Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à Mme Elsa Schalck, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le second passage de ce texte devant notre assemblée est une nouvelle occasion de saluer le travail et l’engagement de notre collègue Sylvie Robert, qui est à l’initiative de cette proposition de loi.
C’est également l’occasion de rappeler l’importance de ce texte, très attendu, tant nous connaissons les vertus de la lecture et les bénéfices de ces lieux que sont les bibliothèques, si importantes à la vie culturelle de nos communes. Alors que des lois existent concernant les musées et les archives, jamais, jusqu’à ce jour, il n’y avait eu de loi-cadre sur les bibliothèques. C’est donc une première !
Pour la première fois, donc, ce texte donne une définition de ce qu’est une bibliothèque. La richesse que constituent les livres et la lecture est inestimable et je salue, à ce titre, le vote il y a quelques instants du texte de notre collègue Laure Darcos, qui permet de mettre en avant la filière professionnelle du livre et nos librairies.
Lieux de rencontre, de partage, de savoir, d’apprentissage, de créativité, de liberté et d’émancipation, les bibliothèques répondent à de réelles attentes de nos concitoyens, qui sont attachés à ces lieux de vie pour petits et grands. Ainsi, 76 % des Français considèrent que les bibliothèques sont utiles à tous.
Cette proposition de loi s’articule autour de trois grands principes qu’il était important de consacrer, afin de donner un cadre législatif clair, précis et ambitieux aux bibliothèques : la liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales, qui permet un accès sur place ou à distance ; la gratuité de l’accès à cet espace public et la gratuité de la consultation sur place ; et le pluralisme des collections, afin notamment d’éviter toute censure.
Cela a été dit, inscrire les bibliothèques dans la loi permet également de reconnaître le rôle de l’ensemble des personnes qui y travaillent afin de les protéger : bibliothécaires, bénévoles et étudiants, dont le travail et l’engagement au service des autres sont à saluer.
Les enjeux d’une bibliothèque en 2021 sont multiples : numériques, socioéconomiques, éducatifs, culturels.
L’Assemblée nationale est venue compléter la liste des missions des bibliothèques territoriales. Il était utile de rappeler que les bibliothèques participent au développement de la lecture publique, à la réduction de l’illettrisme, à la diffusion et à la promotion du patrimoine linguistique, et à la coopération des organismes culturels, éducatifs, sociaux, mais également des établissements pénitentiaires.
Aujourd’hui, on le voit au travers de leurs missions, les bibliothèques sont protéiformes et offrent des services qui s’adressent à toute la population.
En évolution permanente, elles ont su se transformer pour relever ces défis sociaux, éducatifs et culturels. Elles ne sont plus seulement un lieu de savoir et d’études ; elles ont une vocation sociale et permettent la rencontre de toutes les générations et de tous les milieux socioprofessionnels.
Par leur maillage territorial dense, les bibliothèques sont la première porte d’un égal accès pour tous à l’apprentissage et à la découverte de la lecture, avec tout ce que cela comprend. Ainsi, 70 % des communes de plus de 2 000 habitants ont une bibliothèque. Et nous voyons de plus en plus des projets de boîtes à livres émerger, notamment dans les rues des petites communes.
Véritables services publics de proximité et parfois seul équipement culturel de la commune, les bibliothèques sont des lieux de vie auxquels les élus et nos concitoyens sont particulièrement attachés.
En tant que sénatrice du Bas-Rhin, je tiens à prendre pour exemple la Bibliothèque d’Alsace, qui se caractérise par ses 700 000 ouvrages, 288 bibliothèques et 300 bénévoles investis. Son bon fonctionnement et l’engouement qu’elle suscite témoignent de la forte utilité des bibliothèques départementales.
La proposition de loi que nous examinons a été adoptée à l’unanimité de notre assemblée le 9 juin dernier. Elle l’a également été le 6 octobre par nos collègues de l’Assemblée nationale, dont le travail a permis d’enrichir le texte. Je prendrai deux exemples : la possibilité donnée aux bibliothèques de l’État et aux collectivités de revendre les livres dont elles n’ont plus l’usage ; ou encore le fait que les départements ne pourront ni supprimer ni cesser d’entretenir les bibliothèques dont ils ont la charge.
