M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Nous avons déposé un amendement, qui a été déclaré irrecevable. Permettez-moi néanmoins d’en dire un mot, car il visait à instaurer une véritable exception agricole lors des négociations d’accords de libre-échange, sur le modèle de l’exception culturelle.
Il ne pourra pas y avoir d’équilibre dans les relations commerciales tant que l’agriculture sera banalisée. Il ne pourra pas y avoir de revenu décent pour les travailleurs de la terre ou de révolution écologique tant que nous resterons dans une logique concurrentielle.
La nourriture est un besoin humain ; à ce titre, elle ne peut pas être considérée comme une marchandise comme les autres. Notre souveraineté alimentaire ne peut en aucun cas constituer une monnaie d’échange. Le XXIe siècle présente des défis climatiques et alimentaires que nous avons le devoir et la responsabilité de relever pour préserver notre planète et ses ressources.
Or les nouveaux traités bilatéraux, à l’exemple de l’accord économique et commercial global, le CETA, dont nous attendons toujours la date de ratification, monsieur le ministre, présentent des risques importants en termes économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux. Qui plus est, ils favorisent l’abaissement des normes sur ces sujets.
Par exemple, dans le Mercosur, tout le bétail est nourri aux OGM et l’utilisation du glyphosate n’est pas réglementée. Un quota d’importation de viande ovine sans droits de douane entraînerait donc des coûts moindres ; nos éleveurs ne pourraient pas rivaliser, sauf à rogner sur la qualité et l’éthique.
Il en est de même avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
Pourtant, lors des discussions sur le projet de loi Égalim 1, madame la rapporteure, et nous étions d’accord avec vous, vous aviez exprimé votre regret que l’agriculture soit trop souvent une variable d’ajustement. Vous aviez dénoncé le manque de réciprocité des normes de production ; il semble bien que vos inquiétudes et les nôtres soient légitimes.
Le ministre d’alors nous avait répondu comme vous, monsieur le ministre : clauses miroirs ! Pourtant, les produits alimentaires importés dans l’Union européenne ne respectent pas toujours les mêmes normes que celles qui sont appliquées dans l’Union européenne.
Le seul moyen pour nous prémunir contre ces risques et d’œuvrer pour une agriculture paysanne ainsi que pour une alimentation de qualité est l’instauration d’une exception agricole dans les nouveaux traités.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.
M. Guillaume Chevrollier. La crise du covid a montré que notre agriculture était résiliente, qu’elle avait assumé ses responsabilités et qu’elle nous proposait une alimentation saine.
La crise a aussi montré la nécessité d’assurer notre souveraineté alimentaire, qui est vitale pour notre sécurité sanitaire et environnementale. Nos filières agroalimentaires doivent redevenir une force économique nationale.
Pour ce faire, il est indispensable que les agriculteurs français perçoivent le juste prix rémunérateur de leur production. Les agriculteurs attendent des solutions concrètes et pérennes.
En 2017, les États généraux de l’alimentation ont créé des espoirs de rémunération plus juste pour les producteurs. Le Sénat l’a souligné, la loi Égalim n’a pas apporté les résultats escomptés.
Aujourd’hui, ce nouveau texte est une occasion de renforcer la loi Égalim et de sécuriser la part agricole dans le tarif du fournisseur afin de réellement construire des prix en marche avant. Certaines dispositions sont intéressantes. Il convient notamment d’être particulièrement attentif à la contractualisation, rendue obligatoire et pluriannuelle.
Pour autant, les agriculteurs attendent du concret. Notre agriculture française est en transition. Vous êtes le ministre de l’agriculture. Il faut faire confiance à nos agriculteurs et maintenir la diversité des agricultures sur notre territoire. Donnons à notre agriculture les moyens de tenir et de se développer. C’est l’intérêt de notre pays. Nous serons vigilants sur ce texte et sur ses modalités d’application.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans trois semaines, cela fera quatre ans que le Président de la République a prononcé le fameux discours de Rungis. À l’époque, certains avaient salué une révolution dans le discours en matière de politique agricole, puisque celui-ci posait la question de la construction des prix et celle de la protection sanitaire, dont il faisait les enjeux au cœur de la future loi Égalim.
