Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans tout pays démocratique, l’État de droit se mesure à l’aune de l’adhésion et de la confiance qui lient les citoyens et les institutions régaliennes. Force est de constater que, dans notre pays, si la confiance à l’égard de l’armée, de la gendarmerie et de la police est élevée, celle que les Français placent en la justice est altérée, parfois même dégradée.
En effet, dans une enquête d’opinion de 2019, un Français sur deux signifiait sa défiance à l’égard de notre système judiciaire et 62 % des Français indiquaient que la justice fonctionnait mal. Ces chiffres sont durs, ils sont même cruels à bien des égards, car ils témoignent d’un décrochage profond entre les Français et l’institution judiciaire.
Les causes de cette défiance sont à la fois multiples et justifiées. Nos tribunaux sont engorgés, les magistrats et les greffiers croulent sous les dossiers. Deux exemples très récents : au tribunal judiciaire de Nîmes, il n’y a plus de juge d’instruction spécialisé en matière économique et financière ; au tribunal judiciaire de Nantes, à l’occasion de son installation, lundi dernier, le nouveau procureur a indiqué, comme un appel à sa tutelle et aux élus que nous sommes, que la justice nantaise n’était plus crédible.
Monsieur le garde des sceaux, les inégalités territoriales dans l’accès à la justice sont criantes. Les procédures rallongent les délais de traitement et d’audiencement. De surcroît, en dépit du travail sérieux qu’accomplissent les associations d’aide aux victimes, les parties civiles ont le sentiment d’être oubliées, voire délaissées. Certaines victimes apprennent par exemple que leur plainte a été classée sans suite, sans que personne ait pris le soin de les en informer.
Monsieur le garde des sceaux, lors de votre prise de fonction, vous avez annoncé vouloir « améliorer la justice dans notre pays », regrettant alors « les conditions de travail déplorables dans lesquelles se débattent quotidiennement magistrats et greffiers » et estimant nécessaire de mettre en place une justice plus proche du citoyen. Pour l’heure, votre bilan est pour le moins contrasté : l’augmentation bien réelle des crédits qui vous ont été accordés lors du vote du précédent projet de loi de finances reste cependant insuffisante pour corriger les nombreux travers d’un système judiciaire laissé exsangue.
Indépendamment de la question des moyens, qui est centrale, il y a le contexte dans lequel nous sommes invités à débattre de ce projet de loi. Il règne objectivement un climat de perplexité, voire de crispation, chez les acteurs du système judiciaire, qui ont été déçus par le contenu de ce projet de loi. Derrière un titre ambitieux qui aurait pu séduire et qui aurait dû convaincre, il n’y a qu’une addition de mesures techniques et quelques ajustements qui évitent soigneusement les vrais problèmes et ne règlent en rien la justice du quotidien.
Je relève enfin que nous sommes saisis de ce projet de loi alors même que le Gouvernement annonce son intention d’organiser des États généraux de la justice. Cette multiplication d’annonces vient brouiller le message gouvernemental et ne favorise pas les conditions de la confiance.
Monsieur le garde des sceaux, la confiance dans l’institution judiciaire ne se proclame pas, pas plus qu’elle ne se décrète. La confiance dans l’institution judiciaire se construit jour après jour, elle se mérite.
Venons-en au contenu de votre projet de loi.
Sans nier l’intérêt pédagogique que peuvent représenter la captation vidéo des audiences et leur retransmission à la télévision, nous avons du mal à évaluer l’impact réel d’une telle mesure sur la confiance des Français dans l’institution judiciaire. Plus surprenant encore, alors que vous sembliez, comme nous, attaché aux jurys populaires nés de la Révolution française, vous voulez désormais supprimer les cours d’assises et les remplacer par les cours criminelles départementales. (M. le garde des sceaux proteste.)
En 2017, sur France 3 Corse, vous critiquiez les cours criminelles départementales, indiquant que la présence des citoyens était une « bouffée d’oxygène dans le corporatisme des juges ». Et d’ajouter : « La justice est rendue au nom du peuple et on voudrait interdire au peuple de rendre justice ? Nous avons besoin du jury populaire ; moi, je ne veux pas d’une justice qui soit exclusivement professionnelle. » (M. le garde des sceaux acquiesce.)
