Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Nous n’avons pas de marge de manœuvre, sauf à changer nos règles et à refuser d’accueillir plus d’étudiants et de conjoints de Français. Il faut le savoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Ludovic Haye. Madame la ministre, la question de la maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics, sujet de notre débat, en implique une autre : celle de la maîtrise des délais, notamment ceux qui sont relatifs au traitement des demandes d’asile.
Madame la ministre, comme vous venez de le rappeler, la loi Asile et immigration avait pour objectif ambitieux de réduire à six mois les délais d’instruction des demandes d’asile par l’Ofpra, qui, en 2018, au moment de l’examen de ce texte, s’élevaient encore en moyenne à onze mois.
À cette fin, la loi a doté les acteurs de nouveaux outils, s’agissant notamment des modalités de convocation et d’entretien, ou encore de déclenchement de la procédure accélérée, afin que la question de la régularité du séjour soit tranchée avec diligence. Il est important de rappeler que ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel.
Madame la ministre, quel bilan peut-on dresser de ces dispositions relatives à la réduction des délais de traitement des demandes d’asile par l’Ofpra ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, toute personne sollicitant le statut de réfugié doit obtenir une réponse la plus rapide possible, que celle-ci soit positive ou négative.
C’est la raison pour laquelle, dès le mois de juillet 2017, le Gouvernement s’était fixé comme objectif de notifier la décision définitive dans un délai moyen de six mois. La loi de 2018 vise à répondre à cet objectif, notamment grâce aux 200 ETP supplémentaires alloués à l’Ofpra. Ces personnes ont été recrutées, formées et sont actuellement en poste.
Certes, la crise sanitaire de 2020 a conduit à un allongement conjoncturel et temporaire des délais de traitement des demandes à l’Ofpra, mais la situation a connu une amélioration sensible depuis la fin de l’année : le niveau d’activité a progressé d’environ 25 % et l’Office a adopté en 2021 plus de 130 000 décisions. Ce record, qui n’avait jamais été atteint, fait de l’Ofpra le premier organisme de protection au sein de l’Union européenne, du point de vue de l’activité, devant l’Allemagne. L’âge moyen des dossiers en stock est de l’ordre de six mois. La cible d’un traitement moyen des dossiers en deux mois est désormais réaliste et devrait être atteinte en 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la ministre, depuis 2008, le nombre des demandeurs d’asile en France n’a cessé d’augmenter, sauf en 2020 en raison de la crise sanitaire. D’ailleurs, selon le directeur général de l’Ofpra, cette baisse est conjoncturelle, et non pas structurelle.
En d’autres termes, la tendance devrait repartir à la hausse en 2021 et en 2022, et pour cause : le droit d’asile est massivement détourné par des migrants qui désirent s’établir en France. Or force est de constater que la majorité d’entre eux ne relèvent pas du droit d’asile. Les protections offertes par cette procédure, que nous devons garantir, mais aussi encadrer, en font un canal privilégié d’immigration.
Ce dévoiement du droit d’asile était déjà à l’origine de la loi Asile et immigration, en 2018. Or, comme l’a rappelé M. Karoutchi, nous ne parvenons pas à faire exécuter les décisions de reconduite à la frontière pour les personnes déboutées de ce droit.
Bien que la crise sanitaire brouille assez largement les chiffres, tant sur les flux entrants que sur l’exécution des OQTF, nous devons nous résoudre à constater que l’objectif affiché par la loi n’a pas été atteint. L’enjeu qui nous poussait à légiférer en 2018 demeure intact : comment améliorer la procédure pour garantir et consolider le droit d’asile, tout en renforçant la maîtrise nécessaire des flux migratoires ?
Le 3 juin dernier, le Danemark a adopté une loi permettant de transférer les demandeurs d’asile à des pays tiers, afin de traiter les requêtes et de garantir la protection due par ce statut. Madame la ministre, quel est votre avis à ce sujet, alors que la France vient de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne ?