Je me souviens d’ailleurs très bien de l’attente réelle qui se faisait jour dans les discussions avec un certain nombre d’agriculteurs, y compris au sein de différentes organisations syndicales du monde agricole, que soit enfin posée la question des prix.
Quatre ans après, nous discutons de la loi Égalim 2 parce que la question que nous avions tous posée, au travers d’interventions plus ou moins fortes, de construire un prix réellement protecteur pour les deux côtés de la chaîne – d’abord, pour les agriculteurs, à savoir pour celles et ceux qui travaillent et qui, parfois, peuvent perdre toute leur production en quelques heures à la suite d’un coup de gel ; ensuite pour la population, qui aspire à bien manger – n’a jamais véritablement été traitée jusqu’au bout. Il s’agissait pourtant d’éviter qu’une véritable fracture sociale alimentaire ne se fasse jour dans notre pays.
Certes, cette proposition de loi comporte des avancées, mais celles-ci demeurent insuffisantes. Nous essaierons d’aller plus loin en défendant un certain nombre d’amendements à l’article 1er. Nous demeurons en effet convaincus que la main invisible ne protège jamais les deux maillons les plus faibles de la chaîne.
Il y a donc urgence.
Finalement, trois ans après le vote de la loi Égalim 1, chacun se souvient davantage des discussions sur le nombre de repas avec ou sans viande par semaine dans les cantines que des débats sur la manière d’instaurer un travail réellement rémunérateur pour les agriculteurs.
Il ne s’agit pas simplement de légiférer sur les publicités dans les supermarchés et autres, même si cette question peut avoir son importance, mais il s’agit de reprendre cette problématique en toute transparence afin que les agriculteurs, en tout premier lieu, puissent avoir la maîtrise de la construction des prix.
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 64 rectifié, présenté par MM. Panunzi, Houpert, Charon, Bonhomme, Tabarot, Hingray, Rapin et Laménie, Mmes Belrhiti et Joseph, M. Grosperrin, Mme Deromedi et MM. Bouchet et Sido, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° Avant l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 631-24 A ainsi rédigé :
« Art. L. 631-24 A. – L’index des prix agricoles et alimentaires est publié mensuellement par l’Institut national de la statistique et des études économiques. Il tient notamment compte de l’évolution des matières premières agricoles et non agricoles, des coûts de l’énergie, des coûts salariaux et des coûts résultant de la gestion d’une situation d’urgence sanitaire ou d’une catastrophe naturelle.
« Un décret détermine les conditions d’application du présent article. » ;
II. – Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :
, sur la base de l’index des prix agricoles et alimentaires mentionné à l’article L. 631-24 A. Une variation importante de cet index entraîne une renégociation du prix entre distributeurs et fournisseurs. Un tiers de confiance privé, désigné par les industriels et la grande distribution, s’assure que, en cas d’évolution favorable du prix entraînant une plus forte rémunération des industriels, cette évolution soit prise en compte dans les contrats de vente de produits agricoles.
La parole est à M. Gilbert Bouchet.
M. Gilbert Bouchet. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. Duplomb et J.M. Boyer, Mme Chauvin, MM. Cuypers et D. Laurent, Mmes Noël et Ventalon, MM. Darnaud, Chatillon, Laménie et Burgoa, Mmes L. Darcos et Gruny, M. Daubresse, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bacci et Hugonet, Mme Belrhiti, MM. Guerriau et Savin, Mme Puissat, MM. E. Blanc, Vogel, J.B. Blanc, Bascher et Chaize, Mme Richer, M. Bouchet, Mmes Lassarade et Imbert, MM. Grosperrin et Charon, Mmes Dumont et Bourrat, MM. Anglars et Grand, Mmes Schalck et Deromedi, MM. Piednoir, Détraigne, Menonville, Chasseing, Hingray, Belin et Chauvet, Mme Demas, M. Babary, Mme Micouleau et MM. Sido, B. Fournier et Savary, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 12
Supprimer les mots :
, parmi lesquels la pondération des indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du présent III
II. – Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Cet article fait beaucoup parler de lui dans le milieu agricole.
