M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Poncet Monge, je vous remercie de votre question. La directive de 2001 instaure un dispositif pour faire face à un afflux massif, dans l’Union européenne, de ressortissants étrangers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, notamment pour les raisons que vous avez évoquées : guerre, violences, violation des droits humains. Elle met en place une protection immédiate et temporaire pour ces personnes déplacées. Les bénéficiaires de la protection temporaire ont la possibilité de déposer une demande d’asile, et le pays de l’Union européenne qui a accueilli la personne est responsable de l’examen de la demande dans le temps.
S’agissant particulièrement de la situation afghane, à ce stade, l’activation de cette protection temporaire immédiate n’est pas apparue nécessaire, parce que la France a évacué et accueilli plus de 2 600 personnes venant d’Afghanistan à la suite de la prise de pouvoir par les talibans.
Grâce à une mobilisation exceptionnelle des services de l’État, des ONG, des associations, dès la fin du mois d’août, nous sommes parvenus ensemble à offrir en urgence à ces personnes un accueil digne. Cette mobilisation se poursuit aujourd’hui pour permettre un enregistrement rapide de leur demande d’asile dès la fin de la quarantaine qu’ils doivent subir à leur arrivée pour raisons sanitaires.
Je veux saluer le travail de la délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair), qui assure cette coordination. Nous avons fixé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) un objectif, qui est d’instruire en deux mois les demandes d’asile des personnes venant d’Afghanistan, afin que celles-ci puissent entrer le plus rapidement possible dans les dispositifs d’intégration de droit commun.
À ce stade, donc, le régime de la protection temporaire n’a pas besoin d’être activé s’agissant des personnes venant d’Afghanistan. Nous réévaluerons sa nécessité en fonction de l’évolution de la situation sur place et des flux d’arrivées de personnes qu’elle engendre.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais souligner que le pacte parle non seulement d’immigration, mais aussi d’asile. Ce qu’il nous faut également, c’est une politique d’accueil humaniste, respectant notre signature internationale en ce qui concerne le droit d’asile. (Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Jean-Yves Leconte applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, après les déboires des négociations précédentes, nous revoilà à discuter de la nouvelle mouture des ambitions de la Commission pour la politique d’asile et d’immigration commune. Le rapport d’information de nos collègues de la commission des affaires européennes, publié le 29 septembre, ne nous laisse guère d’espoir sur l’issue des négociations engagées.
La France prendra la présidence de l’Union européenne le 1er janvier avec, il faut le dire, une crédibilité internationale pour le moins entamée. Les quelques points de convergence existant aujourd’hui sont bien minces, car l’égoïsme des uns crée la défiance des autres. Les mêmes logiques portées vers le rejet sont à l’œuvre, sans avenir, sans vision : filtrage, éviction, retour, expulsion…
Nous poursuivons tristement notre sous-traitance honteuse en confiant aux pays tiers, dont la Turquie, la gestion des personnes migrantes. Comment les États ont-ils fait front pour accueillir les Afghans ? En se livrant à des comptes d’apothicaires, en mobilisant des garde-frontières et en déléguant notre dignité aux pays voisins.
Allons-nous laisser adopter des dispositions éparses et parmi les plus répressives d’un pacte qui ne répond en rien aux exigences humanitaires actuelles ? Pis, il propose un nouveau règlement relatif aux situations de crise et de force majeure, et prévoit des dérogations aux règles qui s’appliquent en matière d’asile, en suspendant, par exemple, l’enregistrement des demandes d’asile pour une durée d’un mois maximum.
Cette mesure entérine des pratiques contraires au droit international et européen, auxquelles a recouru notamment la Grèce, début mars 2020, pour refouler les migrants venus de Turquie. Alors que ce nouveau pacte veut tirer les leçons du passé, il choisit, à l’approche de catastrophes humanitaires à venir, un mécanisme pour que l’Union se dérobe à ses responsabilités. Les crises que nous allons vivre ne peuvent s’accommoder de cette démission. Les réfugiés climatiques seront 250 millions en 2050, d’après l’ONU, sans parler des crises politiques qui rebattront régulièrement les cartes des équilibres régionaux et précipiteront dans l’exil nombre de familles.
