compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
Mme Martine Filleul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun de vous sera attentif au respect des uns et des autres, ainsi que du temps de parole.
prix de l’énergie
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le Premier ministre, gaz, électricité, carburants : depuis plusieurs mois, les Français font face à des hausses importantes des prix qui mettent en difficulté les plus modestes à l’approche de l’hiver. Ces augmentations s’ajoutent aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire qui ont touché en premier lieu les plus fragiles.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis le début de l’année, le montant mensuel du tarif réglementé du gaz a augmenté de 50,8 %, les tarifs réglementés de l’électricité devraient bondir de 12 % en début d’année et le prix du sans plomb 95 a retrouvé son niveau d’octobre 2018, juste avant la crise des « gilets jaunes ».
Certes, des éléments conjoncturels liés à la reprise économique mondiale expliquent ces tensions sur les prix, avec une demande en forte hausse.
Les facteurs de formation des prix, avec le poids des taxes, accentuent également l’élasticité des tarifs.
La situation illustre aussi la difficulté de l’Union européenne à mettre en place, dans le contexte de la transition écologique, une stratégie énergétique commune profitable aux citoyens européens, alors que les intérêts des États membres sont souvent divergents.
Néanmoins, par-delà ces questions, l’urgence demeure pour nos concitoyens. Vous avez annoncé la mise en place d’un « bouclier tarifaire » pour contenir, d’ici au printemps 2022, la hausse des prix du gaz et de l’électricité. Vous envisagez également de relever au besoin le chèque énergie.
Si ces décisions sont un premier pas que nous saluons, elles restent ponctuelles. Elles ne suffiront pas en cas d’hiver rigoureux ou de nouveau choc d’offre ou de demande. Plus largement, c’est bien notre souveraineté énergétique qui est en jeu, la seule à même, grâce à notre mix, de garantir que l’énergie reste un bien commun accessible.
Comment comptez-vous donc agir pour que l’énergie ne devienne pas, à long terme, un facteur d’inégalités qui grèverait le pouvoir d’achat des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Carrère, permettez-moi, tout d’abord, d’excuser Barbara Pompili, actuellement au Luxembourg pour le conseil des ministres de l’environnement.
Ces prix de l’énergie sont effectivement en forte hausse du fait de l’augmentation du prix du gaz liée à l’accroissement de la demande suscitée par la reprise mondiale ainsi qu’à une réduction de certaines productions, notamment en Russie et en Norvège.
Face à cette situation largement due à des facteurs extérieurs, il nous fallait effectivement des réponses pour les ménages. Ainsi, une aide sociale supplémentaire de 100 euros en faveur des quelque 6 millions de foyers français qui bénéficient déjà du chèque énergie sera versée avant la fin de l’année. Elle le sera directement, sans entreprendre de démarche particulière, et arrivera dans les boîtes aux lettres des Français. Elle s’ajoute évidemment au chèque énergie de l’année 2022, qui sera versé en mars.
Par ailleurs, comme le Premier ministre l’a annoncé, nous allons déployer ce bouclier tarifaire qui vise à protéger tous les Français. Les prix du gaz seront bloqués tout l’hiver à leur niveau d’octobre. Sans cela, la facture des Français aurait pu augmenter de 30 %.
S’agissant de l’électricité, l’augmentation des tarifs réglementés sera au maximum de 4 % par rapport à 2021, soit environ 5 euros par mois pour un ménage français qui se chauffe à l’électricité. Nous proposerons donc, lors de la discussion du projet de loi de finances au Parlement, d’ajuster la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) pour atteindre cet objectif de 4 %.
S’agissant du gaz, quand les prix baisseront – sans doute au printemps –, nous diminuerons un peu plus lentement les tarifs afin de revenir à la normale. Il s’agit d’un lissage, à la montée comme à la descente, de manière à en amoindrir les effets pour les ménages français.
Des recettes exceptionnelles liées à la hausse des coûts de l’électricité nous permettent de financer ces baisses de taxes.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Joël Bigot et Mme Émilienne Poumirol applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, le 30 septembre, sans attendre que le Conseil d’État ait rendu son jugement sur le fond, sortait le décret d’application de la réforme de l’assurance chômage. Le Conseil d’État avait pourtant suspendu la réforme, considérant que son application constituait « une erreur manifeste de jugement », eu égard à la conjoncture économique.
