puissent transférer cette compétence. Tel est l’objet de la réécriture des articles 6 et 7 que nous vous proposons.
Pour finir, je veux mentionner les dispositions du projet de loi destinées à faciliter la rénovation énergétique des logements.
Sur la proposition de la commission de la culture, et en accord avec la commission des affaires économiques, le texte prévoit désormais un équilibre grâce auquel notre pays pourra mieux répondre à cet enjeu essentiel, tout en tenant compte des contraintes propres aux différents types de bâti.
La commission de la culture croit fermement que le patrimoine et le développement durable sont compatibles, et qu’il faut en améliorer et renforcer l’articulation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la ministre, la commission des finances a étudié seulement huit articles de ce projet de loi qui est arrivé au Sénat – nous l’avons déploré – comme un texte essentiellement programmatique, de sorte que dans sa rédaction actuelle il entraîne finalement peu de charges pour les finances publiques.
En outre, quand des charges sont à prévoir, elles restent malheureusement difficilement évaluables, comme suffit à le montrer l’article 60 bis qui vise à créer un chèque alimentaire. En effet, les échanges que nous avons pu avoir avec différents interlocuteurs laissent envisager que le coût d’un tel dispositif pourrait être très élevé et varier en fonction du périmètre d’application qui sera décidé.
L’article 60 bis est d’autant plus caractéristique de la nature du texte qu’il prévoit que la mise en œuvre de cette disposition devra s’accompagner du dépôt de deux rapports. Ce projet de loi affiche donc beaucoup de grandes idées, dont la réalisation concrète se fera sur le long terme.
Nous avons également déploré que l’étude d’impact se révèle souvent défaillante. Les conséquences socioéconomiques du texte, notamment, ne sont pas suffisamment appréhendées. Par exemple, nous avons pu lire, au sujet des différentes mesures qui concernent les interdictions de circulation des poids lourds ou des véhicules, qu’il n’était pas incertain qu’elles puissent avoir des effets sur le secteur de l’automobile !
Or les articles que la commission des finances a eu à examiner prévoient des mesures dont les répercussions concernent 400 000 emplois dans le secteur de la construction automobile, 400 000 emplois dans celui du transport routier de marchandises, et 320 000 emplois dans le domaine de l’aviation civile. On voit bien que ce texte engage notre économie sur le long terme.
De même, l’absence d’étude d’impact fouillée fait que les conséquences techniques des différentes dispositions ont été mal ou peu appréhendées. Par exemple, il ne sera pas possible d’interdire la circulation des camions à moteur thermique si nous ne disposons pas d’une offre alternative.
Or, aujourd’hui, pour les camions d’un poids total autorisé en charge supérieur à 3,5 tonnes, il n’existe pas d’offre alternative suffisante. Celle-ci n’est pas non plus équivalente, puisqu’elle entraînera des transferts dans le plan de transport, liés à la nécessité de s’avitailler plus régulièrement. Dans la mesure où les bornes de recharge n’existent pas partout, il faudra construire le plan en fonction des endroits où l’on pourra s’avitailler.
L’offre alternative n’est pas non plus équivalente, parce que les capacités d’emport seront réduites, le réservoir d’hydrogène ou le moteur électrique empiétant sur le volume utile pour charger des marchandises.
Enfin, comme je le disais, la question de l’avitaillement est un point crucial, dans la mesure où les bornes font encore défaut. On dénombrait au 1er mai dernier 38 000 points de recharge pour les véhicules à hydrogène ou les véhicules électriques, alors même que l’ambition de la France était de disposer de 100 000 points au 1er janvier 2022. Nous en sommes très loin…
Telles sont les raisons pour lesquelles mes collègues, notamment Philippe Tabarot, et moi-même avons choisi d’accompagner la transition.
Madame la ministre, vous pourrez me dire qu’un certain nombre de dispositifs existent déjà. Cependant, si j’en crois un article publié, ce jour, dans un grand journal national, les citoyens ont le sentiment d’être laissés pour compte. Le phénomène risque de s’accentuer lorsqu’ils auront besoin d’entrer dans une zone à faibles émissions.
