M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ces textes nous donne l’occasion de réfléchir à la LOLF, cet outil dont nous fêtons effectivement le vingtième anniversaire.
Le débat a été posé par les précédents intervenants : on a beaucoup parlé d’un second souffle nécessaire. La LOLF a-t-elle réellement besoin de ce second souffle ? Ne doit-on pas plutôt considérer que ce modèle, élaboré il y a vingt ans, à un moment où l’on parlait de « fin de l’histoire », où le néolibéralisme était un horizon indépassable, où nous étions encore dans une certaine inconscience climatique, est en fait à bout de souffle ?
Notre collègue Emmanuel Capus a estimé que ce n’était pas le moment de se lancer dans ce qu’il a appelé un « grand chambardement » ; au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous pensons au contraire qu’il faut faire évoluer les outils du contrôle budgétaire pour répondre aux grands enjeux de la France aujourd’hui, je veux évidemment parler de l’égalité et de l’enjeu climatique.
Il faut donc un grand chambardement et, si l’on considère qu’il faut un second souffle, alors, comme l’ont dit les deux rapporteurs – que je remercie d’avoir fait en sorte que l’on progresse tout de même vers davantage de contrôle et de capacité à agir du Parlement –, cette proposition de loi organique vient à contretemps. Elle est pour nous anachronique.
D’abord, parce qu’elle continue de considérer la dépense publique comme un problème avant tout.
Or nous avons vu, pendant la crise pandémique, qui dure encore, combien la dépense publique était un outil essentiel et combien la façon dont nous avions pensé toute la gestion de nos services publics à l’aune du new public management avait mis ces derniers dans un tel état de dégradation que nous ne savons plus, aujourd’hui, par quel bout nous y prendre pour leur permettre de renouer avec l’efficacité, la performance et le respect de l’égalité d’accès.
Nos hôpitaux, par exemple, ont été gérés selon cette logique très budgétaire, défavorable aux conditions de travail. Qu’observe-t-on aujourd’hui ? Des démissions en nombre, des postes vacants et, en définitive, une désagrégation de ce service public par l’application d’une logique purement comptable. Tout cela parce que l’on a considéré que le problème, c’était non pas l’accès aux soins, mais la dépense !
Anachronique, ensuite, parce que l’outil de la LOLF a été conçu, comme je l’indiquais précédemment, à un moment d’inconscience climatique.
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a démontré qu’il existait un véritable consensus scientifique sur la nécessité d’un changement radical, notamment d’outils. Nous devons admettre que croissance n’est pas toujours synonyme de prospérité, que le découplage entre croissance et pollution par le biais des innovations technologiques est très peu probable. Le puissant outil que constitue le budget de l’État, nous devons l’élaborer au regard et à l’aune de l’urgence climatique et, pour cela, retenir d’autres indicateurs que le PIB comme base de la réflexion.
Oui, nous avons besoin d’un autre cadre de réflexion, d’élaboration et de contrôle budgétaires, qui soit adapté aux défis de notre temps. Lorsque l’on pense la dette, ce n’est pas seulement la dette financière ; c’est aussi la dette écologique. D’après certains chercheurs, la dette climatique atteint aujourd’hui 80 % du PIB dans notre pays. N’est-ce pas là un sujet qui pourrait faire l’objet de débats très réguliers ? Pourtant, nous ne le prenons jamais en considération.
Au nom de quoi les missions du Haut Conseil des finances publiques consisteraient-elles à surveiller que la France respecte bien ses engagements au regard du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), des critères de convergence ou autres ? Au nom de quoi ces engagements européens seraient-ils supérieurs aux engagements pris par la France dans le cadre de la COP 21 ayant abouti à l’accord de Paris ? Jamais nous ne cherchons à savoir où nous en sommes…
Je vois donc dans ces textes une occasion manquée, par précipitation et volonté de communication politique.