Vous répondez que les critères de retour à bonne fortune sont désormais remplis et permettent aux demandeurs d’emploi de privilégier les emplois stables et non les parcours d’emploi fractionnés qu’ils privilégiaient, selon vous, du fait d’une allocation trop généreuse.
Sur vos deux critères de retour à bonne fortune, pouvez-vous alors nous indiquer quelle est la part d’embauches en contrats de plus de quatre mois, voire six mois, période désormais requise pour l’indemnisation ? Combien sont en CDI, alors que de multiples lois ont favorisé le recours aux contrats précaires ?
S’agissant de la baisse des chômeurs de catégorie A, encore faudrait-il compléter ce critère avec l’évolution à la hausse des catégories B et C, où se trouvent les salariés qui seront les plus affectés par votre réforme, et de la catégorie D, où atterrissent les contrats de sécurisation professionnelle à la suite de licenciements économiques, comme beaucoup de jeunes du dispositif « 1 jeune, 1 solution » ?
Madame la ministre, quelles sont la pertinence et la robustesse de vos critères de retour à bonne fortune, au regard de la seule justification de la réforme de favoriser l’emploi durable, mais qui paupérise, dès aujourd’hui, les salariés aux parcours d’emploi fractionnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Madame la sénatrice Poncet Monge, je vous confirme que la réforme de l’assurance chômage est désormais pleinement en vigueur depuis le 1er octobre.
En particulier, un nouveau mode de calcul de l’allocation chômage s’applique, mais uniquement aux demandeurs d’emploi inscrits depuis cette date. En effet, nous pensons que la situation économique et la situation du marché du travail justifient pleinement la mise en œuvre de cette réforme de l’assurance chômage. Vous le savez, nous avons eu 2,4 millions d’embauches ces trois derniers mois, ce qui est un record historique depuis au moins quinze ans.
Je rappelle, par ailleurs, qu’on a 320 000 demandeurs d’emploi de catégorie A de moins et que nous avons créé 415 000 emplois depuis le début de l’année, alors qu’on nous prédisait 230 000 destructions d’emplois. Le contexte est effectivement favorable.
Permettez-moi de revenir sur cette question de la précarité des emplois que vous mentionnez et de rappeler que, précisément, l’un des objectifs de la réforme est de lutter contre le recours excessif aux contrats courts avec le système de bonus-malus qui doit conduire les entreprises à proposer des contrats de travail plus longs.
Par ailleurs, nous voulons aussi encourager ceux qui le peuvent à travailler davantage : c’est le sens du nouveau mode de calcul de l’allocation chômage.
Les clauses de retour à meilleure fortune devraient jouer d’ici à la fin de l’année. Je le rappelle, elles sont fondées à la fois sur le nombre d’embauches en contrat de plus d’un mois et sur la baisse des demandeurs d’emploi sans aucune activité de catégorie A.
Nous n’avons pas inventé ces indicateurs pour l’occasion : il s’agit des indicateurs suivis historiquement par la statistique publique, notamment les déclarations d’embauches. Ils sont, je pense, représentatifs de la situation du marché du travail. On nous aurait reproché d’inventer un indicateur ad hoc pour mettre en œuvre et ces clauses de retour à meilleure fortune.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, vous ne répondez pas à ma question puisque, certes, la catégorie A baisse, mais les catégories B et C sont actuellement à 2 178 200 demandeurs d’emploi et la catégorie D a augmenté comme jamais. C’est le réceptacle des suppressions d’emplois et des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) actuellement menés.
En conclusion, je crois plutôt que cette réforme poussera les demandeurs d’emploi à accepter des contrats courts, très courts, tout simplement parce qu’ils seront paupérisés. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
taxonomie verte européenne
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la ministre, « taxonomie verte », « taxonomie écologique », « classification verte » : quel que soit son nom, pour l’heure, l’énergie nucléaire n’en fait pas partie.
Alors que se négocient au niveau européen les seuils d’émissions de CO2 de certaines activités économiques qui entreront dans cette classification, et donc bénéficieront de financements verts et d’aides européennes, notre questionnement, notamment quant aux investissements, s’intensifie à l’approche de la fin de l’année.
