Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, avec 1 500 producteurs et 17 000 hectares, la France est le premier producteur européen de chanvre. En 2019, sa balance commerciale, en y incluant ses dérivés, était positive. Votre gouvernement affirme être résolu à soutenir cette filière, structurée depuis 1932. L’arrêté du 30 décembre, suspendu par le Conseil d’État, donne pourtant un coup d’arrêt.
Notre pays déplore le déficit de sa balance commerciale et, quand celle-ci dispose d’une dynamique positive, il semble que vous la mettiez en difficulté.
D’autres pays saisissent cette chance de développement. Lorsque les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an. Avant de vouloir recréer des filières productives sur notre territoire, soutenons celles qui fonctionnent !
La position de la France, si elle reste figée, reviendrait à favoriser les pays voisins. Nous serions alors confrontés à des importations légales très importantes déstabilisant notre production.
Avec de multiples débouchés – bâtiment, papier, aliments, textile, produits médicaux –, cette culture est une réelle aubaine en termes d’agroécologie et nécessite très peu d’intrants. C’est un réservoir à biodiversité ne nécessitant pas d’irrigation et absorbant autant de CO2 que la forêt.
De plus, les produits qui en sont issus permettraient de réduire notre empreinte carbone. Ils sont compostables et recyclables en fin de vie.
Or, aujourd’hui, votre gouvernement entretient l’ambiguïté : il entend soutenir la filière et, en même temps, stopper son essor. Madame la ministre, comment comptez-vous clarifier votre stratégie ? (M. Yan Chantrel applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, comme je viens de l’indiquer, le Gouvernement est attaché au développement de la filière du chanvre, élément important de l’agriculture française.
C’est une filière jeune, dont la structuration nécessite d’être renforcée. La culture du chanvre à teneur en THC inférieure au seuil réglementaire est donc soutenue spécifiquement à plusieurs titres, dans le cadre du plan stratégique national de la future politique agricole commune (PAC).
L’aide couplée est maintenue pour cette culture, dont les surfaces stagnent malgré un fort potentiel de développement à usage industriel, pour la bioéconomie. Le revenu des producteurs dépend en effet de la valorisation de l’ensemble de la plante : aussi repose-t-il sur un équilibre fragile. Le besoin de l’industrie en matières premières s’accroît et les surfaces sont insuffisantes pour couvrir ce potentiel innovant, qui offre des perspectives dans une économie décarbonée.
Le versement de l’aide couplée est subordonné à l’existence d’un contrat de culture avec une entreprise de transformation ou une entreprise de semences certifiées pour soutenir l’organisation de la filière du chanvre textile. L’enveloppe d’aide couplée consacrée à cette culture s’élève à 1,6 million d’euros par an.
Au regard des caractéristiques de la plante, la culture du chanvre est également valorisée dans le cadre d’interventions à vocation environnementale du plan stratégique national.
Par ailleurs, un certain nombre de mesures agroenvironnementales et climatiques, visant notamment à améliorer la qualité de l’eau en système de grande culture, requièrent un pourcentage minimal de surfaces engagées en cultures à bas niveau d’impact. Le chanvre en fait partie.
La filière dispose aussi de la possibilité d’émarger à un certain nombre de dispositifs de soutien, comme le plan de structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Ce dernier vise à soutenir des projets structurants ou innovants dans le cadre des démarches collectives ayant pour objet de dégager de la valeur pour l’amont et l’aval, ou dans le cadre de l’appel à projets « Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres matériaux biosourcés » du programme d’investissements d’avenir (PIA), lequel est explicitement ouvert aux produits à base de chanvre.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, vous avez vous-même introduit une certaine ambiguïté dans votre propos introductif en évoquant la consommation récréative du chanvre. Selon moi, la solution est d’organiser un grand débat national sur le sujet. Il me semble que la population française y est prête. (Mme la ministre déléguée opine.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la ministre, le Conseil d’État a décidé il y a quelques jours d’autoriser à nouveau la vente de produits dérivés du CBD, ou chanvre « bien-être ».
Vous le savez, malgré l’insécurité juridique de ce marché, le nombre de consommateurs et de boutiques spécialisées n’a cessé de croître ces dernières années. On comptait 400 boutiques spécialisées il y a un an ; il y en aurait quatre fois plus aujourd’hui.
