Sommaire
Présidence de M. Georges Patient
Secrétaires :
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul.
taxation des sites de gestion des déchets sur nos territoires
Question n° 1945 de M. Jean-Jacques Michau. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Jean-Jacques Michau.
dépôts d’espèces par les régisseurs des communes
Question n° 1765 de M. Bernard Buis. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Bernard Buis.
fiscalité des travailleurs frontaliers au grand-duché de luxembourg
Question n° 1877 de M. Jean-Marc Todeschini. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques ; M. Jean-Marc Todeschini.
Question n° 1908 de M. Thierry Cozic. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
projet de liaison ferroviaire roissy-picardie
Question n° 1834 de M. Stéphane Demilly. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
spécificité des bacs fluviaux à passager et droit de l’union européenne
Question n° 1856 de M. Pascal Martin. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Pascal Martin.
entreprises de transport cyclable de tourisme
Question n° 1879 de Mme Agnès Canayer. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Agnès Canayer.
prolongement du dispositif alvéole
Question n° 1880 de M. Olivier Henno. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
surcoût des routes lié à la nouvelle réglementation relative à la recherche d’amiante
Question n° 1922 de M. Laurent Duplomb. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
défense de la ruralité et de ses traditions face aux menaces de disparition
Question n° 1815 de Mme Else Joseph. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Else Joseph.
contrôle du respect de la protection de l’environnement dans le cadre de constructions nouvelles
Question n° 1934 de M. Guy Benarroche. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
rénovation urbaine du bois-l’abbé
Question n° 1893 de M. Laurent Lafon. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Laurent Lafon.
prise en compte de l’élevage extensif dans le calcul de l’impact environnemental
Question n° 1917 de Mme Anne-Catherine Loisier. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; Mme Anne-Catherine Loisier.
publicité diffusée au moyen d’embarcations exploitées à cette fin sur les mers territoriales
Question n° 1924 de M. Philippe Tabarot. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Philippe Tabarot.
reconstruction des vallées de la vésubie, de la roya et de la tinée dans les alpes-maritimes
Question n° 1902 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
compétences de la métropole d’aix-marseille-provence
Question n° 1873 de Mme Marie-Arlette Carlotti. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
avenir des distributeurs automatiques de billets en zone rurale
Question n° 1750 de M. Jean Hingray. – Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
lutte contre la pêche illégale et développement de la filière de la pêche en guyane
Question n° 1955 de M. Georges Patient. – Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
Question n° 1874 de Mme Marie-Claude Varaillas. – Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
dotation globale de fonctionnement de la ville de saint-saulve
Question n° 1950 de M. Frédéric Marchand. – Mme Annick Girardin, ministre de la mer.
réglementation de la discipline du tir à l’arme réglementaire
Question n° 1939 de M. Michel Savin. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Michel Savin.
politique des appels à projets
Question n° 1957 de M. Pierre Ouzoulias. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Pierre Ouzoulias.
protection de l’enfant face à un parent violent
Question n° 1946 de M. Jean-François Rapin. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-François Rapin.
réseaux d’éducation prioritaire en zones rurales fragiles
Question n° 1904 de M. Olivier Rietmann. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Olivier Rietmann.
encadrement des stages de survie
Question n° 1883 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Yannick Vaugrenard.
salmonelles et éleveurs de volailles
Question n° 1900 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Gilbert-Luc Devinaz.
application du nutri-score aux fromages
Question n° 1895 de M. Alain Marc. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur de l’élevage pour les marchés de bétail vif
Question n° 1850 de M. Jean-Claude Anglars. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
situation de la forêt périgourdine
Question n° 1907 de M. Serge Mérillou. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement.
inquiétude de la filière d’appellation de la fourme de montbrison
Question n° 1889 de Mme Cécile Cukierman. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; Mme Cécile Cukierman.
élevage de la volaille de bresse et grippe aviaire
Question n° 1951 de M. Patrick Chaize. – Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement ; M. Patrick Chaize.
insuffisance des moyens affectés à la réanimation pédiatrique à paris et en île-de-france
Question n° 1409 de Mme Catherine Dumas. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Catherine Dumas.
avenir du centre 15 dans l’yonne
Question n° 1771 de Mme Dominique Vérien. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Dominique Vérien.
difficultés d’accès aux soins en orthophonie
Question n° 1876 de M. Bernard Fournier. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
contrats des médecins au sein des centres municipaux de santé
Question n° 1892 de M. Jean Sol. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Jean Sol.
conséquences pour les assurés sociaux des difficultés à pouvoir déclarer un médecin traitant
Question n° 1906 de Mme Anne Ventalon. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Anne Ventalon.
fermetures de lits d’hôpitaux et de lits de réanimation
Question n° 1910 de M. Sébastien Meurant. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Sébastien Meurant.
création d’un conseil national de la gynécologie médicale
Question n° 1615 de Mme Corinne Imbert. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Corinne Imbert.
la situation des dons d’organes en france
Question n° 1930 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
Question n° 1853 de M. Jean-Baptiste Blanc. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Jean-Baptiste Blanc.
prise en charge de médicaments contre la migraine
Question n° 1918 de M. Patrick Kanner. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.
Question n° 1884 de Mme Martine Filleul. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Martine Filleul.
hiérarchisation des indications d’immunoglobulines humaines polyvalentes
Question n° 1948 de Mme Catherine Deroche. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Catherine Deroche.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
3. La contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. – Débat thématique
M. Daniel Chasseing ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Else Joseph ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Guillaume Gontard ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Guillaume Gontard.
Mme Cécile Cukierman ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Cécile Cukierman.
M. Stéphane Demilly ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Éric Kerrouche ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Bruno Rojouan ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Daniel Salmon ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Daniel Salmon.
Mme Céline Brulin ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Évelyne Perrot ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Hervé Gillé ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Hervé Gillé.
Suspension et reprise de la séance
4. Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? – Débat thématique
M. Didier Mandelli ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Didier Mandelli.
M. Jacques Fernique ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Jacques Fernique.
M. Fabien Gay ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Fabien Gay.
M. Pierre-Antoine Levi ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Pierre-Antoine Levi.
M. Éric Gold ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Éric Gold.
M. Joël Bigot ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité ; M. Joël Bigot.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité.
Suspension et reprise de la séance
5. La perte de puissance économique de la France (notamment en termes de compétitivité, d’innovation et de recherche) et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat. – Débat thématique
M. Jacques Fernique ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises ; M. Jacques Fernique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
M. Pierre-Antoine Levi ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
Mme Guylène Pantel ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
Mme Florence Blatrix Contat ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
M. Dany Wattebled ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises ; M. Dany Wattebled.
M. Édouard Courtial ; M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
6. Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? – Débat thématique
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
Mme Cécile Cukierman ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Cécile Cukierman.
M. Pierre-Antoine Levi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
Mme Nathalie Delattre ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Jérôme Durain ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jérôme Durain.
M. Franck Menonville ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
Mme Muriel Jourda ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Muriel Jourda.
M. Thomas Dossus ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
compte rendu intégral
Présidence de M. Georges Patient
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
Mme Martine Filleul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 25 novembre 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
taxation des sites de gestion des déchets sur nos territoires
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, auteur de la question n° 1945, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de revenir sur la taxation des sites de gestion des déchets, qui constitue une problématique bien spécifique.
La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) frappe l’ensemble des sites où l’on gère des déchets polluants. Or, dans la pratique, cette absence de différenciation entre types de sites suscite de nombreuses interrogations.
L’exemple du site d’enfouissement des déchets inertes de Berbiac, dans la commune de Manses, en Ariège, est tout à fait parlant.
Cette installation, où les déchets font l’objet d’une valorisation énergétique par bioréacteur, comme dans d’autres installations conçues sur le même modèle, a nécessité pour les collectivités territoriales un investissement important, de l’ordre de 10 millions d’euros. Exploitée depuis quelques années, elle a fait l’objet en décembre 2019 d’un arrêté préfectoral qui a permis aux services de l’État de vérifier et de valider l’efficience du système.
De plus, un processus de veille et de suivi environnemental particulièrement efficace, piloté par les riverains et des experts indépendants, sous contrôle de la préfecture, permet de s’assurer en permanence de l’absence de conséquences sur la faune et la flore.
Il paraît donc peu compréhensible que cette installation soit taxée au taux maximum de TGAP, de la même manière que d’autres sites bien plus polluants. Nous trouvons injuste de taxer à un tel niveau un système de traitement choisi par des élus locaux en accord avec les services de l’État.
Comment ces difficultés pourraient-elles être prises en compte ? Quelle réforme pourrait être engagée, afin de réduire le taux de TGAP pour ces installations ? Ce taux pourrait rejoindre celui qui frappe les installations d’incinération, par exemple.
Par ailleurs, pour limiter les graves conséquences de cette taxe sur les collectivités territoriales, le Gouvernement compte-t-il mettre en place un dispositif de rétrocession à l’exploitant de la plus grande partie de son produit ? Ce dispositif pourrait prendre la forme d’un fonds de compensation de la TGAP en recettes d’investissement, similaire au fonds de compensation de la TVA (FCTVA).
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Jean-Jacques Michau, la composante de la TGAP portant sur les déchets constitue un axe important de la politique environnementale du Gouvernement. En effet, elle contribue au respect de la hiérarchie de traitement des déchets en incitant à leur valorisation, préférable à leur élimination par incinération ou par stockage.
Elle incite ainsi à la réduction des mises en décharge, ce qui est rendu nécessaire par le coût de celles-ci comme par la saturation des installations de stockage.
Dans ce cadre, conformément à la feuille de route de l’économie circulaire, la loi de finances pour 2019 a rationalisé et renforcé les taux de TGAP, avec pour objectif que le stockage et l’incinération ne soient en aucune circonstance moins onéreux que le recyclage des déchets. La réintroduction de différenciations dans les taux au bénéfice de certaines installations serait donc directement contradictoire avec cette démarche.
Toutefois, le Gouvernement ne méconnaît pas l’impact budgétaire que la TGAP peut avoir sur les collectivités territoriales. C’est pourquoi il a soutenu la mise en œuvre de mesures d’accompagnement financier.
Ainsi, parallèlement au renforcement de la TGAP par la loi de finances pour 2019, le législateur a ramené le taux de TVA à 5,5 % pour les opérations de prévention ou celles de collecte des déchets. Il a également fait passer de 8 % à 3 % les frais de gestion perçus par l’État sur la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour les cinq premières années au cours desquelles la part incitative est mise en œuvre. Des dispositifs budgétaires permettent également d’accompagner les collectivités territoriales dans leur transition écologique.
En outre, la création de nouvelles filières de responsabilité élargie du producteur, prévue par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite « loi AGEC », permet de transférer la charge de la gestion de certaines catégories de déchets vers les acteurs économiques qui les ont produits.
De même, la mise en place de modes de gestion des déchets plus favorables à l’environnement, comme l’extension du tri des emballages ou le déploiement du tri des biodéchets, est soutenue par le fonds « économie circulaire » de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), dans le cadre du plan de relance.
Enfin, la mise en place d’un fonds de compensation de la TGAP, sur le modèle du FCTVA, ne ferait pas de sens. En effet, en compensant de manière forfaitaire la TVA que les collectivités territoriales ont acquittée sur leurs dépenses d’investissement et certaines de leurs dépenses d’entretien, et qu’elles ne peuvent pas, à la différence des entreprises, récupérer par la voie fiscale, le FCTVA encourage un comportement vertueux en faveur de l’investissement.
À l’inverse, un dispositif similaire de récupération de la TGAP conduirait à abonder les installations les moins vertueuses, à rebours du principe pollueur-payeur qui sous-tend cette taxe.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Michau. Je regrette cette décision, qui pénalise les collectivités territoriales, monsieur le secrétaire d’État.
dépôts d’espèces par les régisseurs des communes
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, auteur de la question n° 1765, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
M. Bernard Buis. Si la question de la nouvelle carte des trésoreries a souvent été évoquée ici, monsieur le secrétaire d’État, c’est une interrogation complémentaire que je souhaite soumettre aujourd’hui. En effet, depuis la réorganisation territoriale des trésoreries, il est très difficile de déposer les fonds recueillis par les régisseurs des communes en l’absence d’une trésorerie proche.
Lors des fermetures des antennes, il avait été prévu que ces versements en numéraire puissent être faits au plus proche, éventuellement dans les agences postales communales. Or il apparaît que ces versements ne sont pas possibles, alors que, en période estivale, leurs montants peuvent s’élever à quelques milliers d’euros, avec la caisse des piscines municipales ou des campings, par exemple.
En conséquence, les régisseurs sont dans l’obligation d’aller jusqu’à une trésorerie désormais éloignée de leur commune. Ils parcourent ainsi plusieurs dizaines de kilomètres en transportant des espèces.
Il me semble important d’apporter une autre réponse, afin de ne pas transformer nos secrétaires de mairie en transporteurs de fonds. J’en prends pour exemple le régisseur qui part de La Motte-Chalancon pour aller à Nyons, parcourant 38 kilomètres, soit quarante-cinq minutes de trajet. À partir du 1er janvier 2022, il lui faudra aller de Lus-la-Croix-Haute à Crest, soit 83 kilomètres pour une heure et demie de route, c’est-à-dire une demi-journée pour effectuer l’aller-retour !
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je vous interroge sur la possibilité d’augmenter par dérogation, pour les collectivités locales, le montant maximum des dépôts en espèces, et sur la question de l’acceptation de ces dépôts par les agences postales proches des communes.
Faute d’évolution, il faudra prévoir un financement de ces transports d’espèces par des professionnels comme les convoyeurs de fonds, ou encore la possibilité de déposer ces fonds dans un bureau de tabac.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Bernard Buis, votre question me permet de rappeler que le nouveau réseau de proximité de la direction générale des finances publiques (DGFiP) constitue une réforme importante.
Comme son nom l’indique, ce nouveau réseau permet à l’administration des finances publiques d’agir au plus près de nos concitoyens, d’être à leur écoute et d’offrir à nos partenaires des collectivités territoriales des prestations de conseils, comptables et bancaires, par exemple, de plus grande qualité.
Cette réorganisation se fait de façon progressive et concertée avec l’ensemble des élus locaux. Il va de soi qu’elle ne doit pas altérer le travail des régisseuses et régisseurs que vous évoquez – je profite d’ailleurs de l’occasion que vous me donnez de parler d’eux pour saluer leur travail quotidien.
Certes, les régies ne peuvent plus déposer leurs espèces aux guichets des trésoreries, sauf dans les quelques caisses dites « résiduelles » encore ouvertes, mais ils peuvent le faire, et dans de très bonnes conditions de dépôt et de retrait d’argent, dans les bureaux de poste.
En effet, la réduction du nombre de caisses de trésorerie est très largement compensée par l’accroissement du nombre de bureaux de poste partenaires. Presque 3 600 bureaux accueillent aujourd’hui les régies pour ces opérations en espèces. C’est bien plus que les quelque 2 000 trésoreries, avant même leur réorganisation. La prestation offerte par la Banque postale est à cet égard tout à fait satisfaisante.
Cette amélioration repose non seulement sur une plus grande accessibilité des régies, permise par un maillage territorial renforcé, mais aussi sur des conditions de réalisation du service meilleures qu’aujourd’hui, notamment en termes d’amplitude horaire.
Par exemple, les dépôts peuvent aller jusqu’à 30 000 euros dans des sacs scellés et sécurisés, contrairement à ce qui se faisait auparavant dans les trésoreries, et ils peuvent être effectués au rythme auquel celles-ci le souhaitent. C’est un service que l’État prend entièrement à sa charge. Il est vrai, toutefois, que nous leur conseillons d’éviter de déposer des sacs pour de la menue monnaie, car cela ne sert pas à grand-chose.
Vous évoquiez les caisses des piscines municipales. Beaucoup d’usagers des piscines, notamment pendant les vacances, paient leur entrée en espèces. Pourtant, ces mêmes usagers utilisent très facilement le paiement sans contact, en toute confiance, pour leurs paiements de tous les jours chez les commerçants.
Nous invitons donc les régies municipales à se doter de ces moyens d’encaissement du quotidien, pour faciliter le paiement par carte bancaire. La mise à disposition d’un paiement dématérialisé relève d’une obligation réglementaire et évite d’avoir à se déplacer dans les bureaux de poste pour de la petite monnaie ; en tout cas, cela réduit la fréquence de ces déplacements.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour la réplique.
M. Bernard Buis. Monsieur le secrétaire d’État, le problème est que les agences postales communales ne peuvent encaisser que 500 euros par semaine, ce qui est relativement peu par rapport aux encaissements de menue monnaie dans les campings et les piscines municipales.
Nous devons trouver une solution, car la dématérialisation des paiements que vous évoquez n’est pas encore pour demain dans nos campagnes. Aujourd’hui, nos régisseurs sont, malheureusement, transformés en convoyeurs de fonds.
fiscalité des travailleurs frontaliers au grand-duché de luxembourg
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la question n° 1877, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernement a signé le 20 mars 2018 une convention bilatérale entre la France et le Luxembourg qui est destinée à traiter des questions fiscales pour les particuliers et les entreprises. Elle remplace celle qui était en vigueur auparavant, qui avait été signée en 1958.
À l’instar de Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au budget, de nombreux experts de la fiscalité ont tiré le signal d’alarme sur le risque évident de majoration d’impôt induite par le nouveau mode de calcul – risque bien réel, contrairement à ce que des parlementaires de votre majorité ont affirmé.
Le 10 octobre 2019, votre gouvernement signait donc un avenant à la convention pour revenir sur la méthode d’exonération. Cet avenant est entré en vigueur pour les revenus de l’année 2020. L’administration fiscale, accusée publiquement par des élus de votre majorité d’être responsable des conséquences de leurs propres décisions, a mis en œuvre les modalités d’imposition prévues par le législateur.
Selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) en Moselle, ce sont 25 000 dossiers qui doivent actuellement être revus, et non pas ceux d’un contribuable sur 200, comme l’affirme un rapport rédigé sous l’égide de la majorité parlementaire. Au passage, l’intersyndicale des finances publiques, dont les membres, en général, savent compter, n’évoque pas moins de 100 000 dossiers à reprendre !
Le 1er octobre 2021, le Gouvernement a suspendu cette convention pour deux ans, et l’administration invite par écrit près de 100 000 contribuables à demander la correction de leur imposition en déclarant un revenu net de charges et impôts luxembourgeois.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que ces dispositions n’incitent pas les contribuables à contrevenir à plusieurs principes fondamentaux de notre droit ?
L’avenant stipule que l’impôt luxembourgeois n’est pas déductible des revenus. Aussi comment allez-vous inscrire dans un cadre légal et pérenniser cette instruction donnée à votre administration ? Pouvez-vous nous affirmer que vous ne créez pas une situation d’inégalité avec nos compatriotes frontaliers en Allemagne ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Jean-Marc Todeschini, comme vous l’indiquez, le Gouvernement a récemment annoncé des mesures exceptionnelles pour l’ensemble des foyers fiscaux percevant des revenus de source luxembourgeoise.
La nouvelle convention franco-luxembourgeoise permet de moderniser la méthode d’élimination de la double imposition pour les résidents de France percevant des revenus de source luxembourgeoise, pour tenir compte des standards de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’ancienne méthode d’élimination de la double imposition concernait les rémunérations de source publique, pensions de sécurité sociale et revenus fonciers de source luxembourgeoise, en retenant la méthode dite « de l’exemption ».
Cette méthode d’élimination, qui n’était plus conforme aux standards de l’OCDE, pouvait aboutir, dans certaines situations, à une double exonération d’impôt injustifiée, notamment par rapport aux contribuables soumis à des conventions respectant les standards de l’OCDE.
La nouvelle convention fiscale prévoit donc que les revenus de source luxembourgeoise donnent droit à un crédit d’impôt égal à l’impôt français. Cela permet de neutraliser effectivement toute forme de double imposition.
Le passage d’une méthode à l’autre peut toutefois avoir une incidence sur le taux d’imposition appliqué aux autres revenus perçus en France. Dans certaines situations, comme vous l’avez dit, l’application de cette nouvelle convention peut entraîner des augmentations d’impôts par rapport à la situation antérieure.
Afin de préciser l’ampleur de cette incidence pour les contribuables, le Gouvernement procède à une évaluation complémentaire de l’impact du changement de méthode d’élimination de la double imposition. Dans l’attente des résultats de cette évaluation, qui sera présentée au Parlement, les foyers concernés pourront exceptionnellement demander, pour ce qui concerne l’élimination de la double imposition, l’application des stipulations de l’ancienne convention.
Ces mesures exceptionnelles, annoncées le 1er octobre 2021, ont été précisées par une instruction fiscale, publiée le 11 octobre 2021 et dont peuvent se prévaloir les contribuables concernés, ainsi que par une communication adressée par la DGFiP le 12 octobre 2021 à l’ensemble des services locaux concernés et détaillant l’ensemble des modes opératoires nécessaires à la traduction de cette annonce.
Le traitement des opérations de régularisation sera réalisé par le service des impôts des particuliers. Nous verrons, une fois l’impact du changement de méthode précisément documenté et communiqué au Parlement, les suites qu’il conviendra, le cas échéant, d’apporter.
À ce stade, les mesures exceptionnelles concernent l’imposition des revenus de 2020 et 2021.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour la réplique.
M. Jean-Marc Todeschini. Dur métier que celui de secrétaire d’État, quand il faut répondre à propos d’un sujet que l’on ne traite pas soi-même ! (Sourires.)
Votre réponse, bien sûr, ne me satisfait pas du tout. Les contribuables ne doivent pas être pris dans ce jeu de dupes, avec un retour à la convention initiale dès les élections passées !
Nous étions censés avoir affaire à un gouvernement de professionnels… Aussi, comment se fait-il qu’aucune simulation n’ait été réalisée avant que cette convention ne soit signée ?
arrêt brutal du mécanisme de soutien financier destiné aux petites et moyennes entreprises s’impliquant en normalisation
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, auteur de la question n° 1908, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Thierry Cozic. Monsieur le secrétaire d’État, les normes volontaires sont partout, jusque dans la vie quotidienne.
Il en est ainsi, par exemple, du format du papier à lettres, du format des prises de chargeurs de téléphones portables ou du format de compression audio et vidéo MPEG, pour Moving Picture Experts Group. On compte actuellement en France environ 35 000 normes publiées, reconnaissables aux indicatifs sous lesquels elles sont enregistrées.
Ces normes sont destinées à fournir des règles de conduite ou des bonnes pratiques dans des domaines extrêmement variés de l’activité des entreprises auxquelles elles s’adressent essentiellement.
Je souhaite aujourd’hui vous alerter sur l’arrêt brutal du mécanisme de soutien financier destiné aux PME s’impliquant dans la normalisation et mis en œuvre par la sous-direction de la qualité pour l’industrie et de la normalisation (Squalpi).
L’arrêt de ce dispositif entraînera un retrait important de certaines professions dans le domaine de la normalisation, alors même que le montant de l’aide financière et sa durée étaient deux éléments contribuant positivement à la décision d’un dirigeant de PME de s’y impliquer.
Le dispositif Squalpi permet d’accompagner de manière efficiente nos PME, tout en leur garantissant une compétitivité réelle. Je tiens à dire que le crédit d’impôt recherche (CIR), présenté comme le véhicule budgétaire suppléant à ce dernier, n’est pas le dispositif idoine pour encourager et accompagner nos PME dans le processus de normalisation.
Aussi, il eût été judicieux d’introduire par voie d’amendement gouvernemental au projet de loi de finances la réinstauration de ce dispositif vertueux, qui s’inscrit pleinement dans les objectifs gouvernementaux du programme France Relance.
Cela n’a pas été fait, et, en raison du rejet de l’article d’équilibre voté par mes collègues de la majorité sénatoriale, l’occasion ne m’a pas été donnée de proposer un tel amendement au Sénat. Pourtant, la réintroduction de ce dispositif serait naturellement perçue comme un signal fort pour nos industriels qui œuvrent à proposer une relance des plus fortes.
Il faut donc réintroduire une nouvelle version de ce mécanisme de soutien, qui devra nécessairement s’inscrire dans la durée – trois ans, dans l’idéal, avec des possibilités de prolongation –, du fait de la temporalité spécifique liée au processus de rédaction des normes européennes et internationales.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, prendre un tel engagement aujourd’hui devant la représentation nationale ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Thierry Cozic, comme vous le soulignez, afin de renforcer l’implication des PME dans la normalisation, la direction générale des entreprises (DGE) a mis en place en 2007 un programme de soutien financier à des groupements sectoriels de PME désireuses de participer aux travaux de normalisation européens et internationaux.
L’État apportait à ces entreprises une subvention pouvant couvrir jusqu’à 50 % des frais de déplacement suscités par la participation de leurs experts aux réunions.
Entre 2007 et 2007, une soixantaine de projets ont ainsi pu être accompagnés, pour un montant d’environ 9 millions d’euros, dans des secteurs concernant plus de 250 000 PME.
L’érosion progressive des demandes a conduit la direction générale des entreprises à clôturer ce dispositif, qui semblait avoir assuré sa mission d’initiation auprès d’entreprises peu familières de la normalisation et encore mal outillées pour y prendre une part active et profitable.
Toutefois, les PME ne sont pas privées de solutions pour réduire la charge financière que représente leur participation aux travaux de normalisation. En effet, l’article 8 du décret n° 2009-697 relatif à la normalisation prévoit que les PME sont exonérées de participation aux frais d’élaboration des normes au sein des commissions de normalisation. Cette disposition a été confirmée lors de la révision, le 10 novembre 2021, de ce décret.
Les PME ne conservent donc à leur charge que les frais liés à leur personnel s’engageant dans les travaux. Pour ces frais, elles peuvent bénéficier du CIR, qui rend éligibles les dépenses engagées au titre de leur participation à des travaux de normalisation.
Les dernières données étudiées en 2016 ont mis en évidence que plus de 250 TPE ou PME avaient bénéficié du CIR au titre de la normalisation. C’est là un flux de bénéficiaires sensiblement plus dynamique que celui qui a été engagé par le dispositif Squalpi.
La commodité du mécanisme déclaratif du CIR, dont les usagers peuvent de surcroît demander simultanément la prise en compte de leurs dépenses de recherche et développement, apparaît comme un réel facteur d’attractivité et d’efficacité pour ces entreprises.
Je souligne aussi que, depuis l’extension des mécanismes de subvention, nous n’avons pas observé de diminution du nombre de PME siégeant dans les commissions de normalisation. Ces éléments constituent donc un cadre très encourageant pour que les TPE et PME s’engagent dans ces travaux et y défendent leurs intérêts.
projet de liaison ferroviaire roissy-picardie
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, auteur de la question n° 1834, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Stéphane Demilly. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne le projet de barreau Creil-Roissy. Jusqu’ici, ce projet de ligne ferroviaire, destiné à faciliter la mobilité entre l’Île-de-France et la Picardie, était, si j’ose dire, sur de bons rails. (Sourires.)
Au mois de septembre 2020, le ministère de la transition écologique avait officiellement annoncé une mise en service en 2025. Élus et usagers picards s’en sont réjouis : le barreau Creil-Roissy, qui est inscrit dans le projet de loi d’orientation des mobilités, est attendu dans la région depuis plus de vingt ans…
On estime que près de 4 millions de voyageurs emprunteront annuellement la liaison dès sa mise en service, dont plus des deux tiers pour leurs transports du quotidien.
Pour Amiens, la liaison va ouvrir la ville au réseau à grande vitesse. C’est une ouverture, d’une part, vers l’est et le sud-est de la France – je pense par exemple à des villes comme Strasbourg, Lyon ou Marseille –, sans changement à Paris, et, d’autre part, à un nouveau bassin d’emplois pour les Amiénois et, inversement, aux compétences et aux atouts de notre grande ville picarde pour les Franciliens.
Je salue d’ailleurs la ténacité des élus locaux, dont Brigitte Fouré, maire d’Amiens, pour l’aboutissement de ce chantier ferroviaire.
Travailleurs, touristes et investisseurs… Tous attendent avec intérêt la mise en place du barreau de liaison Roissy-Picardie. Mais, car il y a un « mais », alors que l’arrêté préfectoral déclarant le projet d’utilité publique était annoncé pour le mois de juillet, nous attendons toujours sa publication.
On parle aujourd’hui d’une publication au mois de décembre. Il ne faudrait pas que la mise en service promise en 2025 soit une fois de plus repoussée, d’autant que, lors de sa venue à Amiens voilà une semaine, le Président de la République a réaffirmé que les délais seraient tenus.
Qu’en est-il concrètement aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Stéphane Demilly, vous interrogez le Gouvernement sur l’état d’avancement du projet de barreau ferroviaire Creil-Roissy, également connu sous le nom de liaison ferroviaire Roissy-Picardie. En tant qu’ancienne rapporteure à l’Assemblée nationale du projet de loi d’orientation des mobilités sur le volet infrastructures, je sais l’attachement des élus et des acteurs du territoire à ce projet.
Vous l’avez souligné, le dossier est hautement prioritaire pour le Gouvernement. Le Président de la République l’a lui-même rappelé lors d’un déplacement à Amiens le 22 novembre dernier. Je crois que nous pouvons nous en réjouir.
Vous le rappelez à juste titre, le projet est essentiel pour le développement économique du territoire concerné. Il répond aux besoins de dizaines de milliers de travailleurs qui se rendent quotidiennement dans ce premier bassin d’emploi qu’est Roissy.
L’enquête publique s’est bien déroulée du 23 février 2021 au 6 avril 2021, et la commission d’enquête a rendu un avis favorable au projet le 13 mai 2021, avec toutefois une réserve, vous le savez, sur les nuisances sonores et visuelles pour les territoires traversés.
Cette réserve doit donc être levée pour que le préfet puisse prendre l’arrêté de déclaration d’utilité publique. Pour cela, nous devons collectivement renforcer l’acceptabilité du projet pour les communes traversées. C’est ce à quoi les services du ministère chargé des transports et SNCF Réseau travaillent évidemment d’arrache-pied avec le préfet du Val-d’Oise. Vous savez que la bonne réalisation du projet en dépend. Nous souhaitons que l’arrêté puisse être pris dans les prochaines semaines une fois la réserve levée.
Parallèlement, je vous confirme que les études se poursuivent et le projet ne souffre d’aucun retard à ce jour. L’engagement des premiers travaux est donc prévu dès 2022, dans le respect des objectifs de calendrier fixés par le Président de la République.
spécificité des bacs fluviaux à passager et droit de l’union européenne
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1856, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Pascal Martin. Madame la secrétaire d’État, la directive de l’Union européenne de 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la navigation intérieure doit être transposée en droit français au plus tard le 17 janvier 2022. Elle va faire évoluer les conditions d’entrée dans la profession et profondément modifier le cadre d’exercice à compter de cette date.
Sur le principe, les certificats de conduite délivrés avant le 17 janvier 2022 restent valides et pourront être échangés contre un certificat de qualification de niveau 5 pendant dix ans.
Cependant, leur renouvellement au-delà de cette période et le recrutement de nouveaux mariniers dès le mois de janvier 2022 impliqueront des exigences supplémentaires en temps de navigation.
Or ces exigences sont exorbitantes au regard de la spécificité des six bacs fluviaux, qui effectuent une traversée de la Seine de très courte distance, entre 200 mètres et 300 mètres, et de courte durée, entre trois minutes et quatre minutes, avec une capacité réduite de passagers et de véhicules légers.
Compte tenu des importants enjeux sociaux et économiques, et dans un souci de continuité et de pérennité du service public des bacs fluviaux sur la Seine entre Rouen et l’estuaire, je souhaiterais savoir si la spécificité des bacs fluviaux à passager sera prise en compte dans la transposition de la directive.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Pascal Martin, la directive européenne sur laquelle vous avez souhaité attirer notre attention a trois objectifs majeurs, que nous pouvons, me semble-t-il, collectivement saluer : tout d’abord, garantir une reconnaissance commune des qualifications fondée sur les compétences qui sont nécessaires à bord des bateaux ; ensuite, renforcer le marché de la navigation intérieure en facilitant la mobilité des travailleurs ; enfin, garantir que les exigences en matière de gestion des risques soient proportionnées à leur objectif de sécurité.
À terme, la valorisation des compétences des métiers de la navigation fluviale renforcera leur attractivité et permettra le renouvellement du vivier, en attirant, nous l’espérons, de jeunes et nouveaux candidats.
Les bacs que vous évoquez entrent dans le champ des types de bâtiments recensés dans la directive, et cela sans marge d’interprétation à cet égard.
Néanmoins, il est effectivement utile de rappeler que le niveau d’exigences en matière de qualification dépendra des risques spécifiques identifiés pour le transport considéré.
La directive propose de fonder la reconnaissance des qualifications professionnelles sur des exigences obligatoires sur toutes les voies de navigation intérieure de l’Union européenne, y compris le Rhin, qui devront être respectées par tous les membres d’équipage. Ces exigences requises nécessaires à l’exploitation d’un bateau incluent un référentiel de compétences liées aux différentes fonctions exercées à bord et à certaines situations spécifiques. On pense par exemple à la navigation à caractère maritime ou pour les grands convois.
Or ce niveau d’exigence au titre des bacs ne sera pas le plus élevé imposé par la directive. Vous l’avez indiqué, les certificats des conducteurs obtenus avant le 17 janvier 2022 seront encore valables pour dix ans. Cette période de transition, qui est instaurée par la directive elle-même, doit permettre d’anticiper les difficultés dans la mise en œuvre du texte.
Évidemment, nous sommes tous conscients de la nécessité d’accompagner l’ensemble des professionnels de la voie d’eau. Un groupe de travail est mis en place ce 30 novembre entre les professionnels et les services du ministère chargé des transports pour apporter des solutions aux difficultés pouvant découler de l’application de la directive.
Nous veillerons, je vous le garantis, à ce que l’ensemble des activités fluviales ne soient pas perturbées par la transposition.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.
M. Pascal Martin. Madame la secrétaire d’État, vous le comprendrez, votre réponse ne me satisfait pas totalement.
À mon sens, la directive européenne devrait prendre en compte les spécificités des territoires. Ainsi que je l’ai précisé dans ma question, les six bacs fluviaux organisés par le conseil départemental de la Seine-Maritime effectuent avec peu de passagers des traversées de 200 mètres à 300 mètres, d’une durée comprise entre trois minutes et quatre minutes.
J’ose espérer que de telles spécificités seront prises en compte dans la transposition française, afin d’assurer la continuité de ce service public particulièrement apprécié des habitants de notre département, la Seine-Maritime.
entreprises de transport cyclable de tourisme
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1879, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Agnès Canayer. Nouvelle mobilité de substitution, madame la secrétaire d’État, le transport touristique de personne par vélo est particulièrement écologique. C’est pourquoi il se développe de plus en plus, notamment dans les grandes villes.
Lancée au mois de juin 2021 au Havre, la jeune entreprise T’tuktuk? organise des circuits touristiques pour faire découvrir la ville à travers des parcours commentés grâce à des véhicules 100 % électriques. Pour exercer son activité, elle a bénéficié d’une autorisation d’occupation du domaine public, que la ville du Havre a été contrainte de lui retirer.
En effet, selon l’interprétation des services de l’État, l’entreprise relève du statut des taxis-motos, donc du code des transports. Cette classification étonnante et propre à la Seine-Maritime impose à T’tuktuk? de nombreuses contraintes, comme l’obligation pour les conducteurs de passer le permis B ou de suivre une formation de trois mois.
Ce rattachement interprétatif méconnaît la spécificité de l’activité de T’tuktuk?, qui est non pas le transport de personnes d’un point à un autre, mais bien la visite de loisirs et de tourisme selon des circuits définis.
Une telle situation est d’autant plus contradictoire que la réglementation ne s’applique pas aux entreprises similaires à Bordeaux, Limoges ou d’autres villes, où les véhicules concernés sont assimilés à de petits trains touristiques.
Aussi, le Gouvernement peut-il clarifier et harmoniser la réglementation liée au transport touristique de loisirs avec circuits définis, comme pour l’entreprise T’tuktuk?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Agnès Canayer, vous m’interpellez sur les règles applicables aux activités de transport de personnes à titre onéreux avec des véhicules motorisés d’une puissance supérieure à 0,25 kilowatt à trois roues, communément appelés « tuk-tuks », qui relèvent bien du cadre du transport public particulier de personnes (T3P), et ce même si elles sont assorties de commentaires touristiques.
Au niveau réglementaire, elles sont donc soumises aux dispositions des articles R. 3123-1 à R. 3121-5 du code des transports, applicables pour l’exploitation de véhicules motorisés à deux ou trois roues et d’une puissance supérieure à 0,25 kilowatt utilisés pour le transport de personnes.
Le cadre juridique en vigueur est donc défini et précis. Il répond à deux principaux objectifs : d’une part, assurer la sécurité nécessaire pour les passagers et les autres usagers de la route s’agissant d’une activité de transport de personnes ; d’autre part, garantir des conditions de concurrence équilibrées entre les différents opérateurs de transport.
C’est donc à ce titre que les conducteurs de ces véhicules doivent posséder une carte professionnelle pour les véhicules motorisés à deux ou trois roues, que les opérations entrent dans le cadre de la réservation préalable et que les véhicules sont tenus de respecter la signalétique définie par le code des transports.
Je vous le confirme, le Gouvernement n’envisage pas de faire évoluer le cadre juridique, qui apparaît adapté aux enjeux, évoqués à l’instant, de sécurité et de concurrence équilibrée.
Pour prévenir toute différence de traitement, ces règles ont été rappelées aux préfets en vue de veiller à leur bonne application sur l’ensemble du territoire national.
Il me paraît important de le souligner, les exploitants de petits trains routiers touristiques que vous mentionnez relèvent du transport collectif de personnes. À ce titre, ils doivent être inscrits au registre des transporteurs publics. Et s’ils sont dispensés des exigences de capacité professionnelle et financière, ils restent soumis aux exigences requises d’honorabilité et d’établissement.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Madame la secrétaire d’État, là encore, votre réponse ne nous satisfait pas.
Nous comprenons évidemment les impératifs de sécurité relatifs au transport des personnes. Néanmoins, comparer des entreprises de transport de vélos électriques de personnes avec des capacités réduites comme T’tuktuk? à des transports publics et les distinguer du statut des petits trains touristiques dont ils se rapprochent ne nous paraît ni satisfaisant ni conforme aux enjeux des territoires et du développement de modes de tourisme de substitution.
prolongement du dispositif alvéole
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, auteur de la question n° 1880, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Olivier Henno. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le dispositif de subventions Alvéole.
Ce programme au service des communes, qui vise à financer des abris vélo et des actions de sensibilisation, est animé par la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) et par le cabinet ROZO. En effet, nombreux sont les élus locaux qui considèrent comme essentiel de développer les modes de transport de déplacement doux pour apporter leur pierre à la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi pour améliorer la qualité de vie dans leur commune, mieux respirer et mieux vivre.
Des communes du département du Nord, mais sans doute aussi beaucoup d’autres, ont passé commande de box à vélos auprès de fournisseurs. Je pense à la ville de Lambersart, dont le maire, Nicolas Bouche, s’est adressé à un fournisseur de Nantes dans le courant de mai 2021.
Cependant, l’entreprise ne peut honorer cette commande dans le délai permettant de bénéficier de la subvention.
La faute incombe à une forte demande et à la pénurie actuelle de matières premières, notamment – ce n’est un secret pour personne – l’acier. Cette commune s’est alors rapprochée du dispositif Alvéole pour tenter d’obtenir de sa part un sursis en rapport avec l’allongement important des délais des fournisseurs. Mais elle n’obtient pas de réponse satisfaisante pour l’instant.
Je souhaite donc interpeller le Gouvernement, au nom de l’ensemble des communes du Nord pour qu’Alvéole soit prolongé jusqu’à la fin de l’année. Le dispositif est intéressant, et toutes les communes devraient pouvoir en profiter si elles ont effectué les démarches dans les délais impartis.
Aussi, est-il possible que le Gouvernement intervienne en faveur d’un assouplissement du dispositif Alvéole au profit de la commune de Lambersart, mais aussi de beaucoup d’autres, donc au bénéfice du développement durable et de la lutte contre le réchauffement climatique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Olivier Henno, le programme Alvéole, mis en œuvre dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) et piloté par la FUB et la société ROZO, vise notamment à implanter des stationnements sécurisés pour les vélos par les collectivités, les bailleurs sociaux et les établissements scolaires.
Au mois de juin 2021, le programme a permis d’installer plus de 10 000 places de stationnements pour les vélos. Le programme Alvéole se terminera le 31 décembre 2021.
Le programme Alvéole+, doté de 35 millions d’euros, poursuivra et amplifiera les actions jusqu’à la fin de l’année 2024. Il a été élaboré sur les mêmes principes que le programme Alvéole, avec un dépôt de dossier, une instruction d’éligibilité et une aide CEE, en apportant une aide renforcée pour accompagner la mise en place des zones à faibles émissions mobilité.
Pour être accompagnés par le programme Alvéole, il était attendu que les porteurs de projet déposent avant le 12 novembre 2021 les pièces justificatives pour solliciter l’aide CEE. Les dossiers déposés qui n’auront pu être réalisés dans les délais à la suite d’une pénurie de matériaux seront examinés prioritairement dans le cadre du programme Alvéole+.
Depuis plusieurs mois, nous avons été alertés sur la situation de pénurie internationale des matières premières touchant tout particulièrement le secteur du vélo, tant pour l’achat d’un vélo à assistance électrique que pour l’installation des stationnements.
J’en viens à la commune du département du Nord sur laquelle vous m’interpellez. Compte tenu du fait que la commande a été émise en mai 2021 et qu’elle n’a pas été honorée du fait de la pénurie de matières premières, ce projet sera examiné prioritairement dans le nouveau programme Alvéole+. Son porteur, la FUB, s’est engagé à répondre rapidement aux demandeurs qui s’étaient manifestés dans Alvéole.
Enfin, je vous confirme l’engagement du Gouvernement en faveur du programme Alvéole+, qui commencera dès 2022, pour placer le vélo au cœur des habitudes et du quotidien des citoyens.
surcoût des routes lié à la nouvelle réglementation relative à la recherche d’amiante
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, auteur de la question n° 1922, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, comme je lutte de manière régulière contre les normes idiotes en général, je voudrais vous faire part d’une nouvelle norme idiote qui va toucher notre pays.
Par décret du 4 mai 2012, une norme avait été mise en place pour imposer la recherche d’amiante dans les chaussées. Cela se faisait de façon régulière par un carottage de l’ensemble de la chaussée, donc par une mesure portant sur l’ensemble des composantes de celle-ci, comme le bitume et les différents agrégats. Ainsi, dans mon département, plus de 1 000 kilomètres ont été analysés, pour un coût de 400 000 euros.
Toutefois, malheureusement, en 2019 un arrêté a été pris modifiant cette norme. Elle ne pourra plus être conduite uniquement par le département et ses services, puisqu’il faudra passer par une personne référente, qui aura un caractère particulier. De plus, l’analyse ne pourra plus être faite sur l’ensemble de la chaussée, c’est-à-dire le bitume et les agrégats. Il faudra réaliser une analyse pour chaque catégorie.
Cela signifie, par définition, que le carottage continuera de se faire et que les surcoûts des analyses seront plus importants. Selon les estimations, les 2 400 kilomètres de routes qu’il reste à expertiser dans le département de la Haute-Loire coûteront plus d’un million et demi d’euros.
Madame la secrétaire d’État, dans un pays comptant plus de 3 000 milliards d’euros de dette, les collectivités locales devront-elles encore mettre la main à la poche de manière extrêmement importante pour continuer de faire des analyses qui ne servent pas à grand-chose ? Je le rappelle, sur les 1 000 kilomètres que le département a déjà analysés, il n’a été trouvé aucune trace d’amiante… Avons-nous besoin d’augmenter encore plus ces analyses ?
Par ailleurs, les départements pourront-ils continuer de le faire ? Ou faudra-t-il en plus passer par un prestataire de services ? Ce point n’est pas précisé dans la circulaire… Comment tout cela va-t-il se passer ?
M. le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Laurent Duplomb. J’espère que, à l’avenir, vous pourrez faire modifier la norme, afin de rendre tout cela plus simple.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Laurent Duplomb, vous nous interpellez sur les nouvelles dispositions relatives à la recherche d’amiante dans les matériaux de chaussées.
Depuis 1993, les maîtres d’ouvrage de chantiers du BTP sont effectivement tenus par une obligation spécifique d’évaluation des risques, notamment le risque d’exposition aux fibres d’amiante, pour assurer la protection de l’ensemble des travailleurs qui interviennent sur ces opérations.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la question !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Le législateur et le pouvoir réglementaire ont souhaité préciser le cadre juridique visant à répondre à cet objectif prioritaire de santé publique.
Ce cadre, vous le connaissez : la loi du 8 août 2016 fonde l’obligation légale de repérage ; elle a été complétée par le décret du 9 mai 2017 relatif au repérage de l’amiante avant certaines opérations, qui en précise notamment le champ d’application, en dressant la liste des six domaines d’activité relevant de ladite obligation ; enfin, en complément, l’arrêté du 1er octobre 2019 a défini les compétences attendues des laboratoires.
Désormais, il reste à publier les deux arrêtés relatifs au domaine des immeubles non bâtis.
M. Laurent Duplomb. C’est là le problème !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Parmi ces arrêtés, celui qui concernera les ouvrages de génie civil et les infrastructures de transport rendra effectivement obligatoire la norme NF X46-102.
Ces arrêtés sont indispensables, me semble-t-il, pour fixer le cadre des responsabilités des différents protagonistes d’une mission de recherche de l’amiante, qu’il s’agisse du donneur d’ordre, de l’opérateur de repérage ou du laboratoire d’analyses, mais aussi pour aider les donneurs d’ordre à répondre à leurs propres obligations.
J’y insiste : ce cadre juridique est effectivement plus sécurisant pour les donneurs d’ordre et notamment pour les départements.
Certes, la présence potentielle d’amiante exige des précautions indispensables, qui sont à la charge de ces donneurs d’ordre, notamment la réalisation d’opérations de repérage, telles qu’elles sont décrites dans le nouveau référentiel.
Toutefois, les surcoûts qui en résultent sont limités. À ce jour, ils sont évalués à près de 2,5 % du montant d’une opération de travaux.
Afin de prendre en compte l’évolution de ces dispositions, le projet d’arrêté prévoit d’accorder un délai de mise en œuvre, qui laisserait aux donneurs d’ordre le temps de s’organiser et intégrerait le délai de formation des opérateurs de repérage.
défense de la ruralité et de ses traditions face aux menaces de disparition
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, auteure de la question n° 1815, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.
Mme Else Joseph. Madame la secrétaire d’État, nous assistons, ces dernières années et surtout ces derniers mois, à des remises en cause fréquentes de la vie rurale et des modes de vie traditionnels, pourtant ancrés.
Rien n’a été épargné. On croyait certaines traditions protégées : elles sont non seulement attaquées, mais elles passent parfois sous les fourches caudines du juge.
Ainsi, le chant du coq est menacé. Combien de temps encore cet animal pourra-t-il chanter ? Les sonneries des cloches sont, elles, contestées ; visiblement, elles dérangent certains néoruraux.
Récemment encore, les atermoiements du Conseil d’État sur certaines chasses traditionnelles, comme la tenderie aux grives dans mon département des Ardennes, ne semblent plus mettre de borne à cette fièvre déconstructrice.
Les habitants de ces territoires sont inquiets : ils se demandent quelle sera la prochaine étape. C’est, pour eux, une véritable préoccupation.
Loin de moi l’idée d’opposer le monde rural au monde urbain. Je m’inscris en faux contre ce manichéisme qui dresserait la campagne contre la ville, mais la vie de nos campagnes ne doit pas être détruite au nom de certaines lubies, qui manifestent une incompréhension radicale de la ruralité.
La crise a révélé de nouveaux choix en termes de cadre de vie. L’attrait pour la campagne est plus fort que jamais. Encore faut-il tenir compte de ceux qui y vivent. La ruralité n’est pas une terre sauvage, non plus qu’une zone vierge qui n’aurait pas été façonnée par le travail plus que millénaire de l’homme. Je vous remercie de reconnaître la valeur du patrimoine rural, fruit de ces générations qui nous ont précédés.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures envisagez-vous de prendre pour protéger la ruralité et, comme aurait dit Georges Pompidou, pour cesser d’embêter les Français en opposant les ruraux aux urbains ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Else Joseph, vous nous interpellez sur la richesse de nos terroirs, de nos traditions et de nos territoires. Ce n’est pas la Haut-Marnaise qui vous parle qui démentira l’existence de ce patrimoine naturel et culturel, que nous chérissons.
Ces traditions font en effet partie intégrante du patrimoine dont notre pays a hérité et sur lequel il s’est construit, au travers de son histoire.
Le Gouvernement s’attache à faire vivre cette ruralité et ses habitants, grâce aux programmes que vous connaissez et aux élus qui les font vivre. Je pense en particulier aux Petites Villes de demain ou encore au fonds Friches, qui vise à revitaliser des zones industrielles délaissées en ville comme à la campagne.
La création, en 2019, de l’Agence nationale de la cohésion des territoires vient soutenir cette ambition, et d’importants financements sans précédent, issus du plan de relance, appuient cette politique.
Malheureusement, les campagnes sont également les premiers témoins des pertes de biodiversité. Le suivi des populations d’oiseaux communs illustre cette tendance à la baisse : en moins de trente ans, le nombre de ces derniers a chuté de 30 %.
Au travers notamment du label Territoires engagés pour la nature, l’État valorise les actions et l’engagement des collectivités territoriales qui agissent en faveur de la biodiversité.
Par ailleurs, vous évoquez, madame la sénatrice, la question des chasses traditionnelles. Comme vous le savez, le Conseil d’État a annulé, en août 2021, les arrêtés pris par le ministère de la transition écologique au motif d’une non-conformité avec la directive européenne Oiseaux de 2009.
Au regard de cette décision, le ministère a renforcé la motivation de ses arrêtés publiés le 12 octobre dernier. Le 25 octobre, ces derniers ont été suspendus en référé par le Conseil d’État, dont le jugement sur le fond est à venir.
À l’instar de la politique que j’entends mener à l’égard de ces chasses traditionnelles, ce jugement devrait être très simple : nous devons respecter le cadre européen fixé par la directive Oiseaux ; nous devons surveiller l’évolution des populations d’oiseaux ; nous devons, enfin, contrôler les pratiques, en particulier leur sélectivité. Il importe vraiment de rester dans ce cadre et de ne pas laisser s’installer le sentiment que ces pratiques traditionnelles porteraient une quelconque atteinte au bien-être ou à l’image de ces territoires.
Nous nous inscrivons simplement dans un cadre que tout le monde conçoit et, me semble-t-il, entend respecter : celui de la gestion adaptative.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Madame la secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre réponse, mais je ne suis pas sûre qu’elle rassurera complètement les habitants de mon territoire, en particulier en ce qui concerne les chasses traditionnelles.
Si je reconnais que des politiques sont menées en faveur de la ruralité, je constate également que des contraintes pèsent sur cette dernière.
À cet égard, la question que pose, sur mon territoire rural, le développement de l’éolien est particulièrement importante : les éoliennes ont tendance à s’y étendre et à marquer, voire à « miter », le paysage. Je suis assez inquiète à ce sujet, madame la secrétaire d’État.
contrôle du respect de la protection de l’environnement dans le cadre de constructions nouvelles
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, auteur de la question n° 1934, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Guy Benarroche. Madame la secrétaire d’État, j’attire votre attention sur le projet immobilier Grande Bastide, lancé dans la ville de Velleron, dans le Vaucluse.
Situé à la lisière du parc naturel du mont Ventoux, ce site d’une superficie de 7 hectares, jusqu’alors classés en zone naturelle, a fait l’objet d’une opération immobilière, validée par la majorité sortante juste avant les élections et remise en cause, à juste titre, par la nouvelle équipe municipale conduite par son maire, Philippe Armengol.
Ce projet de grande ampleur prévoit la construction de 200 logements, ce qui implique un accroissement de la population de plus de 600 habitants et une circulation automobile d’environ 400 véhicules supplémentaires par jour.
Les infrastructures municipales ne sont absolument pas dimensionnées pour un tel projet induisant un accroissement de population de près de 20 % et un flux de véhicules important, sans compter la destruction d’une zone de promenade. C’est pourquoi la majorité des habitants de cette commune, de même que son maire, sont mobilisés contre ce projet immobilier.
De plus, une zone humide a été comblée par le propriétaire quelques semaines avant le démarrage de l’étude d’impact.
Les aménageurs n’ont rien prévu pour répondre à ces inquiétudes. Réalisée en un temps réduit et non sur quatre saisons, l’étude d’impact n’est pas conforme aux exigences légales.
En dépit de la demande de régularisation adressée au promoteur par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), les travaux ont commencé dès le 26 octobre 2021, sans qu’aucun des services de l’État soit intervenu, notamment ceux de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui est pourtant placé sous votre tutelle, madame la secrétaire d’État.
Depuis lors, par une lettre du 3 novembre 2021, le préfet a enjoint au promoteur de cesser ces travaux, dans l’attente du dépôt et de l’étude d’une dérogation au régime de protection stricte des espèces protégées.
Les questions sur le processus demeurent, madame la secrétaire d’État : comment expliquez-vous que l’aménageur ait pu commencer ses travaux sans mise en conformité et sans régularisation, sur la base d’une étude d’impact incomplète ? De même, comment expliquez-vous qu’un étang ait pu être comblé avant que n’aient pu être recensées les espèces protégées, et ce sans dérogation préfectorale ?
Devant l’urgence environnementale et conformément à l’objectif zéro artificialisation nette des terres (ZAN) défini dans son plan biodiversité par le Gouvernement, je vous demande, madame la secrétaire d’État, si ce dernier compte mettre en œuvre concrètement ses déclarations d’intention, et comment il compte améliorer la réactivité des services de l’État, face à un projet mal pensé et inadapté aux besoins de la population locale.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Guy Benarroche, je vous confirme l’ambition du Gouvernement d’appliquer concrètement la loi Climat et résilience, qui vise notamment, en luttant contre l’artificialisation des sols, à promouvoir de nouveaux modèles d’aménagement et d’urbanisme.
Cette ambition est heureusement accessible et progressive. Elle intervient toutefois, comme toute réforme, alors que des situations juridiques antérieures ne sont pas toutes stabilisées.
Ainsi, des droits juridiques peuvent avoir été acquis par des entreprises ou des citoyens au titre de documents en cours. Sans entrer dans un dossier en cours d’instruction par les services de l’État du Vaucluse, le plan local d’urbanisme de Velleron a ouvert à l’urbanisation le secteur de la Grande Bastide, sur lequel le maire de Velleron a délivré un permis d’aménager en 2019, modifié en 2020.
En revanche, les évaluations et les autorisations environnementales peuvent toujours être nécessaires. Les services de l’État peuvent à tout moment, vous le savez, demander des pièces complémentaires.
C’est le cas à Velleron, où, après visite sur le terrain de la Dreal, de l’OFB et de la gendarmerie, le préfet a demandé des compléments à l’étude d’impact. Il a informé le promoteur qu’une demande de dérogation au titre des espèces protégées pourrait être nécessaire.
Le préfet de département ne délivrera une autorisation de dérogation que si trois conditions sont satisfaites : le projet doit répondre à une raison d’intérêt public majeur ; aucune solution de rechange ne doit exister sur le lieu envisagé ; enfin, cette dérogation ne doit pas nuire aux populations d’espèces protégées.
Cette procédure de dérogation se fonde notamment sur un inventaire naturaliste précis, qui révèle la présence d’espèces protégées, ainsi que les impacts négatifs résiduels sur les espèces et leurs habitats.
Je puis vous assurer de la mobilisation de l’ensemble des services de l’État pour concilier ces ambitions environnementales, dans un esprit de protection de la biodiversité, d’accompagnement des acteurs locaux dans la lutte contre l’artificialisation des sols, mais aussi de réponse aux besoins des territoires, tout en tenant compte bien sûr des enjeux de la transition écologique.
Cela passe notamment par le maintien de la concertation et du dialogue avec chaque acteur. Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’y participer activement.
À Velleron, je serai particulièrement attentive aux décisions locales de l’État en faveur de la protection de l’environnement et d’un aménagement durable du territoire.
rénovation urbaine du bois-l’abbé
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la question n° 1893, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Laurent Lafon. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le projet de rénovation urbaine du Bois-l’Abbé, situé sur le territoire des deux villes de Chennevières-sur-Marne et de Champigny-sur-Marne.
Ce projet de 450 millions d’euros comprend des opérations de grande ampleur d’amélioration de l’habitat et de rénovation ou de construction d’équipements, dans un quartier de plus de 14 000 habitants. C’est le plus important chantier de rénovation urbaine du Val-de-Marne et le troisième d’Île-de-France.
Or, en l’état actuel des financements apportés par l’État, ce projet se trouve malheureusement dans une impasse. Comme d’autres communes l’ont déjà fait, les villes de Chennevières et de Champigny pourraient être amenées à y renoncer, si aucune solution financière acceptable n’est apportée.
Les deux villes demandent notamment que leur scoring soit majoré, jusqu’à 40 % pour la ville de Chennevières et jusqu’à 55 % pour la ville de Champigny.
La préfète du Val-de-Marne a, dans un courrier au directeur général de l’ANRU, demandé que ces majorations soient financées par l’enveloppe supplémentaire de 2 milliards d’euros annoncée par le Premier ministre au début de l’année pour relancer les projets de rénovation urbaine.
Aussi, madame la secrétaire d’État, ma question est simple : l’État va-t-il donner suite aux demandes des deux maires, Laurent Jeanne et Jean-Pierre Barnaud, et apporter les financements nécessaires à la rénovation attendue du Bois-l’Abbé ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Laurent Lafon, vous nous interpellez au sujet du projet de renouvellement urbain du quartier du Bois-l’Abbé, à Champigny-sur-Marne et Chennevières-sur-Marne.
L’État et ses partenaires – Action Logement, le mouvement HLM et la Caisse des dépôts – ont engagé un nécessaire et ambitieux programme de transformation en profondeur des quartiers de la politique de la ville présentant de très grandes difficultés urbaines et sociales, au travers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) porté par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Ce programme national vise à améliorer le cadre de vie des habitants, à développer l’activité économique tout en renforçant l’offre éducative et la qualité des services publics, ainsi qu’à produire une offre de logements diversifiée pour renforcer la cohésion et l’insertion sociale de ces quartiers dans la ville.
Lors du comité interministériel des villes de Grigny, au début de l’année 2021, le Premier ministre a annoncé un abondement de 2 milliards d’euros du NPNRU, abondement voté par l’Assemblée nationale dans le projet de loi de finances pour 2022. Ces moyens supplémentaires doivent permettre d’accroître l’ambition et l’effet transformateur des projets portés par les acteurs locaux, mais aussi de conforter la mise en œuvre de ce programme.
S’agissant du quartier de Bois-l’Abbé, le projet des communes de Champigny-sur-Mame et Chennevières-sur-Mame sera prochainement examiné par le comité d’engagement de l’ANRU, instance réunissant l’agence, ses partenaires et les porteurs de projets.
C’est à l’issue de cet examen que seront précisés les montants des concours financiers qui seront attribués au projet par l’ANRU. Pour le bon avancement du projet, il est donc essentiel que ce comité se tienne rapidement. D’ici là, il me semble difficile d’affirmer que les aides de l’ANRU sont insuffisantes, dans la mesure où elles ne sont pas encore fixées.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement est particulièrement attaché à la bonne mise en œuvre de ces opérations de renouvellement urbain et qu’il veillera à ce qu’elles bénéficient des moyens nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour la réplique.
M. Laurent Lafon. Madame la secrétaire d’État, j’entends à la fois que les moyens financiers sont mobilisés au travers des 2 milliards d’euros annoncés par le Premier ministre et que le cas du Bois-l’Abbé sera examiné lors du prochain comité d’engagement…
Pour que ce comité d’engagement se passe sereinement et parvienne à l’issue positive que nous souhaitons tous, il serait bon, me semble-t-il, que les maires obtiennent une réponse sur la question essentielle du scoring, seul moyen de débloquer la question du financement.
Cela irait dans l’intérêt des deux villes, du Bois-l’Abbé, bien entendu, mais également de l’ANRU.
prise en compte de l’élevage extensif dans le calcul de l’impact environnemental
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1917, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la nécessité de prendre en compte les vertus de l’élevage extensif herbager à la française dans le calcul de l’impact environnemental de la viande.
L’article 2 de la loi Climat et résilience est venu remplacer l’article 15 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite « loi AGEC », qui prévoyait la mise en œuvre d’un affichage environnemental.
Pour les viandes rouges, deux méthodes de calcul de l’impact environnemental sont désormais opérationnelles et déjà utilisées : d’une part l’Éco-score, qui repose principalement sur l’analyse du cycle de vie (ACV) dit « simple », c’est-à-dire qui favorise les viandes issues d’élevages les plus intensifs, produites dans des délais raccourcis, et, d’autre part, le Planet-score, qui corrige les faiblesses reconnues de l’ACV, à savoir le désavantage des systèmes extensifs plus herbagés, par des indicateurs complémentaires visant à évaluer la durabilité globale des systèmes agricoles.
Plus complet, donc, dans la mesure où il permet d’appréhender cet impact environnemental global de la viande, ce Planet-score intègre les effets bénéfiques et vertueux de l’élevage extensif herbager sur les écosystèmes, sur la biodiversité et sur le bien-être animal.
Vous le savez, madame la secrétaire d’État, le choix de ce mode de calcul est déterminant pour l’avenir du modèle d’exploitation dite « familiale à la française » et, partant, pour la souveraineté alimentaire de notre pays, mais aussi pour l’atteinte des objectifs en matière de maîtrise du climat.
Je souhaiterais donc connaître l’état des réflexions du Gouvernement sur ce sujet : comment ces deux méthodes, qui inquiètent beaucoup les acteurs du monde agricole, seront-elles départagées ? Sur quels critères et sur la base de quelle concertation avec ces mêmes agriculteurs le seront-elles ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, je vous remercie de cette question sur la prise en compte des particularités de l’élevage extensif, tel qu’il est pratiqué notamment en France, dans l’affichage environnemental des viandes produites.
L’expérimentation d’affichage environnemental des produits alimentaires, vous l’avez rappelé, a été introduite par la loi AGEC relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire de février 2020, avant d’être renforcée par la loi Climat et résilience d’août 2021, venue compléter ce cadre législatif, en y ajoutant l’ambition de rendre cet affichage obligatoire.
La loi prévoit ainsi que le dispositif s’appuie sur une méthode harmonisée, fondée sur l’évaluation scientifique des externalités environnementales et sur l’ensemble du cycle de vie des produits.
L’expérimentation a bénéficié de la contribution de 18 projets. Chaque méthode proposée présente ses avantages, mais aussi ses limites et ses inconvénients, qui ont été signalés à juste titre par les parties prenantes.
Aucun choix de méthode n’a été fait à ce stade. Néanmoins, l’expérimentation et les travaux du conseil scientifique ont permis de dégager des orientations, partagées avec les parties prenantes.
La méthode doit, tout d’abord, reposer sur un socle ACV, dans le respect du cadre fixé par la loi et par les travaux menés à l’échelle européenne.
Ensuite, elle doit être compatible avec le double objectif d’accompagner les changements de régimes alimentaires et d’orienter vers des systèmes de productions plus durables.
Enfin, pour pallier les limites d’une méthode ACV qui, employée seule, permet mal de différencier les produits selon leur mode de production, l’intégration d’indicateurs complémentaires est jugée souhaitable. La nature de ces indicateurs et la manière dont ils s’articulent avec l’ACV restent à définir. La concertation avec les parties prenantes sera bien évidemment poursuivie.
Le rapport que le Gouvernement remettra au Parlement sur le bilan de l’expérimentation en la matière vise à refléter les enjeux, les orientations possibles au regard des consensus dégagés et les travaux restant à mener ; il n’a pas vocation à proposer une méthode complète et opérationnelle.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, l’ensemble de la profession agricole, en particulier les éleveurs, compte sur votre engagement pour privilégier un modèle qui soit respectueux non seulement des engagements européens, mais également de nos territoires, et qui permette un véritable aménagement du développement de l’élevage, de la polyculture élevage sur l’ensemble de notre territoire dans les années à venir.
En la matière, le choix de ce score est, vous le savez, déterminant.
publicité diffusée au moyen d’embarcations exploitées à cette fin sur les mers territoriales
M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, auteur de la question n° 1924, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Philippe Tabarot. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur la publicité diffusée au moyen d’embarcations exploitées à cette fin au-delà de la bande des 300 mètres.
Cette pratique a été dénoncée tout au long de l’été dernier par des maires du littoral azuréen, qui affirmaient à juste titre qu’elle provoquait une pollution visuelle non négligeable.
Ces mêmes maires ont d’ailleurs saisi la préfecture maritime, afin de mettre fin à ce type d’activité. Ils ne pouvaient le faire eux-mêmes, puisque ces embarcations naviguent au-delà de la bande des 300 mètres délimitant le pouvoir de police des maires au titre de l’article L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales. Il y a dès lors une pollution visuelle qui reste impunie, du fait d’un vide juridique qu’il convient au pouvoir réglementaire de combler.
Vous allez sûrement m’objecter que, à l’occasion de la discussion sur le projet de loi Climat et résilience, vous avez déposé un amendement visant à interdire la publicité via de telles embarcations. Le Sénat s’est opposé à ce qu’une telle interdiction soit inscrite dans la loi pour une raison de forme : il était opposé non pas à l’esprit de l’amendement, mais à sa forme, considérant que l’encadrement proposé relevait manifestement du domaine réglementaire.
Nous voulons mettre un terme au bavardage législatif : la loi pose les principes, le règlement vient détailler. Tel est le sens de la Constitution de la Ve République. Or, aujourd’hui, sur ce sujet comme sur d’autres, pour chaque problème spécifique, une loi étroite et spécifique vient encadrer les choses.
Aussi, madame la secrétaire d’État, qu’attendez-vous pour réglementer et encadrer cette pratique avec bon sens et pragmatisme, puisque l’article L. 581-15 du code de l’environnement vous le permet ? L’exécutif doit assumer ses responsabilités et prendre le décret en Conseil d’État.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Philipe Tabarot, vous interpellez le Gouvernement sur les importantes nuisances qu’entraîne la publicité diffusée au moyen d’écrans numériques installés sur des embarcations exploitées à cette fin et circulant dans les eaux territoriales. Vous soulignez, et je vous rejoins sur ce point, l’importante pollution visuelle créée par cette publicité.
Lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, plus particulièrement de son article qui interdit la publicité diffusée au moyen d’une banderole tractée par aéronef, des amendements qui tendaient à élargir cette interdiction aux embarcations maritimes avaient effectivement été déposés au Sénat.
Le Gouvernement avait alors indiqué qu’il n’était pas nécessaire de faire figurer cette précision dans la loi, puisqu’il est déjà possible de réglementer, de subordonner ou d’interdire la publicité sur les véhicules terrestres, sur l’eau ou dans les airs dans des conditions qui sont fixées, vous l’avez rappelé, par décret en Conseil d’État sur la base de l’article L. 581-15 du code de l’environnement.
Nous avions alors pris l’engagement de publier un décret fixant une telle réglementation. Les services du ministère de la transition écologique, en lien avec les autres ministères concernés, sont en train d’élaborer ce texte, afin d’interdire les publicités diffusées au moyen d’embarcations maritimes, comme cela avait été annoncé lors de l’examen du projet de loi.
Nous ne manquerons pas de vous faire parvenir ce décret dès sa publication.
M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour la réplique.
M. Philippe Tabarot. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures entre la terre et la mer.
Cette pollution visuelle, doublée d’une laideur esthétique, n’est pas un gage d’attractivité pour le littoral, notamment azuréen, et elle pose des questions de sécurité.
reconstruction des vallées de la vésubie, de la roya et de la tinée dans les alpes-maritimes
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1902, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la secrétaire d’État, j’associe à ma question mon collègue Philippe Tabarot, qui vient de s’exprimer.
Jeudi dernier, j’ai accompagné une délégation de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat dans les vallées sinistrées de la Vésubie, de la Roya et de la Tinée.
Plus d’un an après la tempête Alex, plus grave catastrophe naturelle en France métropolitaine depuis 1945, avec 270 bâtiments et maisons détruits dans quatorze communes et 1 600 familles sinistrées, certaines questions demeurent sans réponse.