Le nucléaire est une filière historique, mais, surtout, d’excellence française. Elle nous garantit une part de souveraineté énergétique dont toute l’Europe bénéficie, y compris ceux de nos voisins qui mettent leur mouchoir sur leur mauvaise conscience d’importateurs d’électricité nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Cette énergie a toute sa place dans notre mix énergétique, même si sa part doit diminuer. C’est pourquoi la mobilisation des capitaux nécessaires afin de réaliser des investissements qui le sont tout autant ne peut être entravée. Surtout lorsque les experts ne convergent pas pour démontrer que cette énergie serait préjudiciable à l’atteinte de nos objectifs environnementaux ou à notre combat ultralégitime contre les effets du dérèglement climatique.
La neutralité carbone en 2050 ne pourra pas se faire sans cette technologie bas-carbone. Y consacrer des moyens suffisants revient à financer la recherche pour maintenir sur l’existant des unités toujours plus fiables et efficaces.
Enfin, cela signifie surtout se mettre en capacité d’accroître la sûreté des sites et de mieux garantir leur longévité. Les enjeux économiques et industriels sont immenses pour notre pays.
Je prends pour exemple la centrale de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube. Prolonger son activité dans les meilleures conditions assure de garder un haut niveau d’expertise, une verticalité nécessaire dans tous les métiers sur site et sécurise l’évolution de notre mix énergétique.
Madame la ministre, le temps presse. Je sais le Gouvernement investi. Pouvez-vous nous donner l’état des discussions après l’Eurogroupe d’hier et les positions que la France défendra dans les prochains mois ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Emmanuel Capus. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, merci de rappeler le caractère absolument stratégique de l’énergie nucléaire dans notre mix énergétique. (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cette énergie est stratégique, car, vous l’avez très bien dit, c’est une énergie indispensable pour décarboner notre économie. Elle est également stratégique parce qu’elle est toujours disponible, à un moment où nos besoins en électricité vont massivement augmenter. Elle est enfin stratégique par sa compétitivité tarifaire pour les particuliers et les entreprises.
Au moment où le prix de l’électricité augmente en Europe – on ne le voit pas encore en France –, on mesure toute l’importance de ne pas être dépendant d’autres pays ou d’autres énergies pour notre mix énergétique.
Je veux vous rassurer, madame la sénatrice, la position de la France est absolument sans ambiguïté… (Marques dubitatives sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. C’est tout et son contraire en même temps !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … sur la taxonomie, comme sur les autres sujets qui touchent à l’énergie nucléaire. Le nucléaire doit figurer dans la taxonomie. C’est le propos que nous portons, Barbara Pompili, Bruno Le Maire, Clément Beaune et moi-même dans tous nos conseils : conseil compétitivité, conseil climat, conseil affaires économiques et financières (Écofin). Bruno Le Maire l’a encore porté en début de semaine de manière très nette et très précise.
Une voix sur les travées du groupe INDEP. Très bien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est dans cette direction que nous allons poursuivre les négociations avec fermeté, parce que les faits sont têtus : on ne luttera pas contre le réchauffement climatique sans énergie nucléaire, ce qui n’est évidemment pas contradictoire avec le fait de développer massivement les énergies renouvelables.
Notre stratégie est fondée sur deux piliers : les énergies nucléaires et les énergies renouvelables. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
ingérences étrangères dans les universités
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. Monsieur le Premier ministre, une mission d’information sénatoriale vient de commettre un rapport sur les influences étrangères extraeuropéennes au sein de nos universités et du monde académique français.
Il en ressort que des pays étrangers qui ne sont pas démocratiques ou qui ne partagent pas nos valeurs – je veux parler de la Chine, de la Russie ou de la Turquie – se livrent aujourd’hui à de véritables ingérences dans notre monde académique. Ils affectent des moyens considérables au service de leurs influences.
Ressort également qu’en France, les moyens mis à disposition pour connaître, comprendre et lutter contre ces ingérences ne sont plus aujourd’hui totalement adaptés à l’importance du phénomène. Monsieur le Premier ministre, comment, par exemple, surveiller un institut Confucius hébergé dans une université ? On sait désormais que ces instituts ne sont pas là uniquement pour enseigner le chinois ou valoriser la culture chinoise, mais qu’ils se livrent à de véritables exercices d’influence dans les universités qui les hébergent.
Comment protéger une communauté scientifique qui travaille sur la présence des chrétiens en Orient, sur le génocide arménien de 1916, alors que l’accès par le gouvernement turc au territoire et aux archives turques n’est plus facilité ? Cette communauté scientifique subit même parfois des pressions et des menaces inadmissibles.
