M. Martin Lévrier. Quelle conclusion !
M. le président. Ma chère collègue, de grâce, évitez de nous parler de maladies, du moins quand je préside la séance ! (Sourires.)
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir a le mérite de s’attaquer à des enjeux qui, s’ils s’apparentent à des sujets d’initié, ont des conséquences importantes sur la vie et la santé de bon nombre de Français.
En pointe en la matière grâce à son dispositif d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), la France a donné, dès les années 1990, aux patients atteints de maladies graves un accès large et rapide à de nouveaux médicaments, avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM).
Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de 2021 a également permis un certain nombre d’avancées, qui méritent d’être saluées ; mais beaucoup de chemin reste à parcourir pour répondre à l’ensemble des besoins thérapeutiques urgents, accompagner avec souplesse l’innovation et maintenir l’attractivité de la France sur une scène internationale de plus en plus concurrentielle. Il est important de le rappeler.
Cette proposition de loi, fondée sur deux rapports auxquels j’ai collaboré – ceux de mes collègues Annie Delmont-Koropoulis et Catherine Deroche –, s’efforce d’apporter des réponses à ces questions.
Notre rapporteure a réalisé un travail difficile, technique et de grande qualité, fruit de nombreuses auditions. Aussi, nous soutenons l’esprit général de ce texte, que l’examen en commission a encore permis d’enrichir.
L’article 1er va faciliter le déploiement d’essais cliniques en ambulatoire en autorisant leur réalisation au domicile des patients. Il rend également possible la télémédecine.
Les comités de protection des personnes (CPP), qui visent à s’assurer que toutes les recherches impliquant la personne humaine en France respectent des exigences médicales, éthiques et juridiques, seront renommés comités d’éthique de la recherche et de protection des personnes (CERPP). Ce nouveau titre correspondra mieux à leur mission et à ce que la majorité des pays européens pratiquent en la matière.
Au travers des articles 3 à 10, ce texte entend octroyer davantage de moyens aux CERPP. Il précise les modalités de contrôle par les agences régionales de santé (ARS) et propose des mesures renforçant l’attractivité des fonctions de membre de ces comités.
En parallèle, le rattachement des CERPP à tout établissement de santé d’intérêt collectif, mesure que j’avais proposée par voie d’amendement en commission, répond à une demande forte des établissements, y compris les centres de lutte contre le cancer. Ces mesures vont donc dans le bon sens.
L’article 6 se révèle un peu plus épineux. Il tente de répondre à l’engorgement des CPP par les projets de recherches impliquant la personne humaine (RIPH).
La solution souple retenue par Mme la rapporteure – faire appel, si besoin, au comité d’éthique de la recherche et de protection des personnes – nous paraît adaptée, même si j’ai bien compris qu’elle suscite un certain nombre de désaccords.
La seconde partie de la proposition de loi vise à améliorer l’accès des patients aux innovations. Sa mesure phare est la création d’un « forfait de caractérisation d’un cancer » permettant de prendre en charge la recherche de biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou théranostiques pour tout nouveau cancer diagnostiqué chez un patient.
À ce titre, je présenterai trois amendements à l’article 14. J’ai en effet été alertée quant aux risques d’une telle mesure si elle était adoptée en l’état.
La prise en charge est très variable d’un cancer à l’autre et d’une région à l’autre. De plus, il est courant que le diagnostic soit effectué par étapes, dans plusieurs établissements et sur demande de prescripteurs différents, y compris après un geste chirurgical ou après l’échec d’une première ligne thérapeutique.
Pour être pleinement efficient, ce forfait doit donc être suffisamment souple : il doit pouvoir être utilisé, à partir du diagnostic, à différents moments du parcours du patient. Le cas particulier de la récidive mérite également d’être précisé.
Les articles 16 et 18 viennent simplifier la fixation du prix du médicament. Ce faisant, ils accélèrent l’accès des patients aux médicaments innovants. Dans le cas où l’amélioration du service médical rendu est difficile à mesurer, c’est le critère de la « valeur thérapeutique relative » qui en fondera le prix. Les données en vie réelle seront mieux prises en compte : on revient ainsi à la dimension concurrentielle du sujet, à l’échelle internationale.
