M. Vincent Segouin. Bravo !
Mme Christine Lavarde. Nous déplorons qu’aucune mesure d’économie ne permette de compenser ces dépenses. Toutes les réformes ambitieuses du quinquennat en matière d’économie ont été abandonnées – je pense à la réforme des retraites ou à la diminution du nombre de fonctionnaires –, et ce avant même le déclenchement de la crise. Dépenser n’est pas réformer !
Depuis 2015, la France est la championne des dépenses publiques au sein de l’OCDE. Le « quoi qu’il en coûte » perdure même après la crise : catégorie de population après catégorie de population, des chèques en bois sont signés ; de nombreuses dépenses nouvelles sont pérennes ou engagées sur plusieurs années : elles pèseront sur les budgets du prochain quinquennat, obérant la capacité du prochain Président de la République à redresser les comptes publics.
Quelle que soit la légitimité des besoins, devant la multiplication des chèques quelques mois avant l’élection présidentielle, personne n’est dupe de la finalité électoraliste de telles mesures.
Si la crise a détérioré de manière exceptionnelle nos finances publiques, elle a aussi mis en lumière nos faiblesses et l’absence d’efforts antérieurs. Malgré quelques baisses d’impôt, la France demeure le pays le plus fiscalisé des pays développés.
À elle seule, la prolongation de la CRDS de 2024 jusqu’à 2033 au plus tôt, votée en juillet 2020, représente près de 136 milliards d’euros de prélèvements qui seront effectués durant le prochain quinquennat.
Notre déficit public, en période de crise, est bien supérieur à la moyenne de nos voisins européens : il est de cinq points plus élevé que celui qu’a enregistré l’Allemagne en 2020 et de deux points plus élevé que la moyenne des dix-neuf pays de la zone euro.
En réalité, notre pays avait déjà, en 2019, le pire déficit public, avec la Roumanie, des vingt-sept pays de l’Union européenne : plus de 3 % du PIB, tandis que les deux tiers des pays européens étaient en situation d’excédent budgétaire. Ces pays, eux, avaient déjà entrepris des réformes structurelles ; l’âge moyen de départ à la retraite est ainsi de 65 ans en Europe.
Notre déficit commercial est sans doute le meilleur indicateur de nos faiblesses : pour la période qui s’étend de janvier à septembre 2021, l’Allemagne présente déjà un excédent cumulé de 146 milliards d’euros. Les balances commerciales les plus déficitaires de la zone euro sont celles de la Grèce et de la Roumanie, –17 milliards, très loin derrière la France, dont le déficit commercial atteint, hélas, 76 milliards d’euros.
Conséquence de ces déficits considérables : notre dette publique est bien plus importante que celle des États voisins. Comme l’a très bien dit le gouverneur de la Banque de France, notre problème n’est pas la dette covid, mais la dette d’avant-crise ! La France est entrée dans la crise avec une dette qui atteignait près de 100 % de son PIB, quand celle de l’Allemagne avoisinait les 60 %.
Au regard de l’ensemble de ces indicateurs, crise ou pas crise, ce quinquennat aura été un échec. La France, initialement moteur de l’Europe avec l’Allemagne, est aujourd’hui un frein au redressement de l’économie européenne : elle occupe la vingt-deuxième place sur vingt-sept en matière de chômage et de déficit public, la vingt-troisième place sur vingt-sept en matière de dette et la vingt-septième place, autant dire la dernière, en matière de déficit commercial, de dépenses publiques ou encore de prélèvements obligatoires.
M. Vincent Segouin. Et tout va bien !
Mme Christine Lavarde. Deuxième point de ce bilan : l’écologie demeure, malheureusement, une simple ambition.
La transition écologique avait été présentée en 2017 par Emmanuel Macron comme « le défi du XXIe siècle ». Ce PLF reprend cette ambition, au moins sur le papier, puisqu’il est sous-titré « Pour une croissance durable ».
Mais qu’en est-il dans les faits ?
Pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en matière de production de chaleur renouvelable, il faudrait que le rythme d’augmentation soit au minimum de 7 térawattheures par an, au des 4 actuellement observés.
Concernant la performance énergétique des bâtiments, malgré une forte augmentation des crédits alloués à cette politique via MaPrimeRénov’, l’objectif fixé voilà cinq ans d’une réduction de la précarité de 15 % est loin d’être atteint. La multiplication des dispositifs de soutien – l’Observatoire national de la précarité énergétique en a recensé 49 – rend les démarches complexes et peu lisibles.