Madame la ministre, quelle sera la position de la France sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Pour répondre à sa première partie, je rappelle que le pacte ne vise pas à déroger au droit, bien au contraire, puisqu’il vient justement renforcer les règles communes au niveau européen. L’objectif est de nous donner des règles communes et cohérentes, dans lesquelles chaque pays puisse pleinement se reconnaître. C’est la raison pour laquelle les discussions, qui ont commencé depuis si longtemps, se poursuivent entre les différents pays, quels que soient les objectifs propres de chacun. Il est vrai, toutefois, qu’une partie de nos difficultés actuelles sont liées à de trop fortes divergences entre les États membres. C’est pourquoi nous sommes en train de travailler, comme d’autres États membres, pour trouver un juste équilibre entre les responsabilités et la solidarité, entre les droits et les obligations. Il ne s’agit absolument pas de se dérober à ces exigences.
En ce qui concerne l’Afghanistan, un travail commun a été mené par un certain nombre de pays européens. Ici, la Diair, dans le cadre du travail d’intégration qu’elle mène, a demandé aux personnes que nous avons pu faire sortir de Kaboul et d’Afghanistan pour les faire venir sur notre sol, si elles souhaitaient rester en France ou se diriger vers d’autres pays européens.
Il y a toujours un travail partenarial entre la France et l’Allemagne pour les familles qui souhaitent rejoindre ce pays, qui est le plus souvent demandé, mais une majorité de réfugiés afghans souhaitent rester en France et s’engager dans une démarche de demande d’asile. C’est souvent parce qu’ils ont des liens avec la France, soit qu’ils aient travaillé pour l’armée française ou pour les services de la France en Afghanistan, soit qu’ils soient francophiles, qu’ils parlent français, ou qu’ils aient eux-mêmes des liens amicaux ou familiaux avec la France. Telles peuvent être les raisons qui leur donnent envie de rester ici et de se lancer dans une démarche d’intégration sur le sol français.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, les chances d’adoption du pacte européen pour l’asile et les migrations pendant le premier semestre 2022 sont quasi nulles. Ne serait-il pas plus raisonnable, plus efficace, de rechercher un accord dans le cadre d’une coopération dite renforcée ?
Le Danemark a adopté une législation très différente en matière de droit d’asile, en procédant à ce que les Danois appellent une externalisation. Quelle est l’opinion du Gouvernement français à cet égard ? Dans le cadre de la présidence française de l’UE, peut-on envisager une procédure d’infraction à l’égard de ce pays ou considérez-vous que les règles de la souveraineté danoise doivent s’appliquer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Philippe Bonnecarrère, pour répondre à votre question, il est nécessaire de la recontextualiser. Le 3 juin dernier, en effet, le Parlement danois a adopté un projet de loi qui vise à externaliser sa politique d’asile dans des États tiers, avec quelques exceptions dans ce dispositif, notamment pour les personnes gravement malades, les demandeurs dont la famille réside légalement au Danemark et les mineurs non accompagnés dont les parents seraient établis en Europe.
À ce stade, très sincèrement, il reste difficile de procéder à une analyse juridique définitive de la loi danoise, puisqu’elle se limite à prévoir la possibilité de transférer les demandeurs d’asile dans un État tiers, et que la loi danoise ne précise pas les modalités de cette mise en œuvre. Au regard du droit européen, le Danemark est membre de l’espace Schengen, mais il ne participe pas, en raison de son option de retrait de toutes les mesures de justice et d’affaires intérieures, au régime d’asile européen commun. Il applique uniquement les règlements dits Dublin III et Eurodac, et conserve donc, en droit, a priori, la possibilité d’établir son propre accord de réadmission avec des pays tiers.
