Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à ajouter un alinéa 4 afin d’inclure l’ensemble des harkis et autres personnes anciennement de statut civil de droit local dans le champ de la reconnaissance prévue par ce texte.
Il est bon de le rappeler une fois de plus : certains d’entre eux sont arrivés en France par leurs propres moyens et, sans séjourner dans des structures d’accueil, ont été livrés à la plus grande précarité dans l’indifférence générale, voire parfois dans l’hostilité.
Ils ont de fait subi un préjudice. Circonscrire ce projet de loi à l’espace déterminé des structures de toute nature exclura, en violation du principe constitutionnel d’égalité des citoyens, des harkis qui ne sont pas passés par ces structures, mais qui seraient pourtant éligibles à une reconnaissance du préjudice subi du fait de leur statut.
Cette reconnaissance est une sépulture de dignité pour ceux qui sont morts dans des conditions atroces, victimes d’actes barbares, torturés par le FLN et abandonnés par la France.
Il s’agit également d’une réparation morale : elle doit s’appliquer à toutes les situations si douloureuses vécues par ces Français qui venaient de l’autre côté de la Méditerranée.
Mme la présidente. L’amendement n° 44, présenté par M. Stanzione, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Temal, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’accueil attentatoire à la dignité humaine des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, ainsi que les souffrances et les traumatismes durables occasionnés par ces conditions de rapatriement, induisant une perte de chance pour les harkis et les enfants nés dans ces familles.
La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. Dans son discours du 20 septembre 2021, le Président de la République déclarait : « Sur ce sujet, je serai clair : il s’agit de réparer d’abord pour la première génération et de pouvoir revaloriser les allocations pour les anciens combattants et leurs veuves, c’est un devoir. »
Il poursuivait : « Ensuite, il s’agit de recueillir les témoignages et de réparer [les préjudices] pour la deuxième génération qui a eu à vivre les camps, qui a eu à vivre les hameaux de forestage ou les foyers dans des conditions de vie indignes et l’absence d’accès à l’école pour les enfants. »
J’ajoute que ceux qui se sont trouvés isolés en dehors de ces structures de cantonnement forcé ont, eux aussi, été touchés.
Cet amendement vise donc à ce que les traumatismes et les préjudices subis par les enfants accueillis dans ces conditions indignes soient reconnus et inscrits dans la loi.
En résumé, les discours, c’est bien ; mais une réparation effective et sans délai, c’est beaucoup mieux ! (M. Rachid Temal approuve.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. L’article 1er exprime la reconnaissance de la Nation envers les harkis qui ont servi la France et qu’elle a abandonnés.
Il prévoit ensuite de reconnaître la responsabilité de la Nation du fait de l’indignité des conditions d’accueil subies par certains harkis et leurs familles hébergés dans des structures telles que des camps et des hameaux de forestage – nous l’avons tous évoqué lors de la discussion générale.
Rappelons que la reconnaissance de la Nation envers les harkis est déjà exprimée dans deux lois toujours en vigueur : celle du 11 juin 1994 et celle du 23 février 2005.
Je regrouperai les amendements par thème, plusieurs d’entre eux ayant des objets analogues.
Sous des rédactions différentes, les amendements nos 39, 2 rectifié, 14, 31 rectifié et 40 tendent à préciser que les harkis étaient des citoyens français. Or tous les supplétifs n’étaient pas français : certains Marocains et Tunisiens résidant en Algérie ont servi dans les harkas.
Concernant les autres supplétifs, je tiens à être parfaitement claire : nul ne remet en cause leur qualité de citoyen français, qui a motivé leur engagement au service de la France. Je précise qu’aux termes de l’ordonnance du 21 juillet 1962, les supplétifs de statut civil de droit local ont perdu la nationalité française le 1er janvier 1963, sauf si, établis en France, ils ont souscrit avant le 22 mars 1967 une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Il ne me semble pas nécessaire d’inscrire cette précision dans la loi.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements ; mais en aucun cas je ne remets en cause le fait que ce sont des citoyens français.