Les amendements que le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a déposés me semblent néanmoins de nature à poser les jalons d’une autre voie, pour une construction budgétaire à la hauteur des défis climatiques et sociaux actuels. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique et la proposition de loi que nous examinons cet après-midi ont pour ambition de rénover en profondeur la gouvernance et le pilotage des finances publiques, en modifiant la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Je tiens tout d’abord à saluer le travail des rapporteurs, venant compléter à certains égards celui qui a été effectué depuis deux ans à l’Assemblée nationale. Néanmoins, le groupe RDPI et moi-même regrettons le refus du Sénat de s’associer depuis le départ à ce travail, avec le Printemps de l’évaluation pourtant engagé.
Je souhaite rappeler l’esprit de consensus qui devrait être le nôtre en matière de gestion et d’organisation des finances publiques, car consensus il y a eu par le passé… Promulguée le 1er août 2001, la LOLF a profondément transformé l’architecture budgétaire de l’État, permettant un meilleur suivi de la dépense publique et nous dotant de nouveaux outils, qui, conjointement à la réforme de la gestion budgétaire et comptable publique, dite GBCP, ont renforcé la clarté de l’examen et du contrôle budgétaires.
L’esprit de consensus lors de l’adoption de la LOLF avait émergé grâce aux travaux menés par Alain Lambert, au Sénat, et Didier Migaud, à l’Assemblée nationale. C’est dans le même esprit que nous espérons une commission mixte paritaire conclusive. Je suis en effet convaincu que nous devons enrichir la LOLF de nouveaux outils, ce que permettent les dispositions contenues dans les textes examinés aujourd’hui.
Cela étant, notre groupe a quelques points de désaccord avec la position des rapporteurs. Par conséquent, je souhaite attirer votre attention sur les deux amendements que je défendrai au nom du groupe RDPI.
Le premier amendement concerne l’introduction de la référence aux « dépenses d’avenir » comme indicateur spécifique en loi de programmation des finances publiques.
L’amendement que je présenterai vise à revenir à la rédaction de l’article 1er de la proposition de loi organique adoptée par l’Assemblée nationale, en supprimant la référence aux « dépenses d’avenir ». En effet, l’objectif d’évolution des dépenses des administrations publiques, introduit par ce texte, est un outil comptable de suivi et de pilotage des finances publiques. Par nature, il a donc pour vocation non à distinguer les dépenses d’avenir et les dépenses de fonctionnement, mais à présenter une vision consolidée de l’évolution des dépenses par rapport à la programmation. Nos débats en commission l’ont bien rappelé !
Nous avons l’occasion de doter la LOLF de nouveaux outils performants. J’ose espérer qu’il puisse être question d’outils neutres et transpartisans. Or, la notion de « dépenses d’avenir » n’est pas définie avec clarté et ferait, à n’en pas douter, l’objet d’instrumentalisations politiques de toutes parts.
Je crois d’ailleurs que ce n’est pas au Gouvernement d’évaluer la qualité de ses propres investissements en construisant un tel indicateur, qui se révélerait à l’usage particulièrement arbitraire. C’est au Parlement et à la représentation nationale d’endosser ce rôle dans le cadre de ses travaux d’évaluation et de contrôle.
Le second amendement a pour objet de supprimer, à l’article 12 de la proposition de loi organique, la possibilité pour le Haut Conseil des finances publiques d’émettre un avis sur l’exécution de l’année en cours, lorsqu’il est saisi à l’occasion du projet de loi de finances. Nous estimons que le contrôle de l’exécution doit être effectué par le Haut Conseil une fois l’exercice clos, et non en cours d’exercice. Cela permettrait de maintenir un équilibre sain entre la liberté d’action du Gouvernement et le contrôle par le Parlement sans que le Haut Conseil soit amené à se prononcer en cours d’exercice autrement que lors du dépôt d’un projet de loi de finances rectificative, comme c’est le cas aujourd’hui.
Tels sont les deux amendements que je défendrai après la discussion générale.
Mes chers collègues, au-delà de ces deux points, je crois que nous sommes face à une occasion que nous devons saisir. Plus que jamais, nous devons réformer la gouvernance de nos finances publiques et moderniser notre approche.