Monsieur le garde des sceaux, vous avez parfaitement le droit de changer d’avis, vous avez même le droit d’évoluer, mais avouez qu’il y a quelque paradoxe à évincer les Français quand ils sont acteurs de la justice, notamment lorsqu’ils siègent dans les cours d’assises, pour les réduire au simple statut de téléspectateurs devant une émission à mi-chemin entre Au théâtre ce soir et Faites entrer l’accusé.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Hussein Bourgi. La réforme des réductions de peine est une autre mesure à la fois contradictoire et contre-productive. Nous saluons évidemment votre volonté de simplifier le dispositif existant, car le système actuel est illisible et incompréhensible pour de nombreux justiciables profanes en matière juridique.
Pour autant, l’ensemble des professionnels que nous avons rencontrés et auditionnés soutiennent qu’il n’y a pas lieu de légiférer sur cette question et que la nouvelle réforme pourrait avoir deux effets pervers majeurs. D’une part, elle engendrera la multiplication des sorties « sèches », entravant ainsi la volonté gouvernementale, que nous partageons, de lutter contre les récidives puisque le détenu ne pourra pas pleinement préparer sa réinsertion dans la société. D’autre part, cette suppression des réductions de peine serait susceptible de favoriser le maintien en détention de certains prisonniers, alors que l’exécutif a affiché sa volonté, que nous partageons là aussi, de réduire la surpopulation carcérale.
Il est un autre point de ce texte qui fait débat : la suppression du rappel à la loi annoncée au mois de mai dernier. Monsieur le garde des sceaux, il vous aura fallu quelques semaines pour constater que cette suppression sèche poserait problème, alors même que les rappels à la loi représentaient 21 % des réponses pénales, soit la bagatelle de 262 346 rappels à la loi en 2019.
Monsieur le garde des sceaux, supprimer un rappel à la loi et ne le remplacer par aucune mesure alternative, c’était le meilleur moyen d’accréditer involontairement, je vous l’accorde, ce sentiment d’impunité judiciaire chez certains auteurs d’infractions. Supprimer le rappel à la loi et ne le remplacer par aucune mesure alternative, c’était prendre le risque de faire plonger les statistiques en matière de réponse pénale.
M. Hussein Bourgi. En effet, je souligne, pour mémoire, que les rappels à la loi représentent la moitié des mesures alternatives aux poursuites.
Vous vous êtes ravisé et c’est tant mieux. N’en déplaise à ses détracteurs, le rappel à la loi a prouvé sa vertu dissuasive en vingt ans de pratique.
Aux incohérences de fond que contient ce projet de loi s’ajoute la forme choisie pour en traiter certains aspects essentiels : le groupe socialiste déplore que le Gouvernement ait initialement choisi d’avoir recours aux ordonnances pour les articles 14, 15, 27 et 32.
Monsieur le garde des sceaux, il appartient au Parlement de légiférer. L’usage abusif que fait votre gouvernement de l’article 38 de la Constitution depuis le début de cette législature n’est pas acceptable. Le recours trop fréquent aux ordonnances et à la procédure accélérée n’est pas respectueux du Parlement et des parlementaires.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. Hussein Bourgi. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes parfaitement ouverts à un débat sur les droits sociaux des travailleurs détenus ou à une discussion autour de la création d’un code pénitentiaire. Encore faut-il que l’exécutif nous en donne l’occasion. La commission des lois a partiellement satisfait cette demande et je souhaite en profiter pour remercier les rapporteurs de la qualité de leur travail.
Pour espérer obtenir et gagner la confiance des Français, le préalable consisterait peut-être à jeter les bases d’un travail loyal, respectueux et constructif avec les parlementaires que nous sommes, qu’ils appartiennent à la majorité présidentielle ou à l’opposition.
Pour conclure, je tiens à mentionner l’élément structurel qui manque dans ce projet de loi. Si une réflexion est menée sur le contentieux pénal, rien, comme souvent, n’est proposé en matière de justice civile, commerciale et familiale ; or le contentieux civil totalise 2,2 millions de décisions rendues par an, quand la justice pénale n’en rend que 800 000. Il est grand temps que nous nous penchions sur cette justice du quotidien, celle qui a un impact sur nos concitoyens.
Monsieur le garde des sceaux, avec ce projet de loi vous souhaitiez donner à nos concitoyens confiance dans l’institution judiciaire. Je crains hélas, que, par ses faiblesses intrinsèques, ce texte ne soit considéré comme un énième rendez-vous manqué de ce quinquennat.