Le bonus écologique destiné à encourager l’acquisition de véhicules lourds « propres » est totalement inopérant : seuls quatre poids lourds et sept bus ont été subventionnés pour un montant de 320 000 euros, quand 100 millions d’euros de crédits ont été prévus dans le cadre du plan de relance.
M. Albéric de Montgolfier. Très efficace !
Mme Christine Lavarde. Les obligations fixées par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, seront difficiles à respecter pour le secteur des transports.
Par ailleurs, des décisions de justice récentes condamnent l’État pour inaction.
Le tribunal administratif de Paris lui a imposé récemment de réparer les conséquences de sa carence en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Selon les juges, et malgré l’aide de la covid-19, les engagements fixés dans la stratégie nationale bas-carbone pour la période 2015-2018 sont atteints à 15 millions de tonnes équivalent CO2 près.
Par arrêt du 15 novembre 2021 – c’était cette semaine –, le Conseil d’État ordonne au Gouvernement d’agir pour réduire de façon draconienne l’utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000.
Ce bilan étant dressé, venons-en au détail de ce PLF.
Je dois malheureusement le constater, le texte qui nous est présenté ne respecte ni le Parlement ni les Français.
Vous prenez les Français pour des imbéciles – j’ai le regret de le dire –, espérant que l’avalanche de chèques et de cadeaux emporte leur vote au printemps prochain. Mais ils ne sont pas dupes ! Ils savent bien que l’argent magique n’existe pas. Je remarque d’ailleurs avec malice que cette politique ne va pas dans le sens de l’émancipation par le travail prônée par le candidat-président.
Vous créez également un sentiment d’inquiétude dans les milieux économiques. Interrogé sur France Info, Geoffroy Roux de Bézieux a qualifié l’indemnité inflation de « dangereuse » car elle « met dans la tête des Français l’idée qu’on va compenser systématiquement l’inflation par des mesures d’aides gouvernementales. Cela ne peut pas marcher. »
Surtout, vous faites preuve d’un véritable mépris à l’égard du Parlement.
Pour ce qui est des réponses aux questionnaires budgétaires, le Gouvernement s’est montré défaillant. À la date limite fixée par la LOLF, trois missions, et pas des moindres, n’avaient reçu absolument aucune réponse – la mission « Justice », par exemple, figurait dans la liste. Pour d’autres missions, le taux de réponse était inférieur à 15 %. Même si les réponses ont fini par nous parvenir, hors délai, cette situation nuit à la qualité du travail parlementaire.
Par ailleurs, certaines pratiques, dérogatoires au principe d’universalité budgétaire, sont peu compatibles avec l’autorisation parlementaire des dépenses de l’État.
Je ne prendrai qu’un exemple, celui du programme 204. En 2020, pas moins de 700 millions d’euros issus d’un fonds de concours alimenté par des versements de Santé publique France, agence désormais financée intégralement par l’assurance maladie et dont la dotation échappe au contrôle parlementaire, ont été rattachés à ce programme. Le détail des dépenses du fonds de concours n’est retracé nulle part dans les documents budgétaires, alors même que celles-ci ont représenté plus du triple des crédits ouverts sur le programme en loi de finances initiale pour 2020. Le présent projet de loi de finances, tout comme le PLF pour 2021, ne remet pas en cause cette architecture.
Le projet de loi de finances qui a été présenté en conseil des ministres était en outre bien mince : il comportait 20 % d’articles en moins par rapport à la moyenne des dernières années, et seulement des dispositifs techniques.
Le texte a beaucoup gagné en volume lors de son passage à l’Assemblée nationale.
Ainsi, 95 nouveaux articles non rattachés ont été adoptés, dont plus de 20 prorogations, renforcements ou créations de niches fiscales – autant de pertes de recettes non chiffrées qui auront un impact sur le prochain quinquennat.
Mais ce sont les 148 amendements déposés par le Gouvernement et adoptés par les députés qui posent le plus problème. Il ne s’agit pas de simples corrections apportées aux articles du projet de loi initial, mais de nouveaux articles importants ajoutés au dernier moment, c’est-à-dire sans l’expertise du Conseil d’État et sans évaluation préalable. La défiscalisation des pourboires est le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas faire, vu les difficultés qu’elle semble engendrer.