Sous différentes rédactions, les amendements nos 3 rectifié, 18, 53, 32 rectifié, 59 et 5 rectifié visent à reconnaître la responsabilité de l’État du fait de l’abandon des supplétifs en Algérie. Certains tendent à évoquer la mauvaise gestion du rapatriement et le fait que certains harkis sont arrivés en France par leurs propres moyens.
Si je souscris pleinement à l’intention des auteurs, je souligne que le gouvernement de l’époque n’a pas donné l’ordre de ne pas rapatrier les supplétifs, mais de limiter les arrivées au strict cadre du plan général de rapatriement. Rappelons également que le FLN s’était engagé à assurer leur sécurité après les accords d’Évian. (M. Philippe Tabarot s’exclame.) Cela étant, j’y insiste : la France ne saurait se soustraire à sa responsabilité envers les harkis.
Ces amendements me paraissent satisfaits dans la mesure où le premier alinéa de l’article 1er reconnaît déjà explicitement l’abandon des harkis par la France.
J’ajoute qu’une telle précision du champ de la responsabilité de l’État à l’article 1er serait sans effet, puisqu’elle n’entraînerait aucune conséquence en matière de réparation à l’article 2. En conséquence, elle susciterait un espoir qui ne pourrait qu’être déçu.
Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Les amendements nos 4 rectifié et 44 tendent à mentionner la perte de chance subie par les harkis et leurs enfants.
Ces amendements sont satisfaits, car le présent texte reconnaît déjà l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces personnes dans les structures destinées à les recevoir. Cette indignité tient à leur précarité, aux privations et aux atteintes aux libertés individuelles qui leur ont été infligées ; sont concernés l’ensemble des membres de ces familles, dont les enfants.
La perte de chance subie par les enfants de harkis est prise en compte à la fois par ce texte et par les dispositifs d’aide existants, qui, je le rappelle, s’ajoutent à l’aide sociale de droit commun. Lors de nos auditions, certains ont estimé qu’ils ne pouvaient pas cumuler ces deux types d’aide.
Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Les amendements nos 43 et 33 rectifié tendent à adjoindre aux anciens supplétifs rapatriés d’Algérie ceux qui sont arrivés en France par leurs propres moyens.
Or le terme « rapatriés » inclut tous les anciens supplétifs ayant servi en Algérie et s’étant installés en France, quel qu’ait été leur moyen de gagner le territoire national. Ainsi, toutes ces personnes et les membres de leur famille seront éligibles au droit à réparation, à la seule condition d’avoir séjourné dans un camp ou dans un hameau de forestage – c’est là le cœur du texte. Ces amendements étant satisfaits, il n’est pas nécessaire d’apporter une telle précision.
Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Les amendements nos 41, 42 et 15 rectifié visent, sous des rédactions différentes, à étendre le champ de la responsabilité de l’État à l’ensemble des harkis et de leurs familles en supprimant le critère de séjour dans des camps ou hameaux ou en élargissant ce critère à des structures « fermées ou ouvertes ».
Je comprends parfaitement l’intention de leurs auteurs : il est certain que les harkis et leurs familles ont connu des conditions de vie précaires, qu’ils aient été ou non hébergés dans des camps. C’est précisément pourquoi l’alinéa 1er reconnaît leur engagement et leur abandon. En revanche, l’alinéa 2 cible une responsabilité de l’État pour un préjudice particulier, né des conditions d’accueil indignes et privatives de liberté subies dans les camps et hameaux, alors que ces structures étaient sous la responsabilité de l’État. Il y a là une faute imputable à l’État, que l’on ne peut pas étendre aux conditions de vie hors de ces camps.
Voilà pourquoi le droit à réparation, prévu à l’article 2, ne pourrait par exemple pas être étendu à l’accueil dans des cités urbaines, lesquelles n’étaient pas soumises à un régime administratif dérogatoire du droit commun, contrairement aux structures fermées. Une telle mesure créerait par ailleurs une rupture d’égalité envers toutes les autres personnes qui ont séjourné dans ces cités.
