M. François Bonhomme. On a compris…
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, chers collègues, la haine du juif en France, c’est l’histoire longue de deux mille ans de mesures d’éloignement, de législations d’exclusion, d’accusations criminelles, de persécutions, de pogroms et de génocides.
Dans sa monumentale Histoire de l’antisémitisme, Léon Poliakov montre que cette haine du juif trouve son origine dans l’Antiquité puis se renouvelle dans la constitution du corpus théologique et politique du christianisme naissant. Je le cite, « pour l’économie du christianisme, il fallait dorénavant que les juifs fussent un peuple criminellement coupable ». Reconnaissons-le, chers collègues, l’antijudaïsme a participé de la formation d’une certaine identité chrétienne de l’Occident.
Ainsi, en 1096, les croisés massacrent les juifs de Rouen. La deuxième croisade de 1146 est précédée des mêmes pogroms et l’abbé Pierre de Cluny les justifie ainsi : « À quoi bon s’en aller au bout du monde, […] pour combattre les Sarrasins, quand nous laissons demeurer parmi nous d’autres infidèles qui sont mille fois plus coupables envers le Christ que les mahométans ? »
Il existe un antijudaïsme d’État aussi ancien dont l’histoire est marquée par les édits d’expulsion des juifs de Childebert en 533, de Dagobert en 633, de Philippe Auguste en 1182, de Saint Louis en 1254, de Philippe le Bel en 1306 et de Charles VI en 1394.
Il faut ajouter à cette terrible série les mesures prises par Napoléon Bonaparte, au moment du Concordat, pour interdire aux juifs de s’installer en Alsace. Il les justifiait par sa volonté « d’atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple Juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société ».
Ce qui est désigné dans ce projet de résolution par l’expression « antisémitisme contemporain » s’inscrit fondamentalement dans l’histoire trop longue d’un antijudaïsme millénaire dont son exposé des motifs ne nous dit malheureusement rien.
Ainsi, sans nier l’existence de formes actuelles d’antisémitisme prônant la destruction de l’État d’Israël, comment ne pas reconnaître dans les théories complotistes qui expliquent la covid comme le fruit d’une conspiration juive des résurgences des thèses médiévales qui accusaient les juifs de l’anéantissement de la chrétienté par l’épidémie ? C’est notre première réserve sur ce projet.
Notre deuxième objection porte sur le choix de la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui est imprécise et dont l’utilisation politique très partisane a été justement dénoncée par Kenneth Stern, l’un de ses rédacteurs.
Cette définition n’était qu’une définition de travail. Depuis lors, un groupe de plus de deux cents spécialistes l’a reprise pour en lever les ambiguïtés dans un texte publié en 2020 sous le titre de Déclaration de Jérusalem.
Cette dernière est plus pertinente parce qu’elle inscrit les antisémitismes d’hier et d’aujourd’hui dans le même processus idéologique d’assimilation des juifs aux forces du mal. Cette déclaration rappelle avec force que « le combat contre l’antisémitisme ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les formes de discrimination raciale, ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle ».
Enfin, nous regrettons vivement qu’une résolution citant l’Alliance pour la mémoire de l’Holocauste ne mentionne aucunement la nouvelle irruption dans le débat public de thèses négationnistes et de tentatives de réhabilitation de l’État français du maréchal Pétain.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Souvenons-nous de la déclaration, au nom de la France, du président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la grande rafle de juillet 1942 : « La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français, […] la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Je le cite toujours : « Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. […] Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »
Cette déclaration nous honore, nous oblige et nous engage. Elle impose au Sénat d’éclairer davantage nos concitoyens sur les deux mille ans de cet antijudaïsme qui aboutit à l’inhumanité absolue de la Shoah.
Engageons, chers collègues, ensemble, dans l’unité, ce travail de fond à partir de la Déclaration de Jérusalem. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon extinction de voix, mais un sujet aussi important nécessite bien quelques efforts.
Qu’est-ce donc que la haine ? Aucune définition dans aucun dictionnaire du monde ne satisfera tout à fait notre volonté de comprendre. Notre besoin de consolation, face aux effets désespérants de la haine, restera à jamais inassouvi, mais nous savons qu’elle laisse dans son affreux sillage des images imparables qui marquent au fer rouge nos imaginations et nos consciences meurtries.
Ces images de la haine en action habitent nos mémoires au point de nous hanter parfois sans qu’on puisse leur échapper.