Enfin, madame la ministre, l’examen du présent texte me donne l’occasion d’évoquer à cette tribune la nécessaire réforme du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), créé en 2015 pour permettre une prise en charge temporaire et dérogatoire des actes innovants.
Depuis 2018, les tests génétiques sont remboursés à l’établissement prescripteur via une enveloppe nationale, laquelle est malheureusement fermée.
Le volume des tests effectués est en constante augmentation. Il s’agit a priori d’une bonne nouvelle, car les patients accèdent ainsi à une prise en charge personnalisée. Mais, dans les faits, les établissements se trouvent placés face à un casse-tête financier : ils assument 100 % du coût du test, mais ne sont remboursés qu’à hauteur de 47 %, et le reste à charge peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros par an.
Puisqu’il est question de l’excellence de la médecine française, de sa souveraineté et de l’amélioration de l’accès des patients aux innovations, nous pensons que ce frein doit rapidement être levé. (Mme Catherine Deroche applaudit.)
Mme Annie Delmont-Koropoulis, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur la proposition de loi de Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, et de Mme Delmont-Koropoulis portant sur l’innovation en santé.
Après lecture des deux rapports parlementaires très fouillés relatifs aux médicaments innovants, dont ce texte est censé s’inspirer, ce qui prédomine, au vu de son titre et du nombre de ses articles, c’est un certain sentiment d’inachevé.
À l’heure de la santé globale et la médecine des quatre P, quand on parle d’innovation en santé, on s’attend à ce qu’il soit à la fois question de médecine personnalisée – le sujet est certes abordé ici, mais sous un angle purement déclaratif – et de médecine préventive, prédictive et participative. L’enjeu de la santé environnementale a lui aussi toute son importance.
Or le présent texte est presque exclusivement focalisé sur l’innovation thérapeutique, voire médicamenteuse, à partir de sa phase clinique. Aucun article ne traite de la recherche fondamentale publique, qui, pourtant, est très souvent à l’origine de l’innovation. Si nous avons pu développer les vaccins à acide ribonucléique (ARN) contre le covid-19, c’est grâce à de nombreuses années de recherches dans ce domaine.
De même, il est impossible de ne pas le relever, au titre des derniers budgets de la sécurité sociale, l’accès aux médicaments innovants n’a cessé de faire l’objet de modifications législatives.
Je pense à l’entrée en vigueur, en juillet dernier, de l’accès précoce, voté au titre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, ou encore à l’adoption en décembre dernier, au titre de la dernière LFSS, du dispositif expérimental d’accès direct, lequel n’est pas encore mis en œuvre.
Si prompte à défendre la prévisibilité pour les entreprises, notamment en matière fiscale, la majorité sénatoriale concourt elle aussi à cette instabilité législative problématique.
Cette situation impose une adaptation permanente aux acteurs de la filière industrielle du médicament tout en rendant leur horizon incertain. C’est d’autant plus grave que, dans le domaine des biotechs, on a surtout affaire à des start-up et à de petites et moyennes entreprises (PME), pour lesquelles la visibilité est encore plus importante.
Ce texte comporte trois volets, dont deux pourraient avoir une portée très pratique : celui qui traite des comités de protection des personnes (CPP) et celui qui aborde l’expérimentation de nouveaux critères de fixation du prix des médicaments innovants.
Sur le premier volet, le présent texte s’attache à rénover les conditions de validation éthique des projets de recherche impliquant la personne humaine en réformant le fonctionnement des CPP, question récurrente depuis plusieurs années. Leur dimension éthique est réaffirmée. C’est un aspect positif de cette proposition de loi, de même que le portail unique de soumission des projets de recherche.
Ce texte répond également à une demande des associations de patients en proposant la constitution d’une liste d’experts. Il s’agit là d’un véritable enjeu, car l’évaluation des projets de recherche exige des compétences de plus en plus pointues.