Les élus, au premier rang desquels les maires, sont inquiets de la lenteur des procédures d’indemnisation prévues par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM). Le traitement de ces procédures par France Domaine et par l’établissement public foncier régional peut prendre jusqu’à trois ans.
Or les familles ne peuvent pas rester dans une telle attente, lorsqu’il s’agit de décisions qui sont lourdes de conséquences pour l’avenir du foyer, la scolarisation des enfants ou les temps de trajet domicile-travail.
Une autre question inquiète les élus : que deviendraient les éventuels sinistrés qui refuseraient l’indemnisation acquisition-démolition de leur maison dans le cadre du FPRNM ? Pour l’heure, cette situation ne s’est pas encore présentée, mais l’engagement par l’État d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique serait d’une violence inouïe et injustifiée.
Enfin, si des modifications des plans locaux d’urbanisme (PLU) sont en cours, le droit de l’urbanisme devra être révisé pour prendre en compte certaines situations exceptionnelles.
D’une part, des permis de construire pourraient faire l’objet d’éventuels recours par des associations de protection de la nature opposées à la reconstruction, ce qui serait incompréhensible pour les sinistrés.
D’autre part, la reconstruction à l’identique, comme le prévoit la loi Montagne, est évidemment impossible dans des territoires encaissés déjà soumis à l’ensemble des risques naturels. Cela nécessite un assouplissement législatif.
Quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter à ces inquiétudes exprimées par les maires et les élus locaux ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Dominique Estrosi Sassone, vous attirez l’attention du Gouvernement sur la reconstruction des vallées de la Vésubie, de la Roya et de la Tinée à la suite de la tempête Alex d’octobre 2020. C’est une question extrêmement sensible.
Vous l’avez rappelé, l’État finance le rachat d’habitations sinistrées par le biais du FPRNM, dit « fonds Barnier ». L’objectif est de démolir ces biens et de rendre les terrains inconstructibles, afin de mettre fin au danger. Vous nous invitez à accélérer ces procédures d’acquisition.
Nous avons dégagé les moyens pour cela. Tout d’abord, 50 millions d’euros ont été votés dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2021, afin d’abonder le fonds Barnier. Ensuite, lors du vote du projet de loi de finances pour 2022, l’Assemblée nationale a validé l’abondement du fonds à hauteur de 30 millions d’euros supplémentaires.
À ce jour, 420 biens ont été identifiés pour une acquisition amiable financée par le fonds Barnier : 9 ont été acquis et 54 dossiers sont intégralement instruits.
Pour ces acquisitions, l’État s’appuie sur l’établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), qui devrait porter 130 acquisitions, avec l’objectif d’intervenir à terme sur 260 d’entre elles.
Je comprends bien sûr votre souhait d’accélérer. Depuis le 1er septembre dernier, un guichet unique d’accompagnement des sinistrés dans le montage de leur dossier est opérationnel et des réunions d’information sont organisées localement.
Vous évoquez aussi la crainte que des personnes ne fassent l’objet d’une expropriation. Cette procédure restera naturellement exceptionnelle : elle sera réservée aux cas où l’acquisition amiable n’aura pas été possible et quand il subsistera une menace grave pour la vie humaine. Pour l’heure, aucune procédure d’expropriation n’a été enclenchée.
Pour ce qui concerne l’adaptation des règles d’urbanisme aux enjeux de la reconstruction, les dispositions relatives à l’urbanisme de montagne offrent plusieurs possibilités pour accompagner la renaissance de ces vallées.
La reconstruction à l’identique doit être envisagée avec la plus grande prudence dans les zones à risque. Aussi, pour accompagner cette reconstruction, l’État a mandaté un architecte spécialisé, qui associera l’ensemble des parties prenantes, afin d’imaginer de nouveaux secteurs d’habitation résilients dans les vallées.
compétences de la métropole d’aix-marseille-provence
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, auteure de la question n° 1873, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la secrétaire d’État, Mme Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, est venue dans les Bouches-du-Rhône à plusieurs reprises rencontrer les maires et les parlementaires, afin de tenter de sortir de l’impasse dans laquelle la métropole Aix-Marseille se trouve depuis sa création.
Nous partageons, je le crois, l’idée qu’une grande métropole, capable de rayonner et de concurrencer ses rivales du bassin méditerranéen, serait une chance pour la France.
Depuis le moment où j’ai déposé cette question orale, les choses ont un peu évolué. Des propositions ont été faites – retour des compétences de proximité aux communes et disparition des conseils de territoire –, mais, à ce stade, ces propositions ne font pas l’unanimité parmi les maires.
Il est donc à craindre que la métropole continue à dysfonctionner, d’autant que l’on ne règle pas les questions de la gouvernance et de la place que devrait y occuper la ville de Marseille.
Comment imaginer une métropole dans laquelle la ville-centre, en l’occurrence la deuxième ville de France, serait exclue de toute décision qui la concerne ? La métropole ne pourra jamais fonctionner – il en est ainsi aujourd’hui – sans aucun représentant de Marseille dans des lieux de décision qui touchent au quotidien des Marseillais.
Sachez que le conseil métropolitain est un lieu de lutte permanente – un troisième tour des élections municipales sans cesse répété ! –, alors qu’il devrait être l’instance où l’on arbitre les grandes orientations qui feront notre avenir commun pour les trente prochaines années.
En conséquence, plutôt que de s’engager dans des solutions non abouties qui ne régleront rien, le Gouvernement devrait mettre à profit la période qui arrive pour actualiser le rapport Dartout sur l’avenir de la métropole.
Dans l’immédiat, madame la secrétaire d’État, puisque des discussions sont en cours, quelles propositions entend faire le Gouvernement pour rendre toute sa place à Marseille dans la métropole ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Marie-Arlette Carlotti, avec le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « 3DS », nous avons l’ambition de répondre aux besoins de proximité et d’efficacité exprimés par les élus et les citoyens ces dernières années – vous vous en êtes fait l’écho.
Sensible à la volonté de stabilité des acteurs locaux, le Gouvernement a considéré qu’il n’était pas souhaitable de bouleverser les grands équilibres institutionnels au niveau national. Vous le savez, la France avait connu auparavant de grands changements en la matière.
Néanmoins, compte tenu des difficultés locales et de l’ambition du Président de la République pour Marseille, des évolutions sont apparues indispensables pour la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Depuis plusieurs années déjà, les préfets des Bouches-du-Rhône ont engagé un dialogue étroit avec les élus locaux concernés, afin de déterminer l’architecture la plus efficace pour des services publics locaux de meilleure qualité pour les habitants.
Le Gouvernement a entendu inscrire ce débat dans le cadre du projet de loi 3DS. Ainsi, nous avions proposé, dans le texte initial, une mesure d’ouverture pour inviter les parties prenantes à réviser les compétences attribuées aux différents échelons de cette métropole.
Le texte adopté par le Sénat, à partir du débat ouvert sur l’initiative du Gouvernement, n’est pas satisfaisant, dès lors qu’il maintient le statu quo et ne propose pas de vision d’avenir. Le Gouvernement entend donc faire évoluer ce texte à l’Assemblée nationale.
Dans ce cadre, des discussions nourries se poursuivent entre la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, les élus de la métropole et de ses communes membres et les parlementaires.
Sans préjuger de l’issue de ces débats, il paraît indispensable de simplifier l’architecture de la métropole, en revenant sur les conseils de territoire, pour conjuguer proximité et vision stratégique au niveau métropolitain.
La métropole d’Aix-Marseille-Provence étant la plus étendue de France, il paraît logique que les communes puissent continuer à jouer un rôle de proximité dans certains domaines.
En revanche, le potentiel économique du territoire d’Aix-Marseille-Provence ne pourra être pleinement réalisé que s’il est guidé par une vision d’ensemble et des outils mutualisés. Un échelon métropolitain conforté est donc indispensable pour faire progresser le territoire.
Le Gouvernement a l’ambition de parvenir à un consensus sur la gouvernance de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, afin que cette dernière soit le partenaire attendu par l’État pour porter le plan « Marseille en grand » voulu par le Président de la République. Ce plan très attendu apportera des moyens considérables, notamment pour les transports publics et les écoles, et nous y serons particulièrement attentifs.
(Mme Pascale Gruny remplace M. Georges Patient au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
avenir des distributeurs automatiques de billets en zone rurale
Mme le président. La parole est à M. Jean Hingray, auteur de la question n° 1750, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Jean Hingray. En avril 2018, madame la secrétaire d’État, à l’occasion d’une visite dans notre département des Vosges, le Président de la République plaidait pour une « ruralité active ».
Je vous l’assure, dans les Vosges, la ruralité est active ! Les élus locaux ne ménagent pas leur peine au quotidien pour faire vivre notre territoire.
Les élus et habitants des zones enclavées sont pourtant confrontés à la désertification médicale, à la fracture numérique, au manque de transports en commun et à l’absence de bureau de poste ou, plus globalement, de services publics. Cette situation est synonyme, pour beaucoup de ruraux, d’abandon et de mépris de la part de l’État.
Ce sentiment d’abandon est accentué par la fermeture des services bancaires. Alors que le paiement en espèces demeure une pratique répandue, les communes rurales sont les premières victimes de la diminution du nombre de distributeurs de billets.
Or la présence de distributeurs est déterminante pour le maintien des commerces de proximité et la lutte contre l’isolement des personnes âgées, bref pour la cohésion sociale.
Dans mon département, la charmante commune de Docelles a récemment vu son agence bancaire fermer et son distributeur de billets disparaître. Idem pour la commune de Provenchères-et-Colroy, qui a perdu ce service. Les élus du secteur ont tenté, en vain, de s’opposer à ces fermetures. Ils ne sauraient être seuls dans ce combat.
Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous faire contre de telles fermetures ? Quelles sont vos intentions à l’égard des banques qui devraient être garantes d’un service à la population ? Comment garantir l’accès à un service de proximité bancaire sur l’ensemble du territoire national ?
Vous allez me répondre qu’il s’agit d’entreprises privées et qu’elles agissent comme bon leur semble. Vous allez aussi me répondre que, lorsque l’initiative privée est défaillante, la commune peut prendre le relais et financer l’implantation d’un distributeur. Vous allez enfin me répondre que ces dispositifs sont fortement soutenus par l’État.
Au-delà de ces éléments de langage tout préparés, j’aimerais des réponses concrètes ! À titre d’exemple, le maire de Provenchères-et-Colroy et son équipe ont reçu, pour pallier cette défaillance privée, différentes offres qui avoisinent 1 700 euros par mois. Cette somme est très importante pour le budget de la commune et sera nécessairement synonyme de sacrifices sur d’autres lignes budgétaires.
À partir de cet exemple, quelles sont les mesures concrètes – j’insiste sur cet adjectif –, qui sont envisagées par le Gouvernement pour être fidèle aux promesses du Président de la République ?
Mme le président. Mon cher collègue, je vous rappelle que vous devez respecter votre temps de parole.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Jean Hingray, je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet essentiel pour notre ruralité : la présence de distributeurs d’argent en espèces.
Pour la première fois en 2020, le nombre de distributeurs automatiques est passé sous la barre des 50 000. Ce chiffre n’est pas forcément alarmant en soi, car on constate que les distributeurs se sont maintenus dans les communes de moins de 1 000 habitants, alors qu’ils ont plutôt tendance à fermer dans les petites villes.
Ainsi, 27 communes ont perdu leur dernier distributeur l’année dernière, et la Banque de France a calculé que 80 % de la population vivait à moins de cinq minutes en voiture d’un distributeur et 99 % à moins de quinze minutes.
Quand bien même ces chiffres sont rassurants, l’accès aux espèces constitue un sujet de préoccupation qui est partagé par le Gouvernement. Celui-ci le suivra attentivement, afin d’apporter des réponses localisées aux situations concrètes qui posent problème.
C’est aussi une question que nous souhaiterions aborder dans le cadre de la discussion qui aura lieu en 2022 avec l’Association des maires de France et La Poste autour du nouveau contrat de présence postale territoriale.
Comme vous le savez, la loi confie à La Poste des missions de service public pour l’exercice desquelles l’État va augmenter sa contribution de plus de 500 millions d’euros. En contrepartie de cette contribution supplémentaire, le Premier ministre a demandé à La Poste de travailler avec l’État et les maires pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers.
Le Gouvernement a d’ores et déjà commencé à discuter avec les associations d’élus, qui font remonter des propositions sur la question des distributeurs de billets ; nous allons les examiner.
La réponse peut aussi venir des banques commerciales : vous avez peut-être observé que BNP Paribas, la Société générale et le Crédit mutuel ont commencé à étudier la mutualisation de leurs distributeurs, bien sûr pour réaliser des économies sur les coûts de structure, mais aussi pour bien coordonner leurs décisions en matière de répartition.
Ces banques ont déclaré qu’elles prendraient en considération la question du maillage territorial. L’Association des maires de France, l’Association des maires ruraux de France et le Gouvernement y seront très vigilants.
lutte contre la pêche illégale et développement de la filière de la pêche en guyane
Mme le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 1955, adressée à Mme la ministre de la mer.
M. Georges Patient. Madame la ministre de la mer, je voudrais détourner votre regard de la Manche et du conflit franco-britannique, pour vous amener à le porter en Guyane sur un conflit plus ancien, qui n’est toujours pas réglé et qui, au contraire, s’est aggravé jusqu’à devenir aujourd’hui une véritable crise.
Oui, les pêcheurs guyanais, tout comme ceux de l’Hexagone, sont en grande colère et grondent. Cette colère est légitime face à l’explosion de la pêche clandestine et alors que les autorités réagissent peu en dépit des alertes lancées preuves à l’appui.
A contrario, pour la pêche légale et nos pêcheurs guyanais, c’est un véritable désastre, puisque la production a chuté de 30 % en un an.
Sont en cause les effets ravageurs de la pêche illégale, mais aussi l’arrêt de la moitié de la flotte guyanaise en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui est due à la problématique des régularisations et qui a des répercussions sur tout le secteur.
Je ne puis non plus passer sous silence les nombreux contrôles tatillons que subissent nos pêcheurs, à telle enseigne que beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à parler de « mise à mort organisée » !
Madame la ministre, il faut maintenant agir, et vite. Tout cela n’a que trop duré. Vous connaissez d’ailleurs cette situation ; je l’avais évoquée avec vous, lorsque vous étiez ministre des outre-mer.
Dans un premier temps, il faut faire respecter la souveraineté de la France dans ses eaux territoriales. Les pêcheurs illégaux sont dans nos eaux ; ce n’est pas une question de diplomatie. Craignons-nous que les autorités brésiliennes ou surinamaises viennent faire la police chez nous ? Comment est-il possible d’accepter d’emblée l’inacceptable ?
Dans un second temps, il faut mettre en place rapidement un véritable plan de développement de la filière, allant de la question des formations à celles du renouvellement de la flotte et de la pêche au large.
Madame la ministre, le temps presse, il faut agir vite !
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Georges Patient, vous l’avez dit, je connais bien ce sujet.
La réponse la plus forte pour lutter contre la pêche illégale est avant tout de structurer la filière légale : plus nous serons en mer, moins d’autres viendront dans nos eaux ! C’est ce que nous avons défendu ensemble, quand j’étais ministre des outre-mer.
Plusieurs mesures ont déjà été prises.
Tout d’abord, dans le cadre du plan d’urgence pour la Guyane, un fonds de redémarrage de l’activité de 2 millions d’euros avait été décidé, mais, comme vous le savez, il n’a jamais été véritablement engagé.
En 2018, j’ai mis en place un plan pour le développement de la filière pêche, qui agrégeait un total de 31 millions d’euros et qui a donné lieu à 97 mesures. Je vais demander l’établissement d’un bilan précis de ce plan, pour évaluer la façon dont les projets ont effectivement été soutenus.
Ensuite, dans le cadre du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), la collectivité territoriale de Guyane dispose de près de 7 millions d’euros pour structurer la filière et ainsi occuper le terrain.
Enfin, dans le cadre du plan de relance, quatre projets d’infrastructure ont été retenus en Guyane, pour 1,5 million d’euros.
Je souhaite davantage de présence des navires français dans nos eaux, bien entendu, et je lancerai dans quelques jours une réflexion sur un grand plan « Pêche durable française », dans lequel je souhaite qu’il y ait un volet spécifique pour les outre-mer. Je pense que nous pourrons aller plus loin ensemble dans ce cadre.
L’État doit aussi se donner les moyens de surveillance et de contrôle de nos eaux, ainsi que les capacités de répression. La Guyane est d’ailleurs l’un des rares territoires où les moyens ont été entièrement renouvelés : je pense aux deux patrouilleurs de la marine nationale et à la vedette des douanes.
Les moyens de l’État ont été renforcés, avec deux nouvelles unités. Je pense notamment à l’embarcation relève-filets qui est très efficace pour sanctionner économiquement les illégaux qui fuient, et à la création d’une unité légère des affaires maritimes dans l’Ouest guyanais. Nous avons aussi expérimenté les drones. Peut-être faut-il davantage les utiliser.
L’État doit enfin poursuivre ses actions de déconstruction des navires.
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Or l’on me dit que nous n’allons pas assez vite en la matière. Il faut donc insister sur ce point dans votre région, notamment à Mana, où nous avons localisé des terrains qu’il serait possible d’aménager à cet effet.
redevance incitative
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la question n° 1874, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre de la mer, ma question ne concerne pas directement votre ministère, mais elle n’est pas totalement étrangère à vos missions, puisqu’elle porte sur la gestion des déchets.
Dans mon département, la Dordogne, c’est un syndicat départemental mixte des déchets, constitué de quinze structures de coopération intercommunale, qui est chargé d’assurer les missions relatives à la valorisation et au traitement des déchets ménagers et assimilés.
La collecte se fait désormais majoritairement en point d’apport volontaire. Le comité syndical a décidé la mise en place de la redevance incitative, qui devrait être appliquée sur tout le territoire au 1er janvier 2023, et qui a vocation à remplacer la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, laquelle est indexée sur la valeur locative de l’immeuble.
Si l’instauration de la redevance incitative vise à développer des comportements vertueux en matière d’environnement, elle va entraîner pour un certain nombre d’usagers une augmentation disproportionnée de leur contribution financière au service public des déchets.
Pour une personne incontinente, par exemple – nous avons une population âgée importante à faibles ressources –, la hausse du service est estimée annuellement entre 500 euros et 600 euros. Ce passage à la redevance n’est pas non plus sans conséquence financière pour les personnes résidant en habitat social, qui, dans le régime précédent de la taxe, bénéficiaient d’une décote dans le calcul des bases de valeur locative.
Si l’on ajoute à ces coûts supplémentaires l’augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes, qui causera une hausse de la facturation, cette réforme du service soulève des protestations chez les habitants et des inquiétudes de la part des élus.
Aussi, afin de pallier quelque peu ces augmentations de tarifs, qui ne seront pas sans conséquence pour les usagers les plus fragiles dont je viens de parler, je souhaite savoir si des mesures peuvent être envisagées pour qu’une tarification sociale, permettant aux collectivités de moduler leur tarification en fonction des situations locales, soit mise en place.
Ces mesures pourraient par exemple consister en une définition de tarifs qui tienne compte de la composition ou des revenus du foyer, ou en l’attribution d’une aide au paiement des factures.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la sénatrice Marie-Claude Varaillas, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Joël Giraud, qui est absent pour les raisons que vous connaissez et qui m’a demandé de vous faire part de sa réponse.
Le Gouvernement est attentif à cette problématique, en particulier dans les territoires ruraux, où la redevance est généralement plus pratiquée que la taxe d’enlèvement.
La redevance incitative vise à réduire le volume des déchets ménagers, mais je rappelle qu’elle est facultative : il s’agit d’un choix des élus.
Par ailleurs, les collectivités disposent déjà de leviers pour prendre en compte la situation de certains redevables. Ils peuvent mettre en place des tarifs différents selon les secteurs pour des redevables placés dans des situations différentes, ou encore fixer un forfait par foyer ou par personne.
Il s’agit aussi pour les collectivités de développer les moyens de tri des déchets et d’en prévenir la production. Cela peut passer par l’ajustement des modalités de la collecte, la densification des points d’apport volontaire, l’adaptation des déchetteries ou le soutien au compostage individuel.
La mise en place d’une filière à responsabilité élargie en 2024 responsabilisera les producteurs. Elle reposera sur le principe suivant : les producteurs doivent assurer l’organisation et le financement de la collecte et du traitement des déchets issus des produits qu’ils mettent sur le marché.
Cette mise en place signifie le transfert aux producteurs de la responsabilité, donc des coûts, de la gestion des déchets. Quant à la tarification sociale, qui est, certes, une proposition intéressante, elle est étrangère à la tarification incitative : assigner à une redevance d’autres objectifs en y adossant des mesures sociales serait contradictoire avec l’objet même du prélèvement.
Enfin, le fonds Économie circulaire de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), abondé par le plan de relance à hauteur de 500 millions d’euros, offre des soutiens financiers aux collectivités, tels que des aides à la mise en œuvre directe d’une tarification incitative, des aides à l’expérimentation et des aides aux investissements de tri, de recyclage ou de valorisation des déchets.
(M. Georges Patient remplace Mme Pascale Gruny au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
vice-président
dotation globale de fonctionnement de la ville de saint-saulve
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 1950, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Frédéric Marchand. Madame la ministre, je souhaite ce matin attirer l’attention du Gouvernement sur la situation financière de la commune de Saint-Saulve, dans le département du Nord. Celle-ci bénéficie certes d’une attribution de compensation de la taxe professionnelle légèrement supérieure à la moyenne de la strate, mais elle a supporté intégralement la charge d’une zone industrielle jusqu’en 2018, alors que le doublement du taux de la taxe professionnelle par la communauté d’agglomération Valenciennes Métropole profite exclusivement à cette dernière.
Sans bien évidemment remettre en cause le bien-fondé des intercommunalités, il faut remarquer que le transfert de la compétence « développement économique » à l’agglomération a suscité une perte de recettes pour la ville de Saint-Saulve de près de 15 millions d’euros depuis 2001, signe, par ailleurs, de l’attractivité de la zone aménagée à l’origine par la commune.
La fixité de cette attribution les a donc fortement pénalisés, d’autant plus que la taxe professionnelle perçue à l’origine par la ville a permis la construction de nombreux équipements publics au profit de sa population : salles de sport à proximité de chaque école, piscine, boulodrome, crèche, parcs publics, entre autres investissements.
L’attribution de compensation, figée depuis 2001, ne permet plus aujourd’hui de couvrir les frais nécessaires à l’entretien de ce patrimoine, qui se détériore progressivement.
Le ratio de dépenses d’équipement de 147 euros par habitant, contre 310 euros en moyenne pour les communes de même strate, montre la maigre capacité à investir, donc à entretenir ces infrastructures.
Il est en outre difficile de comprendre que la dotation forfaitaire tienne ainsi compte ainsi du poids du passé quand on sait que le montant de la DGF (dotation globale de fonctionnement) pour Saint-Saulve est passé de 1,2 million d’euros en 2013 à 250 000 euros en 2021, bien loin, donc, de compenser la perte de recettes issues de la taxe professionnelle.
La commune de Saint-Saulve a atténué les conséquences de ses bases élevées en appliquant un taux de fiscalité plus faible, ce qui en définitive la pénalise dans l’attribution de la DGF.
Aussi, par mesure d’équité, il serait pertinent que l’État prenne en compte le produit fiscal des communes, et non pas simplement le taux de fiscalité, afin de parvenir assurément à une plus juste appréciation et, sans doute, à une réévaluation des dotations accordées à la ville.
Ce cas n’étant pas isolé, je demande donc au Gouvernement que des mesures soient prises pour mettre un terme à des situations plus que pénalisantes. Plus précisément, madame la ministre, la refonte du mode de calcul des dotations est-elle à l’ordre du jour ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Joël Giraud, qui est absent pour les raisons que vous connaissez et qui m’a demandé de vous faire part de sa réponse.
Le Gouvernement a bien connaissance du cas de Saint-Saulve, une commune en bonne santé financière, où la DGF est bien inférieure à la moyenne.
Cette situation doit être mise en perspective. Ainsi, la baisse massive vient non pas de ce gouvernement, mais d’une décision appliquée entre 2013 et 2017 pour redresser les comptes publics. Les variations de DGF observées depuis 2017, moins importantes, résultent, elles, des critères de calcul votés dans la loi.
Trois paramètres entrent en jeu dans ce cas de figure.
Tout d’abord, il y a le potentiel financier, qui rend compte de la capacité de la commune à mobiliser son levier fiscal. En réalité, ce critère ne fait pas intervenir le taux choisi par la commune.
Ensuite, il y a l’effort fiscal de la commune, qui, lui, fait intervenir le taux. Cependant, les modalités de calcul de ce critère neutralisent le caractère surévalué des bases : ainsi, il se trouve que Saint-Saulve a un effort fiscal supérieur de 9 % à celui des communes de sa strate et n’est donc pas pénalisée.
Enfin, il y a le poids de l’histoire : la DGF est un objet ancien, constitué par stratification successive de réformes. C’est en partie ce qui explique la faiblesse de la part forfaitaire de la DGF de Saint-Saulve.
Sur ce dernier point, je rejoins votre constat, il faut une réforme d’ampleur, mais c’est un exercice complexe qui fera, certes, des gagnants, mais aussi des perdants. Le Président de la République a appelé les associations d’élus à formuler des propositions consensuelles sur ce sujet dès 2017. C’est un chantier que personne n’a jamais mené et qui est devant nous.
S’agissant de l’attribution de compensations, la loi autorise déjà une commune et son intercommunalité à s’entendre pour réviser son montant. Saint-Saulve a donc la possibilité de travailler avec la communauté d’agglomération de Valenciennes Métropole sur ce sujet.
réglementation de la discipline du tir à l’arme réglementaire
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 1939, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Michel Savin. Madame la ministre, le tir réglementaire est une discipline qui dépend de la Fédération française de tir. Cette fédération sportive est olympique et a notamment obtenu une médaille lors des derniers jeux Olympiques de Tokyo.
Je souhaite aujourd’hui interroger le Gouvernement sur l’évolution de la réglementation applicable à la discipline du tir à l’arme réglementaire, qui, si elle n’est à ce jour pas une discipline olympique, est forte de 5 000 licenciés en France.
Plusieurs pratiquants et la fédération m’ont fait part de la menace qu’encourt cette discipline, du fait d’un décret en préparation au ministère de l’intérieur. En effet, à la suite d’un accident malheureux, il est aujourd’hui envisagé d’interdire et de détruire sans dédommagement financier les armes de catégorie A1-11 qui sont actuellement détenues légalement par les tireurs sportifs.
Selon les chiffres du service central des armes et explosifs, cela devrait concerner 1 000 armes, quand les armuriers de la Fédération française de tir en dénombrent 10 000.
Depuis quatre ans, la législation s’est déjà durcie en France pour ce type d’armes : les détenteurs ne peuvent plus ni en acheter ni en vendre. D’après le ministère de l’intérieur, cette décision serait motivée par la volonté d’éviter que ces armes ne se retrouvent dans les mains de terroristes à l’étranger… Or toutes ces armes sont répertoriées et suivies, et, à ce jour, rien de cela n’est jamais arrivé.
À titre de comparaison, je rappelle que ce type d’arme n’est pas interdit dans les pays voisins, comme la Belgique, l’Allemagne et la Suisse.
C’est pourquoi il est important de rassurer les 230 000 licenciés de la Fédération française de tir sur la réglementation applicable et de clarifier les objectifs de cette dernière.
Aussi, madame la ministre, pourriez-vous m’indiquer quelles sont à ce jour les évolutions non seulement actées, mais également envisagées par votre ministère à l’égard de la pratique du tir sportif ? Pouvez-vous également m’assurer que l’interdiction du tir sportif n’est pas envisagée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Michel Savin, vous connaissez notre volonté de lutter contre les trafics d’armes et l’utilisation détournée d’armes autorisées.
C’est dans ce cadre que, à la demande du ministre de l’intérieur, et après consultation de la Fédération française de tir et des représentants des professionnels, un décret a été pris et publié le 30 octobre dernier, afin de limiter la détention d’armes de guerre transformées.
Je le précise, il s’agit d’armes fabriquées originellement pour le tir automatique en rafales, puis qui ont été transformées pour tirer en mode semi-automatique ou manuel. Ces armes étaient classées en catégorie A1 – armes interdites, mais avec quelques exceptions liées à la pratique, notamment du tir sportif –, ou en catégorie C, avec les armes soumises à déclaration, qui sont pour l’essentiel utilisées pour la chasse.
Le ministre de l’intérieur avait pris l’engagement de conduire cette réforme, le 22 juillet dernier, lors d’une cérémonie d’hommage aux trois gendarmes d’Ambert tués par un forcené en décembre 2020.
L’objectif de ce texte est de se prémunir contre toute remise en état initial de ces armes, c’est-à-dire contre la possibilité, grâce à de l’outillage ordinaire, de leur redonner une capacité de tir en rafales. Les tireurs sportifs qui détiennent, pour leur pratique, de telles armes classées en catégorie A1 devront s’en dessaisir dans le délai d’un an, donc avant novembre 2022. J’ajoute que ces armes ne pouvaient déjà plus être acquises depuis 2018.
Pour autant, il n’est pas dans notre volonté d’interdire la pratique du tir sportif, un sport olympique dans lequel brillent plusieurs policiers et gendarmes qui font notre fierté. Vous me permettrez de citer notamment le maréchal des logis Jean Quiquampoix, champion olympique à Tokyo au pistolet à 25 mètres en tir rapide.
J’y insiste, il n’entre nullement dans les intentions du Gouvernement de remettre en cause le tir sportif ; il s’agit bien d’en encadrer la pratique. À cet égard, le déploiement du nouveau système d’information sur les armes (SIA), à compter de février 2022, participera de ce juste équilibre.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Je vous remercie, madame la ministre. Comme vous l’avez dit, l’intérêt de tous est que l’utilisation des armes en question ne soit pas détournée et que nous puissions répertorier ces derniers et effectuer un véritable suivi, pour permettre à ces sportifs de s’exprimer dans les compétitions nationales et internationales.
politique des appels à projets
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, auteur de la question n° 1957, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, dans l’exposé des motifs d’un récent appel à projets, le Gouvernement considère que « la capacité d’un établissement à développer et à diversifier ses sources de financement est devenue essentielle » pour « assurer le recrutement et l’accompagnement des étudiants ».
Cet appel à projets est donc destiné à aider les équipes chargées de répondre aux appels à projets. Cette mise en abyme est quelque peu burlesque, et j’aimerais vous demander, cum grano salis, si le Gouvernement a prévu un appel à projets pour aider ces équipes à répondre à cet appel à projets pour répondre aux appels à projets… (Sourires.) C’est sans fin !
Je crains que ce changement dans le mode de financement de l’enseignement supérieur et de la recherche ne dévoile finalement une évolution radicale de paradigme. Progressivement, les établissements seront aidés en fonction non plus de leur investissement pédagogique et scientifique, mais de leur capacité à autofinancer leurs missions de service public. L’excellence est non plus scientifique, mais managériale.
Les universités sont mises en péril par le décalage croissant entre le montant de la dotation de l’État, qui est stable, et le nombre d’étudiants, qui ne cesse, lui, d’augmenter. Face à cette crise budgétaire, madame la ministre, la seule réponse de votre gouvernement est-elle de les aider à trouver ailleurs leurs financements ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Pierre Ouzoulias, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de ma collègue Frédérique Vidal, qui m’a chargée de vous répondre en son nom.
Tout d’abord, je tiens à vous rassurer, ce gouvernement n’oppose pas les universités entre elles. Il croit plutôt à l’importance de l’augmentation des moyens récurrents des laboratoires. C’est d’ailleurs tout le sens de la loi de programmation de la recherche (LPR) que nous avons portée.
Cette loi, promulguée en décembre de l’année dernière, apporte un soutien inédit de 25 milliards d’euros supplémentaires au cours des dix prochaines années et de 500 millions d’euros supplémentaires dans le budget du ministère dès cette année. C’est tout simplement dix fois plus, en une année, que sous l’ensemble du précédent quinquennat ! Ces financements nous permettront de revaloriser l’ensemble des personnels scientifiques et de mieux financer la recherche, qu’elle soit en base ou par appel à projets.
Par ailleurs, les nouveaux moyens que le Gouvernement affecte à l’Agence nationale de la recherche (ANR) favorisent la solidarité entre les équipes dans les laboratoires et le soutien des établissements et des politiques de sites : 73 millions d’euros supplémentaires seront mis à la disposition des établissements et des laboratoires.
Les moyens de base de ces derniers seront également renforcés. Ils l’ont été en 2021 et le seront de nouveau en 2022, puisque le budget des universités et des organismes de recherche augmente de 127 millions d’euros.
Enfin, à la faveur de la LPR, une feuille de route spécifique pour les sciences humaines et sociales (SHS) a été mise en place : elle permet notamment d’augmenter de 50 % les délégations d’enseignants-chercheurs à l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS à partir de 2020, et cela pour un coût annuel de 900 000 euros, ainsi que l’ouverture, à compter de 2021, de 374 semestres de congés pour recherche ou conversion thématique pour les enseignants-chercheurs en SHS, pour un coût de 2,2 millions d’euros.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, avec la LPR, mais aussi avec France Relance et France 2030, ce gouvernement investit massivement dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, comme aucun gouvernement ne l’a jamais fait.
Pour Frédérique Vidal comme pour les autres membres du Gouvernement, c’est un signe de confiance dans notre jeunesse. Je salue d’ailleurs Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement, qui vient de nous rejoindre.
Nos enseignantes, nos enseignants, nos chercheuses et nos chercheurs sont armés pour relever les défis qui s’offrent à nous.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. C’est une réponse que j’aurais pu écrire, madame la ministre… Il ne s’agit pas de refaire le débat sur la LPR. Malheureusement, la réalité des faits ne correspond pas du tout à vos déclarations.
Aujourd’hui, les universités sont face à une crise comme jamais elles n’en ont connu. Elles sont au bord de la banqueroute. Je pense notamment à l’université de Nanterre, dans mon département, qui a le taux d’encadrement le plus faible de France.
J’aurais espéré que vous me répondissiez avec les mots de la ministre chargée de la recherche. Selon elle, « l’excellence ne peut pas se décliner sur un moule unique ; on ne peut pas piloter la diversité de l’enseignement supérieur avec le classement de Shanghai. » En cela, je suis tout à fait d’accord avec elle. Toutefois, avec les 800 millions d’euros apportés…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Pierre Ouzoulias. Désolé d’être trop long, monsieur le président. J’ai terminé !
protection de l’enfant face à un parent violent
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la question n° 1946, transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-François Rapin. Madame la ministre, la convention internationale des droits de l’enfant précise : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Depuis 2009, de nombreuses évolutions législatives et réglementaires ont permis de renforcer la sécurité des femmes victimes de violences conjugales. Toutefois, un vide juridique demeure concernant les enfants. Ces derniers sont pourtant au cœur du foyer et subissent quotidiennement les répercussions de ces agressions domestiques, avec un risque traumatique non négligeable.
En 2019, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) constatait que la France n’appliquait que trop rarement les dispositifs législatifs existants permettant de faire primer l’intérêt et la sécurité de l’enfant dans les décisions de justice, notamment concernant les droits de visite et de garde.
Les auteurs du rapport soulignaient également la nécessité urgente de fonder les politiques et les pratiques, en reconnaissant que, dans un contexte de violences conjugales, l’exercice conjoint de la parentalité, ainsi que le maintien des droits de visite, était un moyen pour l’agresseur de continuer à maintenir l’emprise et la domination sur la femme et sur ses enfants.
Cette année, l’Espagne a adopté deux lois apportant une réponse concrète aux constats soulevés par le Grevio. Aujourd’hui, il est indispensable que le Gouvernement puisse agir en ce sens, afin de protéger l’intérêt supérieur des enfants vivant des agressions domestiques.
Une proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants avait été déposée par les députés du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Elle fut examinée en octobre 2019, mais le Gouvernement se montra frileux, craignant notamment une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) si l’autorité parentale du parent violent était automatiquement suspendue. Pourtant, à ce jour, l’Espagne ne fait l’objet d’aucune poursuite malgré ses évolutions législatives.
L’heure du bilan n’a pas encore sonné ; il est encore temps d’agir ! Madame la ministre, comment le Gouvernement envisage-t-il de renforcer l’arsenal juridique visant à protéger les enfants et le parent, covictimes de violences conjugales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Jean-François Rapin, je veux tout d’abord rappeler l’engagement du Gouvernement contre les violences conjugales.
Dès 2017, le Président de la République en a fait la grande cause de son quinquennat. En 2019, avec le Premier ministre Édouard Philippe, nous avons porté un Grenelle des violences conjugales, qui a permis l’adoption de deux lois par les parlementaires, dont celle que vous venez de mentionner. Au total, ce Grenelle a donné lieu à des centaines de mesures, dont plusieurs dizaines au sein de ces deux lois.
Ces textes sont venus compléter les dispositions de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa », dans laquelle, sur l’initiative de Mme la députée Alexandra Louis et grâce au concours de Mme la sénatrice Marie Mercier, figurent des dispositions visant à mieux protéger les enfants ; le fait de commettre des violences conjugales en présence d’enfants est notamment devenu une circonstance aggravante desdites violences.
Les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 ont tiré les conséquences de cette approche, en prévoyant notamment une suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites pour homicide volontaire sur l’autre parent. Je tiens à le rappeler, car je ne veux pas que l’on puisse laisser entendre que ce ne serait pas le cas aujourd’hui !
Cette disposition nous avait été inspirée par une triste affaire : l’assassinat de Julie Douib par son ex-compagnon. Celui-ci avait, depuis sa prison, conservé l’autorité parentale sur ses enfants, élevés par leurs grands-parents. Aujourd’hui, cette suspension de plein droit de l’autorité parentale figure dans la loi.
Vous savez, monsieur le sénateur, que le droit français ne prévoit pas de peines automatiques, quel que soit le crime ou le délit. Nous avons eu de tels débats dans cet hémicycle, et les sénateurs se sont toujours opposés au principe même des peines automatiques.
Rappelons en revanche que le juge des libertés et de la détention a l’obligation de se prononcer, dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour violences conjugales, sur la suspension du droit de visite. En outre, le juge pénal peut retirer l’exercice de l’autorité parentale en cas de commission d’un crime ou d’un délit, ou encore en cas de mise en danger de la vie de l’enfant ou de désintérêt.
Cela dit, monsieur le sénateur, je veux aller dans votre sens en affirmant que nous devons, en France, travailler à sortir de la culture de la médiation familiale en la matière, afin d’assurer, comme vous le souhaitez, une meilleure protection des enfants face à un parent qui serait dangereux.
Les juridictions se sont d’ores et déjà saisies des dispositions législatives que j’ai évoquées : le nombre de décisions de retrait de l’autorité parentale a considérablement augmenté, passant de 9 décisions en 2017 à 389 depuis le début de l’année 2021 ; on voit donc bien que le travail conjoint des associations, des parlementaires et du Gouvernement a porté ses fruits.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Enfin, un décret a été publié cette année, afin de compléter et de renforcer ces dispositions et de toujours mieux protéger les enfants contre les violences intrafamiliales.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.
M. Jean-François Rapin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je suis heureux que vous reconnaissiez que nous n’allons pas assez loin en la matière et que vous conveniez que les mesures de médiation ne sont pas forcément la panacée. Je vous remercie de permettre à la législation d’évoluer.
réseaux d’éducation prioritaire en zones rurales fragiles
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, auteur de la question n° 1904, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Olivier Rietmann. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le zonage de l’éducation prioritaire en territoire rural.
Dans l’académie de Besançon, la Haute-Saône compte quatre réseaux d’éducation prioritaire (REP), dans les secteurs de Gray, Lure, Saint-Loup-sur-Semouse et Vesoul. Aucun établissement du département n’est inscrit dans un réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+).
De manière générale, sont inscrits en REP+ les établissements des quartiers ou secteurs isolés connaissant les plus fortes concentrations de difficultés sociales, celles-ci ayant, comme vous le savez, des incidences fortes sur la réussite scolaire.
De fait, le secteur rural de Jussey pourrait facilement entrer dans le champ de l’éducation prioritaire, au regard des indicateurs utilisés d’ordinaire que sont le revenu médian, l’indice d’éloignement, ou encore l’indice de position sociale, mais il s’en trouve exclu du fait de la classification liée à la politique de la ville, qui écarte les zones à faible densité de population. Pourtant, les indicateurs sont parfois plus dégradés à Jussey que dans les zones classées REP+ de l’académie de Besançon.
Malheureusement, l’engagement des collectivités locales et des enseignants, qui mettent tout en œuvre, avec leurs moyens, pour la réussite de ces élèves, ne suffit pas !
Pouvons-nous, dans ces conditions, parler d’égalité des chances ? L’État assume-t-il ses responsabilités envers les enfants de ces secteurs ruraux ? Je ne puis résister à parodier Jean de La Fontaine : selon que vous serez urbain ou rural, l’éducation nationale vous sauve ou vous condamne !
Aussi, madame la secrétaire d’État, ma question est simple : comptez-vous inclure, pour le classement en REP ou REP+, un indice d’isolement et d’éloignement géographique qui permettrait de remédier à la flagrante différence de traitement subie par les enfants des secteurs ruraux défavorisés ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Olivier Rietmann, vous nous interrogez sur la nécessité de réviser les critères qui déterminent l’entrée ou la sortie d’établissements en REP et REP+, afin de mieux tenir compte des spécificités des territoires ruraux.
Pour mémoire, Ariane Azéma et Pierre Mathiot se sont vus confier en 2018 et 2019 une mission intitulée « Territoires et réussite », visant à réinterroger les critères de l’éducation prioritaire, ceux-là mêmes que vous venez d’évoquer, de manière bien sûr à mieux tenir compte des spécificités de chaque territoire.
Ils devaient proposer des mesures allant dans le sens d’une plus grande différenciation territoriale dans l’action éducative. Il a ainsi été proposé de prendre en considération l’indice d’éloignement auquel vous faites référence et qui est aujourd’hui utilisé par les autorités académiques et nationales, parmi les différents indicateurs d’analyse territoriale.
Le rapport de cette mission invite à conforter l’éducation prioritaire tout en développant des mesures adaptées à la diversité des besoins territoriaux.
Il a été décidé de ne pas réviser à ce stade la carte de l’éducation prioritaire, mais d’expérimenter deux nouveaux outils, qui devraient permettre d’introduire une plus grande souplesse et une plus grande progressivité dans l’allocation des moyens que celles qui résultent de l’approche binaire du zonage actuel, tout en offrant plus de marges de manœuvre aux autorités locales dans l’identification des territoires cibles.
Les contrats locaux d’accompagnement sont le premier de ces outils ; ils s’adressent aux écoles, aux collèges et aux lycées défavorisés. Cette mesure sera éventuellement élargie à la rentrée scolaire de 2022, en fonction des résultats observés ; quelque 3,2 millions d’euros seront mobilisés dès la présente année scolaire.
Le second outil expérimenté, à savoir les territoires éducatifs ruraux, doit permettre de veiller à la complémentarité des prises en charge pédagogiques des élèves résidant dans des territoires ruraux et éloignés. Cette expérimentation a été lancée en janvier 2021 dans trois académies ; elle concerne aujourd’hui près de 40 000 élèves. Un bilan d’étape a été réalisé.
Notons que ce programme s’inscrit dans le prolongement des conventions ruralité, qui ont permis d’affecter 353 emplois au maintien de l’offre scolaire dans les territoires ruraux.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Rappelons en conclusion l’engagement présidentiel de ne fermer aucune école sans l’accord préalable des maires. Nous trouverons un juste équilibre en nous appuyant sur ces derniers.
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour la réplique.
M. Olivier Rietmann. Madame la secrétaire d’État, je vous parle d’éducation prioritaire, je vous parle de moyens considérables à mettre en œuvre, je vous parle de la nécessité absolue, pour les enfants des territoires ruraux, de bénéficier des mêmes droits que ceux des territoires urbains, et vous me parlez dans votre réponse des territoires éducatifs ruraux !
Dans le secteur de Jussé, ce programme n’offre que 30 000 euros, sur quatre mois, pour 1 200 élèves. Quel décalage, quelle déconnexion !
M. le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Olivier Rietmann. Il faudra aller leur expliquer, madame la secrétaire d’État, le décalage qu’ils subissent en matière de considération ! Je crains qu’ils ne soient pas d’accord avec vous…
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je demande à chacun d’entre vous de bien vouloir respecter les temps de parole impartis. En effet, nous avons déjà pris du retard sur notre programme.
encadrement des stages de survie
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1883, transmise à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Yannick Vaugrenard. En août 2020, madame la secrétaire d’État, Ulysse, un jeune homme de 25 ans, décédait lors d’un stage de survie présenté comme une initiation ouverte à tout type de public et encadrée par son organisateur. Or ce véritable phénomène de société – chaque année, entre 100 000 et 150 000 Français s’y inscrivent – ne dispose d’aucun encadrement législatif ou réglementaire.
C’est pourquoi je suis intervenu le 9 mars dernier, dans cet hémicycle, pour demander la mise en place très rapide d’une fédération nationale agréée et de contrôles réguliers des encadrants. En réponse, madame la secrétaire d’État, vous déclariez que le Gouvernement travaillait sur le sujet.
Le 31 mars, lors d’une rencontre à votre secrétariat d’État, vous m’indiquiez que ce dernier était désormais chargé de ce dossier.
Après plusieurs relances, j’apprenais pourtant le 30 août que, contrairement à ce qui m’avait été indiqué, vos services n’étaient pas chargés de cette question. On m’a alors invité à me rapprocher de Mme la ministre déléguée chargée des sports. Le 17 septembre, son cabinet m’orientait vers le ministre de l’intérieur ! Peine perdue : les conseillers de M. Darmanin m’ont suggéré de revenir vers Mme Maracineanu…
Madame la secrétaire d’État, cette tribulation dans les arcanes des services ministériels est pour le moins surprenante ! En conséquence, je vous demande si, conformément à ce qui m’a été finalement déclaré le 14 octobre, une réunion interministérielle sur le sujet est bien prévue dans les plus brefs délais, ou si elle s’est déjà tenue.
Les tergiversations ne sont plus de mise : combler ce vide juridique, par voie législative ou réglementaire, est une nécessité absolue. Il est urgent d’agir, car nous ne pouvons accepter d’autres drames ; nous ne pouvons accepter la mort d’autres Ulysse !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Yannick Vaugrenard, on observe bien aujourd’hui le développement du survivalisme ; cette activité, que vous qualifiez de phénomène de société, prend des formes très variées : on ne peut donc aujourd’hui ni lui donner une définition précise ni lui appliquer un cadre réglementaire spécifique.
Monsieur le sénateur, vous connaissez ma mobilisation sur ce sujet. L’absence de définition n’a pas permis de vous apporter une réponse immédiate : il ne s’agissait ni d’une activité sportive ni d’une activité associative. C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué, ces pratiques commerciales ne disposent pas actuellement d’un cadre clair.
Par ailleurs, l’usage de l’appellation « stage de survie » peut paraître abusif dans certains cas ; il convient donc d’examiner attentivement le contenu réel de ces stages.
Ces pratiques ne peuvent continuer sans un cadre respectueux des personnes et de l’environnement, sans une maîtrise parfaite. On y relève parfois des excès, voire la mise en danger de personnes.
Ces difficultés, qui conduisent parfois à des drames, relèvent de problématiques très diverses, comme l’utilisation dangereuse d’objets ou d’armes, ou encore le dépassement de limites physiques ou mentales. Je sais, monsieur le sénateur, combien vous y êtes sensible.
Le plus important était de définir le périmètre réglementaire de ces pratiques. Les mesures prises visent principalement les mineurs, ce qui ne permet pas de couvrir l’ensemble de ces activités, qui s’adressent plutôt aux adultes. C’est pourquoi j’ai demandé qu’un travail soit mené, en lien avec les différents ministères concernés, au travers d’une mission d’inspection générale, pour apporter les réponses nécessaires à votre légitime interrogation.
Cette mission devra ainsi s’attacher à réaliser une définition plus précise du survivalisme, au regard de la variété des activités concernées, dont une liste devra être établie ; elle devra également identifier les cadres réglementaires existants permettant d’ores et déjà d’apporter des réponses rapides à ce phénomène.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour la réplique.
M. Yannick Vaugrenard. Il aura fallu presque neuf mois, madame la secrétaire d’État, avant d’obtenir la réponse un peu plus précise que vous me faites aujourd’hui !
Je souhaite véritablement que les choses progressent désormais dans un délai beaucoup plus raisonnable. Je vous remercie de m’informer à l’avenir de l’avancée de ce dossier : il n’est pas urgent d’attendre.
salmonelles et éleveurs de volailles
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, auteur de la question n° 1900, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la secrétaire d’État, je souhaitais attirer l’attention de M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation sur l’évolution de la filière avicole.
Les consommateurs plébiscitent la production d’œufs de poules élevées en plein air et en agriculture biologique ; le ministère lui-même en fait le constat. La profession a largement évolué, et les élevages à taille humaine répondent à cette demande de proximité.
Or la réglementation actuelle en matière de dépistage des foyers de salmonelles n’est pas satisfaisante. Obéissant à un juste souci de protéger les consommateurs et de répondre aux nouveaux enjeux de santé publique, elle met en grande difficulté les petites exploitations. J’ai pu mesurer dans le département du Rhône l’ampleur de cette détresse.
Comment encourager une consommation de proximité plus saine sans mettre en péril les éleveurs qui répondent à cette demande ?
Dans une réunion organisée en octobre dernier au ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la création d’un groupe de réflexion avec l’ensemble de la profession avicole a été annoncée. Les petites exploitations en font-elles partie ?
Plus largement, que compte faire le Gouvernement pour encourager la prévention dans les exploitations de moins de 250 poules, qui ne sont soumises à aucune surveillance ?
La législation doit impérativement évoluer, d’autant qu’elle demande à être précisée quant aux méthodes de prélèvement. Sans indication sur les endroits précis où ces prélèvements doivent être effectués dans l’environnement, on laisse le champ libre à tout type de pratiques.
Madame la secrétaire d’État, il y a urgence ! Que compte faire le gouvernement auquel vous appartenez ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, permettez-moi tout d’abord d’excuser M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation : en déplacement ce matin à Montpellier pour l’inauguration du salon Sitevi, le salon international des équipements et savoir-faire pour les productions vigne-vin, il m’a chargé de vous délivrer sa réponse.
Vous appelez notre attention sur les difficultés rencontrées par les éleveurs de volailles en plein air ou d’agriculture biologique en lien avec le dépistage et la gestion des foyers de salmonelles.
La lutte contre les salmonelles dans les élevages de volailles de ponte a été motivée, dès 1998 en France, par des raisons de santé publique. C’est à cette fin que la réglementation communautaire a interdit le recours systématique aux prélèvements de confirmation ; la réglementation nationale a été mise en conformité en 2018. Cette règle de dépistage permet de conserver un niveau élevé de protection des consommateurs.
Les troupeaux infectés de futures pondeuses sont abattus, ainsi que les troupeaux de poules pondeuses dont les œufs ne partent pas en casserie, afin d’y subir un traitement thermique assainissant vis-à-vis des salmonelles. Les propriétaires des élevages de futures pondeuses et de pondeuses d’œufs de consommation peuvent bénéficier d’une indemnisation pour l’élimination de leurs animaux et pour les frais de nettoyage et de désinfection de leur élevage s’ils respectent les dispositions de la charte sanitaire en la matière.
À cet égard, 70 % des bâtiments de pondeuses adhérents à la charte sanitaire en 2021 correspondent aux modes de production en plein air ou biologique.
Concernant les élevages de poules pondeuses non adhérents à la charte sanitaire, le respect des règles de biosécurité est essentiel. Les petits élevages que vous évoquez souffrent parfois d’un manque d’information et d’appui technique.
Bien conscient des difficultés rencontrées par les éleveurs vis-à-vis de cette problématique et soucieux de leur apporter des réponses appropriées pour faire face aux situations difficiles que certains vivent sur le terrain, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a engagé une réflexion avec les acteurs nationaux de la filière pour adapter les mesures en question, tout en maîtrisant le risque de santé publique associé à cette maladie animale.
Une réunion nationale est prévue très prochainement pour donner de la visibilité sur le calendrier des travaux à mener. Ceux-ci permettront d’aborder tous les volets de la problématique et d’identifier les améliorations possibles.
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État.
Les éleveurs ont investi dans des équipements ; ils sont conscients des risques qu’il convient de maîtriser. En 2018, une réglementation européenne a été transposée dans la législation française. D’autres pays, comme l’Espagne, ont fait de même, mais les petits éleveurs de ces pays ne sont pas confrontés aux difficultés que subissent les éleveurs français.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Il me semble qu’il y a urgence à revoir cette législation : il y a déjà suffisamment de drames dans le monde agricole !
application du nutri-score aux fromages
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 1895, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Alain Marc. Madame la secrétaire d’État, ma question, que j’avais adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, concerne le Nutri-score.
Tous les représentants des professionnels de la filière du roquefort, mais aussi ceux de la fourme de Laguiole, en Aveyron – mon collègue Jean-Claude Anglars peut en témoigner –, éprouvent de vives inquiétudes quant au décalage qui existe entre l’étiquetage nutritionnel et la qualité même des produits laitiers : l’algorithme du Nutri-score aurait pour effet de classer près de 80 % des fromages dans la catégorie D ; près de 10 % d’entre eux, dont les fromages à appellation d’origine protégée (AOP) que sont le roquefort et le laguiole, seraient classés dans la catégorie E.
Par ailleurs, Santé publique France préconise d’interdire la publicité pour les aliments notés D et E.
Or nous sommes face à un véritable paradoxe : le roquefort et le laguiole, ainsi que les autres fromages au lait cru bénéficiant d’une AOP, sont des aliments peu transformés, sans additifs, et respectant des recettes traditionnelles transcrites dans des cahiers des charges très stricts et non modifiables.
Aussi, à l’heure où il est envisagé de rendre le Nutri-score obligatoire à partir de 2022, c’est un véritable sentiment d’injustice qui se fait jour. Nous ne comprenons pas que le roquefort ou le laguiole puissent recevoir une note de D ou E, alors que des produits industriels ultratransformés, composés de nombreux additifs et conservateurs, affichent une note de A ou B.
Les professionnels de ces filières souhaitent donc, à juste titre, que ces fromages sous label de qualité et AOP soient exemptés du logo Nutri-score, qu’ils estiment simpliste et réducteur.
S’il est parfaitement louable d’informer le consommateur, le devoir de transparence doit se faire à bon escient : Santé publique France ne devrait pas pénaliser le roquefort et le laguiole, ainsi que les autres fromages à la qualité reconnue par une AOP, qui font la fierté de la France et de sa gastronomie.
En conséquence, le Gouvernement envisage-t-il une exemption pour nos célèbres fromages ? Entend-il respecter et défendre le patrimoine gastronomique français ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Alain Marc, vous avez souhaité interroger le Gouvernement sur le Nutri-score et, plus particulièrement, sur son application aux produits bénéficiant d’une AOP, comme le roquefort, qui font la fierté de nos territoires et de notre gastronomie.
Je voudrais tout d’abord rappeler les objectifs du Nutri-score : il s’agit d’un logo nutritionnel, adopté sur des fondements scientifiques. Il apporte au consommateur une information différente, mais complémentaire de celle que fournit une AOP.
Je voudrais également lutter contre quelques idées fausses.
Tout d’abord, le Nutri-score est volontaire et ne sera jamais rendu obligatoire en France s’il ne l’est pas dans toute l’Europe, afin d’éviter toute concurrence déloyale. Il est donc hors de question de le rendre obligatoire au 1er janvier 2022.
À l’échelle européenne, une étude d’impact est certes menée actuellement par la Commission européenne, étude qui pourrait déboucher vers un système d’étiquetage obligatoire, mais celui-ci n’est pas encore connu et fera l’objet de discussions approfondies. Cela n’aura pas lieu, de toute façon, avant la fin de 2022, et la France aura son mot à dire sur les éventuelles évolutions proposées par la Commission.
La France ne soutiendra jamais un système susceptible de nuire à la réputation gastronomique de ses fromages, en particulier de ses fromages AOP. Il y va de la réputation patrimoniale de notre pays.
Par ailleurs, vos remarques portent sur la méthode utilisée pour définir les lettres du Nutri-score. Elles sont justes. C’est pourquoi nous devons en premier lieu poursuivre les travaux d’évolution de l’algorithme du Nutri-score. Un comité scientifique constitué d’experts indépendants a été mis en place au mois de février 2021, afin d’évaluer ces potentielles évolutions.
Les autorités françaises, monsieur le sénateur, je vous le garantis, continueront de plaider pour un traitement adapté de certains produits dans le cadre de la démarche Nutri-score auprès des pays engagés dans la gouvernance européenne. Elles saisiront le comité scientifique européen, afin d’évaluer le potentiel d’évolution nécessaire.
mise en œuvre de la contractualisation dans le secteur de l’élevage pour les marchés de bétail vif
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, auteur de la question n° 1850, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Jean-Claude Anglars. Madame la secrétaire d’État, ma question était adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
La loi Égalim 2 vise à protéger la rémunération des agriculteurs en renforçant la construction du prix, préoccupation que je partage pleinement.
Cependant, l’application concrète de la loi suscite des interrogations. En effet, la généralisation de la contractualisation inquiète les producteurs. Ils craignent que le système ne renforce le rapport de force en faveur des industriels et des distributeurs dans les négociations.
L’inquiétude est grande dans le secteur de l’élevage et, particulièrement, sur les marchés de bétail vif, qui sont des acteurs incontournables de l’économie agricole.
La Fédération française des marchés de bétail vif représente ainsi 45 marchés, 1 million d’animaux commercialisés par an et environ 20 000 éleveurs. Dans l’Aveyron, les inquiétudes viennent, par exemple, du marché de gré à gré de Laissac, qui représente 8 % des volumes de l’activité nationale.
Or, vous le savez, les marchés de bétail vif jouent un rôle essentiel dans la définition des cours. Le carreau est en effet un dispositif de l’économie de marché des filières de la viande, notamment des viandes bovines et ovines, qui permet la confrontation permanente des besoins du marché et de l’offre existante.
Aussi, vous comprendrez, madame la secrétaire d’État, que les acteurs du secteur s’interrogent sur la mise en œuvre de la contractualisation et sur l’avenir des marchés qui permettent d’établir les références commerciales observées par la filière. Il est donc important d’apporter des éclairages concrets sur la commercialisation sur le carreau des animaux.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser comment sera réalisée la contractualisation pour les animaux mis en vente par les négociants acheteurs ayant déjà acheté l’animal à un éleveur ?
Enfin, comment seront garanties, dans le cadre de la contractualisation pluriannuelle obligatoire, la prise en compte et l’actualisation de tous les indicateurs des coûts de production, tout au long du contrat ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, vous évoquez la situation des marchés de bétail vif au regard de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Égalim 2 », notamment de la généralisation de la contractualisation.
Les débats parlementaires ont montré qu’il était indispensable de rendre obligatoire la contractualisation pour les producteurs agricoles, en particulier pour les éleveurs. Comme le rappelle l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, la filière des éleveurs de bovins allaitants fait partie de celles qui vendent structurellement leurs bêtes en dessous des coûts de production.
Ces contrats, pluriannuels, fondés notamment sur la prise en compte d’indicateurs de coûts de production, mais aussi d’indicateurs de qualité, sont de nature à donner plus de sécurité à nos agriculteurs.
Enfin, une clause de « tunnel de prix » intégrée au contrat, dont les bornes sont discutées entre le vendeur et l’acheteur, permettra également de donner des garanties à l’éleveur.
Néanmoins, même si la contractualisation devient le cas général, la situation des marchés aux bestiaux a été prise en compte dans la loi, notamment dans le cas d’une transaction entre le producteur agricole et son premier acheteur, c’est-à-dire lorsque l’éleveur vend lui-même directement sur le marché ou si l’éleveur donne mandat à un tiers, par exemple à un négociant, d’effectuer pour son compte la première vente sur un tel marché.
De par leur nature même, les marchés aux bestiaux, qui reposent sur des modalités spécifiques de négociation impliquant notamment une présentation des produits et une transaction directe entre acheteur et vendeur, ne s’inscrivent pas dans le mécanisme de contractualisation écrite, tel qu’il est prévu dans le code rural et de la pêche maritime.
En conséquence, un éleveur qui vendrait directement sur un marché ou qui vendrait via un négociant à qui il a donné mandat n’a pas à contractualiser avec l’acheteur qui vient effectuer la transaction sur le marché.
En conclusion, il n’y a pas de contractualisation sur les marchés aux bestiaux. En revanche, les négociants qui auront préalablement acheté les animaux à l’éleveur devront obligatoirement avoir passé un contrat avec lui. Ce contrat prendra en compte des indicateurs de coûts de production, mais aussi de qualité ou de marché, ces derniers pouvant par exemple s’appuyer sur la cotation du marché.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Cette méthode aura naturellement un effet sur le prix de vente proposé par le négociant sur le marché et confortera la « marche en avant du prix ».
situation de la forêt périgourdine
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la question n° 1907, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Serge Mérillou. La Dordogne est le troisième département le plus boisé de France. Il compte 408 000 hectares de forêt, en croissance permanente. Son taux de boisement s’élève à 44 %. Sa filière du bois est synonyme d’emploi et de vitalité économique.
Le Périgord, grâce à sa forêt, est l’un des poumons verts de notre pays ! Préserver ce patrimoine, mais surtout accompagner ses mutations, doit être notre objectif à l’échelon tant local que national.
Madame la secrétaire d’État, voilà un an, je vous alertais ici même sur les problèmes liés au morcellement de notre forêt. Je tiens donc à saluer le volet forestier du plan de relance mis en place par le Gouvernement, qui permettra, entre autres, de reboiser plus de 1 600 hectares en deux ans. J’en suis convaincu, accompagner les propriétaires dans le renouvellement forestier est une priorité absolue.
Cependant, pour qu’elles soient efficaces, les aides prévues doivent être prolongées et adaptées pour nos forêts morcelées. Je pense en particulier au dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt (DEFI).
À titre d’exemple, j’évoquerai la forêt périgourdine, qui est privée à 99 %. La moyenne des surfaces est de 4 hectares par propriétaire, les parcelles étant très éclatées. En 2019, seuls 920 000 mètres cubes de bois ont été prélevés, soit seulement 40 % du volume d’accroissement annuel. En somme, la Dordogne produit beaucoup, mais peu de bois est mobilisé et valorisé.
Ces caractéristiques sont synonymes de freins à la modernisation et au repeuplement ou encore de difficultés à structurer des voies de défense.
Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin de l’aide de l’État pour engager sur la durée des opérations visant à améliorer les structures foncières de notre forêt. Face à ces enjeux, allez-vous donner à la forêt les moyens de relever les défis nécessaires à sa préservation et à son développement ? Que comptez-vous faire pour soutenir la forêt périgourdine, qui présente des particularités ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, vous nous alertez sur la situation de la forêt périgourdine, qui nécessite aujourd’hui le développement d’une gestion forestière raisonnée, durable et profitable à l’économie locale, en particulier sur le morcellement de cette forêt.
Tout d’abord, il convient de noter que le morcellement de la forêt privée est un enjeu national. En effet, il perdure, la France comptant plus de 3,3 millions de propriétaires forestiers, dont 2,2 millions disposent de moins d’un hectare.
Au total, les propriétés dont les surfaces vont de 1 à 4 hectares, de 4 à 10 hectares et de 10 à 25 hectares représentent environ 1,4 million d’hectares. Ce morcellement, monsieur le sénateur, constitue un enjeu prioritaire pour le Gouvernement, un enjeu majeur pour la politique forestière française. Des recommandations ont été formulées dans les nombreux rapports remis sur cette question pour faciliter la gestion des petites et moyennes propriétés forestières privées.
Ainsi, le groupement d’intérêt économique et environnemental forestier (Gieef) vise à apporter une première réponse. Il repose sur le groupement volontaire des propriétaires forestiers, afin de gérer en commun leur forêt.
Le déploiement de ce dispositif, monsieur le sénateur, reste aujourd’hui limité, puisque seuls vingt-quatre groupements ont été créés à ce jour, représentant à peine 17 000 hectares.
Dans un contexte difficile d’approvisionnement de la filière, l’enjeu est de pouvoir regrouper l’offre et de constituer des entités palpables en regroupant les propriétaires.
Monsieur le sénateur, cette question est traitée de manière approfondie dans le cadre des Assises de la forêt et du bois. Je sais que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation travaille, afin d’abaisser le seuil et de favoriser le développement de groupements.
Face aux dépérissements de toutes natures que nos forêts subissent aujourd’hui, le Gouvernement a engagé, dans le cadre du renouvellement forestier et du plan de relance, plus de 150 millions d’euros, vous l’avez salué, monsieur le sénateur.
Le Premier ministre a par ailleurs annoncé le 24 juillet dernier une enveloppe supplémentaire de 100 millions d’euros. En Dordogne, ce sont 460 hectares qui bénéficieront d’un financement dans le cadre du plan de relance, dont 80 % serviront…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. … essentiellement à la reconstitution des peuplements de châtaigniers, ruinés par la maladie de l’encre, entre autres.
inquiétude de la filière d’appellation de la fourme de montbrison
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la question n° 1889, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Cécile Cukierman. Madame la secrétaire d’État, la mise en place du logo Nutri-score prévue en 2022 inquiète les acteurs des filières des appellations d’origine protégée sur tout le territoire national. La filière de la fourme de Montbrison dans la Loire ne fait pas exception.
Loin de nous évidemment l’idée de remettre en cause les objectifs de santé publique, mais force est de constater que le classement par lettres, qui vise à orienter les choix alimentaires du consommateur, ne prend en compte ni la qualité des produits ni même la quantité réellement consommée au cours d’un repas.
La fourme de Montbrison fait l’objet d’un mauvais classement – elle est classée D –, en raison notamment de sa teneur en sel et en matières grasses, alors même qu’elle obéit à un cahier des charges et à des normes très strictes, auxquels il n’est pas possible de déroger, sauf à perdre l’appellation.
Je tiens donc à rappeler que ces produits, dès lors qu’ils seront estampillés D ou E, pourraient être interdits de publicité ou retirés des repas des collectivités. Le Nutri-score stigmatise donc un produit simple, peu transformé, à partir de lait et de sel pour sa conservation.
Alors que le monde agricole peine à se rémunérer décemment, l’application du Nutri-score aux produits sous AOP pourrait fragiliser ces filières et précariser davantage certains professionnels. Plus largement, elle conduirait à faire entrer dans nos assiettes des produits sans lien avec le terroir et à ne pas privilégier la proximité et les circuits courts, auxquels nous aspirons pourtant tous.
Compte tenu de ces éléments, et au nom des producteurs de fourme de Montbrison, je souhaite savoir ce que le Gouvernement entend entreprendre, afin de protéger cette filière qui participe au rayonnement international de la gastronomie et des savoir-faire de la France.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, vous interrogez le Gouvernement sur l’application du Nutri-score à la fourme de Montbrison.
Nos produits, en particulier nos fromages, font la fierté de la gastronomie française. Je rappelle, même si vous l’avez déjà fait, que les objectifs du Nutri-score sont spécifiques. Il s’agit d’apporter des informations complémentaires aux consommateurs, dans le cadre d’une politique de santé publique plus complète.
Cela étant, les consommateurs ne s’y trompent pas. Le suivi des ventes montre bien que les consommateurs plébiscitent les produits sous appellation, quel que soit leur Nutri-score, en particulier les fromages, dont les ventes sont en hausse. Cela montre que le goût et la qualité intrinsèque des produits sous AOP restent les critères principaux d’achat des consommateurs.
Madame la sénatrice, pour apaiser vos craintes et lutter contre les idées fausses, je rappelle, comme je l’ai fait il y a quelques instants à peine, que le Nutri-score est mis en œuvre sur la base du volontariat et qu’il ne sera jamais rendu obligatoire en France s’il ne l’est pas dans toute l’Europe, et ce afin d’éviter toute concurrence déloyale, bien sûr. Il est donc hors de question de le rendre obligatoire au 1er janvier 2022.