Il me semble aujourd’hui opportun d’organiser un débat parlementaire annuel…
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Franck Menonville. … pour établir un bilan et fixer les objectifs de la politique migratoire française. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, au regard du droit européen, le Danemark est membre de l’espace Schengen, mais ne participe pas au régime d’asile européen en raison de l’application de son option de retrait aux mesures relatives à la justice et aux affaires intérieures de l’Union européenne. Il applique néanmoins les règlements Dublin III et Eurodac.
Toutefois, la loi danoise ne pourrait respecter les engagements européens et internationaux du Danemark qu’à condition que les accords conclus avec les pays tiers concernés comportent des garanties solides, notamment en matière de respect des droits fondamentaux.
Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Président de la République a annoncé son souhait de faire avancer le pacte migratoire. Cela permettra, d’une part, de mieux harmoniser les règles en matière d’asile entre les pays européens, en particulier pour mieux réguler les flux secondaires dont la France est l’un des pays de destination, d’autre part, de mettre en place les contrôles renforcés aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Mme le président. La parole est à M Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la ministre, la loi Asile et immigration correspond à la vingt-huitième loi depuis 1980 sur le sujet ô combien sensible de l’immigration !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Stéphane Le Rudulier. Certes, il est d’une évidence implacable que ce défi de civilisation ne peut pas être relevé en quelques semaines, simplement par l’adoption d’une loi. Néanmoins, la question de l’effectivité de la loi Asile et immigration par rapport aux objectifs initiaux affichés se pose très sérieusement.
Le taux d’exécution des OQTF est ainsi passé de 22,3 % en 2012 à 5,6 % durant les premiers mois de 2021, soit le taux le plus bas de l’histoire ! Ce taux d’exécution interroge sur la crédibilité de nos institutions et révèle un certain manque de volonté politique du Gouvernement, malgré sa communication abondante dans ce domaine.
En parallèle, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, trois quarts des requérants ont été déboutés sur les 93 000 demandes déposées en 2020. Ce chiffre, couplé au taux d’exécution des OQTF, laisse imaginer le nombre de personnes demeurant illégalement sur notre territoire.
Madame la ministre, face à cette triste réalité, ne serait-il pas temps de traiter les demandes d’asile à l’extérieur des frontières européennes, par exemple dans les ambassades et les consulats des États membres de l’Union européenne situés dans les pays d’origine ? Cela permettrait un traitement local plus rapide des demandes d’asile légitimes au bénéfice des demandeurs se trouvant parfois dans des situations dramatiques et dont l’accueil et la protection honorent la France.
Madame la ministre, est-ce une mesure que le Gouvernement auquel vous appartenez compte proposer à l’échelon européen afin de renforcer notre réponse en matière d’asile et notre arsenal en matière migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, un dispositif de traitement des demandes d’asile dans les pays tiers à l’Union européenne soulève à ce stade de très – trop ! – nombreuses interrogations.
Celui-ci serait peu opérationnel, parce qu’il impliquerait un accord des pays tiers concernés pour traiter les demandes sur leur propre sol. Cela semble aujourd’hui très improbable. Rappelons que l’écrasante majorité des 82 millions de personnes déplacées recensées en 2021 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés se situe en dehors du territoire de l’Union européenne, notamment au Proche-Orient ou en Afrique.
Il nous semble par ailleurs assez peu réaliste de penser que cela puisse mettre fin à la migration de demandeurs d’asile vers le territoire européen. Du point de vue juridique, si ce dispositif devait remplacer le système actuel de demandes d’asile sur le sol français, il entrerait en contradiction avec un certain nombre de principes fondamentaux inscrits dans notre Constitution, ainsi qu’avec nos engagements européens.
En revanche, il est vrai que la recherche d’un système de l’asile plus efficace justifie de consolider le dispositif de recueil des demandes d’asile à la frontière extérieure de l’Union européenne. Cette orientation, figurant au cœur du pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne, est soutenue par la France.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la ministre, la maîtrise de l’immigration, source inépuisable d’exploitation politicienne à l’approche des élections, répond à une volonté de perpétuer une perception déformée et anxieuse d’une immigration que certains considèrent par principe comme la cause ou l’accélérateur des problèmes de notre société.