Dans un rapport publié en juin dernier, l’Assemblée nationale notait que le CBD apparaissait comme un moyen de lutter contre la consommation de produits stupéfiants. Ses propriétés relaxantes et une absence de toxicité annoncée semblent un atout pour les structures médico-légales chargées de l’accompagnement des personnes souffrant d’addictions. Les témoignages en ce sens ont fleuri dans la presse ces dernières semaines, à la suite de la publication de l’arrêté interdisant la vente de fleurs contenant du cannabidiol.
En effet, nombre de consommateurs de CBD ont affirmé avoir réduit, voire arrêté, l’usage du cannabis. L’industrie du CBD en a d’ailleurs fait un argument de marketing : en témoigne une récente enquête de l’IFOP sur la place du cannabis dans la vie quotidienne des jeunes.
Le ministre de la santé a souligné à plusieurs reprises, y compris dans cet hémicycle, les risques que l’inhalation de fumées issues de la combustion de fleurs et de feuilles contenant du CBD représente pour la santé. Il a également relevé que peu de données scientifiques corroborent les bienfaits thérapeutiques du CBD.
En matière de santé publique, cet effet de substitution semblerait pourtant avoir des effets bénéfiques à condition bien sûr que sa consommation s’accompagne d’une baisse de l’usage de produits stupéfiants.
Ma question est donc la suivante : disposez-vous de données qui vont dans le sens de ce constat ? Les pays européens qui autorisent depuis plusieurs années la vente de produits dérivés du CBD peuvent-ils nous servir d’exemples en la matière ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Dominique Théophile, je vous remercie de cette question, qui me permet de préciser certains points relatifs à la dimension sanitaire de ce débat, notamment pour le cannabis à usage médical – je dis bien médical et non thérapeutique, par souci de précision.
Les effets du cannabis et de ses molécules sont étudiés pour le traitement ou l’accompagnement de plusieurs pathologies, comme certaines épilepsies sévères ou résistantes aux traitements, des douleurs réfractaires aux médicaments disponibles, des soins palliatifs ou encore des douleurs spastiques liées à la sclérose en plaques.
Ses propriétés orexigènes – autrement dit activatrices de l’appétit – semblent également utiles pour réduire les effets secondaires de certains traitements médicamenteux, par exemple les traitements contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les chimiothérapies.
Je l’ai déjà indiqué : l’expérimentation relative au cannabis médical, engagée le 26 mars 2021 pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients relevant de cinq indications dans les champs de la douleur, de l’oncologie et de l’épilepsie.
En 2014, un premier médicament contenant du CBD associé à du THC – le Sativex – a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de symptômes liés à une spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques. Ce médicament n’est pas commercialisé en France.
En 2019, un autre médicament contenant seulement du CBD – l’Épidiolex – a obtenu une autorisation de mise sur le marché. Il est indiqué pour des formes sévères d’épilepsie de l’enfant, réfractaires aux antiépileptiques.
Par ailleurs, des équipes de médecins de l’hôpital Necker commencent à prescrire des médicaments à base de CBD pour prendre en charge certaines maladies plus ou moins rares de l’enfant et de l’adulte.
En revanche, nous ne disposons à ce jour d’aucun élément quant à la place du CBD dans l’arrêt de la consommation de cannabis. L’ensemble de ces initiatives, travaux et expérimentations vont nous permettre de mieux identifier les enjeux thérapeutiques associés à l’utilisation du cannabis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Le 12 janvier dernier, lors de notre séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’interrogeais la ministre déléguée chargée de l’industrie sur l’avenir de notre filière du CBD, à la suite de la publication du fameux arrêté du 30 décembre 2021.
Cet arrêté a alors été qualifié de « chance » pour la filière. On le constate effectivement pour les grands chanvriers, notamment dans mon département de l’Aube.
Madame la ministre, le développement de la filière a des atouts, que vous avez vous-même rappelés. Notre pays est le premier producteur européen de chanvre.
En revanche, pour ce qui concerne la vente des fleurs et feuilles brutes, la réponse apportée m’a beaucoup moins convaincue, malgré l’invocation d’arguments relevant de la santé publique – enjeu qui, évidemment, nous préoccupe tous ici.
C’est sans grande surprise que j’ai découvert la décision du Conseil d’État suspendant cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné.
En posant ma question d’actualité, j’ai insisté sur le fait que d’autres moyens existaient pour réguler ce secteur. Je le répète : il faut une réglementation doublement équilibrée, d’une part entre la production et la consommation, de l’autre entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.
Quid d’un nivellement par le haut des exigences de contrôle de qualité, à l’image de celui opéré par les producteurs de chanvre ? Pouvons-nous envisager la délivrance d’une licence de production ?