Une étude d’impact à l’échelon européen est en cours de réalisation par la Commission européenne. Elle pourrait déboucher sur un système d’étiquetage obligatoire, mais elle n’est pas connue à ce jour et doit encore faire l’objet de discussions très approfondies. En tout état de cause, cet étiquetage ne sera pas mis en œuvre avant la fin de l’année 2022, et la France aura son mot à dire sur les éventuelles évolutions du système proposé.
Madame la sénatrice, la France ne soutiendra jamais, je l’ai dit et je le répète, un système susceptible de nuire à la réputation de sa gastronomie, en particulier de ses fromages sous AOP. Il y va de la réputation patrimoniale de la France.
C’est pourquoi nous devons poursuivre les travaux d’évolution de l’algorithme du Nutri-score. Les autorités françaises continueront de travailler sur l’adaptation de cet algorithme.
Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur la mobilisation du Gouvernement pour protéger notre gastronomie.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Si le Nutri-score n’est pas pris en compte par les consommateurs, autant le supprimer ! Cela sera plus pratique pour élaborer les emballages…
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je reste inquiète, car nous savons que le Nutri-score pourra avoir une influence dans les années à venir sur la constitution des menus des écoles, des maisons de retraite et, plus largement, des structures collectives, donc sur la diffusion de ce produit.
élevage de la volaille de bresse et grippe aviaire
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 1951, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Patrick Chaize. Madame la secrétaire d’État, j’attire l’attention du Gouvernement sur les difficultés auxquelles se heurtent les éleveurs de volaille de Bresse en cette période de risque d’influenza aviaire.
Répondant au cahier des charges d’une appellation d’origine protégée (AOP), la volaille de Bresse, race pure avec des spécificités uniques, présente un caractère particulièrement vif. Son accès à un parcours enherbé constituant une nécessité vitale, la pratique du confinement en bâtiment ou sur parcours très restreint est problématique.
Lors de l’hiver 2005-2006, l’une des dernières périodes de vigilance sanitaire, le confinement a entraîné 30 % à 40 % de pertes directes, et de nombreuses volailles ont été déclassées.
Compte tenu de la progression du virus de l’influenza aviaire, le Gouvernement a placé le territoire hexagonal en risque élevé. Des mesures préventives ont été prévues, dont la mise à l’abri tant redoutée des volailles des élevages commerciaux.
Face au risque de dépréciation de l’AOP que constitue cette mesure, les éleveurs ont proposé des solutions dérogatoires à la direction générale de l’alimentation. Les producteurs attendent aujourd’hui une réponse à leurs propositions volontaristes, qui permettent d’allier à la fois précautions contre les risques de grippe aviaire et respect des principes d’élevage qui font la particularité de l’emblématique volaille de Bresse.
Ces mesures attendues seront déterminantes pour un certain nombre d’éleveurs, qui, faute de solutions, ont clairement indiqué leur volonté de mettre un terme à leur production face aux risques trop élevés de pertes.
Compte tenu des menaces sérieuses qui pèsent sur l’avenir de la filière et de l’AOP Volaille de Bresse, pourriez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, quelles réponses le Gouvernement entend apporter aux propositions des éleveurs ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je vous remercie d’appeler l’attention du Gouvernement sur la production des volailles de Bresse.
Permettez-moi tout d’abord de revenir sur la situation épidémiologique que nous connaissons cette année. Nous recensons aujourd’hui en Europe, et cela depuis la fin du mois août, plus de 600 cas en faune sauvage et plus de 400 foyers en élevage. Aujourd’hui, 26 pays sont touchés par l’épizootie en Europe.
En France, un premier foyer en élevage de poules pondeuses vient d’être mis en évidence depuis l’épizootie de l’hiver dernier. Les investigations sont en cours pour identifier les élevages en lien épidémiologique et l’origine de la contamination. L’élevage est en cours de dépeuplement.
Nous comptabilisons aussi à ce stade trois cas en basse-cour et quatre cas en faune sauvage, dont des cas groupés autour des étangs du nord-est de la France.
C’est bien le signe que le virus circule de nouveau cette année dans la faune sauvage et que le risque d’une nouvelle crise est bien réel.
C’est justement afin de se prémunir contre une nouvelle crise de l’ampleur de celle que nous avons vécue la saison dernière, et de protéger toutes nos filières, que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a pris des mesures : le rehaussement des niveaux de risque et les mesures de mises à l’abri obligatoires qui en découlent.
Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur le professionnalisme et l’appui des services de l’État pour aider, d’un point de vue à la fois technique et financier, la filière de la volaille de Bresse, comme les autres filières, à s’approprier les nouvelles mesures et les modalités de mise en œuvre adaptées au risque.
C’est grâce à la concertation et au travail collectif avec l’ensemble des acteurs de la filière, les chambres d’agriculture, les vétérinaires et les élus locaux que nous sommes aujourd’hui prêts à nous mobiliser face aux risques.
L’ensemble des filières professionnelles, les chasseurs et les particuliers détenteurs d’oiseaux doivent respecter strictement les mesures de protection contre l’influenza aviaire et déclarer sans délai toute suspicion, dont des mortalités anormales en élevage,…
M. le président. Il faut conclure !
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Madame la secrétaire d’État, votre réponse ne me satisfait pas. Vous ne tenez pas compte de la spécificité de la volaille de Bresse.
Le territoire de la Bresse a bénéficié de mesures dérogatoires au mois de novembre 2020, alors que la situation y était la même qu’aujourd’hui. Dès lors, pourquoi de telles dérogations ne sont-elles plus possibles aujourd’hui ?
Madame la secrétaire d’État, je vous invite à venir à la rencontre des éleveurs lors des traditionnels concours de volaille, qui se tiendront le 17 décembre à Bourg-en-Bresse, afin de mieux comprendre les enjeux des mesures prises.
Madame la secrétaire d’État, le comble est que, alors que vous êtes chargée de la jeunesse et de l’engagement, vous venez, par votre réponse, de réduire à néant l’engagement de la jeunesse dans cette filière d’excellence.
insuffisance des moyens affectés à la réanimation pédiatrique à paris et en île-de-france
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteure de la question n° 1409, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, la bronchiolite est une maladie qui touche 30 % des enfants de moins de 2 ans.
Elle commence par un simple rhume, une toux, et se poursuit par une gêne respiratoire. L’enfant peut même présenter des difficultés pour s’alimenter. Cette situation nécessite alors la consultation d’un médecin, voire un passage aux urgences et une hospitalisation.
En réanimation pédiatrique, l’absence d’infirmiers ou leur présence en nombre insuffisant, qui pourraient être compensées par le recours à des professionnels dûment formés, conduisent inévitablement à des fermetures de lits, plus ou moins temporaires.
Régulièrement, les six services pédiatriques de Paris et d’Île-de-France se retrouvent rapidement débordés, ce qui les contraint à refuser des patients, voire à les déplacer hors de la région capitale, faute de place. De début octobre à mi-décembre 2019, quelque 25 enfants en détresse ont ainsi dû être transportés.
En raison du respect scrupuleux par la population des gestes barrières, l’épidémie de bronchiolite a été particulièrement faible l’hiver dernier. Mais, dès la mi-septembre, les experts de Santé publique France indiquaient que ce manque d’entraînement immunitaire chez les jeunes enfants pourrait conduire, cette année, à une épidémie plus importante, dès l’automne.
Force est de constater qu’ils ont vu juste. Depuis la mi-octobre, les pédiatres sont débordés et les services d’urgence pédiatrique parisiens saturés, sans possibilité de décharge sur la province.
J’aimerais donc connaître les mesures que le Gouvernement a mises en œuvre, dès l’alerte officielle, mi-septembre, afin de corriger cette situation qui place les personnels médicaux sous tension dans des services déjà saturés, au préjudice de bébés en détresse, dont le pronostic vital peut se trouver engagé.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Catherine Dumas, à l’automne 2019, les services de réanimation pédiatrique et de surveillance continue d’Île-de-France ont connu des phénomènes de saturation qui ont conduit à transférer de jeunes patients hors de la région.
Sur saisine du ministre de la santé, l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, a mené une mission, afin d’éclairer les raisons de cette saturation, et formulé des préconisations pour y remédier.
Des mesures ont été instaurées visant à améliorer la fluidité de l’ensemble de la filière de prise en charge des soins critiques pédiatriques, via le renforcement de certaines structures clés, comme les unités de surveillance continue. Par ailleurs, afin de fluidifier le traitement des situations problématiques, des indicateurs d’alerte fondés sur la disponibilité de lits ont été déployés.
L’épidémie de bronchiolite survient cette année avec trois semaines d’avance, dans un contexte particulier marqué par une dette immunitaire, en raison de l’absence d’épidémie hivernale l’an dernier, ainsi que par une forte tension sur le système de soins ; cela n’arrange rien, nous sommes bien d’accord.
L’ARS d’Île-de-France a déployé un plan d’action intégrant toute la filière de prise en charge de l’enfant et tirant parti de l’expérience covid. Les mêmes principes d’adaptation de l’offre hospitalière ont été utilisés, la montée en charge des capacités en lits étant coordonnée au niveau de la région.
Une régulation régionale des SMUR (services mobiles d’urgence et de réanimation) pédiatriques se met en place et une cellule d’appui à la recherche de lits a été activée. Des partenariats sont également activés avec la médecine de ville partout où c’est possible, afin de réduire la tension subie par les services d’urgences pédiatriques.
En parallèle, un travail de fond se poursuit pour faciliter le recrutement et le maintien des infirmiers et puéricultrices dans les services de soins critiques, pour constituer un vivier de renfort et pour agir en amont dès la formation.
Compte tenu de l’accumulation des menaces virales qui pèsent sur l’organisation des établissements de santé et que doivent affronter les soignants, le Gouvernement a maintenu un ensemble de dispositifs de soutien comprenant notamment la majoration des heures supplémentaires, du temps de travail additionnel et un assouplissement du cumul emploi-retraite.
Le système de santé tire les enseignements de la crise, et le Gouvernement entend résorber toutes les inégalités d’accès aux soins.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, je vous le répète : prenez garde à l’attente des parents qui pourraient avoir à se présenter aux urgences cet hiver à cause de la bronchiolite !
avenir du centre 15 dans l’yonne
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, auteure de la question n° 1771, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté souhaite, depuis plusieurs années maintenant, supprimer le centre 15 de l’Yonne, afin de centraliser l’ensemble des services en un pôle régional situé à Dijon.
Cette décision est en totale contradiction avec les réalités du terrain. En effet, l’Yonne est un département très rural, et l’efficacité des services de secours et d’urgence repose sur une connaissance fine du territoire, dans des situations où, par définition, chaque minute compte.
C’est d’ailleurs cette implantation locale qui permet au centre 15 d’Auxerre de compter parmi les meilleurs de France, selon une étude du journal Le Point en date de 2018.
En outre, si tous les élus et médecins se rejoignent sur le sujet, c’est qu’ils ont un projet : créer une plateforme départementale rassemblant le 15 et le 18, afin de profiter de la bonne entente des « rouges » et des « blancs » sur notre territoire et de la vitalité exemplaire des pompiers de l’Yonne.
De surcroît, les hommes et femmes de cette structure ont été en première ligne tout au long de la crise sanitaire et leur investissement a été à maintes reprises salué. Il apparaîtrait dès lors profondément injuste que ces personnels soignants soient récompensés de leur engagement par une fermeture de leur lieu de travail.
Enfin, ce que la crise sanitaire nous a également appris, c’est qu’il n’est jamais bon de vouloir faire des économies sur la santé de nos concitoyens.
C’est pourquoi je demande au Gouvernement de faire preuve de bienveillance pour permettre à ce centre 15-18 d’exister, conformément, d’ailleurs, aux dispositions de la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite « loi Matras », récemment promulguée, et d’abandonner le projet funeste de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté, qui souhaite la fermeture du centre 15 d’Auxerre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Dominique Vérien, vous appelez l’attention du Gouvernement sur le devenir du centre de réception et de régulation des appels d’urgence (CRRA 15) de l’Yonne.
Votre question tire argument du projet régional de santé arrêté par le directeur général de l’ARS en juillet 2018, qui prévoit de confier au centre hospitalo-universitaire (CHU) de Dijon la régulation médicale des appels au 15.
Ce projet ne vise nullement à faire des économies, tant s’en faut ; le Gouvernement, compte tenu des investissements massifs et sans précédent qu’il réalise dans notre système de santé, ne saurait souffrir un tel procès d’intention.
Pour ce qui est des projets territoriaux, la recherche d’une organisation optimale, tenant compte des tensions qui s’exercent sur les ressources médicales des structures d’urgence, a seule guidé les travaux de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté. Cette dernière souhaite garantir à la fois la qualité de la régulation médicale des appels d’urgence et un renfort à distance des équipes médicales d’urgence icaunaises par les équipes du CHU de Dijon.
Telles sont les raisons qui ont conduit l’ARS à envisager pour l’Yonne une organisation interdépartementale de la régulation médicale d’urgence, sur le modèle de ce qui est déjà en place depuis 2018 dans le département voisin de la Nièvre, mais aussi en Franche-Comté de longue date.
Le projet régional de santé prévoit d’ailleurs qu’une évaluation du regroupement des centres 15 de Nevers et de Dijon, effectif depuis plus de trois ans désormais, est un préalable à tout nouveau projet de regroupement de centres 15 en Bourgogne-Franche-Comté. Cette évaluation vient de commencer, et l’ARS a invité les élus de l’Yonne à participer aux travaux, afin de confronter directement leurs craintes aux résultats constatés dans le département voisin.
Vous y avez vous-même été invitée, madame la sénatrice. Je ne puis que vous encourager à répondre positivement à cette invitation, tant cette démarche est de nature à rouvrir le dialogue sur des bases objectivées et partagées.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, j’aurais aimé que vous nous confirmiez ce que le Premier ministre nous avait annoncé, à savoir qu’il allait remettre à plat la question, pour savoir s’il était bel et bien normal d’installer le centre 15 à Dijon, étant entendu que la situation à Nevers ne semble pas tout à fait satisfaisante.
En outre, contrairement, sans doute, à ce qui se passe dans d’autres départements, le lien avec les pompiers, dans l’Yonne, est très fort, et nous sommes d’ores et déjà prêts à créer une plateforme commune.
difficultés d’accès aux soins en orthophonie
M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 1876, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés d’accès aux soins en orthophonie que rencontrent les habitants de la Loire.
Actuellement, le temps d’attente moyen pour obtenir un rendez-vous dans ce département est d’environ douze mois. Dans certaines villes, comme Saint-Chamond, les délais peuvent être d’un an et demi !
Tous les territoires sont touchés, qu’ils soient ruraux ou urbains. Le département comptant moins de 300 orthophonistes, dont la majorité exercent en libéral, nombre de familles renoncent à prendre des rendez-vous.
Cette situation a bien évidemment des conséquences sur la santé des patients, qui sont en grande majorité des enfants âgés de 3 à 6 ans. Quant aux parents dont les enfants rencontrent des difficultés d’apprentissage et d’insertion, ils se retrouvent désemparés. À long terme, ce retard de prise en charge est payé au prix fort par la société.
Depuis plusieurs années, de nombreuses propositions ont été élaborées par les syndicats et par les parlementaires : revaloriser les grilles statutaires des orthophonistes salariés, améliorer la progression de carrière, faire évoluer le numerus clausus.
Une autre piste avait été évoquée, au Sénat, lors de l’examen de la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification : un article adopté par la Haute Assemblée, finalement rejeté à la demande du Gouvernement, permettait l’accès direct aux orthophonistes en vue de simplifier le parcours de soins des patients et de réduire les dépenses de l’assurance maladie.
Nonobstant ces réflexions, les évolutions que connaît cette profession sont encore peu importantes et très lentes.
Aussi, je souhaite connaître les réformes que le Gouvernement projette d’engager, afin de répondre aux préoccupations de cette profession, des patients et des familles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Bernard Fournier, la pratique de l’orthophonie comprend la promotion de la santé, la prévention, le bilan orthophonique et le traitement des troubles de la communication et du langage dans toutes leurs dimensions – cognition mathématique, parole, voix, fonctions oro-myo-faciales.
L’orthophoniste pratique actuellement son activité sur prescription médicale. Ces dernières années, des prérogatives supplémentaires lui ont été reconnues. Depuis 2016, il peut prescrire et renouveler certains dispositifs médicaux et, en cas d’urgence, accomplir les soins nécessaires sans prescription. Depuis la promulgation de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, il peut adapter les prescriptions médicales dans le cadre d’un renouvellement.
Bien que ces avancées aient permis de fluidifier les parcours de soins, nombre de patients pâtissent encore de délais d’attente trop longs – je vous rejoins, monsieur le sénateur, sur ce qui est l’objet principal de votre question.
Près de 28 000 – 27 642 précisément – orthophonistes exercent aujourd’hui sur le territoire français, dont 80 % en libéral ou selon un modèle dit « mixte », comprenant au moins une activité libérale, et 20 % en tant que salariés strictement hospitaliers. Vous soulignez en particulier le faible nombre d’orthophonistes dans le département de la Loire, qui a pour conséquence, bien sûr, l’allongement des délais d’attente.
Le Gouvernement a fait de l’accès aux soins l’une de ses priorités, pour ce qui concerne tant les généralistes que les spécialistes.
J’en veux pour preuve l’actuel projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté définitivement hier après-midi par l’Assemblée nationale, qui prévoit d’expérimenter l’accès direct aux orthophonistes avant une éventuelle généralisation facilitant, à terme, le recours à ces professionnels de santé. D’une durée de trois ans, cette expérimentation fera à court terme gagner du temps au patient, simplifiant son parcours de soins, et permettra, à moyen terme, d’observer l’impact d’une telle mesure sur la démographie des orthophonistes.
Cette première réponse est d’autant plus essentielle qu’elle fera l’objet d’un rapport d’évaluation. Ce document constituera une base utile pour la réflexion que nous allons collectivement mener en vue de prendre des mesures supplémentaires pour améliorer l’accès aux soins en orthophonie.
Pas à pas, monsieur le sénateur, nous avançons ensemble pour garantir à tous les Français un égal accès aux soins.
contrats des médecins au sein des centres municipaux de santé
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, auteur de la question n° 1892, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean Sol. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la problématique des médecins recrutés et salariés par les collectivités territoriales et mis à disposition des maisons ou des centres de santé.
Sauf erreur, les collectivités territoriales qui font le choix de recruter des médecins ont l’obligation de le faire, dans un premier temps, sur la base d’un contrat à durée déterminée de trois ans, ce qu’acceptent généralement les praticiens.
La contractualisation en CDI ne peut en principe s’envisager qu’après le renouvellement du CDD de trois ans, soit après six ans d’exercice professionnel effectif. Ce délai est à mon sens bien trop long pour permettre aux collectivités de conserver les médecins qu’elles recrutent.
Ce dispositif, s’il est avéré, me semble un véritable frein à l’installation des médecins sur nos territoires, dans un contexte où, vous le savez, madame la ministre, la désertification médicale s’amplifie jour après jour. En effet, le statut précaire sous lequel exercent pendant six ans ces professionnels de santé les empêche par exemple de contracter un prêt, menaçant la stabilité et l’attractivité des centres municipaux de santé.
L’enjeu étant ne pas aggraver le risque, malheureusement déjà prégnant, de désertification médicale, il faut prendre toute la mesure de ce constat et apporter toutes les garanties nécessaires à la mise en œuvre des mesures déjà adoptées par le Gouvernement, comme le dispositif « 400 médecins ».
Madame la ministre, comment comptez-vous agir en ce sens ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Jean Sol, la question de la sécurité juridique des recrutements effectués en centre de santé constitue une préoccupation du Gouvernement.
Nous nous attachons à renforcer la base légale permettant aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comme aux départements de pourvoir au recrutement des personnels qui doivent être affectés dans les centres de santé dont ils sont gestionnaires. Le principe régissant un tel recrutement est d’ailleurs réaffirmé à l’article 33 du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Les dispositions en vigueur prévoient que des agents contractuels peuvent être engagés par contrat à durée déterminée d’une durée maximale de trois ans, renouvelable, par reconduction expresse, dans la limite d’une durée maximale de six ans. Si, à l’issue de cette période, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l’être que par décision expresse et pour une durée indéterminée.
En outre, « tout contrat conclu ou renouvelé pour pourvoir un emploi permanent […] avec un agent qui justifie d’une durée de services publics de six ans au moins sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu pour une durée indéterminée. »
Ces dispositions relatives au recours aux agents contractuels dans la fonction publique territoriale ont été récemment modifiées par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. S’il a été débattu d’un possible recrutement en CDI des agents contractuels, qu’il s’agisse d’un primorecrutement ou d’un renouvellement à l’échéance d’un premier contrat de trois ans, cette faculté n’a pas été retenue pour le versant territorial de la fonction publique.
Une évolution générale de ces dispositions législatives, qui dépassent le cadre des centres de santé, n’est pour l’heure pas prévue.
Toutefois, pour que ces missions soient remplies, il peut aussi être envisagé de recourir à des mises à disposition de praticiens hospitaliers, cette solution permettant d’atteindre l’objectif que nous partageons dans le respect des dispositions en vigueur.
M. le président. La parole est à M. Jean Sol, pour la réplique.
M. Jean Sol. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre ; elle va dans le sens d’un renforcement de la base légale applicable aux situations que j’ai évoquées.
Un tel renforcement, les élus de nos territoires l’attendent impatiemment. Le problème exposé est bien réel ; il mérite d’être traité si l’on veut endiguer la désertification médicale.
conséquences pour les assurés sociaux des difficultés à pouvoir déclarer un médecin traitant
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 1906, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Anne Ventalon. Comme de nombreux départements, madame la ministre, l’Ardèche est victime d’un « effet de ciseaux » sur le plan médical.
D’un côté, les besoins de santé augmentent, poussés par l’allongement de l’espérance de vie et l’entrée dans le troisième âge des baby-boomers ; de l’autre, l’offre de soins est marquée par une pénurie que chacun connaît.
Parmi les nombreuses conséquences de l’existence de nos déserts médicaux, on relève la difficulté croissante pour nos concitoyens, notamment ruraux, de déclarer un médecin traitant. Par exemple, à la fin de cette année, 10 % des assurés sociaux ardéchois, soit environ 10 000 personnes, n’auront plus de médecin traitant.
La baisse du nombre de médecins généralistes au niveau national, qui fut de 7 % entre 2010 et 2018, s’étant assortie d’un effondrement du nombre de praticiens dans les territoires ruraux, un patient sur deux ne parvient plus à trouver de généraliste acceptant d’être son médecin traitant, et cela en raison d’une patientèle déjà trop nombreuse.
Or, depuis le 1er janvier 2006, les assurés sociaux sont invités à déclarer un médecin traitant chargé de leur suivi médical personnel, dans le cadre de leur parcours de soins coordonnés. Cette déclaration, si elle n’est pas obligatoire, conditionne le niveau de remboursement versé par l’assurance maladie : elle permet aux patients de percevoir l’intégralité des montants prévus à chaque consultation effectuée auprès d’un spécialiste.
Aussi, madame la ministre, comment comptez-vous lutter contre cette médecine à deux vitesses et rendre à tous nos concitoyens la possibilité de déclarer un médecin traitant ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Anne Ventalon, l’application d’un taux majoré de participation de l’assuré en cas de consultation d’un médecin en dehors du parcours de soins n’a d’autre but que d’inciter les assurés à s’inscrire dans un suivi médical coordonné par leur médecin traitant. Cette disposition a donc un intérêt majeur de santé publique.
Compte tenu de son rôle clé dans le suivi au long cours des patients, ce statut du médecin traitant a été renforcé par la convention médicale de 2016.
Néanmoins, comme vous le soulignez, la démographie médicale conduit à des situations complexes, l’assuré n’ayant parfois pas d’autre choix que de consulter en dehors du parcours de soins.
Sur le fondement de ce constat, de nombreuses dérogations à cette majoration de taux ont été prévues : urgence médicale, éloignement géographique du lieu de résidence, patients atteints d’une affection de longue durée, patients suivis par un spécialiste dans le cadre d’une maladie chronique ou indisponibilité du médecin traitant de l’assuré.
À l’heure actuelle, seuls 9 % des assurés de plus de 16 ans n’ont pas déclaré de médecin traitant. En cas de recherches infructueuses, les assurés peuvent solliciter l’aide du médiateur de leur caisse d’affiliation pour qu’il les aide à trouver un médecin traitant. Je vous invite d’ailleurs à relayer cette information importante, mesdames, messieurs les sénateurs, d’autant que, pendant ce temps d’orientation, les soins sont remboursés au taux habituel.
Garantir à chaque Français la possibilité d’avoir un médecin traitant est un objectif important de la stratégie Ma santé 2022. Le Président de la République a souhaité mobiliser les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sur cette mission prioritaire : elles ont pour rôle de coordonner les acteurs de santé situés en différents lieux d’un même territoire, leur permettant de s’organiser pour prendre en charge la population dudit territoire.
En outre, l’objectif consistant à déployer 4 000 assistants médicaux pour libérer du temps médical et faciliter l’accès à un médecin traitant devrait être atteint d’ici à 2022, grâce notamment à l’instauration par l’assurance maladie d’une aide financière au recrutement. La charge qui incombe aux praticiens s’en trouvera diminuée, le temps ainsi libéré leur permettant d’accueillir davantage de patients.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Je prends bonne note de votre réponse, madame la ministre ; il est bel et bien nécessaire de surmonter cette situation difficile. À l’impossible nul n’est tenu ; or, impossible, la déclaration de médecin traitant, qui est obligatoire, l’est souvent dans les faits !
fermetures de lits d’hôpitaux et de lits de réanimation
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, auteur de la question n° 1910, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, dans de récentes déclarations, le Président de la République, ou, devrais-je dire, le candidat Emmanuel Macron, a promis au monde hospitalier 19 milliards d’euros. Cela représente beaucoup d’argent, mais qui arrive bien tard. Surtout, le Gouvernement semble considérer que tout n’est que question d’argent !
Laissez-moi vous conter un exemple qui illustre la réalité du terrain dans mon département du Val-d’Oise. Lorsque vous êtes hospitalisé aux urgences de Pontoise, il arrive souvent que l’on vous demande de fournir certains médicaments, car les pharmacies de l’hôpital sont incomplètes… C’est du vécu !
Le 26 avril 2019, le Président de la République déclarait ne plus vouloir fermer d’hôpitaux sans l’accord des maires. Or, en 2020, on a compté 25 fermetures d’établissements et plus de 5 700 lits supprimés.
Dans le département du Val-d’Oise, votre politique de santé s’est traduite par la fermeture programmée de l’hôpital psychiatrique Roger-Prévot, sur le site de Moisselles-Attainville, par la fermeture de l’hôpital de Saint-Martin-du-Tertre et par la restructuration de l’hôpital de Beaumont-sur-Oise, toujours contre l’avis unanime des élus locaux.
À cela s’ajoute la démoralisation des équipes soignantes. Les médecins, les infirmières et l’ensemble du personnel démissionnent. Pourquoi ? Parce que vous avez été incapables de gérer correctement ces femmes et ces hommes qui ont tant donné. Ils n’ont pas reçu assez de reconnaissance, ont bénéficié de peu d’accompagnement et d’un management souvent déplorable.
Vous n’avez tiré aucun enseignement des nombreuses alertes des professionnels de santé. Pire encore, vous avez menti, notamment sur les chiffres.
La crise de la covid ne peut servir d’excuse. Dans son récent rapport, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) le décrit : notre système de santé, désorganisé, est sous-doté depuis plusieurs années, et la situation continue de se dégrader. Il ne suffira pas de se cacher derrière la pandémie pour se dédouaner.
Ma question est la suivante, madame la ministre : les 500 millions d’euros annoncés par le Premier ministre seront-ils au rendez-vous pour financer nos hôpitaux, sous la forme non pas d’une reprise de dette, mais bien d’investissements complémentaires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Sébastien Meurant, vous me demandez des chiffres. Je me permets donc de rappeler ceux qui me semblent avoir été omis dans votre question.
Depuis 2013, les capacités de soins intensifs ont augmenté de 10 % et celles de surveillance continue de 9 %. Les capacités de réanimation pédiatrique, sont en hausse de 10 % et celles de réanimation pour les adultes sont restées stables depuis 2013, à plus 56 lits.
J’insiste, monsieur le sénateur, sur les soins critiques. Des lits ont bien été ouverts ces dernières années. Actuellement, grâce à la mobilisation sans faille de nos soignants – je tiens à les saluer une nouvelle fois –, environ 5 800 lits de réanimation pour les adultes ont été ouverts dans nos hôpitaux, soit 700 de plus qu’avant la crise.
S’il est vrai que les capacités globales d’hospitalisation complète ont diminué, celles d’hospitalisation partielle ont augmenté, et un nombre croissant de procédures sont désormais effectuées dans ce mode de prise en charge ambulatoire. Les capacités totales d’hospitalisation partielle atteignent près de 80 000 places, soit 30 000 de plus qu’en 2003.
Je partage toutefois votre préoccupation sur la situation actuelle des établissements, après deux ans de crise sanitaire. C’est pourquoi nous avons lancé, le 18 octobre dernier, une enquête mensuelle pour suivre la situation des capacités d’hospitalisation. Depuis juillet 2020, le ministère déploie toutes les mesures du Ségur de la santé et accompagne leur déclinaison dans tous les territoires.
Dans votre département du Val-d’Oise, monsieur le sénateur, 15 000 professionnels de la fonction publique hospitalière ont bénéficié d’une revalorisation de 183 euros par mois et de nouvelles grilles de rémunération pour leur carrière. Ces revalorisations ont concerné 1 600 médecins dans les hôpitaux de votre département.
En Île-de-France, nous investissons 2,3 milliards d’euros du plan d’investissement en santé pour moderniser les établissements sanitaires comme médico-sociaux, favoriser leurs investissements courants et investir dans l’avenir de notre système de santé.
Grâce au dispositif des « lits à la demande », 686 lits supplémentaires ont été ouverts dans 279 établissements à l’hiver dernier. Nous ne supprimons pas de lits, mais nous avons besoin de professionnels pour en ouvrir plus.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. C’est pourquoi le Gouvernement a supprimé le numerus clausus et augmenté les places de formation en conséquence.
M. le président. Madame la ministre déléguée, il faut vraiment conclure !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais le bilan est là.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.
M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, ma question était précise : elle portait sur les 500 millions d’euros annoncés pour des investissements complémentaires dans les hôpitaux, et vous n’y avez pas répondu.
Dans le Val-d’Oise, aujourd’hui, il n’y a plus de lits pédiatriques, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de place pour accueillir les patients. C’était déjà le cas en 2019. Les mesures de fluidité que vous avez mentionnées ne fonctionnent pas dans le Val-d’Oise.
Actuellement, le service des urgences de l’hôpital d’Argenteuil compte trois postes de médecin vacants et seulement 25 % des médecins qui y exercent sont des praticiens titulaires d’un diplôme français.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Sébastien Meurant. Les autres ont un diplôme étranger. On est très loin d’un système qui fonctionnerait correctement.
création d’un conseil national de la gynécologie médicale
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteure de la question n° 1615, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, ma question concerne la gynécologie médicale.
Tout d’abord, il faut le constater, la formation universitaire à la gynécologie médicale a été supprimée entre 1987 et 2003, de sorte que le nombre de professionnels de santé exerçant cette spécialité a chuté de manière spectaculaire ces dernières années, passant ainsi de 1 945 praticiens en 2007 à 923 en 2020, soit 1 000 praticiens en moins. Désormais, 13 départements ne comptent plus aucun gynécologue médical.
Ensuite, le décret du 9 janvier 2019 relatif aux missions, à la composition et au fonctionnement des conseils nationaux professionnels des professions de santé a modifié le rôle de ces conseils, en actant le principe d’un conseil national professionnel pour chaque diplôme d’études spécialisées.
Or la gynécologie médicale échappe à cette règle et est incluse dans le Conseil national professionnel gynécologie obstétrique-gynécologie médicale. Elle est ainsi devenue une spécialité dans la spécialité. Cette réalité compromet l’indépendance de la gynécologie médicale et sa capacité à définir les orientations et les évolutions nécessaires de la profession.
Aussi, madame la ministre, je souhaiterais savoir si le Gouvernement entend compléter le décret du 9 janvier 2019 en créant un Conseil national professionnel de la gynécologie médicale et ainsi reconnaître pleinement cette spécialité ; à moins qu’il ne procède à un rééquilibrage des spécialités au sein du Conseil national professionnel de gynécologie et obstétrique (CNPGO).
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Corinne Imbert, le décret du 9 janvier 2019 sur lequel vous m’interrogez prévoit, en application de la loi, que les conseils nationaux professionnels sont créés sur l’initiative des professionnels de santé, par profession ou spécialité.
Il est précisé que la spécialité s’entend comme « visant des professionnels de santé ayant validé des diplômes et titres ouvrant droit à la spécialité ou, à défaut, ouvrant droit à la qualification ou, à défaut, correspondant à l’inscription au tableau de l’ordre lorsque la profession dispose d’un ordre ».
En application du code de la santé publique, ces conseils sont donc créés sur l’initiative des professionnels de santé, et le ministre chargé de la santé peut reconnaître leur existence par arrêté dès lors que ces conseils répondent aux conditions prescrites par la réglementation.
Au regard des dispositions légales en vigueur, vous comprendrez bien, madame la sénatrice, qu’il n’appartient pas directement au ministre chargé de la santé de créer les conseils nationaux professionnels.
En revanche, s’il ne peut y avoir qu’un seul conseil par spécialité, je tiens à préciser que rien n’interdit qu’un conseil concerne plusieurs spécialités.
Dans le cas de la gynécologie, les organisations professionnelles de la gynécologie obstétrique et de la gynécologie médicale sont convenues de constituer un conseil commun aux deux activités, respectant les équilibres et les spécificités, afin de mener une réflexion commune sur les sujets intéressant les deux spécialités. C’est un choix qui leur appartient.
En matière de démographie, le nombre de postes ouverts en gynécologie médicale à l’issue des épreuves classantes nationales (ECN) a quant à lui quasiment triplé depuis 2012, contre une augmentation de 14 % seulement toutes spécialités confondues. Au titre de la seule année 2018, pas moins de 80 postes ont été offerts, soit une augmentation de 28 % par rapport à 2017.
Naturellement, la formation de ces professionnels prend plusieurs années, et l’augmentation se fera ressentir dans les territoires prochainement.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ai bien compris que la création des conseils nationaux professionnels se fait sur l’initiative des professionnels de santé.
Cependant, dans la mesure où la gynécologie médicale a été affaiblie quant au nombre de ses praticiens par l’arrêt de l’enseignement de cette spécialité, le poids des gynécologues médicaux est un peu moindre que celui des gynécologues obstétriciens. Quoi qu’il en soit, le choix leur appartient, et c’est à eux d’en débattre, je l’ai bien entendu.
Il n’en reste pas moins que nous sommes un certain nombre de sénateurs et de sénatrices à avoir signé un courrier adressé au ministre sur le sujet, au début du mois de novembre, car nous considérions que la gynécologie médicale est une spécialité à part entière, qui contribue à une bonne prise en charge, au service des femmes et de leur santé.
la situation des dons d’organes en france
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 1930, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, la greffe d’organes et de tissus est un enjeu majeur de santé publique.
Je rappelle au préalable que, pour que le prélèvement soit éthique, il faut que le donneur fasse de son vivant un don de son corps, absolument gratuit, pour sauver généreusement une autre vie humaine. Seul le don peut légitimer le prélèvement.
L’année dernière, 1 355 donneurs ont permis la réalisation de 4 421 transplantations. C’est moins qu’en 2019. En effet, la crise sanitaire a eu de lourdes conséquences sur les dons, les prélèvements et les greffes d’organes.
Aujourd’hui, plus de 26 000 malades sont inscrits en liste d’attente de greffe, et 700 patients sont décédés en 2019. La France risque donc de ne pas atteindre les objectifs fixés dans le plan 2017-2021 pour la greffe d’organes et de tissus, qui prévoyait au moins 7 600 greffes annuelles.
Les premières Assises nationales du don d’organes se sont tenues en octobre 2021, sur l’initiative du collectif Greffes+, qui s’est fixé pour objectif d’aboutir rapidement à « plus de prélèvements pour plus de greffes » dans la perspective du plan 2022-2026.
Le collectif a formulé cinq propositions : engager une réforme de la gouvernance du don d’organes et de la greffe, accompagner les équipes de prélèvement en perfectionnant leur organisation et leur attractivité, définir les conditions optimales de recours et de suivi de la greffe, développer le don du vivant et instaurer une culture du don dans notre société. Sur ce dernier point, il me semble indispensable de promouvoir le don d’organes par des campagnes d’information fondées sur l’altruisme et le respect du corps et de la volonté du patient.
La France gagnerait à rendre plus populaire le don d’organes comme le don du sang, en s’appuyant notamment sur les nombreuses associations, qu’il s’agisse de celles des donneurs de sang ou bien de France ADOT, la fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains. Cette association bénéficie, en effet, d’un solide réseau territorial, et ses nombreux bénévoles sont très actifs sur le terrain pour informer et sensibiliser tous les publics, notamment en milieu scolaire, sur le sujet de la greffe d’organes.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il mener pour lever les obstacles au développement de la greffe dans notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Guillaume Chevrollier, le prélèvement et la greffe d’organes constituent une priorité nationale érigée dans la loi. Depuis 2000, trois plans ministériels successifs ont permis l’application de ce principe.
Les deux premiers plans ont favorisé une augmentation significative du nombre de greffes. Le troisième plan a également marqué une progression significative, d’une part, grâce au développement des transplantations de greffons prélevés sur des donneurs décédés d’un arrêt cardiaque après la fin d’un traitement, et, d’autre part, sous l’effet du recours aux machines à perfusion.
Néanmoins, comme vous le soulignez, les objectifs de l’édition 2017-2021 du plan ne sont pas atteints. Si les activités de prélèvement et de greffe ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire, avec notamment la suspension provisoire de l’activité de transplantation rénale au printemps 2020, ce bilan ne peut être imputé à la seule pandémie.
L’édition 2022-2026 du plan en cours de finalisation en lien avec l’Agence de la biomédecine (ABM) entend insuffler une nouvelle dynamique.
L’augmentation du prélèvement constituera le premier axe de ce nouveau plan, avec nombre d’actions opérationnelles visant à faire baisser le taux d’opposition au prélèvement. Il faudra pour cela renforcer la formation des professionnels sur l’abord des proches et la diffusion des règles de bonnes pratiques, mais aussi analyser davantage les déterminants du refus du don.
Nous allons également rendre prioritaire l’activité de prélèvement au sein des établissements de santé et renforcer le rôle des équipes de coordination qui y travaillent, tout en privilégiant une approche territorialisée de l’activité de prélèvement, en lien avec les agences régionales de santé (ARS). Ce nouveau plan sera dévoilé au début de 2022.
S’agissant plus précisément du don, l’Agence de la biomédecine mène, depuis sa création, un important travail de sensibilisation, dont le point d’orgue est la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe et de reconnaissance aux donneurs, qui a lieu au mois de juin. Les campagnes de communication sont évolutives. Ainsi, le recours aux réseaux sociaux s’est accru au cours des dernières années, suivant les nouvelles pratiques.
Le Gouvernement veillera à l’efficience de la communication autour du nouveau plan, pour permettre son plein succès, car l’enjeu est vital et urgent.
compensation par l’état des dépenses engagées par les collectivités pour la mise en place des centres de vaccination
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 1853, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Baptiste Blanc. Depuis la crise sanitaire, madame la ministre, le Gouvernement a mis en œuvre une série de mesures de soutien aux communes au gré des lois de finances rectificatives et, en responsabilité, nous les avons majoritairement votées dans cet hémicycle. Toutefois, force est de constater que le compte n’y est pas !
Malgré le financement intégral du coût des vaccins, le financement à 50 % des masques à l’usage des collectivités, l’étalement des charges liées à la crise sur une durée maximum de cinq ans et le mécanisme de compensation des pertes de recettes fiscales et domaniales des collectivités du bloc communal, les communes sont aujourd’hui à l’agonie, acculées par les surcoûts liés à la mise en place des centres de vaccination.
Vous avez créé le fonds d’intervention régional, le FIR, des agences régionales de santé, qui a pour objectif de financer les surcoûts auxquels les collectivités sont confrontées avec la mise en place des centres de vaccination. Il a été doté de 60 millions d’euros, soit 50 000 euros pour un centre de vaccination de taille moyenne et pour six mois.
Ces crédits devaient couvrir la prise en charge par les communes des moyens de fonctionnement des centres de vaccination, qu’il s’agisse du secrétariat, de la coordination et de l’accueil, de la mobilisation des agents en plus de leur temps de travail habituel et du recrutement de personnes supplémentaires. Or, à ce jour, les communes n’ont rien touché, et cela malgré de nombreuses relances auprès des ARS.
Madame la ministre, nos communes se sont fortement investies, comme vous le savez, pour protéger nos concitoyens et leur permettre de se faire vacciner au plus près de leur domicile – on peut encore le constater en ce moment.
Cependant, les dépenses liées au covid pèsent très lourd sur leurs finances, dans un contexte où leurs capacités d’investissement sont largement obérées.
Madame la ministre, il y a urgence ! Les dotations forfaitaires promises par le Gouvernement se font attendre et apparaissent déjà insuffisantes. L’organisation de la campagne de vaccination pour la troisième dose inquiète de plus en plus les élus locaux.
Le Gouvernement entendra-t-il leurs préoccupations, alors qu’ils demandent une compensation intégrale des dépenses ? Pourriez-vous dès aujourd’hui les rassurer quant aux modalités et aux délais de versement de ces compensations ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, les structures portant les centres de vaccination, dont les collectivités territoriales, peuvent, comme vous l’avez rappelé, faire appel au fonds d’intervention régional, le FIR, des agences régionales de santé. Cela permet, sur décision du directeur général de chaque ARS, d’assurer une démarche partenariale pour le financement des dépenses de fonctionnement des centres de vaccination.
Afin de l’adapter aux situations locales spécifiques à la gestion de la crise sanitaire, le cadre du FIR a été actualisé par une circulaire MinSanté relative aux rémunérations et au financement de la vaccination.
Au titre des surcoûts pris en charge par le FIR sont effectivement comptabilisés les frais de gestion du centre, les investissements en matière informatique ou de matériel médical et le transport de patients âgés ou isolés. Les dépenses liées aux ressources humaines concernant l’embauche de vacataires ou les heures supplémentaires des agents travaillant dans le centre de vaccination sont également compensées par le FIR actualisé.
En revanche, la mise à disposition d’agents d’autres services pour le centre de vaccination n’est pas remboursée par l’ARS, car ces dépenses auraient dans tous les cas été supportées par la collectivité. Il en va de même pour les dépenses liées à l’usage de locaux fermés comme centres de vaccination.
En l’espèce, le montant de 50 000 euros que vous mentionnez correspond à un fonds d’amorçage par centre pour une durée de six mois. Naturellement, le montant réel est ajustable ex post en fonction des dépenses éligibles effectivement constatées. Cela n’est donc en aucun cas un plafond global et définitif.
En outre, il n’est pas possible d’affirmer que « les communes n’ont rien touché », car les fonds d’amorçage ont été décaissés. Si des dépenses éligibles n’ont pas encore fait l’objet d’une indemnisation, les conventions signées avec les ARS prévoient que les montants attribués au titre de l’amorçage du fonctionnement du centre peuvent être réajustés dans le cadre d’un avenant.
Si des communes, dans un champ géographique donné, devaient à date vous informer d’une absence de versement, je vous invite à en faire part à mes services, de sorte que les difficultés résiduelles soient traitées dans les meilleurs délais.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions. Il serait bon effectivement que, lorsque les collectivités exercent des compétences pour le compte de l’État, leurs dépenses soient intégralement compensées.
Je prends bonne note de l’élargissement du FIR, et nous vous ferons remonter les informations.
prise en charge de médicaments contre la migraine
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la question n° 1918, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, la migraine n’est pas un simple mal de tête. Chez le patient, elle peut être source de retentissements anxieux. Elle altère sévèrement sa qualité de vie et nuit gravement à son évolution professionnelle.
La migraine est la maladie neurologique chronique la plus fréquente dans le monde et la première cause de handicap chez les adultes de moins de 50 ans.
Au-delà de ce handicap individuel, la migraine sévère est responsable de coûts indirects dus à une consommation de soins souvent inadaptée et à une nette réduction de la productivité professionnelle. Bêtabloquants, triptans, antidépresseurs, acupuncture ne sont plus suffisamment efficaces pour a minima 1 million de nos concitoyens. Cela entraîne entre 20 millions et 30 millions d’arrêts de travail journaliers.
Plusieurs laboratoires ont mis en place des médicaments dont les résultats sont tout à fait spectaculaires. Il s’agit des anticorps monoclonaux anti-CGRP, qui bloquent la protéine responsable de la douleur. Cela ouvre une nouvelle ère du traitement de la migraine.
Ces médicaments bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché européen. Des patients ont été testés avec succès dans différents CHU, notamment celui de Lille jusqu’à la fin de l’été dernier.
L’efficacité de cette classe médicamenteuse n’est pas contestée, mais le Gouvernement a fait le choix en décembre 2020 de ne pas les rembourser, contrairement à nos voisins européens, du Danemark à la Slovaquie en passant par l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne ou le Luxembourg – pas moins de 23 pays sont désormais « en règle », pour ainsi dire, avec ce nouvel avantage dont peuvent bénéficier leurs ressortissants.
Ce traitement coûte 500 euros le premier mois, puis 245 euros pour chaque injection mensuelle.
Alors que cette classe de médicaments est réservée à une minorité de patients en échec thérapeutique – essentiellement des femmes, d’ailleurs –, pourquoi, madame la ministre, le Gouvernement refuse-t-il obstinément de les prendre en charge, créant ainsi une médecine à deux vitesses ?
Où est l’exception française en la matière ? Je tiens enfin à vous rappeler que je vous ai adressé une question écrite sur ce sujet le 21 janvier dernier ; je n’ai pas reçu de réponse.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Patrick Kanner, je vais déjà répondre à cette question orale !
Je vous entends et je souscris à vos propos. La migraine est une maladie invalidante, qui peut se traduire par un handicap et une dégradation marquée de la qualité de vie, notamment pour les patients souffrant de migraine sévère.
Toutefois, pour répondre à votre question, permettez-moi de rappeler la procédure de droit commun permettant le remboursement d’un médicament pour une indication donnée.
Comme vous le savez, lorsqu’un médicament dispose d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication considérée, l’exploitant doit déposer une demande d’inscription sur les listes de remboursement. La commission spécialisée de la Haute Autorité de santé (HAS) rend un avis favorable à son inscription, puis les négociations tarifaires engagées entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et l’entreprise doivent aboutir.
La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé rend ses avis sur la base de comparateurs cliniquement pertinents de ces nouvelles spécialités. Ils permettent une prise en charge de l’ensemble des stades de la pathologie avec des traitements de première et de seconde intention, comme le Lopressor ou l’Avlocardyl, mais également des traitements de recours, tels que le Nocertone, ainsi que d’autres solutions non médicamenteuses.
Pour ce qui concerne l’Ajovy, l’Aimovig et l’Emgality, la commission de la transparence a octroyé une « amélioration de service médical rendu » (ASMR) de niveau V : cela signifie que les anti-CGRP ne présentent aucune amélioration du service médical rendu eu égard aux thérapeutiques existantes.
Or une telle spécialité ne peut être inscrite au remboursement que si elle génère une économie dans les coûts de traitement. Malgré plusieurs propositions, les discussions n’ont pu aboutir en raison des prétentions tarifaires très élevées des industriels compte tenu des dépenses actuellement engagées pour le traitement de la migraine. C’est pourquoi ces trois antimigraineux anti-CGRP n’ont pu être inscrits sur les listes des médicaments remboursables.
Les laboratoires pourront prétendre à un remboursement par la solidarité nationale s’ils présentent des résultats tangibles permettant une revalorisation de l’amélioration du service médical rendu, ou s’ils revoient leurs prétentions tarifaires.
sos médecins france
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, auteure de la question n° 1884, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Martine Filleul. Depuis le mois de septembre dernier, madame la ministre, les structures de SOS Médecins France alertent sur le manque de moyens alloués aux interventions médicales à domicile. Ainsi, 100 % d’entre elles ont connu un arrêt total d’activité, une première dans notre pays.
Depuis plus de quinze ans, ces moyens sont en effet très insuffisants. Cela participe de l’engorgement des urgences, notamment la prise en charge des personnes en perte d’autonomie, suscitant un coût bien plus important.
Cette mobilisation porte sur trois revendications : l’augmentation de la visite urgente en semaine à un montant de 57,60 euros, l’alignement de l’indemnité de déplacement à un minimum de 10 euros du lundi au dimanche – de jour comme de nuit –, et l’extension des revalorisations de la profession en faveur des médecins de SOS Médecins France.
Certes, une récente revalorisation a été octroyée, sous conditions, par l’assurance maladie pour certaines visites à domicile. Cependant, le compte n’y est pas, et la colère demeure, car cette mesure symbolique ne concerne pas les visites à domicile réalisées par les 1 300 médecins libéraux de SOS Médecins, exclus du dispositif.
Dans le département du Nord, les médecins libéraux de SOS Médecins représentent souvent la seule possibilité d’accès aux soins pour un grand nombre de nos concitoyens vivant dans des déserts médicaux et ne pouvant se déplacer.
Madame la ministre, allez-vous répondre au SOS de ces professionnels de santé, qui ne comptent pas leurs heures, afin d’éviter la disparition de leurs visites à domicile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Martine Filleul, depuis près de cinquante ans, SOS Médecins France permet d’organiser une réponse rapide dans le domaine de la médecine générale, en particulier pour les patients nécessitant une intervention urgente à domicile.
Votre question m’offre l’occasion de rappeler que le Gouvernement salue pleinement l’engagement de ces médecins dans la garantie de la permanence des soins.
En juillet dernier, l’assurance maladie et les syndicats des médecins libéraux ont signé un neuvième avenant à la convention médicale de 2016. Celui-ci définit un modèle de rémunération des médecins s’engageant dans les services d’accès aux soins (SAS). L’association SOS Médecins y occupera naturellement une place importante, en raison de son expertise et de son positionnement sur les soins non programmés.
Les services d’accès aux soins permettront ainsi de revaloriser de manière significative une partie de l’activité de journée de SOS médecins. Je pense qu’il ne faut pas en diminuer la portée.
De plus, dans la perspective de renforcer l’action des médecins dans la permanence des soins ambulatoires, les rémunérations minimales des astreintes des médecins y participant seront revalorisées de 20 %, et ce dès 2022. Cette mesure représente une valorisation importante de l’activité réalisée par les médecins SOS.
L’année 2022 sera l’occasion de travailler les contours de la prochaine convention médicale, dont l’échéance est prévue au premier trimestre de 2023. Une réflexion devra être menée lors de ces travaux, afin d’aboutir à une meilleure reconnaissance de la visite à domicile.
Des échanges sont en cours entre les services du ministère, l’assurance maladie et SOS Médecins, en vue de tenir compte de l’engagement de l’association dans la prise en charge de la santé de tous les Français.
L’État est donc bien au rendez-vous. Je crois que toutes les parties sont soucieuses d’un meilleur dialogue social. Celui-ci n’est pas rompu, bien au contraire, et il se poursuivra donc dans les prochains mois sous les meilleurs auspices.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Madame la ministre, je vous remercie de ces engagements en faveur de SOS Médecins.
Cependant, vous pouvez compter sur moi pour faire en sorte que ces paroles soient suivies d’effets. Nous y veillerons, en tant que parlementaires.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Martine Filleul. Ces professionnels ne veulent qu’une chose : continuer à prendre soin de nos concitoyens.
hiérarchisation des indications d’immunoglobulines humaines polyvalentes
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 1948, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, ma question concerne l’application des recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la hiérarchisation des indications d’immunoglobulines humaines polyvalentes, qui jouent un rôle important dans le traitement de maladies neurologiques rares acquises – je pense au syndrome de Guillain-Barré ou aux myasthénies graves.
Il existe des tensions d’approvisionnement des immunoglobulines. Il convient de préserver les capacités françaises de production. En cas de pénurie, l’ANSM avait préconisé le recours à d’autres solutions, tels que les échanges plasmatiques ou les corticoïdes.
Or il semble que ces recommandations datant de 2018 et renouvelées en 2019 ne sont pas suivies d’effets sur tout le territoire. J’ai participé à une table ronde consacrée à ce sujet dans la région des Pays de la Loire. En février dernier, j’ai écrit au ministre de la santé, avec ma collègue députée de Maine-et-Loire Nicole Dubré-Chirat, mais, comme Patrick Kanner, nous n’avons pas reçu de réponse, d’où cette question orale.
C’est pourquoi je souhaiterais connaître vos intentions quant au respect de ces recommandations de l’ANSM. Il me semble que les agences régionales de santé représentent le bon outil pour les faire appliquer sur l’ensemble de notre territoire.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Catherine Deroche, les immunoglobulines humaines polyvalentes sont des médicaments très largement utilisés pour compenser les déficits immunitaires, primitifs ou acquis, et traiter certaines affections aiguës ou chroniques, notamment neurologiques.
Selon des données récentes, leur utilisation est en forte augmentation, en raison de changements de pratiques de prescription et de l’émergence de nouvelles populations éligibles aux traitements.
On constate la même évolution dans le monde entier, avec un élargissement de ces traitements à de nouveaux pays, conduisant à des tensions croissantes d’approvisionnement depuis dix ans, accentuées évidemment par la pandémie, qui a entraîné une baisse des volumes de plasma prélevés.
L’utilisation des immunoglobulines est une préoccupation des autorités sanitaires depuis de nombreuses années.
Depuis 2018, des associations de patients sont parties prenantes à la réflexion menée. De nouvelles mises à jour ont eu lieu en 2018 et 2019 et ont été diffusées par le ministère de la santé. La nécessité de respecter cette hiérarchisation a été réaffirmée par plusieurs notes consacrées à la prise en charge de spécialités à base d’immunoglobulines bénéficiant d’une autorisation d’importation.
Par ailleurs, en complément de ces actions nationales, les ARS, avec l’appui des observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (Omedit) effectuent depuis 2008 un suivi particulier des indications dans lesquelles sont prescrites les immunoglobulines. Elles publient des fiches de bon usage et effectuent un suivi régulier des recours à ces médicaments et des indications cliniques associées.
L’ANSM mène actuellement de nouveaux travaux dans le cadre d’un comité de suivi scientifique temporaire. Ils visent à rappeler la nécessité d’une décision pluridisciplinaire et d’une explicitation des critères cliniques discriminants pour chaque indication thérapeutique.
Les Omedit et les sociétés savantes, ainsi que les filières « maladies rares » concernées, sont d’ores et déjà associés à ces travaux, pour permettre leur appropriation par les professionnels de santé et une diffusion plus large de ces nouvelles recommandations.
Tous les moyens à notre disposition sont donc bien employés.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, je souscris à vos propos sur les indications des immunoglobulines. Néanmoins, les pénuries entraînent parfois le recours à des échanges plasmatiques, qui doivent être réalisés rapidement, afin de sauver la personne souffrant de troubles aigus.
Lors de la table ronde que nous avons organisée dans les Pays de la Loire, qui réunissait un professeur de neurologie et plusieurs autres intervenants, le représentant de l’ARS n’avait pas l’air très au fait de ces sujets… Il est donc important de marteler ces recommandations auprès des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire. Je crois d’ailleurs savoir que des tables rondes seront organisées partout en France à ce sujet.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
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La contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires
Débat thématique
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. »
Dans le débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vaste sujet que celui qui nous réunit en ce début d’après-midi.
Même si vous nous avez déjà apporté un certain nombre d’éléments de réponse lors de différentes auditions, les interrogations restent nombreuses, madame la ministre.
À défaut d’être original, puisque j’ai interrogé le secrétaire d’État Joël Giraud à ce sujet, l’année dernière, à la même période, j’évoquerai deux problèmes d’ordre financier, qui nous paraissent aussi importants qu’inquiétants, voire anxiogènes pour nos collectivités.
Le premier point concerne le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, ou FPIC. Vous savez bien ce que le Sénat en pense, madame la ministre.
J’en profite pour saluer et remercier M. le président de la commission des finances de s’être engagé, ici même, il y a un an, à conduire une réflexion approfondie sur le FPIC et à remettre un rapport d’information. Il s’agissait de faire évoluer ce mécanisme et, surtout, de faire en sorte qu’il tienne réellement compte de la situation actuelle, laquelle découle des dernières grandes étapes en matière de restructuration intercommunale. Il faudrait en effet que les communes, dont certaines se sont senties lésées, puissent retrouver à terme un équilibre.
Cet enjeu est pour nous essentiel. Nous entendons trouver un écho favorable auprès du Gouvernement, de sorte que celui-ci opère désormais un rééquilibrage financier en faveur de nos communes. Trop de communes qui ne disposent pourtant pas nécessairement de ressources élevées ont été lésées dans le cadre de ce vaste mouvement.
Le second point a trait au manque de ressources propres des collectivités locales. Là encore, j’ai alerté le Gouvernement sur ce sujet il y a un an.
Je sais, madame la ministre, et j’imagine que vous le mentionnerez, que le Gouvernement a souhaité maintenir le niveau actuel de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ; nous sommes en revanche plus partagés en ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement (DGF). Toujours est-il que la crise liée à la covid-19 a particulièrement affecté les finances des communes, notamment leurs recettes de fonctionnement.
Je vous ai alertée sur ces difficultés l’année dernière. Pourtant, de nouveau, de nombreux maires du département dont je suis élu m’ont récemment mis en garde à ce même propos. L’Ardèche n’est d’ailleurs pas un cas isolé ; de nombreux territoires, notamment les territoires ruraux, dont les infrastructures ont parfois une gestion coûteuse, de nombreuses collectivités ont perçu moins de recettes que d’habitude et ont vu en conséquence leurs finances considérablement entamées.
C’est pourquoi nous appelons encore une fois votre attention, madame la ministre, pour que ces collectivités ne soient pas les oubliées de la crise sanitaire.
Enfin, madame la ministre, permettez-moi de revenir sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, que le Sénat a examiné voilà quelques mois. Au regard des premiers éléments d’analyse dont je dispose, notamment à la suite de l’examen du texte en commission à l’Assemblée nationale, je souhaite vous faire part de notre inquiétude, sinon de nos réserves.
Lors d’une récente séance de questions d’actualité au Gouvernement, madame la ministre, vous avez vous-même souligné la volonté du Gouvernement de rechercher un compromis et de prendre en compte les cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales. Or certaines de ces propositions ont trait à la déconcentration et ont donc un lien avec le débat d’aujourd’hui. Nous partageons cette volonté affirmée et réaffirmée à la fois de renforcer l’État territorial et de mettre le préfet de département au cœur des relations entre État et collectivités.
C’est pourquoi, dans le cadre de l’examen du projet de loi 3DS, nous avons voté de nombreuses dispositions tendant à renforcer la place des préfets dans le département et leur rôle de coordonnateur. Malheureusement, madame la ministre, nous avons eu la désagréable surprise de constater que vous avez très souvent privilégié le préfet de région.
Pourtant, les élus locaux, notamment les maires, attendent davantage de proximité. C’est la raison pour laquelle je le dis avec force aujourd’hui, au nom du groupe Les Républicains : nous attendons de l’Assemblée nationale, et plus encore du Gouvernement, que la voix du Sénat soit entendue.
En effet, nous parviendrons d’autant mieux à faire face aux problématiques financières que j’ai évoquées que nous ne perdrons pas de vue la notion de proximité, et en réaffirmerons d’ailleurs la nécessité, et que les préfets seront à la tête de cet État déconcentré pour assurer plus d’agilité locale…
Mme le président. Il faut conclure.
M. Mathieu Darnaud. … et, encore une fois, plus d’efficacité au service de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la campagne présidentielle brasse de nombreuses propositions autour de la place de l’État dans l’organisation territoriale, de ses relations avec les collectivités et de l’aménagement du territoire, s’il est un débat qui a toute sa place dans notre hémicycle, le Sénat étant le représentant des territoires dans leur diversité, c’est bien celui des politiques d’appui à l’aménagement et la cohésion des territoires.
Alors que le projet de loi 3DS est désormais dans les mains de nos collègues de l’Assemblée nationale, ce débat ne peut toutefois pas faire l’économie d’une réflexion sur la structuration décisionnelle des politiques d’appui. En effet, la façon dont l’État choisit de mettre en place son soutien aux collectivités n’est pas satisfaisante.
Si l’idée d’un guichet unique – idée-force et initiative bienvenue prise durant ce quinquennat – a contribué à la mise en place des maisons France Services et du principe « dites-le-nous une fois » (DLNUF), nous restons très prudents face à un déploiement inégal de ces dispositifs auprès de l’ensemble des citoyens et des territoires. Tous ne sont pas suffisamment équipés pour profiter de programmes parfois dématérialisés à l’extrême : illectronisme, retard dans le déploiement de la fibre… Les usagers ne sont pas tous égaux.
Dans les faits, nous avons tous pu constater et faire remonter les retards à l’allumage liés à la mise en place de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Cette structure reste un bel horizon. L’appui que recherchent nos territoires n’est pas que financier : le soutien par l’intermédiaire des fonctions support, l’ingénierie notamment, est au cœur d’une meilleure conception de l’aménagement local.
Vous le savez, les écologistes aiment penser global et agir local. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a souvent dénoncé les mouvements de recentralisation et de déconcentration qui perturbent l’autonomie de nos territoires.
Le nombre de préfets et les pouvoirs qui leur sont confiés sont de plus en plus importants, comme le montre la multiplication des titres dont on les affuble : préfet à la relance, préfet délégué pour l’égalité des chances, préfet chargé de projets locaux majeurs, et même préfet chargé de déployer le plan Marseille en grand… Non seulement les préfets sont devenus les interlocuteurs privilégiés, voire incontournables, des élus locaux, mais ils détiennent de plus en plus de pouvoirs en matière de politiques d’appui.
Cette mainmise de l’État déconcentré représente un risque, par exemple quand l’État projette d’étendre cette domination sur l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Je sais que votre gouvernement insiste sur le mètre étalon que devrait constituer le couple préfet-maire. Or ce couple bat de l’aile, et ce pour plusieurs raisons, dont certaines sont structurelles. Cela n’a en effet de sens que si de réels pouvoirs sont donnés aux maires.
Nous déplorons que les promesses d’un large pouvoir réglementaire dévolu au maire, mis en avant dans le cadre du projet de loi 3DS, n’aient pu voir le jour. Certains militent pour la mise en œuvre d’un tel pouvoir lorsqu’il s’agit par exemple d’interdire des éoliennes conçues dans le cadre d’un plan stratégique national, mais y sont opposés lorsqu’il est question d’appliquer une politique locale de santé, au travers de l’interdiction de l’épandage de produits phytosanitaires à proximité des écoles, ou encore de la réglementation locale de la pratique de la chasse, certains week-ends ou jours fériés. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ça manquait !
M. Guy Benarroche. Je savais que vous réagiriez, mes chers collègues ! Nous sommes pourtant d’accord sur le fond.
Le pouvoir local n’est renforcé qu’en apparence ; dans les faits, il est encore plus dépendant du préfet. Voilà qui ne permet pas d’aboutir à une réalité cohérente. Je pense que nous partageons tous ce sentiment.
Les politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires passent surtout par un soutien financier. Pour ne citer qu’un exemple, l’État concourra financièrement à des projets coopératifs économiques et solidaires territoriaux via les pôles territoriaux de coopération économique.
Je m’attarderai sur le cas de mon département, en particulier sur les efforts consentis par l’État pour débloquer la situation de la métropole Aix-Marseille-Provence. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Évidemment !
M. Guy Benarroche. Plusieurs amendements votés lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022 contribueront à apporter un accompagnement significatif et nécessaire à la métropole provençale dans les domaines du transport, du logement, voire de la rénovation des écoles.
Ce soutien réel, qui doit bien sûr s’inscrire dans le cadre d’un futur pacte de gouvernance local, est l’un des leviers indispensables à la bonne conduite des politiques locales parmi les plus importantes. Je pense en particulier aux politiques en faveur d’une mobilité raisonnée et durable.
Pour autant, au risque de paraître ingrat, je précise que ce soutien met au jour notre souci principal : si cette métropole a besoin de l’aide de l’État, c’est que l’organisation territoriale déconcentrée – région, métropole – est de plus en plus dépossédée de ses compétences fiscales et de ce qui constitue pourtant le cœur de ses prérogatives, qui sont souvent recentralisées, comme je l’ai déjà mentionné.
Plus qu’un pacte de gouvernance, c’est une nouvelle vision de l’organisation territoriale dont nos villes et nos régions ont besoin, une organisation bâtie et pensée avec elles et pour elles, pour accompagner au mieux leurs politiques d’aménagement et de cohésion.
Or les politiques d’appui aux collectivités sont encore trop centralisées. L’ambition d’une décision et d’un soutien plus locaux, moins verticaux, semble s’éloigner.
Ce débat renvoie à la réalité de tous les jours, à la vie concrète et sensible des Français au quotidien : le réseau 4G qui ne fonctionne pas toujours, les délais pour obtenir un rendez-vous avec un médecin,…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. … la fréquence de desserte du TER, autant de sujets qui ne sont évidemment pas de la compétence exclusive de l’État, mais qui suscitent une forte attente de la part de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par une remarque sémantique, l’intitulé de ce débat étant particulièrement subtil. Il s’agit en effet non pas d’aborder les compétences des collectivités en matière d’aménagement et de cohésion des territoires, ce qui serait un sujet en soi, mais bien les politiques d’appui. On entend donc par là les actions de l’État et de ses opérateurs en direction de ces mêmes collectivités, ce qui constitue un enjeu très spécifique.
L’enjeu démocratique est central. En effet, toute politique d’aménagement doit permettre de concilier intérêt local et intérêt général. La métropolisation poursuivie sous ce quinquennat aura renforcé les distorsions, concentrant les financements et les pouvoirs dans les centres urbains. Les périphéries n’auront pas bénéficié du ruissellement attendu ; elles auront finalement eu souvent le sentiment de ne pouvoir s’exprimer que sur les ronds-points.
Le quinquennat qui s’achève n’aura pas permis de résoudre cette crise démocratique, ni même de la résorber. Et ce n’est pas le projet de loi 3DS, en cours de navette parlementaire, qui permettra de faire bouger les lignes. Ce que l’on nous présente comme un texte en faveur de la décentralisation et de l’expérimentation est en réalité un énième projet de loi renforçant le désengagement de l’État de sa responsabilité première d’aménageur.
J’en veux pour preuve la volonté de l’exécutif de se dessaisir des routes ou des petites lignes ferroviaires, c’est-à-dire de toutes les infrastructures qui s’articulent en réseau. Le Sénat l’a refusé au nom de l’unité du patrimoine et de la nécessité d’un État qui relie les territoires, plutôt qu’il ne les segmente.
En matière de soutien de l’État aux politiques d’aménagement du territoire par le biais des collectivités, il existe deux manières de faire.
Il existe ainsi la manière directe, celle des dotations versées par l’État aux collectivités, afin de leur permettre de mettre en place leurs projets et de soutenir les services publics locaux. Dans ce cadre, malgré la stabilité constatée cette année, le quinquennat n’aura pas répondu aux espérances, après des années de coupe de la DGF. En réalité, cette stabilité n’est même qu’illusoire, puisqu’elle ne prend pas en compte l’inflation.
Qui pis est, l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales a été largement remise en cause par la nationalisation de la taxe d’habitation, qui dénoue dangereusement le lien entre fiscalité et territoire.
Par ailleurs, les finances de nombreuses collectivités ont subi un effet ciseau, notamment du fait de l’évolution du niveau de la dotation de solidarité rurale ou du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée. La volonté de recentrer l’attribution de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), pour éviter les effets de saupoudrage, pose également la question de la vocation généraliste de ces dotations, compte tenu, qui plus est, de l’opacité constatée dans leur mode d’attribution.
Je pense également à l’avenir des zones de revitalisation rurale (ZRR), dispositif si utile pour nos territoires qu’il conviendrait de pérenniser.
Les politiques de soutien aux collectivités dans le domaine de la construction ont également été revues à la baisse, puisque l’État s’est progressivement désengagé de la production de logements abordables.