Toutefois, je précise que la loi danoise ne pourrait respecter les engagements européens et internationaux du Danemark qu’à condition que les accords conclus avec les pays tiers concernés comportent des garanties solides, notamment sur le plan du respect des droits fondamentaux des personnes.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Merci, madame la ministre, de ces précisions. Pour tenter d’apporter des solutions sur ces sujets, autorisez-moi à souligner l’intérêt de la coopération dite renforcée, dans la mesure où un accord unanime paraît difficilement envisageable. Je souligne aussi toute l’importance des accords bilatéraux pour mettre en place des équivalences, qui n’existent toujours pas, entre les décisions en matière de droit d’asile de nos juridictions et celles d’autres États, notamment l’Allemagne, ce qui entraîne des mécanismes dits de rebond. Cela fait partie des solutions qui permettraient d’améliorer la situation, sachant que, très probablement, l’atténuation des effets de la pandémie et le retour des déplacements conduiront notre pays à connaître une situation tendue sur ces sujets dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la ministre, depuis 2015, la question migratoire est un défi récurrent pour l’Union européenne, un défi qui appelle un approfondissement de sa politique commune en la matière, notamment au regard des crises géopolitiques qui ouvrent régulièrement de nouvelles voies de migration, ou encore de l’instrumentalisation sans complexe des migrants par certains pays, comme récemment la Biélorussie. Aussi mon groupe est-il ouvert aux propositions du pacte européen pour l’asile et les migrations, tout en étant inquiet des positions de certains États membres, qui risquent de retarder l’adoption des outils dont l’Europe a pourtant besoin très rapidement.
En attendant, je souhaiterais évoquer moi aussi les moyens d’un instrument existant, Frontex, dont le travail est à la fois reconnu et critiqué. Je pense notamment aux observations de la Cour des comptes, ainsi qu’aux accusations de violation des droits de l’homme visant l’agence. Son règlement fondateur a été modifié à quatre reprises, en 2007, 2011, 2016 et 2019. Il pourrait l’être une nouvelle fois par le futur pacte. Au fil de la pression migratoire, les missions de Frontex ont été ainsi enrichies. Les agents sont aujourd’hui compétents pour enregistrer et identifier les migrants, ainsi que pour coordonner les opérations de retour.
Dans ces conditions, madame la ministre, les moyens de Frontex sont-ils suffisants en capacité opérationnelle ? Les personnels sont-ils formés pour leurs nouvelles missions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Cabanel, comme je l’ai fait précédemment, je veux rappeler que le renforcement de Frontex est en cours, notamment avec l’adoption du dernier règlement, en date du 13 novembre 2019, qui permet à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif, et qui s’accompagne d’une véritable augmentation de ses moyens humains. Nous en avions d’ailleurs débattu ici même, me semble-t-il, voilà quelques semaines ou quelques mois.
Le point central est la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européen, avec ses 10 000 effectifs répartis en quatre catégories à l’horizon 2027. Bien sûr, cette montée en puissance doit s’accompagner de la formation adéquate des personnels. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur, la France veille et va veiller à ce que ce soit bien le cas, et des évaluations seront conduites année après année.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Madame la ministre, après la crise migratoire de 2015, qui a vu plusieurs millions de réfugiés frapper aux portes de l’Europe, leur nombre a sensiblement diminué, pour revenir à des niveaux comparables à ceux d’avant la crise. C’est une réalité bien différente de celle qui ressort des propos outranciers à visée électorale tenus par certains. Nous sommes bien loin d’une supposée immigration massive. Il n’en reste pas moins que, pour les principaux intéressés, ceux qui fuient la guerre et les persécutions, obtenir l’asile est un véritable chemin de croix.
Face à la crise migratoire, les États membres n’ont pas su, ou n’ont pas voulu faire preuve de solidarité. Les dispositions législatives et réglementaires européennes ont montré leurs limites et la Commission, pour dépasser les difficultés, a lancé l’élaboration d’un nouveau pacte. Aujourd’hui, la situation est bloquée, et ce sont des logiques nationales qui s’affrontent et se substituent à l’approche européenne commune.