Or l’immigration est un phénomène naturel, lié à des contextes climatique, socio-économique, humanitaire et géopolitique.
La question devrait être la suivante : comment recevoir en France des immigrés de façon humaine et acceptable socialement afin de permettre une intégration réussie, à l’image de celles et de ceux ayant contribué à la richesse de notre pays ?
La maîtrise de l’immigration doit s’entendre, non pas comme une limitation quantitative dont je peine à voir, à moins de tomber dans l’arbitraire, quels pourraient être les critères concrets et légaux, mais comme l’accompagnement de ce phénomène naturel.
La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est confrontée à une hausse très importante des dossiers à traiter. Pourtant, les dispositions de la dernière loi de finances ne prévoient aucune création d’emploi de magistrat ou d’agent pour l’année 2022.
Comment le Gouvernement justifie-t-il ce manque de moyens ? La maîtrise de l’immigration passe aussi et surtout par les moyens accordés aux juridictions traitant les demandes d’asile afin de leur permettre de travailler dans des conditions correctes.
C’est ainsi que je perçois la maîtrise de l’immigration. Nos devoirs envers les demandeurs d’asile impliquent de prendre en compte leur demande, et non de les refouler de manière illégale à la frontière comme cela se fait par exemple à Montgenèvre. Nous devons respecter tous les immigrés, qui sont des êtres humains : l’État doit arrêter les actions portant atteinte à leur dignité, telles que la destruction de leurs tentes ou l’interdiction faite aux associations de mener leurs actions.
Ce gouvernement, à l’image de certains partis et hommes politiques de droite, n’est pas insensible à l’idée de mener seulement une politique du chiffre. Aussi, je souhaite connaître sa position sur la limitation de l’immigration. Compte-t-il créer des quotas arbitraires selon les pays ou des quotas annuels ? Souhaite-t-il instaurer une immigration choisie en fonction des compétences, de la politique étrangère de la France ou d’autres critères bien moins catholiques ? (M. Roger Karoutchi ironise.)
Que faire après avoir reçu et mal traité ces nouveaux arrivants ? Comment les accueillir afin, au moins, de ne pas compromettre leur chance – réelle – de s’intégrer dans notre pays et en Europe…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. … et de favoriser l’adoption consentie de nos règles et, bien au-delà, de nos valeurs et de nos principes ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, il est faux de soutenir que le Gouvernement et les services de l’État empêchent les associations de travailler.
Au contraire, certaines associations, en tant qu’opératrices de l’État, sont très largement financées par le budget de l’État – et c’est bien normal. Lors d’un récent déplacement à Calais, j’ai vu le travail de ces associations de terrain qui distribuent des repas, mettent à l’abri les migrants, s’occupent de leur relogement et les protègent des passeurs et de leurs fausses promesses.
Je m’inscris en faux contre les propos que vous avez tenus sur les tentes des migrants : jamais des policiers et des gendarmes ne sont venus les lacérer ! (M. Guy Benarroche, Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi s’exclament.)
Nous nous sommes exprimés à plusieurs reprises à ce sujet. Au contraire, vous pourrez même retrouver une consigne écrite et directe du ministère de l’intérieur interdisant cette pratique afin de préserver la dignité de chacun, les personnes exilées ou les migrants. (M. Guy Benarroche s’exclame.)
Par ailleurs, j’ai indiqué à plusieurs reprises que nous avions augmenté les moyens de l’Ofpra, en créant notamment 200 ETP supplémentaires, afin que les délais de traitement des dossiers puissent être réduits.
M. Guy Benarroche. Et la CNDA ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous savez très bien que la CNDA relève du ministère de la justice et que ses moyens sont administrés par le Conseil d’État.