Les politiques de soutien de l’État passent essentiellement par la contractualisation et les appels à projets, tels que les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain. C’est cette logique de guichet qui a prévalu lors de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Certes, cette structure a le mérite d’exister, mais son fonctionnement n’est pas optimal et ses moyens restent pour le moment insuffisants. Nous savons que les communes et les intercommunalités sont dans une situation inéquitable, les collectivités qui ne sont pas dotées d’ingénierie étant totalement mises à l’écart de l’accès à ces financements.
Faut-il aussi rappeler l’affaiblissement des services de l’État sur le terrain, qui a mis les petites communes en grande difficulté, notamment quand ont disparu ces services qui concouraient à l’élaboration des projets techniques en matière d’adduction d’eau, d’assainissement et d’urbanisme ?
Enfin, les opérateurs de l’État dans les territoires partenaires de l’ANCT souffrent d’une baisse draconienne de leurs moyens et de leur subvention. Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), pour ne citer que lui, est durablement menacé, ce qui est très préoccupant, notamment au regard des enjeux d’adaptation au risque climatique auxquels sont confrontés les territoires.
Les élus ne demandent pas l’aumône. Ils attendent non pas moins d’État, mais mieux d’État dans ses missions régaliennes.
Enfin, les politiques d’aménagement du territoire et de cohésion ne passent pas que par un appui spécifique aux collectivités, elles passent aussi par une déclinaison efficace de politiques nationales adossées sur le respect des droits de l’ensemble de nos concitoyens, notamment au titre du principe d’égalité devant le service public.
Je pense en particulier à la situation de l’hôpital public, soumis au dogme de la rentabilité, aux regroupements et aux mutualisations, mais je pourrais également évoquer la couverture numérique, la présence postale, les crèches et les écoles, les gares, la désertification médicale endémique dans nos territoires.
M. Jean-Noël Cardoux. Très bien !
Mme Marie-Claude Varaillas. Il convient de mettre en place des politiques audacieuses pour renforcer la présence territoriale d’opérateurs publics capables de rendre effectives les nécessaires péréquations territoriales. Ce ne sont malheureusement pas les maisons France Services qui pourront pallier le désengagement de l’État, puisqu’elles ne servent qu’à gérer la pénurie et masquer le fait que des pans entiers de notre économie ont été privatisés au détriment de l’intérêt général.
Il faut une loi d’aménagement du territoire reposant sur trois piliers : habiter, travailler et vivre sur un territoire.
Vous le voyez, mes chers collègues, les pistes de réflexion et d’action sont très vastes. À n’en pas douter maintenant, ce chantier immense sera celui du prochain quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui porte sur une thématique chère à la Haute Assemblée : la contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires.
Comment garantir le développement de tous les territoires sans risquer une rupture d’égalité entre ces derniers ? Comment favoriser la cohérence territoriale, tout en prenant en compte les circonstances locales ? Voilà quelques-unes des interrogations que nourrissent nos échanges.
Pour trouver une réponse opérationnelle à ces questions, il existe différentes politiques d’appui aux collectivités territoriales. Je tiens à souligner la diversité des dispositifs proposés : qu’ils soient financiers, avec la Banque des territoires, méthodologiques, avec le Cerema, transversaux, avec les programmes Petites Villes de demain et Action cœur de ville, ou sectoriels, avec le plan Avenir montagnes, ils accompagnent les collectivités volontaires.
En tant qu’élu de montagne, je salue d’ailleurs les mesures figurant dans le plan Avenir montagnes, piloté, je le précise, par l’ANCT. Épouser les réalités locales en concertation avec les élus locaux, tel est l’objectif de ce plan sectoriel. Il reste néanmoins à voir si sa traduction sur le terrain confirmera la démarche initiale.
Les politiques d’appui en faveur des collectivités ne sont pas le remède à tous les maux. Pour les communes de taille modeste, il est trop souvent complexe de comprendre le fonctionnement de l’intégralité des mécanismes à mettre en œuvre, d’autant que ces derniers sont portés à la connaissance des municipalités de différentes manières, pas toujours très compréhensibles.
Ainsi, pour le maire d’une petite commune, le fait de lancer un projet d’aménagement de territoire peut s’apparenter à une véritable épreuve solitaire, dans une jungle administrative faite de normes complexes, voire d’injonctions contradictoires. Je pense tout particulièrement aux procédures de demande de subventions, dont les modalités sont propres à chaque institution.
Il existe un réel déficit d’ingénierie dans nos territoires, notamment les plus ruraux. Il n’est pas rare qu’une municipalité ne dispose pas des ressources humaines nécessaires ou de services suffisamment étoffés pour répondre aux nombreux appels à projets nationaux.
C’est pourquoi je m’interroge sur les solutions concrètes que peut apporter le préfet de département, en qualité de délégué territorial de l’ANCT. Quels moyens une préfecture peut-elle déployer lorsqu’une commune souhaite des études d’impact ou une conduite de projets, par exemple pour l’aménagement d’un lotissement ?
Face à ces difficultés, le Sénat a déjà avancé un certain nombre de pistes, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS.
Il nous faut tout d’abord une simplification administrative. À titre d’illustration, citons la création d’une demande de subvention unique pour solliciter des fonds auprès des différents interlocuteurs. À l’image de ce qu’il se passe dans le milieu associatif pour bon nombre des organismes délivrant les subventions, on pourrait imaginer un seul formulaire Cerfa à la disposition des communes, ce qui limiterait drastiquement les lourdeurs administratives.
Madame la ministre, il s’agit aussi d’intégrer les demandes des collectivités locales pour plus de simplicité et plus d’autonomie. Je pense en particulier à certaines évolutions qui semblent soulever des difficultés à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi 3DS, comme la liberté de choix pour un certain nombre de compétences, réinstaurée par le Sénat – Mathieu Darnaud connaît parfaitement le sujet. (M. Mathieu Darnaud acquiesce.)
Vous ne serez pas surprise de l’entendre dans ma bouche, en matière d’eau et d’assainissement, que ce soit à l’échelon local ou intercommunal, la liberté de choix me paraît à la fois un marqueur de la liberté locale dans nos territoires et une façon pour le Gouvernement de laisser vivre cette liberté de choix de manière concrète et efficace. Cela ne prive pas les collectivités de leurs capacités de gestion et apporterait au Gouvernement la reconnaissance de toutes les collectivités de France. Bref, pas de coût, une facilité de mise en œuvre et plus de liberté locale !
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, j’espère que votre position évoluera sur le sujet lors de l’examen du projet de loi 3DS en séance publique à l’Assemblée nationale.
M. Laurent Duplomb. Cela ne risque pas !
M. Jean-Michel Arnaud. Je conclurai en évoquant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la compétence Gemapi, dont il faut réviser la mise en œuvre.
Il n’est pas normal que les territoires de montagne, situés en amont, soient les seuls à financer l’organisation et la protection des biens et des personnes sur l’ensemble d’une vallée.
M. Jean-Claude Anglars. Oui, c’est insupportable !
M. Jean-Michel Arnaud. Tels sont, madame la ministre, les messages que je souhaitais vous transmettre au nom du groupe Union Centriste, en attendant les réponses que vous pourrez nous apporter à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances pour 2022 aurait pu offrir au Parlement l’occasion de dresser un bilan de la politique d’aménagement du territoire du quinquennat. Je regrette que nous n’ayons pu discuter de la deuxième partie de ce budget, en dépit – nous en sommes conscients – de notre marge de manœuvre limitée.
Sans revenir sur le Congrès des maires, il me semble primordial de rappeler que la confiance entre l’État et les collectivités repose, d’abord, sur la clarté et la stabilité de la norme, ensuite, sur la péréquation entre les territoires pour garantir la solidarité nationale, enfin, sur l’accompagnement humain, juridique et financier pour les territoires les plus défavorisés.
C’est sur ce dernier point qu’il nous semble important d’insister.
S’agissant de l’administration déconcentrée, nous connaîtrons pour la première fois, à la veille des échéances électorales, une progression des effectifs de l’État à l’échelon des départements, après une diminution constante depuis 2007… Le groupe du RDSE s’en réjouit vivement. L’aide complémentaire que pourront apporter les volontaires territoriaux en administration est bienvenue, mais nous avons avant tout besoin de postes pérennes.
Malheureusement, le projet de loi de finances pour 2022 n’épargne pas le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le Cerema, qui subit une hémorragie de ses effectifs : 700 postes supprimés en sept ans ! Cela défie toute logique, alors que son expertise est précieuse au regard de l’ensemble des enjeux d’aménagement du territoire et qu’il existe une véritable carence d’ingénierie au sein d’un grand nombre de collectivités. Cette cure d’austérité doit cesser.
Comme vous le savez, madame la ministre, le groupe du RDSE a promu la création, voilà deux ans, de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, qui monte progressivement en puissance. Cela ne va pas assez vite et il faut comprendre l’impatience des élus après des décennies d’abandon de la politique d’aménagement du territoire et de la priorité octroyée aux métropoles, qui ont ainsi pu concentrer les richesses, les emplois et les services.
Si l’on progresse enfin vers une logique de guichet unique et le décloisonnement des services administratifs de l’État, un effort particulier sur l’ingénierie territoriale reste à fournir. Or l’enveloppe budgétaire consacrée aux projets « sur-mesure » des collectivités se situe bien en deçà de l’effort qu’il serait indispensable de fournir pour alimenter une véritable politique de cohésion des territoires, au profit des plus prioritaires d’entre eux. La somme de 20 millions d’euros ne peut nous satisfaire, sachant qu’elle correspond à un total de 750 projets en 2021 et qu’environ la moitié de cette enveloppe est en réalité dédiée à des prestations réalisées par le privé.
La création de l’ANCT avait également pour objectif de mettre un terme à la concurrence entre les territoires par le recours aux appels à projets. Nous ne nions pas l’intérêt des programmes menés par l’État, mais ils excluent encore les collectivités n’ayant pas les ressources pour y répondre et monter les dossiers.
En définitive, nous faisons mieux – ce qui est déjà une bonne nouvelle –, mais à moyens constants – ce qui ne permet pas de rattraper les effets du retrait de l’État.
Enfin, je tiens à souligner que, sur le terrain, nous constatons des problèmes de cohérence quant à l’identification des territoires bénéficiaires de certains programmes d’État offrant un accompagnement en ingénierie.
En Occitanie, par exemple, seules 225 communes ont été labellisées dans le cadre du programme Petites Villes de demain. La région a mis en place des contrats Bourgs-Centres dès 2017, qui concernent toutes les communes ayant des charges de centralité, à savoir les communes dites pôles de services supérieurs et intermédiaires, celles de plus de 1 500 habitants possédant une fonction de pôle de services de proximité et celles de moins de 1 500 habitants, souvent d’anciens chefs-lieux de canton, qui offrent des services essentiels auprès des zones rurales de faible densité démographique. Cela représente en tout 501 communes. Que fait-on des oubliés de l’action territorialisée de l’État ?
Nous appelons donc à plus de lisibilité quant à l’identification des bénéficiaires de ces programmes et à une déconcentration et un renforcement des moyens de l’ANCT, notamment sur le terrain, pour soutenir les collectivités qui en ont le plus besoin dans l’exercice de leurs compétences.
Madame la ministre, les collectivités territoriales n’attentent de l’État qu’un accompagnement effectif, leur permettant de maintenir des bassins de vie, de faciliter l’accès aux services publics, de concrétiser leur droit à se développer – en somme, l’équité et la cohésion territoriale ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mardi dernier, je regrettais en tant que président de la commission des finances que nous nous privions d’une séquence budgétaire de mon point de vue toujours utile. Aujourd’hui, une nouvelle séquence s’ouvre, avec un débat thématique auquel je souhaite contribuer en tant que rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
En abordant ce débat, il ne vous surprendra sans doute pas que je revienne avant tout sur la question de l’autonomie financière des collectivités territoriales.
En effet, la suppression de la taxe d’habitation a porté un nouveau coup à l’autonomie fiscale de ces collectivités. Elle a notamment conduit à remplacer, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), 7,1 milliards d’euros de recettes par une fraction de TVA, sur laquelle ils n’exercent aucun pouvoir de taux.
Par ailleurs, la réforme des impôts de production se traduira par le remplacement de recettes foncières par une dotation, certes évolutive, de l’État pour un montant équivalent à 3,2 milliards d’euros en 2021.
Au total, après la réforme de la taxe d’habitation et celle des impôts de production, la part des recettes fiscales sur lesquelles les collectivités locales exercent un pouvoir de taux ou d’assiette s’élèverait à environ 62 % pour les collectivités du bloc communal, 33 % pour les départements et 10,6 % pour les régions.
De ce point de vue, on observe que, dans le total des ressources financières des collectivités, les ressources issues de la fiscalité directe locale diminuent année après année – force est de reconnaître que cela ne date pas d’aujourd’hui –, au profit de transferts financiers de l’État.
Par ailleurs, les principaux concours versés aux collectivités par l’État – la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID) – sont en réalité des subventions d’équipement pour un montant total de 2 milliards d’euros en 2021, hors plan de relance. Il s’agit de financements attribués, pour l’essentiel, de manière discrétionnaire, les commissions de la DETR pouvant, pour cette dernière, corriger à la marge les orientations générales.
Nous n’oublions pas non plus les offres de subvention d’investissement émanant des différentes agences de l’État : l’ANCT, mais aussi l’ANAH (Agence nationale de l’habitat), l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), l’Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport de France), l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), etc. L’ensemble représente tout de même 5 milliards d’euros de crédits budgétaires.
Nous notons dans ce domaine pour le moins une certaine complexité, voire, parfois, une illisibilité. Chacune de ces agences dispose en effet de programmes répondant à des procédures et des délais différents.
Aussi, pour les collectivités souhaitant bénéficier de programmes comme Action cœur de ville, Revitalisation des centres-bourgs ou autre, il faut parfois jongler avec des critères relativement rigides.
Madame la ministre, au mois de mai 2021, la Cour des comptes indiquait que « ces approximations dans les appellations et les concepts [étaient] en fait révélatrices de l’imprécision de la stratégie de l’État ».
En voulant mettre en place une politique d’encadrement budgétaire des collectivités, l’État organise l’aménagement et la cohésion des territoires, en ne laissant à ces dernières qu’une marge de manœuvre réduite.
Dans l’instruction générale du 2 février 2021 relative à la composition et règles d’emplois des dotations et fonds de soutien à l’investissement en faveur des territoires en 2021, on trouve d’ailleurs des consignes très claires de mobilisation de ces dotations au bénéfice des différentes démarches partenariales impulsées par l’État – agenda rural, Territoires d’industrie, Petites Villes de demain, Action cœur de ville –, elles-mêmes regroupées dans les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de relance et de transition énergétique (CRTE).
D’ailleurs, le projet de loi de finances pour 2022 s’inscrit toujours plus dans cette logique, faisant, d’une certaine façon, des collectivités les bras armés de l’État. Ainsi, l’article 45 prévoit, cette année, de supprimer la fraction libre d’emploi de la DSID, même si, il faut bien le reconnaître, celle-ci était de fait déjà très faible et trop dispersée.
Si l’on peut parfaitement comprendre et admettre que des concours financiers soient fléchés par l’État sur des priorités définies par lui, encore faudrait-il que des fonds suffisants soient libres d’emploi pour permettre aux élus d’engager des politiques publiques d’aménagement adaptées en fonction de leurs territoires, politiques qui font souvent l’objet d’engagements électoraux.
Paradoxalement, la gestion des collectivités territoriales est aujourd’hui de plus en plus jugée par nos concitoyens à l’aune de politiques publiques qui sont, en réalité, largement décidées par l’État.
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Claude Raynal. Madame la ministre, sur ce sujet, n’est-il pas temps de réguler et de trouver le bon équilibre entre subventions fléchées, qui peuvent se comprendre, et financements libres d’emploi, totalement nécessaires ?
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on ne saurait bien évidemment minimiser la contribution des politiques d’appui de l’État, qui est primordiale pour les collectivités, surtout et avant tout en période de crise. Pour autant, nous nous devons d’interroger l’existant, pour que cette action soit efficace et pérenne.
Ainsi, à l’heure des grandes transitions et compte tenu des évolutions de plus en plus rapides, quelles sont les attentes des collectivités, mais aussi leurs perspectives ? Quelle est, par ailleurs, la stratégie de l’État en matière d’approche contributive ?
Aujourd’hui, pour être efficaces, les politiques d’appui se doivent d’être adossées à un dispositif qui soit global, proche des collectivités locales, susceptible de les accompagner sans s’y substituer et financièrement transparent.
Sur ce sujet, nous ne pouvons bien évidemment pas passer à côté de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires en 2020, sous l’impulsion de la proposition de loi de Jean-Claude Requier. C’est une étape significative pour la politique de soutien de l’État en faveur de la cohésion des territoires, dont il est le garant.
Déjà en 2017, nous soulignions, dans un rapport d’information établi avec Hervé Maurey, la nécessité d’une structure au service des territoires. Bien évidemment, ceux-ci savent se prendre en charge, mais ils se heurtent aux complexités et enchevêtrements des dispositifs actuels.
À ce titre, je salue la volonté de mettre en place un fonctionnement efficace et partagé, avec, à la fois, un rôle de l’ANCT en matière de coordination des opérateurs nationaux avec lesquels elle a contractualisé et l’intervention des préfets de département. Il faut particulièrement préserver les financements de ses partenaires, sans quoi son efficacité sera réduite.
Les élus sont satisfaits de disposer de ce guichet unique, et les comités locaux de cohésion territoriale de l’ANCT doivent maintenant pouvoir pleinement jouer leur rôle pour s’inscrire dans le dispositif et adopter une approche différenciée.
L’ANCT doit permettre une démarche transversale : partir de la réalité vécue par les villes et faire en sorte de leur donner les bons outils en mobilisant toutes les parties prenantes pour faire du « cousu main », mais également offrir une capacité de coordination des ressources disponibles dans la durée, favoriser le partage d’expérience et la montée en compétences des bénéficiaires.
L’innovation publique locale ne doit pas être découragée par un plan national au périmètre préétabli par l’État.
L’ANCT, en fluidifiant et rationalisant l’existant, doit permettre aux territoires moins denses de se développer par des projets propres, sans voir leurs potentialités aspirées par d’autres territoires plus aguerris.
En tout état de cause, une contribution efficace des politiques d’appui en matière d’aménagement et de cohésion passe avant tout aujourd’hui par la contractualisation, en ce qu’elle offre de cohérence avec la prise en compte de la décentralisation et des spécificités locales.
D’ailleurs, à l’heure actuelle, la politique contractuelle de l’État semble devoir reposer que sur deux niveaux seulement : les CPER, pour l’échelon régional, et les CRTE, pour l’échelon infrarégional, ces derniers ayant opéré à la fois une véritable simplification et une unification des dispositifs de contractualisation existants entre l’État et les collectivités territoriales.
On ne saurait oublier, madame la ministre, les zones de revitalisation rurale, les ZRR, pour lesquelles nous attendons avec impatience la mise en place du groupe de travail.
Si les CRTE permettent d’améliorer la lisibilité de l’action publique, la temporalité des programmes est primordiale. Il faut concilier court et long termes, s’adosser aux projets de territoire et pérenniser les projets lancés. Pour être efficaces, ces temporalités doivent être alignées sur la durée d’un mandat, j’insiste particulièrement sur ce point.
De même, une approche en péréquation doit pouvoir être envisagée.
Enfin, la question de la mutualisation des actions entre les communes et l’intercommunalité est importante.
La crise sanitaire et économique que nous subissons encore aujourd’hui a mis en exergue le rôle clé joué par les communes et les EPCI, aux côtés de l’État et des régions, pour gérer l’urgence.
Il s’agit à présent de pérenniser cette coopération pour conforter la reprise et renforcer économiquement les territoires dans les années à venir.
Quelle est la position du Gouvernement sur ces points ?
En conclusion, toute politique d’appui se doit de proposer un cadre souple, capable d’intégrer les évolutions de la décentralisation et la progression des capacités des collectivités locales. C’est par le prisme de cette approche que nous nous permettrons de poser un regard critique sur votre engagement et votre capacité d’action sur le sujet, madame la ministre, et que nous jaugerons une nouvelle politique contractuelle qui se doit de donner de la lisibilité aux collectivités et de garantir l’engagement de l’État dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je profiterai de ce débat pour évoquer quatre sujets concrets relevant des relations entre l’État et les communes, entrant tous dans la thématique de ce débat.
Le premier sujet concerne les contrats de relance et de transition écologique, les CRTE.
Pour ces contrats, un certain nombre de préfets ont tendance à ne plus traiter qu’avec les présidents d’EPCI, laissant de côté les maires qui n’y sont pratiquement plus associés et qui manquent par conséquent totalement d’information. Tout ou presque se passe comme si ces préfets avaient perdu leur boîte mail…
Si cette pratique devait perdurer et se généraliser, ce serait alors la fin du couple maire-préfet, si cher au Président de la République. J’ose espérer, madame la ministre, que vous saurez le rappeler à qui de droit…
Le deuxième sujet a trait au déploiement des conseillers numériques sur le territoire national.
À la faveur du plan de relance, l’État a décidé de consacrer 250 millions d’euros en 2021 pour soutenir la lutte contre l’illectronisme. Cette initiative, pilotée par l’ANCT, répond à une attente d’un grand nombre de nos concitoyens et je la salue, comme il se doit.
Les premiers conseillers sont à présent sur le terrain, mais déjà se posent deux questions.
La première interrogation porte sur le financement des emplois à l’issue de la période contractuelle prévue. Elle est importante, car elle conditionne grandement la fidélisation des agents recrutés, qui pourraient être tentés de saisir des opportunités plus pérennes. Madame la ministre, pouvez-vous vous engager sur la prise en charge par l’État de la poursuite de ces contrats au-delà de la durée prévue de trois ans ?
La seconde interrogation concerne le financement de la formation. L’ANCT proclame partout que celle-ci est totalement prise en charge par l’État. Pourtant, quid des frais de déplacement lorsque cette formation a lieu dans un endroit éloigné – parfois très éloigné – du lieu de travail et qu’elle occasionne des frais pouvant aller jusqu’à 6 000 euros ? Ce sont des sommes importantes pour les petites communes qui se sont engagées aux côtés de l’État pour favoriser l’inclusion numérique au plus près des territoires.
Le troisième sujet concerne le financement des contrats aidés. Au regard de l’évolution de la situation économique, l’État a décidé, l’été dernier, de modifier la définition des publics prioritaires, en privilégiant désormais les plus jeunes. Or de nombreuses communes, souvent dans une situation financière tendue, avaient monté des opérations ou mis en place des services, notamment dans les domaines scolaire et périscolaire, avec des agents de plus de 50 ans, alors considérés comme public prioritaire. Ces agents, qui remplissent leur fonction avec compétence et efficacité, se trouvent ainsi privés d’une prolongation de leur contrat, au motif qu’ils ne sont plus prioritaires. C’est d’autant plus dommageable que certains sont parfois proches de l’âge de la retraite et qu’ils ne trouveront aucun autre emploi.
Le Gouvernement envisage-t-il de demander à Pôle emploi d’appliquer la nouvelle réglementation avec souplesse ? Il conviendrait de tenir compte de la situation particulière des agents de plus de 50 ans, voire de plus 60 ans, en fonctions au moment de l’évolution réglementaire.
Le dernier sujet met en exergue les difficultés rencontrées par les régisseurs de recettes et, par voie de conséquence, par les maires, dans un nombre croissant de communes. La direction départementale des finances publiques (DDFiP) ne reçoit plus les dépôts de recettes dans son réseau départemental. Elle demande aux régisseurs de les déposer dans un bureau de poste ou une agence postale. C’est ainsi dans le département de la Moselle.
Alors que ces dépôts faisaient l’objet d’un recomptage contradictoire en présence à la fois du régisseur et de l’agent des services fiscaux, la procédure a changé avec La Poste. La recette est désormais recomptée ultérieurement au dépôt. En cas de résultat inférieur à la somme déclarée, la différence est automatiquement imputée au régisseur. Cette pratique est pour le moins choquante !
C’est pourquoi je vous demande, madame la ministre, d’user des relations particulières que l’État entretient avec le groupe La Poste pour exiger un recomptage contradictoire des dépôts d’argent.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marie Mizzon. Si La Poste refuse, on risque fort de ne plus trouver d’agents communaux volontaires pour accepter la fonction de régisseur, qui les responsabilise sur leurs deniers personnels. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités territoriales ont été particulièrement sollicitées pour la gestion de la crise sanitaire. Elles continueront à l’être, sans doute davantage encore avec les défis de la transition écologique. Elles doivent donc être en mesure d’élaborer une conduite stratégique et anticipative de leur développement, afin que celui-ci soit durable et résilient.
Cela suppose qu’elles bénéficient d’une ingénierie. Or la présence des compétences est loin d’être équitable et homogène sur l’ensemble du territoire. Les grandes collectivités, qui ont le plus de moyens, ont pu développer leurs propres ressources ou disposer d’une puissante expertise externalisée. À l’inverse, les plus petites, qui disposent de budgets et d’effectifs bien moins importants, notamment en milieu rural, sont dotées de peu de compétences en interne et manquent de moyens adaptés pour mener à bien leurs projets. Elles doivent donc pouvoir compter sur l’expertise et l’accompagnement de l’État.
L’ANCT a notamment été conçue pour assurer un rôle dans la fabrique des projets et pour faciliter l’accès des collectivités territoriales aux ressources humaines et techniques. Pourtant, contrairement à la promesse qui a été faite d’une augmentation significative de ses moyens, ceux-ci, tant financiers qu’humains, demeurent insuffisants.
Ainsi, pour les collectivités en demande d’ingénierie, il est fait état de 400 projets accompagnés en 2021 et d’une cible de 500 projets en 2022 et 2023. Ce nombre paraît bien faible au regard des quelque 25 000 communes de moins de 1 000 habitants que compte notre pays, dont les moyens sont souvent très limités.
Par ailleurs, le soutien de l’ANCT n’intervient que dans le cadre des programmes d’action qu’elle pilote. Qu’en est-il des communes qui n’entrent dans aucun des dispositifs, comme les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain ? Ces trous dans la raquette laissent pour compte des collectivités en difficulté.
En outre, entre les différents dispositifs, les politiques de labellisation ou encore les contrats de ruralité, l’action de l’État en direction des espaces ruraux est en elle-même d’une grande complexité, ce qui rend le soutien en financement et en ingénierie technique peu lisible pour les collectivités territoriales qui peuvent en bénéficier. Il s’agit en somme d’un système absurde, dans lequel l’accès à l’aide de l’État est si laborieux que celle-ci n’est finalement pas à la portée des collectivités qui en ont le plus besoin.
Aussi continuons-nous à appeler le Gouvernement à mettre en place une intervention ciblée, prioritaire et renforcée, au profit des territoires les plus en détresse pour identifier et actionner rapidement les leviers potentiels de développement.
Enfin, nous tenons à rappeler que la décentralisation ne doit pas être appréhendée comme un désengagement ou un dessaisissement de l’État. Si le déploiement des politiques territorialisées échappe de plus en plus à l’action strictement nationale, le renforcement des pouvoirs locaux ne doit pas pour autant faire perdre de vue le rôle éminemment stratégique qui doit encore être celui de l’État en matière de cohésion et de développement équitable des territoires.
À cet égard, on ne peut que regretter le mandat pour rien du haut-commissariat au plan, cette coquille vide qui aurait pu et aurait dû penser la solidarité et la complémentarité entre nos territoires et leur transformation à l’aune du réchauffement climatique. Le développement, indispensable mais anarchique, des éoliennes, concentrées dans quelques régions, ou encore les difficultés des collectivités littorales menacées par le recul du trait de côte et la montée des eaux…
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Martine Filleul. … sont autant d’exemples récents de la nécessité que l’État mène des politiques d’appui aux collectivités territoriales !
Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà à parler de nouveau d’aménagement et de cohésion des territoires ! Au lieu de zone de revitalisation des territoires, on devrait parler de zone de frustration rurale ou de zone de liberté rurale. On aimerait voir des évolutions.
Madame la ministre, qu’attendent les élus ?
Ils demandent d’abord un peu plus d’écoute, un peu plus de confiance, par exemple pour construire. En milieu rural, les règles de 2021, avec les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi), désavantagent les territoires ruraux. Les règles valables pour les années 2020 ont été imaginées au début des années 2000 ou 2010. Il est grand temps de les revoir, si l’on veut donner un avenir aux territoires ruraux. Pour qu’ils puissent faire de l’aménagement du territoire, il faut d’abord pouvoir construire – ou d’ailleurs ne pas construire.
Nous touchons là au grand débat des éoliennes.
M. Bruno Sido. Ah !
M. Bruno Belin. Madame la ministre, sur ce sujet qui divise les territoires, je vous demande tout simplement de faire en sorte que le dernier mot revienne aux élus locaux. Nous évoluons au milieu d’une multiplicité de procédures et les élus qui en subissent les conséquences sont actuellement entendus les derniers ! Pour un meilleur aménagement du territoire, qui requiert un climat de confiance, je répète qu’il est nécessaire que le dernier mot revienne aux élus.
Je citerai également les longs débats et les chicaneries infinies dans les territoires entre les maires et les architectes des bâtiments de France (ABF). Il ne s’agit pas de savoir si les ABF ont raison ou non ou s’il faut appliquer le principe « qui décide paie ». Le problème est tout simplement la perte d’énergie, le temps perdu, le découragement. Dans cette France de Viollet-le-Duc qu’est la France rurale, où se trouvent partout des monuments et des églises classés, ce temps perdu altère la volonté de construire et de donner un avenir aux territoires ruraux.
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Bruno Belin. S’il faut élargir encore ce débat, je souligne la nécessité de se donner les moyens d’accueillir les innovations.
Il n’est qu’à citer la téléphonie mobile. Madame la ministre, vous savez comme moi qu’il est compliqué d’établir une communication téléphonique entre Salbris et Mondoubleau, deux communes pourtant pas si éloignées l’une de l’autre. Où en sommes-nous des 5 000 ou 10 000 pylônes annoncés à la fin de l’année 2019 ? Voilà bien un sujet sur lequel l’État a la main, avec l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et France Mobile. En matière d’aménagement du territoire, il n’y a pas d’avenir sans progrès dans le domaine de la téléphonie mobile.
Il existe une autre décision simple qui relève de l’État et que les élus attendent dans les territoires : arrêtons les fermetures inutiles, qu’il s’agisse des classes ou des services publics. Arrêtons les fermetures d’officines quand il n’y a pas de repreneur immédiat, car nous savons très bien que les licences ainsi perdues ne se retrouvent jamais. Si nous voulons nous donner les moyens d’accueillir, il faut laisser vivre tout ce que l’on peut laisser vivre.
J’évoquerai enfin le problème de la démographie médicale. Quand sera-t-il résolu ? On ne peut pas attendre dix ans, comme l’affirme le Président de la République à chaque fois qu’il en est question, sous prétexte qu’il a supprimé le numerus clausus ! Des décisions simples peuvent être prises dès maintenant : par exemple, ouvrir les vannes des écoles d’infirmiers ou des écoles de sages-femmes, puisqu’il faut cinq ans pour former ces personnels, d’autant que cela ne coûte rien !
M. Bruno Belin. On peut aussi plafonner les installations quand elles sont en abondance, pour les reverser là où il y a carence.
Voilà donc quelques idées simples en matière d’aménagement du territoire, madame la ministre, pour que la France des frustrations devienne la France des espérances ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’aménagement du territoire a de tout temps été un enjeu majeur. Or un défi crucial guide de plus en plus nos politiques publiques, celui que pose le dérèglement climatique. L’aménagement du territoire en tient compte.
Récemment, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, ou encore le projet de loi 3DS ont déchaîné l’actualité locale. Il y a tant à dire lorsqu’il s’agit d’aménagement et de cohésion des territoires !
Parmi les thèmes qui reviennent lors des rencontres dans mon département avec des élus locaux et des citoyens, l’artificialisation des sols est mentionnée le plus fréquemment. La protection de nos territoires est indispensable. Nous avons besoin d’espaces préservés pour notre biodiversité, faune et flore mélangées, et pour notre agriculture.
J’ai été interpellé récemment sur un sujet particulier en Loire-Atlantique : le sort du littoral dans la nébuleuse de l’artificialisation des sols. Pour être plus concret, je prendrai pour exemple le pays de Retz, la Côte d’Amour, la Côte sauvage. De nombreux littoraux français rencontrent les mêmes problématiques.
Prenons la commune de Pornic, en pays de Retz, qui compte quatorze kilomètres de côtes et dont la population augmente de 1,5 % par an. Ce territoire subit de plein fouet les conséquences du changement climatique : montée des eaux, inondations plus fréquentes et tempêtes aux violences inouïes, comme Xynthia en 2010.
Cette commune accueille par ailleurs un flux de population qui s’est accentué dans les dix-huit derniers mois. Depuis le début de la pandémie en effet, les grands centres urbains sont délaissés pour la campagne, les petites villes et les littoraux. Le prix du foncier est donc en nette augmentation et les possibilités de construction sont restreintes. Cette flambée des prix complique la capacité des municipalités à agir.
Les communes littorales sont notamment soumises à la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite Littoral, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, à la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, à la loi Climat et résilience. Prochainement, elles seront soumises à la loi 3DS. Comme l’a fait remarquer Jean-Michel Brard, président de Pornic Agglo Pays de Retz, ces lois vont, pour leur grande majorité, dans le bon sens. Reste que, mises bout à bout, elles compliquent l’élaboration des plans d’urbanisme et entraînent même parfois des contresens.
Il est évident que l’artificialisation de nos sols doit, à terme, se réduire drastiquement. Cependant, les territoires littoraux ou ruraux doivent pouvoir accueillir de nouveaux arrivants et leur offrir des perspectives économiques, si nous voulons maintenir leur dynamisme.
De plus – et c’est un sujet qui tient à cœur à nombre de Français –, nous devons donner à nos enfants la possibilité de vivre là où ils sont nés et aux Français celle de vivre là où ils travaillent.
Les collectivités territoriales qui sont sous tension en termes d’espace disponible, avec un foncier dispendieux, peuvent avoir du mal à remplir l’obligation d’un pourcentage minimal de logements sociaux. Quand ils trouvent des solutions raisonnables et équilibrées entre toutes les préoccupations auxquelles ils doivent faire face, les élus locaux sont parfois victimes d’insultes et de menaces, les populations refusant que le charme attractif d’une ville balnéaire soit rompu par l’émergence d’immeubles.
Tous les témoignages que j’ai recueillis expriment la même volonté d’une véritable différenciation dans les territoires, pour répondre à leurs besoins spécifiques que les acteurs locaux sont le mieux à même d’identifier précisément. Si la question de l’artificialisation illustre parfaitement la nécessité de nous doter de politiques publiques adaptées en fonction des territoires, elle n’est pas la seule. Bien des domaines le prouvent.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France est riche de ses diversités. Les politiques publiques qui les accompagnent doivent l’être tout autant. Faisons confiance aux acteurs de proximité pour faire vivre pleinement les forces de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez inscrit à l’ordre du jour de vos travaux ce débat sur le thème de la contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. Il s’agit d’un sujet crucial, qui fait un excellent lien entre les deux volets de mon ministère.
Alors que l’Assemblée nationale examine le projet de loi 3DS, je tenais à être présente aujourd’hui pour discuter avec vous de ces thèmes importants pour l’avenir de nos territoires. Je n’aurai pas le temps de répondre à tous, mais j’essaierai d’introduire des éléments de réponse dès que ce sera possible.
La politique de cohésion des territoires passe par la volonté de construire ensemble des projets dans les territoires, beaucoup l’ont souligné. Vous m’interrogez sur la manière dont les politiques de soutien de l’État aux collectivités territoriales contribuent à l’aménagement et à la cohésion des territoires.
Il est vrai que l’État considère qu’il a une mission d’appui aux collectivités territoriales : à elles l’aménagement de leur territoire, à lui l’aménagement du territoire national, dans une logique de subsidiarité. Toutes les politiques d’aménagement et de cohésion des territoires que nous menons sont conduites de manière partenariale, grâce à la volonté des collectivités territoriales et sur leur initiative.
La question qu’a posée Claude Raynal est naturellement de nature financière, mais il s’agit au fond de savoir quelle place il faut laisser, dans les différentes politiques publiques que l’État a insufflées dans les territoires, à la liberté de choisir d’autres projets. Les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain sont des politiques appréciées à l’échelon local, qui illustrent de façon consubstantielle une vision globale de l’aménagement du territoire. Le programme Action cœur de ville, par exemple, traite l’aménagement des centres-villes en agissant sur le commerce, le logement, les espaces publics… Il embrasse à lui seul un certain nombre de politiques publiques.
Sur le très haut débit, l’État a voulu le développement de la fibre, ce qui n’était pas en dehors des préoccupations des élus. Ces derniers savent que la ruralité – le thème a été abondamment évoqué par les différents intervenants – ne peut pas rester à l’écart du développement de la fibre optique.
Aujourd’hui, la coopération passe également par les réseaux d’initiative publique (RIP), qui sont d’ailleurs bien souvent mis en place par des regroupements d’intercommunalités ou de départements. C’est une politique très importante, partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Il ne s’agit pas d’imposer, mais il arrive un moment où c’est la réalité des territoires qui s’impose à nous. Le sénateur de Loire-Atlantique a ainsi évoqué les évolutions climatiques et les problèmes côtiers.
Il faut bien que l’État prenne ses responsabilités et engage des politiques publiques face aux changements sociétaux, géographiques, climatiques. De leur côté, les collectivités territoriales doivent accompagner le mouvement. Il nous faut travailler ensemble.
Claude Raynal a évoqué les aspects financiers. C’est un véritable débat, j’en conviens. Il faut pouvoir aider certains projets qui ne sont peut-être pas intégrés dans nos politiques publiques.
Ainsi que plusieurs orateurs l’ont souligné, la contractualisation est un élément très important. Il a plus été question des CRTE que des CPER. Actuellement, 843 CRTE sont en développement dans les territoires. Je pourrai vous répondre plus précisément sur le sujet tout à l’heure.
J’ai également été interpellée sur les ressources financières des collectivités territoriales. Sans revenir sur la stabilité de l’enveloppe nationale, je précise qu’un certain nombre de départements, comme la Nièvre, les Ardennes ou la Creuse, ont bénéficié d’une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), et ce malgré la baisse de population de ces trois départements. Par ailleurs, l’État y a lancé des pactes d’aménagement spécifiques.
Les chiffres relatifs aux priorités des collectivités territoriales en matière d’investissement ont été rappelés par Claude Raynal. Nous avons eu la chance, si tant est que l’on puisse qualifier ainsi ce qui est une conséquence de la crise sanitaire, de profiter du plan de relance sur un certain nombre de dossiers, comme la DSIL rénovation énergétique et d’autres DSIL.
Le programme 112 « Aménagement du territoire », dont relève le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (Fnadt), voit ses ressources s’accroître, avec une augmentation de 35 millions d’euros entre 2021 et 2022.
La question de l’ingénierie a été soulevée par plusieurs sénateurs, qui ont évoqué le rôle de l’ANCT. Je le rappelle, celle-ci soufflera sa deuxième bougie au 1er janvier prochain. Je crois que beaucoup a été accompli en deux ans. L’ANCT s’est stabilisée d’un point de vue administratif et financier, avec une subvention pour charges de service public d’un montant de 60,5 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022.
Un tiers du budget de l’ANCT, soit 20 millions d’euros, est destiné au financement du marché d’ingénierie de l’ANCT, qui permet d’aider les collectivités à concrétiser leurs projets en bénéficiant d’expertises externes lorsque le besoin n’est pas satisfait localement. Je tenais à le souligner dans cet hémicycle. En effet, nombre d’entre vous craignaient que la création de l’ANCT ne vienne concurrencer les ingénieries des départements, des intercommunalités, voire des régions. En l’occurrence, l’ANCT ne concurrence rien du tout. Elle agit en subsidiarité quand la ressource ou la spécialité ne suffisent pas.
Je le rappelle, les financements sont évidemment ouverts à toutes les collectivités territoriales. Cela me donne l’occasion de répondre à la question de Martine Filleul : ce n’est pas réservé aux communes inscrites dans un système de contractualisation de type Petites Villes de demain ou Action cœur de ville. Je précise même que les aides sont gratuites pour les communes de moins de 3 500 habitants et pour les intercommunalités de moins de 15 000 habitants. Les territoires ruraux sont donc particulièrement ciblés, car nous savons bien que c’est là que l’ingénierie manque le plus.
En outre, nous avons accompagné certains programmes comme Petites Villes de demain avec des chefs de projet financés à 75 % par l’État et ses partenaires, c’est-à-dire l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) – c’est toujours l’État – et la Banque des territoires.
L’ANCT opère donc via de très nombreux dispositifs sur les territoires. Nous aurons l’occasion d’y revenir pendant le débat interactif.
Je réponds d’ores et déjà à la question sur les ZRR. Tout le monde sait que, dans le cadre de l’examen du projet de loi 3DS à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a émis en commission un avis favorable sur l’amendement visant à prolonger les zonages jusqu’au mois de décembre 2023. Il faudra toutefois y revenir, dans la mesure où le mécanisme adopté ne prend pas en compte la politique de la ville. Le Gouvernement déposera donc un amendement lors de la discussion du texte en séance publique afin d’y remédier. Je profite de l’occasion pour saluer Mme la sénatrice Valérie Létard, très impliquée sur ces sujets.
Monsieur Darnaud, le rapport d’information sur le FPIC est paru voilà un mois. Le Gouvernement est en train d’en étudier le contenu. Il envisage d’intégrer sous forme d’amendements lors du débat à l’Assemblée nationale certaines mesures préconisées par le Sénat, notamment les garanties de sortie, qui est un dispositif très intéressant.
Vous avez également évoqué le projet de loi 3DS. À cet égard, rien n’a véritablement changé sur la question des préfets. Vous le savez, je suis entièrement d’accord avec vous sur la nécessité de redonner toute sa puissance au préfet de département. Toutefois, le préfet de région sera le délégué territorial de l’Ademe : celle-ci ayant une organisation régionale, il n’était pas possible de faire autrement. C’est donc cohérent politiquement. Toutefois, je vous rejoins : il faut renforcer le rôle des préfets de département – nous le faisons.
Je connais vos préoccupations en matière financière, par exemple sur la DSIL. Je suis mobilisée sur ces dossiers, comme je m’y étais engagée.
Monsieur Benarroche, nous travaillons aussi sur la métropole Aix-Marseille-Provence. J’espère que nous aboutirons à un accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le sujet.
Mme Varaillas m’a accusée de « métropolisation ». Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous écoute avec attention et je peux entendre nombre de préoccupations, mais ce n’est tout de même sous ce quinquennat qu’a été votée la création des métropoles !
Mme Cécile Cukierman. Nous ne l’avons pas votée non plus pendant le précédent quinquennat !
M. Laurent Duplomb. Et l’eau ? Et l’assainissement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les métropoles – au nombre de huit, au départ – ont été instituées sous le précédent quinquennat !
Cela étant, il faut tout de même faire preuve d’un peu de réalisme. Aujourd’hui, les métropoles existent et il faut bien gérer les espaces métropolitains et les espaces urbanisés en général. Il y a donc besoin de politiques de la ville et de politiques d’aménagement des métropoles.
Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner lorsque je siégeais dans cet hémicycle, je ne comprends pas cet acharnement à vouloir toujours opposer les métropoles aux zones rurales ou à la périphérie. Notre pays a évolué au cours des années depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et nous devons aujourd’hui traiter des sujets qui se présentent à nous.
On ne peut pas accuser l’exécutif en place depuis quatre ans et demi d’avoir métropolisé la France ! La métropolisation s’est faite au fil du temps et les prochains gouvernements devront répondre aux problématiques qui se poseront à eux et seront leur actualité.
Je ne peux pas non plus laisser passer l’accusation selon laquelle le Gouvernement serait en train de se désengager des routes. En réalité, nous ne faisons que terminer la décentralisation des routes, qui – je tiens à le rappeler – concerne uniquement les départements volontaires et dont le processus a été engagé sous le gouvernement Raffarin. La belle affaire !
Je précise également à Marie-Claude Varaillas que l’État fera un chèque de 500 millions d’euros à La Poste dans le cadre du projet de loi de finances – vous savez, celui qui ne sera pas examiné par le Sénat… –, pour que celle-ci continue à rendre le service public dans les territoires. Ce n’est pas vraiment du désengagement !
Je répondrai aux autres points qui ont été abordés dans le cadre du débat interactif.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose de deux questions de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, les politiques d’appui aux collectivités sur tout le territoire national, à la ville et à la ruralité, sont nécessaires pour aménager notre pays. Je pense à la santé, au développement économique ou à l’urbanisme. Nous estimons qu’elles doivent être amplifiées dans les territoires ruraux – cela représente 80 % du territoire et un tiers de la population –, afin de réduire les inégalités territoriales et d’y maintenir la vie.
En complément de ce qui existe, un appui devrait concerner la réindustrialisation de ces territoires. Il faut aider les collectivités locales pour permettre le financement des PME, favoriser le tourisme et garantir l’accès à internet pour tous.
Il faut également donner la possibilité aux agriculteurs de diversifier leur production en maintenant les possibilités d’irrigation, et ce avec des préfets développeurs.
Les différents programmes, qu’il s’agisse de Petites Villes de demain, de ceux que vous avez mis en place ou de ceux qui permettent la réhabilitation et la rénovation de nos centres-bourgs, sont nécessaires pour l’urbanisation. L’artificialisation des terres doit être différenciée par rapport aux villes et permettre au monde rural de faciliter la réalisation de maisons individuelles. L’accès à France Services doit être généralisé dans tout le pays.
Le Gouvernement est-il favorable à la mise en place de ZRR mieux ciblées dans les territoires ruraux après 2022 ? L’État accepte-t-il de participer au financement de l’immobilier, des très petites entreprises (TPE), du tourisme, de permettre l’irrigation agricole et de différencier l’artificialisation des terres ?
L’aménagement du territoire, c’est également un médecin dans chaque maison de santé. Ne pensez-vous pas que la mesure adoptée par le Sénat permettant aux futurs médecins…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Chasseing. … d’être conventionnés seulement après six mois de remplacement dans un désert médical devrait être mise en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme le président. Mes chers collègues, afin de pouvoir tenir l’ensemble des débats inscrits à notre ordre du jour dans les délais prévus, j’invite chacun d’entre vous à respecter le temps de parole qui lui est imparti.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Chasseing, ce n’est pas la question que vous aviez transmise… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. C’est donc que vous avez les questions !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Oui, certains sénateurs donnent leur question avant. Ce n’est pas nouveau, cela a existé sous toutes les majorités ! Certains en revanche s’y refusent systématiquement. (MM. Yves Bouloux et Laurent Duplomb s’exclament.)
Monsieur le sénateur, je connais votre attachement aux ZRR.
Vous le savez, Rémy Pointereau, Bernard Delcros et Frédérique Espagnac m’ont remis un rapport d’information sur l’avenir des zones de revitalisation rurale. Le Gouvernement a indiqué publiquement qu’il prolongera les zonages d’une année supplémentaire – il a d’ailleurs fait voter une disposition en ce sens – et lancera une étude avec le groupe de sénateurs ayant travaillé sur le sujet, afin d’examiner si des évolutions des ZRR sont ou non nécessaires.
Le problème de l’eau, que vous avez abordé, est très important. Dans certains départements, la situation devient très compliquée. Cela concerne non seulement l’alimentation humaine, mais également le volet agricole. Tout le monde sait ce qui s’est passé récemment dans les Deux-Sèvres et le Lot-et-Garonne.
M. Laurent Duplomb. C’est inadmissible !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’eau est un problème absolument vital. L’opposition entre ceux qui font des réserves d’eau, par exemple des bassines ou des retenues collinaires, et ceux qui les condamnent devient terrible. Nous devons avancer sur cette question.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Le thème abordé aujourd’hui est très vaste. Il est cependant crucial pour les projets de nos collectivités locales, qui seront encore plus sollicitées, surtout en temps de crise.
Cet appui va bien au-delà du seul soutien financier : c’est la mise à disposition de tous les moyens, humains, techniques ou juridiques, nécessaires à l’aménagement du territoire.
La semaine dernière, j’ai souligné en commission de la culture le défaut d’ingénierie dont pâtissent nos communes. Ce problème peut résumer l’une des difficultés les plus criantes qu’elles subissent.
Si beaucoup a été fait pour le développement de l’ingénierie publique territoriale au cours de ces dernières années, il faut reconnaître que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.
Ainsi, les petites communes n’ont guère d’administration ni même de cabinet pour appuyer leurs élus. Elles ne peuvent pas bénéficier d’administrateurs territoriaux.
Le seuil démographique constitue un frein à des recrutements nécessaires, comme l’a souligné un rapport d’information publié l’année dernière. Il estimait que 30 000 communes ou intercommunalités ne disposaient pas des moyens suffisants pour organiser leurs propres services d’ingénierie.
Par ailleurs, les plus petites communes doivent être associées aux politiques mises en place, comme on le voit dans le développement des contrats associant l’État aux intercommunalités.
Si de telles associations sont nécessaires, les communes ne doivent pas être noyées. Nous veillerons à ce que tous les maires soient impliqués, afin que ces contrats profitent à tous.
Enfin, force est de reconnaître que les modalités de calcul des mécanismes de dotations, notamment celles s’appliquant à la dotation globale de fonctionnement (DGF), favorisent davantage les territoires urbains que les territoires ruraux. En d’autres termes, les territoires ne disposent pas des mêmes moyens pour réaliser leurs projets.
J’en viens aux mécanismes de péréquation, qui loin d’être optionnels pour un territoire comme le mien, sont au contraire vitaux, en particulier pour les conseils départementaux, qui sont sous perfusion totale et qui connaissent un reste à charge insupportable.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que les communes les moins peuplées, les plus immergées dans la ruralité, celles qui ont le moins de ressources, bénéficient concrètement de ces politiques et disposent des moyens suffisants pour réaliser leurs projets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je partage tout à fait vos préoccupations.
Je le répète : l’offre d’ingénierie de l’ANCT a été au départ constituée pour aider les zones rurales. Localement, cette offre peut être mobilisée par le préfet, qui constate, sur le territoire, l’existence ou l’absence de cette ingénierie dont ont besoin les communes, en particulier les plus petites.
Je ne vous l’ai pas encore indiqué : l’ANCT a créé un marché à bons de commande, afin de répondre aux besoins spécifiques des collectivités territoriales sur des thématiques particulières.
Je répète également – il me semble que cette information n’est pas aussi connue qu’elle devrait l’être – que ce dispositif est gratuit pour les communes de moins de 3 500 habitants, ainsi que pour les intercommunalités de moins de 15 000 habitants.
Cette absence de seuil démographique est un véritable choix de ma part. Certaines communes, qui jouent un rôle centralisateur au sein d’un territoire, qui ont intégré le programme Petites Villes de demain et qui ne comptent pas plus de 2 000, 1 500, voire 1 000 habitants, bénéficient ainsi des services d’un chef de projet, payé par l’État.
Je conclus en évoquant le volontariat territorial en administration (VTA), cher au secrétaire d’État Joël Giraud. Il s’agit d’un programme financé par l’État, là encore, qui permet à 800 jeunes volontaires de participer à des projets municipaux. C’est un apport très important, me semble-t-il, pour les petites communes.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, depuis vingt ans, les gouvernements successifs ne cessent de rogner sur l’autonomie fiscale des collectivités locales.
En la matière, le Gouvernement a battu tous les records avec la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Conséquence de cette réforme, ce sont plus de 30 % de leurs recettes que les élus locaux ne peuvent dorénavant plus moduler !
Alors que s’opérait cette recentralisation fiscale, les transferts de compétences de l’État vers les collectivités se poursuivaient, creusant un fossé toujours plus béant entre les moyens des collectivités et leurs responsabilités.
Tout à sa stratégie d’endiguement de la dépense publique, l’État continue de couper le robinet en direction des collectivités, tout en insistant sur leur rôle essentiel dans tous les domaines : relance économique, gestion de la pandémie, transition écologique, etc.
Reconnaissons tout de même que le Gouvernement innove en matière de contrôle fiscal, en allant jusqu’à contraindre les collectivités dans leur capacité à moduler les taux des impôts locaux.
Cette disposition n’a pas fait grand bruit lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Pourtant, à compter de 2023 et de la fin de la taxe d’habitation sur les résidences principales, les communes ne pourront plus faire évoluer le taux de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires comme elles le souhaitent. En effet, de manière assez peu compréhensible, ce dernier sera lié désormais au taux de la taxe sur le foncier bâti.
Pour de nombreuses communes pourtant, en particulier pour les communes touristiques, cette ressource est essentielle. Elle a le double mérite de cibler les ménages les plus aisés propriétaires de résidences secondaires et de lutter contre la sous-occupation des logements.
Madame la ministre, ma question est simple : pourquoi priver les communes de l’un des rares leviers financiers encore à leur disposition ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la suppression de la taxe d’habitation était un engagement du Président de la République. Il a été tenu.
Vous qui êtes sensible au pouvoir d’achat des Français, vous savez que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales constitue aussi un gain de pouvoir d’achat pour les Français. Je rappelle qu’elle est compensée à l’euro près, donc entièrement.
Vous évoquez le maintien de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, qui représente une ressource pour les collectivités territoriales.
La refonte de la fiscalité locale conserve bien évidemment cette même logique. À compter de 2023, le taux de taxe d’habitation sur les résidences secondaires ne pourra schématiquement augmenter plus ni diminuer moins que celui de la taxe foncière.
Le Gouvernement ne souhaite pas modifier cette règle ancienne, applicable depuis les débuts de la décentralisation. Il n’y a donc pas de nouveauté dans ce domaine.
Votre question aborde cependant un point qui constitue un véritable chantier, celui de la fiscalité applicable aux logements qui ne sont pas occupés toute l’année. En la matière, une réflexion semble nécessaire pour articuler les outils existants : taxe d’habitation sur les résidences secondaires, majoration de la taxe d’habitation, taxe d’habitation sur les logements vacants et taxe sur les logements vacants.
Il y a là, peut-être, une étude intéressante à mener.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, vous m’avez bien expliqué le mécanisme de la suppression de la taxe d’habitation, mais vous ne m’avez pas répondu sur l’autonomie fiscale des collectivités et sur la possibilité qui leur est laissée de décider de leur fiscalité.
Quant au lien qui est établi entre la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et la taxe foncière, on voit bien qu’il vise à protéger les intérêts des multipropriétaires. (Mme la ministre lève les bras au ciel.)
Je trouve cela particulièrement dommage.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, même si vous avez partiellement répondu à nos interrogations, je reviendrai sur la question de l’accès à l’ingénierie.
Dans quelques jours, nous fêterons les deux ans de la création de l’ANCT. Sans remettre en cause vos propos, force est de constater qu’il est encore très difficile pour les maires, en particulier ceux des plus petites communes, de se repérer dans le paysage de l’accès à l’ingénierie.
Comme le disait un élu lors du Congrès des maires le 17 novembre dernier, « pour solliciter de l’ingénierie, il faut de l’ingénierie » !
Ma question est donc la suivante : comment proposer directement aux communes, y compris à celles qui bénéficient de l’aide de l’ANCT, l’ingénierie, notamment financière, nécessaire à la mise en œuvre des différents projets qui émergent de cet accompagnement ? Flécher les collectivités, quelles qu’elles soient, dans les différents appels à projets qui conditionnent un certain nombre de réalisations, n’est pas suffisant.
Enfin, madame la ministre, et n’y voyez pas une offense, vous insistez devant cette assemblée sur la facilité qu’il y a, y compris pour les communes de moins de 3 500 habitants, à saisir gratuitement l’ANCT, mais comment y arriver concrètement ? Ce n’est pas ainsi que le perçoivent les maires de nos départements au quotidien.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, nous faisons tout notre possible pour faire connaître l’ANCT. Son directeur général, ici présent, se déplace beaucoup dans les départements et les préfets organisent régulièrement des réunions d’information.
Devançant les questions qui me seraient posées à ce sujet, j’ai demandé des chiffres avant de venir et suis donc en mesure de vous indiquer que 700 petites communes sont aujourd’hui aidées par l’ANCT.
Si nous proposons bien de l’ingénierie financière, encore faut-il que les communes la sollicitent. Je vous comprends, madame la sénatrice, comme vous le savez, je viens d’un département rural, mais il faut aussi que les maires osent demander de l’aide.
En la matière, l’intercommunalité a aussi son rôle à jouer, me semble-t-il. Les équipes doivent communiquer sur l’offre de l’ANCT à destination des petites communes.
J’ai assisté au dernier congrès national des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). Ces derniers font également de l’ingénierie ; ils dépendent des départements, y jouent un rôle essentiel et sont partenaires de l’ANCT.
J’en profite pour mentionner le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), dont il a été question tout à l’heure et qui est un autre partenaire. Nous proposons de le rendre accessible aux collectivités territoriales, ce que vous savez, puisque cette proposition a été discutée au Sénat.
Merci à vous également, madame la sénatrice, de faire connaître l’ANCT.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Nous avons besoin de travailler ensemble à une meilleure visibilité de l’ANCT.
Aujourd’hui, les maires se retrouvent dans la situation de ces jeunes qui postulent à un premier emploi et à qui l’on demande dix ans d’expérience.
Cette difficulté est réelle. Nous devons donc continuer à avancer.
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (M. Michel Canévet applaudit.)
M. Stéphane Demilly. Madame la ministre, certes, les questions de dotation d’ingénierie, de PLUi ou de téléphonie sont importantes et mes collègues les ont d’ailleurs abordées, mais, quand on parle d’aménagement et de cohésion du territoire, ce qui me vient spontanément à l’esprit – et cela vient aussi à l’esprit de 7,4 millions de nos compatriotes –, c’est la thématique de l’accès aux soins.
En 2021, plus de 11 % de la population française ne dispose toujours pas d’un accès facile et évident aux soins. Ce problème va crescendo, puisque cette proportion n’était que de 7 % en 2012.
Les raisons en sont multiples – de l’incapacité des gouvernements successifs à anticiper la démographie médicale sur le moyen et le long terme à la vague massive de départs à la retraite de médecins généralistes, en passant par l’absence de mesures radicales, de peur de froisser un lobby médical politiquement sensible.
Certes, des mesures ont été prises et des solutions mises en place, mais elles relevaient plus de l’homéopathie que de la médecine d’urgence.
Même l’égalité d’accès aux soins, dont la France pouvait, par le passé, s’enorgueillir, se délite : on compte un médecin pour 400 habitants dans les Alpes-Maritimes et moins d’un médecin pour 1 000 habitants dans l’Eure ou en Seine-et-Marne. Les gens sont-ils plus malades à Nice, Cannes ou Antibes qu’à Évreux ou Melun ?
Du point de vue de l’égalité d’accès aux soins, notre devise républicaine, issue de l’article 2 de la Constitution, est bousculée.
Si l’on ajoute à ce constat statique qu’un tiers des médecins généralistes ont plus de 60 ans, on ne peut qu’appréhender l’avenir.
Et que dire des dentistes, quatre fois plus nombreux, à population égale, dans les Alpes-Maritimes que dans la Somme, des dermatologues, des gynécologues ou – pompon du palmarès – des ophtalmologistes, auprès desquels le délai moyen pour obtenir un rendez-vous approche les quatre-vingts jours, contre plusieurs mois chez moi, dans le département de la Somme ?
Aucune des initiatives qui pourront être prises, qu’elles émanent des collectivités ou de l’État, qu’elles se concentrent sur les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou sur les zones fiscalement attrayantes, ne nous protégera du tsunami qui se profile.
Madame la ministre, sur ce sujet, le temps des rapports, des constats, des concertations et des mesurettes doit laisser place à un plan Marshall.
Ayez de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace, pour sauver la carte sanitaire française et, enfin, entendre les oubliés de la santé ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question et, surtout, de l’avoir posée de cette façon.
Partout où je vais, dans tous les territoires, le problème numéro un est celui de la démographie médicale. Comme vous l’avez expliqué, ce problème s’est lentement mais sûrement installé et nous avons aujourd’hui à faire face à une situation assez difficile.
Je ne détaille pas les décisions déjà prises – d’autres les ont rappelées –, par exemple la suppression du numerus clausus ou l’augmentation de l’offre de formation pour les infirmières, sujet sur lequel nous travaillons avec les régions.
Parallèlement à tous ces aménagements réalisés en lien étroit avec les collectivités territoriales qui ne porteront leurs fruits que dans une dizaine d’années – cinq ans pour les infirmières –, nous devons agir dans l’urgence.
Nous allons prendre encore d’autres mesures, dans le cadre du projet de loi 3DS sur lesquelles je ne reviens pas non plus, puisqu’elles ont été discutées par cette assemblée.
Je pense notamment à l’autorisation que nous comptons accorder aux collectivités territoriales, afin de leur permettre d’ouvrir des emplois de médecins salariés. L’État a lui-même lancé un programme de recrutement de 400 médecins salariés. Faute de postulants – il y a carence pour tout le monde ! –, ils ne sont aujourd’hui que 200 à être en poste.
Par ailleurs, nous augmentons la prime des médecins qui acceptent d’accueillir des stagiaires dans leur cabinet. Ces médecins sont souvent à la veille de la retraite et il s’agit là d’une des méthodes – je dis bien une des méthodes – qui contribuent, pour peu que le stagiaire se plaise, à l’installation de nouveaux médecins sur le territoire.
Nous augmentons également la prime à destination des internes.
Au-delà de ces mesures visant à parer à l’urgence, un département comme la Saône-et-Loire a, par exemple, embauché des médecins salariés pour trois ans, en espérant que, sur la trentaine de médecins recrutés, certains resteront.
Enfin, les coopérations entre l’hôpital et la médecine de ville sont également très importantes.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (M. Joël Bigot applaudit.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, je souhaite ici relayer les inquiétudes que de nombreuses collectivités de notre pays éprouvent quant à leur situation financière, plus particulièrement celles de mon département, le Pas-de-Calais, et plus précisément encore celles de l’ancien bassin minier, qui compte en son sein les communes les plus pauvres de France.
La crise sanitaire perdure et, au vu de l’actualité de ces derniers jours, nous sommes en droit de penser qu’elle ne se terminera pas rapidement. Or les conséquences de cette crise sanitaire sur les finances locales depuis bientôt deux ans sont loin d’être négligeables.
Pour y faire face, les communes, les EPCI, les départements ou les régions ont augmenté considérablement leurs dépenses de fonctionnement, en embauchant du personnel médical, en achetant en plus grande quantité des produits d’hygiène et d’entretien, en investissant dans du matériel de détection – le fameux capteur de CO2 –, de protection – les masques – ou encore de prévention – les purificateurs d’air.
Comme l’établit dans son rapport annuel la direction générale des collectivités territoriales, en 2020, les collectivités locales ont affiché un besoin de financement de plus d’un demi-milliard d’euros, un montant inédit depuis cinq ans.
Ce même rapport met également en exergue les inégalités d’investissement selon les collectivités, avec un recul net du montant investi pour le bloc communal.
Dans un département comme le mien, qui compte 890 communes, vous comprendrez, madame la ministre, que je sois régulièrement interpellé par les élus.
Ces derniers s’inquiètent des hausses annoncées pour 2022 des matériaux et matériels pour le BTP, alors même que ces matériaux ont déjà subi une augmentation de 15 % à 20 % en 2021.
À titre d’exemple, le ciment verra son prix augmenter de 10 %, à partir du 1er janvier prochain. Cette augmentation sera de 20 % pour les produits à base d’aluminium ainsi que pour la laine de roche – et je ne vous parle pas des délais de livraison qui s’allongent.
Toujours au rayon des mauvaises nouvelles, la hausse des coûts de l’énergie sous toutes ses formes est venue se greffer à cette situation, ce qui a des effets considérables sur le budget de fonctionnement de nos collectivités, ainsi que sur leurs capacités d’autofinancement.
Madame la ministre, mes questions seront donc claires et simples. Que compte proposer le Gouvernement pour soutenir les finances locales ? Une hausse de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) est-elle notamment envisagée ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, sans vouloir faire de l’esprit, je vous répondrai que c’est à cela que servent les débats financiers dans les assemblées… Quand ils n’ont pas lieu, c’est regrettable.
La hausse du prix des matières premières est, bien sûr, une réalité que vivent tous les artisans et tous les industriels. Si l’inflation ne devrait pas peser sur les devis qui ont déjà été signés, cela sera sans doute le cas pour les travaux à venir.
Pour en tenir compte, vous appelez à une hausse de la DETR et de la DSIL. Or, pour la DSIL, il me semble que votre demande est satisfaite, puisque le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une augmentation de cette dotation de plus de 300 millions d’euros. Quant à la DETR, elle atteint dorénavant un milliard d’euros, ce qui est considérable. Bien sûr, on peut toujours faire davantage, mais nous sommes évidemment soumis à des contraintes budgétaires et il faut respecter un certain équilibre.
Je note par ailleurs que l’inflation aura des conséquences positives, si vous me permettez de le dire ainsi, sur certaines ressources locales, ce qui permettra aux collectivités de faire face à la hausse des prix.
Par exemple, la valeur locative cadastrale qui sert de base aux impôts fonciers suit l’inflation et devrait augmenter de ce fait de 3,2 % en 2022, ce qui rapporterait mécaniquement plus de un milliard d’euros aux communes et aux intercommunalités.
Autre exemple, la TVA : son produit dépend des prix à la consommation, si bien qu’elle pourrait rapporter 400 millions d’euros supplémentaires en 2022 aux intercommunalités, 815 millions aux départements et 800 millions aux régions.
J’ajoute pour conclure, monsieur le sénateur, que nous avons pris la décision de proroger en 2022 le dispositif de soutien aux régies municipales voté l’an dernier. C’est un autre exemple qui montre que le Gouvernement est bien à l’écoute des collectivités territoriales.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Avant de vous poser ma question, madame la ministre, je reviens sur la réforme de la taxe d’habitation. Je reste persuadé et je persiste à dire que c’était une mauvaise réforme aussi bien pour les collectivités territoriales qu’en termes de justice sociale.
Je vous rappelle en effet que 80 % des ménages les plus modestes ont profité de 57 % des économies réalisées par les contribuables, tandis que les 20 % les plus aisés en bénéficieront à hauteur de 43 %. En moyenne, les premiers auront un gain de 555 euros,…
M. Éric Kerrouche. … alors que les seconds profiteront à terme d’une économie de 1 158 euros.
J’en viens à ma question.
Dans les instructions ministérielles du mois de mai 2020 relatives aux modalités d’organisation de l’ANCT, dans les plaquettes d’information, ainsi que lors du débat de contrôle qui a eu lieu l’an dernier, vous avez mis en valeur l’évaluation et l’impact territorial des actions de l’agence. Ma question s’inscrit dans cette logique.
Vous avez raison, le suivi et l’évaluation de l’ANCT sont des sujets très importants et, dans le cadre du rapport d’information sur l’organisation territoriale de l’État qu’Agnès Canayer et moi-même réalisons pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, 1 500 élus ont répondu à un questionnaire qui portait justement sur ces sujets : parmi eux, 40 % qualifient le niveau d’ingénierie dont ils disposent de « ni bon ni mauvais » ; lors du lancement d’un projet complexe, plus de 50 % font appel au département ou à l’intercommunalité, seuls 12 % font en priorité appel à l’État et 18 % au secteur privé.
Surtout, moins de 50 % des répondants connaissent l’ANCT. Parmi eux, 22 % seulement ont fait appel à ses services.
Vous l’avez dit, madame la ministre, c’est une institution jeune. Quels sont ses atouts et ses faiblesses ? Comment comptez-vous la développer ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous savez très bien que le Gouvernement voulait supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des ménages. C’est à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel qu’il a décidé d’appliquer cette réforme à l’ensemble des contribuables.
En ce qui concerne l’ANCT, j’ai déjà répondu à cette question. Je compte bien évidemment sur le relais des parlementaires – je le dis très honnêtement – pour faire connaître l’agence dans l’ensemble des territoires, en particulier dans les communes rurales, celles qui ont le plus besoin de son appui.
Comme vous le savez, l’organisation de l’ANCT est entièrement déconcentrée : elle repose sur le préfet de département ou sur un sous-préfet, l’un ou l’autre étant secondé par le directeur départemental des territoires (DDT) ou le directeur départemental des territoires et de la mer (DDTM), qui est au cœur des questions d’ingénierie.