Pour éloigner ce funeste destin, notre groupe s’attachera à gommer les imperfections de ce texte et à lui donner un peu plus de consistance lorsque c’est nécessaire. Nous espérons que vous saurez accueillir nos propositions avec ouverture ; cela est d’autant plus souhaitable que, dans cet hémicycle, nous sommes, les uns et les autres, que nous siégions sur les travées ou au banc du Gouvernement, animés de la volonté commune d’aider la justice à retrouver tout le crédit qu’elle mérite auprès des justiciables. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès l’abord, je dois vous dire que j’ai été un peu surpris du décalage entre le titre, l’objet annoncé de ce texte et son contenu réel. Ce projet de loi comporte en réalité des dispositions hétéroclites et de portée inégale – et ce n’est pas méconnaître l’intérêt de certaines d’entre elles que de le dire. Reste que cela ne justifie en rien le caractère quelque peu présomptueux de l’intention affichée par ce texte.
J’espère néanmoins que nos travaux contribueront à ce qu’un certain nombre de dispositions utiles s’intègrent à notre corpus juridique. Toujours est-il que, entre le déroulement de l’enquête préliminaire, l’adaptation du régime des droits de la défense, les cours criminelles, la possibilité de filmer l’audience, le recours à des magistrats non professionnels, nous ne sommes tout de même pas dans un Grand Soir du service public de la justice. D’ailleurs, le texte paraît déjà incomplet, puisque le Gouvernement en annonce d’autres, comme s’il avait tant de temps devant lui pour faire en quelques mois ce qui n’aurait pas été fait en cinq ans.
Il serait donc plus exact et moins présomptueux d’intituler ce texte « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la justice ». Ce ne serait déjà pas si mal et cela renseignerait davantage le public sur son contenu réel.
En réalité, monsieur le garde des sceaux, convenons-en, cette question est tout à fait secondaire : le titre du texte sera bien vite oublié sous l’effet de la codification. Je crains d’ailleurs que son contenu ne le soit à son tour assez rapidement aussi. (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, vous avez souhaité organiser des États généraux de la justice. Nous nous sommes mis en situation d’y prendre part. L’Agora de la justice, qui s’est tenue hier à l’invitation du président de notre commission des lois et du président du Sénat, a été un moment fort de la relation entre la représentation nationale et le monde de la justice. Je dois dire que, face à l’énoncé des différents points de vue exprimés par les Français sur la justice, il y avait dans le corps des magistrats, mais aussi chez les avocats, les responsables de l’administration pénitentiaire, voire les universitaires, beaucoup d’émotion, ce qui nous a permis de mesurer de nouveau à quel point tous ceux qui concourent à la justice sont sincèrement et profondément engagés pour le bon fonctionnement de ce grand service public.
M. Philippe Bas. Nous voulons aider la Chancellerie à renouer avec la communauté judiciaire en même temps qu’à resserrer les liens distendus entre les Français et la justice. Je crois, après vous avoir entendu, monsieur le garde des sceaux, que vous partagez largement ce constat pourtant sévère. Reste que je préfère un garde des sceaux objectif sur la situation dont il a la responsabilité à des discours de marchand de bonheur qui ne devraient pas avoir cours en ce qui concerne la justice.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez raison sur un point essentiel : on ne peut laisser perdurer la défiance que mesurent les enquêtes d’opinion entre les Français et la justice ni laisser la justice livrée en pâture au tribunal de l’opinion. Je le dis au Gouvernement : les États généraux doivent commencer par un état des lieux, lequel, s’il veut servir à un débat consensuel entre les Français, doit être loyalement établi, objectif et impartial.
Il y a la justice civile : plus de 2 millions de décisions sont rendues chaque année ; ces décisions concernent la famille, la consommation, les loyers, mais aussi, avec la justice prud’homale, les licenciements ou les salaires. Ces décisions touchent le quotidien des Français.