On ne peut justifier ces dispositions nouvelles par la crise sanitaire ou économique. Ces amendements ont pour unique objet d’honorer les engagements d’un Président de la République qui est en campagne sans s’être encore déclaré candidat.
Au total, 11,8 milliards d’euros de dépenses ont été ajoutés à l’Assemblée nationale. Qu’en serait-il à la sortie du Sénat, puisque les quarante annonces des trois derniers mois représentent 25 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour 2022 et 65 milliards d’euros sur le prochain quinquennat ? Je note à cet égard que certaines promesses, notamment celles qui ont été faites aux personnes âgées en perte d’autonomie et pour le développement du fret ferroviaire, le remboursement des consultations chez les psychologues ou l’élargissement du Pass’Sport, n’ont toujours pas de traduction budgétaire.
À eux seuls, quatre amendements représentent près de 7 % du budget de l’État. L’amendement portant les crédits de France 2030 est d’ailleurs le plus cher de la Ve République. Même le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale a reconnu qu’« on pouvait avoir des choses à redire sur la forme ».
Pour plus de facilité, ou peut-être pour cause d’impréparation, le plan France 2030 a été intégré dans la mission « Investissements d’avenir ». La Cour des comptes, dans un référé de juillet 2021, n’a pourtant pas manqué d’émettre de vives critiques sur la gouvernance du programme d’investissements d’avenir (PIA), regrettant notamment la faiblesse du contrôle interne et de la maîtrise des risques. Je vous fais grâce des extraits de ce référé, mes chers collègues, mais je vous invite à le lire.
La moitié seulement des 60 milliards d’euros prévus par les différents PIA ont été effectivement déboursés à ce jour. La question de la gouvernance du dispositif est un sujet crucial, comme plusieurs économistes, notamment Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’ont souligné.
Or le Président de la République a promis que la refonte de cette gouvernance serait achevée d’ici au mois de janvier prochain. Autant dire que les députés ont voté les yeux fermés 34 milliards d’euros d’autorisations d’engagement !
L’exposé des motifs de l’amendement n° II-2389, le fameux amendement à 34 milliards, ne précise d’ailleurs pas la ventilation des crédits ; il dresse une liste de dix priorités stratégiques sans préciser les montants affectés à chacune. La ventilation des crédits entre les programmes de la mission « Investissements d’avenir » est qualifiée de « première ébauche », la répartition pouvant évoluer « en fonction de la réussite des dispositifs sous-jacents ». Je note que le Président de la République n’a pas attendu la première évaluation pour faire évoluer cette ventilation : ce mardi, à Béziers, il a annoncé une enveloppe de 1,9 milliard d’euros supplémentaires en faveur de l’hydrogène.
Je conclurai en évoquant tous les défis auxquels ce projet de loi finances n’apporte pas de réponse, en commençant par revenir sur le sujet de la fiscalité écologique.
Le ministre de l’économie – malheureusement, il a dû quitter l’hémicycle –, devant l’Assemblée nationale, a qualifié la fiscalité verte de « défi politique ».
C’est tout à fait vrai, puisque le poids des taxes est prépondérant dans ce domaine. En France, le prix d’un plein d’essence est aujourd’hui à plus de la moitié composé de taxes. Celles-ci représentent 30 % du prix final du gaz. Elles pèsent à hauteur de 36 % dans celui de l’électricité, contre 26 % en 2010.
Le Gouvernement a justifié les 12 milliards d’euros de dépenses – bouclier tarifaire, baisse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), chèque énergie, indemnité inflation – par une hausse conjoncturelle des prix de l’énergie, liée à la reprise de la croissance.
Mais, en réalité, monsieur le ministre, tout est aligné pour que les prix continuent d’augmenter, comme l’a indiqué Bruno Le Maire dans son intervention liminaire. Si l’électricité française est produite à bas coût grâce au parc nucléaire, une partie du prix du mégawattheure est, elle, indexée sur le prix du gaz, en lien direct avec la croissance des énergies renouvelables intermittentes dans le mix électrique. Qu’en sera-t-il cet hiver si, malheureusement, il n’y a pas de vent ?
La France a maintenant besoin de mesures pérennes et structurelles pour garder une indépendance et une souveraineté énergétiques à des prix corrects pour les Français et leurs entreprises.
Or le soutien à la filière hydrogène et au nucléaire relève encore trop de l’effet d’annonce.