Vous me permettrez d’évoquer devant vous, deux de ces images sorties tout droit de l’album souvenir de l’horreur antisémite.
Voici la première : Toulouse, 19 mars 2012, huit heures du matin, devant l’école Ozar Hatorah, un petit garçon terrifié rampe dans la rue près du corps de son père et de son frère. Ils viennent d’être abattus par un assassin en scooter équipé d’une caméra. Car il ne suffit pas de tuer, il faut aussi archiver la tuerie, sans doute pour en jouir davantage. Le petit garçon est achevé à son tour.
Puis le tueur s’en prend à une fillette qu’il poursuit après l’avoir blessée à l’épaule ; il la saisit par les cheveux et la tue à bout portant.
Le père des garçons avait 30 ans ; ses fils 3 ans et 6 ans. La petite fille avait 8 ans. Jonathan, Gabriel et Arié Sandler, ainsi que Myriam Monsonégo : tels étaient leurs noms. Tous coupables d’être juifs aux yeux de leur bourreau.
La seconde image est celle-ci : Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne, le 13 février 2006. Un jeune homme est découvert aux abords de la voie ferrée du RER C. Son crâne est tondu, sa bouche bâillonnée, son corps nu est couvert d’ecchymoses et de traces de brûlures. Il a deux entailles à la gorge. Il est à l’agonie. Il meurt. Il avait 23 ans. Ses bourreaux, au nombre d’une vingtaine, l’ont torturé pendant trois semaines parce qu’il était juif. Ilan Halimi était son nom.
Des journées entières, des mois, des années, ne suffiraient pas pour feuilleter, crime après crime, l’interminable album souvenir de la haine antisémite.
Combien de tortures ? Combien d’actes de barbarie ? Combien de profanations, d’humiliations, d’exils ? Combien de morts ont-elles été perpétrées par cette haine au cours des millénaires ? Y a-t-il une époque, une nation, qui en furent exemptes ? Je ne saurais le dire…
Aujourd’hui, nous voyons renaître, dans notre propre pays, la bête immonde de l’antisémitisme.
Certes, elle ne se manifeste pas toujours sous les aspects atroces que je viens d’évoquer. Il lui arrive même de se camoufler sous des masques qui savent feindre l’innocence. Elle n’en est pas moins redoutable et mortelle.
La violence haineuse ne brandit pas toujours des armes létales, mais elle peut aussi tuer par la simple parole. Car la vie et la mort, mes chers collègues, sont au pouvoir des mots.
Que dire alors de la peur ? Devant la recrudescence des actes antisémites, face à la multiplication des comportements haineux, des propos discriminants et de leur banalisation, le poison de la peur s’instille dans les consciences au point de pousser certaines personnes à quitter la France.
Non, mes chers collègues, ce ne sont pas les juifs inquiets qui doivent fuir la France. C’est la France qui doit tout mettre en œuvre pour bannir la peur et dénoncer avec clarté la haine antisémite afin de la combattre absolument.
« Je suis faite pour partager l’amour et non pour partager la haine ! » Cette proclamation d’Antigone, ô combien je voudrais la faire mienne et qu’elle devienne une déclaration de foi en l’humanité !
Devrait-on pour cela inscrire l’empathie au programme de l’éducation nationale ? J’en doute. L’utopie n’est sans doute pas la meilleure réponse à opposer à la violence d’une société, mais que l’on me permette un instant de rêver à une France où le mot antisémite n’aurait plus aucun sens pour personne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « heureux comme un juif en France » : pendant très longtemps, c’est par cette locution que les communautés juives d’Europe signifiaient leur admiration pour la France.
Le philosophe juif lituanien Emmanuel Levinas citait son grand-père qui répétait en se référant à l’affaire Dreyfus : « Un pays qui se déchire, qui se divise pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller. »
L’engagement acharné d’Émile Zola, d’Anatole France, de Georges Clemenceau, de Jean Jaurès et de quelques autres en faveur du capitaine Dreyfus avait fini par traverser les frontières et faire le tour de l’Europe. Ces hommes sauvèrent l’honneur de la France. Ils furent l’honneur de la France.
Hélas, cinquante ans après l’affaire Dreyfus, la communauté juive de France allait connaître l’oppression, les persécutions, la déportation et l’extermination.