Dès lors, l’adoption de cet amendement reviendrait in fine à donner un vain espoir à la communauté harkie et à susciter de la déception. (Mme Valérie Boyer proteste.)
M. Rachid Temal. Mais non !
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
Enfin, l’amendement n° 51 vise à mentionner le caractère inhumain des conditions de vie dans les camps et hameaux. Une nouvelle fois, je comprends bien l’intention de nos collègues, qui souhaitent qualifier plus précisément les graves atteintes aux droits et libertés subies par les harkis dans ces structures ainsi que la précarité de leurs conditions de vie. Nul ne peut en douter.
Toutefois, le présent texte indique déjà que les conditions d’accueil étaient indignes, qu’elles ont été marquées par une précarité significative et par des privations et atteintes aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux. Ces termes me semblent suffisamment précis pour englober la diversité des conditions de vie subies dans ces structures – les camps, les hameaux ou les prisons reconverties. Il ne me semble pas nécessaire d’apporter la précision proposée.
J’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je reprendrai quelques éléments fournis par Mme la rapporteure et je vous indique d’ores et déjà que je souscris à ses conclusions.
En toute humilité et en toute franchise, je ne pense pas que les dispositions de ces amendements apportent quelque chose à ce texte simple. Ainsi, le terme « abandon », qui y figure noir sur blanc, se suffit à lui-même.
Comme l’a fait valoir Mme la rapporteure, la citoyenneté est un véritable sujet.
Bien sûr que les harkis sont français.
Mme Else Joseph. Eh oui !
M. Olivier Paccaud. Alors, il faut le dire !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. J’ai toujours insisté sur l’appartenance indéfectible des harkis et de leurs familles à la communauté nationale. Dans les communications qui leur sont dédiées, notre ministère le rappelle de manière systématique : au-delà des questions de justice, c’est un simple état de fait.
Néanmoins – Mme la rapporteure l’a souligné –, tous n’étaient pas français : c’est une question de rigueur historique. Certains d’entre eux étaient tunisiens ou marocains.
M. Rachid Temal. Certains !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Ces derniers, comme tous les harkis, peuvent prétendre à réparation s’ils ont vécu dans des camps et des hameaux de forestage.
Si le terme « abandon » se suffit à lui-même, il est vrai que le 19 mars 1962 et le cessez-le-feu ne sont pas synonymes de soulagement. Les appelés, partis faire la guerre, ont pu éprouver ce sentiment, tant ils avaient hâte de rentrer chez eux ; mais nous savons tous que cette date marque aussi de nouvelles flambées de violence. C’est un fait historique.
Il apparaît clairement qu’à la fin de la guerre d’Algérie les autorités en place ont très nettement sous-dimensionné les plans de rapatriement.
M. Rachid Temal. Qui ?
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Bien sûr, nous pouvons le reconnaître : c’est précisément ce que nous faisons avec la rédaction actuelle de ce projet de loi.
La France avait fait figurer dans les accords, âprement négociés, la protection des harkis par les nouvelles autorités algériennes. La responsabilité des massacres ne lui incombe donc pas – je pense que nous nous rejoindrons tous sur ce point.
Le rapatriement a eu lieu dans des conditions difficiles, pour une raison simple : il a été largement improvisé et, bien souvent, chaotique. Harkis ou pieds-noirs, tous les rapatriés en ont souffert.
Après le 19 mars 1962, on a orchestré un rapatriement insuffisant, de 5 000, puis 10 000 places. En mai 1962, trois instructions de Pierre Messmer, ministre des armées, Louis Joxe, ministre des affaires algériennes, et Roger Frey, ministre de l’intérieur, ont rappelé l’interdiction des rapatriements hors de ce plan ; et, en septembre 1962, Georges Pompidou a décidé de l’accueil des harkis.
Entre 1963 et 1965, l’ambassade de France a appuyé les efforts du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en faveur de la libération des prisonniers harkis en Algérie. S’en est suivie une arrivée perlée sur le sol français.