En revanche, le rattachement à un centre hospitalier universitaire (CHU) est de nature à remettre en question l’indépendance des CPP. Il s’agit, pour nous, d’un point de divergence avec les auteurs de cette proposition de loi. L’indépendance des CPP est en effet le fil rouge de notre positionnement sur ce volet du texte. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement visant à la garantir.
Selon nous, les dysfonctionnements de l’évaluation éthique de la recherche biomédicale posent avant tout la question des moyens à disposition des CPP pour remplir leurs missions et du caractère bénévole de leurs membres, qui limite leur disponibilité.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a augmenté la contribution sur le chiffre d’affaires des industriels pharmaceutiques, afin d’attribuer le rendement supplémentaire ainsi obtenu aux CPP. Quelle est l’efficience de cette mesure ? Est-elle suffisante ? Pour l’instant, nous n’en savons rien, et c’est bien dommage.
Sur un autre volet, la proposition de loi entend accéder à une demande récurrente de l’industrie du médicament : la prise en compte de la valeur thérapeutique relative dans la fixation du prix de médicaments dits « innovants », mais présentant « une efficacité et une sécurité pouvant être présumées et répondant à un besoin thérapeutique majeur au regard des alternatives existantes ».
Vous savez combien les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont attachés aux principes de transparence du prix du médicament et du prix juste, lequel suppose l’équilibre du triptyque entre le bénéfice pour la santé publique, le coût pour la société et la protection sociale ainsi que l’enjeu industriel.
Or, tel qu’il nous est proposé, le dispositif ne répond pas à ces considérations. Nous défendrons donc des amendements en ce sens à l’article 16.
Dans ses derniers articles, le texte aborde le sujet de la plateforme des données en santé, ou Health Data Hub, qui est un enjeu majeur pour l’avenir de notre système de santé. C’est bien la question de la gouvernance éthique des données massives de santé de nos concitoyens qui est posée. Or force est de pointer le manque de garantie qui risque d’obérer sérieusement, non seulement sa mise en en œuvre, mais aussi son acceptabilité sociale face au risque de fuites de ces données très sensibles.
D’ailleurs, le Gouvernement lui-même a dû mettre un coup d’arrêt à son déploiement : il a retiré la demande d’autorisation qu’il avait adressée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour la centralisation du système national des données de santé (SNDS) dans la plateforme des données de santé.
Dans ces conditions, nous souscrivons totalement à cet objectif : sécuriser le stockage des données en santé en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs relevant exclusivement de la juridiction européenne.
Je terminerai mon propos en évoquant certains sujets qui nous semblent devoir être pris en considération dans le domaine de l’innovation en santé. Ces réflexions sont le fruit d’auditions auxquelles j’ai pu participer et des travaux de la mission d’information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale environnementale du XXIe siècle », constituée à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme la rapporteure le souligne avec raison : il est nécessaire de réformer et même de transformer notre système de santé, notamment pour mieux prendre en compte la question de la prévention.
Construits après la Seconde Guerre mondiale, notre système et nos politiques de santé sont centrés sur le traitement des patients. Ils excluent son environnement social et les déterminants sociaux de son état de santé – environnement familial, lieu de vie, niveau d’éducation, etc.
En se centrant sur le patient et sur la maladie, le système de soins s’est détourné de la définition même de la santé, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère plus comme l’absence de maladie, mais comme un état complet de bien-être physique, mental et social.
Il apparaît donc indispensable de concevoir des politiques fondées sur la valorisation de la bonne santé. Ce changement implique de sortir du modèle uniquement curatif et de s’intéresser aux questions de prévention et d’éducation à la santé.
Ce texte évoque, sans le développer – et nous le regrettons –, la notion d’exposome. Il est désormais établi que notre santé dépend en grande partie de l’environnement dans lequel nous évoluons. Les facteurs environnementaux seraient à l’origine de plus de 70 % des maladies non transmissibles, qu’il s’agisse de pathologies cardiovasculaires ou métaboliques, de cancers ou encore de problèmes respiratoires chroniques.