Alors que 600 millions d’euros devaient être consacrés à la production d’hydrogène décarboné, 534 millions d’euros d’autorisations d’engagement ont été annulés dans la loi de finances rectificative du mois de juillet dernier. Au cours des neuf premiers mois de l’année 2021, sur les 100 millions d’euros du plan Hydrogène de 2018, seuls 35 millions d’euros de crédits ont été engagés et 4 millions d’euros seulement décaissés.
Le plan de relance consacre seulement 200 millions d’euros à la filière nucléaire ; quant au plan France 2030, il lui alloue 1 milliard d’euros d’ici à 2030.
Le prochain gouvernement ne devra pas enjamber le passage devant le Parlement à l’occasion de la révision de la PPE.
Autre défi, la fiscalité locale.
Les effets de la suppression de la taxe d’habitation et d’une partie des impôts de production sur les indicateurs synthétiques auxquels est adossé le système des finances locales, et le lissage de ces effets jusqu’en 2028, constituent une véritable bombe à retardement pour les mécanismes de péréquation, déjà minés par l’obsolescence des indicateurs.
Avec la révision des valeurs locatives en 2026, les élus ne disposent plus d’aucune lisibilité sur leurs finances. Ils anticipent, après les échéances du printemps, un tour de vis sur les dotations de l’État pour faire face au mur de la dette. Ce contexte empreint de fortes incertitudes compromet la libre administration que leur reconnaît la Constitution.
Je terminerai cette revue par la dette.
Par un tour de passe-passe, celle-ci évolue de 115 % à 114 % du PIB entre 2021 et 2022. Or le déficit sera de l’ordre de 125 milliards d’euros en 2022, pour une croissance du PIB de seulement 85 milliards d’euros. Pas besoin d’être un « crack » en mathématiques pour comprendre qu’il y a un problème…
M. Albéric de Montgolfier. Tout à fait !
Mme Christine Lavarde. La chute de 1,6 point de PIB, soit environ 40 milliards d’euros, résulte uniquement d’opérations de trésorerie : vous avez « surémis » lors des exercices précédents, monsieur le ministre, pour présenter de meilleurs ratios en 2022.
M. Jean-Raymond Hugonet. Bien sûr !
M. Pierre Cuypers. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. La soutenabilité du volume de la dette est un vrai problème. Le récent rapport de la délégation sénatoriale à la prospective – je le signale en présence de sa rapporteure Mme Sylvie Vermeillet – met en lumière, avec pédagogie, la façon dont un mauvais alignement des planètes pourrait conduire notre pays à la catastrophe.
Le remboursement de la dette ne peut reposer que sur une croissance corrélée à la maîtrise, à défaut d’une baisse, de la dépense publique. Le PLFR que nous avons examiné hier et, plus encore, le PLF dont nous allons débattre au cours des prochains jours ne suivent absolument pas cette voie. Il nous incombe d’être responsables à l’égard des Français, notamment des générations futures.
Le groupe Les Républicains refuse le chemin de la facilité et de la démagogie. Nous ne voterons donc pas ce texte, par respect pour les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances nous parvient dans un contexte que nous espérons toutes et tous être un contexte de sortie de crise : la croissance est là, mais elle ne peut masquer un nombre important de besoins sociaux et environnementaux non satisfaits.
Quel est donc ce contexte social ?
La crise sanitaire va de pair avec un accroissement de la pauvreté et de la précarité.
Selon l’Insee, la pauvreté s’est intensifiée.
Les auteurs d’une récente étude, sur laquelle s’appuie le Gouvernement, prétendent que le taux de pauvreté serait stable, à un niveau tout de même très élevé de 15 %. Mais sont exclus de l’échantillon beaucoup d’étudiants, de personnes sans domicile fixe et de personnes travaillant dans le secteur informel, c’est-à-dire de personnes très exposées à la pauvreté. Il est donc fort probable que le taux de pauvreté ait en réalité augmenté.
Les associations de solidarité le vivent au quotidien. Nous ne saurions négliger le fait que 20 % des Français ont froid chez eux l’hiver, ou encore que 20 % d’entre eux déclarent sauter certains repas parfois ou souvent, contre 14 % en 2020 !
Les conclusions du rapport du Secours catholique paru aujourd’hui même sont alarmantes.
La crise sanitaire a alourdi les inégalités : l’épargne des 20 % les plus pauvres a chuté de 2 milliards d’euros, tandis que celle des 10 % les plus riches s’accroissait de 25 milliards d’euros.