Le Conseil d’État doit encore statuer sur le volet contentieux de cette affaire. Ce travail pourrait prendre plusieurs mois et, en attendant, certaines dispositions de l’arrêté resteront suspendues, laissant planer le flou quant à l’avenir du CBD et de la filière.
Madame la ministre, comptez-vous attendre la décision du Conseil d’État pour retoucher cet arrêté ou bien seriez-vous ouverte à l’idée d’apporter des corrections d’ici-là ? Si vous optez pour cette seconde voie, qui est celle de la sagesse, pouvez-vous nous préciser dans quel sens ces rectifications seraient opérées et si vous avez identifié des mécanismes alliant réglementation protectrice du consommateur et développement d’une filière française du CBD, forte et propre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice, nous visons le même objectif : assurer un équilibre entre la sécurité sanitaire et les perspectives de développement d’une industrie dont nous pouvons être fiers.
La France est le premier producteur européen de chanvre industriel et cette filière est d’ores et déjà solide. Je puis vous le garantir, le Gouvernement est fermement résolu à consolider le cadre juridique et la réglementation pour le renforcement de cette industrie dans le respect de toutes les conditions de sécurité, qu’il s’agisse de la production du chanvre ou de sa consommation par les usagers.
Pour autant – sur ce point, je tiens à être parfaitement claire –, nous ne souhaitons pas pour l’heure étendre cette dérogation à la commercialisation de fleurs ou de feuilles brutes auprès du consommateur, et pour cause : la commercialisation de fleurs, même à teneur de THC inférieure à 0,3 %, présente des risques sanitaires élevés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Lesquels ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Le taux de la fleur demeure difficilement maîtrisable ou contrôlable, sauf pour des extraits dont on peut ôter le THC via des traitements industriels.
Enfin, les forces de l’ordre, évoquées dans une précédente question, doivent conserver leurs capacités opérationnelles. Elles doivent être en mesure de distinguer rapidement et facilement les produits dont il s’agit, pour déterminer s’ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte anti-stupéfiants. (M. Guillaume Gontard s’exclame.) Le cadre se précise et s’affine, mais nous devons encore nous efforcer de trouver le meilleur équilibre possible, au plus vite, en l’état de nos connaissances scientifiques, sanitaires et industrielles comme au regard des impératifs de sécurité.
Voilà où nous en sommes. Au sujet de la délivrance d’une éventuelle licence de production, nous ne pouvons vous en dire plus à ce jour, car nous devons consolider les données scientifiques dont nous disposons.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Madame la ministre, depuis de nombreux mois les ouvertures de commerces spécialisés dans la vente de CBD, et même de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre, se multiplient. Premier producteur de chanvre en Europe, la France assiste peu à peu à l’émergence d’une véritable filière nationale du CBD.
Malheureusement, cette filière reste dans l’incertitude quant à la légalité de son activité.
Le code de la santé publique interdit l’usage et la commercialisation du cannabis, mais prévoit que peuvent être autorisées les variétés dépourvues de propriétés stupéfiantes.
Fin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que le CBD n’était pas un produit stupéfiant.
Cet été, la Cour de cassation a confirmé que la commercialisation de produits à base de CBD n’était pas par principe interdite ; elle a jugé licite la vente de fleurs de chanvre légalement produites dans un autre État membre de l’Union européenne.
Depuis, l’arrêté ministériel du 30 décembre 2021 a fixé à 0,2 % de THC le seuil en deçà duquel les variétés de cannabis sont dépourvues de propriétés stupéfiantes et peuvent donc être librement commercialisées. Il a également interdit la commercialisation des fleurs et feuilles de chanvre, quel que soit le seuil de THC.
Cette dernière interdiction vient d’être suspendue par le Conseil d’État. Bientôt, le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité des dispositions du code de la santé publique fixant ce cadre légal.
Ainsi, un an après l’arrêt de la CJUE, l’insécurité juridique et économique perdure, si bien que les entrepreneurs et les consommateurs sont perdus.
Madame la ministre, quand allez-vous définir une politique publique, un cadre légal adapté, et mettre en place les mesures de contrôle qui s’imposent ?
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le sénateur Serge Babary, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire dite « Kanavape », l’un des principaux objectifs de l’arrêté de 2021 est justement de sécuriser le développement des activités économiques autour du chanvre.
Tout d’abord, il s’agit de favoriser le développement de la filière agricole du chanvre en autorisant à certaines conditions la culture et la valorisation de la plante entière. Jusqu’à présent, seules les fibres et les graines pouvaient être valorisées. Grâce à ce nouvel arrêté, les variétés de plantes autorisées sont désormais inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. En outre, la teneur maximale en THC de la plante est relevée de 0,2 % à 0,3 %, en cohérence avec les règles de la politique agricole commune qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023.