Aujourd’hui, il est à l’évidence indispensable d’étudier dans leur ensemble, et non plus séparément, les effets des différents facteurs incriminés sur la santé humaine. En effet, certains agissent en synergie, tandis que d’autres peuvent se compenser.
Avec une bonne connaissance des exposomes et de leurs impacts, on pourrait non seulement prédire des risques de santé de manière à proposer des prises en charge précoces aux personnes concernées, mais aussi agir pour tendre vers les exposomes les plus favorables à notre santé et à notre bien-être.
Cette question pose également celles de la transversalité et du décloisonnement de nos réflexions sur les santés humaine, environnementale et animale, que traduit le concept One Health.
Ainsi, il paraît désormais primordial de s’interroger sur la place de la santé dans d’autres politiques publiques sectorielles – l’alimentation, la santé au travail, la santé scolaire, le modèle énergétique, la pollution de l’air, etc. – et d’assurer une meilleure coordination entre les ministères, notamment ceux de la santé, de la transition écologique et de l’agriculture.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : bien sûr, nous faisons nôtre l’objectif d’améliorer l’innovation en santé, mais notre vote sur l’ensemble de cette proposition de loi dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Alain Milon. C’est du chantage ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des premières découvertes de l’Institut Pasteur au cœur Carmat, le cœur artificiel le plus avancé au monde, produit dans les Yvelines,…
Mme Catherine Deroche. Ah ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. … la France ouvre régulièrement la voie pour mieux soigner, depuis près d’un siècle et demi.
Je tiens d’ailleurs à saluer la mémoire de François Gros,…
Mme Catherine Deroche. Nous aussi !
M. Martin Lévrier. … codécouvreur de l’ARN messager, précurseur du séquençage et de la cartographie génétiques, décédé la semaine dernière.
Nous devons à ces chercheurs, à ces passionnés du progrès au service de l’humain, de lever les barrières existantes pour permettre des découvertes essentielles.
Pour autant, au cours du douloureux épisode de la crise sanitaire, notre pays a dû prendre la mesure de certaines de ses faiblesses dans le domaine de la santé.
Madame la présidente de la commission des affaires sociales, pour rappeler l’impérieuse nécessité de donner un nouvel élan à l’innovation et de travailler en synergie sur ces sujets, vous avez lancé en juin dernier une mission flash pré-Conseil stratégique des industries de santé. Il s’agissait de dresser le bilan de la mise en œuvre des mesures du huitième CSIS et de préparer le suivant, en identifiant les principaux freins réglementaires, financiers, organisationnels et culturels qui demeurent, en France, pour stimuler l’innovation en santé et faciliter l’accès aux thérapies innovantes.
Dans la même logique, Mme Delmont-Koropoulis, plusieurs de vos collègues et vous-même avez déposé ce texte le 25 novembre 2021, afin de renforcer l’évaluation éthique de la recherche en santé, d’améliorer les conditions d’accès aux thérapies innovantes et de renforcer l’usage sécurisé des données de santé.
Les vingt-trois articles de cette proposition de loi s’inscrivent dans un contexte bien particulier : celui du soutien à l’innovation et à la sécurité d’approvisionnement engagé par le Président de la République, notamment avec le plan Innovation Santé 2030, qui assurera l’émergence de véritables champions français dans le domaine de la santé.
Au total, ce plan engage 7 milliards d’euros : 1 milliard d’euros pour le renforcement de la capacité de recherche biomédicale ; 800 millions d’euros pour la biothérapie et la bioproduction de thérapies innovantes ; 650 millions d’euros pour la santé numérique ; enfin, 3,5 milliards d’euros pour le soutien à l’industrialisation des produits de santé sur le territoire français. S’y ajoute la création d’une structure d’impulsion et de pilotage stratégique de l’innovation en santé : l’agence d’innovation en santé.