En tout état de cause, la CNDA constitue un acteur essentiel de la chaîne de l’asile. Le renforcement de ses moyens et de sa capacité décisionnelle est déterminant pour que l’objectif d’un délai moyen de procédure soit ramené à 6 mois. Je laisse le soin au garde des sceaux de présenter les évolutions importantes de cet organisme.
Enfin, monsieur le sénateur, en tant que ministre chargée de la laïcité, je ne parlerai pas de critères « catholiques »… (M. Roger Karoutchi s’amuse.)
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, ce débat, inscrit à l’ordre du jour de nos travaux par nos collègues du groupe Les Républicains, semble montrer une certaine déception sur le niveau réel de l’immigration qui se cacherait derrière une apparente « maîtrise ».
Rappelons tout de même que les dispositions de la loi Asile et immigration portent atteinte globalement aux droits des étrangers et des demandeurs d’asile. De nombreuses organisations, des syndicats, des associations, des personnalités publiques et politiques l’ont dénoncé avec nous.
Pour ma part, je me concentrerai sur le niveau réel d’atteintes portées à nos valeurs fondamentales depuis trois ans, qu’il s’agisse du respect du droit d’asile ou, tout simplement et plus généralement, du respect de la dignité de la personne humaine.
Plusieurs exemples récents sont révélateurs en la matière. Je pense à la mise en place et au renforcement du fichier AEM via le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui, en réalité, fait le tri entre les enfants à protéger et ceux qu’il faut encore davantage fragiliser, tels que les mineurs non accompagnés. Les présidents des conseils départementaux sont aujourd’hui contraints d’utiliser ces fichiers et de solliciter le concours du préfet. Cette logique répressive et de défiance grandissante à l’égard de ces enfants en grande précarité et vulnérabilité doit être définitivement renversée. Elle doit cesser.
Le sujet des centres de rétention administrative (CRA) mérite lui aussi une attention particulière. Dès le début de la crise sanitaire, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Défenseure des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont appelé à libérer tous les migrants en rétention administrative le temps de la pandémie. Au contraire, environ 28 000 personnes y ont été enfermées en 2020, et guère moins depuis, malgré la situation sanitaire. Certaines d’entre elles souffrent de pathologies lourdes, mettant en lumière l’absence d’accès effectif aux soins en rétention.
Ma question est simple : madame la ministre, comment comptez-vous…
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. … mettre fin au maintien de ces personnes en rétention ?
Mme le président. Je l’ai déjà rappelé à plusieurs reprises : chacun doit respecter son temps de parole.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je souhaite tout d’abord réagir à la première partie de votre interpellation.
Le Gouvernement estime qu’il est important de passer des droits formels aux droits réels et d’appliquer réellement les dispositions votées par le Parlement en 2018. Cela vaut non seulement pour la maîtrise de l’immigration – pour reprendre les termes que vous avez utilisés –, donc pour les éloignements, y compris les éloignements forcés, mais également pour le volet relatif à l’intégration, dont il a déjà été question.
Nous faisons en sorte que tout se passe dans le respect de la dignité des personnes. Nous considérons que les droits humains constituent un principe fondamental et indiscutable, même lorsque des personnes sont placées dans des CRA et même lorsque des procédures d’éloignement forcées sont engagées. À chaque fois, la dignité des personnes est respectée.
Durant la pandémie, la volonté du Gouvernement a toujours été de prendre en charge les personnes en parcours d’immigration, quelle que soit leur situation, et de leur apporter de la considération.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, la semaine dernière, la ville de Calais a été une nouvelle fois le théâtre de violences impliquant des migrants en situation irrégulière.
Cette énième flambée de violence est particulière. Cette fois en effet, il s’agissait non pas d’une rixe entre migrants – dérive à laquelle les Calaisiens sont malheureusement confrontés quasi quotidiennement –, mais de violences visant un couple de Calaisiens pris à partie par un groupe de migrants érythréens. Par représailles, le frère de la victime aurait foncé à plusieurs reprises avec son véhicule sur des migrants et roulé sur l’un d’entre eux. Le pronostic vital de ce dernier est engagé.