Ensuite, il s’agit de sécuriser les activités économiques liées à la production d’extraits du chanvre et à la commercialisation des produits les contenant. Adopté après concertation avec les acteurs économiques, le nouvel arrêté complète la réglementation applicable aux différents types de produits mis sur le marché.
Enfin, il s’agit bien sûr de préserver la filière française traditionnelle du chanvre à usage industriel, dont l’excellence est reconnue.
Les informations communiquées par les autorités à l’occasion de la publication de l’arrêté, notamment le flyer intitulé « L’Indispensable sur… le cannabidiol (CBD) », visent à clarifier, pour les opérateurs économiques et pour les consommateurs, les règles applicables aux différentes catégories de produits finis.
Le Gouvernement juge toutefois impératif de concilier cet objectif de sécurisation des activités économiques développées autour du chanvre et deux autres objectifs prioritaires : premièrement, garantir un haut niveau de protection de la santé des consommateurs ; deuxièmement, préserver la politique ambitieuse de lutte contre les trafics de stupéfiants. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Le Gouvernement attend le jugement que le Conseil d’État doit rendre sur le fond dans les prochaines semaines : à ce titre, il se prononcera sur la légalité de l’arrêté du 30 décembre 2021.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Madame la ministre, à l’origine, mon sujet de préoccupation, c’était la situation de ces 2 000 commerces spécialisés et de leurs clients. Mais, évidemment, il faut s’intéresser à l’ensemble de la filière : producteurs, transformateurs et vendeurs. Comme tous les acteurs économiques, ces professionnels ont besoin d’un cadre légal stable, durable et compréhensible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Mes chers collègues, à l’évidence, nous tournons en rond : si nous posons tous la même question, c’est parce que nous ne comprenons pas la réponse du Gouvernement.
Madame la ministre, vous nous rappelez les objectifs de l’arrêté du 30 décembre 2021 ; mais le Conseil d’État l’a remis en cause. Que répondez-vous ?
Vous nous dites attendre que le Conseil d’État juge au fond, mais son ordonnance est claire à plus d’un titre : les dispositions que vous avez proposées sont une atteinte à la liberté d’entreprendre. Certes, nous n’en sommes pas systématiquement les fervents défenseurs… (M. Serge Babary le confirme.) En revanche, c’est bien votre cas !
Bref, expliquez-nous : qu’allez-vous faire si le Conseil d’État confirme sa position ? Cette filière va-t-elle enfin pouvoir s’organiser ?
J’avais moi aussi une question toute rédigée, mais c’était exactement la même que celle de M. Serge Babary et des précédents orateurs. Je le répète, question après question, vous nous apportez la même réponse, mais nous ne comprenons pas ce que le Gouvernement va faire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Sophie Taillé-Polian, je suis navrée, mais je vais persister dans ma réponse : nous attendons la décision au fond du Conseil d’État.
Effectivement, on peut avoir le sentiment de tourner en rond. Vous avez choisi d’organiser un débat sur des questions que l’on ne peut pas encore trancher : je n’y peux rien. Je suis donc obligée de vous répéter la même chose.
Cela étant, je m’efforce d’être aussi précise que possible à l’instant t. Je vous le confirme : le Gouvernement prend acte de l’ordonnance du Conseil d’État du 24 janvier 2022, qui suspend en référé l’exécution d’une disposition de l’arrêté du 30 décembre 2021 visant à restreindre l’utilisation de la plante entière à la production d’extraits de chanvre et interdisant de ce fait la commercialisation de fleurs et de feuilles brutes.
Bien sûr, le Gouvernement prendra des décisions en temps voulu ; mais, à l’heure où nous parlons, je ne peux pas vous dire dans quel sens. En quelle qualité le ferais-je ?
Mme Sophie Taillé-Polian. Mais en qualité de ministre !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous ne pouvons pas le faire : c’est sur la base de la décision du Conseil d’État que nous devrons nous prononcer.
Si je ne m’abuse, vous nous opposez souvent les avis du Conseil d’État : il serait aberrant de nous demander de ne pas tenir compte d’une de ses décisions. En attendant que cette juridiction se prononce sur le fond, le Gouvernement réaffirme sa volonté : mettre en place le cadre réglementaire que nous attendons tous pour permettre le développement sécurisé de nouvelles activités économiques liées au chanvre – nous vous avons dit tout le bien que nous en pensons –, en garantissant un haut niveau de protection des consommateurs et en préservant une politique ambitieuse de lutte contre les trafics. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Telle est, à ce jour, la réponse que je peux vous donner ; à mon sens, ces éléments ont toute leur importance.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame Bourguignon, c’est en tant que ministre que je vous demande de me répondre.