Je me réjouis que le processus législatif prenne fin, permettant ainsi à ce texte de voir le jour. C’est une fierté aujourd’hui et une belle reconnaissance pour tous les acteurs concernés, et je tiens de nouveau à remercier Sylvie Robert pour son engagement sur cette question depuis 2015.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un plaisir de terminer l’année 2021 avec ces deux propositions de loi sur, d’une part, l’économie du livre et, d’autre part, les bibliothèques et le développement de la lecture publique. La lecture, les livres et les bibliothèques sont indispensables à la transmission des savoirs, mais aussi à l’ouverture sur le monde dont nous avons tant besoin.
Je remercie de nouveau mes collègues Sylvie Robert et Laure Darcos, à l’initiative de ces textes. Grâce à vous, nous avons pu débattre au Sénat de ces sujets et obtenir l’unanimité sur ces deux propositions de loi.
La proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique était très attendue par la profession. C’est grâce à leurs personnels que nos bibliothèques ont su innover, se réinventer, afin de sauvegarder cette richesse qu’est la lecture publique, sans oublier le rôle central de lien social qu’ils et elles maintiennent dans ces lieux.
Le réseau de lecture publique s’est considérablement développé grâce en partie à la décentralisation. Dans le même temps, le cadre juridique dans lequel les bibliothèques territoriales s’inscrivent demeurait insuffisant. Cette loi apporte une réponse claire, adéquate et proportionnée à ce vide juridique.
Pour cela, elle réaffirme trois grands principes essentiels : la liberté d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales sur tout le territoire français ; la gratuité d’accès aux collections et documents présents dans les bibliothèques territoriales ; et, enfin, le pluralisme des collections afin de respecter les opinions de chacune et de chacun, et de réaffirmer la neutralité de nos services publics.
Grâce à ces principes, nous pouvons avoir bon espoir que ce texte participe au développement de l’accès à la culture.
En revanche, je regrette que le Gouvernement ait décidé de rendre obligatoire le passe sanitaire de 12 ans à 17 ans dans les bibliothèques, alors que dans le cadre scolaire le passe n’est pas demandé. Cette obligation risque d’accroître les inégalités d’accès à la culture. Après des mois de confinement avec l’école à la maison, il faudrait au contraire encourager les jeunes à se rendre dans les bibliothèques.
L’Assemblée nationale a apporté à ce texte des ajouts intéressants, que je salue : sur le patrimoine linguistique, afin que les bibliothèques aient pour mission de participer à sa diffusion et à sa promotion, en écho à la proposition de loi sur les langues régionales adoptée en avril dernier ; sur l’accès aux personnes en situation de handicap, qui doit être facilité ; sur la réduction de l’illettrisme et l’illectronisme ; sur la coopération avec les organismes culturels éducatifs et sociaux et les établissements pénitentiaires ; enfin, sur l’impossibilité pour les départements de supprimer des bibliothèques ou de cesser de les entretenir.
Je suis heureuse que les députés aient amendé l’article 12 dans le sens de ce qu’avec le groupe écologiste nous avions proposé en première lecture.
Malgré la réserve du Sénat liée aux droits d’auteur, la mobilisation des bibliothécaires qui a suivi durant l’été a montré le non-sens de réduire les dons des documents uniquement aux associations loi 1901 sans possibilité de revente.
L’Assemblée nationale a adopté une nouvelle rédaction qui permet aux bibliothèques de donner des livres dont elles n’ont plus l’usage à des fondations, à des associations philanthropiques ou à des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Celles-ci seront désormais autorisées à les revendre.
Je le rappelle ici, cet article ne prenait pas du tout en compte les pratiques déjà existantes. Il aurait pu mettre en péril toute une économie du livre d’occasion, pour laquelle ces dons sont importants. Cela aurait malheureusement conduit à la destruction, à la mise au pilon, de trop nombreux livres.