Réformer le calendrier budgétaire et la procédure d’examen des textes financiers pour améliorer la lisibilité des lois de finances et l’articulation avec la programmation pluriannuelle ; renforcer la portée de l’autorisation budgétaire en limitant notamment le recours aux taxes affectées ; retrouver l’esprit de la LOLF en renouvelant la démarche de performance et la culture du résultat ; consolider l’information du Parlement, ainsi que les pouvoirs d’évaluation et de contrôle de la commission des finances, afin de rendre possible un véritable « “chaînage vertueux” entre l’évaluation des résultats passés, l’autorisation budgétaire pour l’année à venir, la programmation pluriannuelle et l’exécution en cours d’année » : les objectifs fixés dans le rapport de la mission d’information sur la loi organique relative aux lois de finances (Milolf), conduite par mes collègues députés Laurent Saint-Martin et Éric Woerth, se retrouvent bien dans les dispositions de la proposition de loi organique et de la proposition de loi.
J’écoutais avec attention l’actuel président du Haut Conseil des finances publiques, Pierre Moscovici, lors de son audition la semaine dernière par la commission des finances, à l’occasion de la présentation de son avis sur le projet de loi de finances pour 2022.
Je dois dire que j’ai été plutôt convaincu. Convaincu par son propos et son appel à saisir l’occasion de l’examen en séance publique pour faire avancer les choses, dans l’intérêt des finances publiques de la France et dans l’intérêt général. (M. Jérôme Bascher ironise.) J’ai été convaincu également par sa volonté de nous alerter sur la gestion à long terme de notre endettement actuel. Le Gouvernement a pris les mesures nécessaires et la stratégie du « quoi qu’il en coûte » a démontré son efficacité. Néanmoins, la question de l’endettement se posera encore sans doute pendant de nombreuses années et nous devons nous doter des outils permettant d’y répondre.
Ce sont autant de raisons pour lesquelles le groupe RDPI votera pour l’adoption de ces textes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme un bonheur n’arrive jamais seul, nous entamons cette rentrée budgétaire avec deux propositions de loi qui s’attellent à un sujet relativement technique : la modernisation du cadre des lois de finances.
Au risque de rappeler une évidence, c’est la raison d’être du Parlement depuis plus de deux cents ans que d’examiner le budget des pouvoirs publics et d’autoriser à la fois les prélèvements obligatoires et les dépenses des administrations.
L’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique […] ».
Les lois de finances diffèrent des autres lois ordinaires à la fois par leur contenu, fait de nombreuses données chiffrées, et par leur procédure d’examen, qui obéit à des délais constitutionnels stricts, ainsi qu’à des règles de recevabilité financière et organique non moins contraignantes.
Les difficultés inhérentes à l’examen des lois de finances sont connues : lourdeur et complexité de la phase du projet de loi de finances initial à l’automne ; au contraire, pauvreté de l’examen du projet de loi de règlement et du débat d’orientation des finances publiques au début de l’été ; contrôle insuffisant de l’exécution.
Ainsi, la prévision initiale est toujours frappée d’incertitudes et il n’existe pas de budget dont l’exécution corresponde exactement à la loi initialement adoptée. L’enjeu est donc de voter des prévisions de recettes et de dépenses à la fois crédibles et sincères.
Une autre critique formulée depuis longtemps à l’encontre de la LOLF souligne l’échec rencontré dans la mise en place d’une comptabilité d’État véritablement moderne et l’instauration d’une culture du résultat qui permette une amélioration de la qualité de la dépense publique.
Il faut se souvenir de l’ampleur du travail réalisé à l’époque de la rédaction de la LOLF. L’État s’était alors doté d’un cadre réellement nouveau pour ses finances, par rapport à l’ordonnance organique de 1959 – un cadre d’une grande complexité néanmoins, surtout comparé à celui de la gestion des finances locales, et qui n’a pas permis une amélioration de la situation des finances publiques.
Certes, les prérogatives du Parlement ont été renforcées : l’information budgétaire est relativement abondante – au point que l’on s’y perd parfois – et l’on examine et vote les crédits programme par programme, mission par mission, un niveau de détail qui n’existait pas avant 2005.