N’en déplaise à celles et à ceux qui essaient de relativiser le rôle du régime de Vichy dans la Shoah, et n’en déplaise à un candidat putatif à la prochaine élection présidentielle, notre référence en la matière reste et restera le discours du 16 juillet 1995 du président Jacques Chirac, qui nous habite les uns et les autres.
Quelques décennies après ce drame absolu que fut la Shoah, la France et la communauté juive de France furent la cible des attentats terroristes islamistes, meurtriers, de l’école Ozar Hatorah et de l’Hyper Cacher.
La France et la communauté juive de France eurent également à déplorer les crimes antisémites perpétrés contre Ilan Halimi, Sarah Halimi, Mireille Knoll.
L’antisémitisme, aujourd’hui, ce sont autant des profanations de tombes juives que des souillures sur les synagogues. Ce sont aussi bien les violences physiques que les injures gratuites. Ce sont aussi bien les messages de haine sur le Net que la réécriture révisionniste et négationniste en 2021 de ce drame absolu que fut la Shoah.
C’est contre ces préjugés, ces stéréotypes, ces amalgames qu’il nous faut nous élever. Toutes les formes d’antisémitisme sont à combattre, qu’elles viennent de l’extrême droite ou des nébuleuses islamistes. Nous ne faisons pas de distinction, car ces idéologies mortifères se rejoignent dans la haine des juifs.
Mes chers collègues, la lutte contre l’antisémitisme doit mobiliser les forces républicaines au Parlement. Nous le faisons une nouvelle fois à l’occasion du vote de cette proposition de résolution.
La lutte contre l’antisémitisme doit aussi mobiliser tous les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, de la police, de la gendarmerie ou de la justice.
Cette mobilisation générale, nous la devons à nos compatriotes de confession juive. Fatigués d’être pris pour cibles, ils sont de plus en plus nombreux à se demander si leurs enfants ont encore leur place dans l’école de République. Ils sont également de plus en plus nombreux à se demander s’ils ont encore un avenir sur le sol de France.
Alors, depuis cette tribune, je voudrais dire à ces compatriotes de confession et de culture juives, qui nous écoutent et nous regardent peut-être : « Vous n’êtes pas seuls, et vous ne le serez plus jamais depuis que la France a pris conscience de sa dette morale à votre égard ! Face à l’adversité, au rejet et à la haine, vous ne serez plus jamais seuls ! »
C’est le serment que nous renouvellerons au moment de voter cette proposition de résolution. Nous, sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le ferons en conscience, en responsabilité et en fidélité à notre engagement ancien et renouvelé contre l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie, l’homophobie et toutes les discriminations qui sont autant de menaces pour notre cohésion nationale et notre pacte républicain.
Nous voterons cette proposition de résolution, car nous sommes les héritiers d’une histoire que nous avons eu le courage de regarder en face. Cette histoire faite d’ombres et de lumières, c’est la nôtre.
Inspirés par tous ces résistants, célèbres et anonymes, par tous les Justes parmi les nations, dont nous gardons le souvenir ardent, inspirés par la mémoire de ces héros tombés face au péril islamiste, nous vous disons, chers compatriotes de confession et de culture juives, vous n’êtes pas seuls !
Nous vous le disons, à vous ainsi qu’à toutes les Françaises et à tous les Français, car nous sommes les héritiers d’une histoire et les passeurs d’une mémoire.
Nous vous le disons, car nous sommes dépositaires d’une espérance et d’une promesse que la République fait à chacun de ses enfants : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses. »
Être conscients de cet héritage moral, être volontaires pour réaliser cette espérance, c’est se hisser à la hauteur de ce que le général de Gaulle appelait « une certaine idée de la France ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDSE, ainsi que sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme que le Gouvernement a lancé en 2018, Édouard Philippe, alors Premier ministre, a écrit : « Le racisme et l’antisémitisme ont tué en France ces dernières années. Ils s’expriment dans la rue, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux, dans les forums de discussion. Pour des millions de Français, ils se traduisent par des injures, des intimidations, des coups, des discriminations. Des élèves doivent quitter leur école en raison de leur religion. »
Vous me direz que les services de l’État mettent en place des politiques en ce sens. Mais quels sont les résultats de ce qui a été entrepris depuis que l’on a fait ce constat terrible ? Qu’avons-nous fait pour ne plus connaître des drames comme ceux, terribles, qui ont sidéré la France ? Ou pour juguler l’antisémitisme « ordinaire », celui qui se libère dans l’espace public, sur internet et les réseaux sociaux et qui fait tellement de dégâts au quotidien ?