À mon sens, la pondération des index ne doit pas s’appliquer aux coopératives. En effet, cela irait à l’encontre des statuts d’une coopérative, qui se doit de collecter la totalité de la production de ses adhérents, lesquels, en contrepartie, doivent lui livrer la totalité de ce qu’ils produisent.
Mettre en place la pondération des index, c’est oublier qu’il peut y avoir parfois, lors d’une année particulièrement riche, une production excédentaire. Cela reviendrait à demander aux coopératives qui sont obligées de collecter de telles quantités de le prévoir, alors qu’elles ne le peuvent pas.
L’autre argument est politique.
Que l’on pense à la disparition d’Entremont, qui était une entreprise privée, à celle de certaines coopératives ou à l’affaire Sud Lait, quand certains, qui pensaient que l’eldorado était en Espagne parce que le lait y était prétendument mieux payé, se sont retrouvés sans collecteurs, ce sont toujours les coopératives qui ont assumé le rôle d’ambulance, tandis que les entreprises privées s’y refusaient.
Monsieur le ministre, si, ce soir, dans cet hémicycle, vous me dites que la pondération des indicateurs prévue à l’article 1er ne s’applique pas aux coopératives et que celles-ci sont réglementées uniquement par l’ordonnance de 2019, alors je retire mon amendement !
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par MM. Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot, Antiste, Cozic, Devinaz, Durain, Fichet, Gillé, Jacquin et Kerrouche, Mmes Lubin, Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
et tenant compte du fait que ce prix ne peut pas être inférieur au coût de production. Celui-ci peut être déterminé à l’appui des indicateurs de référence de coûts pertinents de production en agriculture tels que mentionnés à l’avant-dernier alinéa du III du présent article.
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement vise à répondre à l’écueil principal de cette proposition de loi – ou plutôt à son principal défaut –, qui l’empêchera d’avoir l’effet escompté.
Au vu du déséquilibre actuel des rapports de force dans la chaîne de production agricole, tant que la couverture des coûts de production des agriculteurs ne sera pas garantie dans les négociations commerciales, le revenu de nos agriculteurs ne pourra pas non plus être garanti.
Comme nous l’avons déjà indiqué, si cette proposition de loi prévoit certaines avancées, il n’en reste pas moins que son efficacité en termes de revenus des agriculteurs est loin d’être assurée. À titre d’exemple, ainsi que l’ont rappelé les représentants de certaines structures que nous avons auditionnés, dans le secteur de la viande bovine Label rouge, où la contractualisation a été rendue obligatoire par accord interprofessionnel étendu, les prix pratiqués sont restés en deçà des indicateurs de coûts de production calculés par l’interprofession.
La couverture des coûts de production est donc indispensable ; cette position est défendue depuis plusieurs années par le groupe socialiste du Sénat. On nous rétorquera, bien évidemment, que nous ne sommes pas dans une économie administrée ou encore que la couverture des coûts de production pourrait se transformer en prix plancher…
Nous avons conscience des risques induits par cet amendement. Toutefois, nous estimons que la rédaction actuelle de la proposition de loi comporte de nombreux risques, particulièrement en termes d’inefficacité sur le revenu des agriculteurs. En conséquence, nous préférons aller de l’avant et proposer des dispositifs plus ambitieux.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 55 rectifié est présenté par M. Gay, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 85 est présenté par MM. Labbé, Salmon et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
, tenant compte du fait que ce prix ne peut pas être inférieur au coût de production. Celui-ci peut être déterminé à l’appui des indicateurs de référence de coûts pertinents de production en agriculture tels que mentionnés au quinzième alinéa du présent III.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 55 rectifié.