C’est avec enthousiasme que le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera ce texte, qui répond aux enjeux et aux problématiques des bibliothèques et fait un pas vers une bibliothèque inclusive, gratuite et informée dans le choix de ses collections. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre de la culture et des archives (Sourires.), mes chers collègues, ce texte en apparence simple et technique porte une évolution majeure du statut culturel des bibliothèques. Il fonde la reconnaissance législative de la bibliothèque comme institution du service public de la culture, non seulement pour la promotion du livre et de la lecture, mais aussi comme relais territorial de proximité de l’action culturelle.
Le nouvel article du code du patrimoine, créé par l’article 1er de la présente proposition de loi, donne enfin une âme à ce titre III, dont l’austérité toute notariale détonnait avec la place exceptionnelle que tiennent les bibliothèques dans notre imaginaire collectif : « des lieux du livre », mais aussi, et tellement, « des lieux du vivre », comme le disaient avec élégance Erik Orsenna et Noël Corbin dans leur rapport rendu le 20 février 2018.
Notre collègue Sylvie Robert, auteure et rapporteure de cette proposition, dont je salue la qualité et la fulgurance du travail (Exclamations amusées au banc des commissions.), fait sienne cette définition pour donner aux bibliothèques l’ambitieuse mission « de garantir l’égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ».
Vaste programme, aurait dit un général, et on peut d’ailleurs se demander si les bibliothèques ne vont pas finalement accueillir certaines des fonctions jadis dévolues, par son ministre de la culture André Malraux, aux maisons de la culture.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Ce n’est pas faux !
M. Pierre Ouzoulias. Dans ce domaine, la proposition de loi va très loin puisqu’elle confère à cette mission générale toutes les garanties du service public, c’est-à-dire la neutralité, le pluralisme et l’interdiction de toutes les formes de censure idéologique, politique ou religieuse. Toutes ces règles sont elles-mêmes protégées par le principe de mutabilité du service public qui assurera leur pérennité, indépendamment de l’évolution des techniques, des procédés de lecture et des supports de l’information.
Cette reconnaissance législative profite aussi et surtout aux personnels des bibliothèques et à leurs missions. C’est une évolution sociale considérable qui va sans doute imposer des adaptations de leur cadre d’emploi. En quelque sorte, les bibliothécaires rejoignent les rangs des hussards noirs de la République dans leur noble mission de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation », ainsi que le disait Jules Ferry en 1870.
À l’heure de la prépondérance du numérique, de l’impérialisme abêtissant des plateformes et du mythe prométhéen de la capacité omnipotente de l’individu à se construire seul son capital culturel, il est réjouissant de constater la grande santé des bibliothèques. Partout où il en ouvre de nouvelles, elles sont rapidement victimes de leurs succès. Nous avons même observé combien la crise sanitaire a renforcé leur aptitude à offrir de nouveaux espaces d’échanges humains. Avec l’extension du télétravail, je ne doute pas que la bibliothèque va devenir pour beaucoup de salariés le dernier espace de socialité, un service public du vivre-ensemble.
Il appartient maintenant aux collectivités de mettre en œuvre les politiques publiques qui permettront aux bibliothèques de développer toutes leurs missions, dans un cadre juridique renouvelé. L’État doit les aider dans cette mutation ambitieuse. Ses responsabilités sont encore bien plus grandes s’agissant des bibliothèques dont il a la charge. Je pense aux bibliothèques d’école, mais aussi, et surtout, aux bibliothèques universitaires.
La Cour des comptes a rendu, le 23 juillet dernier, un rapport accablant et alarmant sur la situation de ces dernières. Elle recommande au Gouvernement d’engager sans attendre des réformes de fond et des moyens budgétaires importants pour qu’elles puissent exercer leurs missions auprès d’étudiants qui sont dramatiquement privés de leur service.
Les collectivités ne pourront continuer à accueillir celles et ceux qui ont renoncé à se rendre dans les bibliothèques de leur université. Il est urgent de mettre en œuvre un plan de soutien de ces établissements, parce que, plus que tout autre établissement, les bibliothèques n’assurent pleinement leurs missions que dans un réseau homogène.
En attendant l’ouverture de ce nouveau chantier – j’espère que vous allez vous en emparer, madame la rapporteure, avec la même réussite –, nous voterons sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste.