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous n’avez pas déjà signé de nouvelles dispositions : je l’entends.
Mme Sophie Taillé-Polian. Néanmoins, il serait intéressant que vous indiquiez à la représentation nationale les différents scenarii sur lesquels vous travaillez. Vous le dites vous-même, c’est la filière tout entière qui attend. En réalité vous temporisez, au motif qu’il ne serait pas tout à fait bienvenu de parler du chanvre en période électorale…
Mme Sophie Taillé-Polian. Aujourd’hui, votre cécité ne fait qu’aggraver les difficultés de cette filière économique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, sur ce sujet, vous entretenez la confusion. Nous ne parlons pas de la légalisation du cannabis, voire du cannabis thérapeutique ou médical. Nous avons déjà eu ce débat. D’ailleurs, nous vous l’avions fait remarquer à cette occasion : vous ne prenez aucune disposition pour que la France produise et utilise ce fameux cannabis, même à titre expérimental.
Quoi qu’il en soit, la question n’est pas là. Le sujet d’aujourd’hui, c’est la filière du CBD ; et vous voulez l’éluder, en entretenant une confusion qui trahit votre aveuglement idéologique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous voulez faire croire aux Français que vous êtes extrêmement stricts dans la lutte contre les drogues, avec une efficacité dont tous nos concitoyens ont pu mesurer l’ampleur : en ce sens, vous prenez des dispositions antiéconomiques, qui ne sont en aucun cas fondées sur des considérations d’ordre sanitaire.
Pourquoi interdisez-vous la vente des fleurs ? En réponse à cette question, le seul argument donné par M. Darmanin a été : parce qu’on peut les fumer et que ce qui se fume est forcément mauvais. Eh bien, commençons par nous occuper du tabac, ainsi que des fleurs de camomille, qui, fumées, sont également très nocives. (Mme la ministre déléguée lève les yeux au ciel.) La part des fleurs de cannabis fumées est tout à fait dérisoire ; ce dont nous avons besoin à ce titre, c’est d’abord de politiques de prévention.
Vous nous opposez un second argument : les policiers ne seraient pas à même de déterminer si le taux de THC est réglementaire ou non. Eh bien, voilà la priorité. M. Gontard nous a expliqué qu’en Suisse la police était équipée de kits permettant de mesurer ce taux. (M. Daniel Salmon le confirme.) Donnons-nous les moyens de réaliser ces tests afin de bien réguler la filière du CBD.
C’est d’ailleurs une autre de mes questions : votre arrêté prévoyait d’encadrer l’analyse des produits. Comment mettre en place une stratégie d’analyse fiable des produits proposés à la vente, quelle que soit leur nature, notamment par comparaison avec les psychotropes ?
De plus – M. Babary a raison –, il faut fixer un cadre légal clair pour consolider la filière. Pour l’heure, nous restons en plein brouillard et personne n’y comprend rien.
Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé votre temps de parole.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Enfin, il ne faut pas oublier l’encadrement de l’extraction !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je puis vous rassurer : sur ce sujet, je ne suis prisonnière d’aucune idéologie, absolument aucune…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais si !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je vous rapporte des faits ; je vous fais part des incertitudes qui demeurent ; je vous rappelle ce que l’on sait, en revanche, des aspects nocifs des produits que vous évoquez.
Les connaissances scientifiques nous en apportent la preuve chaque jour : le CBD n’est pas une substance inerte d’un point de vue pharmacologique. Certes, il n’agit pas ou n’agit que très peu sur les récepteurs cannabinoïdes, ceux où se fixe le THC ; mais il agit au niveau du cerveau,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas ce que dit l’OMS !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … notamment sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine.
En ce sens, le CBD est un produit psychoactif à part entière. Sa consommation peut donc avoir des effets psychoactifs de sédation et de somnolence. (M. Guillaume Gontard proteste.)
Chez l’homme, des interactions entre le CBD et des médicaments comme les antiépileptiques, les anticoagulants, les immunosuppresseurs ou la méthadone ont été mises au jour : c’est un constat scientifique, je n’y peux rien.
Les essais cliniques ayant conduit à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché pour un médicament à base de CBD ont révélé une hépatotoxicité des interactions médicamenteuses…