Mme Cécile Cukierman. Si l’objectif est d’améliorer et d’augmenter le revenu des agriculteurs, il faut prendre en compte plusieurs éléments. Je ne reviendrai pas sur les propos de Fabien Gay relatifs au CETA. Selon nous, et nous l’assumons, une politique protectionniste à l’égard de notre agriculture est un gage de l’augmentation des revenus des agriculteurs.
La construction du prix, dont j’ai déjà parlé, implique la prise en compte des coûts de production réels. En effet, il arrive trop souvent qu’au moment de la négociation l’industriel définisse en aval – donc impose – les coûts de production pour l’agriculteur dans telle filière et sur tel produit. Il y a là une inégalité flagrante. En effet, si l’on ne part pas de la base, c’est-à-dire de ceux qui ont conscience des coûts réels, on passe à côté d’un certain nombre de problématiques.
Cela rejoint ce que vous évoquiez, monsieur le ministre. Quand le législateur, à tort ou à raison – je ne veux pas rouvrir un certain nombre de débats –, impose, pour des raisons sanitaires, des normes ou des contraintes – chacun choisira le terme qui lui convient – qui induisent des coûts supplémentaires directs sur la parcelle de production, cela doit être pris en compte, non via une formule magique imposée par l’industriel lors de la discussion, mais bel et bien par les agriculteurs, leurs représentants, les organisations syndicales et professionnelles. Ce sont eux qui doivent établir le montant de ces coûts additionnés, lesquels sont une réalité. Tant que l’on ne les aura pas pris en compte, on constatera in fine une diminution du revenu des agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 85.
M. Joël Labbé. Cet amendement vise à garantir que le prix fixé dans le contrat couvre a minima les coûts de production de l’agriculteur, ce qui institue une forme de revenu minimal agricole. Il tend aussi à préserver la liberté des deux parties à négocier le prix de contrat, à condition que celui-ci ne soit pas inférieur au coût de production.
L’adoption d’une telle disposition permettrait aux coopératives d’être concernées par la question du prix minimal. En effet, celles-ci échappent au mécanisme du prix abusivement bas, ce qui limite la protection des agriculteurs dans ce secteur.
En ne votant pas cet amendement, nous reconnaîtrions qu’il est possible, au nom de la concurrence, de payer un agriculteur en deçà d’un prix couvrant ses coûts de production.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. L’amendement n° 64 rectifié tend à prévoir que la détermination du prix dans le contrat devra s’appuyer sur l’indice des prix agricoles publié par l’Insee et que cet indice des prix tient notamment compte des coûts salariaux.
Il me semble préférable de ne pas fonder directement la façon de fixer les prix sur cet indice, dont on ne sait pas s’il est adapté à la diversité des situations. Cela pourrait en outre conduire à fixer un prix plancher, ce qui est interdit. Enfin, les indicateurs pris en compte contiendront un indicateur de prix de marché.
Cet amendement étant donc en partie satisfait, la commission émet un avis défavorable.
J’en viens à l’amendement n° 13 rectifié. Les craintes des coopératives n’ont pas lieu d’être, ces entités n’étant pas concernées par cet article. Nous souhaitons connaître l’avis de M. le ministre sur cette question.
Par ailleurs, il est question de revenir sur le fait que la contractualisation écrite concerne les volumes totaux, ce qui me semble préjudiciable à son bon fonctionnement. C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement.
L’amendement n° 24 et les amendements identiques nos 55 rectifié et 85 tendent à instaurer un prix plancher d’achat des produits agricoles, ce qui est interdit par le droit européen. En outre, dans son avis sur la loi Égalim 1, le Conseil d’État a rappelé que le dispositif des indicateurs de coûts de production n’était constitutionnel et conventionnel qu’à la condition que les parties les déterminent librement et qu’un prix minimal ne soit pas instauré.
En outre, il y a fort à craindre qu’un prix plancher ne se transforme en prix plafond.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Sur l’amendement n° 64 rectifié, j’émets également un avis défavorable, pour une raison très simple : dans la logique de constitution des indicateurs de prix, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale et que vous avez renforcé en commission vise notamment à ce que ces prix soient définis par l’interprofession ou par les instituts techniques agricoles. C’est très important, car cela permet la fixation de prix unitaires. L’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires joue également un rôle en la matière. Par conséquent, je ne pense pas que l’ajout d’un index soit d’une utilité quelconque.