Renforcer la souveraineté française en prenant le virage des biotechnologies et en accompagnant davantage les biotechs françaises ; faire de la recherche un objectif majeur de la santé publique ; lever les freins à l’accès précoce aux médicaments et aux traitements innovants ; passer de la médecine curative à la médecine prédictive en valorisant les données de santé sans négliger l’encadrement de leur utilisation ; anticiper les maladies infectieuses émergentes : voilà les étapes indispensables qu’il nous faut franchir pour que la France reste pionnière en santé publique.
Madame la présidente de la commission, votre texte contient à cet égard des améliorations bienvenues. Je pense notamment, à l’article 1er, à la possibilité de réaliser des recherches au domicile des participants, ou encore à l’ajout du mot « éthique » au titre des comités de protection des personnes.
Nous nous félicitons également d’une disposition de l’article 10 bis, reprenant une mesure que notre groupe avait tenté d’insérer dans le projet de loi relatif à la bioéthique, afin de simplifier les démarches des promoteurs ayant obtenu une autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou d’un CPP.
Grâce au travail remarquable de Mme la rapporteure, plusieurs difficultés que nous avions constatées dans la rédaction initiale ont été levées lors de l’examen en commission. Ainsi, l’avis de l’ANSM dans le cadre de l’agrément d’un CPP par le ministre chargé de la santé a été supprimé.
Pour autant, quelques limites demeurent et nous invitent à une certaine réserve. Je pense notamment aux missions de prospective, de veille et d’évaluation données à la Haute Autorité de santé (HAS) pour les dispositifs les plus innovants.
Sur le fond, nous nous accordons sur l’importance d’un tel rôle pour rester au premier plan de la recherche dans le domaine de l’innovation en santé. Mais il s’agira là d’une mission centrale de l’Agence de l’innovation en santé et il semble préférable de ne pas légiférer avant la création de cette instance.
Il en va de même pour les articles relatifs aux données de santé. Une nouvelle fois, nous approuvons l’objectif affiché. Les données sont une source de valeur ajoutée unique, qu’il nous faut sécuriser ; mais il n’apparaît pas nécessaire de légiférer sur des sujets qui donnent satisfaction, comme le traitement de données des organismes complémentaires, ou sur des questions qui sont sur le point d’être traitées, comme l’hébergement des données à l’échelle européenne.
Enfin, de nombreuses mesures sont proposées en parallèle d’un large mouvement engagé au niveau national par le Gouvernement, via le plan Innovation Santé 2030, comme au niveau européen. Je pense par exemple au règlement concernant l’évaluation des technologies de la santé, adopté par le Parlement européen en décembre dernier après plus de trois ans de travail. La temporalité retenue nous interpelle, compte tenu du risque de redondance.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, bien que nous souscrivions à l’objectif affiché – assurer à la France un rôle à part entière dans cet écosystème –, nous demeurons plus réservés sur certains des moyens présentés pour y parvenir et, j’y insiste, sur la temporalité du texte.
C’est pourquoi les élus de notre groupe s’abstiendront. Mais nous ne doutons pas que la navette parlementaire permettra d’enrichir ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 février 1942, il y a tout juste quatre-vingts ans, Stefan Zweig mettait fin à ses jours à Petrópolis, au Brésil. L’auteur du Monde d’hier, qui avait grandi dans le rêve d’une Europe pacifique, ne supportait plus le spectacle atroce d’un monde en guerre.
Quelques années plus tard, après toutes ces horreurs, le grand projet européen prenait vie. Zweig aurait sans doute adhéré à cette vaste entreprise de paix, de tolérance et de prospérité.
Aujourd’hui, si nous savons, après deux ans de crise sanitaire, que le coronavirus a profondément bouleversé le cours de l’histoire, nous ignorons encore précisément en quoi le monde de demain tranchera avec le monde d’hier. Toutefois, dans ce contexte encore très confus, nous pouvons d’ores et déjà identifier quelques priorités politiques, dont deux au moins me paraissent essentielles.
La priorité, c’est l’urgence pour l’Europe et plus encore pour la France à recouvrer sa souveraineté sanitaire en se réindustrialisant.
Nous avons pris conscience, au début de l’épidémie, de la dépendance dans laquelle notre pays se trouvait. Cette situation n’était pas nouvelle, loin de là : elle s’était installée progressivement, à mesure que trop d’élites et de grands patrons faisaient leur la théorie mortifère de la France sans usine, confortés par des gouvernements misant sur le « tout col blanc » et sur le « bac pour tous ». Peu à peu les usines fermaient, nombre de nos ingénieurs et chercheurs quittaient le pays.
Cette croyance en notre supériorité et ce refus de regarder la situation avec lucidité laissent pantois.
La prise de conscience, au printemps 2020, n’en fut que plus brutale. Peu à peu, nous avions abandonné des pans entiers de notre appareil productif et, soudain, nous étions contraints de l’admettre : du fait de ce démantèlement, nous ne pouvions plus produire ni masques ni médicaments. Surtout, au pays de Pasteur, l’incapacité à développer un vaccin contre la covid actait une forme de déclassement scientifique et industriel.
La seconde priorité découle directement de la première : c’est la nécessité, pour la France, de revenir à la pointe de l’innovation en santé.
À mon sens, il s’agit moins de miser sur la recherche fondamentale que de renforcer notre capacité à convertir nos savoirs fondamentaux en solutions industrielles. La tâche est immense et nous devons nous y atteler au plus vite pour espérer des résultats à moyen terme.
C’est pourquoi je me réjouis que le Sénat s’empare de ce sujet. Bien sûr, il n’est pas possible d’en traiter tous les aspects dans le seul cadre de cette proposition de loi, dont je tiens à saluer les auteurs. Face à l’ampleur des enjeux, je doute que la réorganisation des comités de protection des personnes, qui occupera une part importante des discussions, constitue une vraie priorité d’action pour faire de la France la terre de l’innovation en santé.
À mon sens, il est beaucoup plus urgent de créer les conditions d’émergence et de consolidation d’écosystèmes d’innovation performants. Pour ce faire, la collaboration entre acteurs publics et privés est essentielle : elle doit soutenir une approche de la recherche fondée sur la confiance partagée.
Cet effort implique notamment de faire évoluer les modèles financiers, afin de permettre aux entrepreneurs de développer de nouvelles solutions sans être contraints par des délais raccourcis de retour sur investissement.
Il s’agit de renouer avec le temps long de la recherche, car c’est l’une des conditions indispensables aux innovations de rupture et aux changements structurels.
Mes chers collègues, le temps long ne signifie pas pour autant l’allongement des procédures, bien au contraire : puisque les innovateurs doivent pouvoir se consacrer pleinement à leurs recherches, sans pression d’une rentabilité à court terme ni procédures administratives chronophages, notre devoir est de leur faciliter la tâche.
L’objectif est donc, en toute sécurité évidemment, de simplifier au maximum l’accès au marché. C’est pourquoi je me réjouis que le présent texte consacre plusieurs articles à l’amélioration et à l’ouverture du système national des données de santé.
La possibilité, pour les entreprises innovantes, d’utiliser les données en vie réelle doit faire évoluer en profondeur les modèles économiques. Concrètement, un tel travail permettra de faire basculer une partie des délais incompressibles de la recherche et développement vers l’aval de la mise sur le marché, plutôt que de tout concentrer sur l’amont. L’idée est de mieux articuler deux impératifs de l’innovation : d’une part, la nécessité du temps long ; de l’autre, celle de l’itération et de l’amélioration constante.
Cette évolution ouvre d’autres champs d’investigation, comme la protection des données et le suivi en vie réelle des effets des médicaments. Nous n’aurons pas le temps de traiter tous ces sujets, mais le texte que nous allons examiner nous permet déjà de proposer quelques pistes d’actions concrètes. Je vous proposerai quelques amendements en ce sens.
Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront cette proposition de loi. (Mmes Nadia Sollogoub et Véronique Guillotin applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)