Il n’en est pas question dans ce texte. Pourtant, rares sont nos concitoyens qui n’ont pas au moins une fois dans leur vie besoin de l’arbitrage d’un juge. Ce n’est donc pas accessoire. Hélas, après cinq années du quinquennat actuel, nous constatons que les délais moyens de jugement ne se sont pas raccourcis : ils se sont au contraire encore allongés d’un mois, pour atteindre désormais une moyenne d’un an, hors conseils des prud’hommes où la situation est encore plus critique puisque l’on frôle les dix-huit mois. Il n’y a pas de confiance possible dans la justice, si on laisse perdurer une telle situation de thrombose.
Il y a ensuite la justice pénale. Arrêtons-nous-y un instant, puisque c’est l’objet principal de ce texte. Entre la première instance et l’appel, il faut plus de deux ans pour traiter les affaires de délinquance, soixante mois pour les affaires criminelles. C’est beaucoup trop. La réponse pénale est trop lente, elle n’est pas adaptée aux exigences d’une politique répressive efficace.
D’abord, il y a la réalité de la société : la violence ne cesse de s’aggraver – n’est-ce pas, monsieur le garde des sceaux ?… –, plus encore vis-à-vis des agents en charge de la sécurité de nos concitoyens.
Incontestablement, la France doit faire face à une forte augmentation des violences sur les personnes. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le garde des sceaux, non, c’est le Président de la République au mois d’avril dernier, vous l’avez lu comme moi. Croyez bien que ce constat d’échec après quatre années de mandat me navre tout autant que lui et qu’il désole plus encore nos concitoyens exposés à cette aggravation de la violence. Je ne crois pas qu’on les rassurera en filmant le déroulement des procès ou en remplaçant le rappel à la loi par l’avertissement pénal probatoire.
M. Philippe Bas. Ensuite, cette insécurité aurait normalement dû donner lieu à une amélioration de notre système pénitentiaire. Force est de constater, malheureusement, en ce qui concerne les constructions de prisons, que les engagements n’ont pas été tenus.
Monsieur le garde des sceaux, vous vous dites « ulcéré » du procès qui est fait au Gouvernement à propos des 15 000 places de prison que le Président de la République s’est engagé à construire pendant son quinquennat. Pour ma part, je suis également ulcéré, mais pas pour les mêmes raisons : je suis ulcéré que l’on prétende, que l’on puisse oser prétendre, que cet engagement a été tenu. Que l’on en juge : 2 000 places ont été ouvertes – la Santé, les Baumettes 2, Aix-Luynes 2 –, mais il s’agit de travaux engagés par M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux du précédent quinquennat ; 650 places sont en cours de réalisation. C’est tout, pas plus,…
M. Philippe Bas. … même si, il faut le dire, des marchés sont notifiés pour 3 450 places, qui, pour la plupart d’entre elles, prendront malheureusement plusieurs années avant d’être ouvertes. Cet échec grave, cette carence dans le respect des engagements qui sont au cœur d’un mandat présidentiel posent un véritable problème démocratique.
Enfin, il y a la question du budget. L’augmentation des moyens de la justice est réelle, il faut le reconnaître, mais elle aura été insuffisante au départ – cela ne sera pas rattrapé –, irrégulière sur la durée, avec une sous-consommation de crédits qui constitue une anomalie grave dans le fonctionnement de l’État.
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a été votée tardivement. Elle prévoyait une augmentation de crédit de 23 % en cinq ans. Nous avons jugé que c’était insuffisant, qu’il fallait atteindre si possible 30 %, nous ne l’avons donc pas votée. Vous avez décidé de rétablir la trajectoire que nous souhaitions, nous ne pouvons pas vous le reprocher, nous en sommes heureux. Pour autant, nous ne pouvons pas vous laisser dire que l’effort fait pour la justice permet une remise à niveau, telle qu’elle serait nécessaire pour le bon fonctionnement de la justice.
M. Philippe Bas. En effet, on ne rattrapera pas les sous-dotations des premières années du quinquennat – cet argent qui n’a pas été dépensé ne le sera plus. Par ailleurs, la sous-consommation des crédits de la mission « Justice » à laquelle j’ai fait allusion est endémique. Excusez du peu : 378 millions d’euros de sous-consommation pour les années 2018, 2019 et 2020 ! Qui plus est, 652 millions d’euros de crédits d’investissement, soit un tiers des crédits d’investissement de ces trois années, n’ont pas été engagés. C’est très grave, c’est même le plus grave et cela explique d’ailleurs en grande partie que l’on ne construise pas de places de prison. On ne peut pas accepter cette situation.