Avant cet événement dramatique, l’évacuation d’un camp, dimanche dernier, avait été précédée d’affrontements entre des migrants et des membres des forces de l’ordre. Des policiers avaient alors été blessés.
Sans qu’il faille établir un lien entre ces deux événements, l’on constate que ce territoire est en proie à une situation qui, malheureusement, s’enlise chaque jour un peu plus dans la violence et la misère. Bien sûr, chacun le déplore.
Force est de constater que la loi Asile et immigration ne semble pas avoir permis de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les Calaisiens depuis des années. Indépendamment, là encore, des gouvernements successifs, c’est une réalité qui s’impose à nous.
Rappelons que la fermeture du centre de Sangatte date du mois de décembre 2002 – voilà dix-neuf ans maintenant – et le démantèlement de la première jungle de Calais de 2009. La situation est extrêmement difficile et confine à une forme d’impuissance. Madame la ministre, que proposez-vous aujourd’hui pour en sortir durablement ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. En effet, la situation à Calais est particulièrement difficile et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Capo-Canellas, elle est de longue date.
Le ministre de l’intérieur et moi-même avons effectué plusieurs déplacements sur place. J’y suis allée encore récemment.
Je veux d’abord rendre hommage aux services de l’État qui se mobilisent sur le terrain, en étroite collaboration, pour ne pas dire main dans la main, avec les associations. Ils font en sorte d’améliorer la situation des riverains et habitants de Calais, mais aussi celle des personnes exilées.
Je veux aussi rendre hommage à Natacha Bouchart, la maire de Calais, qui mène avec toute son équipe municipale une action courageuse et résolue dans un contexte difficile.
Vous avez rappelé, à raison, que des forces de sécurité intérieure se sont retrouvées prises à partie et, parfois, agressées, y compris très violemment. J’adresse à cet égard un message de soutien aux cinq CRS ayant subi des agressions physiques alors qu’ils se trouvaient en opération, certains avec des blessures importantes.
Je tiens à souligner, aussi, à quel point nous avons besoin de la coopération avec le Royaume-Uni pour trouver des solutions à Calais. Pour y être allée et avoir parlé les yeux dans les yeux avec les migrants qui sont sur place autour des braseros, je peux assurer que ceux-ci n’ont qu’une envie : rejoindre le Royaume-Uni, y compris au péril de leur vie. C’est la réalité ! Ces personnes sont déterminées ; elles n’ont pas envie de rester en France et sont prêtes à risquer leur vie pour prendre la mer et rejoindre ce pays.
C’est pourquoi une véritable coopération avec le Royaume-Uni est absolument nécessaire pour nous. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’emploie à l’obtenir. C’est le travail minutieux, difficile et délicat que nous continuons de mener, pour Calais et pour les autres zones concernées de notre territoire.
Mme le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir témoigné votre soutien aux forces de l’ordre et à l’ensemble des élus – à commencer par Natacha Bouchart – qui sont mobilisés aux côtés de l’État. Cela étant, nous souhaitons vraiment des avancées dans la coopération avec la Grande-Bretagne.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Voilà trois ans, la loi Asile et immigration était promulguée. Vingt-huitième loi sur l’immigration et l’asile depuis 1980, elle n’est pas la première à avoir tenté d’assurer un accueil des migrants dans la dignité.
Cependant, des campements de fortune continuent de s’établir sur notre territoire. Ils ne peuvent évidemment pas garantir à leurs occupants les conditions de sécurité et de salubrité les plus élémentaires. On l’a vu dans mon département, à Lyon, dans les quartiers des pentes de la Croix-Rousse ou encore de la Confluence : on peine à trouver à chacun des solutions d’hébergement de long terme, certains migrants se tournant alors vers des squats.
La question de la répartition des arrivants sur le territoire est au centre de cette problématique. Lyon, en particulier, constitue une terre d’accueil significative. Ainsi, 28 % des demandes d’asile effectuées en région Auvergne-Rhône-Alpes sont déposées à Lyon. D’ailleurs, la région est la deuxième la plus sollicitée en termes de nombre de demandes.