Certes, vous allez me dire que le Gouvernement a prévu dans son plan de relance, près de 1,5 milliard d’euros pour accompagner le développement des avions verts ! Vous me direz aussi qu’il y a des bonus pour les camions ! Nous restons quand même très loin du compte.
Aujourd’hui, un camion à hydrogène représente un coût complet d’utilisation deux à trois fois plus élevé que n’importe quelle autre motorisation. Les seules offres alternatives, à peu près équilibrées quant à leur durée de vie, aux camions à moteur thermique sont les motorisations au bioéthanol. Nous sommes donc loin du compte, et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’accompagner cette transition.
Philippe Tabarot a déjà énoncé un certain nombre des mesures que nous défendons, et qui consistent notamment à compléter les prêts à taux zéro, à prolonger le dispositif de suramortissement, à mettre en place une trajectoire de diminution de l’exonération partielle de TICPE, uniquement si des moyens de substitution sont mis en place, c’est-à-dire à la fois une offre de camions et un nombre de points d’avitaillement suffisant pour qu’il soit possible de livrer des marchandises en tout point du territoire national, et pas uniquement le long des axes autoroutiers.
Dans le secteur agricole, nous avons décidé de mettre en place un plan « Éco’Azote » qui aidera nos agriculteurs à accomplir la transition.
Enfin, la commission des finances s’est prononcée sur le besoin impératif d’engager une discussion avec nos partenaires européens, car de nombreux sujets nécessitent une convergence en matière de fiscalité. Nous ne pouvons pas agir seuls.
Par exemple, le taux de fiscalité sur les carburants que nous appliquons en France est au-dessus de la moyenne européenne. Parmi les pays qui nous entourent, seule l’Allemagne a une fiscalité plus « désavantageuse » pour les transporteurs que la nôtre, si je puis le dire en ces termes. Les transporteurs installés près d’une frontière iront donc acheter leur essence de l’autre côté, sans que rien les empêche ensuite de rouler sur le territoire national. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis d’une trentaine d’articles sur les 218 que comportait le texte transmis par l’Assemblée nationale, dans des domaines assez variés, qu’il s’agisse de la protection judiciaire de l’environnement, de la commande publique, de la lutte contre l’orpaillage en Guyane, des mesures sur les transports, ou de la lutte contre l’artificialisation des sols.
Madame la ministre, je ne partage pas votre enthousiasme au sujet de ce texte, car, à y regarder de près, il est d’une facture juridiquement décevante. Il comporte, comme cela a déjà été dit par plusieurs collègues, des dispositions peu normatives ou relativement peu abouties. J’en veux pour preuve les dispositions pénales destinées à réprimer plus sévèrement les atteintes graves et durables à l’environnement.
Nous nous sommes attachés à réécrire l’article 68, afin de tenir compte des remarques du Conseil d’État. En effet, la rédaction figurant dans le projet de loi initial semblait fragile au regard des principes constitutionnels.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en suivant sa rapporteure, Mme Marta de Cidrac, est allée beaucoup plus loin que la commission des lois, et a également trouvé un juste équilibre. En effet, elle a fait évoluer à la fois le quantum des peines et le seuil retenu pour définir l’atteinte durable à l’environnement.
Un deuxième point de divergence porte sur le terme d’« écocide ». À consulter la littérature juridique, on s’aperçoit très vite qu’il désigne un crime qui pourrait, d’ailleurs, être reconnu à l’échelle du droit international. L’utiliser pour désigner un délit dans notre droit interne paraît quelque peu inapproprié.
La commission des lois a également veillé à mieux encadrer l’utilisation des drones par les agents de contrôle chargés de veiller au respect des normes environnementales, à la lumière des travaux qu’elle avait menés sur la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés, et plus récemment sur la décision du Conseil constitutionnel.