Monsieur le Premier ministre, l’intégrité scientifique et les libertés académiques sont des marqueurs essentiels dans nos démocraties occidentales. Ce sont des marqueurs essentiels pour nos libertés. Le Gouvernement l’entend-il de la sorte et comment entend-il mieux les protéger ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Blanc, je salue la très grande qualité, comme toujours, du travail de cette mission que vous présidiez, fruit d’une initiative du groupe RDPI et de son rapporteur André Gattolin.
Cette mission, vous l’avez rappelé, touche un sujet majeur. C’est un sujet qui touche en réalité notre société dans son ensemble, mais qui appelle un traitement particulier s’agissant de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Les vingt-six propositions que vous avez faites, visant cinq grands objectifs, font déjà l’objet d’un travail d’analyse approfondi et rigoureux de la part de mes équipes. Je tiens à rappeler, comme j’ai pu le faire lors de mon audition au mois de septembre, qu’effectivement il nous faut absolument préserver l’intégrité scientifique et la liberté académique, qui sont indissociables.
C’est tout l’objet du deuxième objectif de votre rapport et c’est aussi ce que vous avez souhaité faire dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, qui contient des avancées majeures en la matière.
Cet attachement aux libertés académiques et à l’intégrité scientifique ne doit évidemment pas limiter les interactions et les échanges internationaux, mais ceux-ci doivent se réaliser sans naïveté.
Grâce au haut fonctionnaire de défense et de sécurité, à la mission ministérielle sûreté et sécurisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, aux 160 fonctionnaires de sécurité défense, au réseau coordonné, au dispositif de protection du potentiel scientifique et technique – nous portons un intérêt tout particulier à la recommandation de la mission qui vise à l’étendre à l’ensemble des disciplines universitaires–, nous nous sommes emparés de ce sujet.
Les conclusions et recommandations de la mission d’information du Sénat convergent très largement avec l’action de mon ministère et, plus largement, celle de ce gouvernement, en lien avec l’ensemble des administrations concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Pierre Cuypers. Vous ne répondez pas à la question !
M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.
M. Étienne Blanc. Madame la ministre, merci d’avoir salué le travail que nous avons mené avec André Gattolin.
Le sens de ce rapport est de dire : « Attention, il se passe aujourd’hui, du fait des actions d’influence menées par ces pays qui ne partagent pas nos valeurs démocratiques, des phénomènes considérables contre lesquels on ne peut pas lutter avec un sabre de bois. »
Nous sommes donc à la disposition du Gouvernement pour échanger sur ce sujet particulièrement grave. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC – M. André Gattolin applaudit également.)
lutte contre la fraude fiscale
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mes chers collègues, « la fraude fiscale, simple pacte républicain », le nouveau scandale des Pandora Papers en est une nouvelle illustration après les LuxLeaks, Panama Papers et tant d’autres.
Tout va bien, dormons tranquilles, puisque, quarante-huit heures après ces révélations, l’Union européenne supprime trois territoires de la liste des territoires non coopératifs. Trois paradis fiscaux de moins, c’est vrai que c’est un mauvais timing.
La France allant présider le Conseil européen, monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale alors que notre dette flambe ?
Pendant que certains cachent des millions dans les paradis fiscaux, nos étudiants font la queue devant les banques alimentaires et nos agriculteurs se débattent dans des difficultés infernales ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Nathalie Goulet, permettez-moi de revenir sur ces révélations.
Il s’agit de quelque 600 journalistes, 117 pays concernés et 12 millions de données qui seraient exploités ou exploitables par ce consortium de journalistes pour mettre au jour des pratiques d’optimisation, d’évasion, voire de fraude fiscale dans un grand nombre de pays, par le biais de sociétés offshore.
À ce stade, les informations dont le Gouvernement et la direction générale des finances publiques (DGFiP) disposent sont les informations révélées par la presse. Comme à chaque fois en pareille circonstance, nous avons donné, avec Bruno Le Maire, des instructions extrêmement claires à la DGFiP consistant à exploiter, à vérifier et à analyser chacune des données mises à sa disposition par ces révélations médiatiques.
Elle a pour instructions de vérifier si des contribuables français sont concernés et, le cas échéant, diligenter les contrôles fiscaux les plus sévères qui soient et de mettre en œuvre, en lien avec le ministère de la justice, les sanctions et procédures judiciaires qui s’avéreraient les plus utiles.