Trois groupes se distinguent : les pays du Groupe de Visegrád, qui s’opposent aux règles de solidarité ; les pays « de première entrée », qui considèrent à juste titre que le nouveau pacte n’allégerait pas la pression qu’ils subissent ; et un groupe intermédiaire de pays, dont la France, qui cherchent un compromis.
Madame la ministre, le pacte européen pour l’asile et les migrations est dans l’impasse. Par ailleurs, il contient un certain nombre de sujets qui ne peuvent pas être acceptés, comme le screening, ou filtrage, qui créerait des zones de transit où les personnes migrantes n’auraient accès à aucun droit de l’Union européenne tant qu’elles ne seraient pas admises à déposer une demande d’asile ou contraintes par une obligation de reconduite à la frontière. Ce filtrage devrait se faire en cinq jours, mais on voit bien qu’il se traduira par de nouveaux centres de rétention, d’où les réfugiés ne pourront sortir et dans lesquels ils ne pourront pas recevoir.
Ce pacte fait l’impasse sur la solidarité, aucune obligation ne reposant sur les États membres pour relocaliser les personnes d’un pays vers un autre, mais instaure des parrainages au retour, exonérant les États de leurs obligations.
Madame la ministre, considérez-vous que le pacte européen pour l’asile et les migrations pourrait être adopté, abandonné ou scindé par thèmes pour pouvoir faire avancer les sujets plus consensuels, comme la création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile ? Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable de changer d’orientation et de privilégier une coopération renforcée avec les États membres volontaires et solidaires, en utilisant par ailleurs le bâton de la conditionnalité des aides pour ceux qui ne jouent pas collectif ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Marie, les discussions se poursuivent sous la présidence slovène pour tâcher de faire avancer le pacte européen pour l’asile et les migrations. Nous sommes en train de bâtir un autre programme pour la présidence française de l’Union européenne, et ce en concertation étroite avec nos partenaires, à commencer par la présidence slovène, la Commission européenne et le secrétariat général du Conseil. Nous aurons donc à cœur de faire avancer les débats sur le pacte.
La présidence slovène tente d’aboutir à un accord sur le règlement Eurodac, qui devrait nous permettre de moderniser ce système d’information destiné, comme chacun le sait, à l’enregistrement des demandeurs d’asile, et de progresser sur le règlement introduisant une procédure de filtrage, qui instaure des procédures plus rigoureuses à la frontière extérieure. Pour y parvenir, la France s’est déjà plusieurs fois exprimée sur la nécessité de sortir de la logique de négociation dite en paquet, qui consiste à vouloir avancer simultanément sur tous les sujets, alors que cela aboutit trop souvent à n’avancer sur aucun d’entre eux. Il nous faut donc progresser, thème par thème, sur les enjeux de ces textes essentiels.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, l’architecture du pacte européen pour l’asile et les migrations repose sur le principe d’un meilleur contrôle des entrants sur le territoire de l’Union européenne et d’un renforcement de la politique des retours, si toutefois on veut se donner les moyens de la mettre à exécution. Vous testez d’ailleurs, à quelques mois de l’élection présidentielle, la pression sur les pays d’origine par la politique des visas.
Cependant, qu’en est-il pour ceux qui sont sur le territoire européen ou qui réussiront à y entrer pour tenter de rejoindre le Royaume-Uni ? Je pense à la situation dans la zone Manche-mer du Nord, dont le département du Calvados fait partie : une hausse significative des traversées y est constatée depuis plusieurs semaines. Certaines communes, de la côte normande aux rivages du Pas-de-Calais, sont en première ligne et récoltent les désagréments d’un contexte qui dure de fait depuis plusieurs années.
Depuis le Brexit, les autorités britanniques ont durci le ton en matière migratoire. Elles viennent en outre d’approuver une nouvelle stratégie de refoulement des embarcations de migrants vers la France. Dès lors, madame la ministre, face à un Royaume-Uni qui conserve son pouvoir d’attraction, mais qui entend se prémunir à sa manière contre les flux migratoires, comment se régleront ces situations ?