Quelques mots sur le volet relatif aux transports pour vous dire que la perspective de la création d’une écotaxe régionale a suscité un débat assez intense et riche au sein de notre commission. Nous avions initialement proposé de supprimer purement et simplement cette mesure, pour la réétudier et la renvoyer au débat du futur projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS. En effet, nous avions trouvé quelque peu inconvenant de bâtir un dispositif fiscal régional sur une domanialité qui n’était pas encore transférée aux régions.
Néanmoins, la rédaction retenue par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur la proposition de Philippe Tabarot, répond à notre préoccupation, puisqu’elle subordonne l’éventuelle création de cette taxe aux efforts réalisés pour le secteur routier de marchandises à l’horizon de 2028.
Enfin, si notre commission adhère à l’objectif d’une réduction du rythme de l’artificialisation des sols, il ne faudrait pas néanmoins contraindre excessivement les collectivités territoriales, notamment les communes, qui sont les mieux à même de décliner localement les ambitions définies à l’échelon national.
Ainsi, s’il est légitime que les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) fixent les grandes orientations, il est tout aussi légitime que les collectivités territoriales conservent de la souplesse pour les mettre en œuvre. Les élus locaux, dans le cadre des organes délibérants, se doivent de concilier la protection de l’environnement et les objectifs de construction de logements et de développement économique et social, au plus près des spécificités de chaque territoire, et sous l’œil avisé de leurs électeurs.
Telles sont, mes chers collègues, très succinctement, les principales conclusions de la commission des lois, qui a souhaité, comme vous l’aurez compris, garantir l’efficacité du texte tout en le consolidant sur un plan juridique. Elle a également veillé à sa cohérence avec les principes constitutionnels et avec notre droit pénal. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi que vous nous présentez a une méthode, qui nous interroge, un contenu, qui ne mérite ni l’excès d’honneur de ses thuriféraires ni surtout l’excès d’indignité des « décibelocrates » de la deep ecology qui protestent le samedi dans des cortèges assez maigrelets, et enfin un contexte, la lutte contre le dérèglement climatique que, je l’espère, personne ici ne conteste.
La méthode est celle de la Convention citoyenne pour le climat. Depuis les « gilets jaunes » se multiplient les suggestions d’objets votants non identifiés, sortes d’hybrides entre une pseudo-démocratie directe et un panel pour institut de sondages, tels que le référendum d’initiative populaire ou les conventions citoyennes, qui posent question à la démocratie représentative.
Le Parlement aura le dernier mot, nous dites-vous. Peut-être, mais sous la pression médiatique d’une convention à la légitimité non définie, aux participants désignés par la providence et dont il a fallu faire « une mise à niveau préalable », si bien que les propositions ont en fait dépendu de quelques animateurs chevronnés, choisis, eux, sans tirage au sort.
Ces garde-fous ont, hélas ! vite cédé, le plus activiste de ces pygmalions ne cessant désormais de mordre la main qui lui a offert sa soudaine notoriété, dans un exercice de dépit amoureux qui a beaucoup moins à voir avec le réchauffement climatique qu’avec son propre échauffement !
Nouvelle forme de la démocratie, nous dites-vous. Je ne suis pas sûr qu’elle soit plus vertueuse que l’ancienne…
J’en viens au contenu de la loi, et sur ce point je serai plus nuancé. Un projet qui met dans la rue les quelques milliers de décroissantistes, collapsologues et zadistes, qui a fait l’objet à l’Assemblée nationale d’une motion de rejet de la France soumise à Bolivar (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), un projet conspué par une coalition improvisée des ONG les plus radicales, ne peut être entièrement mauvais.
La Convention citoyenne, à laquelle vous proclamez votre amour, vous a donné une note de 3,3 sur 10. Son animateur échauffé crie partout que vous n’avez repris, horresco referens, que moins d’un tiers de ses propositions. Je veux pour ma part y voir le signe de votre lucidité. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Duplomb applaudit.)