Enfin, le caractère purement virtuel du budget pour 2022, qui n’engage à rien et n’est d’ailleurs pas soutenable, fait que la bataille budgétaire sera entièrement à recommencer au second semestre 2022. Il sera alors trop tard pour tenir la trajectoire budgétaire de 2022.
C’est pourquoi il ne faut pas se contenter de voir les crédits votés, il faut regarder quel aura été rétrospectivement l’effort réel en faveur de la justice. Monsieur le garde des sceaux, je vous le dis : le compte n’y est pas.
Le Sénat est depuis longtemps engagé au service d’une rénovation en profondeur de la justice. Nous sommes très nombreux ici à penser que la justice doit cesser d’être un enjeu de débat politique. Nous sommes prêts à contribuer, comme en matière de politique étrangère ou de défense nationale, à ce que des consensus se forgent pour que cette grande fonction régalienne soit mise à l’abri des surenchères et cesse d’être le domaine des bateleurs d’estrade. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est dans cet esprit que nos rapporteurs ont travaillé, pour essayer d’améliorer votre texte. C’est aussi dans cet esprit que mon groupe soutiendra les efforts de la commission des lois.
Même avec ces améliorations, ce n’est certes pas le texte que nous aurions fait si nous avions pu le faire seuls, mes chers collègues. J’ai en particulier les plus grandes réserves sur le fait de filmer des audiences, parce que je suis sensible à l’émotion des victimes comme à la vulnérabilité des accusés, qui sont présumés innocents, et je crains fort que cela n’amène des biais dans la sincérité et l’authenticité des débats judiciaires, et que certains n’en viennent à se servir du tribunal comme d’une tribune. (M. le garde des sceaux ironise.)
Cependant, le Sénat n’est pas une chambre d’obstruction, monsieur le garde des sceaux, mais de construction. Il sait qu’il ne peut à lui seul faire la loi, et il a donc toujours à cœur d’aborder la discussion des textes avec le sens du compromis, qui permet de trouver des accords consolidant les points qui lui paraissent essentiels – nous vous les signalerons et nous sommes certains que vous contribuerez à une bonne entente avec l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire » : voilà un titre qui sonne comme un aveu ! Mais vous l’avez dit vous-même, monsieur le garde des sceaux, et le sondage commandé par la commission des lois le prouve : les Français n’ont plus confiance dans leur justice. C’est une situation regrettable pour une institution qui est pourtant au cœur de notre pacte social.
Les causes de ce désamour sont multiples : délais trop longs ; méconnaissance du fonctionnement judiciaire et de ses acteurs ; incompréhension par le grand public de la sévérité, ou du manque de sévérité, des peines prononcées ; questionnement sur l’exécution de ces peines ; gestion, prévention de la récidive… La liste est longue, malheureusement.
Oui, donc, sur le principe, ce texte est bienvenu. Atteint-il son objectif ? Dans un premier temps, il entend redonner confiance en montrant la justice en action à travers l’enregistrement et la diffusion d’audiences.
De prime abord, l’idée m’a paru bonne. Puis je me suis référée à ce que nous vivons nous-mêmes ici, à l’impact que peut avoir sur notre parole ou notre comportement le fait d’être filmés. Quel impact auront donc les caméras sur le comportement et la parole des victimes, des témoins, des accusés, mais aussi des procureurs, des juges ou des avocats ?
Je me suis vraiment posé la question, monsieur le garde des sceaux, lors d’une de vos auditions, où nous évoquions les avancées comme les retards de votre ministère en matière informatique. Lorsque vous m’avez répondu, vous avez commencé par dire : « Je ne voudrais pas que les personnes qui nous regardent croient que… ». Vous vous adressiez donc à ces personnes autant qu’à moi. Qu’en sera-t-il dans une session d’assises ?
Non, tout ne peut pas être tout le temps filmé, et nos deux rapporteurs, dont je salue ici le travail de grande qualité, ont défini ce qui relève d’un intérêt public, dont l’enregistrement est utile, et affirmé le principe de gratuité, pour éviter toute recherche de surenchère.
Rien de tel, à mon sens, qu’une bonne série télévisée, bien documentée, pour faire connaître le métier. Ainsi, la série Urgences contribue probablement plus à donner envie aux jeunes de devenir médecins que des opérations filmées sur le vif. Et que dire du Bureau des légendes, qui a considérablement aidé la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dans son recrutement ? Voilà pour la meilleure connaissance.