Par ailleurs, comment envisagez-vous de mettre à profit la présidence française de l’Union européenne pour avancer sur les questions migratoires, dont on voit l’importance qu’elles revêtent pour les États membres et les menaces qu’elles véhiculent ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Allizard, au premier semestre 2022, vous le savez, la France assurera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Sur les questions migratoires, une douzaine de textes sont en négociation. Ils visent à réformer l’ensemble de nos politiques migratoires, que j’ai décrites en détail dans mon intervention liminaire.
Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison, les négociations restent difficiles, mais les événements en Afghanistan, notamment, confortent le Gouvernement dans la conviction qu’il faut se doter d’instruments plus robustes et plus cohérents face aux flux migratoires irréguliers. C’est d’ailleurs bien pour cela que nous soutenons la proposition de ce pacte européen pour l’asile et les migrations. Dans ce cadre, le Conseil est parvenu à un accord avec le Parlement européen sur la proposition de règlement qui renforcera les compétences de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile.
La présidence slovène tente actuellement d’obtenir un accord au Conseil sur le règlement Eurodac, qui permettra de moderniser ce système d’information destiné à l’enregistrement des demandeurs d’asile et à la lutte contre l’immigration irrégulière. Nous aurons alors à engager des négociations avec le Parlement européen, mais aussi à faire progresser le règlement dit filtrage, qui instaure des procédures plus rigoureuses à la frontière extérieure.
Enfin, en dehors du pacte, il nous reviendra de diriger la négociation sur le règlement Schengen à venir, appelé à réformer le régime des contrôles aux frontières extérieures.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, en dépit du règlement dit Dublin III, une partie significative des demandes d’asile ne sont pas traitées par les États d’entrée, à la fois par manque de volonté politique et par manque de solidarité européenne. Cela a notamment pour effet un accroissement des mouvements secondaires de migrants entre les États au sein de l’Union européenne.
En France, dans mon département des Hautes-Alpes, par exemple, ce problème est particulièrement aigu. En 2020, plus de 11 000 passages illégaux ont été répertoriés entre l’Italie et la vallée de Briançon. Ces passages, qui s’effectuent principalement par le col de l’Échelle, devenu tristement célèbre, ont pour destination finale Londres, via Calais. La pression migratoire locale est accentuée par l’inadéquation des moyens alloués à la police aux frontières, ce qui ne permet pas toujours d’assurer un accueil digne, à la hauteur de nos idéaux humanistes.
Madame la ministre, vous l’avez compris, la dérégulation du système migratoire ne peut plus durer. Les facteurs de difficulté résident notamment dans le traitement des demandes et dans l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le pacte européen pour l’asile et les migrations esquisse quelques avancées qu’il convient de concrétiser.
Mes questions sont donc les suivantes. Alors que les obligations de quitter le territoire français sont souvent difficiles à exécuter, quel sera l’apport du coordinateur de l’Union européenne chargé des retours ?
Par ailleurs, en 2021, il faut savoir que le conseil départemental des Hautes-Alpes a accueilli 40 % des 250 mineurs isolés ayant transité par le département. Alors que l’on s’attend à l’arrivée d’un flux migratoire estimé à 200 000 Afghans vers l’Union européenne, que prévoit le pacte pour limiter les mouvements secondaires, à l’origine de la majorité des passages illégaux de frontières en France, notamment dans mon département des Hautes-Alpes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Arnaud, la stratégie de l’Union européenne en matière de retour volontaire et de réintégration est un objectif clef du pacte européen pour l’asile et les migrations. Elle définit notamment les mesures pratiques pour pouvoir consolider le cadre juridique et opérationnel des retours volontaires depuis l’Union européenne. Cependant, les écarts entre les procédures d’asile et de retour, la difficulté d’empêcher la fuite des personnes, les capacités administratives limitées pour assurer le suivi des décisions de retour, expliquent notamment le faible succès des programmes d’aide au retour volontaire jusqu’à présent.