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure et auteure de la proposition de loi, chère Sylvie Robert, mes chers collègues, on a parfois besoin que les choses nous manquent pour en réaliser la valeur. En effet, au plus fort de la pandémie, lorsque tous les lieux culturels avaient été contraints de fermer leurs portes, nombre de nos concitoyens ont ressenti ce manque. Oui, les Français ont ressenti un manque de théâtre, un manque de cinéma, un manque de salle de concert, mais également un manque de bibliothèque.
Ce manque nous a permis de mesurer toute la valeur, qui n’était pas toujours reconnue, des bibliothèques et leur importance dans le paysage culturel de notre pays.
Cette proposition de loi a pour mérite premier d’apporter une consécration aux bibliothèques, qui n’avaient jusqu’à présent pas de véritable texte-cadre. Ce sera bientôt chose faite.
Je salue à ce titre la démarche et le travail très important mené depuis le mois de février dernier par notre collègue Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi, en collaboration avec le président de notre commission et la ministre. Les bibliothèques sont aussi bien urbaines que rurales, aussi bien populaires que « bobos ». Elles ont cette capacité à se fondre dans tous les territoires, pour tous les publics ! Qu’elles soient municipales, intercommunales ou départementales, elles irriguent les territoires de culture, et c’est en cela qu’elles sont particulièrement importantes.
Avec ce texte qui sera adopté tout à l’heure – j’en suis sûr –, certains principes fondamentaux seront gravés dans le marbre. Des principes particulièrement consensuels, tellement consensuels même que l’on est en droit de s’interroger sur l’opportunité de légiférer.
Les principes inscrits dans le marbre à l’article 2 par exemple, à savoir le principe de gratuité d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales et de gratuité de la consultation in situ, paraissent une évidence.
En effet, quelle commune, quel élu local, prendrait la décision politiquement et socialement suicidaire de restreindre l’accès d’une bibliothèque ou de rendre la consultation des ouvrages payante sur place ? Je suis peut-être naïf de penser que jamais personne ne prendrait ce risque ! Alors peut-être qu’au final il vaut mieux que ce soit inscrit noir sur blanc.
L’article 5 me paraît beaucoup plus important, surtout compte tenu du contexte actuel où la liberté d’expression est régulièrement menacée au nom de certaines idéologies. Peut-être que, grâce à cette loi, nous échapperons dans les bibliothèques françaises à des autodafés, comme cela s’est passé au Canada il y a quelques mois où 5 000 livres jugés stigmatisants ont été brûlés : on parlait là de bandes dessinées de Tintin et d’Astérix et Obélix…
Oui, la liberté d’expression c’est aussi accepter des ouvrages qui ne font pas l’unanimité, des ouvrages qui peuvent porter une vision dérangeante.
J’approuve donc totalement cet article 5, mais m’interroge sur son articulation avec l’article 7 : celui-ci prévoit que les bibliothèques présentent leurs orientations documentaires à l’organe délibérant, présentation qui peut être suivie d’un vote. N’est-ce pas là le meilleur moyen de faire entrer de la politique ou de l’idéologie dans un domaine qui ne devrait pas en avoir ?
Enfin, je mets l’accent sur l’article 8 qui consacre et offre une belle reconnaissance aux bibliothécaires. Car ce n’est peut-être pas le métier le plus connu, ni le plus reconnu, mais être bibliothécaire ne s’invente pas.
Une bibliothèque vit par les livres et la documentation qu’elle peut offrir, mais pour tout cela il faut un chef d’orchestre, un maître d’œuvre pour choisir les collections, guider, conseiller les lecteurs, leur donner le goût de la lecture et l’amour du livre.
À l’heure où le livre ne fait plus toujours recette parmi la jeunesse, transmettre l’amour de la lecture et des livres est très important.
Par ailleurs, alors que l’information n’a jamais été aussi facile à trouver, que la jeunesse est plus que jamais sujette aux fake news, les bibliothécaires ont un rôle majeur à jouer dans cette éducation à l’information et à la recherche des sources. Ils et elles ont ce pouvoir et ce talent ; il faut le reconnaître et le protéger.