Nous continuons à œuvrer contre la fraude fiscale, à la fois à l’échelle française et à l’échelle européenne. Nous avons permis l’adoption d’une loi de lutte contre la fraude en octobre 2018 – vous aviez été active dans ces débats, madame la sénatrice – avec la création d’une police fiscale. Nous avons renforcé notre système d’information avec, notamment, la pérennisation de la rémunération des aviseurs fiscaux. Enfin, nous développons au niveau européen, sens dans lequel nous poussons, des échanges d’informations extrêmement poussés.
Ainsi, pour 2019, ce sont 107 milliards d’euros de revenus fiscaux complémentaires à l’échelle de l’Union européenne qui ont été trouvés et dégagés par des échanges d’informations portant sur plus de 84 millions de comptes que nous avons pu ainsi investiguer et vérifier.
Il y aurait beaucoup à dire pour développer les différents sujets et priorités que nous avons. Je crois pouvoir revenir, à l’occasion de prochaines questions, sur ce que nous faisons aussi en matière de lutte contre la fraude fiscale, et je veux vous assurer de ma détermination la plus totale à lutter contre cette fraude et à exploiter l’ensemble des données auxquelles nous aurons accès par les révélations que vous avez citées. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, nous sommes toujours dans l’ex post. Votre bilan n’est pas exactement celui que vous dites : vous avez réduit les moyens humains pour le contrôle fiscal et douanier, vous avez démantelé la délégation nationale à la lutte contre la fraude, vous avez perdu du temps pour la mise en place du système de détection précoce de fraude à la TVA – c’est un système de Trade Needs Analysis (TNA) appliqué par tous les pays européens dont on vous a demandé depuis plusieurs années l’application en France, et qui vient seulement de l’être.
Je rappelle que la fraude à la TVA représente 5 milliards d’euros détectés l’année dernière et 10 milliards au niveau de l’Europe.
Le Gouvernement s’est opposé à l’amendement du Sénat qui visait à interdire les aides covid aux entreprises disposant de filiales dans les paradis fiscaux, préférant – allons savoir pourquoi – la circulaire, qui est peut-être mieux que la loi. Vous me le direz peut-être.
Il reste 777 enquêtes préliminaires actuellement ouvertes pour des affaires de fraude fiscale et de blanchiment. Vous vous êtes opposé à la position légitime du Sénat, qui a voté la possibilité de prolongation de ces enquêtes pour ces faits. Délai que vous vouliez réduire sans distinguo dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Enfin, pour mener ces enquêtes préliminaires, on ne compte que trois enquêteurs. Je ne suis pas certaine que l’adéquation soit exacte.
Les chiffres publiés attestent de ce bilan désastreux. Le résultat de la lutte contre la fraude a été divisé par deux en 2017. Ces chiffres sont ceux de votre ministère, et vous les retrouverez dans l’excellent ouvrage de Charles Prats, Le Cartel des fraudes – Tome 2, qui traite de fraude fiscale.
Monsieur, le ministre, le projet de loi de finances arrive et j’espère que nous pourrons prendre des mesures vraiment efficaces, car, pour l’instant, le compte n’y est pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
« pandora papers » (i)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Éric Bocquet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance, mais je sais que M. Dussopt me répondra.
En février dernier, un grand journal du soir révélait dans le cadre d’une enquête dénommée « Openlux », l’existence de 55 000 sociétés offshore détenant 6 500 milliards d’euros d’actifs au Luxembourg. Cette semaine, un consortium de journalistes publie une nouvelle enquête, les Pandora Papers – bien que la boîte de Pandore ait été ouverte il y a déjà bien longtemps – par laquelle nous apprenons que 29 000 autres sociétés offshore viennent d’être mises au jour, créées et gérées par quatorze cabinets et officines spécialisés.
M. le ministre Bruno Le Maire s’est déclaré « choqué », quand tous nos concitoyens sont ulcérés par ces révélations incessantes faites par la presse ces dernières années.
Pour les milliardaires concernés, responsables politiques de très haut niveau, sportifs et trafiquants en tout genre, l’objectif est d’échapper à l’impôt et aux juges grâce à cette industrie de l’opacité. Le problème est systémique.
Monsieur le ministre, comptez-vous en rester au choc et à la vérification ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)