Car cette convention a accouché de trois sortes de mesures : des mesures techniques, parfois déjà entreprises, comme la rénovation de logements, l’économie circulaire, la décarbonation des transports, qui vont dans le bon sens. Ensuite, des solutions à la française qui proclament de bons sentiments et rendent les lois bavardes – la modification de la Constitution par exemple, qui n’ajoutait rien et préparait des contentieux innombrables. Et enfin, un catalogue de contraintes, fonds de commerce des décroissants.
Vous avez choisi les mesures qui vous paraissaient les plus pertinentes et surtout les moins chimériques. Le Sénat a donc choisi de les étudier de façon sérieuse et constructive en conciliant développement durable et justice sociale, en privilégiant une écologie décentralisée, qui n’aggrave pas les fractures économiques, sociales ou territoriales, mais cherche à les réparer, et enfin en tentant de maîtriser l’explosion normative qui s’annonce et qui angoisse déjà chefs d’entreprise, agriculteurs, artisans, commerçants et beaucoup d’élus.
Il me reste à parler du contexte, marqué par l’opposition des partisans de la croissance verte et de ceux de la décroissance. « L’écologie est un champ de bataille », déclarait à l’Assemblée nationale Mathilde Panot, de La France insoumise. Je suis d’accord avec elle sur ce point, même si nous en tirons des conclusions opposées.
Faire de la décroissance un modèle est inapplicable économiquement et politiquement, et donc voué à l’échec. Quel sens peut avoir la décroissance pour le milliard d’habitants du tiers-monde et du quart-monde qui vivent avec moins de deux euros par jour ? Quel sens pour les deux autres milliards qui vivent de lopins de terre épuisés, de petits boulots, de travail au noir ? Quel sens même, chez nous, pour les ménages à petits budgets, mal logés, exposés au chômage, au surendettement, à l’insécurité ? (M. Laurent Duplomb applaudit.)
La décroissance n’est pas que le mot d’ordre des Verts, énième avatar de la haine du libéralisme. C’est aussi l’opium des « bobos », comme nous l’a prouvé avec éclat, en une du journal Le Monde, il y a quelques mois, dans une tribune aussi subversive que du fromage à tartiner, une brochette de stars-kérosène au bilan carbone le plus élevé de la planète. Ces gens n’imaginent pas une seconde s’appliquer à eux-mêmes les principes défendus dans cette tribune, principes qui, s’ils devaient être adoptés, ne contribueraient au développement durable que des ronds-points.
Réorienter la croissance vers un mode de vie plus respectueux de la Terre et des hommes : tel est l’extraordinaire et passionnant défi de notre génération. Malheureusement, la Convention n’a pas répondu aux questions essentielles : comment parvenir à une énergie décarbonée si l’on se prive du nucléaire ? Comment cesser d’entraver les nouvelles techniques de génomique agricole, nécessaires pour résoudre l’impossible équation des pesticides et préserver le climat, alors même que ces techniques ont valu le prix Nobel a une Française en 2020 ? Comment faire payer les émissions de carbone à nos frontières ? Et bien d’autres…
L’Europe a largement raté la grande révolution du numérique. La prochaine est celle des industries de la transition écologique. C’est là qu’est l’enjeu majeur du plan de relance post-covid.
Si nous manquons l’occasion de ces milliards d’euros pour investir dans cette révolution qui s’appelle hydrogène vert, stockage électrique, ciment, acier et engrais zéro carbone, fusion nucléaire, géothermie, nouvelles techniques génomiques agricoles et tout ce que les milliers d’étudiants de vingt ans sont en train d’étudier sans que nous le sachions encore, si nous choisissons de sombrer dans l’écologie du « gentil avec les arbres, méchant avec les hommes », alors nous échouerons deux fois : une première fois, parce que nous serons définitivement relégués derrière les États-Unis et la Chine ; une seconde fois, ce qui est bien plus grave, parce qu’il sera trop tard pour répondre à l’urgence climatique. Quand vous prenez le train dans la mauvaise direction, rien ne sert de courir en sens contraire dans le couloir !
Tel est le défi qui vous attend, madame la ministre, qui attend tous les gouvernements à venir et qui nous attend tous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)