J’ai réuni l’ensemble des DDT et DDTM et nous faisons le maximum pour que les élus connaissent l’existence de l’Agence nationale de la cohésion des territoires qui est à leur disposition. Nous préparons des publications que nous adressons aux mairies. Nous avions un stand au Congrès des maires. Je le répète, nous faisons le maximum !
Nous réussirons aussi à faire connaître l’agence par le biais des politiques publiques que nous mettons en place. Ainsi, pour répondre avec retard à Jean-Michel Arnaud, qui mentionnait le plan Avenir montagnes, l’ANCT est chargée de promouvoir ce plan, ce qui devrait permettre de mieux la faire connaître.
Nous devons, tous ensemble, engager tous les efforts possibles pour faire connaître l’agence.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, ma question porte sur les budgets des départements.
Des expérimentations sont en cours pour recentraliser le revenu de solidarité active (RSA). Vous nous donnerez peut-être des informations sur ce processus, madame la ministre, mais force est de constater que cela ne fait pas l’unanimité parmi les présidents de département. Il faut dire que le social constitue la raison d’être des départements : ils n’ont évidemment pas envie de s’en séparer.
Le véritable problème, c’est que les budgets de certains départements sont extrêmement contraints par la dépense sociale, notamment le RSA. Plusieurs départements sont même dans une situation d’asphyxie budgétaire !
Une donnée est très parlante, en particulier dans mon département, l’Aisne, pour appréhender ce problème : c’est le reste à charge par habitant, c’est-à-dire le montant des dépenses sociales à la charge du département moins la compensation de l’État, divisé par le nombre d’habitants. Cette statistique montre des écarts très importants selon les territoires.
Dans ces conditions, plutôt que de recentraliser le RSA, ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu’il faudrait engager une discussion avec les départements pour mieux compenser ceux qui sont contraints, voire complètement asphyxiés, par les dépenses sociales ?
Cette approche pourrait aussi constituer une porte d’entrée pour aborder l’autre sujet que je voulais évoquer avec vous : la péréquation. C’est un problème très difficile, assez technocratique : il s’agit de faire en sorte que le service rendu à la population soit à peu près équivalent sur l’ensemble du territoire.
La péréquation horizontale – les départements riches payent pour ceux qui sont davantage en difficulté – est compliquée à mettre en place. Il est en effet très délicat de mettre tout le monde d’accord, puisqu’elle fait naturellement des perdants et des gagnants…
En tout cas, quel rôle l’État peut-il jouer dans la péréquation entre départements ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la recentralisation du RSA a été proposée par l’Assemblée des départements de France (ADF), même s’il est vrai que tout le monde n’était pas d’accord pour avancer dans ce sens. C’est pourquoi nous avons proposé de le faire sous la forme d’une expérimentation. J’ajoute que le clivage politique initial sur ce sujet est aujourd’hui dépassé.
Un seul département, la Seine-Saint-Denis, s’est engagé dans ce processus. Vous n’avez qu’à contacter les élus de ce département pour constater qu’ils sont très satisfaits de l’accord que nous avons trouvé ensemble. La recentralisation s’accompagne d’engagements en faveur d’une politique plus forte en faveur de l’insertion. Comme l’État reprend le financement du RSA, il prélève une partie des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) du département.
Je connais bien le président du conseil départemental de l’Aisne et la situation de votre département, monsieur le sénateur : elle est difficile, notamment parce que le taux de la taxe foncière y est particulièrement élevé, si bien que le département n’a plus de marges de manœuvre. Je ne sais pas de quand date ce niveau élevé, mais le fait est qu’augmenter encore le taux serait insupportable pour les contribuables.
Nous travaillons avec les élus de ce département sur l’ensemble de ces sujets financiers, ainsi que sur le RSA. Sachez que l’Aisne se pose la question d’une éventuelle recentralisation du RSA, mais je vous dis tout de suite que ce ne sera pas pour 2022. D’autres départements, comme la Somme ou la Corrèze, y réfléchissent également.
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’augmentation des DMTO prévue pour 2022 et estimée à 25 % en moyenne devrait faciliter le financement des budgets départementaux.
Mme le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Avec la crise sanitaire, certains de nos concitoyens ont fait le choix de se confiner hors des grands centres urbains et ont ainsi redécouvert les charmes et la qualité de vie des zones rurales et des villes moyennes.
Dans certains départements comme l’Allier, nous assistons depuis quelques mois à des ventes de biens qui ne trouvaient pas preneurs. Les nouveaux arrivants sont souvent de jeunes couples d’actifs cherchant à s’éloigner des métropoles et à acquérir une résidence au vert.
Ces nouvelles populations sont une chance pour redynamiser la démographie déclinante des territoires ruraux, à condition bien sûr de leur permettre d’y rester par une politique d’attractivité renforcée.
Madame la ministre, les territoires dont nous parlons ont de véritables besoins.
Ces besoins concernent tout d’abord les infrastructures de communication, puisque de multiples chantiers de réseaux ferrés et routiers doivent encore être menés et la couverture en réseau 4G améliorée. Dans ce domaine, la signature du New Deal mobile a contribué à des avancées, mais ce plan n’a pas su répondre à tous les enjeux du développement numérique mobile et des zones blanches persistent.
Ces besoins concernent ensuite le maintien des services publics, alors que ferment des bureaux de poste, des classes et divers guichets. L’implantation des maisons France Services ne résout pas tous les problèmes. Leur fonctionnement laisse un reste à charge important pour les collectivités et les élus craignent une inégale implication des opérateurs sur la durée.
Ces besoins concernent la revitalisation des centres-bourgs, enjeu majeur d’une reconquête vivante. Un an après le lancement du programme Petites Villes de demain, un bilan d’étape doit être mené.
Madame la ministre, vous le savez, les territoires ruraux se battent chaque jour pour attirer de nouvelles populations. Le soutien de l’État doit être plus puissant. Force est de constater que beaucoup reste à faire en la matière.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, sur le New Deal mobile, il est vrai que des zones grises, voire blanches, persistent, mais il faut reconnaître l’effort fourni par les opérateurs. Sur les 5 000 pylônes qui devaient être installés, 2 987 l’ont été et à peu près 1 000 autres le seront l’année prochaine.
En outre, vous savez que les choses ont évolué : auparavant, chaque opérateur installait ses propres pylônes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. C’est un grand progrès.
Je rappelle par ailleurs qu’un total d’environ 30 000 pylônes est déjà installé sur notre territoire. Nous devons poursuivre dans cette voie et l’Arcep est chargée de vérifier l’avancement de ce déploiement. Un rapport publié au mois de septembre 2021 fait le constat que le processus se déroulait comme prévu.
Pour conclure sur ce point, nous devons toujours avoir en tête qu’il existe des contraintes géographiques. Un sénateur citait tout à l’heure l’exemple de Salbris, en Sologne : dans cette région, les ondes passent difficilement et il n’est pas simple de trouver d’autres solutions.
Monsieur le sénateur, vous avez aussi évoqué le programme Petites Villes de demain qui vient de démarrer et qui est très important. Il s’agit d’apporter une aide à environ 1 600 communes qui jouent un rôle de centralité dans les territoires ruraux et de soutenir leurs projets d’aménagement. Une directrice de l’ANCT s’occupe spécifiquement de ce programme auquel je suis très attentive.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, le rôle de nos collectivités dans la gestion des déchets est central. Pour atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, il est aujourd’hui nécessaire d’agir pour réduire les déchets à la source, donc d’assister les collectivités dans la mise en place de dispositifs innovants.
Le Grenelle de l’environnement prévoyait la possibilité d’inclure une part variable incitative dans les taxes ou redevances d’enlèvement.
Cet objectif est loin d’être atteint aujourd’hui, compte tenu des contraintes de mise en œuvre du dispositif dans les zones urbaines denses, où la part importante de logements collectifs rend la mesure individuelle du tonnage des déchets opérationnellement complexe.
Plusieurs collectivités ont imaginé un dispositif de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) incitative à une échelle collective. Ce scénario repose sur l’instauration d’une TEOM incitative basée sur plusieurs flux de déchets ménagers et assimilés, mesurés collectivement par secteurs. Ces secteurs, qui peuvent être des communes, des quartiers ou des îlots, seraient définis par délibération, la collectivité territoriale évaluant notamment l’échelle la plus pertinente.
La philosophie de ce scénario novateur repose sur des dynamiques collectives. Elle constitue un élément moteur des changements de comportement, tend à limiter les potentielles incivilités et contribue à l’objectif de réduction de la quantité de déchets produits.
Madame la ministre, il serait facile d’instaurer ce dispositif, qui fait consensus parmi les associations d’élus, par le biais d’un amendement au projet de loi de finances. Malheureusement, nous n’avons pas pu déposer un tel amendement, faute de discussion en bonne et due forme de ce texte par le Sénat.
Madame la ministre, pouvez-vous vous engager à appuyer cette proposition lors du débat en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, afin de permettre aux collectivités intéressées par ce dispositif de le mettre en œuvre ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je trouve assez amusant que vous me demandiez de présenter un amendement, parce que vous n’êtes pas en mesure de le faire… C’est un peu ubuesque ! (Sourires.)
Je suis évidemment incapable de prendre un engagement à ce stade sur un système que je ne connais pas particulièrement.
En revanche, je connais assez bien le terrain et je sais que les redevances incitatives ne font pas l’unanimité. Il existe un débat entre ceux qui y sont favorables et ceux qui défendent le principe de la taxe.
L’efficacité de la redevance incitative d’enlèvement des ordures ménagères, dispositif qui, je le rappelle, reste un libre choix pour les collectivités, réside dans la responsabilisation de l’usager qui sait que, s’il produit moins de déchets, il paye moins cher.
La loi prévoit que la redevance incitative peut être calculée au niveau d’un bâtiment – immeuble ou maison individuelle –, dans la mesure où il est possible de calculer la quantité de déchets produits à cette échelle.
Élargir le calcul de la redevance à tout un quartier pourrait dénaturer l’objet même du calcul. En effet, la collectivité calculerait une redevance pour tout le quartier et la répartirait à parts égales entre les foyers. Cette méthode pénaliserait évidemment les ménages les plus économes et avantagerait ceux qui rejettent davantage de déchets.
Par ailleurs, cette proposition poserait des difficultés d’application : le maillage serait complexe à appréhender pour les services fiscaux et les dégrèvements qui résulteraient de ce dispositif seraient à la charge des communes ou de leurs groupements.
Pour le dire autrement, une redevance incitative ne peut se concevoir correctement qu’au plus près de l’usager. Par conséquent, monsieur le sénateur, ce que vous proposez mérite d’être un peu plus approfondi.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Madame la ministre, je ne trouve pas cela particulièrement amusant…
La France est aujourd’hui sur un plateau dans la gestion des déchets et il faudra bien trouver des solutions. Or certaines collectivités sont prêtes à s’engager, au moins à titre expérimental. Il s’agit non pas d’appliquer tout de suite un système global à tout le monde, mais de trouver des solutions et de proposer des pistes.
J’ajoute qu’il s’agit ici non pas de redevance, mais de taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. La défense extérieure contre l’incendie est un sujet primordial pour l’aménagement des communes. Alors que, dans certains territoires, les règlements départementaux ont été élaborés avec pragmatisme et bon sens, dans d’autres, comme dans le département de la Seine-Maritime, ils sont devenus une énorme épine dans le pied des élus.
Pour certaines communes, le manque de foncier pour installer des bâches ou des réserves d’eau enterrées rend son application impossible. Pour d’autres, le débit d’eau est insuffisant pour installer des poteaux incendie. Pour toutes, ce sont des dépenses démesurées, absorbant parfois jusqu’à la totalité du budget d’investissement du mandat, pour s’y conformer. Sans parler des bureaux d’études non agréés par l’État qui jouent de cette situation pour faire monter les enchères.
Résultat, des permis de construire ne peuvent être délivrés et des aménagements sont empêchés, renforçant le sentiment d’abandon d’élus de milieux ruraux et l’idée que l’on veut asphyxier les petites communes pour les faire disparaître.
La préfecture de Seine-Maritime, après nos multiples interventions, entend enfin conduire une révision du règlement départemental, mais uniquement à la marge, à ce stade. Par ailleurs, dans leur rapport d’information, Hervé Maurey et Franck Montaugé ont montré que les préfets n’avaient aujourd’hui aucun moyen d’évaluer les coûts de mise en conformité pour les communes.
Madame la ministre, pouvez-vous faire chiffrer ces aménagements, tout comme les équipements nécessaires aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) pour assurer la protection des populations, afin de déterminer ce qui serait le plus pertinent et le moins lourd financièrement ?
Quels accompagnements financiers pouvez-vous envisager pour soutenir les communes ? En Seine-Maritime par exemple, la part de la DETR consacrée à la défense incendie est passée de 1 % à 8 % depuis 2017. Or cette hausse correspond in fine à nombre de projets qui ne sont pas financés par nos communes.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Céline Brulin. Enfin, en matière d’ingénierie, j’ai bien entendu ce que vous disiez sur l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), mais j’estime qu’il y a, là encore, d’énormes marges de progression.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, n’oublions pas que les SDIS sont une compétence décentralisée. On nous accuse parfois de recentraliser, mais, dès que quelque chose ne fonctionne pas, on demande à l’État d’intervenir ! C’est une remarque d’ordre général.
Ce problème a été posé par Hervé Maurey et Franck Montaugé dans un rapport d’information que vous avez mentionné et qui a mis en évidence des difficultés d’application de la réforme de 2015 sur le terrain. Cette politique est désormais calibrée avec une décentralisation plus forte dans chaque département. J’insiste : c’est bien chaque département qui décide.
Je vous confirme que le Gouvernement va se saisir du problème pour essayer de trouver des solutions, sans avoir nullement l’intention de recentraliser cette politique, quoi qu’en pensent certains.
Au mois de juillet dernier, j’ai émis un avis favorable sur un amendement signé par M. Maurey et plusieurs autres sénateurs demandant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement au plus tard le 1er juillet 2022, afin d’évaluer la mise en œuvre des règles départementales relatives à la défense extérieure contre l’incendie, notamment leurs conséquences en matière de finances, d’urbanisme et de développement, pour les collectivités locales en charge de ce service public.
Il convient d’attendre ce rapport pour décider s’il nous faut revoir le décret de 2015, qui a peut-être contribué à créer trop d’inégalités entre les départements.
Mme le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot.
Mme Évelyne Perrot. Madame la ministre, ma question porte sur la relation entre l’aérien et les territoires. Derrière la lutte entre l’« aviation bashing » et l’idée en vogue du voyage de revanche après la pandémie, n’oublions jamais un fait essentiel : la France dispose d’un pouvoir de marché sur la moitié de la flotte aérienne mondiale, ce qui lui permet d’agir positivement pour la planète et pour les territoires.
Des milliers d’emplois et d’entreprises sous-traitantes s’impliquent dans la transition verte de ce secteur haut de gamme. C’est un stimulant pour des formations très qualifiées et l’élévation du niveau scientifique, dont notre pays a tant besoin. Économiquement, c’est tout un écosystème – aéroports, compagnies aériennes, contrôleurs aériens – qui doit travailler dans le même sens.
Trois points particuliers méritent d’être soulevés.
Premièrement, nous fabriquons des avions de plus en plus sobres sans bénéficier de filière pour y incorporer des biokérosènes, dits de deuxième génération, sans ponction sur l’agriculture destinée à l’alimentation. Aussi, nous risquons de prendre du retard par rapport à nos voisins allemands sur les e-kérosène fabriqués en capturant du CO2.
Deuxièmement, 90 aéroports devront investir lourdement pour verdir leurs opérations au sol et préparer l’approvisionnement des avions en nouveaux carburants ou en hydrogène. Il faut combler leurs pertes de recettes dues à la pandémie plutôt que de les inciter à augmenter des prélèvements sur des compagnies aériennes en grande difficulté.
Troisièmement, je m’interroge sur le développement des petits avions électriques. Avant tout, renouvelons la flotte d’environ 6 500 petits avions bruyants et polluants qui servent à la formation des écoles de pilotage. Un soutien limité de l’État permettrait un gain considérable en décibels pour les riverains. Les pertes de taxes sur les nuisances aériennes bloquent les financements de travaux d’insonorisation, alors que le fret aérien se développe avec des vols de nuit. Or nos concitoyens sont de plus en plus sensibles au bruit.
Sur ces trois points, qu’envisage le Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, le Gouvernement a mené une politique particulièrement proactive de soutien au secteur aérien. Ainsi, dans le cadre du plan de relance, 1,57 milliard d’euros de soutien exceptionnel sont consacrés à une feuille de route partenariale État-industriels visant une mise sur le marché d’un avion vert à l’horizon 2035.
Par ailleurs, il faut savoir que les petits avions électriques ne sont aujourd’hui pas produits en France. Nous centrons donc notre soutien sur la recherche et développement, la R&D, pour faire émerger une filière française de petits avions électriques et hybrides.
J’en viens aux conséquences de la crise sanitaire sur l’équilibre économique des aéroports au cours de la période 2020-2022. Le manque à gagner de taxes sur les nuisances sonores aériennes peut être estimé à 80 millions d’euros. Dans un contexte de difficultés financières extrêmement fortes pour les compagnies, il n’est pas prévu de relever les barèmes de cette taxe.
Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice, il est essentiel de permettre la continuité d’une politique publique dont l’objectif est de réduire l’impact des nuisances sonores entraînées par l’activité aérienne sur les populations riveraines. Il se trouve ainsi nécessaire de prendre à brève échéance des mesures visant à faciliter le financement du dispositif d’aide à l’insonorisation aux abords des principaux aérodromes.
À cet égard, une aide de 8 millions d’euros sera proposée en fin de gestion pour l’année 2021 afin de s’assurer d’un niveau de ressources permettant le maintien du dispositif.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, je le répète, les élus locaux sont très inquiets de la reprise épidémique.
Au-delà des enjeux économiques, cette pandémie a révélé les failles de notre société et renforcé encore les fragilités liées aux situations d’isolement social et de précarité.
Aujourd’hui, plus que jamais, nos communes sont à la base de la cohésion sociale et territoriale et elles ont su faire face. L’État se doit toutefois de les accompagnera afin qu’elles disposent de tous les outils leur permettant de renforcer leur action en la matière.
Force est malheureusement de constater que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 qui a été soumis au Sénat, l’ambition n’est pas à la hauteur des enjeux, même si je sais que vous n’êtes pas d’accord avec ce constat.
Je ne prendrai que quelques exemples concernant le logement, sujet qui ne peut laisser insensible l’élue locale que vous avez été pendant vingt-cinq ans.
Sur l’hébergement d’urgence, d’abord, un effort certain a été consenti en 2021 et reconduit pour 2022, mais seulement à échéance du mois de mars, date à laquelle des solutions de remplacement doivent être mises en place. Les acteurs locaux demeurent inquiets quant à l’effectivité de ces solutions et craignent une rupture dans l’accompagnement, réduisant la portée du travail d’insertion réalisé.
Ensuite, les crédits dédiés au logement social sont prolongés, mais la subvention par logement ne progresse pas, alors qu’une augmentation permettrait de développer la production de logements très sociaux.
En outre, la rénovation thermique des logements continue d’être encouragée, mais le reste à charge demeure dissuasif pour certains ménages très précaires.
Par ailleurs, la réforme des aides personnalisées au logement (APL) a été très défavorable aux jeunes ménages et son forfait « charges » n’a pas été rehaussé, alors que les coûts de l’énergie ont flambé.
Enfin, les crédits de la rénovation urbaine, bien que promis, peinent à être engagés.
Ce sont autant de faiblesses qui pénalisent les personnes les plus en difficulté. Il convient d’y ajouter la question sensible de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la réforme de l’assurance chômage ou encore la stigmatisation des allocataires du RSA via une politique utopiste du « tout retour à l’emploi ». Notre société, bien fragilisée par la pandémie, réclame plus que jamais un grand plan de solidarité intégrant aussi la perte de l’autonomie.
De ce point de vue, le bilan du quinquennat n’est pas satisfaisant. Aussi, je souhaite savoir si le Gouvernement entend renforcer nos politiques de solidarité ; à défaut, les fractures de notre pays risquent de se renforcer.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la thématique que vous abordez concerne bien la mission « Cohésion des territoires », mais elle relève du ministère du logement, lequel est indépendant de mon ministère.
J’essaierai toutefois de vous répondre, votre interrogation renvoyant à tous les débats que nous avons connus sur le volet logement du projet de loi 3DS.
En ce qui concerne la rénovation urbaine, les moyens du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) ont, comme vous le soulignez, été sensiblement augmentés lors de ce quinquennat, passant de 5 milliards d’euros à 10 milliards d’euros en 2018, puis à 12 milliards d’euros au mois de janvier 2021, à la suite du comité interministériel des villes.
Les travaux ont démarré à date dans 328 quartiers du NPNRU, contre 210 l’année dernière. Les effets concrets devraient se voir rapidement sur les territoires.
Les moyens dédiés à l’hébergement d’urgence augmentent de 510 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022, ce qui devrait permettre de maintenir le parc d’hébergement généraliste à un niveau de 190 000 places. C’est un niveau inédit pour ce programme. L’hébergement d’urgence a ainsi connu une augmentation de 48 % de son budget entre 2017 et 2022, pour atteindre 2,7 milliards d’euros dans ce dernier projet de loi de finances.
Je confirme que la réforme des APL visait bien à réévaluer en temps réel les droits de chacun en fonction de ses revenus. La réforme est neutre normalement pour la majorité des bénéficiaires et conduit même à une augmentation pour près de 18 % d’entre eux, selon les chiffres du ministère du logement.
Enfin, en matière de logement social, le Gouvernement se fixe un objectif ambitieux de 250 000 nouveaux agréments de logements sociaux pour les années 2021 et 2022.
Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, 843, c’est le nombre de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) qui ont été conclus. Ce dispositif se déploie et soulève un certain nombre d’interrogations sur la portée réelle de cette nouvelle politique contractuelle.
Pour lever ces questionnements, il est nécessaire de mettre en place une évaluation qualitative de cette politique publique pour objectiver ses impacts, donc ses contributions notamment en matière d’aménagement du territoire et de transition écologique.
Madame la ministre, avez-vous prévu une méthodologie partagée d’évaluation de la mise en œuvre de ces contrats ? Avez-vous également pensé à des objectifs à atteindre en fonction des attendus du contrat ?
Les réunions des commissions DETR dans les départements révèlent souvent les ambiguïtés du financement des CRTE. Ne disposant pas de ligne spécifique, le fléchage prioritaire de la DETR et de la DSIL vers les CRTE inquiète fortement les communes qui ne sont pas dans cette contractualisation, le pouvoir discrétionnaire de l’État sur une grande partie des dotations renforçant cette inquiétude.
Les crédits disponibles ne couvriront pas l’ensemble des demandes et les CRTE deviendront une obligation pour les collectivités pour être éligibles à certaines autres dotations. Pouvez-vous clarifier cette situation ?
Prévus pour une durée de six ans, ces contrats restent subordonnés chaque année aux disponibilités inscrites dans la loi de finances et sont cadencés par la mise en œuvre du calendrier des travaux et du dépôt des dossiers. Mesurez-vous cette incertitude en matière de prévisions financières ? Même sans incertitude financière, le financement des CRTE risque de gager les crédits DETR et DSIL sur plusieurs exercices. Partagez-vous cette analyse ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, il est vrai que le sujet n’est pas simple…
Le CRTE est en fait une enveloppe signée à l’échelle d’une ou plusieurs intercommunalités – les territoires choisissent –, qui a pour but de rendre plus lisibles les rapports entre l’État et les collectivités territoriales, ainsi que de répondre aux projets de territoire en finançant aussi bien des projets communaux que des projets intercommunaux.
Ce dispositif a aussi été créé pour que les intercommunalités aient accès aux contrats de relance dans les deux premières années.
Les CRTE sont signés pour six ans afin de les faire correspondre aux mandats communal et intercommunal.
Il est important de rappeler que des programmes déjà existants, comme Petites Villes de demain, Action cœur de ville ou France Services, sont déjà compris dans nos politiques publiques. Pour autant, il convient de développer une approche intercommunale pour ceux qui vivent sur un même territoire.
Cette absence de ligne dédiée ne freine pas le déploiement des financements de l’État. On compte à date 360 CRTE et 530 protocoles de préfiguration signés. Jusqu’à preuve du contraire, je le répète, il n’y a pas de frein au financement des projets qui sont dans les CRTE.
Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les financements de mon ministère ne sont pas les seuls accessibles par les CRTE. Ceux d’autres ministères peuvent intervenir.
Mme le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, vous mesurez bien les inquiétudes. Pour ma part, je parle des autres projets, ceux qui ne sont pas dans les CRTE. Comment seront-ils financés si les enveloppes sont fléchées sur ces contrats ?
M. Hervé Gillé. Nous aurions pu faire du CRTE différencié, en fonction des régions et des départements, pour coller au plus près des politiques contractuelles de ces collectivités.
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)
Mme le président. La séance est reprise.
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Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ?
Débat thématique
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? »
Dans le débat, la parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. « Le rapport du GIEC est sans appel. À nouveau. Le temps de l’indignation est derrière nous. La France restera du côté de ceux qui agissent. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà ce que l’on pouvait lire au mois d’août 2021 sur le compte Twitter du Président de la République.
Ce volontarisme apparent – One Planet Summit, conseil de défense écologique, Convention citoyenne pour le climat – se heurte, dans les faits, aux conclusions sévères rendues, en France, sur l’action trop timorée de l’exécutif en matière environnementale. Je n’en prendrai que deux exemples.
En premier lieu, dans un jugement récent sur ce qui a été nommé « l’affaire du siècle », le tribunal administratif de Paris a reconnu la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et jugé illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État a également été reconnu responsable de « préjudice écologique ».
En second lieu, selon une étude publiée au mois d’octobre dernier par le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises, dit Rexecode, quand bien même tous les crédits du plan de relance seraient affectés à des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puis reconduits tout au long de la présente décennie, le niveau d’émissions d’équivalent CO2 atteindrait encore 321 millions de tonnes en 2030, au-dessus de l’objectif inscrit dans la stratégie nationale bas-carbone ; ce chiffre prend également en compte la réduction qui devrait découler de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience ». Les paroles ne résistent pas aux faits !
Pour autant, l’État a tous les outils entre les mains. En effet, la réglementation est là pour contraindre, quand la politique économique peut, pour sa part, inciter.
La réglementation agit de manière uniforme, les yeux fermés, si j’ose dire : ce qui est interdit l’est pour tout le monde ! À l’inverse, les instruments économiques peuvent encourager les citoyens et les entreprises à adopter des comportements vertueux : je pense aux taxes pigouviennes, au marché des droits à polluer ou encore aux subventions à l’innovation.
Ces dernières années, on a d’ailleurs observé un certain rééquilibrage en faveur des instruments économiques, qui prennent le pas sur la réglementation et les normes. L’énergie constitue aujourd’hui le principal poste de fiscalité verte.
Cependant, dès que l’on parle d’énergie, une question surgit : quelle est l’acceptabilité sociale de ces mesures ?
Comme on l’a bien vu avec le mouvement des « bonnets rouges » contre l’écotaxe ou celui des « gilets jaunes » contre la taxe carbone, les oppositions sont toujours très fortes quand il est question de dispositifs de politique économique, bien plus que quand on parle de réglementation. Qui parmi nous a entendu parler de manifestations contre les dispositions de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ?
Selon une enquête du Crédoc, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, publiée cette année, moins d’un quart des Français sont prêts à payer plus de taxes sur les carburants, le gaz ou le fioul afin de lutter contre le réchauffement climatique. Les Français attendent surtout de la transparence et de la lisibilité dans l’utilisation des recettes fiscales. Cette enquête montre d’ailleurs que le consentement à la taxe carbone varie selon l’utilisation des recettes fiscales.
Ce sujet n’est pas nouveau, madame la secrétaire d’État. Si vous en aviez tenu compte au moment où le Gouvernement s’est engagé dans cette trajectoire d’augmentation de la taxe carbone, peut-être n’aurions-nous pas vu le mouvement des « gilets jaunes » et la régression qui s’est ensuivie.
En 2017, les économistes Jean-Charles Hourcade et Emmanuel Combet ont publié un ouvrage intitulé Fiscalité carbone et finance climat : un contrat social pour notre temps, où ils affirmaient que le revenu généré par la taxe carbone doit permettre de baisser des prélèvements fiscaux qui grèvent les coûts de production – en France, les charges sociales –, de manière à assurer une redistribution.
Cette idée circule depuis longtemps. Dès 2009, le rapport de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution Climat et Énergie, présidées par Michel Rocard, arrivait à la même conclusion et allait même beaucoup plus loin : l’utilisation d’une fiscalité sur le carbone devait aller de pair avec une renégociation d’ensemble des prélèvements obligatoires avec tous les partenaires sociaux, de manière à garantir une redistribution du produit de la taxe levée vers l’ensemble des citoyens.
Cette question a déjà été évoquée par Bruno Le Maire, selon qui la fiscalité verte est un véritable enjeu. D’après lui, il convient notamment d’ouvrir le sujet de la fiscalité affectée.
Cela étant dit, si les recettes de la taxe carbone ne viennent pas financer la transition écologique, il faudra en trouver d’autres.
C’est cet autre point que je souhaite aborder. Aujourd’hui, il faut se donner les moyens de financer la transition écologique en réorientant une partie de l’épargne privée vers de tels dispositifs. L’État a un rôle à jouer en la matière, notamment en apportant des garanties publiques qui réduiraient la prime de risque pour les investisseurs particuliers, en particulier les citoyens.
L’État a également un rôle à jouer en matière de politique internationale. On ne peut pas légiférer tout seul dans son coin dès lors qu’il est question d’écologie.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Christine Lavarde. En effet, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que l’on risque sinon des fuites de capitaux et des délocalisations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Ronan Dantec. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous est proposé cet après-midi est particulièrement vaste.
Quelle politique environnementale pour la France ? La question est bonne, mais parle-t-on ici de notre stratégie internationale ou de nos politiques publiques dans l’Hexagone ? La réponse n’est pas tout à fait dans la question…
Néanmoins – nous pouvons au moins insister sur ce point en introduction –, les deux échelles sont totalement liées. Ainsi, notre capacité à tenir, chez nous, nos grands objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou à classer 30 % de nos territoires en réserve de biodiversité, autre engagement international que vous défendez, madame la secrétaire d’État, est une condition absolument nécessaire à la conclusion d’accords internationaux ambitieux.
Pour le dire encore plus simplement, après l’échec de la COP26 de Glasgow dans son objectif de crédibiliser un scénario de stabilisation du climat autour d’une augmentation de 1,5 degré Celsius des températures, la question de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, afin d’inciter la Chine à accélérer sa décarbonation, est sur la table.
En effet, la Chine a annoncé qu’il n’y aurait pas de stabilisation de ses émissions avant 2030, ce qui rend inaccessible l’objectif de limiter à 1,5 degré Celsius la hausse des températures. Ce bras de fer n’est toutefois possible que si nous tenons nous-mêmes l’objectif européen, défendu à Glasgow, d’une baisse de 55 % de nos émissions d’ici à 2030, ce qui représente un effort considérable, notamment en matière de sobriété énergétique, comme nous l’a rappelé l’étude Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat, publiée ce matin par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), dite aujourd’hui Agence de la transition écologique.
La question posée cet après-midi est donc finalement assez simple : il s’agit de savoir si nos politiques publiques sont à la hauteur des constats scientifiques.
La récente loi Climat et résilience, qui doit mener à une baisse de 30 % à 35 % de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, est donc bien loin de l’objectif européen présenté à Glasgow. Cela dit notre difficulté collective à agir à la hauteur de ces enjeux, les intérêts immédiats ou de court terme prenant régulièrement le pas sur l’intérêt général de long terme, y compris sur nos travées ! Le projet de loi de finances pour 2022 que nous venons de rejeter, ce qui permet la tenue de ce débat, en est un autre exemple.
Toute l’attention est maintenant portée sur la future stratégie française sur l’énergie et le climat, dont le Gouvernement vient de lancer l’élaboration. Elle sera la feuille de route nationale pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et pour assurer l’adaptation effective de la France au réchauffement climatique.
Son socle sera une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) ; elle sera ensuite déclinée dans différents décrets, par la stratégie nationale bas-carbone, par la programmation pluriannuelle de l’énergie et par le troisième plan national d’adaptation au changement climatique – nouveauté intéressante, qui n’est pas expressément prévue dans la loi Climat et résilience.
Nous avons donc maintenant deux ans pour tout remettre à plat. On ne peut rater ce rendez-vous !
Le débat qui s’engage sera donc central. Il ne se limitera pas – c’était ma crainte ! – à une confrontation entre partisans et opposants du nucléaire, mais devra affronter tous les sujets difficiles, notamment les enjeux financiers. À ce propos, j’ai bien noté, dans l’intervention de Christine Lavarde, le soutien de la droite à l’augmentation de la taxe carbone, qui sera un élément absolument essentiel de ce débat.
D’ores et déjà, nous ne pouvons que regretter le manque d’adéquation entre les budgets alloués aux agences et opérateurs de l’État, d’une part, et leurs missions d’accompagnement à la transition écologique, d’autre part ; ce signal avant-coureur est malheureux. Je veux mentionner ici les pertes d’emplois subies par l’Ademe, par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ou encore par Météo-France, mais la liste est longue !
Nous sommes très inquiets de voir encore et toujours les effectifs de ces acteurs se réduire d’année en année. Je le redis, nous devons impérativement engager des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux, notamment en matière d’animation. En effet, on ne rappelle peut-être pas assez souvent que la transition écologique nécessite que des acteurs très divers se parlent et élaborent des stratégies communes, ce qui impose d’organiser leur rencontre et leurs discussions. C’est notamment le cas à l’échelle des collectivités territoriales, où se joue une grande partie de cette transition.
Vous savez bien, madame la secrétaire d’État – tout le Gouvernement le sait, en particulier à Bercy – : depuis de nombreuses années, le Sénat propose de flécher une partie des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) à destination des collectivités ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), de manière à créer ce que nous appelons une « dotation climat des collectivités ». Ces votes presque unanimes de notre assemblée n’ont jamais été suivis d’effet du côté du Gouvernement, nous le regrettons.
Redisons-le : sans moyens, ces plans et schémas ne pourront être mis en œuvre ; ils risquent de rester en grande partie à l’état d’intention, alors que c’est à l’échelle de ces territoires, par les décisions prises par les élus locaux, que l’action est essentielle pour préserver la biodiversité et réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre, tant celles-ci sont liées à notre vie quotidienne. Ce sont bien nos manières de nous loger, de nous déplacer et de nous nourrir qui ont un impact environnemental.
Je suis absolument convaincu que nos concitoyens sont prêts à modifier leurs comportements, mais seulement s’ils ont le sentiment que leur effort s’inscrit dans un cadre cohérent, du local à l’international. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons beaucoup parlé d’écologie au cours de cette année ! Le point d’orgue aura été la COP26 de Glasgow, dont tout le monde s’accorde à reconnaître que les résultats ne sont pas à la hauteur ; ils sont même décevants.
La France peut-elle jouer un rôle pour relever le défi qui est devant nous ? Sans hésitation, je réponds : oui ! La France peut jouer un rôle original et déterminant pour hisser les sociétés humaines et l’Europe elle-même au niveau des choix politiques qu’il faut opérer pour se mettre à la hauteur des enjeux.
Pour réussir ce mouvement, la France devrait avoir trois ambitions politiques majeures : d’abord, faire de l’écologie une grande question populaire, ensuite, s’orienter résolument vers une grande ambition publique de définition d’un vaste programme d’investissements nécessaires, enfin, repenser en profondeur sa manière d’aborder la question de la dette publique et du pacte de stabilité européen.
Premièrement, pour que l’écologie devienne une grande question populaire, il ne faudrait manquer aucune occasion pour orienter nos politiques vers des mesures plus justes socialement et plus avantageuses, d’un point de vue pécuniaire, pour les catégories populaires.
Ainsi, si les décisions politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre étaient accompagnées d’avantages financiers ou fiscaux pour les personnes faisant le choix de changer leurs pratiques en matière de mobilités, l’écologie serait vécue par nos concitoyens comme un avantage qui leur serait profondément profitable.
Deuxièmement, nous avons besoin en France d’une grande ambition publique et d’une politique d’investissement.
Je ne rappellerai pas ici de manière trop exhaustive ce que nous nous sommes dit au cours de récents débats, mais il n’en reste pas moins que, en cinq ans, les agences de l’eau ont perdu 220 postes ; Météo-France en a perdu 439 et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) en a perdu 48. Selon un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) du mois de juin 2021, le pronostic vital du Cerema lui-même est engagé.
Il faut limiter les effets négatifs de cette politique et mettre le cap sur de nouvelles ambitions en matière d’investissement. Les chiffres annoncés pour le plan de relance dans le projet de loi de finances pour 2022 restent assez minimes en la matière et pour la transition écologique en général : 300 millions d’euros sont alloués, dans le cadre du plan de relance, à la rénovation des lignes de desserte fine du territoire. De l’aveu même du maître d’ouvrage, SNCF Réseau, ce n’est pas à la hauteur.
Enfin, il convient de saisir toute la portée de la décision de la Commission européenne de suspendre le pacte de stabilité et de croissance jusqu’à la fin de l’année 2022. Cette décision ouvre à la France, qui assumera la présidence du Conseil de l’Union européenne le 1er janvier 2022, l’occasion de défendre une réforme d’ampleur du cadre commun de politique économique et budgétaire. On pourrait, par exemple, exclure du calcul du déficit public les dépenses d’investissement dans la transition écologique, c’est-à-dire celles qui concourent à la baisse de la consommation énergétique et de nos émissions de CO2.
D’ailleurs, nombreux sont ceux qui s’emparent de ce débat aujourd’hui. Nous avons pu noter quelques nuances, y compris au sein du Gouvernement, dont il convient de prendre acte, mais nous pourrions prendre en considération cette situation assez hétérogène à l’échelle européenne et dégager des marges de manœuvre pour la conduite de politiques d’investissement audacieuses.
Saisissons cette occasion. Alors, nous ne serons pas déçus ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Annie Le Houerou et Marie-Pierre Monier applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dernières années ont assurément été synonymes de prise de conscience de l’enjeu environnemental et, tout particulièrement, de l’urgence climatique, mais les années à venir doivent être celles de l’action.
À cet égard, nous ne pouvons pas dire que rien n’a été fait. En effet, qu’il s’agisse de la loi d’orientation des mobilités (LOM), de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, de la loi relative à l’énergie et au climat ou, plus récemment, de la loi Climat et résilience, la France a montré qu’elle entendait se donner les moyens de parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2050.
En outre, si elle a contribué à une réduction de nos émissions, certes artificiellement, la crise sanitaire a surtout accéléré la prise de conscience de la nécessité d’une société plus résiliente. Elle a ainsi inspiré, à sa sortie, un plan de relance résolument tourné vers la transition écologique, avec 30 milliards d’euros fléchés vers les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
Traduction législative des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, la loi Climat et résilience visait un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que l’ambition européenne était, dans le même temps, rehaussée à 55 %.
Nous avions d’emblée émis des réserves quant à la portée effective de ce texte sur la réduction de nos émissions. Sans même tenir compte de l’objectif révisé, le projet de loi présenté au Parlement ne permettait de parcourir qu’entre la moitié et les deux tiers du chemin restant à parcourir entre les émissions constatées en 2019 et la cible pour 2030.
Par ailleurs, on pouvait lire entre les lignes de l’étude commandée par le Gouvernement au Boston Consulting Group que les lois adoptées depuis le début du quinquennat ne suffiraient pas non plus à combler cet écart.
Enfin, de nombreuses questions essentielles n’ont pas été abordées dans la loi Climat et résilience, que ce soit la fiscalité environnementale ou notre mix énergétique.
D’ailleurs, dans le projet de loi de finances pour 2022 qu’il nous était proposé d’examiner, on trouvait un nouveau budget vert visant à améliorer la lisibilité environnementale du budget de l’État. Si nous ne pouvons que nous satisfaire de sa pérennisation, nous appelons également à une accentuation de sa portée et à une amélioration de la méthodologie de son élaboration : 92 % des dépenses sont considérées comme neutres, faute de critères pour en mesurer la portée environnementale.
Dès lors, comment atteindre cette ambition rehaussée et compléter les mesures déjà adoptées ?
Premièrement, il convient de soutenir la logique additive consistant à renforcer la capacité de production d’électricité bas-carbone, en associant énergies renouvelables et énergie nucléaire. Comme Réseau de transport d’électricité (RTE) le souligne pertinemment dans son récent rapport, cette logique est celle qui présente le meilleur bilan climatique de court et de moyen terme. C’est donc celle qui est la mieux à même de nous permettre d’atteindre nos objectifs climatiques pour 2030.
Dès lors, nous devons rattraper notre retard en matière de développement des énergies renouvelables, en particulier des énergies marines renouvelables.
Deuxièmement, nous devons rehausser notre ambition en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Le secteur du bâtiment, je le rappelle, émet 75 millions de tonnes de CO2, soit 25 % des émissions françaises. Il nous faut améliorer la performance du bâti et des solutions de chauffage. C’est là un enjeu de taille pour réduire la facture énergétique des Français.
Troisièmement, la question de la tarification du carbone doit être abordée en gardant à l’esprit l’impératif de justice sociale, la nécessaire augmentation du prix du CO2 ne pouvant se faire au détriment des plus vulnérables. L’exemple de l’Allemagne, qui propose une redistribution des recettes de la taxe via la baisse du prix de l’électricité ou la mise en place d’un forfait énergie, est éclairant. À l’échelon européen, l’heure est évidemment à l’élaboration d’un robuste mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui protégera notre industrie de l’inévitable augmentation du prix européen du carbone.
Nous comptons sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour avancer sur ce dossier et convaincre ceux de nos voisins qui pourraient être les plus récalcitrants.
En somme, il convient d’accentuer nos efforts, à l’échelon tant national qu’européen. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le rappelle très justement dans son Étude économique de la France parue le 18 novembre dernier. Elle y dénonce un creusement de l’écart entre nos objectifs climatiques et nos résultats, alors que notre pays devra, en application du Green Deal, réduire de 47,5 % ses émissions d’ici à 2030 pour respecter ses engagements européens. Elle considère que la France, condamnée pour ses progrès insuffisants en matière de lutte contre la pollution de l’air et de protection de la biodiversité, doit mettre en œuvre une stratégie globale afin d’accélérer la transition de manière équitable et efficace.
Des propositions sont formulées, proches de celles de la Cour des comptes, comme la suppression de certaines niches fiscales, l’amélioration des mécanismes de soutien au profit des ménages les plus vulnérables, une concentration sur les secteurs les plus énergivores, tels le transport, grâce à la prime à la conversion, ou le logement, où les rénovations doivent être plus efficaces. Enfin, de nouveaux instruments pourraient être mis en œuvre, notamment dans le secteur de l’agriculture : je pense aux paiements pour services agroenvironnementaux.
La réduction de l’écart entre nos actions et nos objectifs est d’une importance capitale, au-delà des frontières françaises et européennes. Il y va de la survie du cadre international des négociations climatiques, en particulier de l’accord de Paris.
À l’issue des négociations de Glasgow, le monde se dirige vers un réchauffement de 2,3 degrés Celsius à la fin du siècle, soit un niveau bien trop élevé au regard des récentes conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC, mais en nette amélioration par rapport à la trajectoire antérieure à 2015.
Toutefois, le succès de cette trajectoire dépendra du respect par les États de leur propre feuille de route. Si la France, l’un des principaux contributeurs de l’accord de Paris, et l’Union européenne ne tiennent pas leurs engagements, quel État le fera ? Lequel prendra le risque de relever sa feuille de route pour combler l’écart avec l’objectif de 1,5 degré Celsius, auquel nous devons nous accrocher ? Aucun !
La France a donc un rôle historique à jouer pour protéger l’accord de Paris, seul rempart contre la catastrophe climatique qui s’annonce. C’est un honneur pour notre pays, indissociable toutefois de la responsabilité qui nous incombe.
Mes chers collègues, nous devons donc agir en responsabilité et accélérer la transition. J’en suis certain, cette grande mutation, source d’opportunités, de redistribution et de souveraineté accrue, renforcera notre pacte politique, économique et social ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Belin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. « Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? » : voilà, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une vaste question à laquelle il est bien difficile de répondre en cinq minutes !
Puisque nous n’avons pas été en mesure de débattre du projet de loi de finances pour 2022, notamment de son volet environnemental, le groupe du RDSE se réjouit de l’organisation de ce débat. Même si les questions environnementales sont les seules ayant des conséquences majeures sur tous les aspects de notre vie quotidienne, elles ne figurent pas, pour l’heure, au centre des débats de l’élection présidentielle. C’est à se demander si tous les candidats ont pris la mesure de la situation ! Permettez-moi donc de rappeler certains faits.
L’accord de Paris a fixé en 2015 l’objectif de contenir à 1,5 degré Celsius la hausse mondiale des températures d’ici à 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Or, d’après les évaluations des Nations unies, la somme des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre des États nous conduit vers une trajectoire de 2,7 degrés d’ici à la fin du siècle et de 2 degrés dès 2050, soit un dépassement des seuils de tolérance critiques pour l’agriculture et la santé publique. Une telle hausse entraînera de grandes pénuries d’eau, la disparition totale des coraux, un effondrement des rendements agricoles et la fonte de très nombreux glaciers.
Le respect des engagements pris en 2015, confortés récemment lors de la COP26, nécessite un bouleversement de nos modes de production et de consommation, que l’on peine à entrevoir pour l’instant. Même la crise du covid, qui a mis à l’arrêt la plupart des pays du monde pendant des mois, n’a permis une réduction que de 5,4 % des émissions de gaz à effet de serre. La seule solution est donc d’agir immédiatement et drastiquement.
À l’échelle de la France, cela signifie mettre l’économie en ordre de marche. On ne peut se satisfaire du greenwashing adopté par la plupart des grandes entreprises. On ne peut se contenter de la plantation d’arbres en guise de compensation carbone. Nous devons mettre au cœur de nos politiques et de notre économie la sobriété et l’innovation et prévoir à cet effet des investissements massifs.
On sait que les grandes innovations, notamment leur diffusion à grande échelle, ne sont pas attendues avant 2050. Il sera alors trop tard pour inverser la tendance.
Je dirai maintenant quelques mots, s’agissant des investissements massifs, sur le projet de loi de finances pour 2022. Pour la deuxième année, le Gouvernement a présenté un rapport sur les effets environnementaux du budget de l’État. Si les dépenses en faveur de l’environnement sont en hausse, 10,8 milliards d’euros du projet de loi de finances initial ont des effets défavorables sur l’environnement et 92 % des dépenses générales demeurent neutres. Or, pour que nos engagements soient tenus, il faudrait que l’immense majorité de nos dépenses soient écologiquement vertueuses. Il faudrait que le secteur public, dans toutes ses composantes, se mette en ordre de bataille.
Or la mission « Écologie, développement et mobilité durables » prévoit plus de 5 000 équivalents temps plein en moins sur la durée du quinquennat chez les opérateurs rattachés. Je pense notamment à Météo-France, qui perd encore 60 ETP en 2022, ou au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui perd 40 ETP supplémentaires et plus de 3 millions d’euros de crédits, alors qu’il joue un rôle essentiel en matière de transition écologique auprès des territoires.
De même, en matière de prévention des risques, les autorisations d’engagement sont en baisse, alors que le changement climatique et le vieillissement des installations nécessiteraient un effort accru de la part de l’État. Il en est de même s’agissant du développement des énergies renouvelables : à la fin de l’année 2020, la France accusait un retard de 4 points par rapport à l’objectif européen de produire 23 % d’énergie à partir de sources renouvelables.
J’en viens là à un point essentiel à mon sens : fixer des objectifs à long terme, sans échéance à court terme et, surtout, sans sanction n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le GIEC a réaffirmé, dans son dernier rapport, le caractère indispensable d’une réduction immédiate, rapide et à grande échelle des émissions de gaz à effet de serre. Je parlais plus tôt de sobriété environnementale. Cette notion doit être prise en compte dans toutes nos prises de décision. Elle doit aussi être promue comme une valeur fondamentale à l’échelle internationale.
Les conclusions de la COP26 à Glasgow, de même que l’accord entre la Chine et les États-Unis annoncé lors de cette conférence, ravivent l’espoir d’une action diplomatique à la mesure du défi climatique. Les États-Unis sont responsables de 25 % des émissions de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère industrielle. La Chine est responsable de 26 % des émissions mondiales de CO2 actuellement. Ce pays demeure très dépendant du charbon. Ainsi, alors que les activités économiques ont été durement touchées par le covid, les émissions de gaz à effet de serre de la Chine ont augmenté de 1,6 % en 2020 et connaîtront probablement une hausse de 5 % en 2021 !
Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que les changements de modes de consommation et l’expansion des classes moyennes et aisées ont pour conséquence une croissance exponentielle de l’empreinte carbone et des émissions des ménages.
Dans ce contexte, la France doit jouer le rôle de porte-étendard de la cause climatique. Il est normal de demander des efforts aux Français. L’enjeu est global et chacun doit y prendre sa part. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a écrit Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » La maison brûle et nous restons sidérés.
Il n’a jamais été aussi urgent d’agir en faveur de l’environnement. Malheureusement, le compte n’y est pas, comme on l’a vu en 2021 : nous avons certes voté une loi Climat et résilience, mais elle reste insuffisante. Elle eût été appropriée il y a vingt ans.
De plus, assigné en justice par « l’affaire du siècle », l’État, qui n’a pas tenu ses propres engagements, a été condamné par deux fois, notamment à réparer le préjudice écologique d’ici à décembre 2022.
Lors de la COP26, notre pays n’a pas été ambitieux.
Nous le savons tous, nous ne sommes pas parvenus jusqu’à présent à enrayer la baisse drastique de la biodiversité. À cet égard, j’évoquerai l’exemple de l’albatros.
Magnifique oiseau volant sur les océans, déployant une énergie herculéenne pour nourrir son oisillon – un seul chaque année –, il parcourt des centaines de kilomètres de l’atoll de Midway, où il niche, jusqu’aux régions subarctiques très poissonneuses, où il pêche sa nourriture.
Or l’épaisseur de la coquille de son œuf a diminué de 34 % depuis les années 1950, ce qui entraîne des morts prématurées. Sont en cause le dichlorodiphényltrichloroéthane, ou DDT, cet insecticide interdit dans les années 1970, et les polychlorobiphényles, ou PCB, interdits en 1987 : tous deux sont des polluants organiques persistants qui ne se détériorent pas et s’accumulent dans les organismes.
Par ailleurs et c’est un autre souci, l’oisillon ayant l’estomac rempli de plastique, ses chances de survie à long terme sont plus réduites. Ce fabuleux oiseau pélagique, qui a survécu à la cinquième extinction, est maintenant menacé par deux fléaux : une pollution chimique persistante et la pollution due aux plastiques.
Pour réparer le monde, posons les bons diagnostics. Certaines solutions s’imposent d’elles-mêmes : il faut réduire drastiquement l’usage des plastiques et diminuer, voire interdire l’emploi des polluants organiques persistants.
Nous avons fait si peu… Nous avons même fait tout le contraire de ce qu’il aurait fallu faire. Ainsi notre consommation de vêtements, dont la majorité contient des microfibres plastiques, a-t-elle bondi de 40 % en quinze ans.
Dans mon département, le Lot, qui compte 200 000 moutons, non seulement le coût de la tonte est plus élevé que le produit de la vente de la laine, mais cette dernière n’est pas utilisée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une fibre textile. Elle est pourtant naturelle, chaude, douce, isolante, légère, bactéricide, biodégradable, donc noble.
À la vérité, est-il encore tenable de faire venir par container, en provenance d’Asie ou d’ailleurs, des vêtements qui rejetteront en permanence des microfibres plastiques dans l’environnement ? Celles-ci sont déjà présentes partout sur terre, aussi bien dans les eaux de l’Arctique que dans les glaces de l’Everest ou dans l’air au Pic du Midi. Elles sont délétères pour nos écosystèmes et pour notre santé.
Nous devons produire et consommer localement, ce qui implique une réindustrialisation de notre pays et un changement de nos habitudes de consommation. En favorisant le réemploi, la réparabilité des objets, nous préserverons les ressources. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sur nos modes de vie et de consommation, sur notre rapport au vivant et au monde.
Tant qu’un yaourt parcourra 5 000 kilomètres avant de parvenir dans notre assiette, nous étoufferons sous des canicules. Tant que nous utiliserons sans retenue les glyphosates et autres néonicotinoïdes, les abeilles et les vers de terre disparaîtront, menaçant in fine notre survie même. Tant que la logique de « ma voiture est plus grosse que la tienne » prévaudra, le niveau des océans s’élèvera, les îles Maldives lutteront contre la submersion et seront menacées de disparition.
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est absolument nécessaire de recourir au fret ferroviaire. On eût aimé le Gouvernement plus volontariste sur le sujet, madame la secrétaire d’État.
Prendre en compte l’enjeu environnemental, c’est aussi anticiper et s’adapter. C’est notamment réparer rapidement les dégâts provoqués par les catastrophes naturelles, à l’instar de celle qui est survenue dans la vallée de la Roya l’année dernière. Dans cette vallée dévastée par une crue inédite, les citoyens se sont heurtés à des freins administratifs et réglementaires inadaptés face à une situation d’urgence. Une telle situation devrait être prise dans sa globalité et être encadrée par une loi permettant une reconstruction résiliente et rapide afin de ne pas ajouter des difficultés au traumatisme.
Les mesures que nous devons prendre ne peuvent plus être anecdotiques. Elles doivent être à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face.
Bien sûr, la contrainte n’est pas la seule méthode à retenir, mais, face au désastre en cours, elle doit avoir toute sa place et être pleinement assumée par les pouvoirs publics.
Les citoyens informés sont aujourd’hui prêts à adhérer à des mesures courageuses. Il est temps de leur tenir un discours de vérité. Ceux qui subiront les grands dommages liés à notre inaction sont déjà nés. Nous leur devons de rebâtir un horizon commun de civilisation.
Pour mieux armer nos enfants, réintroduisons l’éducation manuelle au collège. Apprendre à faire de ses mains est une activité créatrice, enrichissante, épanouissante et résiliente.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Angèle Préville. Cela leur permettra de porter un autre regard sur la consommation. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1970, à Chicago, Georges Pompidou, alors Président de la République, définissait la nature « comme un cadre précieux et fragile qu’il importe de protéger pour que la Terre demeure habitable à l’homme ».
Au mois de janvier de l’année suivante, il annonçait la création d’un ministère dédié à la protection de la nature. Cinquante ans plus tard, malgré les alertes répétées et un ministère beaucoup plus puissant, notre pays doit poursuivre son action face à l’urgence climatique. Georges Pompidou exhortait la société à « dénombrer les difficultés et à chercher les solutions ».
Le constat sur l’enjeu environnemental est largement partagé par les scientifiques et les citoyens. La mondialisation et l’évolution de nos sociétés ont contribué à une dégradation sévère de notre environnement. Il est urgent d’agir.
Certaines zones de notre planète sont déjà tellement touchées que les habitants n’ont d’autre choix que de les quitter. Les vagues migratoires qui en résultent, qui sont une réalité, jouent sur les équilibres mondiaux et risquent de s’amplifier dangereusement en raison des enjeux climatiques et alimentaires.
En France, des épisodes violents assèchent, détruisent, noient et font souffrir nos territoires. Finalement, notre difficulté majeure est de réussir notre transition en mettant en œuvre des solutions pragmatiques.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires croit en une écologie libérale. Les découvertes scientifiques et techniques diminuant notre impact sur l’environnement sont une grande source d’espoir. Nous devons les soutenir et faire en sorte qu’elles puissent émerger. Notre décarbonation passera par des innovations dans l’industrie, le transport, l’énergie, la construction ou le numérique.
Notre consommation doit être placée sous le signe de la sobriété énergétique et de la circularité. Pour limiter notre empreinte, il nous faut nous adapter, plutôt que régresser.
À cet égard, la France est appelée à jouer un rôle prépondérant et à agir à plusieurs échelons.
À l’échelon international, notre pays doit influencer positivement les instances multilatérales. La COP26 n’a pas été à la hauteur des attentes et des espoirs, mais retenons les bonnes avancées, notamment sur le méthane ou le charbon.
À l’échelon européen, notre pays doit conserver sa place de chef de file, particulièrement en matière de décarbonation mondiale. À cet égard, je rappelle le travail important qui est actuellement accompli sur le paquet vert européen, la France jouant un rôle de premier plan.
Notre pays devra exercer une action significative durant sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Il devra toutefois veiller à prendre en compte cet enjeu de manière globale. Je n’évoquerai qu’un seul exemple : la stratégie Farm to Fork. Notre souveraineté alimentaire est en jeu. N’opposons pas l’écologie au reste du prisme : la réussite réside dans une prise en compte globale.
À l’échelon national, deux axes se dessinent.
Il y a, d’une part, ce que l’État fait et décide. À cet égard, j’évoquerai la question de l’énergie. Des moyens et des innovations nucléaires doivent être redéployés. Les énergies renouvelables ont aussi leur place dans notre mix, notamment l’énergie solaire, qui, tout comme l’hydrogène, nous offrira des perspectives importantes. Travaillons avec ces filières et investissons dans ces secteurs.
Il y a, d’autre part, l’axe local. En tant que membres de la chambre des territoires, nous savons que les collectivités sont en première ligne et que ce sont elles qui, concrètement, mettent en œuvre les décisions environnementales. Nous devons donc donner aux acteurs locaux les moyens législatifs raisonnables et pragmatiques, mais aussi financiers, d’agir.
Sur ce volet, j’évoquerai en priorité les villes. Quelle que soit leur importance, elles sont cruciales pour l’action de la France en faveur du climat.
Les mauvaises pratiques, comme l’éclairage nocturne excessif, sont à repenser. (M. François Calvet acquiesce.) Nous devons favoriser leur transformation et permettre à chacun d’avoir un impact positif sur l’environnement.
En effet, c’est aussi à chacun d’entre nous, citoyens français, qui que nous soyons, de prendre ses responsabilités individuelles et collectives, car l’action de la France – ne l’oublions pas –, c’est surtout la nôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Bruno Belin et Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? » Vaste programme, aurait dit le Général ! (Sourires.)
À mon sens, il nous faut traduire politiquement l’urgence climatique dont parlent les scientifiques, même si le climat est un objet extrêmement complexe. Cet effort exige de nous, parlementaires, non seulement des actes concrets, mais aussi beaucoup d’humilité.
Notre société est face à un défi environnemental sans précédent et notre capacité à atteindre l’objectif de neutralité carbone issu de l’accord de Paris de 2015, dont nous avons fêté récemment l’anniversaire, est remise en cause.
Cela étant, refusons le pessimisme défaitiste et demandons-nous ce que nous pouvons faire concrètement pour que la situation évolue.
Avec Patrick Chaize, Jean-Michel Houllegatte et de nombreux autres sénateurs, nous avons défendu la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale numérique en France. L’adoption de ce texte illustre parfaitement l’enjeu dont il s’agit : faire converger les transitions numérique et écologique. Notre conviction, ici, au Sénat, était qu’il fallait absolument empêcher l’explosion de l’impact du numérique et qu’il s’agissait là d’une priorité de l’action environnementale de la France.
Je sais combien cela paraît immatériel, mais le numérique représente 10 % de la consommation électrique mondiale, soit près de 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Pis, ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2025. La croissance de la pollution digitale est donc exponentielle et nos politiques publiques doivent se mobiliser pour la juguler.
Aux gains environnementaux indéniables du numérique sont associés des impacts directs et quantifiables, qu’il s’agisse des émissions de gaz à effet de serre, de l’utilisation des ressources abiotiques, de la consommation d’énergie ou encore de l’utilisation d’eau douce.
Au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, nous avons toujours été favorables au déploiement du numérique sur l’ensemble du territoire, mais nous voulons un numérique vertueux du point de vue environnemental.
Les innovations numériques rendent possibles l’amélioration de l’efficacité énergétique et une utilisation plus durable de nos ressources.
Mes chers collègues, à cet égard, je crois profondément au génie humain : c’est lui qui nous permettra de mieux connaître le réchauffement climatique et de lutter efficacement contre lui.
L’innovation jouera un rôle central dans ce combat. On a conscience de la situation, on sait quelles sont les solutions, mais il faut avoir le courage de les mettre en œuvre.
Pendant deux ans, nous avons travaillé pour élaborer un texte, désormais définitivement adopté après son examen par les deux assemblées. Je me félicite que les députés aient accepté la proposition de loi sénatoriale et que la Haute Assemblée l’ait votée dans les mêmes termes en deuxième lecture.
Ce texte crée notamment une formation de sensibilisation à l’impact environnemental du numérique et à la sobriété numérique dans l’enseignement primaire et secondaire : c’était indispensable. Il y a un paradoxe entre l’ambition climatique des jeunes générations et leur consommation compulsive d’internet, qui engendre une grave pollution numérique. Les jeunes, comme les moins jeunes d’ailleurs, ne la comprennent pas, car ils ne la connaissent pas.
Cette loi permet aussi le renforcement du délit d’obsolescence programmée et son extension à l’obsolescence logicielle, ainsi que le verdissement des centres de données, les data centers : il s’agit là d’une véritable nécessité.
Ce texte inédit constitue la première initiative législative complète sur ce sujet. Il tente d’appréhender toute la chaîne de valeur numérique, des terminaux aux centres de données en passant par les réseaux. Il fait de la France un précurseur sur la scène européenne. Il lui permettra de prendre le leadership de la transition écologique et, ce faisant, de renforcer sa légitimité, sa souveraineté et sa compétitivité.
Selon moi, la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) peut être une occasion unique de défendre ce sujet avec force et crédibilité lors des négociations, non seulement avec les États membres, mais aussi avec l’Amérique et la Chine, qui doivent faire évoluer leurs façons d’agir dans le secteur du numérique.
En la matière, la réponse doit être européenne, claire et unanime pour que nos pays, nos entreprises, nos investisseurs et les consommateurs s’engagent sur la voie d’une transition numérique écologique.
Mes chers collègues, cinq ans après la COP21, qui a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, passons à l’action en déployant notre stratégie nationale bas-carbone ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin. Excellent !
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 juin 2020, après plusieurs mois de travaux, les membres de la Convention citoyenne pour le climat remettaient au Gouvernement un rapport rassemblant leurs 149 propositions pour « réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».
Dès sa constitution, au mois d’octobre 2019, la Convention citoyenne pour le climat avait un objectif précis : partir des attentes des Français en matière de transition écologique pour construire des réponses adaptées.
Près d’un an après la présentation du rapport, lors de l’ultime session du 28 février 2021, 96 membres de la Convention citoyenne pour le climat ont évalué les décisions du Gouvernement par rapport à leurs propositions et aux objectifs fixés. Avec une moyenne de 3,3 sur 10 pour l’ensemble des questions, le résultat est parfaitement lisible : il atteste de la grande déception des conventionnels face à l’inaction du Gouvernement.
L’examen du projet de loi Climat et résilience n’a malheureusement pas permis de mettre en œuvre les propositions ambitieuses de la Convention citoyenne pour le climat. Malgré un satisfecit permanent du Gouvernement, seules dix propositions des conventionnels ont été pleinement inscrites dans ce texte. Cet outil de démocratie participative était pourtant une occasion unique de traduire dans les faits les attentes et la volonté des Français sur un sujet qui nous concerne tous : la lutte contre le dérèglement climatique.
Alors que la perte de confiance et même la défiance envers nos institutions et la classe politique dans son ensemble ne font que croître, cette première Convention citoyenne pour le climat restera comme un échec.
Le débat que nous consacrons aujourd’hui à l’action de la France face à l’enjeu environnemental doit être l’occasion de nous interroger réellement sur les moyens de mobiliser et d’associer les citoyens.
Nous l’avons constaté au cours des dernières années, avec les « gilets jaunes », qui ont fait reculer une fiscalité environnementale pourtant soutenue par une grande majorité de parlementaires, ou encore avec les nombreuses oppositions locales à des projets d’installations d’énergies renouvelables : l’acceptabilité des décisions est au cœur de cet enjeu.
Or – nous le savons – la guerre des émotions, la menace permanente ou la culpabilité ne sauraient être des solutions viables. Seule une vaste concertation démocratique, éclairée et transparente pourra ouvrir la voie à des solutions ambitieuses pour faire face au dérèglement climatique et à ses conséquences concrètes.
C’est précisément cette approche que nous devrions adopter pour fixer un cap, pour les grandes thématiques de notre société qui ont un impact sur l’environnement. Je pense au premier chef aux choix concernant notre bouquet énergétique.
Alors que ce sujet anime les débats de plateau à l’approche des échéances électorales, il est consternant de voir que nos concitoyens sont mis devant le fait accompli pour des décisions stratégiques qui engagent notre avenir à tous. Tel fut le cas, par le passé, avec la privatisation des acteurs historiques de l’énergie. Aujourd’hui, on annonce une mobilisation considérable en faveur du nucléaire, alors que des enjeux cruciaux ne sont pas traités, qu’il s’agisse de la gestion des déchets nucléaires ou de la provenance de l’uranium, qui sont tout sauf neutres pour notre environnement.
Ces grands enjeux sont devenus des sujets de société : ils exigent donc d’organiser des concertations et d’associer les uns et les autres à la prise de décision. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut tomber dans une démocratie contournant le Parlement et les corps intermédiaires. À l’inverse, nous avons besoin d’une grande discussion réunissant toutes les parties prenantes.
Nous le constatons à l’échelon local, particulièrement dans le domaine de l’énergie : seuls les projets coconstruits aboutissent et apportent de véritables bénéfices aux territoires.
Dans mon département de la Loire, le projet d’installation d’éoliennes « Les Ailes de Taillard » en est un bel exemple. L’ensemble des collectivités territoriales concernées, les habitants des communes, les associations de protection de l’environnement et des animaux ainsi que les entreprises privées se sont rassemblés pour élaborer un projet respectueux de toutes les attentes et produisant de l’électricité pour 26 000 personnes grâce à la puissance du vent.
De telles concertations permettront également de prendre en compte les spécificités de chaque territoire. Ces différences, qu’elles soient météorologiques ou démographiques, doivent être prises en considération dans une logique de juste répartition des efforts entre les territoires.
Il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de veiller à la bonne tenue de cette concertation des citoyens tout en nous assurant que l’écologie ne soit jamais dissociée de la justice sociale.
Madame la secrétaire d’État, à quelques mois de la fin de ce quinquennat, je vous pose deux questions plus directes pour animer notre débat d’aujourd’hui. D’une part, quel bilan tirez-vous objectivement de la Convention citoyenne pour le climat ? D’autre part, ne pensez-vous que notre bouquet énergétique mérite une grande concertation, pour que notre pays ait enfin une vision de long terme sur cet enjeu de souveraineté énergétique et de lutte contre le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. François Calvet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Calvet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre des travaux que j’ai consacrés, en tant que rapporteur pour avis, aux crédits relatifs à la transition énergétique et au climat, j’ai pu constater les graves retards qu’accuse la France sur un certain nombre d’axes de notre politique environnementale.
Pour ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, ce retard est particulièrement criant. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de voir notre pays en queue de peloton européen, d’autant plus que le dernier rapport de Réseau de transport d’électricité (RTE) montre que nous aurons nécessairement besoin d’importantes sources d’énergies renouvelables, même en relançant notre programme nucléaire.
Madame la secrétaire d’État, si la France veut se donner une chance de combler son retard dans le domaine des énergies renouvelables, elle devra mobiliser de nouveaux leviers. Je pense notamment à la chaleur : il semble essentiel d’accroître largement les moyens du fonds Chaleur dès 2022. Cette piste est-elle envisagée par le Gouvernement ?
En matière de lutte contre la pollution de l’air, nous ne sommes pas non plus à la hauteur. Je ne reviens pas en détail sur les diverses procédures contentieuses engagées contre notre pays – les précédents orateurs l’ont fait.