Ces harkis entreront dans le périmètre de la réparation s’ils ont vécu dans les camps et les hameaux de forestage – c’est bien le cas de certains d’entre eux.
Ce projet de loi n’oublie personne. Je tiens à rappeler un facteur important de reconnaissance, qui ne figure pas dans le texte : il s’agit du doublement, depuis le 1er janvier dernier, de l’allocation de reconnaissance créée par Jacques Chirac. Cette mesure concerne tous les combattants harkis, qu’ils aient ou non séjourné dans les camps ou les hameaux.
En outre, le présent texte tend à réparer les fautes de l’État, qui a contrevenu aux valeurs de notre République, qu’il s’agisse de l’accueil ou de la scolarisation.
M. Rachid Temal. Il a contrevenu à ses promesses !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Nous l’avons dit à plusieurs reprises : les personnes enfermées dans les camps et les hameaux ont été privées de leurs libertés et ont subi une mise sous tutelle de l’État. Telles sont les fautes que nous voulons réparer avec ce projet de loi, comme s’y est engagé le Président de la République dans son discours du 20 septembre 2021.
Lors de son examen par l’Assemblée nationale, ce texte a été enrichi de façon remarquable,…
M. Rachid Temal. Remarquable…
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. … dans la mesure où, sur la base des travaux des historiens, la commission créée par vos collègues députés pourra compléter la liste des lieux considérés.
Pour arrêter cette liste, on a retenu un certain nombre de critères, que je vous ai déjà indiqués : privation de liberté, tutelle de l’État, déscolarisation, absence de conditions d’hygiène minimale. À l’heure actuelle, plus de quatre-vingts lieux ont été répertoriés, dont soixante-treize hameaux de forestage ; cinq autres lieux ont déjà été ajoutés à la liste, que la commission pourra encore compléter…
M. Rachid Temal. Ce n’est pas le sujet !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. Ce travail sera au cœur de ses missions.
Aussi, vous constatez que rien n’est cadenassé. La liste pourra évoluer pour apporter la reconnaissance et les réparations les plus larges possible.
J’ajouterai un dernier élément aux propos de Mme la rapporteure. L’abandon des harkis sur le sol algérien doit faire l’objet d’un traitement mémoriel digne de ce nom. Bien sûr, un partenariat avec l’Algérie nous permettrait d’avancer dans cette direction, mais nous en sommes encore loin. Toutefois, nous devons avoir confiance dans l’avenir. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis acquiesce.) Plus le temps passera, plus nous serons à même d’en parler sereinement.
Vous l’avez compris, je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Madame la rapporteure, madame la ministre, je suis extrêmement choqué par vos propos, notamment au sujet de la citoyenneté et de la nationalité française. C’est une vraie claque !
Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que vous venez de dire dans cet hémicycle. Si l’on mentionne le statut civil de droit local, c’est bien en référence aux Algériens. Il ne me semble pas qu’un tel statut ait existé en Tunisie ou au Maroc : dès lors, l’argument tombe. Vous pouvez aussi sous-amender notre amendement afin d’ajouter les mots « à l’exception des Tunisiens et Marocains ». Ainsi, le problème serait réglé.
Si votre seule réponse consiste à dire que des Tunisiens ou des Marocains – combien, d’ailleurs ? On ne le sait pas – pourraient être concernés, vos arguments ne sont pas à la hauteur.
J’y insiste : ils étaient français. Il suffit de l’indiquer dans le projet de loi. Je ne comprends pas votre opposition,…
Mme Valérie Boyer. Moi non plus !
M. Rachid Temal. … à moins que vous ne vouliez humilier les harkis une fois de plus.
Pour ce qui concerne l’élargissement du périmètre retenu, nous pourrons débattre du travail de la commission. Mais le présent texte porte bien concomitamment sur la reconnaissance et la réparation : il ne s’agit pas d’assurer la reconnaissance pour les uns et la réparation pour les autres. (M. Lucien Stanzione opine.)
De plus, la réparation ne dépend pas des seules conditions d’accès : nous la devons à des hommes qui ont pris tous les risques pour la France et qui sont morts pour elle. Nous devons une réponse à l’ensemble des harkis ainsi qu’à leur famille.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot, pour explication de vote.