J’en viens aux délais, avec l’article 2, qui vise à limiter la durée de l’enquête préliminaire à deux ans, prolongeables d’un an sur décision du procureur. Ce délai semblerait déjà respecté pour 92,7 % des enquêtes préliminaires. Seules 3,2 % d’entre elles dureraient au-delà de trois années. Je dois avouer que ces chiffres me surprennent vraiment, et je crains que la plupart des clôtures ne soient des déclarations sans suite, faute de pouvoir engager les suites en question.
Heureusement, l’article exclut de son champ d’application les enquêtes antiterroristes et le crime organisé. Mais il est également un domaine où une enquête prend toujours du temps, les enquêtes financières, ne serait-ce que parce qu’il y a quasiment systématiquement un compte étranger dans l’affaire, mais aussi à cause du manque d’officiers de police judiciaire spécialisés dans la matière. L’extension du délai préconisée par nos rapporteurs en matière de fraude fiscale, de corruption ou de blanchiment est donc la bienvenue.
Autre sujet qui a fait causer ou qui fait lire : la suppression du rappel à la loi introduite par nos collègues de l’Assemblée nationale. Il a suffi de le supprimer pour en découvrir toute l’utilité ! En lisant hier Le Figaro, j’ai pris connaissance de la mesure que vous souhaitiez nous soumettre, l’avertissement pénal probatoire. Le journaliste ne semblait pas avoir compris qu’il fallait encore que nous la votions… Mais vous avez raison d’avoir eu confiance et d’employer le futur plutôt que le conditionnel, car cette proposition mérite que l’on vous suive.
Je finirai avec le fonctionnement de la justice en mentionnant les cours criminelles départementales que le Gouvernement souhaite généraliser dès à présent. À titre personnel, je suis favorable à ces cours criminelles, qui ont permis de juger des viols rapidement et d’éviter de les correctionnaliser.
Mais pendant que les juges seront en train de siéger dans des cours criminelles que l’on généraliserait, ils ne seront ni aux assises ni dans leur bureau. Comment développer des cours criminelles sans se poser la question des moyens à leur consacrer ? Certes, les moyens ont été augmentés pour l’équipe qui entoure le magistrat, mais pas vraiment pour le nombre de magistrats, et je parle des moyens humains, et surtout des greffiers. Généraliser ces cours sans penser à cette question me paraît prématuré, car vous savez bien qu’il reste encore un gros effort à faire sur le sujet.
Passons à la pénitentiaire : que du bon ! La fin des remises de peine automatiques était souhaitée par nos concitoyens, et j’ai pu me rendre compte qu’elle était également bienvenue pour les magistrats et les personnels pénitentiaires. Tout le monde serait d’accord, semble d’accord, alors allons-y ! Un point de vigilance, toutefois, sur les courtes peines qui pourraient partir de la mesure.
Autre bonne mesure, le contrat d’emploi pénitentiaire. La peine, c’est la prison, pas le travail sans règles claires. Celles-ci sont mieux définies, on sait qui juge en cas de conflit : c’est un véritable progrès.
Enfin, le titre V porte sur le renforcement de la confiance du public dans l’action des professionnels du droit, car la justice, ce ne sont pas que les tribunaux et les juges. Ce sont aussi les notaires, les avocats ou les nouveaux commissaires de justice, regroupant les métiers d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire. Créer des codes de déontologie devrait permettre de rassurer les justiciables en montrant qu’il n’y a pas les intouchables, d’un côté, et les petits à la merci d’une justice partiale, de l’autre. Souvent, on a pu entendre que les notaires protégeaient les notaires ou les huissiers, les huissiers, par exemple. C’est pourquoi la création d’une phase préalable de conciliation pour les réclamations des usagers, ainsi que la possibilité pour ces derniers de saisir directement la juridiction disciplinaire, ce qui est impossible aujourd’hui, sont des signes positifs et des avancées nécessaires.
En définitive, il en faudra probablement plus pour rétablir un véritable lien de confiance entre les Français et leur justice. Pour autant, les avancées que ce texte comporte sont les bienvenues. Elles ont été qui plus est enrichies par nos rapporteurs. Le groupe centriste votera donc ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)