Toutefois, au-delà du cadre organique, nous aurons toujours les contraintes de recevabilité des amendements liées à l’article 40 de la Constitution et à l’application qui en est faite : les parlementaires ne peuvent pas compenser une charge publique et toute baisse de recette doit être compensée par une recette équivalente. C’est peut-être une sécurité pour les finances publiques, mais qui se paye par des marges de manœuvre très restreintes pour les parlementaires, souvent réduits à approuver ou rejeter le budget ou les amendements proposés par le Gouvernement, sans pouvoir, eux-mêmes, amender significativement ce budget.
Enfin, notre cadre budgétaire est aujourd’hui fortement influencé par les règles en vigueur au niveau européen : depuis le traité de Maastricht, l’adoption du pacte de stabilité et de croissance et, en 2012, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – dont la création du Haut Conseil des finances publiques est une conséquence –, le Gouvernement doit transmettre à la Commission européenne des engagements budgétaires clairs et argumentés. Le temps n’est pas si loin où la France faisait encore l’objet d’une procédure pour déficit excessif.
En résumé, sans représenter un big-bang budgétaire, les deux textes que nous examinons apportent des améliorations et des clarifications utiles, ainsi qu’une occasion de débattre sur le fond des règles budgétaires.
Parmi les améliorations, je relève la doctrine d’emploi des ressources affectées, qui donne souvent lieu à des difficultés d’interprétation lors de l’examen des amendements au projet de loi de finances. Le Gouvernement inscrit également dans le marbre le principe de la loi rectificative de fin de gestion, pratique instaurée depuis le début de ce quinquennat.
On peut néanmoins regretter que la commission des finances ait supprimé certaines dispositions, comme la consécration de l’évaluation de l’impact environnemental des dépenses publiques, improprement appelée « budget vert ».
Pour ces différentes raisons, les membres du groupe du RDSE devraient voter majoritairement pour l’adoption de ces deux propositions de loi.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, moderniser la gouvernance des finances publiques est un projet ambitieux, tout comme vouloir rendre plus lisibles la dépense, l’impôt et la taxe, tout comme apporter une réponse « à l’enjeu de consentement, de démocratie pour faire mieux connaître à nos concitoyens comment l’impôt et la taxe sont levés dans notre pays ». Ce discours est séduisant ; hélas, il ne trouve presque aucun débouché dans ces textes.
Nous nous sommes posé deux questions.
Comment, grâce à ces propositions de loi, les citoyens amélioreront-ils leur compréhension des débats budgétaires et se les approprieront-ils ?
Comment, en tant que parlementaires, allons-nous être en mesure de proposer, par exemple, le financement de l’égal accès aux droits de toutes les catégories sociales, des innovations environnementales, ou encore de faire valoir nos projets de société ? Nous ne le pourrons pas, puisque la LOLF est confortée dans ses principes et ses objectifs.
Je dirai, monsieur le ministre, que vous appliquez aux mêmes causes les mêmes remèdes.
Sur ce point, nous sommes force de proposition : il faut laisser les parlementaires soumettre au débat un contre-budget, sans dépasser le montant global des crédits, de sorte que personne, pas même le Gouvernement, puisse nous qualifier de dépensiers. Nous vous présenterons ce que nous ferions si nous assumions la responsabilité du pouvoir.
Il nous faut desserrer l’étau de l’article 40 de la Constitution, en permettant aux parlementaires de créer des missions ou d’opérer des transferts de crédits entre elles. Celles-ci ne seraient pas, vous le concéderez, plus illisibles et moins cohérentes que la mission « Plan de relance » – un plan de relance sans planification est synonyme de tout-venant et de débudgétisation des crédits traditionnels…
Cette modernité dont vous vous prévalez est, à nos yeux, un concept assez creux. La logique de performance et de gestion induite par la LOLF perdurera au détriment de la qualité du débat et de la décision budgétaire.
Vous confortez notre impuissance – certains pourraient parler d’allégeance – face à la Commission européenne et aux traités européens. La loi de programmation des finances publiques devrait-elle être conforme aux traités européens ?