Madame la présidente, madame la rapporteure, mes chers collègues, malgré ces légères remarques, c’est donc avec conviction et enthousiasme que le groupe Union Centriste votera en seconde lecture cette proposition de loi, qui grave dans le marbre certains principes de base, mais permet également de développer la lecture publique, un outil formidable d’émancipation et d’accès à la culture pour tous les Français. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE se réjouit du consensus qui a accompagné l’examen de ce texte sur les bibliothèques et le développement de la lecture publique. Les votes favorables, à l’unanimité, au sein de chacune des deux assemblées témoignent de l’intérêt que nous portons tous à nos bibliothèques locales.
Cela a été rappelé, les bibliothèques prennent actuellement très peu de place au sein de notre corpus législatif. Par son adoption, la proposition de loi permettra de réparer cette anomalie et de briser ce silence surprenant au regard du rôle fondamental que jouent ces établissements sur l’ensemble du territoire.
Grâce à l’initiative de notre collègue auteure et rapporteure Sylvie Robert, le code du patrimoine se verra ainsi enrichi d’une définition précise des missions des bibliothèques municipales, intercommunales et départementales, des missions qui dépassent depuis bien longtemps la seule conservation de livres et leur communication au public.
« La marée montante des écrits, mais aussi la richesse des archives orales, le bouleversement et l’interdépendance des techniques de communication et d’information, la multiplication des supports que l’on dit éphémères parce qu’ils n’ont plus la pérennité du papier, tout cela oblige à redéfinir les perspectives et les moyens d’une mémoire organisée pour la postérité. » C’est ainsi que François Mitterrand soulignait en 1988, dans l’un de ses discours, l’évolution à l’œuvre concernant les bibliothèques et les archives.
Il apparaît en effet important de soutenir constamment les bibliothèques face aux mutations qui les concernent. Les collectivités locales s’y emploient et vous l’avez rappelé, madame la ministre, l’État prend sa part, notamment au travers du plan Bibliothèques. C’est un effort qui doit être poursuivi, comme l’a suggéré le fameux rapport Orsenna-Corbin, notamment afin que ces établissements poursuivent du mieux possible leurs missions traditionnelles tout en amplifiant leurs fonctions plus récentes.
Je pense en particulier à celle relativement nouvelle de réduction de l’illectronisme, d’ailleurs inscrite à l’article 1er. Je profite de ce débat pour rappeler le travail engagé par le RDSE au travers de la mission d’information sur l’illectronisme conduite en 2020 par notre ancien collègue du groupe Raymond Vall. Son rapport évoquait les réticences de certains publics fragiles à aller vers les bibliothèques en raison de leur connotation culturelle et de la perception de ne pas être le public prioritaire.
Il y a en effet encore trop d’usagers qui se sentent empêchés pour des raisons socioculturelles, ce qui peut atténuer en pratique la portée de « l’égal accès de tous à la culture ». Il est néanmoins important de rappeler ce principe à l’article 1er, ainsi que celui de « libre » accès aux structures posé à l’article 2 du texte.
Les bibliothèques ont fondamentalement une vocation humaniste. Le législateur doit y être attentif pour atteindre l’objectif beaucoup plus vaste d’inclusion sociale. L’accès au savoir est en effet au cœur du projet républicain. Nous devons l’honorer ; les collectivités locales l’ont bien compris lorsqu’elles déploient les bibliobus et leurs nombreuses initiatives autour de la lecture publique et du numérique.
Dans cette perspective, les articles 9 et 9 A apporteront également leur pierre à l’édifice. Ils contribueront au maintien d’un maillage dense du territoire par les bibliothèques, une nécessité non seulement pour contribuer à la liberté d’accès que je viens d’évoquer, mais aussi pour garantir la diversité et le pluralisme de l’offre culturelle, principes que porte aussi la proposition de loi.
Enfin, je n’oublie pas les bibliothécaires. Nous en connaissons de grands qui ont œuvré dans le passé au sein de belles institutions : Marcel Proust à la Mazarine ou ici même au Sénat avec Leconte de Lisle et Anatole France. Ce sont des symboles de la culture française.