J’en viens à l’amendement n° 13 rectifié. Je rejoins M. Duplomb : une coopérative n’est pas une entreprise privée. Par conséquent, la rémunération des coopérateurs ne se fait pas comme dans un contrat de droit privé, dont les parties sont des entreprises privées. Il faut absolument prendre cela en compte et c’est le sens de cet amendement.
Monsieur le sénateur, vous avez fait référence à l’ordonnance de 2019, laquelle renvoyait à un article de la loi Égalim. L’un des alinéas de cet article disposait très clairement que la fixation du prix ne remettait pas en cause l’article L. 631-24-3 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoit que les dispositions relatives aux contrats écrits, dont celles qui sont relatives aux modalités de détermination et de révision des prix, ne s’appliquent pas aux coopératives si leurs statuts ou leur règlement intérieur « comportent des dispositions produisant des effets similaires à ceux des clauses mentionnées au III de l’article L. 631-24 ».
Je vous confirme que la loi Égalim 2 ne revient en aucune manière sur cette disposition à laquelle je sais que vous étiez très attaché dans le cadre de la loi Égalim 1 et qui était « dans le dur » avant de donner lieu à cette ordonnance. En cas de doute, nous pourrions en discuter lors de la navette parlementaire, en amont de la commission mixte paritaire.
Encore une fois, nous continuerons à sacraliser dans la loi Égalim 2 ce point qui était une source de préoccupation pour vous lors de la discussion de la loi Égalim 1.
Par conséquent, monsieur le sénateur, je demande le retrait de l’amendement, en espérant vous avoir convaincu.
Sur l’amendement n° 24 et les amendements identiques nos 55 rectifié et 85, je partage l’avis de Mme la rapporteure et ses arguments. Ce débat est très important : nous ne devons pas faire croire aux agriculteurs que la loi peut fixer des prix administrés.
Fixer un prix plancher ou prendre comme prix de référence celui de l’interprofession, qui tient compte des coûts de production, revient à fixer un prix administré.
Mme la rapporteure a eu tout à fait raison de souligner que cela n’était pas valable juridiquement. Dans la vraie vie, les tentatives visant à fixer des prix administrés dans le monde agricole se sont dans la grande majorité des cas soldées par des échecs. C’est Edgard Pisani, lorsqu’il était ministre de l’agriculture, qui est revenu sur ces pratiques.
Je le répète, ne faisons pas croire que l’on peut administrer ! Certes, on peut réguler, mais administrer les prix des matières premières agricoles, cela ne fonctionne pas. Imaginez qu’il faille administrer le prix d’une côtelette d’agneau du Quercy par rapport à une côtelette d’agneau d’Île-de-France ou en fonction de son degré de maturation, etc. C’est absolument impossible !
Au-delà des aspects juridiques évoqués par Mme la rapporteure, nous devons tous avoir conscience que ce texte est non pas une loi qui administre, mais une loi qui régule au maximum. C’est une nuance de taille, qu’il convient d’expliciter.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Le débat que nous avons sur l’amendement n° 13 rectifié est bien plus important qu’on ne l’imagine, et ce pour deux raisons. Vous avez d’ailleurs partiellement répondu, monsieur le ministre.
D’abord, il convient de préciser que, dans une coopérative, seule l’assemblée générale clôture les comptes et fixe les prix. C’est la loi !
Dans une coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA), il y a un « prix acompte » et, en fonction des résultats, soit l’on verse des compléments, soit, si les résultats sont déficitaires, l’assemblée générale peut demander à l’ensemble des apporteurs une contribution pour équilibrer les comptes. En effet, les statuts de ces entités prévoient qu’elles ont pour objet la collecte, la transformation et la valorisation du collectif.
En fait, la coopérative n’achète jamais le produit : elle consacre tous les moyens dont elle dispose à la valorisation du collectif.