Cette loi doit servir à planifier les besoins de la Nation, conformément à l’application des principes sociaux, économiques et environnementaux définis dans la Constitution, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement. Voilà un cap et une utilité restaurée des lois de programmation ! Tout le contraire d’une « modernité » qui choisit d’imposer les mécanismes de réduction des dépenses publiques, chers à la Commission européenne, une modernité bien loin d’être une source de changement – c’est la conception qui préside à tous les choix budgétaires depuis plusieurs décennies et, plus encore, depuis l’avènement de la LOLF.
Notre groupe propose une autre solution : rompre avec cette logique budgétaire, que nous qualifions de « dangereuse », consistant à étrangler l’emploi des agentes et des agents publics.
Nous proposons la suppression du plafond d’emplois et la fin de la fongibilité asymétrique. Derrière ces termes pouvant apparaître « barbares », se cachent des effets désastreux : les opérateurs de l’État, les autorités administratives et autorités publiques n’ont plus rien d’indépendant en matière d’emplois publics ; leurs emplois seront encore plus considérés comme les variables d’ajustement du budget de l’État, de même que les fonctionnaires subiront les logiques comptables de ceux qui les gouverneront. Entre 2006 et 2020, seuls trois budgets ont proposé une augmentation du nombre de fonctionnaires. Trois budgets sur quatorze… Pour quels résultats ? Des services se retrouvent avec l’interdiction de recruter un fonctionnaire, mais avec assez d’argent pour faire un chèque deux fois plus élevé à des cabinets privés. On appelle cela la « maîtrise des dépenses »…
Les effets des politiques soumises à ces cadres budgétaires sont « antisociaux » et contre-productifs. La logique de performance de la LOLF fait donc bel et bien figure de mythe.
Votre seule réponse à tous ces maux et au déclin des marges de manœuvre du Parlement et des groupes politiques dans l’élaboration du budget, c’est de rajouter du papier à destination des parlementaires et des citoyens…
Pour citer Franz Kafka, « les chaînes de l’humanité torturée sont faites de paperasse ». Quelle est votre intention lorsque vous choisissez de nous accabler de tant de pages supplémentaires ?
Depuis 2006, le nombre de pages a plus que doublé, avec, comme résultat, un volume de 6 092 pages de « jaunes » et « oranges » budgétaires. Avec les « bleus », c’est un arc-en-ciel de 10 000 pages ! Pour quel pouvoir in fine ? Pour quelle lisibilité ? Je crois que vous savez que tout cela est vain et inopérant, monsieur le ministre – sans doute le savons-nous tous, même si ce n’est pas dit de la même manière.
Nous voterons certains articles, par exemple l’instauration d’un débat sur la dette – notre soutien à une telle disposition ne vous étonnera pas, mes chers collègues, pas plus que M. le ministre – ou encore le renforcement des informations sur les dépenses fiscales. Nous rejetterons toutefois ces textes, à moins que la vingtaine de propositions présentées par nos soins pour répondre à l’ambition déçue que ceux-ci représentent et pour permettre une véritable modernisation des règles budgétaires ne soient retenues.
Il faut réformer la LOLF pour raffermir la démocratie budgétaire. C’est le sens de notre action, et de notre opposition à ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – MM. Vincent Delahaye et Jérôme Bascher applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle est notre ambition à travers ces textes ? Nous essayons de tirer les conséquences d’un certain nombre de difficultés rencontrées dans l’application de la LOLF. C’est légitime, bien sûr, même si nous aurions sans doute pu nous poser la question du moment – mais ce n’est pas là l’essentiel…
Au-delà, il s’agit d’essayer de traiter, par l’angle procédural, un sujet de fond : notre difficulté à maîtriser nos finances publiques et notre addiction à la dépense. En cela, la proposition de loi organique m’apparaît dans le droit fil des travaux de la commission sur l’avenir des finances publiques présidée par Jean Arthuis.