Dans ce contexte, nous le savons, les dix-neuf associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa) jouent un rôle tout à fait primordial, mais ces structures sont touchées par la baisse tendancielle des contributions des entreprises et, parfois, par le désengagement des collectivités territoriales. Cet état de fait peut nuire à leur indépendance. Nous avons proposé de relever le plafond de déductibilité au profit des entreprises, pour les inciter à augmenter leurs versements, mais cette piste n’est pas acceptée par le Gouvernement. Madame la secrétaire d’État, que proposez-vous, concrètement, pour assurer le financement des Aasqa tout en maintenant leur autonomie ?
En outre, j’estime que nous ne sommes pas à la hauteur en matière de gouvernance de la transition énergétique et climatique. Les moyens confiés au Haut Conseil pour le climat demeurent insuffisants, en dépit de la légère augmentation de crédits prévue par le projet de loi de finances pour 2022.
Le recours à un cabinet de conseil privé pour analyser le projet de loi Climat et résilience, en début d’année, est tout bonnement scandaleux. Non seulement on peut douter de l’indépendance de l’étude réalisée, mais surtout cette mission aurait dû être confiée au Haut Conseil pour le climat, précisément créé à cette fin par le Président de la République.
Le Sénat réclame aussi que les régions et les intercommunalités soient mieux accompagnées dans la transition, par un fléchage d’une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Là aussi, le Gouvernement nous oppose un refus catégorique. Comment peut-on espérer mener des politiques écologiques territorialisées sans mettre en face le financement adéquat ?
Ces écarts entre le verbe et l’action, entre le « Make our planet great again » et l’incapacité à respecter nos propres engagements climatiques, affaiblissent la voix de la France sur la scène internationale. C’est fort dommage, car, pour que l’on puisse résoudre les crises environnementales auxquelles nous faisons face, il faudrait que notre pays soit en mesure de défendre sa vision singulière et universelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je vous remercie de nous donner une nouvelle occasion de débattre de ces sujets, qui sont aujourd’hui au cœur de toutes nos politiques publiques.
En effet, l’urgence climatique et la nécessité de lutter contre l’érosion de la biodiversité s’imposent à nous. Ces phénomènes s’accélèrent sans cesse et exigent, de notre part, des moyens démultipliés.
Le réchauffement climatique est d’ampleur mondiale. En parallèle, un grand nombre d’espèces disparaissent et nous assistons à des événements climatiques extrêmes, chaque année plus nombreux et plus violents. Ce sont là autant de symptômes incontestables des maux dont souffre notre planète.
Dans ce moment critique pour la planète, la France place l’environnement au cœur de son action nationale, européenne et internationale. Ce faisant, elle agit à la fois avec responsabilité et avec ambition : en témoignent les efforts accomplis au cours de ce quinquennat, que je vais vous détailler.
Nous avons franchi un cap en inscrivant l’enjeu écologique dans l’ensemble de nos politiques publiques comme dans le quotidien de nos concitoyens.
Au cours des derniers mois, et même des derniers jours, le Parlement a consacré de nombreux débats à ces sujets. Il fait ainsi preuve de sa mobilisation. À cet égard, ce qui me frappe d’abord, c’est le consensus qui se dégage de vos interventions d’aujourd’hui. Vous le soulignez tous, il y a urgence à agir. C’est déjà un signal très fort.
La société civile a elle aussi pris conscience de cette nécessité, malgré l’ampleur des transformations que cela implique pour nos manières de vivre, de produire et de consommer.
Je le répète : sur toutes les travées de cet hémicycle, vous insistez sur cet impératif et nous pouvons nous en féliciter.
Depuis le début de ce quinquennat, le Gouvernement a mobilisé des investissements absolument sans précédent pour adapter notre économie à l’urgence environnementale et la rendre plus compatible avec le respect de l’environnement.
Vous le savez, 30 milliards d’euros des 100 milliards d’euros du plan de relance ont été consacrés à la croissance verte. Aujourd’hui, nous allons plus loin encore avec le plan d’investissement France 2030, qui est largement dédié aux enjeux environnementaux. À ce titre, 8 milliards d’euros sont fléchés vers le secteur de l’énergie, notamment pour développer la filière de l’hydrogène vert et décarboner notre industrie, et 4 milliards d’euros sont destinés aux transports du futur. Il s’agit de produire des véhicules électriques hybrides et, nous l’espérons, les premiers avions bas-carbone.
La France s’est également dotée de lois ambitieuses – loi relative à l’énergie et au climat, loi d’orientation des mobilités, loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire… Pas plus tard que l’été dernier a été adoptée la loi Climat et résilience. Les villes françaises sont mobilisées : elles sont déjà moins polluées qu’hier et elles veulent l’être moins encore demain. En particulier, les villes de plus de 150 000 habitants créeront un certain nombre de zones à faibles émissions (ZFE) d’ici à 2024.
De surcroît, nous réduisons nos émissions dans les transports de longue distance. Ainsi, les vols intérieurs seront limités lorsque le train permet d’effectuer le même trajet en moins de deux heures trente.
Prendre en compte l’enjeu environnemental, c’est aussi, très concrètement, préserver nos espaces naturels et agricoles. Tous les dix ans, c’est l’équivalent d’un département de la taille des Yvelines qui disparaît sous le béton. Avec la loi Climat et résilience, nous empêcherons la construction de nouveaux centres commerciaux sur des terres agricoles.
Ce texte nous a aussi permis d’inscrire dans le code de l’environnement l’objectif de protection de 30 % de notre espace terrestre et maritime. Cette mesure est la traduction de la stratégie pour les aires protégées, que je vous ai présentée en début d’année.
Nous avons également codifié de manière durable la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. À chaque instant, les achats des distributeurs et des consommateurs, ici, en France, peuvent avoir des conséquences à l’autre bout du monde. Avant tout, nous devions donc faire connaître l’impact de nos modes de consommation tout en accompagnant des filières plus durables sur l’ensemble de la planète.
Face au déclin de la biodiversité, la limitation des déchets, notamment plastiques, est un cheval de bataille du Gouvernement. Ainsi, nous avons réduit drastiquement les emballages. La loi Climat et résilience impose 20 % de vrac et, il y a quelques semaines, nous avons pris un décret interdisant les emballages plastiques pour un grand nombre de fruits et de légumes.
Au-delà de ces exemples emblématiques, vous vous souvenez des dispositions de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite AGEC, qui, à ce titre, nous place dans une véritable dynamique. Elle fait même de la France le chef de file de la mobilisation contre les plastiques à usage unique.
La protection de l’environnement a été renforcée dans notre droit interne. En effet, si le rôle des pouvoirs publics est d’inciter et d’accompagner, il est aussi parfois de sanctionner.
Comme vous le savez, nous avons instauré des dispositions en matière de justice environnementale, notamment la création du délit de mise en danger de l’environnement et, pour les atteintes plus graves, la création du délit d’écocide. Nous avons également renforcé l’échelle des peines.
La loi Climat et résilience a été l’occasion de lancer une transformation profonde, au travers de ses 300 articles. Chacun peut constater qu’elle a été largement étoffée pour avoir des effets sur nos manières de consommer, de produire ou de nous déplacer, sur notre justice et notre droit, voire sur notre façon d’appréhender l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Il s’agit là d’avancées majeures.
Quant à la politique énergétique, elle est l’un des leviers phares de notre action. Les énergies fossiles représentent aujourd’hui les deux tiers de notre consommation énergétique, soit 63 % en 2020, pour être exacte. Notre production d’électricité est essentiellement décarbonée, grâce à notre compétence dans le domaine nucléaire.
Des travaux inédits, extrêmement approfondis, de Réseau de transport d’électricité (RTE) ont été rendus à la fin du mois d’octobre dernier, qui ont abouti à un constat très clair : dans tous les scénarios, la neutralité carbone suppose une sortie des énergies fossiles d’ici à 2050.
Je sais que nous partageons cet objectif premier de sobriété énergétique et de réduction de notre consommation d’énergie. C’est l’un des leviers essentiels de notre action qui s’applique par exemple dans notre politique de soutien à la rénovation énergétique des logements, avec le dispositif MaPrimeRénov’ qui rencontre un succès inattendu, puisque plus de 700 000 demandes, que nous entendons valider, ont été reçues cette année.
Le Gouvernement a également renforcé les exigences pour les bâtiments neufs, en matière de consommation d’énergie, dans la nouvelle réglementation environnementale dite RE2020.
Notre deuxième priorité est, bien évidemment, de verdir le mix énergétique en développant les énergies renouvelables et en le complétant par le nucléaire. Nous avons déjà avancé dans cette voie, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Aujourd’hui, 25 % de notre électricité est produite grâce aux énergies renouvelables, contre 21 % en 2018. Nous poursuivrons le développement de ces énergies en l’accélérant, qu’il s’agisse de l’éolien, terrestre et marin, du photovoltaïque ou du biogaz.
Quant à l’industrie, nous mobilisons quelque 7 milliards d’euros dans le cadre du plan France Relance pour développer l’hydrogène décarboné. Des financements complémentaires sont également prévus dans le cadre du plan France 2030 à hauteur de 1,9 milliard d’euros, conformément aux annonces du Président de la République, à Béziers, le 16 novembre dernier. Personne ne peut minimiser cet effort sans précédent, qui est considérable en matière de décarbonation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, qu’il s’agisse de l’énergie ou de nos manières de produire et de consommer, nous accélérons la transition écologique non seulement à l’intérieur de nos frontières, mais aussi à l’échelon tant européen qu’international, par la promotion de nos objectifs.
La France exercera à partir du mois de janvier prochain la présidence du Conseil de l’Union européenne, ce qui devrait nous permettre d’accentuer nos efforts pour accélérer la mise en œuvre du Pacte vert européen et du paquet Fit for 55. L’objectif est de tirer parti de la présidence française pour faire aboutir ces textes, a minima pour les défendre et faire avancer le plus possible les négociations.
L’un des chantiers prioritaires, vous le savez, sera de renforcer le marché carbone européen, essentiel pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Nous voulons également avancer sur le verdissement des transports.
Au début de ce quinquennat, la France a été l’un des premiers pays au monde à fixer une date pour la fin des ventes de véhicules thermiques, alors prévue à l’horizon de 2040. Nous partageons désormais avec la Commission européenne l’objectif fixé à 2035. Il faudra bien évidemment rester attentifs à la liste des véhicules concernés et prévoir un accompagnement des sous-traitants et des salariés. La filière de l’automobile s’engage déjà dans cette voie. L’évolution des choix de consommation des Français l’incite à le faire et nous invite à renforcer cet accompagnement plutôt que de rester dans des schémas qui n’ont plus lieu d’être.
Pour que cette transition soit juste, il est nécessaire que nous proposions des solutions à tous et que nous donnions des réponses à chacun. Dans la mesure où la prise de conscience est partagée, nous ne pouvons pas laisser les Français sans ressource ni solution. Il faut donc absolument que nous poursuivions cet effort d’accompagnement dans la transition.
La présidence française du Conseil de l’Union européenne sera également l’occasion de célébrer cette mobilisation à l’échelon européen comme international. Nous fêterons, par exemple, les trente ans du réseau Natura 2000 et nous pourrons engager les premières discussions sur le projet de règlement européen pour lutter contre la déforestation importée de pays hors de l’Union européenne. Nous attendons également une proposition législative importante de la Commission européenne sur la restauration des écosystèmes.
Tous ces sujets sont essentiels tant, vous le savez, les luttes contre le réchauffement climatique et contre l’érosion de la biodiversité sont jumelles. Nous devons donc accroître nos moyens en renforçant nos différentes politiques.
Dans ce cadre, l’adoption d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est fondamentale pour éviter les risques de fuite carbone et pour que la protection de l’environnement soit un atout et une opportunité tant pour nos industries que pour les travailleurs européens. Nous considérons donc qu’il est nécessaire que nous portions les voix française et européenne pour défendre ces nouveaux outils.
Notre engagement se joue également à l’échelon international. C’est pourquoi l’environnement est au cœur de la diplomatie française, telle que l’a voulue le Président de la République. Nous en avons fait une priorité lors du One Planet Summit, où les chefs d’État et de gouvernement se sont mobilisés sur ces enjeux. Les engagements n’ont pas seulement été que des mots, mais ils se sont traduits dans des objectifs concrets définis en termes financiers et budgétaires. Des points de rendez-vous ont été fixés pour vérifier le suivi des trajectoires.
S’agissant du climat, la COP26 qui s’est tenue à Glasgow au mois de novembre dernier nous a permis d’aboutir sur certains points de négociation, tandis que d’autres ont suscité la déception. Nous pouvons nous féliciter des moments très fédérateurs qui ont eu lieu, notamment lors des discussions sur le marché mondial du carbone. Il s’agit là d’une première historique, puisque le dispositif prévoit des outils de transparence pour vérifier la réalité des engagements pris, ainsi qu’un calendrier resserré pour les suivre dans le temps.
Aux côtés de l’Union européenne et des États-Unis, la France a également conclu un accord unique en son genre, qui prévoit 8 milliards de dollars pour aider l’Afrique du Sud à sortir du charbon.
S’agissant de la biodiversité, des engagements très forts ont été pris pour lutter contre la déforestation.
Les grandes manifestations internationales se poursuivront, à la suite des deux événements majeurs qui ont été engagés par la France, en 2021, à la sortie de la crise sanitaire, à savoir le One Planet Summit entièrement dédié à la biodiversité et le Congrès mondial de la nature que nous avons accueilli à Marseille, au mois de septembre dernier.
Les engagements pris lors de ces événements nous permettent de travailler pour renforcer la COP15 sur la biodiversité à l’occasion de négociations internationales. Nous souhaitons que cette COP15 soit pour la biodiversité ce que la COP21 et l’accord de Paris ont été pour le climat, c’est-à-dire un moment fédérateur de la mobilisation internationale. La France y sera un chef de file d’autant plus observé que nous porterons non seulement la voix française, mais aussi la voix européenne, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Il s’agit d’un triple enjeu de cohérence : cohérence d’abord entre nos différentes politiques publiques – un important travail interministériel est mené en ce sens –, cohérence ensuite entre ce que nous développons à l’échelon national et ce que nous défendons à l’échelon international, car c’est la clé de notre légitimité dans ces négociations, cohérence enfin entre les objectifs, nos ambitions et les moyens que nous leur dédions. À cet égard, les moyens sont sans précédent. Les investissements prévus dans les lois de finances et le projet de loi de finances pour 2022, dans le plan France Relance et dans le plan France 2030 montrent que nous sommes au rendez-vous de l’urgence.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans la mesure où l’ordre du jour prévoit un autre débat après celui-ci, je serai très stricte sur le respect des temps de parole.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Madame la secrétaire d’État, je concentrerai mon propos sur la prévention des risques naturels majeurs.
Jeudi dernier, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est déplacée dans les Alpes-Maritimes, précisément dans la vallée de la Roya, afin de mesurer l’ampleur des dégâts et des travaux de reconstruction un an après le passage de la tempête Alex.
Onze ans après la tempête Xynthia qui a meurtri la côte Atlantique, cet événement climatique de la Roya ne sera plus un cas isolé dans les années à venir – hélas, pourrait-on dire.
Hier encore, des inondations ont frappé le Nord-Pas-de-Calais. Il n’est pas exagéré de dire que les catastrophes naturelles sont devenues notre lot quotidien.
Chaque année, depuis sept ans, inlassablement, j’ai alerté les gouvernements successifs sur les besoins d’accompagnement de nos concitoyens dans ces situations, tant pour la prévention des risques que pour leur indemnisation.
Hélas, le fonds Barnier a été plafonné, donc amputé de financements pourtant nécessaires. En 2022, il sera intégré directement au budget. Alors que la réserve de 700 millions d’euros et les 230 millions d’euros de recettes annuelles devraient être consacrés intégralement à ces actions, ce ne sera donc pas le cas l’année prochaine.
Pour la tempête Alex, comme Dominique Estrosi Sassone l’a indiqué ce matin lors de la séance de questions orales, certaines dépenses ne sont prises en charge ni par les assurances, ni par le fonds Barnier, ni par la dotation de solidarité.
Quand un terrain de football a disparu, quand deux cimetières sont emportés, quand la voirie et autres équipements n’existent plus et que la loi relative au développement et à la protection de la montagne, dite Montagne, oblige à reconstruire à l’identique, c’est mission impossible sans modification en urgence du plan local d’urbanisme (PLU).
Par ailleurs, les surcoûts liés à la prise en compte d’une plus grande résilience ne sont pas considérés.
Devant ces multiples traumatismes, madame la secrétaire d’État, acceptez-vous la perspective d’un travail en lien avec les élus et les parlementaires sur une loi d’urgence adaptée à ce genre de situations, alors que la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles doit se tenir dans quelques jours ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Mandelli, les experts estiment que, d’ici à 2050, le coût annuel éventuel des catastrophes naturelles pourrait augmenter de plus de 50 %. C’est dire l’urgence de la situation !
Le fonds Barnier, qui intervient pour aider financièrement les collectivités et mettre en sécurité les personnes exposées à ces menaces graves, devait être renforcé. Il l’a été, puisque nous pouvons observer une augmentation de 70 % du montant des crédits de ce fonds par rapport au début du quinquennat. Il a été porté à 235 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022, au lieu de 131 millions d’euros précédemment.
En plus de cette augmentation d’importance majeure, d’autres outils ont été mobilisés pour faire face à ces risques exceptionnels, notamment pour garantir une protection en cas d’inondations, via les programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI). Nous avons réduit de moitié la durée d’élaboration et de labellisation de ces plans d’action.
Plusieurs dispositions ont également été intégrées à la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, notamment pour accélérer les procédures environnementales nécessaires pour la prise en compte de solutions fondée sur la nature ou de digues. En l’occurrence, nous avons créé une procédure d’urgence civile pour favoriser une meilleure réactivité dans les situations d’urgence que vous avez décrites.
S’agissant du retrait-gonflement des argiles, un nouveau dispositif a été mis en place grâce aux dispositions qui ont été intégrées à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN. Une carte des zones argileuses est désormais imposée où doivent figurer des préconisations constructives pour sécuriser ces zones.
Je pourrais également vous parler du plan Séisme Antilles et de la récente augmentation des aides du fonds Barnier et du plan de relance à hauteur de 50 millions d’euros. Ces aides permettront, comme vous l’avez vu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, de financer des abris anticycloniques et des abris antisubmersion, en Polynésie française notamment. Nous avons donc un bouquet de solutions.
Mme le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. J’entends la nécessité de prévoir encore plus de réactivité et je sais que ces débats ont lieu au Parlement.
Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. J’ai pu noter depuis la tempête Xynthia, il y a dix ans, une évolution positive des dispositions. Il reste encore à faire. On a pu le vérifier jeudi dernier dans les Alpes-Maritimes.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, la multiplication des catastrophes naturelles le confirme : les collectivités territoriales sont en première ligne face au changement climatique. Garantes de la sûreté des habitants, elles sont les premières concernées par les questions d’adaptation et de résilience.
Avec l’adoption de la loi portant nouvelle organisation des territoires de la République (NOTRe) et de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, les collectivités se sont vu attribuer des compétences clés pour agir sur les enjeux climatiques. L’élaboration et la mise en œuvre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) à l’échelle des intercommunalités et du volet énergie-climat des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) ont vocation à amorcer la transition énergétique et écologique à l’échelle des territoires.
Afin de remplir efficacement ce rôle, les territoires ont besoin de financements à la hauteur. L’enveloppe de la dotation de soutien à l’investissement local n’y suffira pas. Les plans et les schémas risquent de rester largement lettre morte.
Depuis 2017, le Sénat adopte systématiquement la disposition relative à la dotation climat aux collectivités territoriales dans les projets de loi de finances ; il a réitéré dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience et lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2022 – tout cela, en vain jusqu’à présent.
Alors que Bercy refuse d’avancer sur ce point, la Commission européenne semble, quant à elle, saisir l’enjeu de la dotation climat, puisqu’elle propose de flécher 100 % des recettes des ETS, Emissions Trading Schemes, enchères de quotas carbone, qui tombent dans les caisses de l’État, vers des politiques environnementales visant à limiter le changement climatique.
Madame la secrétaire d’État, dans ce contexte, n’est-il pas temps d’avancer clairement en faveur de cette dotation aux collectivités que les réseaux climats et les territoires ainsi que le Sénat vous demandent et que les défis climatiques et environnementaux exigent sérieusement ? (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Fernique, les régions, les collectivités et les intercommunalités sont en première ligne. Je ne cesse de défendre ce constat et je l’ai mis en œuvre dans la méthodologie de réécriture de la stratégie nationale pour la biodiversité pour les dix années à venir.
Nos politiques publiques, étatiques et nationales, n’ont de sens que si les collectivités peuvent et souhaitent les mettre en œuvre à l’échelon local. Il nous faut donc connaître les leviers à activer, il nous faut pouvoir accompagner les collectivités pour qu’elles puissent se saisir des moyens et des dispositifs que nous mettons en œuvre.
Près des quatre cinquièmes des leviers identifiés dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) impliquent directement les collectivités. C’est dire leur importance.
L’État appuie fortement les collectivités, vous le savez, non seulement dans leur domaine de compétence, mais aussi sur les questions de mobilité et les questions énergétiques, de même que pour la rénovation des bâtiments.
Nous avons d’abord connu une augmentation sans précédent de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) avec l’intégration de la DSIL verte à hauteur de un milliard d’euros. Un critère de 25 % d’investissements dits verts a été fixé pour accompagner le verdissement de nos politiques et leur déclinaison au niveau territorial.
Ensuite, le fonds Chaleur a été porté à 350 millions d’euros par an. Le plan de relance consacre un milliard d’euros à la rénovation des bâtiments publics. Des aides à la mobilité bas-carbone, que je ne détaille pas, ont été prévues.
La réutilisation des friches est également encouragée grâce à un fonds dédié qui a été de nouveau abondé en raison de l’engouement que les collectivités ont manifesté pour ce nouvel outil.
Les moyens en faveur de l’économie circulaire ont été renforcés et la contribution des filières à responsabilité élargie des producteurs aux côtés de l’État nous permet de massifier nos moyens.
Nous présenterons prochainement au Parlement un rapport qui, aux termes de l’article 68 de la loi relative à l’énergie et au climat, concernant la contribution des Sraddet et des PCAET aux politiques nationales de transition écologique. Quelques enseignements émergent déjà : près de 6,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement sont fléchés par l’État et ses opérateurs pour l’action des collectivités en faveur du climat.
Mme le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Nous examinerons également les moyens sans précédent consacrés aux mobilités, comme dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) qui cristallisent aujourd’hui l’ensemble des dispositifs.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. Madame la secrétaire d’État, vous me répondez investissement, mais les collectivités ont aussi besoin de crédits de fonctionnement : 10 euros par habitant pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), 5 euros pour les régions, voilà ce qui leur permettrait d’agir efficacement.
Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, je veux vous parler du département de la Guyane, qui renferme 70 % de la biodiversité française. Une seule question : comment lutter réellement contre l’orpaillage illégal et ses conséquences, notamment le mercure qui pollue les rivières, détruit la biodiversité et intoxique les nombreuses populations, en particulier les peuples autochtones ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Gay, je dispose d’une enveloppe dédiée à la lutte contre l’orpaillage, prise sur les 15 millions d’euros supplémentaires que j’ai obtenus pour le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité ». L’arbitrage reviendra évidemment aux parlementaires dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
En effet, je souhaite consacrer des moyens sans précédent à la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, qui est un combat essentiel. L’existence de cette enveloppe, dont le montant des crédits s’élèvera à 3,5 millions d’euros, devrait répondre à votre question.
Il faut aussi prendre en compte les moyens de police et de surveillance sur place. Les dimensions des sites à sécuriser sont extrêmement importantes, de sorte qu’il faut une mobilisation considérable des forces de l’ordre sur place. Nous devons également renforcer les moyens techniques et logistiques.
Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, mais il faudra un peu plus que de l’argent.
Saluons les forces de l’ordre qui luttent sur place dans le cadre de l’opération Harpie. Ce sont à peu près 300 hommes pour 10 000 à 20 000 garimpeiros.
Évidemment, la question des moyens se pose et l’on peut, bien entendu, doubler les effectifs, mais si l’on n’engage pas une action diplomatique résolue avec le Suriname et le Brésil, où les garimpeiros vont chercher leur matériel, notamment le mercure, nous n’y arriverons pas.
De plus, madame la secrétaire d’État, nous faisons face à un scandale écologique. La semaine dernière encore, j’étais en Guyane, un département que j’aime beaucoup, et j’ai eu l’occasion de naviguer sur le fleuve Kourou et d’observer que le mercure polluait nos rivières. Comme vous le savez, les peuples autochtones pêchent pour vivre, ou plutôt survivre.
Nous sommes aux prises avec un problème d’importance : à l’instar de ce que qui se passe pour les Guadeloupéens et les Martiniquais, qui ne bénéficient pas de la détection des maladies liées à l’exposition au chlordécone, il n’existe pas de dépistage massif et gratuit des pathologies nées du contact avec le mercure pour les peuples autochtones.
Je ne cesse d’alerter à ce sujet. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère qu’une concentration de 10 microgrammes par gramme de cheveu représente déjà une alerte extrêmement grave, le dernier dépistage, qui a eu lieu voilà dix ans, a recensé des taux allant de 12 à 14 microgrammes !
On estime que les garimpeiros collectent entre huit et dix tonnes d’or par an. Or l’extraction d’un kilogramme d’or nécessite un litre de mercure ; ce sont donc entre huit et dix tonnes de mercure qui polluent l’Amazonie, nuisent à la biodiversité et intoxiquent les hommes. Il faut agir d’urgence ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la secrétaire d’État, depuis les accords de Paris de 2015, la France se pose en championne de la lutte contre le réchauffement climatique.
Nous ressentons un devoir d’exemplarité et nous y parvenons, puisque, grâce à l’énergie nucléaire, la France est l’un des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). De plus, nos émissions ont déjà baissé de 20 % par rapport à 1990.
Cependant, pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, il faut faire beaucoup plus. L’Union européenne vient d’ailleurs de relever les objectifs communautaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre en les passant à 55 % en 2030, contre 40 % en 1990.
À l’issue d’un quinquennat qui devait nous placer sur cette voie vertueuse, l’heure du bilan carbone a sonné. Lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, le Gouvernement a demandé au Boston Consulting Group une étude évaluant l’impact carbone de l’ensemble des mesures prises depuis 2017.
Ses conclusions étaient optimistes, mais prudentes : « Le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre visé par l’ensemble des mesures [prises depuis 2017] est globalement à la hauteur de l’objectif de 2030, sous réserve de leur exécution intégrale et volontariste. » Cependant, l’atteinte de l’objectif de réduction de 40 % n’était pas assurée – à l’époque où cette étude a été menée, les ambitions européennes n’avaient pas encore été relevées.
Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : comment réussirons-nous à réduire nos émissions de 55 % en 2030 ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Levi, tous les moyens que nous avons évoqués aujourd’hui doivent concourir à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et votre question me donne l’occasion de répondre à la sénatrice Lavarde. C’est bien pour ne pas avoir atteint l’objectif durant le mandat précédent que la France a été condamnée à agir.
Au début de l’année 2021, le Boston Consulting Group a estimé que cet objectif serait atteint à l’horizon 2030 si nous appliquions de manière effective les lois et les plans d’action dont nous avons débattu cet après-midi. Pour y parvenir, nous disposons d’un éventail de mesures sur lesquelles je ne reviens pas en détail. Les moyens nécessaires à leur mise en œuvre ont été mis en place.
Bien sûr, nous devons mesurer les effets de ces mesures au regard de chaque politique publique et il serait restrictif de ne considérer que l’action du ministère de la transition écologique.
Comme vous le savez, un autre volet important porte sur la transition agroenvironnementale et l’utilisation des sols de nos forêts. Tel est l’objet des Assises de la forêt et du bois, auxquelles je participe avec Julien Denormandie. Nous accomplissons également un travail approfondi à l’échelon tant national qu’européen pour lutter contre la déforestation.
L’ensemble de ces actions doivent nous permettre d’atteindre nos objectifs. Nous travaillons enfin à l’élaboration d’un projet de loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat, prévu pour 2023, sur lequel les parlementaires seront invités à se pencher.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. Nous nous réjouissons tous ici du lancement de nouveaux réacteurs nucléaires, annoncé par le Président de la République. Nous savons que cette énergie constitue l’une des solutions pour parvenir à la neutralité carbone. Je forme le vœu que ces nouvelles mesures nous aident à y parvenir.
M. Pierre Louault. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui suppose d’agir rapidement dans tous les secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre, notamment le BTP, qui représente 27 % des émissions dans notre pays.
Après des années de stagnation en matière de rénovation énergétique, le succès récent de MaPrimeRénov’ est bienvenu : 700 000 dossiers devraient ainsi être validés d’ici à la fin de cette année.
Ces résultats prouvent que la transformation du crédit d’impôt transition énergétique (CITE) en prime d’État était très pertinente. Le caractère incitatif du dispositif a été renforcé grâce à l’extension des critères d’attribution, à compter du 1er janvier 2021, à tous les propriétaires sans condition de revenus, ainsi qu’aux copropriétés. Le recours accru à la dématérialisation et le raccourcissement des délais d’instruction des dossiers ont également joué un rôle important.
Néanmoins, il s’agit essentiellement d’une massification des « mono-gestes » : 86 % concernent une seule opération simple, telle que l’isolation des fenêtres ou un changement de chauffage, et non pas une rénovation globale. En outre, un rapport de la Cour des comptes relatif aux premiers enseignements de MaPrimeRénov’ publié au mois de septembre dernier indique que seules 5 % des rénovations font l’objet d’un contrôle. Nous ignorons donc l’efficacité réelle des travaux, donc de la dépense publique.
Or la loi Climat et résilience, promulguée le 22 août 2021 – qui ne va pas assez loin, selon nous –, interdit la location des passoires énergétiques en 2028. De surcroît, l’ensemble du parc immobilier doit répondre aux normes bâtiment basse consommation (BBC) en 2050. Il convient donc de pérenniser cette subvention sur le long terme, bien au-delà du plan de relance.
Aussi, madame la secrétaire d’État, par quels moyens – incitatifs ou contraignants – le Gouvernement entend-il favoriser les rénovations globales afin d’éviter un saupoudrage de la dépense publique, dont l’efficacité doit être renforcée ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Gold, conformément aux dispositions de la loi Climat et résilience, nous avons progressivement instauré un dispositif d’incitation financière accrue en faveur de la rénovation énergétique. Nous avons souhaité que celle-ci soit, dans la mesure du possible, performante et globale, grâce à la mise en œuvre d’un système stable, offrant de la visibilité aux personnes souhaitant y souscrire.
En outre, tous les ménages, y compris les plus modestes, doivent pouvoir accéder à ce dispositif, qui est donc modulé en fonction des ressources et qui crée les conditions d’un reste à charge le moins élevé possible. C’était là un impératif de justice sociale.
La loi dispose explicitement que les financements continueront à couvrir toutes les rénovations, gestes de travaux et bouquets de travaux, aux côtés des rénovations performantes et globales. À cet effet, le dispositif MaPrimeRénov’ sera renforcé et disposera en 2022 d’un budget dédié s’élevant à 2 milliards d’euros, comme le Premier ministre l’a annoncé voilà quelques jours. Il s’agit donc d’offrir à tous les ménages une aide à la rénovation énergétique, en fonction de leurs ressources, je le répète.
Au-delà de la prime consacrée à la rénovation globale, très avantageuse pour les bouquets de travaux, le devoir de réaliser 55 % de gains énergétiques après les travaux constitue une incitation forte à la rénovation globale.
Mme le président. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Madame la secrétaire d’État, il me semble également nécessaire de créer un guichet unique favorisant la conduite des travaux pour les particuliers.
Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Madame la secrétaire d’État, depuis que j’ai été élu, je ne cesse de vous demander des comptes sur la suppression des emplois publics au sein du ministère de la transition écologique.
Il s’agit là d’une tendance lourde depuis le début de ce quinquennat et vous n’arrivez manifestement pas à stopper l’hémorragie de l’expertise publique environnementale. Le recours à des cabinets privés, tels que le Boston Consulting Group, en est l’un des exemples les plus frappants. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que cette privatisation soit rentable sur le long terme pour notre pays : cela nous prive d’ingénieurs publics soucieux de l’intérêt général.
Contrairement à vos engagements, le projet de loi de finances pour 2022 prévoit, cette année encore, une baisse de 400 équivalents temps plein (ETP). Certes, la baisse est limitée – élection présidentielle oblige –, mais elle est loin d’être neutre pour les opérateurs de l’État. Je pense à l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), mais aussi au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), à qui le Gouvernement n’a de cesse de confier de nouvelles missions au profit des collectivités territoriales, en première ligne pour assurer la transition écologique.
Alors qu’un récent rapport du CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) et de l’IGA (Inspection générale de l’administration) démontre par le menu la nécessité de mettre un terme à la destruction des emplois et de préserver les ressources humaines, le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une fois encore la suppression d’une quarantaine d’emplois et subtilise quelques millions d’euros, pourtant essentiels pour le bon fonctionnement de cet opérateur de pointe.
On ne peut pas inviter les collectivités à recourir à l’ingénierie de l’État tout en privant dans le même temps celle-ci de ses moyens.
Madame la secrétaire d’État, qu’attendez-vous pour mettre fin à cette schizophrénie qui détruit notre expertise publique en matière de transition écologique, alors que vous savez que les collectivités territoriales, fers de lance de la grande transformation, manquent cruellement d’ingénierie ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Bigot, le plafond d’emploi des opérateurs du ministère de la transition écologique s’élevait, à périmètre constant, à 23 523 ETP en 2020. Le schéma d’emploi comptait quant à lui moins de 110 ETP. Ce sont des baisses majeures. Les opérateurs de l’État ont participé à cet effort pour limiter l’endettement public.
Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit, pour les opérateurs sous tutelle du ministère, un schéma d’emploi global subissant une baisse de 0,2 % par rapport à 2021 – nous avons donc retrouvé une situation très favorable. Le schéma d’emploi est même positif pour certains. Ainsi sont prévus 20 ETP pour les parcs nationaux, 9 ETP pour l’Ademe, 50 ETP pour la Société du Grand Paris, enfin 25 ETP pour l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).
Je me réjouis que douze opérateurs voient leurs effectifs se stabiliser. Ainsi, dans le secteur de préservation de la biodiversité, aucune baisse n’est à déplorer et les schémas d’emploi seront nuls. Il s’agissait d’une décision inespérée pour les agences de l’eau par exemple. Tout le monde y voit un geste très favorable en direction des opérateurs de la biodiversité.
Certes, huit opérateurs connaîtront une baisse de leurs effectifs, mais celle-ci sera moins importante que les années précédentes. Le signal est clair : la priorité est donnée aux opérateurs de l’État œuvrant à la préservation de l’environnement.
Mme le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Madame la secrétaire d’État, vous reconnaissez donc les suppressions d’emplois touchant certains opérateurs essentiels comme l’Ademe ou le Cerema. Cela touche maintenant les opérateurs liés à l’innovation. Lorsque facialement les emplois sont préservés, certains postes sont pourvus par des emplois temporaires. La fin des contrats précédera alors l’achèvement des missions et il sera impossible de vérifier si les travaux ont été menés à leur terme.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le développement et le déploiement de l’énergie photovoltaïque. Les engagements en la matière ont déjà été rappelés par certains de nos collègues.
Cette énergie renouvelable fait plutôt consensus, contrairement à d’autres. Voilà quelques mois, lors des réunions organisées dans les préfectures au sujet du plan de relance, on encourageait le monde économique agricole et les collectivités territoriales à investir dans les énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque. C’est ainsi que des agriculteurs, des entreprises et des particuliers ont déposé des dossiers en ce sens.
Cependant, de nombreux dossiers subissent un retard à la suite de décisions de l’architecte des bâtiments de France. L’Aisne, à l’instar d’autres départements, compte beaucoup de bâtiments classés. Certes, nous avons tous à cœur de préserver le patrimoine, mais ces blocages, qui se répètent, paraissent en contradiction avec les objectifs affichés par les préfectures.
Il serait utile de faire passer le message pour faire en sorte que cela n’arrive pas. Mieux, une charte nationale ou départementale indiquant aux porteurs de projet la conduite à tenir pour que les dossiers soient acceptés pourrait être élaborée. Il s’agit non seulement de créer des énergies renouvelables, mais aussi d’offrir de l’activité au monde économique.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Verzelen, la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit un objectif de 20,1 gigawatts produits par l’énergie photovoltaïque en 2023.
Nous en sommes très loin, puisque notre production s’élève aujourd’hui à 12,6 gigawatts. Il nous faut donc tripler cette capacité d’ici à 2028 et l’accentuer davantage encore à l’horizon 2050.
Cette ambition s’exprime en priorité sur les bâtiments, mais concerne également des projets au sol. Comme vous l’avez souligné, l’intégration paysagère et l’absence d’impact environnemental devront être prises en compte pour favoriser l’acceptabilité de ces projets, qui font certes consensus dans le mix énergétique, mais qui supposent une concertation locale approfondie pour qu’ils trouvent leur place harmonieusement dans les paysages.
Les appels d’offres prévoient des bonus pour le développement de l’énergie photovoltaïque au sol sur les terrains dégradés : c’est là une réponse idéale pour ces espaces. À l’inverse, les terrains agricoles naturels et forestiers doivent être préservés – leur dégradation ne serait évidemment pas souhaitable.
En lien avec le ministère de la culture, nous essayons de concilier le développement de cette énergie avec les objectifs de préservation du patrimoine et des paysages. Les conseils et l’expertise technique des architectes des bâtiments de France sont précieux quant à la préservation et la valorisation de notre patrimoine architectural, dont nous sommes aussi très fiers.
Afin de favoriser cette bonne intégration paysagère, nos mécanismes de soutien comportent désormais un nouveau dispositif incitatif, par le biais d’arrêtés tarifaires ou de la prime d’intégration paysagère.
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle action de la France pour prendre en compte l’enjeu environnemental ? »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
5
La perte de puissance économique de la France (notamment en termes de compétitivité, d’innovation et de recherche) et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat
Débat thématique
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La perte de puissance économique de la France – notamment en termes de compétitivité, d’innovation et de recherche – et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat. »
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la puissance est la capacité d’un acteur à imposer ses choix aux autres acteurs – voilà un vocabulaire qui rime avec compétitivité et guerre économique. La puissance ainsi définie s’est toujours déclinée en termes de croissance.
Le thème de ce débat souligne donc encore un peu plus, s’il le fallait, votre croyance sans faille, à l’instar de l’immense majorité de la classe dirigeante, dans une croissance infinie. La célèbre citation de Kenneth E. Boulding, « celui qui croit en une croissance infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », est par conséquent incomplète. Il convient d’y ajouter : « soit un politique ».
Là où le bât blesse, c’est que toutes les politiques publiques sont tournées vers la croissance du PIB ; pis encore, nombre de nos mécanismes de protection sociale lui sont adossés. Cette croissance résulte d’une hausse de notre consommation d’énergie et de l’extraction de nos matières premières, ce qui bouleverse le climat et menace les conditions de vie sur Terre.
Le taux de croissance des économies développées est corrélé au prix de l’énergie. Mais plus jamais le prix des énergies fossiles ne sera celui des Trente Glorieuses : que notre avenir énergétique soit fossile, nucléaire ou renouvelable, le coût de l’énergie ne reviendra jamais au niveau ayant favorisé les grandes heures de la croissance. Le réalisme implique d’apprendre à vivre sans cette croissance du PIB, incompatible avec l’indispensable sobriété énergétique. Il s’agit d’un impératif vital.
On nous vend l’espoir d’un découplage entre cette croissance économique et ses conséquences écologiques, mais tout montre que nous n’en sommes pas capables. Vivre sans la croissance, telle qu’elle est définie aujourd’hui, est une réalité qui s’imposera à nous de toute façon.
Ce système économique productif, qui dépend de l’extraction et de la transformation des ressources, ne peut croître indéfiniment. Depuis les années 1980, la croissance ne permet pas non plus de réduire les inégalités en Europe et aux États-Unis ; pire, elle contribue à les creuser, ses fruits étant captés depuis quarante ans par le décile le plus riche.
Heureusement, il me semble possible de concevoir, de débattre et de mettre en œuvre une transformation de notre organisation et de notre économie sans miser sur le pari périlleux de la croissance.
Nous devons faire évoluer nos économies et revoir toutes nos activités au prisme de la soutenabilité environnementale et de la réduction des inégalités. Il est encore temps de construire une économie sobre, avant qu’elle ne s’impose de l’extérieur après une succession de catastrophes.
Avec la pandémie, les Français redécouvrent la vulnérabilité des sociétés humaines et constatent que l’argent, que l’on finit toujours par trouver, ne suffit pas à résoudre une crise. Sans organisation au service d’un but clair, ils comprennent que la « puissance économique » n’est rien.
Jusqu’ici, les débats relatifs à la transition écologique se sont surtout concentrés sur le montant des investissements et la tuyauterie financière, très peu sur la définition d’un objectif et quasiment jamais sur la méthode.
La transformation que nous devons envisager réclamera, dans bien des cas, que nous simplifiions ou ralentissions. Souvent aussi, elle aura besoin de plus de têtes et de bras. Il faudra que chaque organe de la société fonctionne en recherchant une sobriété optimale dans la consommation de matières premières et d’énergie.
Pour autant, un système économique plus sobre n’a pas à exiger des plus modestes qu’ils se serrent la ceinture. Au contraire, il peut donner de l’air aux plus petits budgets en organisant des économies d’énergie et de matière. Il peut également offrir de nouvelles et importantes opportunités en termes de travail et de revenus.
La fiscalité demeure l’un des leviers essentiels, en France et à l’échelon européen, pour réduire les inégalités : supprimer les niches qui profitent aux plus aisés, augmenter la progressivité des impôts pour lisser les écarts de revenus ou encore imposer plus fortement le capital et le patrimoine. Un tel cercle vertueux doit être pensé, discuté, organisé et planifié.
Je suis bien conscient que cette analyse percute de plein fouet la croyance dominante dans nos sociétés « extractivistes ». Mais face aux faits, au rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), aux limites planétaires, aux conséquences sur notre monde d’une augmentation de température de deux, trois ou quatre degrés, le mythe d’un retour à une puissance économique forcément prédatrice n’est ni souhaitable ni même réaliste.
Nous devons passer le cap de cette ère industrielle, responsable de la destruction du climat et de nos ressources, pour nous engager enfin vers une économie économe, au sein de laquelle des indicateurs tels que la santé, le bien-être et l’éducation orienteront davantage les politiques publiques.
La France est capable d’emprunter un nouveau chemin : celui du progrès. Notre puissance réside dans notre souveraineté et notre survie dans la coopération, en premier lieu à l’échelle européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST – M. Franck Montaugé applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trente ans, les gouvernements libéraux ont réduit les cotisations sociales et la fiscalité des entreprises pour garantir la compétitivité de l’emploi dans notre pays.
Depuis trente ans, au nom du fameux « coût du travail », les salariés ont dû faire des sacrifices en subissant les conséquences de la disparition des services publics et de la réduction de leurs droits sociaux. Pour quel résultat ? Les grandes entreprises continuent de délocaliser leur activité en Europe de l’Est et en Asie. Les dividendes des actionnaires ont explosé et les salaires ont stagné.
Alors que le niveau de chômage n’a jamais été aussi élevé et que l’emploi industriel est en baisse depuis 2019, Emmanuel Macron a annoncé un nouveau durcissement des critères de l’assurance chômage, qui s’ajoute à la réforme de septembre dernier et qui va faire perdre à près de 2 millions de demandeurs d’emploi le bénéfice de leur indemnité chômage.
Alors que de nombreux travailleurs ont déjà dû consentir de lourds sacrifices en raison de la pandémie de covid-19, le Gouvernement continue de faire des cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes multinationales. Dans le même temps, il réduit les droits sociaux et rechigne à compenser l’augmentation du prix de l’énergie pour tous nos concitoyens.
Nous, parlementaires communistes, défendons un projet radicalement opposé, qui vise à permettre à chacun de vivre dignement de son travail, aux jeunes d’accéder à des emplois stables, aux populations de disposer partout de services publics de qualité, au pays de se doter de nouveau d’une industrie à la fois garante de notre souveraineté et à même de répondre aux besoins de la société.
Pour y parvenir, il nous faut réorienter radicalement les richesses vers la satisfaction des besoins des femmes, des hommes et des jeunes, plutôt que de toujours engraisser les plus riches et les marchés financiers, et confier de vrais pouvoirs de décision aux citoyens et au monde du travail.
Emmanuel Macron a multiplié les cadeaux fiscaux à une poignée d’ultra-riches et au capital : 358 000 familles, dont le patrimoine représente 1 000 milliards d’euros, soit l’équivalent de la moitié du PIB de la France, ont ainsi été exonérées du paiement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
De même, il a multiplié les exonérations de cotisations sociales au profit des grandes entreprises, en contrepartie d’un recrutement à temps partiel et à bas salaire. Il a ainsi aggravé la précarité des salariés, des personnes privées d’emploi, des jeunes, des retraités. Les femmes en sont les premières victimes.
Le prétendu « coût du travail » n’existe pas : le travail crée des richesses. Face aux libéraux et aux tenants de l’austérité budgétaire, nous voulons une économie au service de l’humain.
De 2008 à 2017, l’Union européenne a apporté 1 500 milliards d’euros au système financier, sans que cela ait modifié la courbe du chômage.
À l’inverse de ceux qui invoquent le défaitisme et la défaite morale de la France, nous prônons les jours heureux. Nous proposons une autre utilisation de l’argent pour produire autrement et partager les richesses.
Pour que chacun puisse vivre dignement, il faut augmenter les salaires. Pour donner du travail au plus grand nombre, il faut réduire le temps de travail hebdomadaire à 32 heures et recruter massivement dans la fonction publique.
M. Laurent Duplomb. Mais bien sûr !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous avons besoin de développer les services publics, d’investir dans la santé et en faveur d’une autre industrie.
Face à l’urgence sociale, nous devons augmenter le SMIC de 200 euros net par mois, revaloriser les pensions et les minima sociaux, appliquer l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, rétablir les cotisations sociales du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), moduler l’impôt sur les sociétés selon la politique d’emploi et d’investissement des entreprises et taxer les 10 milliards d’euros de profits annuels des compagnies pétrolières.
Face à l’urgence sociale, il faut aussi baisser le prix des carburants et réduire de 30 % les taxes sur le gaz et l’électricité.
Le déclin de la puissance économique de la France est la conséquence des choix budgétaires des gouvernements successifs. Il est encore temps d’inverser la tendance en adoptant une politique orientée vers l’investissement et l’humain plutôt que vers l’austérité et le marché.
M. Michel Canévet. Vive l’austérité ! (Sourires.)
Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les inquiétudes quant à la dégradation de la compétitivité du tissu productif français sont bel et bien fondées.
Si les difficultés liées à la covid-19, la crise économique et la désorganisation des chaînes de production ont touché tous les pays européens en 2020, la France semble avoir particulièrement souffert.
En effet, la part de notre pays dans les exportations de biens de la zone euro a beaucoup diminué. Elle serait ainsi passée de 13,9 % à 12,7 % entre 2019 et 2020, alors que, dans le même temps, les parts de marché respectives de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie sont restées stables. Parallèlement, le déficit commercial de l’Hexagone s’est creusé de plus de 7 milliards d’euros en 2020, atteignant 65 milliards d’euros.
Si l’on inclut les services, le constat est malheureusement le même : les exportations de biens et de services de la zone euro ont reculé de 13,2 % l’an passé, tandis que celles de la France ont littéralement plongé de 19,3 %.
Même les exportations françaises dans l’aéronautique, pourtant secteur de prédilection, ont davantage baissé que celles de nos voisins. On observe des pertes de parts de marché dans toutes les catégories de produits. Il y aurait donc bel et bien un « facteur français » plus profond, monsieur le ministre, ce qui nous interroge.
Les restrictions sanitaires ne peuvent, à elles seules, expliquer la contre-performance française. L’Italie et l’Espagne ont pris des mesures de distanciation sociale plus strictes que nous sans avoir enregistré de pertes de parts de marché. Cela laisse donc supposer une fragilité générale de l’appareil productif français en 2020.
Certains économistes craignent que notre pays soit confronté à une nouvelle phase de désindustrialisation dans les prochaines années, alors même que le Gouvernement investit massivement dans un plan de relance de 30 milliards d’euros, largement relayé par les préfets dans nos territoires.
La presse économique titrait voilà quelques jours sur « l’énigme du plan France 2030 » pour souligner le désintérêt dont ce nouveau plan fait l’objet en raison de lourdeurs administratives et d’injonctions contradictoires. Nous entendons les mêmes antiennes dans nos territoires : « trop compliqué », « encore un plan de plus », « trop d’objectifs confus, « 2030, c’est loin »…
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, le peu d’engouement des acteurs économiques, à quelques exceptions près ? Au-delà du plan de relance, quelles solutions s’offrent aujourd’hui à la France pour renouer avec la compétitivité et le pouvoir d’achat ?
Avec un déficit public important, un déficit extérieur qui se creuse et des dépenses publiques très élevées, la France est un pays atypique au sein de la zone euro. Quel nouveau modèle de croissance durable devons-nous privilégier si nous voulons éviter tout ajustement brutal des salaires et des dépenses publiques qui pourrait se dessiner après l’élection présidentielle ?
En matière de politique monétaire et commerciale, la France et les pays du sud de l’Europe peuvent-ils encore échapper à un débat sur le rééquilibrage durable de la demande au sein de la zone euro ? Les pays en situation d’excédent commercial devraient accepter de relancer la demande de façon pérenne, mais nous savons que nos amis allemands ont malheureusement tendance à faire la sourde oreille…
La France profitera-t-elle de sa présidence de l’Union européenne, qui s’ouvre en janvier prochain, pour tenter de promouvoir une nouvelle donne et une relance de l’offre européenne ?
Monsieur le ministre, je souhaiterais enfin attirer votre attention sur une étude de l’Insee, publiée en septembre dernier, qui a révélé qu’une personne sur cinq en France était déjà en situation de pauvreté monétaire ou de privation matérielle et sociale en 2019, c’est-à-dire avant même la crise de la covid-19.
Entre 1986 et aujourd’hui, le nombre de repas servis par les Restos du Cœur a été multiplié par seize et la moitié des bénéficiaires ont malheureusement moins de vingt-cinq ans.
Face à ces réalités, la stratégie européenne From farm to Fork, qui impose de nouveaux critères environnementaux coûteux qui affectent la productivité de nos agriculteurs, n’orchestre-t-elle pas, finalement, une nouvelle perte de compétitivité agricole de l’Europe ? Ne va-t-elle pas à rebours des priorités de pouvoir d’achat de nos concitoyens et de la nécessité de nourrir la planète ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rejet de la première partie du projet de loi de finances nous a empêchés d’examiner certains crédits, comme ceux de la mission « Économie », du plan de relance ou encore des investissements d’avenirs. Le présent débat aurait alors trouvé toute sa place dans cette discussion et aurait pu se traduire en propositions d’amendements.
Le déclin économique de la France et ses inévitables conséquences sociales, dont le mouvement des gilets jaunes est l’exemple le plus prégnant de cette législature, est un vaste sujet. Les seules dernières années ne sauraient suffire à expliquer un phénomène qui s’étend sur plusieurs décennies et dont l’origine remonte à la fin des Trente Glorieuses, au milieu des années 1970.
Jusqu’à la fin des années 2000, la France occupait encore le quatrième ou cinquième rang des puissances économiques mondiales. Depuis une dizaine d’années, le déclassement semble s’être accéléré du fait des conséquences de la crise des années 2008 à 2010 en Europe et de l’émergence de nouveaux acteurs extra-européens, au premier rang desquels la Chine.
Il s’agit donc d’abord d’une perte de puissance relative. Nous sommes confrontés à l’affirmation d’autres puissances : poursuite du leadership technologique des États-Unis en ce début de XXIe siècle, dans des domaines comme le numérique, le spatial, les biotechnologies ; réaffirmation de la puissance allemande au cœur de l’Europe à la suite du grand élargissement de l’Union européenne vers l’Est ; et surtout, émergence spectaculaire de la Chine depuis deux décennies après son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec la construction de monopoles de fait dans la production de certains biens ou matériaux comme les terres rares. D’autres pays et régions du monde émergent en Asie, en Amérique latine ou encore au Moyen-Orient.
Nous assistons à une « désoccidentalisation » du monde comme conséquence ultime de la mondialisation, pour prendre le contrepied de l’expression de l’économiste Serge Latouche.
La mondialisation et la libéralisation des échanges ont eu des conséquences profondes sur la chaîne de production française. De pays exportateur net jusqu’au début des années 2000, nous sommes devenus massivement importateurs, à rebours de certains de nos voisins. Cette croissance, dite « fondée sur la consommation », se paye aujourd’hui comptant avec le renchérissement de produits énergétiques ou des matériaux de base, comme dans la construction, et un impact direct sur le pouvoir d’achat.
Le bouleversement économique lié à la pandémie n’a pas modifié cette réalité, alors que le déficit commercial s’est encore élevé à plus de 60 milliards d’euros en 2020. À l’inverse, la reprise de cette année et l’inflation qui s’ensuit révèlent les faiblesses de notre appareil productif et notre dépendance à l’extérieur.
Cela fait des années que certains experts ou responsables alertent sur la dégradation de la position économique de la France. Des efforts pour réhabiliter la production française auprès des consommateurs ont certes été réalisés – je pense, par exemple, au salon du made in France, qui s’est tenu voilà quelques jours à la porte de Versailles. Il faut reconnaître le caractère précurseur des idées défendues en son temps par l’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg.
On voit aujourd’hui combien notre dépendance se paye cher. Il nous faut retrouver notre souveraineté industrielle, alimentaire, pharmaceutique, même si cela doit coûter un peu plus cher. Dans le même temps, il faut augmenter les salaires les plus bas et revoir la réglementation des marchés publics. La seule loi de l’offre et de la demande n’apporte pas de réponse satisfaisante dans bien des domaines comme la santé, l’éducation ou encore l’agriculture.
Il faut en profiter pour mettre en place à nos frontières des taxes carbone, afin de rééquilibrer nos échanges internationaux, ainsi que des exigences en matière de normes sociales et environnementales, ce que certains ont pu appeler le « juste échange ».
Enfin, nous avons intérêt à davantage produire chez nous, ou près de chez nous, afin de nous prémunir du risque géopolitique et contribuer à la réindustrialisation de nos territoires et au développement des pays les plus proches, comme, par exemple, ceux du Maghreb.
Il est impératif que la France et l’Europe réinvestissent massivement dans les secteurs d’avenir. Est-il toujours acceptable et sûr que la plupart de nos microprocesseurs proviennent de Taïwan ou encore que nos médicaments soient de plus en plus fabriqués en Inde ? Pour cela, il faut aussi réinvestir massivement dans la recherche publique, trop délaissée au cours des dernières années.
Si nous ne travaillons pas ensemble sur ces enjeux, notre positionnement sur l’échiquier international va nous échapper. Il est donc temps, pour les différents candidats à l’élection présidentielle, d’établir une feuille de route claire pour redonner confiance aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Viviane Artigalas et Florence Blatrix Contat applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, Albert Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Pour des raisons différentes de celles de 1957, cette phrase garde, pour les générations d’aujourd’hui, toute sa force d’appel au devoir et à la responsabilité.
Je crois que l’on ne peut débattre utilement de la puissance économique de la France sans se poser la question de la place qui doit être la sienne dans la fin de la « civilisation du carbone » et ses conséquences.
C’est d’abord d’une trajectoire de transition de modèle, comprise par le plus grand nombre, dont nous avons urgemment besoin. La France ne peut ignorer « l’apparition ou l’irruption du terrestre dans notre Histoire », pour reprendre la belle idée de Bruno Latour.
Aujourd’hui, sous le triple effet de la réception des thèses écologistes dans l’opinion, des démarches scientifiques prédictives et des effets dévastateurs et bien concrets des pollutions et du réchauffement climatique, les prises de conscience progressent. Mais, au-delà des paroles, peu sont ceux qui donnent un contenu au projet global de transformation du système productif. De COP en COP, les constats désabusés se succèdent.
Pour autant, il serait injuste d’oublier ou de dénigrer les changements de stratégie engagés dans nombre d’entreprises françaises des secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, de l’agriculture, de l’énergie ou du recyclage, par exemple.
Dans la phase de « transition-coopération-compétition » qui a débuté entre les économies du monde, la France doit définir très rapidement sa stratégie.
En matière de justice sociale, elle doit transformer souverainement ses politiques pour être plus attractive, pourvoyeuse d’emplois utiles et bénéfiques à l’écoumène.
L’éducation générale et populaire, l’enseignement supérieur et la recherche, l’accueil des étudiants étrangers, la souveraineté numérique, la formation générale et professionnelle tout au long de la vie, la culture font partie de ces domaines ou processus qui feront le monde de demain et notre place dans le monde de demain.
Après la révolution du néolithique et la révolution industrielle, voilà respectivement 12 000 ans et 200 ans, l’ère de l’anthropocène, dans laquelle nous sommes entrés depuis des décennies, nous plonge dans la révolution de la durabilité.
Dans ce contexte d’urgence, l’avenir économique de la France, sa compétitivité, ses emplois, son modèle social et culturel passeront par sa capacité à changer de référentiel dans de nombreux domaines.
Changer de référentiel… Dans son ouvrage intitulé Durer, éléments pour la transformation du système productif, Pierre Caye, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), développe l’idée de la nécessité de construire la durée par la transformation de nos systèmes productifs, en mettant à son service le patrimoine et le capital – ainsi que la technique, la ville et l’architecture – et en faisant évoluer la notion de travail.
Sur le plan de la gouvernance et des institutions, il rappelle que transformer la richesse comptable en biens institutionnels et symboliques et constituer un patrimoine social pour l’ensemble de la société est la tâche que se fixe le régime républicain.
« La République est un dispositif d’accumulation du patrimoine matériel et symbolique pour lequel l’ensemble de la communauté s’organise, en république précisément, pour mieux le gérer et en assurer sa conservation.
« La notion de richesse doit être réinterrogée, une des tâches du politique étant de transformer les richesses matérielles et financières en biens juridiques, sociaux, culturels et symboliques.
« Aujourd’hui, on pioche dans le patrimoine institutionnel et social en précarisant les statuts, en fragilisant le droit du travail et en réduisant la protection sociale.
« Et dans les conditions actuelles, la croissance passe nécessairement par la désinstitutionalisation des sociétés à l’accélération de laquelle s’attache la gouvernance, avatar néolibéral du gouvernement des hommes.
« Or il n’y a pas de développement durable possible sans le renforcement du processus de patrimonialisation institutionnelle, sociale et symbolique.
« À travers la constitution de ce patrimoine, nos activités témoignent de leur capacité à construire de la durée.
« Et aucun membre de la communauté nationale, quel que soit son statut, ne doit être écarté de la construction de cette “durée” ! »
Comme l’écrit également Pierre Calame, dans Métamorphoses de la responsabilité et contrat social, « pour gérer une planète unique et fragile, il est nécessaire de se mettre d’accord à l’échelle mondiale sur des valeurs communes ».
La responsabilité doit s’imposer comme la « colonne vertébrale de l’éthique du XXIe siècle ».
La mise en œuvre d’un développement vraiment durable passe aussi, et nécessairement, par la transformation de la responsabilité pour répondre aux défis actuels.
C’est donc au prix d’une reconsidération du politique et de l’éthique que les générations actuelles et futures éviteront « que le monde se défasse » et que l’économie française trouvera la place et la contribution qui doivent être les siennes à l’ère de l’anthropocène.
Mme le président. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue.
M. Franck Montaugé. Là est aussi le message humaniste et universaliste que, par l’exemple, la France doit porter au monde entier. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux entamer ce débat en partageant avec vous une conviction : il n’y a pas de souveraineté nationale sans puissance économique. La prospérité, la croissance, la capacité à faire respecter nos choix de consommation nous permettent d’affirmer nos valeurs et de défendre notre identité.
C’est dire l’importance de ce débat, qui dépasse le strict champ de l’économie. Son intitulé nous invite à une forme de pessimisme, voire de « déclinisme » – nous nous y refusons !
Bien sûr, nous avons tous à l’esprit certains exemples qui nous invitent à établir un diagnostic assez sombre de la situation. Notre incapacité à produire un vaccin contre la covid, par exemple, a été un traumatisme au pays de Pasteur.
Toutefois, ce serait ignorer les preuves démontrant que la situation s’est améliorée au cours des dernières années. Ainsi, la France est devenue le premier pays d’Europe en matière d’investissements étrangers. Partout, dans nos territoires, des entreprises se créent qui inventent et développent les solutions de demain. Ne cédons pas à la facilité de l’autodénigrement.
Pour apprécier la perte de puissance économique de la France, il faut s’en remettre à des critères objectifs, tels que le produit intérieur brut. Or, si l’on regarde l’évolution du PIB sur le temps long, deux tendances se dégagent.
D’une part, la puissance économique de la France n’a cessé de croître depuis le premier choc pétrolier, à deux exceptions près : la crise financière de 2008 et la crise sanitaire actuelle
D’autre part, la contribution du PIB de la France au PIB mondial est passée de 6 % en 1975 à 3 % en 2020.
Autrement dit, si la puissance économique de la France diminue, c’est d’abord parce que la puissance économique d’autres pays, singulièrement en Asie, augmente. La perte de puissance de la France est donc relative.
Relative, certes, mais aussi indéniable : si l’Occident, de manière générale, a cédé du terrain à l’Orient, la France a moins bien résisté que d’autres à ce grand bouleversement.
Dans la même période de temps, le PIB du Royaume-Uni est ainsi passé de 4 % à 3 %, celui des États-Unis de 28 % à 25 %. Ces éléments de comparaison internationale démontrent une spécificité française, et pour cause : la puissance économique repose sur la compétitivité. Il ne suffit pas que le PIB croisse ; il faut qu’il croisse plus vite qu’il ne croît dans d’autres pays.
Nous aurions tort d’opposer compétitivité économique et progrès social, ou même, de façon plus caricaturale, entreprises et salariés. Nous devons garder à l’esprit que la prospérité de notre économie garantit la solidité de notre modèle social. Sans compétitivité, pas de solidarité possible.
Alors que des débats politiques importants nous attendent dans les prochains mois, je crois nécessaire de rappeler cette évidence : le renforcement de la compétitivité française est la clé de notre puissance économique. À cet égard, trois facteurs ont été déterminants ; ils le resteront dans les années à venir.
Premièrement, il faut poursuivre la baisse des prélèvements obligatoires. Le travail mené au cours des dernières années a été remarquable, avec 50 milliards d’euros de pression fiscale en moins, dont la moitié pour les entreprises.
La baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune ou encore la baisse des impôts de production sont des mesures qui vont dans le bon sens. Elles ont restauré l’attractivité de la France.
Deuxièmement, il faut bâtir un continuum d’innovation français, qui va de la recherche fondamentale au développement industriel. La réindustrialisation de la France doit investir les futurs domaines de l’excellence industrielle.
À cet égard, le plan France 2030, présenté par le Président de la République, ouvre des perspectives ambitieuses. Il faut s’assurer que la recherche puisse se convertir en innovations industrielles, car c’est souvent là que le bât blesse. C’est tout l’objectif de la mission d’information que notre groupe vient de lancer, sur l’initiative de ma collègue Vanina Paoli-Gagin.
Le dernier point découle logiquement des deux premiers : en améliorant la compétitivité du site France et en bâtissant les usines du futur, notre pays devra créer de l’emploi sur le territoire national à tous les niveaux de qualification afin d’améliorer, par notre outil industriel, la situation sociale et le pouvoir d’achat.
Mes chers collègues, je le redis, la souveraineté nationale passe par la puissance économique. Je sais que nous sommes nombreux ici à partager cette conviction. Toutefois, pour élaborer des propositions efficaces, nous aurions tort de noircir à l’excès le tableau. L’ambition politique ne se mesure pas à la gravité du constat.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en aborder les conséquences sociales, permettez-moi d’évoquer en premier lieu la perte de puissance économique de notre pays, fait générateur du débat qui nous est proposé aujourd’hui.
Quel jugement peut-on porter sur la France en tant que puissance économique en 2021 ?
Cette question renvoie inévitablement à la polémique insupportable entre des « déclinistes » à tendance masochiste et des optimistes béats, adeptes de la méthode Coué façon « argent magique » – si vous voyez ce que je veux dire. (M. Laurent Somon opine du chef en signe d’assentiment.)
Soyons clairs : le décrochage de l’économie française est malheureusement une triste réalité. Les Alstom, Pechiney, Saint-Gobain et autres Usinor, qui fleuraient bon les Trente Glorieuses, ont plutôt désormais des relents de Bérézina, Trafalgar ou Waterloo, selon que vous aurez le pied marin ou l’humeur « fantassine »… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Force est de constater, pourtant, que la France n’est pas à ce jour disqualifiée à la hauteur de ce que suggèrent ses plus ardents procureurs dans leurs réquisitoires.
Elle demeure en 2021, selon les analyses, la cinquième ou sixième économie mondiale au regard de son PIB. La France n’a donc pas encore quitté la cour des grands, mais elle est à deux doigts de le faire : ses dynamiques principales sont très mal orientées, ce qui est extrêmement préoccupant. L’un des pires marqueurs réside certainement dans le décrochage des parts de marché françaises à l’export : voilà plus de dix ans que la balance commerciale de la France est déficitaire.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation dégradée, mais la raison fondamentale réside avant tout dans la perte de compétitivité de notre pays et la faiblesse de sa stratégie à l’export. Qu’il s’agisse de spécialisation industrielle, d’orientation géographique des exportations ou de l’appareil productif, on constate une inadaptation à l’environnement, née de la globalisation économique.
Longtemps, la stratégie française fut d’abandonner les productions à faible valeur ajoutée et intensives en main-d’œuvre peu qualifiée pour se spécialiser dans les industries du savoir à forte valeur ajoutée.
L’un des postulats sous-jacents à cette stratégie était que les pays émergents, auxquels étaient laissées les activités à faible valeur ajoutée, resteraient cantonnés à ce rôle, dans un contexte d’entrée dans un monde post-industriel où la France pourrait faire preuve de son « génie » national et ainsi créer de la valeur.
C’était la mondialisation heureuse, les nouveaux marchés, les nouveaux débouchés, dont la start-up nation et les premiers de cordée sont les derniers avatars. La réalité est tout autre, avec des répercussions sociales particulièrement brutales.
La part de l’industrie manufacturière dans l’économie française a diminué de moitié, passant de 22,3 % à 11,2 %, et représente 3,1 millions d’emplois directs en France, quand l’Allemagne en compte 6 millions.
Conséquence sociale terrible, le taux de chômage augmente dangereusement et frappe prioritairement les jeunes. Il se maintient en France à 8,1 % au troisième trimestre 2021, contre 5,5 % en Allemagne sur la même période.
Livrée à une concurrence féroce, la France a vu sa classe moyenne se fragiliser et les inégalités se creuser dangereusement, pour en arriver au constat, triste mais réaliste, posé par Jérôme Fourquet dans L’archipel français.
Deux autres conséquences majeures sont la montée du séparatisme social et l’affaiblissement de la démocratie, au moment même où notre pays devrait être rassemblé pour affronter efficacement les multiples crises auxquelles il est confronté.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’une nation très ouverte à l’économie mondiale ne puisse être une démocratie moderne. Loin de là. L’État-nation doit être en capacité de maîtriser l’intensité de son ouverture économique pour ne pas nuire à ses compromis démocratiques et sociaux fondamentaux.
La mondialisation libérale et la libération de la finance ont profondément déréglé les équilibres planétaires. Il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement temporaire. Le capitalisme coexiste de plus en plus difficilement avec les nations démocratiques, ces communautés humaines pluriséculaires liées par une langue ou une histoire communes, et plus encore par la volonté de se gouverner elles-mêmes.
Par ailleurs, l’environnement administratif, légal, fiscal et social entrave la montée en puissance de la compétitivité française, sur laquelle pèsent trop de contraintes. Les approches comptable et bureaucratique à courte vue sont aussi mortifères que le capitalisme de la rente.
La France dispose pourtant d’immenses atouts. Plutôt que d’opposer systématiquement secteurs public et privé, il est grand temps de comprendre que c’est ensemble que nous pourrons surmonter les difficultés qui sont devant nous. Reste à en avoir la volonté réelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son ouvrage intitulé Le Pouvoir de la destruction créatrice, l’économiste Philippe Aghion considère que le nœud gordien de la relance verte est l’innovation. Je ne peux que partager une telle position.