En Alsace, région où je suis née, où j’ai grandi, et dont je suis aujourd’hui élue, nous avons un passé historique unique, dense et riche, un passé commun avec la communauté juive, dont la présence est millénaire.
Les juifs d’Alsace ont contribué à forger la culture alsacienne. Nous en retrouvons des traces dans notre dialecte empreint de yiddish, dans les chants, dans la littérature, dans la cuisine et le patrimoine bâti.
Cette histoire commune n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Loin de là. Tour à tour, on a connu un accueil à bras ouverts et de longues périodes de cohabitation paisible, puis d’autres plus mouvementées.
Les juifs furent chassés au XIVe siècle, au moment de la Grande Peste noire, accusés d’empoisonner les puits ; spoliés et humiliés en 1848 dans mon village du Sundgau ; éradiqués d’Alsace pendant la Seconde Guerre mondiale : de tout temps, et particulièrement lors des périodes de crise, nous avons connu des flambées antijuives, comme partout en France. Mais nous avons toujours eu à cœur de maintenir le « savoir vivre ensemble » spécifique à notre territoire de concordat.
Car en Alsace-Moselle, les relations avec les cultes ne sont pas régies par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, mais par le concordat de 1801.
Notre concordat a permis de développer une culture du dialogue, un savoir-vivre ensemble fondé sur la compréhension, le respect et l’amitié entre les différentes religions et les autorités « civiles ». C’est ainsi que nous luttons contre les malentendus et les hostilités séculaires.
À la région Grand Est, tout comme à la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), les élus sont conscients de la nécessité d’entretenir un dialogue apaisé entre les cultes et les affaires religieuses ne sont pas un tabou. Dans chacune des collectivités, des conseillers et des services sont chargés du dialogue interreligieux.
Pour autant, l’Alsace n’échappe pas à la poussée antisémite. C’est pourquoi la CEA a soutenu la mise en place d’un dispositif appelé les « veilleurs de mémoire » pour lutter contre les profanations de tombes. Les autres cultes présents sur notre territoire participent à ce dispositif et le font connaître. Déjà 80 bénévoles, de toutes confessions, se sont engagés dans le réseau qui s’est constitué en 2019 avec une douzaine de veilleurs au départ. L’objectif est de leur permettre d’accueillir des collégiens pour témoigner de leur engagement citoyen.
Car la lutte contre ces relents antisémites passe nécessairement par la prévention, par l’éducation et par la culture. À ce titre, l’apprentissage de l’histoire est essentiel, et les professeurs ne doivent plus craindre d’aborder certaines périodes en classe, à commencer par la Shoah, dont certains n’osent plus prononcer le nom.
La recrudescence des actes antisémites est l’affaire de tous. Et en tant que politiques, notre responsabilité est grande.
Notre défi commun est de lutter contre l’indifférence et la banalisation de ces actes, de nous doter d’outils efficaces qui renforceront et protégeront notre nation, ses valeurs morales et politiques.
À ce titre, je salue le travail engagé par Bruno Retailleau et Hervé Marseille pour mieux définir ce qu’est l’antisémitisme, et je les en remercie. C’est un premier pas qui, je l’espère, sera suivi d’autres prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en 2004, le rapport de Jean-Pierre Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires nous apprenait que le racisme antijuif avait très nettement supplanté, à l’école, le racisme antimaghrébin. Il mettait en évidence une stupéfiante réalité : les enfants juifs français, et ils sont les seuls dans ce cas, ne peuvent pas être scolarisés dans n’importe quel établissement.
Dès lors, si l’antisémitisme prospère dans nos écoles, comment ne pas soupçonner qu’il s’épanouisse encore bien au-delà de leurs murs et qu’il n’ait jamais cessé de diffuser son venin dans notre pays ? À cet égard, les centaines de faits à caractère antisémite recensés chaque année doivent nous rappeler que nos compatriotes de confession juive demeurent ô combien éprouvés !
Et pour cause. Lorsqu’une vitrine est souillée de l’inscription Juden, lorsque le visage de Simone Veil est scarifié d’une croix gammée, lorsque Alain Finkielkraut est lynché verbalement, c’est le fantôme le plus ignoble et le plus diabolique de l’Histoire qui ressurgit.