Elle introduit des garde-fous, comme l’objectif d’évolution des dépenses des administrations publiques (ODAP), qui constitue sans doute une évolution méthodologique majeure. Cet ODAP sera effectivement décliné par sous-secteur, exprimé en euros courants et en taux de croissance annuelle en volume. C’est à mon sens utile.
Le lien avec la loi de programmation des finances publiques est aussi renforcé, grâce à un compteur des écarts.
La commission a posé la question, légitime, de l’équilibre entre ces innovations procédurales et le respect des droits du Parlement.
Elle a introduit dans le débat une définition plutôt large de la notion de dépenses d’avenir. La discussion sur ce sujet, me semble-t-il, n’est pas encore close. Ainsi, si le soutien à la croissance, l’éducation, la recherche, la formation, le financement de la transition écologique doivent bien sûr être considérés comme des dépenses d’avenir, nous ne devons pas perdre de vue l’intention initiale, qui est tout de même de cadrer la dépense.
On saluera favorablement le temps supplémentaire consacré à la loi de règlement, rebaptisée. Il s’agira, aussi, d’approuver ou de désapprouver les comptes. Notre collègue Vincent Delahaye a déposé des amendements sur ce thème.
La question des finances locales est clairement mise en avant. Le débat annuel prévu dans ce cadre m’apparaît, là encore, utile.
Le groupe Union Centriste plaide depuis longtemps pour un renforcement de la maîtrise de nos dépenses publiques. Nous accueillons ainsi favorablement les modifications apportées au cadre pluriannuel des finances publiques. Certes, la volonté politique primera toujours en ce domaine. Il n’empêche que les règles budgétaires sont utiles et nécessaires pour donner des points de repère.
Dans la même optique, nous nous félicitons de la création d’un débat sur la dette publique et sa soutenabilité. Notre collègue Vincent Delahaye défendra un amendement, visant à préciser le contenu du rapport relatif à la dette publique.
Je me réjouis de l’adoption par notre commission de l’amendement de notre collègue Sylvie Vermeillet, prévoyant la remise, parmi les annexes au projet de loi de règlement, de tableaux récapitulant le nombre d’emplois rémunérés par l’État, ainsi que sa variation. Le nombre d’agents publics a augmenté à un rythme deux fois supérieur à celui de la population depuis le début des années 1980.
En tant que rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (Bacea), j’ai bien sûr porté une attention toute particulière à l’article 4 quinquies de la proposition de loi organique, tendant à modifier les règles relatives aux budgets annexes. La commission a adopté l’amendement que j’ai déposé sur ce point, et je remercie nos deux rapporteurs de leur attention vigilante et de leur soutien.
À la suite d’un travail approfondi avec les différents acteurs du secteur du contrôle aérien, notamment les administrations et votre ministère, monsieur le ministre, j’ai souhaité rectifier le dispositif adopté par l’Assemblée nationale afin de clarifier le périmètre des opérations retracées – dans le cas que j’évoquais, et même si les dispositions ne portent pas uniquement sur celui-ci, il s’agit du périmètre du Bacea, qui épouse celui des missions exercées par la direction générale de l’aviation civile.
Il ne s’agit pas, je le précise, de graver dans le marbre le périmètre des administrations. Il ne s’agit pas non plus que cette inscription ou cette facilité octroyée dans la LOLF, en la rapprochant de la pratique, induise un quelconque relâchement budgétaire ou une moindre incitation à aller de l’avant en matière de performances. Évidemment, il faut un régulateur fort, et nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.
Nous clarifions également les notions de ressources et de charges des budgets annexes, en les alignant sur les définitions prévues aux articles 3, 5 et 25 de la LOLF.
Mes chers collègues, le renforcement de la maîtrise de nos dépenses publiques dans les discussions budgétaires est un sujet de préoccupation pour tout le monde – en tout cas pour les membres du groupe Union Centriste. Considérant que ces deux textes vont dans le bon sens, et malgré certains points d’amélioration restant en suspens, ceux-ci voteront pour l’adoption de ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud.