Deuxième plus sollicitée, elle n’est cependant que la quatrième au classement du nombre de centres d’accueil et d’orientation après l’Occitanie, le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine. En effet, la question de l’orientation des migrants est indissociable de celle du caractère suffisant des infrastructures d’accueil.
La loi Asile et immigration, en son article 13, traitait pourtant de ces questions, avec le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés. Elle prévoit que celui-ci fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région, ainsi que la répartition des lieux d’hébergement qui leur sont destinés.
Madame la ministre, face aux conditions d’accueil insatisfaisantes dont nous sommes témoins, ne faut-il pas revoir les dispositions de la loi concernant l’hébergement ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Les modalités concrètes d’accueil des demandeurs d’asile en France demeurent un défi important, c’est vrai. Toutefois, des progrès sensibles ont été réalisés, notamment grâce à la mise en œuvre des dispositions votées par le Parlement dans la loi de 2018.
Les capacités au sein du dispositif national d’accueil, par exemple, ont été considérablement renforcées. En 2020, 4 500 nouvelles places ont été financées ; elles sont aujourd’hui ouvertes en quasi-totalité. Par ailleurs, on compte 400 places supplémentaires dédiées aux réfugiés vulnérables en Île-de-France et 6 000 nouvelles places pour les demandeurs d’asile et les réfugiés.
La région Auvergne-Rhône-Alpes a été l’une des mieux dotées, compte tenu des besoins importants que vous avez à juste titre rappelés, monsieur le sénateur. Pour 2021, elle s’est vue doter de 550 nouvelles places d’accueil et bénéficiera de nouveau de dotations en 2022.
Permettez-moi, à ce titre, de souligner un point : si l’État finance des places, l’un des défis auxquels nous sommes souvent confrontés consiste à convaincre, sur place, les élus locaux de l’opportunité de ces projets. Pour cela, le soutien des parlementaires est bien évidemment fondamental.
Par ailleurs, les dispositions de la loi de 2018 prévoyant un nouveau dispositif d’orientation des demandeurs d’asile depuis les régions les plus tendues, en particulier l’Île-de-France, sont effectives depuis le début de l’année 2021, comme je le précisais dans mon propos liminaire. En un an, ce dispositif a permis d’orienter plus de 15 000 demandeurs d’asile vers un hébergement en région et, ainsi, de prévenir que ces personnes ne se retrouvent à la rue.
Je reconnais que beaucoup reste à faire, mais des progrès sensibles peuvent déjà être constatés. Il ne faut pas les ignorer.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous le savez, madame la ministre, depuis le début du mois d’octobre dernier, les avocats plaidant auprès de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, sont en grève afin de dénoncer l’augmentation du nombre de décisions rendues par ordonnance, c’est-à-dire sans que le demandeur soit entendu lors d’une audience.
Les agents de la CNDA, ainsi que les avocats, ont dénoncé à cette occasion une « politique du chiffre ». Ils ont aussi fait état d’une « utilisation massive et injustifiée » du recours aux ordonnances.
Il est bien sûr nécessaire – je sais que c’est une préoccupation du Gouvernement, et elle est légitime – que les délais d’examen des demandes soient réduits. Pour autant, il n’est pas justifié que des personnes en situation très difficile, venant de pays étrangers, qu’ils soient sûrs ou non, ayant subi des persécutions, notamment dans les pays dits non sûrs, ne puissent faire valoir leurs droits oralement, s’expliquer, défendre elles-mêmes leur cause ou que leur avocat le fasse avant qu’une décision ne soit prise.
Ma question est donc simple, madame la ministre : quelles dispositions pensez-vous prendre à cet égard, afin de favoriser des délais les plus courts possible – bien sûr –, mais dans le respect des droits des demandeurs d’asile à être entendus avant qu’une décision ne leur soit signifiée ?