Lorsqu’on poignarde Mireille Knoll, lorsque Mohammed Merah assassine de jeunes enfants de l’école Ozar Hatorah, lorsque l’on profane des tombes juives, parce que juives, c’est la plus insoutenable des résurgences du passé de l’Europe qui nous remplit d’effroi.
Car ce n’est pas de la Nuit de cristal que je vous fais le récit. Je vous parle de Paris en 2019, de Sarre-Union en 2015, de Toulouse en 2012. C’est notre France, notre siècle. Ce fléau qui habite notre civilisation ne s’est pas malheureusement pas éteint à la libération des camps.
Les années noires sont certes derrière nous, mais la bête immonde est là, tapie dans l’ombre, mâchoire acérée suintant de haine, prête à bondir et le ventre encore fécond. Elle a simplement pris d’autres visages. Celui de la folie islamiste, où la détestation des juifs s’inscrit au cœur d’une dialectique anti-occidentale. Celui aussi d’un antisionisme absolu, qui n’est pas la seule critique, légitime, de la politique d’Israël, mais qui permet de s’adonner à l’antisémitisme le plus décomplexé sans encourir l’opprobre de ressusciter tout un passé d’oppression et de génocide.
L’oubli, plus latent, ne nous menace hélas pas moins. Car seul le souvenir est au service de la sagesse, le souvenir comme remède universel à l’égarement de l’homme sur les chemins de la barbarie.
L’école est au-devant de cette bataille culturelle. Elle est un haut lieu de transmission des valeurs de la République, sans lesquelles les tragédies d’hier reviendront fatalement sur nos rivages, au gré des vagues de la haine ordinaire.
Elle doit, avec ses professeurs, porter inlassablement le souvenir des crimes antisémites. Le devoir de mémoire, de pédagogie et de sagesse doit nous guider, nous éclairer et renvoyer ces démons là où ils doivent rester : dans les marécages de l’indignité absolue.
Souvenons-nous, mes chers collègues, de l’affaire Dreyfus, que certains d’entre vous ont évoquée. Elle résonne encore ; l’écho de ses iniquités et de ses calomnies ne s’est jamais tari.
Souvenons-nous du « J’accuse… ! », réquisitoire vibrant de Zola contre le sacrifice d’un homme sous le prétexte menteur de la raison d’État. Souvenons-nous de ce qu’il qualifiait de crime : le crime « d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine », « d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance ».
Ces mots sont d’hier, et pourtant ils pourraient être d’aujourd’hui. Ils ne doivent avoir d’autre fin que de nous éveiller à la poursuite de la lutte contre l’antisémitisme qui, comme tous les racismes, n’a pas sa place dans une République dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
« Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux », a écrit Victor Hugo. Ne rendons surtout jamais illisibles les pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité, veillons à ce que personne ne puisse jamais les récrire, et votons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’écrivain israélien Amos Oz raconte que son père, lorsqu’il était enfant dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, avait découvert un matin, sur le mur en face de sa maison, l’inscription suivante : « Juifs, fuyez au Proche-Orient ! » C’est ce qu’il fit, ajoute Amos Oz. Il quitta l’Europe contaminée par l’antisémitisme et s’installa à Jérusalem.
Bien des décennies plus tard, vers la fin du XXe siècle, il revint visiter sa ville natale. Sur le même mur était maintenant écrit un autre slogan : « Juifs, hors du Proche-Orient ! »
Que l’on appelle à expulser les juifs de nos nations européennes ou du Proche-Orient, que l’on dénonce rageusement tout et son contraire – un supposé cosmopolitisme ou, au contraire, un excès d’enracinement dans une terre –, c’est la même haine ontologique, la même haine antisémite.
Nous devons combattre de toutes nos forces les diverses formes de cet antisémitisme. C’est pour cela que nous sommes réunis au sein de la Haute Assemblée.
Comme vous, j’aimerais ne pas avoir à parler d’antisémitisme. Mais la réalité est là, récurrente.