M. Philippe Tabarot. Madame la ministre, madame la rapporteure, notre collègue Rachid Temal vient de le souligner : vous tentez vainement d’opposer la qualité de Marocain et de Tunisien à certains combattants ayant servi dans les harkas.
M. Philippe Tabarot. Vous partez d’une spécificité pour éviter une généralité, pour ne pas reconnaître que les harkis étaient français.
Ainsi, avec ce projet de loi, vous niez l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont choisi la France parce qu’ils étaient français. Vous évoquez des cas particuliers pour éviter un sujet qui vous déplaît.
Aurez-vous le courage de vous présenter devant les harkis, qui ont combattu au nom de la France et qui attendent une reconnaissance, pour leur nier la qualité de Français ?
Vous vous opposez à l’amendement n° 32 rectifié au motif que les espoirs d’indemnisation créés par ses dispositions seraient nécessairement déçus. Je tiens à vous rappeler que l’article 1er du projet de loi préfigure une logique déclarative : seul l’article 2, que nous examinerons dans quelques instants, porte sur l’indemnisation.
Votre argument n’est donc pas recevable. Il s’agit simplement d’admettre la responsabilité de la France,…
Mme Valérie Boyer. Absolument !
M. Philippe Tabarot. … non de présumer les préjudices qui seraient mentionnés à l’article 2.
L’amendement n° 31 rectifié vise à affirmer que les harkis sont français : vous m’opposez que cette précision n’aura aucune conséquence sur l’indemnisation. Soit dit en passant, c’est normal, puisque cet article est déclaratif. Or, pour l’amendement n° 33 rectifié, vous me dites exactement l’inverse : j’ai du mal à vous suivre.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Mon intervention porte sur les quatre premiers amendements, qui ont tous pour objet la citoyenneté française.
Mme Boyer, MM. Temal, Bourgi et Tabarot proposent tous la même chose. Peut-être les dispositions proposées par M. Temal présentent-elles une petite nuance : son amendement tend à ajouter « anciennement » après « citoyens français ».
M. Rachid Temal. Non ! Le terme « anciennement » s’applique au statut.
M. Olivier Paccaud. Madame le ministre, toujours est-il que notre hémicycle est presque unanime sur ce point : la citoyenneté française des harkis doit être gravée dans le marbre.
On ne ressuscite jamais les martyrs. Toutefois, « oublier les morts serait les tuer une deuxième fois », comme disait Elie Wiesel. Un oubli volontaire, conscient et assumé constituerait une insulte à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie à la France.
Les harkis étaient des citoyens français. Leurs fils, leurs petits-fils et leurs arrière-petits-fils souhaitent ardemment que cette vérité soit inscrite dans le marbre de la loi.
C’est ce qui a brisé leur destinée. Ils ont choisi la France, ils ont aimé la France, ils ont été loyaux envers la France : c’est pour cela qu’ils ont été stigmatisés, pourchassés et exterminés par les tueurs du FLN.
Au nom de la vérité, au nom de la fidélité des harkis à la France, exauçons la volonté des descendants de ces braves. Rendons-leur justice en leur reconnaissant pour toujours cette citoyenneté française ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Madame la ministre, madame la rapporteure, je dois vous le dire, vos propos me laissent assez circonspect : après nous avoir écoutés, comment pouvez-vous nous expliquer que vous nous comprenez, que vous adhérez à nos propos, puis balayer d’un revers de main les dix-neuf amendements qui viennent d’être défendus ?
Il faut que vous en ayez conscience : nos débats sont regardés, non seulement par les hommes et les femmes présents en tribune, mais aussi par les harkis qui, devant leur écran, m’envoient des messages pour me dire combien ils sont choqués et blessés par les propos qui viennent d’être tenus dans cette assemblée.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas, dans le même temps, vous réjouir des avancées accomplies à l’Assemblée nationale et balayer d’un revers de main les amendements déposés par les sénateurs. Le Sénat, lui aussi, a vocation à améliorer le texte ! Le Sénat, lui aussi, a vocation à l’enrichir ! (M. Olivier Paccaud acquiesce.)