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, améliorer l’information du Parlement sur les finances publiques et réorganiser la discussion parlementaire des lois financières pour en assurer une meilleure visibilité, tels sont les objectifs affichés par la proposition de loi organique et la proposition de loi mises en débat, aujourd’hui, dans notre hémicycle. Je ne suis pas certain que ces textes, qualifiés de « techniques » et d’« ésotériques » par notre collègue Emmanuel Capus, permettent d’atteindre pleinement de tels objectifs.
Certes, nous ne pouvons qu’approuver la volonté de réorganisation, souhaitant nous aussi éviter la répétition de débats quasi identiques en première et seconde parties du budget.
Mais, sur le fond, les apports de la proposition de loi organique sont très faibles. De ce fait, était-il vraiment indispensable d’inscrire ces textes à l’ordre du jour d’une session extraordinaire ? Le Gouvernement n’avait-il pas d’autres priorités ?
J’ajoute que la portée des dispositions visant à contrôler la dépense publique reste limitée, les lois de programmation pluriannuelle n’ayant aucune autorité sur les lois de finances annuelles. Le Parlement peut très bien établir une programmation sur plusieurs années et voter, l’année suivante, un budget en contradiction totale avec cette programmation !
L’orientation du projet de loi de finances que vous avez récemment présenté, monsieur le ministre, et les milliards d’euros de dépenses annoncés par le Président de la République, qui seront intégrés plus tard, par amendement, à ce même projet de loi de finances, sont ainsi contraires à l’esprit même du texte examiné ce jour. Cela ne permettra pas au Parlement de procéder effectivement à une analyse approfondie des mesures, en l’absence de possibilités de recours à des organismes extérieurs en temps voulu ou aux administrations publiques concernées par le biais de questionnaires budgétaires, par exemple.
Il serait donc indispensable de renforcer l’évaluation chiffrée des incidences des dispositions introduites par le Gouvernement en cours d’examen du projet de loi de finances, comme la LOLF le prévoit aujourd’hui pour les dispositions initiales du projet de loi de finances affectant les ressources ou les charges de l’État.
Par ailleurs, l’ambition de la LOLF était de mesurer l’écart pouvant exister entre les objectifs affichés et les effets concrets de la mise en œuvre d’une politique. Convenons qu’elle n’est pas allée assez loin dans le processus. Il y a un léger progrès dans la présente proposition de loi organique, mais ce progrès est sans rapport avec, par exemple, les mesures inscrites dans la proposition de loi constitutionnelle déposée par Franck Montaugé et l’ensemble des collègues du groupe socialiste au printemps dernier, portant sur l’évaluation des politiques publiques par le Parlement.
Cela serait pourtant nécessaire pour renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. En effet, si le texte que nous étudions aujourd’hui prévoit déjà, et c’est une avancée, une information plus formalisée sur les écarts entre crédits votés et crédits réalisés, cela reste un bien petit pas.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain présentera donc quelques amendements en vue d’améliorer encore le texte au fond, et ce autour d’objectifs qui nous paraissent importants : meilleur encadrement et meilleure évaluation des niches fiscales, renforcement de l’évaluation des dépenses fiscales – sans pour autant nier leur utilité –, mise en perspective de la trajectoire des recettes, afin de ne pas limiter le débat à la seule et unique question de la dette.
En effet, si rien dans ce texte ne vient imposer une « règle d’or », l’approche par la limitation de la dépense publique et la mise en avant du seul enjeu de la dette imprègnent son esprit et, très largement, nos débats.
Or l’enjeu devrait être bien plus global ; il concerne aussi les recettes de l’État. Quel niveau de fiscalité ? Pesant sur qui ? Évoluant comment ? Et pour répondre à quels besoins ?
Comment parler de dépense et de dette publiques sans parler d’investissement et de services publics, de transition écologique, d’investissements d’avenir ? Sur ces sujets, comme sur le véritable renforcement des pouvoirs du Parlement – lequel ne se résume pas, en effet, au nombre de pages des documents qui nous sont fournis –, au-delà des mesures ponctuelles, ces textes nous laissent donc sur notre faim. Leur intérêt et leur caractère d’urgence nous apparaissent tout relatifs.