La réalité, c’est que la haine antisémite connaît une poussée préoccupante dans notre pays depuis deux décennies. Que les actes antisémites vécus au quotidien par nos concitoyens – menaces, injures, dégradations, inscriptions, agressions physiques… – ont augmenté. Qu’internet, où l’anonymat autorise toutes les outrances, fournit un exutoire et une caisse de résonance à l’antisémitisme. Que des citoyens français ont été tués sur notre territoire parce qu’ils étaient juifs : Ilan Halimi, les enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse et leur professeur, les otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, Sarah Halimi, Mireille Knoll. Tous ont été cités à cette tribune et je veux, à mon tour, leur rendre hommage.
La réalité, c’est que plus d’un tiers de nos concitoyens de confession juive se sentent aujourd’hui menacés en raison de leur appartenance religieuse, contre 8 % pour l’ensemble des Français. Que près de la moitié d’entre eux disent éviter certaines rues ou certains quartiers, pour des raisons de sécurité. Et que beaucoup de familles ont pris la décision de déménager ou d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées, pour les mêmes raisons.
À l’été 2021, on a enregistré 405 faits antisémites en quelques mois. Cela représente près de 40 % de l’ensemble des actes racistes dans notre pays, alors que les Français de confession juive représentent seulement 1 % de la population.
C’est la profanation de la stèle de Perros-Guirec en hommage à Simone Veil ! Ce sont les débordements nombreux et inadmissibles de certaines manifestations ! Ce sont ces listes de personnes supposément ou réellement juives exhibées sur des pancartes, avec ce mot glaçant : « Qui ? » !
Avec la pandémie, un antisémitisme latent s’est aussi révélé au grand jour. La crise sanitaire a réveillé de grandes peurs et ranimé le désir de trouver des boucs émissaires. Elle a fait ressurgir le fantasme, sinistre, d’un supposé complot juif international qui dirigerait le monde.
Nous ne pouvons pas accepter le retour de cet antisémitisme décomplexé dans l’espace public, cette manière de désigner les juifs à la vindicte et de leur imputer des crimes imaginaires. C’est ce type de représentations qui prépare et, parfois, tente de justifier le passage à l’acte. L’antisémitisme n’a pas sa place dans ce pays. Nous le combattons avec la plus extrême fermeté.
Nous le devons à nos concitoyens de confession juive dont l’histoire, depuis l’Antiquité, est profondément enracinée dans notre territoire et qui ont contribué à façonner le visage et les valeurs de notre pays. Ils ont le droit, comme chaque citoyen, de vivre en paix chez eux.
Nous le devons aussi à la Nation tout entière. Comme le rappelait avec force, en décembre 2019, le Président de la République, l’antisémitisme est toujours le signe avant-coureur d’autres formes de haine, quand il n’est pas celui d’une violence de masse. Il nous concerne tous, il concerne la République tout entière.
Nous le savons, et vous l’avez dit, il n’est pas possible de mener un combat contre un adversaire que l’on ne connaît pas. L’antisémitisme a beaucoup évolué. Il ressemble en partie seulement à celui que nos manuels d’histoire nous ont appris à identifier.
Il continue d’avoir les traits de ce vieil antisémitisme de l’extrême droite européenne, qui accuse les « juifs » d’être des traîtres à la Nation. Mais il est également présent à l’autre extrémité de l’arc politique où, trop souvent, on associe facilement les juifs aux dominants et où l’on en veut à Israël de tout simplement exister. Il prend aussi le visage de l’islamisme radical et de tous ses complices, nous le savons bien.
Toutes ces formes d’antisémitisme sont détestables. Nous devons leur livrer bataille sans répit.
Parce que l’antisémitisme est ainsi multiforme et complexe, nous avons besoin, pour mieux le combattre, de mieux le définir. C’est la raison pour laquelle la France a décidé, comme le Président de la République l’a annoncé dès 2019, de mettre en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
Cette définition de travail permet d’identifier la variété des motifs qui composent, hélas, l’antisémitisme contemporain : fantasme du complot juif international, statut de bouc émissaire, pouvoir supposé de l’argent, négation de la Shoah, reproche conspirationniste et négationniste fait aux juifs d’avoir inventé ou exagéré ce qu’a été l’Holocauste, mais aussi remise en question du simple droit de l’État d’Israël à exister.
Cette définition est un instrument utile pour toutes celles et tous ceux qui entendent lutter contre l’antisémitisme, contre les antisémitismes : forces de sécurité, enquêteurs, juges, procureurs, formateurs, ONG, institutions mémorielles…
En 2019, l’Assemblée nationale a voté une résolution présentée par le groupe de La République En Marche, et soutenant cette adoption…