Grâce à son mandat élargi, l’agence Frontex est en mesure d’aider les États membres à tous les stades du processus de retour volontaire et de réintégration. Le coordinateur de l’Union européenne chargé des retours et le réseau de haut niveau pour les retours pourront apporter un soutien technique supplémentaire aux États membres pour regrouper les différents stades de la politique de l’Union européenne en matière de retour.
Tel sera concrètement le rôle du coordinateur de l’Union européenne chargé des retours.
J’en viens à votre seconde question. Si les flux à l’entrée sont mieux pris en charge, moyennant un appui robuste de l’Union européenne, notamment de l’agence Frontex, les flux secondaires seront mécaniquement mieux jugulés. En conséquence, la solidarité renforcée que nous appelons de nos vœux pourra se concrétiser.
Je précise que, dans le département des Hautes-Alpes, nous sommes à ce stade passés de 2 200 personnes à 4 400 personnes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, après avoir écouté votre réponse, je m’interroge sur la capacité que peuvent avoir les États à tenir leurs frontières et à aider ceux qui en ont véritablement besoin.
Je m’interroge également sur le statut de mineur isolé, qui sert souvent de point d’appui à des fraudes, alors qu’il devrait protéger les plus faibles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, le Gouvernement a annoncé une réduction drastique des visas délivrés par la France aux ressortissants algériens, marocains et tunisiens. Ce faisant, il punit les populations de ces pays pour l’action supposée de leur gouvernement. S’agit-il des visas de long séjour, qui relèvent exclusivement de notre compétence ? Cette réduction pourrait altérer l’attractivité de notre pays, s’il s’agissait de visas étudiants, et nos relations économiques, s’il s’agissait de visas de nature commerciale ou de visas de travail. Cette mesure serait également une atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à mener une vie privée et familiale.
S’agit-il au contraire des visas de court séjour Schengen ? Dans ce cas, ce serait peu opérant, puisqu’il suffirait que les demandeurs de visas s’adressent à d’autres pays européens. De plus, selon le code applicable, les refus de visas Schengen doivent être motivés de manière sérieuse.
La décision du Gouvernement introduit en tout cas un implacable arbitraire en lieu et place d’un examen sérieux des demandes.
Madame la ministre, ma question est claire : compte tenu de ces observations, pouvez-vous nous apporter des précisions sur les visas concernés par les annonces qu’a faites le Gouvernement la semaine dernière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Leconte, à la suite d’une longue période de dialogue politique et diplomatique avec les trois pays du Maghreb qui n’a pas abouti au résultat qu’il escomptait en matière de réadmission, le Gouvernement a décidé de diminuer le nombre de visas délivrés aux ressortissants de ces pays par nos consulats. Concrètement, ce nombre diminuera de moitié au Maroc et en Algérie, et de 30 % en Tunisie.
Ces mesures sont justifiées par le niveau très insatisfaisant de la coopération avec les pays du Maghreb, et ce depuis plusieurs mois : seulement 105 Marocains ont été éloignés entre le 1er janvier et le 31 août 2021, contre 908 en 2019 ; 25 Algériens, contre 1 677 en 2019 ; 156 Tunisiens, contre 915 en 2019. Cette situation est d’autant plus incompréhensible pour nos concitoyens que la pression migratoire en provenance de ces trois pays reste élevée et que ces flux peuvent concerner des personnes impliquées dans des troubles à l’ordre public.
Ces mesures sont d’application immédiate. Elles sont réversibles dans le temps : si nos partenaires font de réels efforts pour améliorer leur coopération, nous suspendrons l’application de ces mesures. Des efforts ont d’ailleurs déjà été constatés en Tunisie, ce qui va dans le bon sens.
C’est maintenant à chacun de ces pays de prendre leurs responsabilités. Le dialogue continue dans tous les cas. Nos consulats s’efforceront de ne pas viser, dans l’application de ces mesures, les publics prioritaires, les étudiants, les voyages d’affaires, les passeports talent, les travailleurs qualifiés, etc.
Monsieur le sénateur, je vous le dis : la France visera en priorité les milieux dirigeants, qui sont les premiers responsables de cette situation de blocage.