La fortune des milliardaires français atteint en 2020 un niveau record, selon Oxfam, et, en 2021, selon le classement de Challenges, on observe « les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées ».
Les faits sont têtus, monsieur le ministre : les inégalités progressent et votre politique fiscale n’a fait qu’amplifier ce phénomène.
Les classes moyennes sont par ailleurs touchées par un retrait majeur du service public dans les territoires.
Face à cette situation, que fait le Gouvernement ?
Il mène une politique fondée sur l’offre, via un plan de relance et un plan d’investissement qui sont avant tout des plans de subventions aux entreprises sans conditionnalité, ne portant ni objectif stratégique ni véritable ambition de transformation verte. Les 30 milliards d’euros du plan de relance consacrés à la transition écologique sur plusieurs années, loin d’être suffisants, manquent en outre de cohérence.
Au-delà même de ces insuffisances, avec ce plan de relance et ces multiples aides non ciblées, que constate-t-on ? Qu’en 2021 un record historique est battu en matière de taux de marge des entreprises : plus de 35 % !
Pour autant, le taux d’investissement stagne. Les entreprises, au lieu d’investir davantage, versent des dividendes et rachètent des actions – pour 51 milliards d’euros en 2021. Voilà ce que vous financez par votre politique !
Vous objectez que, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le chômage baisse.
Mais la reprise est celle d’un marché de l’emploi très dégradé, marqué par l’accroissement du travail précaire. Ainsi, le nombre de demandeurs d’emploi de la catégorie B et celui de la catégorie C sont en hausse respective de 3,3 % et de 9,5 % sur un an.
La politique consistant à clamer haut et fort que le chômage diminue, que tout va bien, que de très nombreux emplois ne sont pas pourvus est une vaste supercherie. Elle sert à justifier le discours de culpabilisation des chômeurs, qui lui-même sert à justifier la baisse des dépenses publiques au détriment de leurs indemnisations, et ce pour financer les baisses d’impôts octroyées aux entreprises et aux riches.
C’est injuste, c’est brutal, c’est contre-productif ! Et le discours permanent selon lequel il faudrait lutter contre l’« optimisation » que font les chômeurs de leurs droits est totalement inique : lorsqu’elle est fiscale et concerne les riches, l’optimisation ne vous choque pas !
Quant aux mesures environnementales et climatiques, elles sont très insuffisantes face à une situation que tout le monde qualifie pourtant de situation d’extrême urgence. Sécheresses, incendies, inondations, canicule : tout le monde est touché ; la France aussi, bien entendu.
En juillet, le Conseil d’État a fixé un ultimatum au Gouvernement afin qu’il prenne les mesures permettant à la France d’atteindre son objectif de réduction de 40 % de ses émissions de CO2 d’ici à 2030.
Or que voit-on ? Le budget vert s’applique seulement à une petite partie des dépenses ; de surcroît, il est méthodologiquement défaillant puisque, même dans sa version améliorée de 2021, toute dépense permettant une infime amélioration par rapport à l’existant est considérée comme favorable à l’environnement, y compris si cette amélioration est par ailleurs insuffisante pour respecter les engagements internationaux de la France.
Par conséquent, ce budget vert est inopérant.
Dans sa nouvelle version, le nucléaire est par ailleurs classé comme énergie totalement propre, ne produisant pas de déchets polluants. Je veux bien que nous ayons des débats sur le nucléaire, mais il y a là, tout de même, un non-sens.
Bien que le budget vert ait permis d’identifier un certain nombre de niches fiscales polluantes, le présent PLF n’en prend pas acte : leur suppression n’y est pas proposée ni n’est envisagée, d’ailleurs, une simple trajectoire de suppression.
Pendant ce temps, en raison de la fraude fiscale, la France perd chaque année 17 milliards d’euros de recettes d’impôt sur les sociétés, soit 40 % des recettes de cet impôt. L’évasion fiscale permet aux 1 % les plus riches de réduire leurs impôts sur le revenu d’un montant pouvant atteindre 30 % des impôts dus. Chaque année éclatent des scandales de fraude ou d’optimisation, le dernier en date étant celui des CumEx Files. Je rappelle que le Sénat avait adopté un dispositif au lendemain de la première vague de cette crise, et que le Gouvernement en a très considérablement amoindri la portée. Le résultat, le voici : le scandale ressort !