L’économiste rappelle la nécessité d’un meilleur financement de notre recherche fondamentale. C’est notamment le rôle de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et je ne peux que saluer le renforcement historique des moyens qui lui sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2022, après une baisse de ses crédits d’intervention de 40 % entre 2009 et 2015. Mais cela suppose également de promouvoir une nouvelle culture du financement par le capital-risque pour encourager l’innovation entrepreneuriale.
En effet, comme je le rappelle dans mon rapport pour avis, initialement budgétaire, et transformé en rapport d’information, portant sur les crédits consacrés à la recherche, à l’enseignement supérieur et au spatial, les deux tiers de la recherche en France sont le fruit de l’investissement des entreprises.
À ce titre, je ne peux que regretter la suppression du doublement du crédit d’impôt recherche (CIR) destiné aux entreprises qui collaborent avec des organismes de recherche et déplorer la baisse de créances anticipée de 161 millions d’euros.
La recherche doit se tourner vers les innovations de rupture, par exemple dans les domaines de l’énergie, de la santé, du spatial ou de l’alimentation. Or de telles innovations impliquent un passage – difficile – de la recherche fondamentale au champ des applications.
La recherche partenariale est indispensable entre opérateurs publics et entreprises privées, en ce qu’elle permet de sécuriser des briques technologiques et de favoriser les transferts des acquis de la recherche fondamentale vers l’innovation et les applications industrielles.
Toutefois, l’innovation n’est pas forcément verte. C’est tout l’intérêt de l’intervention étatique, qui est en mesure de diriger cette recherche vers des innovations durables. Pensons à l’hydrogène vert, qui pourrait être produit par un nouveau nucléaire, bien plus économe en déchets, et qui pourrait constituer un levier de décarbonation des industries lourdes comme la sidérurgie.
C’est également en repensant la politique de la concurrence, adaptée à l’ère du digital, qu’il sera possible de relancer l’innovation, en remettant en cause des acteurs devenus hégémoniques qui inhibent l’innovation de leurs concurrents.
Dès lors, il est impératif d’arriver à rapatrier une partie de la production industrielle délocalisée. Il faut casser le cercle vicieux qui consiste à réduire nos émissions nationales par la désindustrialisation, tout en augmentant de 50 % nos émissions importées. Je pense notamment, dans mon département de Lot-et-Garonne, à l’industrie pharmaceutique.
Je salue ainsi la présentation du plan France 2030, qui agit sur les innovations de rupture tout en rappelant la nécessité d’assurer un cadre pérenne de financement de la recherche.
Enfin, je salue les objectifs de sécurisation de l’accès aux matériaux stratégiques tels que les terres rares, ainsi que la circularité accrue de la production au recyclage – je pense, notamment, aux indispensables batteries. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, système social obsolète, incapacité à mener des réformes, système d’innovation médiocre, dégradation de la compétitivité : ce tableau du décrochage de l’économie française est un point de vue.
Force est de constater que l’économie française n’est pas, à ce jour, disqualifiée à la hauteur de ce qui est suggéré par ses détracteurs. En termes de PIB, la France est toujours la sixième puissance mondiale. Elle demeure aussi le cinquième exportateur de biens et services. Est-ce à dire que la situation sociale est bonne et que le pouvoir d’achat des Français progresse ?
La période du covid-19 a démontré la capacité du pays à protéger son économie et à maintenir un niveau de revenus grâce au chômage partiel et au soutien inconditionnel des entreprises, certes rendu possible par le « quoi qu’il en coûte. »
Le visage de notre industrie a beaucoup changé avec les nouvelles technologies de l’information. Certains secteurs se renforcent, comme l’industrie agroalimentaire, premier employeur industriel du pays, qui contribue fortement à la dynamique de l’emploi. Malheureusement, la crise du covid-19 a révélé notre haut niveau de dépendance sur des produits déterminants pour notre activité et notre sécurité. Malgré la crise sanitaire, le pouvoir d’achat des Français aurait augmenté, selon Bruno Le Maire, de 1,5 point.
Ce dernier chiffre cache une autre réalité et de grandes disparités. Certains de nos concitoyens sont davantage exposés à la pauvreté : chômeurs, familles monoparentales, jeunes, retraités… La contrainte de plus en plus forte sur le budget des ménages les plus modestes est une hausse continue des dépenses dites préengagées : loyers, remboursement d’emprunt, abonnements, assurances… Selon France Stratégie, ces dépenses sont passées de 27 % de la dépense totale des ménages en 2001 à 32 % en 2017. En cette fin 2021, ces dépenses contraintes augmentent avec les prix de l’énergie : hausse de 16 % pour l’essence, de 6,3 % pour l’électricité, de 19,5 % pour les loyers. Les prix de l’alimentation flambent également.
Plusieurs tendances indiquent une précarisation des Français dans l’emploi. La France se distingue par la prévalence des contrats courts, qui représentaient 75 % des embauches en 2017. Et les chiffres ne se sont pas améliorés depuis. On observe également un rebond du travail indépendant, de l’ubérisation, avec une protection sociale lacunaire et une augmentation du nombre de travailleurs à faibles revenus.
Les inégalités se creusent en France : depuis 2018, les riches sont devenus plus riches, et les pauvres plus pauvres et plus précaires, faisant le yo-yo entre emploi et chômage. Le ruissellement attendu n’a pas eu lieu.
La baisse des allocations logement, la réforme de la fiscalité du capital et, désormais, la réforme de l’assurance chômage, contribuent à l’augmentation des écarts de niveau de vie entre Français.
La première parade pour lutter contre ces inégalités est de garantir au travailleur une juste rémunération, qui lui permette de vivre dignement, sans privation majeure. En 2019, 19 % des Français se percevaient comme pauvres contre 13 % en 2017.
La mutation industrielle doit se traduire par l’émergence d’une industrie tournée vers la transformation de notre société, au service du progrès social et écologique. Un plan de relance mieux ciblé sur les secteurs stratégiques eût été une belle opportunité, que votre Gouvernement n’a pas saisie.
Ce n’est que grâce aux transferts sociaux et fiscaux que le niveau de vie global a pu se maintenir. Cela se traduit par une forte augmentation du nombre des bénéficiaires de minima sociaux, en hausse de 30 % depuis 2008, ce qui a suscité un sentiment de déclassement chez une partie des Français.
Le système de redistribution protège, mais chacun aspire plutôt à recevoir une juste et digne rémunération de son travail. Notre pays dispose de la richesse suffisante pour permettre à nos concitoyennes et concitoyens de disposer des ressources nécessaires pour vivre dignement, grâce à une meilleure répartition des richesses.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Annie Le Houerou. Cela suppose une responsabilité sociale et environnementale engagée, par et dans les entreprises, …
Mme le président. Veuillez conclure !
Mme Annie Le Houerou. … indispensable pour garantir à long terme la cohésion de notre modèle de société. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. Mes chers collègues, même si vous ne dépassez votre temps de parole que de quelques secondes, en multipliant par le nombre d’intervenants, cela aboutira à de gros décalages. Merci de vous en tenir au temps qui vous est imparti, par respect pour vos collègues. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
La parole est à M. Laurent Duplomb, qui respectera certainement son temps de parole. (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons renvoie à la perte de puissance économique de la France, notamment en termes de compétitivité, et à ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat.
Je souhaite apporter trois éléments à la réflexion. L’agriculture étant, à mon avis, l’exemple le plus éclairant, j’évoquerai successivement les preuves, les causes et les conséquences des évolutions qu’on y observe.
Rien ne prouve mieux la perte de compétitivité de notre pays en matière agricole que la dégradation de sa balance commerciale : le déficit a doublé en dix ans et devrait s’aggraver encore dans les prochaines années.
Qui sait aujourd’hui que le déficit de la France agricole que nous avons connue, et qui a fait les grandes lignes de notre développement économique, s’élève, hors vins et spiritueux, à plus de 6 milliards d’euros ? Quelque 70 % de l’érosion de l’excédent agricole s’expliquent par un effet de compétitivité négative, entraînant une augmentation des importations. En restauration hors foyer, nous consommons entre 60 % et 80 % de viandes avicoles importées et 75 % de viandes bovines importées.
Quelles sont les causes du déclin de notre activité agricole, qui a fait la beauté et la qualité de la France ? La première, c’est le coût de la main-d’œuvre, qui a augmenté de plus de 58 % en dix ans. Il est aujourd’hui 1,5 fois plus élevé qu’en Allemagne, 1,7 fois plus élevé qu’en Espagne et de deux à trois fois plus élevé que chez nos concurrents des pays de l’Est. Nous sommes obligés de voter régulièrement des exonérations au bénéfice des travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (TO-DE) pour essayer de corriger ces écarts, qui entraînent petit à petit une diminution de notre production agricole. Nos coûts, par exemple, sont plus 50 % plus élevés que ceux de nos concurrents européens pour les fruits et légumes frais.
La deuxième cause est à trouver dans l’augmentation trop importante des charges. Nous estimons qu’elles sont en moyenne 7 % plus élevées en France que dans d’autres pays européens concurrents. C’est notamment le cas pour les engrais et les produits phytosanitaires.
Cette question relève de la loi : monsieur le ministre, une des grandes lois de votre gouvernement, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, a créé des contraintes supplémentaires pour nos agriculteurs et ajouté des charges. Ces derniers n’ont plus le droit de bénéficier de remises, de rabais et de ristournes sur les produits phytosanitaires. Ils se sont vus imposer la séparation du conseil et de la vente, ce qui a entraîné, de fait, une augmentation de leurs charges par rapport à leurs concurrents.
La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, venait encore ajouter une couche avec la création d’une taxe azote ! Heureusement, nous avons pu l’éviter alors que le prix de l’azote agricole a été multiplié par trois en moins de deux mois.
La troisième cause de la diminution de notre capacité à produire, ce sont les normes. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’OCDE : nous sommes le pays qui a cumulé le plus de normes agroécologiques. Nous en ajoutons tous les jours, par de la surtransposition normative. Je pense notamment à l’arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des autres insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, à l’interdiction des néonicotinoïdes qui, malgré tout, ont dû être autorisés sous peine de faire disparaître toute la production française de sucre, aux injonctions faites cette semaine par le Conseil d’État au Gouvernement sur les zones Natura 2000, au glyphosate, et j’en passe… (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
La quatrième cause est la fragilité de nos industries agroalimentaires. Avec des marges de plus en plus faibles, elles sont de moins en moins en capacité d’investir et se font de plus en plus dépasser par leurs concurrents européens.
Avant que mon temps de parole ne soit écoulé et que Mme la présidente ne me rappelle à l’ordre, je voudrais vous décrire les conséquences de ces évolutions.
Il s’agit d’abord la disparition de filières entières : qui veut manger des cerises aujourd’hui ne mange plus des cerises françaises, de la Loire, par exemple, mais des cerises turques ; qui veut manger des abricots ne les mange pas de la Drôme, mais d’un autre pays, comme le Maroc ou l’Espagne ; qui veut manger des pêches ou des poires mange pour moitié des fruits importés. Il n’y a plus de production de moutarde en France : même la moutarde de Dijon va disparaître, puisque les graines de moutarde viendront d’Inde.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Vient ensuite la baisse des exportations.
Mme le président. Il faut conclure, monsieur Duplomb !
M. Laurent Duplomb. Les chiffres sont tenaces : nos exportations de pommes sont passées de 700 000 à 360 000 tonnes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Laurent Somon.
M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance écrit, sur le bandeau de son dernier livre : « Et si la France allait mieux qu’elle ne le croit ? » Serait-ce une prophétie autoréalisatrice ?
Quatrième puissance économique par l’importance de son PIB en 1980, la France est aujourd’hui en cinquième position, derrière les États-Unis, le Japon et l’Allemagne, entre lesquels s’est intercalée la Chine. Si la France reste un pays riche en valeur absolue, elle chute à la 24e place si l’on divise le PIB par le nombre d’habitants.
Il ne s’agit pas ici de déterminer le sexe des anges, mais bien d’analyser les signaux qui nous démontrent, en valeur relative, que la France est sur une pente déclinante et de remédier à ce problème.
La population française diminue et vieillit. Notre jeunesse, en perte de confiance, éprouve des difficultés pour suivre des études supérieures et ne bénéficie plus de l’ascenseur social.
Les politiques familiales ont été déconstruites. Quant aux politiques éducatives pour la jeunesse, il faut arrêter de les réformer d’en haut pour les tirer vers le bas. Le déclassement est attesté par les documents du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), selon lequel la France est reléguée au 23e rang, sur 79 pays. Nous devons renouer avec une culture scientifique et technologique.
Les carences induites par notre désindustrialisation ont été cruellement révélées par la crise sanitaire : échec de la fabrication de vaccins, dépendance de nos industries pour l’approvisionnement en semi-conducteurs et dégradation continue de notre balance commerciale.
On constate depuis dix ans un abandon idéologique des secteurs d’excellence de notre économie, comme le nucléaire et l’agriculture.
Enfin, la politique de recherche et d’innovation aboutit à une stagnation dramatique de notre création, mesurée par la perte de rang dans le nombre de brevets déposés à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Nous étions quatrièmes en 2005, avec 6 108 brevets, sixièmes en 2019, avec 7 934 brevets, mais nous restons loin derrière les États-Unis et la Chine, qui déposent chaque année environ 58 000 brevets. Et l’écart se creuse, comme avec l’Allemagne ; pourtant, la propriété intellectuelle, reflet de la recherche et de l’innovation, joue un rôle de plus en plus central dans la concurrence au niveau mondial.
En ce qui concerne la recherche, la France est désormais treizième au classement mondial et septième dans l’Union européenne. Elle n’y consacre que 2,2 % de son PIB, là encore en décrochage par rapport aux grandes nations, qui y consacrent plus de 3 % du leur. Je pourrais citer d’autres chiffres comme ceux attestant de la baisse des crédits alloués à l’ANR…
Toutefois, je ne céderai pas à un pessimisme exagéré, conscient de l’attractivité de notre pays, qu’il faut conforter et que confirme, en sortie de crise, le Baromètre de l’attractivité de la France 2021 publié par Ernst&Young.
Déclin ou déclassement ? Oui, la France perd du terrain. Le taux de pauvreté, passé de 13,6 % en 2009 à 14,8 % aujourd’hui, en témoigne. Politique familiale, éducation, formation, innovation, réindustrialisation doivent être les champs de reconquête, dans un contexte européen privilégié.
Le frein majeur reste un État trop lourd, bureaucratique, qui retarde les projets et ne laisse pas assez de liberté aux chercheurs, aux entrepreneurs et aux territoires. Combien de projets ont échoué, comme nous pouvons le voir dans les Hauts-de-France, monsieur le ministre, face à la concurrence d’un pays voisin comme la Belgique, plus ouverte et offrant de meilleures conditions d’installation, ou à celle du Canada et des États-Unis pour nos jeunes chercheurs ?
La richesse ne ruisselle ni sur les ménages ni sur les territoires ; source d’inégalités, elle génère un sentiment d’appauvrissement et d’abandon.
Elle doit trouver une plus juste répartition avant et après production : avant, par la formation ; après, par une meilleure rémunération du travail, plutôt que de reposer sur un système social à bout de souffle, parmi les plus redistributifs, au prix d’un endettement massif et d’un poids des prélèvements obligatoires toujours plus élevé, à 47,4 % du PIB, soit le plus haut de l’Union européenne.
Pour reconquérir souveraineté et grandeur, comment accélérer notre croissance, assurer une répartition équitable de la richesse induite et rétablir en même temps les comptes de la Nation ? Récemment, le ministre déclarait : « La France est droguée à la dépense publique. »
Au-delà de la crise, qui a redonné corps à l’Union européenne, et au-delà de la solidarité de la BCE, on attend des actes tangibles de convergence réglementaire, sociale, fiscale, dans un marché intérieur rempart et atout dans la compétition mondiale, notamment dans certains secteurs, comme la recherche en santé, l’agriculture et l’écologie.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Somon. Ce sont sur les réformes structurelles dans ces domaines – je pense à l’État, aux retraites, à l’emploi, à l’école, à la formation et à la recherche – que les Français vous attendaient et vous attendent toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de la perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat.
Plutôt que d’une France en perte de vitesse, permettez-moi de parler aujourd’hui d’une France devenue, depuis 2019, le pays le plus attractif en Europe ; d’une France qui, à la sortie de la crise économique, enregistre le rebond le plus fort ; d’une France qui retrouve sa place parmi les économies les plus dynamiques en Europe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un constat : ces dernières décennies ont été marquées par une perte de compétitivité, par une désindustrialisation, par la destruction de l’appareil productif et par un chômage de masse. Toutefois, les dynamiques constatées depuis 2017 montrent que cette situation n’est pas une fatalité. Elles ont prouvé qu’une politique publique volontariste peut venir démentir ceux qui se complaisent dans le déclinisme.
La France a connu depuis 2017 une croissance plus importante que ses principaux partenaires européens. La compétitivité française s’est redressée, avec des coûts salariaux unitaires maîtrisés grâce aux baisses d’impôts et de charges mises en œuvre par le Gouvernement. Je pense à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, qui passera de 33,3 % à 25 % d’ici à 2022, se rapprochant ainsi du taux moyen de la zone euro. Je pense aussi à l’allégement pérenne des cotisations sociales patronales sur les bas salaires. Je pense enfin à la baisse des impôts de production, qui pèsent sur l’investissement des entreprises, en particulier dans l’industrie, d’un montant pérenne de 10 milliards d’euros à partir de 2021.
La situation du marché du travail a connu une amélioration continue, avec un taux de chômage de 8,1 % à la fin de l’année 2019, au plus bas depuis la crise de 2008. Ce dynamisme sur le marché de l’emploi se poursuit en sortie de crise sanitaire grâce à la protection inédite des entreprises et des salariés que nous avons mise en place. Le taux de chômage n’a pas augmenté. Il y a plus d’emplois aujourd’hui qu’avant la crise. Au total, un million d’emplois ont été créés depuis 2017.
Pendant le quinquennat, le dynamisme s’est accompagné d’une amélioration de la qualité de l’emploi, avec une augmentation de la part des CDI et une baisse des temps partiels. Le taux d’emploi en CDI des personnes âgées de 15 à 64 ans a augmenté de 1,3 point entre 2017 et 2021.
Pour permettre l’accès du plus grand nombre à un emploi tout en améliorant l’efficacité du marché du travail, le droit du travail a été simplifié. Les ordonnances de 2017 tendent à offrir plus d’égalité, de liberté et de sécurité, aux salariés comme aux entrepreneurs, en renforçant le dialogue social.
Pour faciliter la montée en compétence de tous les actifs, le système de formation professionnelle a été rénové et renforcé par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui réforme la formation continue et l’apprentissage.
Un effort tout particulier a été déployé en faveur du développement des compétences par la mobilisation de 15 milliards d’euros dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences. Fin 2020, plus d’un million de personnes éloignées de l’emploi ont déjà été formées.
En outre, les dispositifs de formation ont été renforcés par le plan France Relance, à autour de 3 milliards d’euros, via le dispositif Pro-A, qui vise à favoriser le maintien dans l’emploi des salariés les moins qualifiés par une formation en alternance, et le dispositif Transitions collectives, qui repose sur une mise en relation de l’offre et de la demande de compétences à l’échelon local.
Les mesures en faveur de l’apprentissage donnent déjà des résultats exceptionnels. Nous sommes en train de gagner cette bataille de l’apprentissage, avec plus de 500 000 apprentis en 2021, alors que nous en comptions moins de 280 000 en 2016.
Le redémarrage rapide de l’économie, à la sortie de la crise, a créé des tensions sur le marché de l’emploi, avec des difficultés de recrutement du côté des entreprises. Le plan de réduction des tensions de recrutement, dont l’enveloppe s’élève à 1,4 milliard d’euros pour 2021 et 2022, vise à pallier ces limites.
Alors que les entreprises font face à une pénurie de main-d’œuvre, la réforme de l’assurance chômage, qui sera finalisée d’ici à la fin de l’année, viendra compléter l’action du Gouvernement en faveur de l’emploi.
L’amélioration de la compétitivité de nos entreprises passe également par les investissements dans l’innovation et dans la recherche et développement.
L’investissement dans l’innovation a été et demeure une priorité. Au-delà de la reconduction des aides fiscales en faveur de l’innovation – je pense au crédit d’impôt recherche (CIR) et au régime des jeunes entreprises innovantes ou crédit d’impôt innovation –, nous avons lancé, au mois de janvier 2021, la quatrième vague du programme d’investissements d’avenir (PIA4), d’un montant de 20 milliards d’euros. Cette nouvelle édition du PIA va notamment permettre de financer les stratégies d’accélération et l’innovation de rupture, avec des objectifs technologiques précis et ambitieux.
La compétitivité de nos entreprises passera enfin par les nécessaires transformations numériques et écologiques. Nous investissons pour accompagner les entreprises françaises avec le plan France Relance, qui consacre 30 milliards d’euros aux enjeux de la transition écologique et soutient massivement la numérisation et la modernisation de l’appareil productif des PME.
Le plan d’investissement France 2030 complète et prolonge l’action du Gouvernement pour la reconquête industrielle en soutenant l’émergence de nouveaux champions innovants dans des secteurs porteurs. Ce plan, doté de 34 milliards d’euros, répond aux grands défis de notre temps, en particulier la transition écologique, à laquelle la moitié des crédits seront consacrés. Il cible dix filières stratégiques dans lesquelles nous avons l’ambition de faire émerger les futurs champions technologiques de demain. Il s’agit d’accompagner la transformation de nos secteurs d’excellence.
Une meilleure compétitivité de nos entreprises n’est pas envisageable sans un cadre réglementaire et administratif sécurisé et simplifié. Avec la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) et la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), nous avons fait un pas important vers un meilleur cadre juridique pour nos entreprises. Le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, que j’ai eu la chance de présenter devant le Sénat voilà quelques semaines, s’inscrit dans la continuité de ces textes.
Au-delà de ces mesures transversales, le Gouvernement a mis la réindustrialisation de notre économie au cœur de son action, puisque l’industrie est indispensable pour notre souveraineté, pour la résilience de notre économie et pour la vitalité de nos territoires. Ainsi, 35 milliards d’euros sont aujourd’hui mobilisés en faveur de l’industrie dans le cadre de France Relance. Ce secteur est aussi au cœur du plan France 2030. Ce choix s’appuie sur une conviction profonde : celle de la nécessité d’avoir un secteur productif fort pour faire face aux défis de la mondialisation et aux transitions du monde de demain.
Vous le voyez, depuis 2017, le Gouvernement n’a eu de cesse d’œuvrer pour améliorer la compétitivité et la résilience de notre économie et pour remettre la France sur les rails d’une croissance forte et durable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique économique ambitieuse du Gouvernement s’est accompagnée d’une action forte en faveur du pouvoir d’achat des Français et de la lutte pour l’égalité des chances.
Pour que le travail paye mieux et soit rémunéré à sa juste valeur, le Gouvernement a pris plusieurs mesures visant à diminuer les prélèvements qui pèsent sur le travail, à encourager l’activité et à soutenir le pouvoir d’achat. La revalorisation de la prime d’activité de 100 euros au niveau du SMIC, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, dite prime Macron, qui peut être versée jusqu’au début de l’année 2022, la réduction de l’impôt sur le revenu des classes moyennes, l’exonération des heures supplémentaires de cotisations salariales et d’impôt sur le revenu, ainsi que les mesures en faveur du développement de l’intéressement et de la participation permettent que le travail paye mieux. La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour tous les contribuables complète ces mesures de justice et de pouvoir d’achat.
Pour lutter contre les inégalités de destin, des dispositifs se concentrant sur l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi ont été renforcés, notamment pour les jeunes, avec le plan « 1 jeune, 1 solution » et la mise en place dans les prochains mois du contrat d’engagement jeune.
Des mesures importantes ont également été mises en œuvre pour soutenir les plus vulnérables dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, avec la revalorisation de minima sociaux ou la réforme 100 % santé.
Le soutien aux plus précaires a été un axe fort de la gestion de la crise, avec la prolongation des revenus de remplacement, tels que le revenu de solidarité active (RSA), et le versement d’allocations exceptionnelles. Il s’est prolongé au sein de France Relance avec la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire et le soutien aux associations luttant contre la pauvreté.
Par ailleurs, pour protéger les Français face à la hausse des prix, une indemnité inflation de 100 euros sera versée en fin d’année et en début d’année prochaine à environ 38 millions de Français, dont les revenus sont inférieurs à 2 000 euros net par mois. Les prix du gaz seront gelés à partir du mois d’octobre, et ce jusqu’à la fin de l’année 2022. La hausse des tarifs réglementés de l’électricité sera limitée à 4 % au mois de février 2022, via le levier de la fiscalité, contre une hausse initialement attendue de plus de 15,7 % à cet horizon.
En définitive, le pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages a progressé de manière continue depuis 2017, de 8 % en moyenne sur le quinquennat. Les Français, à tous les niveaux de revenus, ont bénéficié des mesures fiscales et sociales du quinquennat. Ceux qui ont le plus gagné, ce sont les Français qui travaillent et qui aspirent légitimement à vivre dignement de leur travail. Un salarié au SMIC peut ainsi gagner 170 euros de plus par mois grâce aux mesures que nous avons mises en place.
Mesdames, messieurs les sénateurs, aujourd’hui, nos résultats économiques sont là : une prévision de croissance de 6,25 % pour l’année 2021 et de 4 % pour l’année 2022.
M. Laurent Duplomb. Et 3 000 milliards d’euros de dette publique !
M. Alain Griset, ministre délégué. Ces résultats économiques proviennent d’abord du travail de fond que nous avons engagé depuis le début du quinquennat, mais aussi de notre stratégie du « quoi qu’il en coûte » pendant la crise (M. Laurent Duplomb s’exclame.), qui a permis de préserver le tissu économique. Ils proviennent enfin de notre stratégie d’investissement, avec le plan France Relance, dont le déploiement avance rapidement, et le plan France 2030, qui sera mis en œuvre dès le début 2022.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
J’invite chacune et chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, l’industrie automobile a-t-elle un avenir dans notre pays ?
Depuis dix ans, 100 000 emplois ont disparu dans l’ensemble de la filière. Les raisons sont connues : délocalisations, pratiques de dumping social, approvisionnement dans les pays à bas coût, abandon de la production des petits modèles…
L’Observatoire de la métallurgie pointe le risque de perdre encore 50 % des emplois d’ici à 2035. Avec la fin du moteur thermique, les secteurs des fonderies ou des composants diesel, par exemple, vont décliner rapidement. Que faire pour éviter les drames économiques et sociaux, alors que le développement de l’électromobilité ne pourra compenser entièrement le phénomène ?
Il est temps de définir une voie stratégique de décarbonation du secteur tout en favorisant la création d’activités industrielles et d’emplois pérennes. C’était, voilà quelques mois, la préconisation du rapport de la Fondation Nicolas-Hulot (FNH) et de la CFDT. C’est ce qu’entendent faire concrètement nos voisins allemands qui s’engagent, dans le contrat de coalition, à accélérer et soutenir fortement la transformation de la filière automobile afin d’atteindre les objectifs climatiques tout en préservant les emplois et la valeur ajoutée.
Pour limiter les pertes d’emplois, il s’agit de miser sur le développement de filières durables, d’engager des investissements importants, non seulement dans la transformation des outils de production et de distribution, mais également dans les formations et les reconversions. Seule la transition écologique accélérée du secteur automobile le permettra. Le dialogue social, industriel et sociétal doit converger sur les conditions d’un scénario positif pour l’emploi et le climat.
Le Gouvernement est-il résolu à engager une telle démarche de transformation de la filière automobile ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le sénateur Fernique, les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles au quotidien. Dans ce combat, l’industrie a un double rôle à jouer : d’une part, en décarbonant ses procédés ; d’autre part, en mettant au point les solutions décarbonées de demain.
Afin d’atteindre notre objectif de réduction des gaz à effet de serre, l’État a mobilisé, dans le cadre de France Relance, 1,2 milliard d’euros pour soutenir et accompagner la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur industriel. Au total, les dispositifs mis en place soutiennent d’ores et déjà 141 projets représentant 2 milliards d’euros d’investissement et 758 millions d’euros d’aides.
La transition rapide du parc automobile français vers l’électrique et l’hydrogène est nécessaire pour les générations futures, mais elle représente un défi sans précédent pour la filière automobile française.
La transition électrique conduira nécessairement à des restructurations dans les secteurs les plus affectés. Par ailleurs, le risque de recomposition des chaînes de valeur à l’échelle mondiale, au détriment de la France et de l’Europe, existe bel et bien, menaçant nos emplois et nos savoir-faire. C’est ce qui a failli arriver dans le secteur des batteries.
Les évolutions réglementaires à venir – je pense à la norme Euro 7, au paquet Fit for 55, avec l’arrêt envisagé des moteurs thermiques en 2035 – pour réduire nos émissions de CO2 vont, de leur côté, accélérer cette transition.
Enfin, le consommateur se détournera de la voiture si l’industrie ne démontre pas que ses effets néfastes sur la planète peuvent être réduits.
Face à de telles transitions, le soutien à l’industrie et à la filière automobile a été une constante de ce quinquennat. Le plan diesel a permis d’enclencher une reconversion de ces filières industrielles avec des dispositifs d’accompagnement des salariés et de soutien à la diversification.
Mme le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Alain Griset, ministre délégué. Le plan automobile de France Relance a permis de renforcer l’accès aux financements.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. À mon sens, les inflexions en faveur de l’automobile dans le plan de relance et dans France 2030 sont loin d’être suffisamment claires et suffisamment conditionnées. Elles ne sont pas à la hauteur. Il me paraît nécessaire d’anticiper dès maintenant les exigences de sobriété et de décarbonation, qui sont les clés de la compétitivité.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Plutôt que de la « puissance économique » de la France, mieux vaudrait débattre de sa souveraineté économique et de sa capacité à projeter une économie décarbonée. Voilà nos deux grands enjeux.
Or, monsieur le ministre, en dépit des discours sur la compétitivité et autres, la désindustrialisation de la France a été constante et forte. Elle avait commencé avant que M. Macron devienne Président de la République ; elle se poursuit aujourd’hui, avec une baisse de l’emploi industriel. Et quand on entend vos réponses sur l’automobile, on peut craindre que tout cela ne fasse que croître et s’aggraver.
Force est de constater que les méthodes générales – je pense aux baisses de cotisations, aux aides publiques non ciblées ou aux politiques de « coup par coup » –, même si elles peuvent être intéressantes dans le cadre de France Relance, ne suffisent pas. Nous avons besoin de stratégies de filière, de plans de filière négociés entre industriels, syndicalistes et puissances publiques, nationales et régionales, pour définir des caps, des objectifs, et cibler les moyens adossés à ces objectifs.
Ce serait alors l’occasion de découvrir que les 34 milliards d’euros que vous mettez sur un certain nombre de secteurs sont dérisoires au regard des défis auxquels nous allons devoir faire face ! On fait comme si on allait réindustrialiser, et on ne le fait pas !
Pourquoi des plans de filière ? Pour ne pas laisser mourir les entreprises d’aujourd’hui au motif qu’il y en aurait d’autres demain. Ces entreprises doivent muter et être accompagnées. On ne peut accepter que les sous-traitants automobiles disparaissent.
Vous parlez de la compétitivité et de l’attractivité de la France. Si cela signifie s’ouvrir à du capital étranger qui va se « barrer » deux ou trois ans après avoir racheté une entreprise et accumulé les aides publiques et les profits, je ne vois là rien d’attractif !
Le Gouvernement est-il décidé à mener une politique ambitieuse du made in France pour réindustrialiser le pays ? Est-il décidé à conduire des politiques de filières et, en même temps, à redonner confiance à notre jeunesse dans les emplois industriels – ingénieurs, formation, recherche, ouvriers ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la ministre, comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, ces dernières décennies ont effectivement été marquées par une perte de compétitivité, par une désindustrialisation, par la destruction de l’appareil productif et par un chômage de masse.
Chaque fermeture d’entreprise est une épreuve très dure pour les salariés, pour leur famille et pour tous ceux qui, depuis des années, travaillent sur ces sites industriels.
Depuis 2017, l’engagement du Gouvernement en faveur de la réindustrialisation est constant. L’État se tiendra toujours aux côtés des salariés pour faire en sorte qu’ils puissent garder leur emploi, pour faire valoir leurs compétences, qui sont exceptionnelles, et pour développer la formation.
Le développement du bassin d’emploi doit offrir des perspectives à chacun : aux salariés et à leur famille.
Par ailleurs, nous ferons tout notre possible pour débloquer les fonds nécessaires et accompagner les sites industriels en difficulté.
Une enveloppe de 50 millions d’euros est disponible pour permettre à chaque salarié de bénéficier, selon ses besoins, d’une aide à la formation, d’une aide à la création d’entreprise et d’une aide à la mobilité, pour un montant maximum de 15 000 euros, et d’une aide à la mobilité géographique – jusqu’à 5 000 euros – dans le cadre de la recherche d’emploi.
Mme Michelle Gréaume. Et après ?
M. Alain Griset, ministre délégué. Chaque salarié aura droit à l’ensemble de ces enveloppes afin de trouver la solution qui lui correspond.
Nous ne souhaitons pas effacer les traditions ni la mémoire ouvrière d’un revers de main. C’est la raison pour laquelle nous devons attirer de nouveaux industriels et de nouveaux projets. Le Gouvernement y travaille quotidiennement, aux côtés des syndicats, des élus locaux et de tous les acteurs économiques.
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le ministre, ma question se situe à la jonction des champs économique et sanitaire.
Depuis plus d’un an et demi, la crise sanitaire de la covid-19 a mis en lumière la perte de puissance économique et de souveraineté de notre pays dans le domaine de la santé.
Souvenons-nous : pas assez de masques, car plus de fabricants sur le territoire national – le temps de s’approvisionner, le Gouvernement a alors laissé entendre que le masque n’avait pas d’intérêt sanitaire… Pas assez de respirateurs non plus, car un seul fabricant était encore en activité sur le territoire national. Et pas assez de curare, faute, là encore, de fabricant…
Ces pénuries ont ajouté de la tension à la tension, dans un secteur hospitalier qui n’en avait pas besoin, au plus fort de la première vague. Elles ont surtout suscité une perte de confiance de la population dans la capacité de l’État et de nos dirigeants à protéger les Français.
Ce phénomène était déjà une malheureuse réalité, en raison de pénuries de plus en plus fréquentes. Je pense notamment aux médicaments contre le cancer qui, eux aussi, ne sont plus produits sur le territoire national et qui arrivent au compte-gouttes dans les pharmacies des hôpitaux. Les conséquences sanitaires sont encore assez peu chiffrées, mais la Ligue contre le cancer estime que ces pénuries réduisent de 75 % les chances de guérison des malades.
Un grand pays comme le nôtre ne peut accepter une telle situation. La perte de puissance économique de la France dans le domaine médical est une triste réalité. Comment le pays de Pasteur a-t-il pu en arriver là ?
Bien évidemment, le Gouvernement n’en porte pas l’entière responsabilité : cette situation est le fruit d’un mouvement de fond, à l’œuvre depuis une trentaine d’années. Quelles mesures entendez-vous prendre, monsieur le ministre, pour enrayer enfin la perte de puissance économique de la France dans le domaine médical aux conséquences sanitaires et sociales catastrophiques ? Il y a urgence ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le sénateur Levi, la crise sanitaire a mis au grand jour notre dépendance vis-à-vis de l’étranger pour nous approvisionner en produits de santé.
Comme ses voisins européens, la France a souffert de l’éloignement des sites de production. Le Gouvernement a donc décidé de faire de la santé l’industrie la plus souveraine et la plus innovante en Europe.
Tout d’abord, nous avons tout mis en œuvre pour soutenir les projets industriels participant à la lutte contre la covid-19. Dès le printemps 2020, nous avons identifié et soutenu les entreprises susceptibles de produire les traitements et vaccins en France. C’est grâce à cette anticipation et à la mobilisation des industriels que plus de 150 millions de doses sont sorties des lignes de production françaises en 2021.
En juin 2020, nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt pour renforcer nos capacités de production de médicaments, de traitements, de vaccins ou de composants utiles dans la prise en charge des patients atteints de la covid-19.
Enfin, en septembre 2020, nous avons lancé le plan France Relance, au sein duquel la santé occupe une place centrale. L’objectif est de soutenir l’investissement et la modernisation des industries de santé et de relocaliser les productions.
Le plan Innovation Santé 2030, annoncé par le Président de la République en juin dernier, et repris dans le plan France 2030, tire les leçons de la crise sanitaire et fixe la nouvelle ambition de la France : devenir la première nation européenne en matière d’innovation et de souveraineté dans la santé. Doté de 7,5 milliards d’euros, ce plan consacre de nouveaux moyens à la recherche fondamentale d’excellence pour alimenter l’innovation.
Ces actions complètent celles déjà mises en place depuis le début du quinquennat en vue d’améliorer l’attractivité de la France et la compétitivité de nos entreprises : baisse des impôts de production, réduction de l’impôt sur les sociétés, stabilisation du crédit d’impôt recherche…
Mme le président. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Monsieur le ministre, le thème de ce débat étant très vaste, j’aborderai une question plus spécifique, mais en prise directe avec l’actualité : celle de la hausse spectaculaire du prix des carburants sur l’ensemble du territoire.
À ce jour, le prix du gazole atteint 1,57 euro quand celui du sans plomb a dépassé, pendant quatre semaines, 1,63 euro. Ces niveaux sont historiques. Pour mémoire, en octobre 2018, à la veille du déclenchement du mouvement des gilets jaunes, ces prix avaient atteint respectivement 1,55 et 1,58 euro.
Cette hausse entraîne des conséquences particulièrement fortes dans les territoires ruraux, voire hyper-ruraux, où la voiture est essentielle pour accéder aux services publics, pour se rendre à un rendez-vous professionnel ou administratif, par exemple, ou pour recevoir des services spécifiques – je pense notamment aux personnes âgées ou dépendantes.
Ainsi, en Lozère, il faut souvent faire une ou deux heures de route pour se rendre à l’hôpital ou même à la maternité la plus proche.
En 2018, alors qu’émergeait le mouvement des gilets jaunes, mon groupe avait déjà proposé un dispositif de minoration de la taxe sur les produits énergétiques dans les départements les plus ruraux. Cette problématique reste d’actualité, alors que la reprise économique entraîne le retour d’une inflation, inédite depuis plusieurs années, sur nombre de produits.
Monsieur le ministre, au-delà de la très médiatique mesure d’indemnité inflation que nous avons examinée en projet de loi de finances rectificative voilà quelques jours, quelles autres mesures concrètes peuvent être mises en œuvre afin de soutenir le pouvoir d’achat des habitants des territoires hyper-ruraux ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la sénatrice Pantel, comme vous l’avez souligné, les Français sont préoccupés par l’inflation et par leur pouvoir d’achat.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a pris plusieurs mesures pour rémunérer le travail à sa juste valeur et pour renforcer le pouvoir d’achat des Français. Je pense à la revalorisation de la prime d’activité de 100 euros au niveau du SMIC, à la mise en place de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, qui peut être versée jusqu’au début de l’année 2022, à la réduction de l’impôt sur le revenu des classes moyennes ou encore à la suppression de la taxe d’habitation.
Compte tenu de l’évolution de la situation et de la hausse des prix, nous avons réagi, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, en augmentant de 100 euros le chèque énergie, d’un montant initial de 150 euros, dont bénéficient chaque année 6 millions de ménages.
Par ailleurs, nous mettrons en place, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021, une indemnité inflation de 100 euros pour 38 millions de Français.
Enfin, nous proposons de mettre en place un bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité.
Le pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages a progressé de façon continue depuis 2017 et, comme je l’indiquais voilà quelques instants, de 8 % en moyenne sur le quinquennat. Quel que soit leur niveau de revenu, les Français ont bénéficié des mesures fiscales et sociales de ce quinquennat. Un salarié au SMIC peut ainsi gagner 170 euros de plus par mois.
Le maintien de services publics de qualité sur l’ensemble du territoire, en particulier dans les territoires ruraux, est l’une des priorités du Président de la République depuis 2017. Avec le réseau France Services, que conduit Jacqueline Gourault, le Gouvernement fait en sorte que chaque Français ait accès à un point de contact physique et humain à moins de trente minutes de chez lui.
Mme le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le ministre, la perte de puissance économique de notre pays est mesurable objectivement au travers des résultats du commerce extérieur de la France, qui affiche un déficit de 68 milliards d’euros sur douze mois quand l’Allemagne connaît un excédent de 215 milliards.
La base industrielle de nos exportations s’est peu à peu atrophiée pour ne plus reposer que sur quelques piliers – aéronautique, armement, industries du luxe… –, dont certains sont aujourd’hui en grande difficulté.
Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, l’attractivité de notre pays est pourtant indéniable si l’on prend comme indicateur les investissements étrangers en France, notamment en raison de la qualité de notre main-d’œuvre et de sa productivité.
En revanche, ni l’approche financière ni l’idée d’un retour rapide sur investissement ne fondent une stratégie économique de moyen et de long terme.
Je rejoins mon collègue Franck Montaugé, lorsqu’il évoque la nécessité d’une montée en gamme de nos produits et services, dans une démarche de développement durable et décarboné, pour tous les secteurs.
Il faut aussi affirmer une volonté d’autonomie, voire d’indépendance stratégique, française et européenne forte, en particulier dans le domaine du numérique, qui transforme nos économies. Le retrait de Scaleway du projet Gaïa-X traduit l’échec d’un cloud vraiment européen. En France, l’idée d’un cloud souverain a été abandonnée et nous voilà désormais réduits à un cloud de confiance, qui repose sur une base technologique largement Gafam.
Il ne suffit pas de financer des start-up, encore faut-il permettre aux infrastructures numériques et aux acteurs concernés de se développer.
Monsieur le ministre, le Gouvernement entend-il s’engager réellement dans une stratégie de souveraineté numérique avec les acteurs européens et réduire, par là même, sa dépendance ? Comment compte-t-il mobiliser les acteurs économiques privés concernés ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Madame la sénatrice Blatrix Contat, l’autonomie stratégique dans le domaine du numérique est un enjeu majeur du XXIe siècle. L’autonomie de la France et de l’Union européenne dans un monde de plus en plus digitalisé dépendra de plusieurs capacités clés.
Premièrement, de notre capacité à maîtriser les technologies critiques du numérique d’aujourd’hui, comme le cloud et l’intelligence artificielle, ou de demain, comme le calcul quantique.
Dans cette perspective, nous avons lancé de nombreuses stratégies d’innovation : quantique pour 1,8 milliard d’euros, intelligence artificielle pour 2 milliards d’euros, cloud pour 2 milliards d’euros et cybersécurité pour 800 millions d’euros. En outre, le plan France 2030 viendra renforcer nos capacités de développement dans les secteurs stratégiques.
Deuxièmement, de notre capacité à assurer la protection des données sensibles et personnelles, par un haut degré à la fois de sécurité technique et de résilience aux attaques. C’est tout l’enjeu de la cybersécurité, qui doit nous prémunir juridiquement contre les tentatives d’accès aux données, orchestrées par des acteurs étrangers se prévalant de lois extraterritoriales.
Dans cet esprit, nous avons lancé cette année une stratégie nationale pour la cybersécurité ainsi que le label SecNumCloud, qui vise à garantir un haut niveau de protection par des offres de services cloud de confiance.
Troisièmement, de notre capacité à assurer une concurrence loyale et équitable entre les acteurs européens et non européens, entre grandes plateformes et petits acteurs innovants. C’est tout le sens de l’action de la France, qui milite sans relâche pour un marché du numérique régulé et harmonisé à l’échelon européen.
Avec l’adoption, ces derniers jours, du Digital Markets Act (DMA) par le Conseil européen, nous avons franchi une étape majeure dans cette direction.
Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le ministre, la puissance économique d’un pays se mesure aussi à sa capacité à sécuriser ses débouchés à l’extérieur, notamment dans des secteurs aussi sensibles que la défense ou l’armement. Cela est encore plus vrai dans un monde complexe et multipolaire où de nouvelles puissances émergent et où les relations de confiance s’effritent.
Nous en avons malheureusement fait les frais, en septembre dernier, quand l’Australie a unilatéralement décidé de rompre le contrat qui la liait à la France pour la fourniture de sous-marins nucléaires à hauteur de 55 milliards d’euros.
Les exemples sont légion et nous incitent à renforcer notre intelligence économique au-delà de nos frontières. Les États-Unis, la Chine, la Russie et tant d’autres sont à l’offensive pour conquérir des marchés hors de leurs frontières et structurer les filières industrielles sur leur territoire.
Nous devons faire preuve de réalisme et user de notre influence pour enlever ces marchés, car ces luttes d’influence menacent la puissance économique de la France non seulement en nous privant de précieux contrats et de retombées importantes en matière d’emploi, d’investissements et de projets, mais aussi en soulignant notre manque de réalisme face aux puissances étrangères. Là où d’autres pays, comme l’Allemagne, par exemple, chassent en meute, la France ne joue pas assez collectif.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il faire gagner l’équipe de France à l’extérieur ? Comment, au travers des marchés publics, aider nos pépites technologiques à devenir des licornes, et surtout des géants industriels de classe mondiale ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le sénateur Wattebled, le combat de la France pour rétablir sa balance commerciale doit reposer sur trois piliers.
Premièrement, il faut renforcer l’attractivité et la compétitivité de notre économie. Nous nous y employons en baissant l’impôt sur les sociétés et les impôts de production, en réduisant les charges sur les bas salaires, en menant des chantiers de simplification administrative, en formant de nouvelles compétences ou encore en réformant le droit du travail. Et ces efforts paient : la France est devenue le pays européen le plus attractif en matière d’investissements étrangers.
Deuxièmement, le principe de réciprocité doit s’appliquer à nos partenaires commerciaux. Il est inacceptable que des géants du numérique paient beaucoup moins d’impôts que nos ETI et PME, qu’une entreprise étrangère puisse bénéficier de subventions massives dans son pays pour ensuite gagner des parts de marché en Europe, qu’un État étranger puisse fermer ses marchés publics à nos entreprises, tout en ayant accès aux nôtres.
Le Gouvernement se bat pour obtenir une réforme de la fiscalité internationale et soutient les initiatives européennes comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou le projet de règlement sur les subventions étrangères ou en faveur de la réciprocité dans les accès aux marchés publics.
Enfin, en ce qui concerne la protection du patrimoine industriel français, critique pour la sécurité nationale, le Gouvernement a renforcé à plusieurs reprises le contrôle des investissements étrangers en France. D’abord, en élargissant, dans la loi Pacte, les secteurs qui y sont soumis ; ensuite, en abaissant de 25 % à 10 %, de manière temporaire, le seuil de détention déclenchant le contrôle des investissements.
Monsieur le sénateur, les marchés publics, comme vous le savez, sont encadrés par des normes françaises et européennes. Les pouvoirs publics doivent recourir au prestataire le plus performant et le moins coûteux, indépendamment de sa nationalité. En revanche, si les conditions de concurrence et de réciprocité ne sont pas garanties, alors nous devons intervenir. C’est par la réciprocité que nous parviendrons à soutenir nos industries et à redresser notre balance commerciale, pas par le protectionnisme.
En conclusion, la puissance économique de la France passe par un commerce extérieur fort, lequel doit reposer sur l’attractivité du territoire et sur la réciprocité dans les échanges.
Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.
M. Dany Wattebled. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
J’insiste sur la vigilance économique qu’il convient d’exercer à l’endroit de nos start-up : Valneva a rejoint l’Angleterre pour bénéficier de fonds britanniques. Trop souvent, notre recherche part à l’étranger, car nous n’arrivons pas à passer le cap industriel.
Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial.
M. Édouard Courtial. Monsieur le ministre, les difficultés financières que notre pays traverse, en partie consécutives à la pandémie, mettent en exergue certaines failles persistantes de notre économie, qui ont des conséquences sur le financement de la protection sociale et sur l’amélioration du pouvoir d’achat.
Je pense notamment au déficit commercial, qui atteint des niveaux record et affecte fortement nos perspectives. À titre de comparaison, l’Allemagne devrait connaître, dans le même temps, une balance commerciale largement excédentaire d’environ 210 milliards d’euros sur douze mois. En 2021, les exportations françaises devraient avoisiner 470 milliards d’euros contre près de 1 300 milliards d’euros pour les exportations allemandes, soit un écart de 177 % alors que la différence de PIB entre nos deux pays n’est que de 34 %.
Certes, nos économies sont différentes, mais cette situation nous enseigne qu’il faut agir sur trois leviers.
Tout d’abord, pour vendre plus, il faut produire davantage. Notre voisin d’outre-Rhin peut ainsi s’appuyer sur un formidable tissu de PME, à la fois dynamique, résilient et technologique. Si des mesures ont été prises pour rendre nos entreprises plus compétitives, il faut aller encore plus loin.
Ensuite, pour vendre plus, il faut conquérir les marchés là où ils se trouvent, en étant au plus près de la demande. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur notre formidable réseau diplomatique et sur la diaspora, dont j’ai pu mesurer les atouts et le dynamisme lorsque j’étais en charge des Français de l’étranger au ministère des affaires étrangères. Mais cela implique aussi d’augmenter les moyens alloués à ces politiques.
Enfin, pour vendre plus, il faut mettre en place une synergie commune à l’échelle européenne et en finir avec une certaine naïveté de l’Union européenne en matière commerciale, notamment en imposant avec plus de fermeté une réciprocité des normes. La présidence française de l’Union européenne, qui débute dans quelques semaines, est une opportunité pour marquer une rupture.
Monsieur le ministre, allez-vous agir sur ce triptyque pour inverser la tendance dangereuse que j’évoquais au début de mon propos ?
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, le déficit commercial de la France s’élevait en 2020 à 43,5 milliards d’euros.
La question de l’amélioration de la balance commerciale va de pair avec celles de la réindustrialisation des territoires, de la compétitivité des entreprises exportatrices, de l’orientation géographique de nos échanges ou encore de la montée en gamme de nos exportations.
Sur ces problématiques, permettez-moi de rappeler l’action déterminée du Gouvernement, en particulier au travers du volet compétitivité du plan France Relance, d’un montant de 34 milliards d’euros, ou encore du plan d’investissement France 2030, qui ont pour objectif de faire émerger les champions français à l’international dans les secteurs d’avenir.
Par ailleurs, nous mobilisons déjà les Français de l’étranger en faveur de notre économie. C’est notamment le rôle des conseillers du commerce extérieur de la France, dirigeants et hauts cadres d’entreprises qui appuient les actions de développement international des entreprises, notamment les PME.
Les Français de l’étranger sont également très actifs à travers leurs réseaux locaux, en particulier les chambres de commerce et d’industrie locales, qui jouent un rôle de relais dans 96 pays du monde avec plus de 30 000 membres.
Je pense aussi à EFE International, structure lancée au printemps 2021, qui permet de recenser les entrepreneurs français de l’étranger et de les associer à la politique de soutien à l’export.
En outre, afin de soutenir leurs relations économiques avec la France, les Français de l’étranger peuvent bénéficier de certains financements déployés par la filière de l’Agence française de développement (AFD), Proparco, dédiée au secteur privé.
Enfin, de manière plus qualitative, la crise a conduit nos services économiques et nos ambassades à se rapprocher davantage des Français de l’étranger et de leurs réseaux avec nombre d’actions en partenariat et en solidarité. Ce raffermissement des liens a permis non seulement de soutenir nos compatriotes, qui ont des relations commerciales fortes avec la France, mais aussi de mieux les associer à nos actions locales à destination des exportateurs et des investisseurs.
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La perte de puissance économique de la France – notamment en termes de compétitivité, d’innovation et de recherche – et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat. »
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Quel bilan de l’action du gouvernement en matière de justice et de sécurité ?
Débat thématique
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? »
Dans le débat, la parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très heureuse que nous ayons ce débat aujourd’hui. Il nous offre l’occasion de revenir sur les nombreux textes adoptés en matière de justice et de sécurité durant cette législature.
Pêle-mêle, je citerai la loi Asile et immigration, la loi Sécurité globale ou encore les lois sur les violences sexuelles et sexistes et sur les violences sexuelles sur mineurs, toutes accueillies plus ou moins chaleureusement, mais qui prouvent une volonté de réforme, appuyée par une hausse des crédits, qu’il convient de saluer.
La protection judiciaire de la jeunesse, que je connais bien, fait face à plusieurs défis. Je pense tout d’abord au code de la justice pénale des mineurs, dont le Sénat avait proposé de reporter l’entrée en vigueur au 30 septembre 2021 afin de permettre aux juridictions de préparer, dans le calme, la transition vers les nouvelles procédures.
Au 31 décembre prochain, seuls 30 % des personnels auront été formés aux nouvelles procédures. Le manque de formation a des effets concrets, notamment sur l’application de certaines mesures par les agents. Je pense, par exemple, aux mesures judiciaires d’investigation éducative, qui devraient, en 2023, être réalisées en moins de neuf jours pour permettre de tenir les délais fixés par le code de la justice pénale des mineurs. Ces mesures, qui permettent notamment une évaluation de la personnalité d’un mineur en difficulté, de sa situation familiale et sociale, de ses conditions de vie et celles de ses parents, sont actuellement réalisées en seize jours en moyenne. Il faudra donc gagner presque une semaine, ce qui représente à la fois un défi pour les services et un défi institutionnel.
L’audience unique constitue aussi l’un des enjeux liés à la réforme de la justice pénale des mineurs. Mise en place immédiatement à Paris et Marseille, elle permet le jugement rapide des mineurs ayant des antécédents judiciaires. Cette mesure entraîne une augmentation du nombre de condamnations à des peines d’incarcération, ce qui vient conforter le taux particulièrement élevé d’incarcération des mineurs dans notre pays.
Certes, l’incarcération peut parfois se révéler nécessaire, mais je ne vois pas cette augmentation comme un bon signe pour notre société. Le développement des peines alternatives à l’incarcération des mineurs, comme à celle des majeurs, est une nécessité.
À cet égard, je regrette qu’une large part des hausses de crédits soit dédiée à la privation de liberté : il faut dépenser plus, mais il faut aussi dépenser mieux pour « désasphyxier » les tribunaux et enrayer la « désespérance collective des magistrats » – pour reprendre les termes de la présidente de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, Chantal Arens – en recrutant des magistrats et des greffiers, si possible titulaires.
Dépenser mieux enfin pour rendre notre justice plus rapide et plus efficace, pour rétablir la confiance de nos concitoyens et alléger le travail des services de police et de gendarmerie, car l’une ne va pas sans l’autre.
Il nous faudrait d’ailleurs réfléchir à la réponse pénale que nous souhaitons apporter, car policiers et gendarmes sont souvent désemparés face à des individus qu’ils retrouvent dans la rue le lendemain de leur interpellation.
En ce qui concerne la police, ma réflexion est peu ou prou la même : les moyens sont certes en hausse, mais nous constatons des manques d’effectifs et de matériels sur l’ensemble de nos territoires, notamment ruraux. Ces manques se traduisent par une présence policière diminuée, ce qui augmente le sentiment d’insécurité et affaiblit, in fine, les finances locales.
En effet, nombre d’entre nous ont été confrontés à des maires qui, faute d’effectifs de police nationale suffisants, ont créé ou renforcé les effectifs de police municipale, quand bien même cette dernière ne répond pas aux mêmes besoins, ne remplit pas les mêmes missions et ne dispense pas la même formation.
Malgré des améliorations, des chantiers demeurent en matière de justice et de sécurité. J’espère que les réponses ne seront pas apportées seulement dans les programmes électoraux des futurs candidats à la présidence de la République, mais surtout dans les moyens alloués dans les années à venir.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cinq minutes ne suffiront pas à dresser un bilan exhaustif de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité, mais je reviendrai sur les principaux textes qui ont marqué ce quinquennat.
En ce qui concerne la sécurité, ce gouvernement s’est inscrit dans les pas du précédent en matière de lutte antiterroriste. Le candidat Macron avait pourtant promis de ne pas retoucher à cette législation. La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) en 2017, puis la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, dite SILT 2, de juillet dernier, nous ont démontré le contraire : non seulement toutes les mesures ont été prorogées, mais elles ont également été durcies avec, par exemple, la généralisation des assignations à résidence « déguisées » et celle des perquisitions contrôlées par l’administration, tout en contournant la procédure judiciaire et les droits de la défense.
Ce gouvernement a fait le choix d’opérer un tournant radical en matière de police administrative, inspiré par un principe de précaution incompatible avec nos principes démocratiques fondés sur un droit pénal d’interprétation stricte.
En matière de renseignement, ce gouvernement a légalisé et étendu des techniques de surveillance intrusives, là encore en maintenant à distance l’autorité judiciaire. Notre pays s’est doté d’un arsenal de surveillance de masse, alors même qu’il disposait déjà d’une législation répressive substantielle.
Un virage assez spectaculaire a également été pris avec la loi Sécurité globale, heureusement retoquée pour l’essentiel par le Conseil constitutionnel, mais dont des mesures ont été réinjectées dans le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure – nous examinerons le 16 décembre prochain les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est tenue sur ce texte.
Sans sourciller, en matière de sécurité intérieure, ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible en termes de surveillance et de contrôle des populations.
En outre, la loi Sécurité globale est venue renforcer la confusion des genres entre la police nationale, la police municipale, dont les agents reçoivent des prérogatives judiciaires sans la formation nécessaire, et les sociétés de sécurité privée, auxquelles sont délégués des pouvoirs de plus en plus étendus, notamment en matière de terrorisme – elles sont autorisées, par exemple à effectuer des fouilles.
J’en viens maintenant au second thème de ce débat : la justice. Il n’est pas anodin, pour nous, de lier les deux thématiques ; nous trouvons même cela dangereux, mais ô combien révélateur de la politique menée par ce gouvernement.
En mai dernier, alors que des milliers de policiers, massés devant le Palais-Bourbon, réclamaient une réponse pénale plus ferme, le secrétaire général du syndicat Alliance scandait : « Le problème de la police, c’est la justice ! »
L’indignation parmi les magistrats et le malaise dans la classe politique n’auront pas eu raison du Gouvernement, puisque le garde des sceaux a décidé de répondre à ces pressions en intégrant dans l’urgence, en séance publique, de nouvelles mesures dans son projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, notamment la suppression du rappel à la loi, la peine de sûreté de 30 ans pour les condamnés à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme ou encore la limitation des réductions de peine pour les agresseurs de forces de l’ordre. Des mesures purement démagogiques, en parallèle à d’autres prises antérieurement, et pour l’essentiel dans la droite ligne de la réforme de Mme Belloubet, l’ancienne garde des sceaux.
La myriade d’articles protéiformes de ces deux lois structurantes de ce quinquennat répond à un objectif dangereux, qui consiste à redresser la justice comme s’il s’agissait de n’importe quel autre service public, en traitant l’embolie diagnostiquée de nos juridictions à coups de mesures gestionnaires et comptables.
C’est de l’apogée de cette gestion dont il est question dans la tribune historique des 3 000 magistrats, qui dénoncent « une logique de rationalisation qui déshumanise et tend à faire des magistrats des exécutants statistiques ». Car aussi régalien soit-il, le ministère de la justice n’est pas épargné par la main invisible de Bercy, téléguidée depuis l’Élysée, voire depuis Beauvau.
Pour en revenir au présent débat, le Beauvau de la sécurité est assez révélateur de la vision du Gouvernement en matière de sécurité et de justice : « Intérieur et justice unis contre l’insécurité et l’impunité », titre le site du Gouvernement sur le sujet…
Le débat théorique autour de l’opposition entre efficacité sécuritaire et garantie des libertés individuelles semble désormais dépassé. Les plateaux de la balance ont basculé et les dommages pour notre État de droit sont importants. Voilà pour nous le triste bilan du Gouvernement en la matière. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Mélanie Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette fin d’année 2021 coïncidant avec la fin du quinquennat, la période est particulièrement propice aux bilans.
Nous parlons ce soir de justice et de sécurité, deux thèmes que les commentateurs de tous bords ont bien souvent tort d’opposer : justice contre sécurité, magistrats contre policiers… C’est une erreur, tant ces deux sujets sont liés. Il ne peut y avoir de sécurité sans une justice efficace, et réciproquement.
Côté justice, le constat est maintenant connu de tous : 93 % des Français estiment que la justice est lente, 69 % qu’elle est opaque, 68 % qu’elle est laxiste et même 53 % qu’elle est partiale… Du côté des personnels de justice, le constat est également très dur, notamment au regard de la pétition publiée dans Le Monde ou d’un article paru ce matin dans Libération, qui titrait « Justice : grand corps malade ».
Il s’agit d’un regard particulièrement sévère. Si les racines du mal sont profondes et ne datent pas de ce quinquennat, force est de constater qu’il n’y a pas été remédié. Bien sûr, il y a eu les « sucres rapides », mais ils sont venus cacher le goût amer du manque cruel de magistrats et de greffiers. Et ils ne sont venus qu’en fin de mandat…
Et ce n’est qu’en fin de mandat, encore, que le Président de la République aura prononcé un discours donnant sa vision de la justice, du rôle et de la responsabilité des magistrats, et ce pour inaugurer les États généraux de la justice.
En outre, il est peu de dire que les deux gardes des sceaux précédents et leurs « grandes » réformes, respectivement la loi pour la confiance dans la vie politique de François Bayrou et la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de Nicole Belloubet, n’auront pas forcément marqué les esprits.
Pendant ce quinquennat, nous avons vu beaucoup de lois sur la loi, mais aucune sur l’institution judiciaire et son organisation. Certaines de ces lois permettront de rendre la justice plus juste : je pense au code de la justice pénale des mineurs, aux différentes lois de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, au bracelet anti-rapprochement, à l’âge en dessous duquel on ne peut consentir à un acte sexuel, à la loi sur la dignité en détention, à celles sur la justice de proximité et la réponse pénale… Bref, un certain nombre de textes, dont les commissions mixtes paritaires furent conclusives et que le Sénat a donc approuvés. Il manque toutefois un vrai grand texte sur l’institution judiciaire et la justice.
N’oublions pas non plus que les promesses du candidat Macron visant à renforcer les garanties d’indépendance du parquet, avec l’inscription dans la Constitution de la nomination des procureurs sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et à supprimer la Cour de justice de la République n’auront pas été honorées – je pense d’ailleurs qu’il regrette aujourd’hui de ne pas avoir tenu ce dernier engagement…
Pour autant, la justice aura connu une hausse historique de son budget de 30 % en cinq ans, ce qui est à saluer tant l’enjeu est grand et les difficultés quotidiennes des magistrats importantes. Même si une bonne part de la hausse a été absorbée par le programme de construction de places de prison, cela aura permis de donner à la justice les moyens de payer ses experts et ses avocats commis d’office et d’aider à la prise en charge des victimes.
Finalement, de quoi la justice aurait-elle besoin ? De plus de magistrats, sans aucun doute. Sans même aller jusqu’à la moyenne européenne – nous n’avons pas forcément les mêmes pratiques –, il est clair qu’on ne peut rendre une justice sereine en siégeant dix heures d’affilée, sans pause, et en terminant à 1 heure du matin.
De même, nous sommes le pays où les procureurs ont le plus de dossiers à traiter. On leur demande en sus de faire de la communication, de gérer les relations extérieures au tribunal, de discuter avec les élus et les services de l’État… Jours et nuits ne suffisent plus. Et je ne parle pas des greffiers, souvent surdiplômés et sous-payés au regard des tâches qu’on leur confie.
Bien évidemment, et la ministre aurait été surprise que je n’aborde pas le sujet, tout cela fonctionnerait mieux avec de bons outils informatiques – logiciels et réseaux –, mais aussi avec un peu de décentralisation.
À cet égard, notre visite à Rouen, avec ma collègue Agnès Canayer, a été édifiante : des locaux vétustes et inadaptés et pas de personnel pour l’entretien ! Si l’on peut trouver des sucres rapides pour l’administration, trouvons-en pour la gestion des bâtiments. Faut-il que les greffiers aiment leur métier pour l’exercer dans de telles conditions ! Remercions-les !
Évoquer ces problèmes me permet d’aborder le sujet « sécurité » en lien avec la justice. Comment va s’organiser le ministère de l’intérieur sans officiers de police judiciaire supplémentaires pour tenir les délais d’enquête préliminaire fixés par le texte sur la confiance dans la justice ?
On reproche à la justice d’être trop lente, mais n’oublions pas que la première partie de la phase judiciaire se passe dans les commissariats ou les gendarmeries. Si l’on ne donne pas aux forces de l’ordre les moyens de traiter les plaintes et de conduire les enquêtes, on laissera les victimes croire à l’impunité des auteurs de crimes et délits.
J’ai posé la question à un procureur : si la police n’a pas eu le temps de mener l’enquête, décidez-vous un classement sans suite ou l’ouverture d’une instruction ? Il n’a pas longtemps hésité avant de choisir la première solution, c’est-à-dire le choix le plus délétère aux yeux de nos concitoyens.
Le Président de la République a réaffirmé récemment sa volonté de remettre la police dans l’espace public, à la vue et au contact des Français. C’est une bonne mesure. Il n’est pas acceptable d’avoir des zones de non-droit dans la République et il faut entreprendre une indispensable reconquête des rues, des halls d’immeuble et des cages d’escalier.
Je voudrais également attirer votre attention sur l’importante question de l’accueil des victimes dans les commissariats, surtout des victimes de violences intrafamiliales ou de violences sexuelles. Bien souvent, le premier contact avec la justice, le premier visage de l’institution, c’est l’agent qui est à l’accueil, côté police, même si l’on pense justice à ce moment-là.
Renforcer la formation des policiers est fondamental. Les victimes qui ont le courage de faire la démarche de porter plainte, et elles sont encore trop peu nombreuses, ne doivent pas rencontrer dans l’institution policière et judiciaire des difficultés supplémentaires. Attention à ne pas oublier, au milieu de la surenchère qu’amène souvent le thème de la sécurité, surtout en cette période, ce qui doit être au cœur de l’action de nos tribunaux, de nos commissariats et de nos gendarmeries : la victime et, à travers elle, la réparation du tort causé à la société. (M. Antoine Lefèvre applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me souviens de la formule du Président de la République, l’an dernier, sur le grave sujet de la gestion de la crise sanitaire : « Je ne dirais pas que c’est un échec, je dirais que ça n’a pas marché » ; l’actualité nous en rappelle l’extraordinaire acuité.
Que l’on me pardonne ce parallèle, mais, en matière de sécurité, le Gouvernement est en échec : ça n’a pas marché ! Rétablir la confiance entre la police et la population : ça n’a pas marché ! Maintenir l’ordre : ça a mal marché ! Garantir les libertés publiques : ça boîte un peu !
Avec mes collègues sénatrices et sénateurs socialistes, je déplore l’état délétère des relations entre la police et nos concitoyennes et concitoyens. On a parlé, à juste titre, des conditions matérielles d’exercice de nos forces de l’ordre. Le budget des sécurités pour 2022 est imprégné des conclusions du Beauvau de la sécurité. Nous regrettons que cette conférence n’ait pas davantage été l’occasion de rétablir la concorde entre l’institution policière et les Français.
Cependant, nous saluons, avec les forces de sécurité, l’amélioration à venir de leurs moyens. Cette année, en loi de finances initiale, les crédits devraient être votés en nette augmentation, d’environ 7 %, à près de 22,7 milliards d’euros. C’est un effort considérable, mais surtout nécessaire après une légère baisse de l’enveloppe en 2021.
Il est une exigence fondamentale pour que les conditions matérielles de travail de nos forces de l’ordre soient bonnes : la confiance. Nous devons donc renouer ce lien et pérenniser l’équilibre entre la nécessaire efficacité des forces de l’ordre et l’indispensable respect des libertés publiques de nos compatriotes.
Au centre de cet enjeu figurent deux éléments saillants. Tout d’abord, la doctrine du maintien de l’ordre : il s’agissait d’une doctrine matérialisée dans un schéma discuté, parce que discutable. On en a vu les résultats : faibles. On en a vu aussi les effets : contre-productifs pour le maintien de l’ordre sur le terrain.