Ensuite, on oublie trop souvent de rappeler que jamais une coopérative ne peut mettre à la porte un coopérateur et rompre le contrat qui les lie, sauf en cas de faute grave – il faudrait avoir tué père et mère… Seul le coopérateur a la possibilité de quitter sa coopérative, en général après un délai de cinq ans, mais cela dépend des statuts. La conséquence en est que sont assurées, de génération en génération, la sécurité de la collecte, la transformation et l’harmonisation sur un territoire. C’est assez exceptionnel et explique pourquoi il faut aborder cette question de cette façon !
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je vous remercie de la précision que vous avez apportée et des éléments écrits que vous m’avez transmis.
Il est important que ce sujet soit abordé publiquement en séance. En effet, lorsqu’ils ont des difficultés pour rendre leurs jugements, les juges sont parfois obligés, pour bien comprendre les textes, de s’appuyer sur les débats qui ont eu lieu au Parlement. Aujourd’hui, la règle est claire et je suis satisfait que l’on ne revienne pas sur ce que prévoient le code rural et la loi Égalim 1 à l’égard des coopératives.
Par conséquent, je retire l’amendement ° 13 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Personne n’a parlé de prix plancher ou de prix imposé. Tout le monde respecte sincèrement le cadre de la contractualisation.
Le fait qu’il y ait contractualisation dispense-t-il de prendre en compte le coût réel ? En France, alors même que nous avons coutume de dire que l’agriculture n’est pas délocalisable, devons-nous continuer d’accepter que des producteurs vendent leurs produits – lait, cerises, pêches et j’en passe – à un prix inférieur au coût de production ?
La comparaison choquera peut-être, mais imaginerait-on qu’un marchand de textiles, en dehors de la période des soldes – et encore ! –, vende ses produits moins chers que ce qu’ils lui ont coûté ? Non ! Même dans l’économie de marché la plus libérale, le coût du produit est pris en compte.
Monsieur le ministre, allons-y : contractualisons et négocions !
Pour la viande, le coût de production n’est pas le même selon la race, l’altitude, la sècheresse ou la pluviométrie durant l’été, ce qui influe sur la quantité de fourrage. Que les négociations entre les différentes parties aillent jusqu’au bout !
Si l’on souhaite réellement, et non pour envoyer un message qui serait démagogique, poser la question du revenu des agriculteurs, ainsi que celle, plus large, de la place de la valeur travail dans notre société, alors les sujets du coût de production et de ceux qui le définissent demeurent fondamentaux.
Ce n’est en rien souhaiter une économie d’État, planifiée « à l’ancienne », que de présenter ce type d’amendement !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Tout le monde s’accorde sur ce que vous venez de dire, madame la sénatrice : la constitution du prix doit prendre en compte le coût de production.
Or ces amendements, comme d’autres qui seront présentés tout à l’heure, vont plus loin que cela. Ils visent à ce que l’indicateur du coût de production devienne le prix payé.
Allons jusqu’au bout du raisonnement ! M. Laurent Duplomb l’a dit précédemment, le coût de production d’un litre de lait dans certains territoires n’a rien à voir avec ce qu’il peut être vingt-cinq kilomètres plus loin. Il s’agirait donc d’organiser un système qui reviendrait à créer des indicateurs de coûts de production avec une granulométrie par produit, sur la base duquel tout le monde s’alignerait et qui évoluerait – vous l’avez vous-même dit, madame la sénatrice – en permanence, par exemple du fait des variations du cours des matières premières agricoles durant l’été. De ce fait, on recréerait ni plus ni moins des mécanismes de marché.
En instaurant un indicateur fixe, sur la base duquel tous les acteurs s’alignent, on tire en général tout le monde vers le bas…
Votre proposition revient à créer des prix de marché évoluant au fur et à mesure qui seraient fixés par des personnes déterminées soit par la loi, soit par un décret, soit par un règlement. Cela ne marche pas !
Mme Cécile Cukierman. Parce que la loi Égalim 1 a marché ?