Aujourd’hui, dans nos villes et villages, des milliers d’anonymes sont quant à eux les maîtres d’œuvre de l’accès à cette culture. Ils méritent toute notre attention, tant la leur est toujours bienveillante à l’égard des usagers. C’est donc une bonne chose de les mentionner à l’article 8.
Mes chers collègues, lieu de savoir, espace de travail, moment de rencontres intergénérationnelles, levier d’apprentissage de la lecture, mais aussi de l’usage du numérique, enjeu du dynamisme local : au vu de tout cela, il était temps de consacrer les bibliothèques dans la loi.
Je remercie l’auteure-rapporteure de cette proposition de loi, Sylvie Robert. Le RDSE approuvera le texte et se réjouit de voir clôturer ainsi ce matin une séquence autour du livre, que l’on peut considérer comme la principale porte d’entrée au monde qui nous entoure. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un bonheur que de terminer cette année en examinant des sujets placés au cœur même des réponses devant être apportées aux crises que nous traversons dans notre pays.
De façon générale, la culture est un rempart contre tous les délires que certains distillent dans notre pays, le fracturant, misant souvent sur le manichéisme et la bêtise.
Dans la culture, la question du livre a toujours été symbolique. Les fascistes ont commencé par brûler les livres.
M. David Assouline. Je me souviens qu’une des premières mesures prises par un certain groupe politique venant d’accéder aux responsabilités municipales avait été de censurer des livres dans les bibliothèques…
Mme Laure Darcos. À Orange !
M. David Assouline. Le sujet est donc très symbolique.
C’est une fierté et un honneur – tant pour le Sénat que pour notre pays, puisque Mme la ministre a fortement accompagné cette proposition de loi – de corriger, à un moment où la mode tend plutôt au contraire à déréguler et à désanctuariser, ce manque qui semble incroyable – un important trou dans la raquette, pourrait-on dire –, à savoir que, au pays de Voltaire, de Balzac, de Zola, d’Hugo ou encore de Proust, il n’y ait pas de loi-cadre pour les bibliothèques.
Cette absence de loi ne signifiait pas qu’il n’y avait rien, au contraire. Soulignons que 16 500 bibliothèques sont réparties dans tout le territoire. Mes collègues l’ont indiqué : la crise sanitaire a montré à quel point ce maillage est essentiel.
La crise et le manque causé par leur fermeture ont montré de manière aiguë à quel point ces lieux sont irremplaçables. C’est le cas notamment pour celles et ceux qui vivent à sept ou huit dans de tout petits appartements, sans espace permettant de travailler, d’étudier, de s’évader, et qui ne peuvent pas être accompagnés par leurs familles.
Les bibliothèques doivent être sanctuarisées. Cette loi-cadre réalise une telle sanctuarisation, non seulement par le seul fait qu’elle existe et qu’elle définit les missions des bibliothèques, mais aussi parce qu’elle garantit la gratuité de leurs pratiques, ce qui permet de répondre pleinement à la nécessité de la démocratisation de la culture.
Le pluralisme est l’un des principes inscrits dans cette loi, alors que, comme j’y ai fait tout à l’heure référence, les pratiques de certains ne le respectaient peut-être pas. On pourrait croire aujourd’hui que le pluralisme est une évidence, mais tel n’est plus le cas ! Il est très important, quand il s’agit de la lecture et de la culture, de veiller à ce que ce principe soit observé.
Au travers de cette loi, nous requalifions et valorisons le travail des agents des bibliothèques. En effet, il ne faut pas oublier que, chaque fois que la République est présente grâce à ces lieux, ce sont des agents qui l’incarnent au quotidien. Nous devons les défendre et les préserver.
Si cette proposition de loi a rencontré un accueil si unanime, c’est parce que ses auteurs se sont battus pour en révéler les enjeux. Je veux rendre hommage à Sylvie Robert, qui s’est battue du matin au soir pour que cette loi aboutisse.
Madame Robert, c’est un honneur que de compter des sénatrices comme vous dans le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui votera naturellement pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)