En définitive, monsieur le ministre, vous avez sciemment laissé faire et vous vous obstinez dans ce choix, en poursuivant la restriction des effectifs dans les services de contrôle fiscal.
Ainsi, au terme de ces cinq années de présidence, on voit bien que ce quinquennat est celui des inégalités et qu’Emmanuel Macron est le président des riches.
Au moment de la suppression de l’ISF, vous aviez promis de revoir votre copie si cette politique s’avérait inefficace. Elle l’est, tout le monde le dit et les rapports le montrent les uns après les autres. Il est donc temps de revenir sur cette décision. Le nouvel ISF que nous vous proposerons présentera, bien entendu, des avancées par rapport à l’ancien, afin de ne pas retomber dans les mêmes problématiques que par le passé.
Nous ferons beaucoup de propositions, d’ailleurs – comme d’habitude –, sans grand espoir pour ce budget, mais les yeux tournés vers l’avenir.
Ce projet de budget, on le voit, ne répond pas aux grands enjeux : réduire les inégalités, affronter le dérèglement climatique.
Mais je voudrais prendre quelques instants pour évoquer la méthode employée.
On a le sentiment, depuis le mois de septembre, que le Gouvernement a le carnet de chèques bien ouvert. Après plusieurs années d’austérité budgétaire, pas une journée ne passe, depuis la rentrée, sans annonce nouvelle. C’est la féerie de Noël ! Chaque ministère y a droit !
Mais les largesses d’aujourd’hui sont financées par l’austérité de demain, que vous vous proposez de mettre en œuvre en cas de réélection, comme vous l’avez écrit à la Commission européenne en avril dernier, dans le cadre du programme de stabilité.
Loin d’utiliser le poids de la France pour faire de la sortie de crise un moment fort de rupture avec la logique d’austérité des traités européens, vous confortez cette logique et vous engagez, pour le prochain quinquennat, à revenir sous le seuil des 3 % dès 2027, via une trajectoire de limitation de l’augmentation des dépenses publiques d’une ampleur inégalée, que même les gouvernements les plus sectaires en matière d’austérité budgétaire n’ont pas réussi à tenir.
Pour terminer, un mot sur votre politique en faveur de la jeunesse.
Au vu de l’angoisse climatique qui se développe au sein de notre jeunesse, après des mois d’une crise très dure qui l’a mise en danger, il faudrait une vaste politique permettant à chaque jeune de trouver sa voie, de construire sa vie et son projet, afin que toute notre société bénéficie de ses potentialités.
Or vous ne voulez même pas répondre à la question de l’urgence…
Le dispositif du contrat d’engagement jeune, présenté très tardivement, vient d’un trait de plume, sans étude d’impact, sans concertation avec les acteurs, supprimer la garantie jeunes et la remplacer par un objet non identifié, qui ne sera mis en place qu’à partir de mars et n’a vocation à toucher que 400 000 jeunes, alors qu’il faudrait aider, on le sait, plus de 1 million d’entre eux, qui se trouvent en situation de rupture sociale.
Il fallait répondre à la situation d’urgence et ouvrir immédiatement le RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans.
En parallèle, il fallait travailler à offrir de réelles chances à notre jeunesse. Mais, même aux étudiants qui réussissent, vous n’offrez aucune perspective ; vous êtes incapables de leur permettre ne serait-ce que de poursuivre leurs études – je pense ici à ces milliers de jeunes qui ont obtenu leur licence avec de bons résultats et qui, n’ayant pas de master, sont obligés de s’exiler en Belgique, dans le meilleur des cas, pour avoir une chance de continuer leur cursus.
Je pense aussi à tous ces jeunes broyés par cet abominable logiciel Parcoursup, qui crée de l’angoisse chez les élèves dès la première et les trie sans aucun égard pour leurs rêves, leurs souhaits, leur avenir.
Et je pense à ces jeunes qui, en lycée professionnel, ont vu baisser leurs heures d’enseignement général, au mépris de la formation de citoyen à laquelle ils ont droit.
Ce projet de budget n’est décidément par pour elles ni pour eux, qui pensent à l’avenir, qui n’osent pas espérer, mais qui attendaient à tout le moins de la France qu’elle soit à la hauteur des enjeux à Glasgow. Cette jeunesse vaut mieux que des concours d’anecdotes, et vous la méprisez par une politique qui insulte l’avenir !