Mes chers collègues, quelle que soit votre sensibilité ou votre groupe politique, je vous invite à voter en conscience et en responsabilité !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Je voterai ces amendements, car je souhaite que l’on fasse le maximum pour les harkis. Mais, sur ces travées, certains devraient faire preuve d’un peu plus de pudeur.
À droite comme un gauche, on s’insurge, on regrette que l’on n’aille pas plus loin. Mais combien de gouvernements, de droite comme de gauche, se sont succédé cinquante ans ? Personne n’a rien fait : il y a tout de même des responsabilités à chercher !
Mon intention n’est en aucun cas de blanchir le gouvernement actuel – je ne suis pas là pour cela –, mais il ne faut pas exagérer : pendant cinquante ans, on n’a rien fait, on n’a pris aucune mesure… (Protestations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. Jean Louis Masson. J’ai entendu l’un de nos collègues parler du FLN. Mais si les harkis ont été massacrés, ce n’est pas la seule faute du FLN. C’est aussi la faute de ceux qui les ont délibérément abandonnés en Algérie !
Je le répète, je voterai ces amendements. Mais les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, n’ont pas fait ce qu’il fallait faire. Aujourd’hui, on vient nous donner des leçons : c’est un peu fort.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Mon intervention concerne les quatre premiers amendements.
Les harkis étaient aux côtés de la France : ils étaient donc foncièrement des Français. Beaucoup ont versé leur sang pour notre pays et leurs familles ont souvent été persécutées parce qu’ils étaient français.
Madame la rapporteure, madame la ministre, vous avez affirmé que les harkis étaient d’ores et déjà français. Ce projet de loi répare la faute de l’État français : c’est une bonne chose, car l’effort restait insuffisant. Mais, sauf erreur de ma part, l’immense majorité des harkis étaient des citoyens français d’Algérie ; dès lors, il ne me paraît pas illogique de le préciser ici.
M. Philippe Tabarot. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Mes chers collègues, ce projet de loi mémoriel, soumis au Parlement français, a vocation à réparer les préjudices subis par des Français. Sinon, nous ne serions pas là : peut-être serions-nous en train de débattre une nouvelle fois des accords d’Évian dans une enceinte internationale.
Nous sommes là pour donner une sépulture morale à des Français qui ont choisi le drapeau français ; pour parler de ces Français qui ont choisi la France et l’ont fidèlement servie. Ce texte porte reconnaissance de la Nation.
En effet, nos débats sont très regardés. Ils le sont dans certaines de nos familles, pour ceux d’entre nous qui ont encore des parents ou des grands-parents nés de l’autre côté de la Méditerranée. Ils sont aussi le reflet de notre conscience. En 1962, je suis arrivée en France dans les valises de mes parents. J’ai déjà cité les mots par lesquels Gaston Defferre les a accueillis : « Allez vous réadapter ailleurs ! »
Depuis toutes ces années, certains d’entre nous portent, avec les harkis, le poids de cette mémoire. Comme nos parents nés de l’autre côté de la Méditerranée, les harkis étaient français. Si nous leur dénions cette nationalité, ce texte de réparation devient une offense à notre mémoire !
Aujourd’hui, quelle que soit notre couleur politique, seules trois couleurs nous intéressent, sur l’ensemble de ces travées, celles du drapeau pour lequel les harkis sont partis et sont tombés : le bleu, le blanc et le rouge. En refusant de leur reconnaître la nationalité française, on risque de raviver des plaies qu’il faudrait, au contraire, refermer.
Nous ne demandons pas grand-chose ; nous voulons simplement que ce texte dise la vérité et fasse justice à leur mémoire, à notre mémoire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. Je souhaite réagir aux propos de M. Masson, que j’invite à faire preuve d’un peu plus de discernement.
Notre collègue nous qualifie de donneurs de leçons : parole d’expert !