Ensuite, l’encadrement du recours aux nouvelles technologies de captation des images avec les drones et les caméras embarquées. Ces nouvelles technologies peuvent constituer un instrument indéniable de progrès pour notre sécurité, et nos forces de l’ordre doivent en être dotées. Mais elles n’en sont pas moins intrusives. Or la protection des données personnelles et la préservation de la vie privée sont des conditions sine qua non de l’État de droit, dont la défense est notre horizon commun.
Aussi, l’usage de ces instruments doit faire l’objet d’une attention particulière. Les nécessités opérationnelles doivent être précises, les finalités bien établies, les enregistrements sécurisés et les accès traçables. Cela suppose également une formation suffisante des forces de l’ordre.
On a dit de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi pour une sécurité globale qu’elle était un revers pour le Gouvernement. En invalidant les dispositions de l’article 47, relatif à l’usage des drones, de l’article 48, relatif à l’usage des caméras embarquées et de l’article 52, relatif à un délit de provocation à l’identification d’un agent, le Conseil constitutionnel souligne avant tout qu’il n’y aura pas de meilleure sécurité sans garantie de nos libertés et qu’aucune surenchère politicienne n’est justifiée.
Pour améliorer véritablement les moyens de notre sécurité, tous les passages en force, qui seront autant de fausses solutions, doivent être rejetés.
La sécurité est un droit fondamental, pour chacune et chacun. La sécurité pour tous, c’est une part de la promesse républicaine. Après presque cinq ans de « marchisme », les Françaises et les Français ont pu faire un constat : en matière de sécurité, comme en d’autres matières, la République qui marche, ce n’est pas la République en marche. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) La législature arrive à son terme et le travail pour améliorer la sécurité de nos concitoyens est plus qu’inachevé.
Madame la ministre, on ne compte plus les ministres de l’intérieur de ce quinquennat. Je sais donc que vous ne portez pas plus de responsabilité que les autres dans ce qui n’a pas fonctionné. M. Darmanin a déclaré : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », mais une récente communication de la Cour des comptes interroge sur la faisabilité de cette promesse.
Sans esprit de querelle, je voulais conclure mon propos sur ce rapport de la Cour des comptes, qui vient rappeler les acteurs de ce quinquennat à la nécessaire humilité, qui doit aussi être la nôtre, en matière de sécurité. Dans ce domaine, les dénonciations sont nombreuses et les résultats trop rares. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’intitulé de ce débat laisse entendre que l’heure des bilans a sonné – nous en sommes effectivement proches.
Notre groupe regrette que le Sénat se limite à ce débat sur le bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité, alors qu’il aurait pu et dû voter le budget et les crédits dédiés à ces questions, après les avoir éventuellement amendés. Il est de notre responsabilité de contribuer concrètement à l’élaboration de ces budgets, car le Gouvernement agit avec les moyens que le Parlement lui confère. Nous nous sommes ainsi réjouis, l’année dernière, de la hausse historique du budget de la justice, que nous avons voté.
Le budget de la justice pour 2022 s’inscrivait également dans une dynamique de hausse majeure, supérieur d’un tiers à celui de 2016. Cet effort important doit se poursuivre, car il est essentiel pour notre société.
La justice de notre pays est trop souvent pointée du doigt, tenue pour responsable de l’insécurité que connaît notre société : laxiste, elle ne ferait plus respecter la loi. Nous ne souscrivons pas à ce raisonnement simpliste. Comment la justice pourrait-elle être plus ferme quand nos prisons sont pleines, et même plus que pleines, puisque le taux d’occupation moyen dans notre pays était de 114 % en octobre dernier ?
Les maisons d’arrêt sont concernées au premier chef. Plusieurs d’entre elles dépassent les 200 %, comme celles de Nîmes ou de La Roche-sur-Yon. Cette réalité laisse imaginer les conditions de détention dans le contexte d’une pandémie toujours en cours.
Si nous voulons que la loi soit respectée, l’État doit évidemment prendre sa part. Le Gouvernement a annoncé la création de 7 000 places de prison d’ici à 2022 et de 8 000 places supplémentaires d’ici à 2027.
Cette année, le rapporteur pour avis de commission des lois, notre collègue Alain Marc, a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme pénitentiaire, alors même que des retards accumulés ne permettront une livraison de ces 7 000 places qu’en 2023. La forte augmentation des crédits, traduction de la volonté politique, doit être saluée.
Ces créations ne doivent pas non plus faire oublier la nécessité d’entretenir le parc existant. À cet égard, le budget prévoyait une augmentation de 113 % des moyens destinés à la sécurisation des établissements. Nous y voyons le signe d’une prise en compte des nécessités du terrain, et nous la saluons.
La France compte toujours deux fois moins de juges par habitant que la moyenne européenne. La justice est pourtant au cœur du contrat social. Elle doit être efficace pour continuer d’être légitime et nous ne pouvons faire l’économie d’une amélioration de ses moyens.
Pour autant, les femmes et les hommes qui œuvrent dans notre pays pour la justice et la sécurité sont pleinement mobilisés. Nous tenons à saluer leur engagement sur tous les territoires de la République.
La sécurité est essentielle au quotidien des Français. Entre 2017 et 2022, plus de 10 500 emplois de policiers et de gendarmes auront été créés. Le président Macron a eu l’occasion de faire des annonces relatives au renforcement de la présence policière sur la voie publique. Nous croyons que cette mesure sera bénéfique à l’ensemble de nos concitoyens.
Le budget que nous aurions dû examiner montrait des augmentations significatives destinées non seulement à accroître les effectifs, mais également à améliorer les locaux et les équipements de nos forces de l’ordre – il y a fort à faire en la matière. Il est impératif que policiers et gendarmes disposent de bonnes conditions de travail, surtout si l’on entreprend d’augmenter leurs effectifs.
La modernisation des équipements est également essentielle. Nos forces de l’ordre, qui interviennent dans des conditions souvent très tendues, doivent pouvoir compter sur des matériels de qualité.
L’ensemble de ces facteurs contribuera à améliorer les relations des forces de l’ordre et de la population.
L’insécurité et le respect de la règle de droit constituent à juste titre des préoccupations majeures pour l’ensemble de nos concitoyens. L’action du Gouvernement, accompagné par le Parlement, traduit toute l’importance de la sécurité et de la justice. Ces dernières années, des efforts significatifs ont été réalisés. Nous devons veiller à les poursuivre dans les années à venir.
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que de temps perdu ! Voilà ce que nous inspire l’action des ministres de la justice et de l’intérieur du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de sécurité et de répression de la délinquance dans notre pays.
Pourtant, après l’affaire Benalla, au cours de laquelle le Sénat a joué tout son rôle de contrôle de nos institutions, l’ampleur des problèmes était bien connue.
Le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérard Collomb, posait un diagnostic sans concession, juste après sa démission du Gouvernement : « La situation est très dégradée ; c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui ont pris la place de la République dans tous les quartiers difficiles où l’on vit côte à côte, et où, demain, je crains qu’on ne vive face à face. »
En quelques mots, tout est dit : le rétablissement de l’autorité de l’État est le sujet majeur auquel sont confrontées la police et la justice dans notre pays. Un retour à l’ordre qui nécessite de mettre fin à l’impunité dont bénéficient nombre de délinquants en instaurant le principe d’une sanction pénale claire, effective et immédiate.
Pourtant, je le répète, que de temps perdu au ministère de l’intérieur, qui passe du deuxième au onzième rang protocolaire avec l’épisode du ministre Castaner, empêtré dans la crise des gilets jaunes et dans des déclarations médiatiques inadaptées, voire mensongères, qui ont suscité maintes polémiques.
Avec l’arrivée de Gérald Darmanin, en juillet 2020, le Parlement a pu commencer, avec trois ans de retard, à traiter les vrais problèmes, avec les lois sur la sécurité globale, le terrorisme et le renseignement. Une fois encore, que de temps perdu !
Madame la ministre, lors de la discussion générale sur la loi relative à la sécurité globale, le ministre déclarait vouloir organiser un continuum de sécurité. Je tiens ici à saluer l’engagement fort des maires et des élus locaux afin de toujours mieux organiser et intégrer les polices municipales à ce continuum, souvent pour pallier le défaut de présence de l’État sur le terrain en matière de sécurité. Nous avons d’ailleurs enrichi ce texte pour que la mutualisation des forces de police soit plus simple.
Je veux également rappeler l’impérieuse nécessité de mieux protéger les forces de l’ordre dans un contexte d’une grande violence à l’égard de tous les fonctionnaires portant l’uniforme républicain.
Quel acte manqué que la rédaction de ce fameux article 24 de la loi Sécurité globale, finalement censuré par le Conseil constitutionnel ! La commission des lois avait pourtant proposé une rédaction claire et respectueuse des libertés de la presse, mais un amendement du Gouvernement imposant l’ajout maladroit des termes « en opération » a finalement donné un motif au Conseil constitutionnel pour révoquer cet article. Une version édulcorée de ce dispositif a été intégrée récemment au projet de loi Responsabilité pénale et sécurité intérieure.
Je pense aussi à nos travaux sur le terrorisme et le renseignement, lois si nécessaires quand le risque terroriste demeure important, notamment avec la sortie de prison des condamnés djihadistes.
Une nouvelle fois, madame la ministre, je regrette votre manque d’écoute sur la question des modalités de suivi des personnes condamnées pour actes de terrorisme – environ 80 individus par an pendant trois ans. Elles ne bénéficieront pas, au-delà d’un an, de mesures d’accompagnement, en raison de l’entêtement du Gouvernement à vouloir allonger la durée des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) à deux ans afin d’assurer la surveillance par voie administrative.
Comme cela était prévisible, le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif alors que nous proposions une mesure judiciaire qui présentait plus d’avantages, qui était plus efficace et qui aurait été parfaitement constitutionnelle.
De même, le Sénat n’a pas été entendu lorsqu’il a alerté le Gouvernement sur le danger que représentait la transposition maladroite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne relative à l’interdiction de la collecte des fadettes lors des enquêtes sur les trafics de drogue, de voitures volées ou de proxénétisme. De l’aveu même de la Conférence des procureurs, cela va faire tomber la moitié des procédures.
Finalement, nous avons manqué d’un plan-guide dans la mise en œuvre de la politique de sécurité du pays. Je regrette que le ministre de l’intérieur n’ait pas mis en place une loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, une Loppsi, dès le début du quinquennat, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur de Jacques Chirac.
Quand autant reste à faire pour restaurer l’autorité dans notre pays, qu’il s’agisse du respect de l’uniforme, des élus, des profs et des fonctionnaires, quand la tâche est si grande pour éradiquer la délinquance et la violence qui s’aggravent chaque jour un peu plus, il faut qu’une grande loi-cadre en matière de sécurité et de justice pose les bases du changement, avec une programmation financière dans le temps.
Pour 2022, le ministère rompt avec les pratiques antérieures en diminuant la part des dépenses de personnel au bénéfice de l’investissement et du fonctionnement. Mais les questions de gouvernance et d’heures supplémentaires sont toujours aussi mal gérées, comme le souligne, à juste titre, la Cour des comptes.
Pour conclure, mes chers collègues, ce bilan de l’action du Gouvernement en matière de sécurité se déroule dans un contexte plus apaisé que celui, calamiteux, de la première partie du quinquennat.
Toutefois, je le redis, seule une Loppsi serait à même de dégager et de programmer les moyens pour lutter contre la délinquance et la criminalité. Cela suppose, comme le propose notre groupe Les Républicains, de modifier la Constitution pour instaurer des peines minimales obligatoires, de mieux protéger ceux qui nous protègent et de ne plus accepter l’excuse de minorité des mineurs délinquants devant la justice.
Enfin, héritiers de l’histoire de notre Haute Assemblée, nous restons soucieux de garantir les libertés fondamentales.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Marc-Philippe Daubresse. Rétablir l’autorité de l’État et garantir la sécurité des Français, c’est tout l’enjeu de la prochaine présidentielle. L’horizon est tracé, le cap est clair, mais avec tout ce temps perdu, nous sommes loin, très loin, de cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous faire part de mon émotion, alors que vingt-sept personnes sont mortes dans la Manche, et que cette mer, comme la Méditerranée, est en train de devenir un cimetière.
La sécurité des migrants est une question d’ordre public, mais la réponse humanitaire doit primer sur les considérations sécuritaires et politiques. Si des migrants sont en danger en mer, on déploie des moyens de sauvetage ; si des migrants vivent dans des conditions indécentes, on leur donne de quoi survivre dignement.
Que fait le Gouvernement dans cette histoire ? Pas grand-chose ! Enfin si, parfois, il fait, ou plutôt il laisse faire : les forces de l’ordre se permettent de harceler les réfugiés, de déchirer leurs tentes à coups de canifs et de repousser les bénévoles.
Cet hiver, le drame se poursuit : plus de 97 % des expulsions de lieux de vie n’ont pas été suivies de mises à l’abri. Combien faudra-t-il de personnes mortes de froid ?
Quand vingt-sept personnes meurent en une journée, que trouve à dire le ministre de l’intérieur : « c’est la faute des passeurs ». Les migrants ne meurent pas à cause des passeurs ; les passeurs sont là parce que le Gouvernement n’assure pas des voies sûres et légales de migration.
Face à un problème aux causes multiples, on préfère recourir à des solutions uniquement sécuritaires et de court terme : voilà la trame du bilan du Gouvernement !
Ce bilan, c’est bien une approche uniquement sécuritaire et répressive des problèmes sociaux. Pourtant, en 2016, un jeune ministre de l’économie déclarait : « La sécurité n’est pas un projet politique. » Il avait raison : elle est plutôt une conséquence de nos politiques publiques, à commencer par les services publics.
Bien sûr, nous saluons l’extension du budget de la justice, mais quel dommage que cette hausse soit focalisée sur la construction de nouvelles places de prison, alors que la justice est en sous-effectif chronique dans notre pays.
Pour mémoire, parmi tant d’autres textes ayant réformé la justice pendant ce quinquennat, on peut citer la réforme du code de la justice pénale des mineurs, la loi anti-casseurs, la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes, la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention ou encore le projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale et à la sécurité intérieure. J’en oublie sans doute, mais je veux me pencher plus en détail sur deux d’entre eux.
Revenons, tout d’abord, sur le texte relatif à la dignité en prison.
Depuis quarante ans, le nombre de personnes écrouées a doublé. En moins de dix ans, la France a été condamnée huit fois par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de conditions de détention indignes. Cela devient un rituel : chaque année, ou presque, la France se voit condamnée pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme et, plus précisément, pour non-respect de son article 3, qui affirme un droit pourtant élémentaire, à savoir l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant.
Des solutions existent : plutôt que d’augmenter sans cesse le nombre de détenus, il faut développer les alternatives à la prison et créer des centres de détention semi-ouverts, sur le modèle des pays nordiques. En amont, il convient de renforcer les travailleurs sociaux, la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques ou encore le tissu associatif.
Évoquons ensuite la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes.
Lorsque j’ai été élue sénatrice, il y a deux mois, on comptait déjà 88 féminicides depuis le début de l’année ; on en est à 102, à moins qu’il n’y en ait eu un nouveau aujourd’hui encore… Vendredi dernier, une femme a été tuée par son ancien compagnon alors même qu’elle bénéficiait du téléphone grave danger. Personne ne l’avait avertie de la remise en liberté de son ancien compagnon ! Je dois admettre qu’il m’est de plus en plus difficile d’entendre le Gouvernement se gargariser de la manière dont il traite ce qu’il appelle « la grande cause du quinquennat ».
De fait, que d’occasions manquées ! Ainsi, pourquoi ne pas avoir fait modifier la définition du viol de façon à respecter nos engagements internationaux, notamment la convention d’Istanbul, pour qu’enfin le viol soit défini par l’absence de consentement de la victime ? Pourquoi ne pas avoir pris exemple sur l’Espagne en instaurant une justice et une police spécialisées qui n’aggravent pas les traumatismes ? On en est très loin : la fameuse formation des policiers dont se vante le Gouvernement, c’est trois heures en France, contre huit mois en Espagne ! Pourquoi, enfin, ne pas avoir accédé aux demandes des associations féministes, en fléchant 1 milliard d’euros pour lutter contre les violences machistes et pour former, héberger, accompagner et secourir les victimes de violence ?
Enfin, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer certaines promesses non tenues de ce quinquennat.
Qu’en est-il de la promesse du candidat Macron de constitutionnaliser l’indépendance du parquet vis-à-vis de l’exécutif ? Qu’en est-il de sa promesse de supprimer la Cour de justice de la République ? On a plutôt eu droit à la critique d’un prétendu gouvernement des juges et au maintien au Gouvernement de ministres mis en examen.
Les déclarations d’intention et la course à l’échalote sécuritaire avec la droite et l’extrême droite n’ont jamais fait une politique ; surtout, elles n’ont jamais pu protéger la justice en général ni la sécurité de qui que ce soit. Au contraire, nous avons besoin de pragmatisme et de valeurs.
Je conclurai par un exemple très simple : outre-Rhin, la future coalition gouvernementale va légaliser le cannabis, parce que cela permet d’éradiquer les trafics, de contrôler les produits et de gérer les problèmes d’addiction, qui relèvent de la santé publique. Ne serait-il pas temps de s’en inspirer, de trouver des solutions alternatives, rationnelles et pragmatiques, à l’ouverture de nouvelles places de prisons ou à la création de nouveaux délits ? Cela ne vaudrait-il pas mieux que de s’en tenir à une posture répressive stérile ? Voilà, peut-être, la clé des politiques publiques de demain en matière de sécurité et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 12 793 : c’est le nombre de personnes qui, entre 2019 et 2020, ont été réduites de l’effectif pénitentiaire, parce que les jugements ont été moins nombreux, mais aussi parce qu’on a libéré, pour des raisons sanitaires, un grand nombre de personnes en fin de peine.
Cela a-t-il créé un problème particulier dans notre société ? Non. C’est bien la preuve, madame la ministre, s’il en fallait une, du fait que la surpopulation actuelle dans les prisons pourrait tout à fait être évitée. Pour ma part, je reproche à ce gouvernement, comme je l’avais reproché à bien des gouvernements auparavant, de parler d’alternatives à la détention sans suffisamment les mettre en œuvre.
Le résultat de cette passivité, comme l’a rappelé Mme Vogel à l’instant, c’est que l’essentiel des 8 % d’augmentation des crédits de la justice – nous la saluons, comme nous avions salué la hausse similaire de l’année dernière – va à l’administration pénitentiaire et à la construction de prisons plutôt qu’au développement des peines alternatives, dont chacun reconnaît pourtant qu’elles sont nécessaires.
Finalement, cette augmentation du budget de la justice est purement optique pour ce qui est de la justice judiciaire. Faire un bilan de l’action de ces dernières années en matière de justice est très simple, madame la ministre : il suffit de se référer à la tribune, que vous avez dû lire, qui a reçu 3 000 signatures – et même 5 000 aujourd’hui – parmi les magistrats et les greffiers, soit pratiquement la moitié de ces corps. Ils y protestent contre leurs conditions de travail et contre la politique du chiffre : ces personnes, dont nous savons bien qu’elles sont au service de la République, sont exténuées. Surtout, elles pointent une réalité : dans notre pays, soit l’on juge vite et mal, soit l’on juge bien, mais dans des délais insupportables.
Dans le temps très court qui est imparti à chacun d’entre nous dans cette séance « placebo » et de remplissage, pour des raisons dont nous nous sommes déjà expliqués, je veux citer l’une des cinq principales lois de ce quinquennat en la matière, une loi à laquelle je tiens beaucoup et pour laquelle nous nous sommes battus, car elle est importante : la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.
M. Patrick Kanner. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ferai simplement un reproche au Gouvernement : c’est à la veille de la campagne présidentielle que l’on nous annonce des États généraux de la justice ! Franchement, le scepticisme est garanti !
Rendez-vous compte : nous nous sommes retrouvés ici, un après-midi, pour débattre d’un projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale, mais M. le garde des sceaux était à Poitiers, en train d’écouter le discours présidentiel d’ouverture des États généraux de la justice ! Il aurait tout de même été plus logique de les réunir avant de nous proposer de voter cinq ou six lois dans ce domaine.
M. Patrick Kanner. Eh oui !
M. le président. Ce sera votre conclusion, mon cher collègue… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. À l’évidence, monsieur le président, on n’échappera pas à un second discours présidentiel pour nous présenter les conclusions de ces États généraux ; elles seront bien sûr remises, vous l’aurez bien compris, avant l’élection présidentielle, car tout cela est électoraliste ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est en ma qualité de rapporteur spécial de la commission des finances de la mission « Justice » que j’ai souhaité aujourd’hui intervenir devant vous.
Afin d’être rigoureusement établi, le bilan de la justice pendant ce quinquennat mérite d’être fondé sur les indicateurs privilégiés que sont les moyens humains, financiers et matériels que lui alloue l’État.
À ce titre, il serait malhonnête de ne pas reconnaître l’effort budgétaire constant accordé tout au long du quinquennat, qui a permis à l’institution judiciaire d’opérer un redressement salutaire.
Depuis la loi de finances pour 2018, première de ce quinquennat, jusqu’aux crédits proposés pour 2022, ce sont 2,2 milliards d’euros supplémentaires qui auront été alloués au système judiciaire ; pendant cette même période, 7 400 équivalents temps plein auront été créés.
Année après année, l’augmentation dynamique des crédits sur l’ensemble des cinq exercices budgétaires témoigne d’une prise en compte sérieuse par l’exécutif des défis posés par les archaïsmes de l’institution.
Il est important de saluer un investissement très ambitieux pour l’ensemble de l’administration pénitentiaire. Cette dernière a bénéficié d’une importante revalorisation de ses métiers, ainsi que de la création de plus de 4 300 emplois.
Des garanties nombreuses et solides ont été apportées pour renforcer et faciliter l’accès du citoyen à la justice, qu’il s’agisse du portail « justice.fr », des points d’information répartis dans les territoires ou encore de la revalorisation de l’aide juridictionnelle.
Pourtant, si l’on s’intéresse au regard que portent les Français sur l’efficacité de notre justice, les mêmes critiques reviennent systématiquement : selon un sondage de septembre 2021 – Dominique Vérien l’a rappelé avant moi –, 93 % de nos concitoyens la trouvaient encore lente, 69 % opaque, 68 % laxiste. En un mot, le constat laisse peu de place au doute : la justice n’a pas encore pleinement rempli les objectifs qui lui avaient été assignés pour ce quinquennat.
J’en veux pour preuve la tribune désormais signée par plus de 5 000 magistrats, soit une large majorité des 9 000 juges en poste, qui fait état de la profonde indigence dans laquelle nos juges sont amenés à exercer leurs fonctions. Y est aussi soulignée l’intenable souffrance professionnelle, qui a notamment conduit une jeune juge de 29 ans à mettre fin à ses jours, le 23 août dernier, à Béthune.
Ce manque de moyens, éprouvant et désormais symptomatique, résonne comme une antienne inlassablement ressassée par les personnels judiciaires, et fait peser sur les épaules de toute l’institution un fardeau terriblement nocif pour notre République. Pis encore, c’est un danger pour la crédibilité du système judiciaire auprès des justiciables.
Comme l’a souligné le questeur Philippe Bas, nous avons systématiquement constaté, au cours des cinq dernières années, une sous-exécution des dépenses prévues en loi de finances. Ce sont au total plus de 510 millions d’euros dont la dépense, pourtant affectée en crédits de paiement, n’aura pas été concrétisée.
Dans un récent rapport dressant des pistes d’amélioration pour la justice, la Cour des comptes épingle, entre autres choses, les retards accusés dans le vaste plan de transformation numérique promis par la Chancellerie, mais dont l’aboutissement vient à tarder.
Ce « cœur du réacteur », selon les mots de M. le garde des sceaux, n’a pas encore été pleinement déployé, ce qui constitue aujourd’hui encore un frein notable à l’accomplissement du programme de modernisation des tribunaux : doivent en être tenues pour responsables les asymétries entre les applicatifs du ministère de la justice et ceux des ministères de l’intérieur et des finances.
Je terminerai mon propos sur le point le plus sensible de ce bilan, à savoir l’inachèvement du programme pénitentiaire promis en 2017.
Dès le début du quinquennat, malgré la promesse de 15 000 nouvelles places de prison, il nous a été indiqué que l’accomplissement du projet ne nécessitait non pas un mandat présidentiel, mais bel et bien deux. Voilà une remarquable preuve de confiance face aux aléas électoraux.
Ce sont donc 7 000 places qui seront sorties de terre à l’horizon 2022, laissant le dramatique problème de la surpopulation carcérale dans un statu quo identique à la situation d’avant le covid-19.
Les points de vue divergent largement sur le nombre de places de prison à construire afin d’optimiser la sécurité des citoyens : certains avancent 20 000, d’autres davantage encore. Quel en est le nombre idéal ? Nul ne le sait. Notre priorité collective demeure toutefois de concilier le respect des droits de l’homme en détention avec la pleine exécution des peines prononcées.
Je salue toutefois les deux prisons en cours de construction à Toul et à Donchery. Axés sur le travail, ces deux projets me semblent très prometteurs.
En somme, la justice aura pâti pendant ce quinquennat de la tendance accrue du Gouvernement à légiférer sous le coup de l’émotion sans s’assurer de la nécessaire cohérence des textes entre eux.
Nous avons eu des lois sur la confiance dans l’institution judiciaire, sur l’irresponsabilité pénale ou encore sur la justice pénale spécialisée – je ne les cite pas tous –, le tout couronné par des États généraux de la justice. Ces derniers, qui se veulent un grand rendez-vous œcuménique des acteurs judiciaires, ont été engagés beaucoup trop tardivement dans le quinquennat.
Les efforts que nous voulons porter pour notre justice devront toujours et impérativement s’accompagner d’une réflexion de fond sur les métiers qui la structurent, ainsi que sur la juste application des sanctions prononcées. Il y va du sens de la peine et de l’indispensable confiance du justiciable dans la seule autorité détentrice de la violence légitime.
Je citerai, pour conclure, un auteur bien connu des étudiants en droit, Cesare Beccaria, qui écrivait, dans son essai Des délits et des peines : « Ce n’est point par la rigueur des supplices qu’on prévient le plus sûrement les crimes, c’est par la certitude de la punition. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quelques mois du terme de ce quinquennat, nous pouvons légitimement nous poser la question : quel bilan pour la justice et la sécurité ?
La justice va mal ! Une étude menée par le Sénat dans le cadre de l’Agora de la justice démontre que 53 % des Français n’ont pas confiance dans l’institution judiciaire, même s’ils font majoritairement confiance à chacune de ses professions. Les Français reprochent à la justice sa lenteur, ainsi que son manque de transparence et d’effectivité dans l’exécution de ses décisions. En conséquence, 59 % des sondés disent ne la saisir qu’en dernier recours.
Pourtant, force est de constater que les gouvernements successifs ont agi : sept textes législatifs ont été adoptés depuis le début du quinquennat. Il s’agit de textes d’ampleur, comme la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la réforme de la justice pénale des mineurs, celle de la justice de proximité ou, plus récemment encore, du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
De même, le budget de la justice a bénéficié d’une forte hausse de ses crédits de plus de 8 % chacune de ces deux dernières années et de 30 % au total en cinq ans.
Pourtant, l’image de notre justice n’est pas bonne et ses professionnels sont souvent en souffrance. La tribune que 3 000 d’entre eux viennent de signer en témoigne. Pourquoi ces réformes et ces moyens supplémentaires ne produisent-ils pas les effets recherchés ?
C’est avant tout un problème de méthode : les réformes se succèdent à grande vitesse, ce qui laisse peu de temps aux professionnels de la justice pour les assimiler. L’inflation législative et réglementaire est un facteur de paralysie de l’institution judiciaire. Certaines réformes ne font même pas l’objet d’une évaluation – ainsi de l’instauration du divorce par consentement mutuel sans recours au juge.
Les difficultés sont d’autant plus réelles que ces réformes entrent souvent en vigueur avant même que les outils numériques correspondants soient à disposition des juridictions. Le report, sur l’initiative du Sénat, de l’entrée en vigueur de la réforme du code de la justice pénale des mineurs a permis d’éviter cet écueil alors que certaines trames ne sont toujours pas à jour dans le fichier Cassiopee, qui connaît régulièrement des dysfonctionnements. De même, le développement du portail du justiciable en matière civile, Portalis, reste poussif.
L’augmentation des effectifs dans les juridictions est en revanche notable. Le taux de vacance d’emploi des magistrats est désormais inférieur à 1 %. Cependant, celui des greffiers s’élève toujours à 7 %. À cela s’ajoutent les « sucres rapides », à savoir les agents contractuels embauchés depuis deux ans. Toutefois, malgré ces renforts, les délais de jugement restent trop longs : ils sont de 11,4 mois en moyenne et de 22,7 mois pour un divorce contentieux.
Si l’apport de contractuels a permis de soulager certaines juridictions, le statut et les missions de ces agents ne leur permettent pas de remplacer les magistrats et les greffiers. Une réévaluation des besoins des juridictions en magistrats professionnels doit être menée afin de faire correspondre les moyens avec les charges réelles. Une réflexion globale s’impose sur l’exercice de la profession de magistrat, et notamment sur l’équipe autour du magistrat, en particulier pour prendre en compte les nombreuses évolutions professionnelles.
Enfin, la grande oubliée de ces réformes reste la justice civile, qui représente pourtant la grande majorité du contentieux, avec plus de 2 millions de décisions rendues chaque année. Il conviendrait de renforcer la déjudiciarisation, ainsi que la délégation de certaines missions à l’équipe du juge. Ces réformes, proposées par le Sénat, permettraient de redonner confiance dans la justice du quotidien.
L’effectivité de la réponse pénale constitue aussi un enjeu. Il faudrait apporter une réponse proportionnée à chaque infraction afin de prévenir la récidive et de se donner les moyens d’une véritable exécution des peines prononcées. Voilà un exemple de levier permettant de lutter contre le sentiment d’impunité.
Certes, les chantiers sont vastes. Nous ne nions pas, madame la ministre, la volonté du Gouvernement de réformer pour améliorer le fonctionnement de la justice. Nous ne nions pas non plus les efforts financiers consentis pour résorber les stocks d’affaires en attente. Mais la réalité des juridictions nous rappelle malheureusement que le compte n’y est pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, c’est un plaisir et un honneur pour moi de représenter ici, aujourd’hui, le Gouvernement, en lieu et place du ministre de l’intérieur et du garde des sceaux, retenus par d’autres obligations.
La sécurité est l’une des priorités du Gouvernement, selon une approche globale associant tous les acteurs et mobilisant tous les leviers.
Je veux tout d’abord rappeler que, depuis 2018, au plus près des Français, la police de sécurité du quotidien se déploie sur tous les territoires. Elle accompagne le retour de l’État là où la République a pu, par le passé, donner le sentiment de reculer sous le poids des trafics et des violences. Pour assurer ce retour, près de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires ont été recrutés pendant ce quinquennat, dont près de 1 200 dans les 62 quartiers de reconquête républicaine mis en place depuis 2018 par le ministère de l’intérieur.
Toutes les circonscriptions de sécurité publique connaîtront une progression de leur effectif sur la durée du quinquennat.
Leur première mission est d’intensifier la lutte contre la drogue et ses trafics. Ce combat a gagné en efficacité du fait de la création de l’Office anti-stupéfiants (Ofast), voulu par le Président de la République, mais aussi du recours à l’amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de stupéfiants : plus de 106 000 amendes ont d’ores et déjà été prononcées à ce titre.
Sur le front de la lutte contre la drogue, nous progressons de manière significative. Rien que pour le premier semestre de cette année, l’augmentation des saisies par rapport à l’année précédente est de 37 % pour le cannabis, de 91 % pour la cocaïne et de 60 % pour l’héroïne. Au total, 7 837 trafics ont été démantelés, ce qui correspond à une hausse de 34 % ; 52 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis.
Pour être efficaces dans la lutte contre la délinquance, les trafics, la violence, nous devons prendre le mal à la racine et agir sur les facteurs de risque. Tel est l’objectif de la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024 que je porte.
Cette stratégie met l’accent sur la prévention de la délinquance des mineurs dès avant l’âge de 12 ans ; sur les démarches d’aller vers les personnes les plus vulnérables pour mieux les protéger ; sur la participation de la société civile à la politique de prévention et sur le rapprochement entre la police et la population ; sur la rénovation de la gouvernance territoriale de cette politique, en lien avec les élus locaux et l’autorité judiciaire.
Cette politique de prévention ambitieuse nécessite des moyens : nous y avons consacré 70 millions d’euros cette année et nous y consacrerons 10 millions de plus l’an prochain, notamment pour accroître notre effort en faveur de la vidéoprotection des voies publiques.
Pour qu’ils soient plus efficaces dans leur lutte contre la délinquance et la criminalité, nos policiers et gendarmes doivent en outre travailler dans des conditions optimales.
C’est pourquoi, à la fin de l’année 2021, plus de 700 casernes et commissariats auront été modernisés et 30 000 véhicules achetés et livrés. D’ici le printemps prochain, les deux tiers du parc automobile auront été changés sur le territoire, soit 11 000 véhicules, afin de répondre aux besoins concrets sur le terrain.
L’engagement du Président de la République et du Premier ministre, à l’issue des travaux menés dans le cadre du Beauvau de la sécurité, s’est traduit par une hausse des crédits de la mission « Sécurités » de plus de 1 milliard d’euros, si l’on prend en compte le plan de relance. Cela porte l’augmentation du budget de cette mission depuis le début du quinquennat à 2,3 milliards d’euros.
Je dirai enfin un mot de la priorité absolue qu’est la lutte contre la radicalisation et le terrorisme.
Nous avons commencé, dès 2017, par renforcer les moyens des services de renseignement, qu’il s’agisse du renseignement territorial ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont les effectifs ont augmenté de 1 900 agents et dont le budget a doublé par rapport à 2015.
Les résultats sont là : depuis 2017, nous avons déjoué 36 attentats. Aujourd’hui, nous allons plus loin grâce à la révolution copernicienne souhaitée par le Président de la République : nous combattons désormais non seulement le terrorisme, mais aussi le terreau du terrorisme, ce que nous avons appelé le séparatisme dans une loi. Par ailleurs, un séminaire consacré à la lutte contre le séparatisme a été organisé lundi, auquel ont participé pour la première fois 450 cadres dirigeants de l’État, en présence de M. le Premier ministre.
Avec les cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR), dont les moyens juridiques ont été renforcés par la loi confortant le respect des principes de la République, nous agissons concrètement dans les territoires pour prévenir les dérives qui portent en elles les germes d’atteintes graves à l’ordre public, tel qu’il est établi par la loi.
Le bilan de cette politique parle de lui-même : 24 000 contrôles ont été effectués ; 672 établissements ont été fermés ; 45,5 millions d’euros d’avoirs ont été saisis ou redressés.
La sécurité des Français exige également une réponse pénale rapide et adaptée. C’est pourquoi la justice et l’amélioration des conditions de son exercice constituent également des priorités de l’action du Gouvernement. À cet égard, je vous remercie d’avoir salué la considérable augmentation des moyens du ministère de la justice. Je le redis ici, Emmanuel Macron a permis la plus forte hausse du budget de la justice depuis un quart de siècle, soit une augmentation de 33 % depuis 2017.
Face aux incivilités du quotidien, tels les rodéos motorisés, l’usage de produits stupéfiants ou les vols dans les commerces de proximité, il fallait apporter des réponses plus rapides et plus efficaces.
Le développement de la justice de proximité, dont la raison d’être est précisément de répondre à ce type de délinquance, contribue à restaurer la crédibilité de la justice auprès de nos concitoyens. En apportant des réponses pénales, qui ont du sens pour les victimes et les auteurs, elle renforce notre État de droit.
Nous nous sommes également concrètement attachés à renforcer les politiques pénales prioritaires : la lutte contre les violences exercées à l’encontre des forces de l’ordre, en pénalisant plus fortement leur auteur ; la lutte contre le poison que constitue le trafic de stupéfiants, par la mise en œuvre d’un plan national de lutte contre les stupéfiants ; la lutte contre la menace terroriste, soutenue notamment par la création du parquet national antiterroriste.
Enfin, le Gouvernement accompagne les évolutions de la société en luttant contre la haine en ligne et contre la cybercriminalité. Un pôle national de lutte contre la haine en ligne a ainsi été créé par le garde des sceaux afin de sanctionner les discours de haine qui prospèrent sur internet.
Parmi les priorités du Gouvernement en matière de justice figure bien sûr la question de la justice des mineurs.
Le code de la justice pénale des mineurs est entré en application le 30 septembre 2021. C’est une réforme historique. Désormais, notre pays dispose d’une justice plus rapide pour toutes et tous. Cette réforme met aussi fin à l’empilement des mesures éducatives par la création d’une mesure éducative judiciaire unique, dont le contenu est modulable et adaptable à l’évolution du mineur.
Je voudrais répondre à la question de Mme la sénatrice Carrère sur les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme.
Je vous confirme, madame la sénatrice, que tous les services du ministère de la justice sont mobilisés et que le budget de la justice des mineurs, plus particulièrement le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, constitue une priorité. En deux ans, près de 95 millions d’euros supplémentaires ont permis de renforcer l’action de la protection judiciaire de la jeunesse, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur associatif habilité.
La justice des mineurs, c’est aussi la protection des plus fragiles, notamment des enfants, contre toutes les formes de violences. Elle constitue, elle aussi, une grande priorité du Gouvernement.
Des avancées majeures ont été faites dans ce domaine. Ainsi, la loi de 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a permis d’allonger le délai de prescription des crimes et délits sexuels commis sur mineurs. La protection des mineurs exposés aux violences familiales est complètement assurée par notre droit, qui garantit désormais à ce dernier un statut de victime, grâce au travail mené main dans la main par le Gouvernement et le Parlement.
En matière de politique pénitentiaire, le Gouvernement a fait de la lutte contre la récidive une priorité. Il a mis en œuvre différents chantiers afin de lutter contre la surpopulation carcérale, la radicalisation et favoriser la réinsertion des condamnés.
Pour répondre à MM. Lefèvre et Wattebled, j’indique que nous avons lancé le plan 15 000 places de prison, soit le programme immobilier pénitentiaire le plus ambitieux depuis trente ans. Ainsi, le nombre total de places disponibles sera porté à 75 000 en 2027, ce qui permettra un meilleur respect de la dignité des personnes incarcérées.
La mise en chantier des 7 000 premières places est d’ores et déjà lancée. En 2022, ces places seront livrées ou à un stade avancé de construction. Au total, quatorze opérations sont en cours dans toute la France, à Caen, au Mans, à Avignon, à Koné, à Gradignan et à Troyes.
Le deuxième volet de 8 000 places est lui aussi résolument engagé. Les seize sites des opérations pénitentiaires sont désormais identifiés. Permettez-moi d’ailleurs de saluer ici l’esprit républicain des maires qui accueillent et soutiennent ces projets. Je pense notamment aux élus de Caen ou d’Angers.
La lutte contre la radicalisation a également été marquée par un renforcement de l’arsenal législatif visant à la détection, au suivi et à l’entrave des individus susceptibles d’être radicalisés et de constituer une menace pour l’ordre public.
Je tiens également à évoquer la loi du 30 juillet 2021, qui a créé la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, ou encore celle du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui a créé deux nouveaux délits aux fins de lutter contre la radicalisation violente.
La prise en charge des radicalisés en établissement pénitentiaire a aussi été renforcée par la création de nouveaux quartiers d’évaluation et de prise en charge de la radicalisation.
Pour répondre au sénateur Sueur et à la sénatrice Vogel, j’indique que la justice s’incarnant d’abord dans des hommes et des femmes, 7 400 emplois ont été créés dans ce secteur en cinq ans. Au total, le nombre de personnels du ministère a ainsi été porté à plus de 90 000. C’est du jamais vu ! De même, 650 postes supplémentaires de magistrats ont été créés, contre seulement 27 au cours du quinquennat précédent. Lors du quinquennat 2007-2012, 102 postes avaient même été supprimés. Enfin, près de 850 postes supplémentaires de greffiers ont également été créés.
Par ailleurs, ces douze derniers mois, sur l’initiative d’Éric Dupond-Moretti, la Chancellerie a procédé à une campagne de recrutement inégalée de 3 450 personnels. Pour une justice plus proche du justiciable, plus réactive, nous avons aussi procédé au recrutement de 2 100 emplois publics nets, en douze mois seulement.
En réponse aux questions qui ont été posées sur ce qu’il se passe à Calais, je rappelle que le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a indiqué hier que jamais les policiers ou les gendarmes n’avaient eu pour consigne de lacérer les tentes. (M. Thomas Dossus fait un signe de dénégation.) D’après les témoignages, ces actes sont le fait d’opérateurs privés chargés de nettoyer les lieux après le départ des migrants. Le ministère de l’intérieur a clairement demandé de ne pas procéder à de tels agissements.
J’évoquerai à présent les violences faites aux femmes.
Il a été dit que les policiers bénéficiaient d’une formation aux violences sexistes et sexuelles d’une durée de trois heures. Je ne sais pas d’où provient ce chiffre, mais il est totalement faux. J’ai présenté cette semaine la nouvelle version de la formation des policiers et des gendarmes sur ce sujet : sa durée pourrait atteindre 120 heures en formation initiale. Plus de 90 000 policiers et gendarmes ont d’ores et déjà bénéficié d’une formation continue sur cette question spécifique. Je suis à la disposition des parlementaires qui souhaiteraient des précisions à cet égard. J’ai travaillé cette semaine avec Ernestine Ronai, à Rosny-sous-Bois, sur la formation des policiers.
Personne ne peut ici décemment considérer que le Gouvernement n’a pas agi contre les violences conjugales. Je veux bien qu’on dise qu’on n’en fait jamais assez, que les choses ne vont jamais assez vite – je partage évidemment ce point de vue –, mais je rappelle que nous avons fait voter quatre lois en quatre ans et que nous avons organisé le Grenelle des violences conjugales, ce qui nous a enfin permis de sortir des logiques de silo.
Des dizaines de mesures ont été prises, comme la saisie des armes dès le dépôt de plainte, la déchéance de l’autorité parentale, la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement et de la grille d’évaluation du danger. La formation a également été revue. Enfin, une circulaire du garde des sceaux prévoit que les victimes doivent désormais être informées lorsque l’homme condamné sort de prison. Nous devons désormais travailler ensemble à la bonne exécution de ces mesures partout sur le terrain.
Le budget du ministère de la justice pour 2021 a connu une exécution record puisque, pour la première fois, seront utilisés plus de 8 milliards d’euros de crédits.
Enfin, pour répondre aux autres questions qui m’ont été posées, je rappelle que les États généraux de la justice sont aussi une occasion de progresser sur tous les sujets, dont ceux qui ont été abordés dans la tribune publiée par les magistrats. Contrairement à ce qu’on peut entendre dire ici et là, ces États généraux sont non pas une opération de communication, mais une occasion de dialogue destinée à permettre de trouver des solutions très concrètes.
M. Jean-Pierre Sueur. Personne n’en doute ! (Sourires.)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Pour vous en convaincre, je rappelle que ces États généraux ont été demandés par les plus hauts magistrats de France – les deux chefs de la Cour de cassation –, qu’ils sont dirigés par un comité indépendant, dont Jean-Marc Sauvé est le président – son indépendance et son courage sont salués par tous – et que François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, en est membre.
Les travaux de ces États généraux seront publiés, chacune et chacun pourra en avoir connaissance en intégralité.
Des ateliers embrassent tous les thèmes d’actualité qui sont au cœur de la justice. Trois d’entre eux portent d’ores et déjà sur les moyens, les organisations et les missions des magistrats et des greffiers. C’est un exercice démocratique sans précédent qu’il convient de saluer, tout comme le Beauvau de la sécurité, conduit par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Tous ceux qui ont envie d’améliorer la justice et d’accroître la sécurité dans notre pays doivent y prendre leur part, comme l’a d’ailleurs fait le Sénat lors d’une Agora de la justice.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose d’une question de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. « Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient, tant chez les nouveaux magistrats que chez les magistrats plus expérimentés. L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance » : ainsi se sont exprimés les magistrats, madame la ministre, dans une tribune publiée la semaine dernière et signée par 3 000 d’entre eux, soit plus d’un tiers des membres de la profession.
Si les magistrats dénoncent un manque de moyens, ils regrettent sur le fond une justice qui « n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout ». Ils ajoutent : « Nous comprenons que les personnes n’aient plus confiance aujourd’hui en la justice que nous rendons, car nous sommes finalement confrontés à un dilemme intenable : juger vite mais mal, ou juger bien mais dans des délais inacceptables. »
Que vous évoque le mal-être que connaît cette profession, comme celui, d’ailleurs, des agents des forces de l’ordre ? Ces derniers sont eux aussi soumis depuis trop longtemps à la politique du chiffre, tout en étant confrontés à la misère sociale au quotidien. Leur travail anxiogène donne trop souvent lieu au pire…
Comment redonner du sens à ces professions essentielles pour notre État de droit et pour le bien vivre ensemble, piliers de notre société ? Comment redonner leur grandeur aux politiques régaliennes dont dépendent magistrats et forces de l’ordre ? Que faire pour que ces professionnels puissent se relever face à tant de souffrance et de mépris ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Cukierman, le garde des sceaux a été extrêmement sensible au témoignage que vous évoquez.
À la suite de la publication de cette tribune, il a reçu une délégation de représentantes et de représentants des 3 000 signataires. Il a également reçu les présidents des conférences nationales de magistrats. Il reçoit aujourd’hui même les organisations syndicales de fonctionnaires de la direction des services judiciaires.
Cette tribune soulève trois questions : d’abord, celle des moyens. Le Gouvernement s’est attaché à donner des moyens à la justice comme jamais auparavant. À cet égard, le projet de loi de finances en cours de discussion prévoit le budget le plus élevé de l’histoire de la justice et des services judiciaires.
Cette tribune soulève ensuite la question de la considération envers les magistrats, alors que de très nombreux responsables politiques ou de la société civile les mettent en cause.
Enfin, elle soulève la question des organisations, notamment des missions des magistrats et des greffiers.
C’est notamment pour répondre à ces trois questions fondamentales qu’ont été lancés les États généraux de la justice, en octobre dernier, par le Président de la République. Chacun est invité à y contribuer afin de reconstruire ensemble le service public de la justice, après des années de délaissement. C’est une œuvre qui demande du temps, de la méthode. C’est dans cet état d’esprit que nous œuvrons depuis bientôt cinq ans.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, vous avez parlé dans votre intervention précédente de « révolution copernicienne », faisant d’ailleurs preuve d’un léger manque d’humilité…
Il ne faut pas simplement réunir et entendre les professionnels, il faut faire et agir. La véritable révolution copernicienne consisterait, par exemple, à organiser de véritables États généraux en début de quinquennat afin de prendre réellement la mesure de la situation, d’agir et de répondre aux magistrats et aux forces de l’ordre, ainsi qu’à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, ma question porte sur le développement du programme Scribe, le nouveau logiciel de rédaction et de pilotage des procédures de la police nationale.
Annoncé dès 2016, cet ambitieux programme semble rencontrer des difficultés que certains jugent insurmontables.
Alors que la procédure pénale numérique devait être étendue à l’ensemble des juridictions françaises en 2022, la police attend encore un outil informatique moderne devenu indispensable, car le système actuel, même dans sa dernière version la plus évoluée, est en bout de course.
Un récent article du Monde détaille les nombreuses difficultés techniques qui s’enchaînent depuis le début de ce projet et évoque un « enlisement » d’autant plus inquiétant que certains hauts responsables de la police nationale avancent que, au total, 11,7 millions d’euros seraient partis en fumée, salaires des policiers détachés compris.
Madame la ministre, où en est précisément ce projet aujourd’hui ? Va-t-il effectivement aboutir ? À quel coût et dans quel délai ?
Alors que de nombreux candidats à l’élection présidentielle de 2022 annoncent d’ores et déjà une simplification de notre procédure pénale, il me semble tout aussi urgent que la police et la justice puissent disposer au quotidien d’un outil informatique performant. Il y va de l’efficacité de la lutte contre toutes les formes de délinquance.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, le logiciel de rédaction des procédures est le cœur du système d’information de la police nationale. Vous avez raison, il est utilisé quotidiennement depuis 2012 et produit annuellement près de 4 millions de procédures.
Selon les policiers, l’outil actuel est rigide et compliqué. C’est pourquoi le développement d’un nouveau logiciel, appelé Scribe, avait été lancé dès 2016.
Ce programme était destiné à répondre aux demandes des policiers du terrain de pouvoir mieux établir les procédures. Il devait être un outil moderne, simple à utiliser, permettant un pilotage performant. Malheureusement, le programme n’a pas répondu à ces ambitions, pour des questions de gouvernance, de priorisation et de pilotage.
Face à ces difficultés majeures, le ministre de l’intérieur a décidé, cet automne, de faire une pause dans le projet afin de le relancer sur de nouvelles bases plus efficaces.
Il arrive parfois que des projets informatiques échouent, dans les entreprises ou les collectivités. Il importe surtout de savoir arrêter un projet quand cela est nécessaire, de le réorienter et de fixer un objectif qui puisse être atteint.
Pour l’heure, l’actuel logiciel de procédure sera modernisé et simplifié.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, le Gouvernement auquel vous appartenez s’est donné pour objectif, au fil de la législature, de rapprocher l’action des collectivités de celle de l’État, notamment en matière de sécurité.
La montée en puissance des communes sur ce sujet doit se faire sur des bases claires concernant le recrutement de policiers municipaux – le Gouvernement y a contribué –, mais également l’installation de caméras de vidéoprotection. À cet égard, nous rencontrons à l’échelon local quelques difficultés.
Si l’État encourage, souvent très fortement, les communes à se doter de caméras de vidéoprotection, dont elles ont la responsabilité et l’initiative, l’accompagnement financier qui est censé aller de pair, est, lui, plus incertain.
Ce financement est incertain, car il est censé provenir du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR). Alors que son extinction était programmée, ce fonds se retrouve finalement au cœur de la stratégie de montée en puissance de la vidéoprotection.
Pourtant, malgré la circulaire du 5 mars 2020, qui définit les orientations triennales 2020-2022 du Gouvernement en la matière, et celle du 30 avril 2021 relative aux orientations budgétaires du fonds pour l’année 2021, lequel affiche un budget de 69 millions d’euros, contre 66 millions d’euros adoptés au titre de la loi de finances pour 2020, le compte n’y est toujours pas.
Le Gouvernement souhaite soutenir la mutualisation et la mise en réseau des moyens de vidéosurveillance. Je suis favorable à ce chantier, s’il est matériellement possible.
Or, dans mon département, par exemple, un grand nombre de dossiers de demandes de subventions ont dû être refusés cette année, alors qu’un diagnostic « sécurité » effectué par la police nationale ou par la gendarmerie les étayait souvent. Les moyens dévolus sont trois fois inférieurs aux besoins exprimés.
Que compte faire le Gouvernement sur ce sujet, qui figure parmi les préoccupations majeures des Français ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, la vidéoprotection est un enjeu majeur de notre politique de sécurité globale.
Vous l’avez rappelé à juste titre, le FIPDR permet de financer plusieurs priorités : la prévention de la délinquance, la prévention de la radicalisation et la sécurisation des sites sensibles, notamment via la vidéoprotection.
À cet égard, je vous confirme l’annonce faite par le Président de la République lors de la clôture du Beauvau de la sécurité : la vidéoprotection bénéficiera bien d’une augmentation de moyens significative en 2022. En effet, 10 millions d’euros supplémentaires y seront consacrés au titre du plan de relance. Le montant du FIPDR sera ainsi porté à 79,4 millions d’euros l’an prochain.
De plus, 5 millions d’euros supplémentaires ont été prévus dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021 pour financer les actions dites « prioritaires » de vidéoprotection, par exemple à Mayotte, comme s’y est engagé le ministre de l’intérieur.
Enfin, ces budgets renforcés permettront aux préfets d’investir le champ de la lutte contre l’islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains. Les représentants de l’État pourront notamment veiller au déploiement, partout sur le territoire, de la loi du 24 août dernier.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Madame la ministre, depuis le début de l’année, 104 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ancien compagnon : ce sont 104 victimes de trop. La dernière d’entre elles a été tuée vendredi dernier, au lendemain de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, en bas de chez elle, alors même qu’elle bénéficiait d’un téléphone grave danger. L’auteur de ce crime était sorti de prison quelques jours auparavant, avec trois semaines d’avance, mais personne n’avait songé à prévenir la victime.
Comment expliquer un tel drame, alors même que, sur le papier, tout avait été fait ?
Les téléphones grave danger et les bracelets anti-rapprochement (BAR) ont toute leur utilité. Le législateur l’a compris et a modifié notre droit pour en faciliter l’attribution : c’était une avancée nécessaire, même si nous aurions souhaité aller plus loin.
Les efforts accomplis sont, hélas ! loin d’être suffisants : pour que ces outils soient efficaces, encore faut-il qu’ils soient utilisés. Nous avons bien noté l’augmentation de leur usage ces derniers mois, mais nous sommes encore loin du compte.
Sur 1 000 bracelets disponibles, seuls 500 ont été activés depuis le début de l’année. En parallèle, moins de 2 000 femmes sont équipées d’un téléphone grave danger, alors que ce dispositif existe depuis 2014. Le nombre d’ordonnances de protection est en hausse, mais ces dernières sont encore trop souvent rejetées, car le danger est mal apprécié.
Au-delà de ces outils, les derniers crimes soulignent des dysfonctionnements majeurs de notre système judiciaire : si les femmes sont en danger, c’est aussi parce que les informations ne circulent pas entre les différents acteurs.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que toutes les femmes en danger puissent enfin être pleinement protégées ? Quel bilan tirez-vous de la lutte contre les violences faites aux femmes ? Considérez-vous avoir fait tout ce qui était possible ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je le répète, on ne fait jamais assez, on ne va jamais assez vite pour protéger les femmes, et un féminicide sera toujours un féminicide de trop.
Cela étant, le Gouvernement a défendu quatre textes en quatre ans pour mieux protéger les droits des femmes. Beaucoup de ces dispositions ont été discutées avec les parlementaires dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. À présent, nous nous attachons à assurer leur application sur le terrain.
Au ministère de l’intérieur comme au ministère de la justice, nous nous attachons à lever un à un tous les obstacles érigés entre les femmes et la plainte.
C’est le sens des formations proposées aux policiers – je le répète, près de 90 000 d’entre eux sont en formation continue et la formation initiale peut aller jusqu’à 120 heures.
C’est aussi le sens de la grille d’évaluation du danger, qui permet de mieux qualifier la plainte ; en effet, une plainte mieux qualifiée lors de son enregistrement, c’est une plainte mieux traitée par la justice.
Nous avons donné des consignes pour que 100 % des plaintes soient retenues : à cet égard, nous refusons à la fois le recours aux mains courantes et, évidemment, les refus de plaintes, que le code pénal interdit.
Élaborée en partenariat avec les associations, la grille d’évaluation du danger regroupe plusieurs dizaines de questions et permet de bien qualifier la plainte. J’y insiste, toutes les plaintes doivent être transmises au parquet : tel n’a pas toujours été le cas par le passé.
Ensuite, nous avons ouvert la possibilité de saisir la police par texto au 114, quand on ne peut pas parler au 17. Nous avons créé le site « arretonslesviolences.gouv.fr », qui permet à chacune et à chacun de saisir des policiers et des gendarmes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
Enfin, parce que le téléphone grave danger nécessite l’action de la femme elle-même, nous avons développé les bracelets anti-rapprochement, dont le déclenchement est, lui, automatique. La Chancellerie en a financé un nombre significatif. Depuis 2020, 676 BAR ont été déployés et, depuis qu’ils existent, 426 demandes d’intervention des forces de sécurité ont été enregistrées.
En prenant mes précédentes fonctions, j’avais demandé, avec Nicole Belloubet, un plus fort déploiement des téléphones grave danger. M. le garde des sceaux a donné une instruction en ce sens et, depuis le Grenelle des violences conjugales, il y a deux ans, l’usage de ce dispositif a augmenté de 168 %.
Bref, nous avons déployé beaucoup de dispositifs, nous avons promulgué beaucoup de lois. Nous avons également instauré la saisie des armes, car le premier mode opératoire du féminicide, c’est l’arme à feu. Nous veillons à ce que les femmes disposent d’un hébergement. Nous assurons la déchéance de l’autorité parentale, car un conjoint meurtrier ne saurait continuer à prendre quelque décision que ce soit pour les enfants dont il a tué la mère.
Monsieur le sénateur, vous connaissez l’ensemble de ces initiatives : elles ont été débattues dans cette assemblée.
En matière régalienne, le Gouvernement a bel et bien pris, dans la loi, toutes les mesures nécessaires pour mieux protéger les femmes face aux violences conjugales. Il fait tout ce qui est en son pouvoir, mais il ne peut pas tout et il ne peut agir seul. Face à ce fléau, qui, d’après les anthropologues, sévit depuis l’Antiquité, c’est d’une mobilisation de la société tout entière que nous avons besoin.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.
M. Jérôme Durain. Madame la ministre, une femme a été tuée parce que personne ne l’avait prévenue de la sortie de prison de son ex-conjoint : elle disposait d’un téléphone grave danger, mais n’a pu l’utiliser. En mai dernier, une autre a été brûlée vive par son conjoint, tout juste sorti de prison. Combien de vies auraient pu être épargnées si notre système judiciaire avait fonctionné de manière optimale ?
L’an dernier, on a déploré 102 victimes de féminicides. Parmi elles, une femme sur cinq avait porté plainte pour des faits de violences. Or 80 % des plaintes sont encore classées sans suite. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la ministre, la consommation de stupéfiants est un véritable fléau, qu’il nous faut combattre sans relâche tant ses conséquences sur la santé physique et psychologique sont graves.
Les personnes addicts sombrent dans une immense souffrance et dans une situation de fracture humaine, marquée par la rupture sociale et familiale, la dépendance, l’isolement, voire malheureusement pis encore.
Au-delà de cette souffrance, le trafic de stupéfiants constitue une menace grave pour l’ordre public et pour la cohésion de notre société. Dans certaines zones de Marseille ou de la banlieue parisienne, la République est défiée. À Paris, des habitants excédés par les trafics s’en sont pris aux toxicomanes.
Cette série d’images tristement célèbres ne cesse de s’étoffer : en témoigne la voiture incendiée du maire de Briançon, à qui nous apportons notre entier soutien en saluant son combat contre la drogue.
Certains réseaux ne se cachent plus. Ils développent un véritable marketing, à grand renfort de réductions de prix, de programmes de fidélité et même de vidéos promotionnelles.
Ces constats traduisent une bien triste réalité : les Français figurent parmi les plus gros consommateurs de stupéfiants en Europe.
Au total, 80 % de l’héroïne consommée dans le monde profitent aux talibans, qui dominent ce marché. Le trafic de stupéfiants est l’une des principales sources de financement des mouvements terroristes et des mafias : c’est là une autre raison de s’y attaquer.
Depuis le 1er septembre dernier, les consommateurs encourent une amende forfaitaire, dont le but est d’apporter une réponse rapide à ces infractions.
J’en conviens tout à fait : il faut se concentrer davantage sur les réseaux de production et de distribution. Néanmoins, la sanction pour les consommateurs est-elle la solution la plus dissuasive ? Nous le savons, face aux consommations addictives, la prévention et l’accompagnement sont indéniablement les actions les plus efficaces.
Madame la ministre, quels résultats la lutte contre le trafic de stupéfiants a-t-elle donnés dans notre pays depuis 2017 ? Quelles sont les mesures envisagées pour la poursuivre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je puis vous assurer que, face à ce fléau, notre ministère est pleinement mobilisé. Gérald Darmanin et moi-même avons en effet décidé de faire de la lutte contre les trafics de drogue l’une des trois grandes priorités de l’action du ministère de l’intérieur.
À cet égard, la légalisation serait une fausse bonne solution. (M. Franck Menonville opine du chef en signe d’assentiment.) Elle ne ferait qu’accroître les trafics et la consommation de drogue. Nous sommes donc engagés dans une politique répressive : c’est précisément le rôle du ministère de l’intérieur, et cet effort porte ses fruits.
Pour la première fois, une structure dédiée au démantèlement des trafics a été constituée : il s’agit de l’Ofast, créé en 2019, qui réunit toutes les administrations agissant contre les trafics de drogue. Cette structure est dotée de cellules locales. Elle assure également un recueil d’informations, complété par la mise en œuvre, depuis mars 2021, de la plateforme de signalement des points de deal, laquelle a déjà recueilli plus de 9 000 signalements, et nous obtenons des résultats concrets : depuis le 1er janvier 2021, le nombre de points de deal a reculé de 10 %.
Notre action s’adapte aussi aux nouvelles technologies déployées sur internet, notamment sur le darkweb. Ainsi, nous avons créé une cellule cyber au sein de l’Ofast. Pour la première fois, la France dispose enfin d’une véritable stratégie, avec la création de l’amende forfaitaire délictuelle. Plus de 100 000 amendes de ce type ont été dressées depuis le 1er septembre 2020.
Les quantités des différentes drogues saisies ont également augmenté ces derniers mois, grâce à l’action de la police et de la gendarmerie, que je tiens à saluer.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda.
Mme Muriel Jourda. Madame la ministre, à la suite de mes collègues, en particulier Mme Agnès Canayer et M. Antoine Lefèvre, j’insiste sur l’insatisfaction que la justice inspire aujourd’hui aux magistrats et, bien sûr, aux justiciables. Ces derniers ne lui font plus confiance, notamment en raison des délais de jugements significativement trop longs.
En la matière, l’une des préconisations de la Cour des comptes est, en somme, de faire moins de réformes et plus de gestion. En ce sens, il conviendrait d’adopter un référentiel permettant de mettre, en regard des charges de travail observées, les ressources humaines qu’elles exigent. Qu’en pensez-vous ?
M. Antoine Lefèvre. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question.
L’organisation du travail au sein de la justice et, plus spécifiquement, la gestion des ressources humaines font partie des points que le garde des sceaux souhaite aborder dans le cadre des États généraux de la justice.
Vous l’avez parfaitement rappelé : cette répartition du travail est un véritable enjeu. Si j’osais, je parlerais également de la charge émotionnelle qui l’accompagne. On le sait, les greffiers, les magistrats, les avocats et, globalement, l’ensemble des acteurs de la justice sont confrontés, dans notre pays, à un grand nombre de problèmes, qu’ils doivent traiter dans des délais de plus en plus restreints.
Le garde des sceaux s’est déjà exprimé sur ce sujet. Il appelle chacune et chacun à prendre part à ce travail, afin de trouver des solutions. C’est ce qui a été fait, pour ce qui concerne le ministère de l’intérieur, dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.
Mme Muriel Jourda. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Toutefois, au risque d’être redondante, je tiens à souligner que la préconisation de la Cour des comptes que j’évoquais figure, certes, dans un rapport publié le mois dernier, mais qu’elle a également été formulée en 2018. Nous serons bientôt en 2022. Les États généraux de la justice arrivent bien tard dans ce quinquennat.
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
Mme Muriel Jourda. Ce problème a été soulevé voilà bientôt quatre ans : il est grand temps de le prendre en compte.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, en compilant les données issues des médias et de la communication du Gouvernement, l’on constate que, depuis 2017, sept cellules terroristes d’extrême droite ont été démantelées et que dix projets d’attentats formés par cette mouvance ont été déjoués.
À ces projets, à ces équipes prêtes à agir, s’ajoute l’action de ligues factieuses comme Génération identitaire, organisation qui se reconstruit partout en France malgré sa dissolution, sous le nom des Natifs, à Paris, ou des Remparts, à Lyon. Un sentiment d’impunité semble les habiter, puisque des militants d’extrême droite continuent de mener des actions violentes sans être inquiétés.
Ainsi, dans la ville de Lyon, que je connais bien, plusieurs actions coup de poing sont restées sans réponse depuis la dissolution de Génération identitaire.
L’impunité et la violence s’observent également en ligne, sur les réseaux sociaux comme sur les messageries sécurisées, où se multiplient les campagnes de harcèlement et les appels au meurtre de journalistes, de politiques, d’immigrés, de juifs et de musulmans.
La violence est aussi dans certains médias, où toutes les digues ont sauté. On peut aujourd’hui lire les tribunes de généraux factieux ou de responsables politiques complotistes, appelant tout simplement à l’insurrection armée. On peut aussi entendre les inspirateurs de terroristes d’extrême droite exposer leurs théories criminelles en direct sur les plateaux de télévision.
Ce qui se passe dans notre pays est plus qu’inquiétant. Pourtant, du côté du Gouvernement, la réponse reste timide. On salue le travail des services de renseignement, on se félicite des attentats déjoués, mais on manque d’une approche globale.
Un exemple résume cette situation, celui de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos). Chargé de traiter les contenus haineux en ligne, cet organe ne compte que cinquante-quatre agents pour toute la France, alors que des centaines de milliers de signalements sont transmis chaque année. J’ai personnellement pu constater l’insuffisance de ses moyens humains : il y a trois semaines, j’ai signalé auprès de Pharos une adresse électronique m’ayant fait parvenir, en un an, plus de 500 courriels à caractère antisémite et violent. Or je n’ai pas encore obtenu la moindre réaction et l’on continue de m’adresser ces courriels en toute impunité.
Madame la ministre, ma question est simple : votre gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure de la menace que l’extrême droite fait peser sur notre sécurité et mettre fin à l’impunité dont jouissent ces militants ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, c’est bien la première fois que Gérald Darmanin ou moi-même sommes qualifiés de « timides » dans notre action !
Dans les discours comme dans les actes, nous agissons avec force contre la violence de l’extrême droite et de ses cellules.
Sur proposition du ministre de l’intérieur, le Président de la République a prononcé la dissolution de dix associations d’ultra-droite en conseil des ministres. Ainsi, en mars 2021, il a dissous Génération identitaire, structure qui existait bien avant 2017. (M. Thomas Dossus le concède.) Or aucune action n’avait été entreprise en ce sens. Ce mois-ci, il a également prononcé la dissolution de l’Alvarium.
Je précise, si besoin en était, que nous agissons dans le respect du droit : toutes nos décisions ont été validées par le Conseil d’État.
Ce sont là des résultats concrets, que les majorités précédentes n’ont jamais obtenus. Nous sommes le premier gouvernement à prendre le problème à bras-le-corps, en procédant à la dissolution de ces groupes d’extrême droite. (M. Thomas Dossus manifeste son désaccord.)
En parallèle, nous renforçons la lutte contre la haine en ligne, avec la montée en charge de Pharos. Le Président de la République et le Premier ministre ont décidé que cette plateforme serait ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ; ce n’était pas le cas précédemment. J’ajoute que nous avons porté ses effectifs à cinquante-quatre équivalents temps plein (ETP).
Au total, 77 % des contenus passant par Pharos sont retirés. Vous avez raison, nous ne sommes pas encore à 100 %. Il faut que nous atteignions cet objectif, mais le chiffre actuel représente déjà une immense progression par rapport à la situation préexistante.
De plus, une unité judiciaire est chargée d’accentuer la judiciarisation de ces contenus illicites.
On ne saurait non plus dédouaner les plateformes : ces dernières sont responsables de leur propre modération et doivent supprimer ces contenus d’elles-mêmes – c’est précisément ce que nous leur avons demandé.
C’est aussi la première fois qu’un gouvernement orchestre la riposte contre la haine en ligne, en créant une unité de contre-discours républicain au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Cette structure, placée sous mon autorité, bénéficie de vingt équivalents temps plein. S’y ajoute un ensemble de partenaires associatifs avec qui nous travaillons grâce au fonds Marianne, doté de 2,5 millions d’euros, pour intervenir en direct dans l’espace numérique.
Enfin, par la loi du 24 août 2021, le garde des sceaux a tenu à créer une nouvelle infraction pénale pour diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne en vue de la mettre en danger. Cette disposition permet la comparution immédiate des auteurs de tous ces discours en ligne, y compris, bien entendu, quand ils viennent de l’extrême droite.
Toutes ces mesures, et bien d’autres encore, démontrent l’engagement du Gouvernement pour lutter contre les menaces violentes émanant de l’extrême droite.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? »
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 1er décembre 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l’État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie » ;
Désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur le thème « La santé et la situation de l’hôpital en France » ;
Débat sur le thème « La situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer » ;
Débat sur le thème « Éducation, jeunesse : quelles politiques ? ».
Le soir :
Débat sur le thème « Situation des comptes publics et réforme de l’État ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER