M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. L’avis du Gouvernement sera défavorable sur chacun des amendements, monsieur le président.
Je ne reprendrai pas dans le détail les excellents arguments avancés par le rapporteur général de la commission des finances. Je formulerai simplement une remarque générale et une remarque de circonstance.
La remarque générale, c’est qu’il y a bien une chose que nous n’avons jamais essayée, dans notre pays – cela explique peut-être certains résultats économiques décevants au cours des décennies passées –, c’est la stabilité fiscale. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je pense que la stabilité fiscale n’a pas de prix. Elle permet aux entreprises d’investir. Elle leur donne de la visibilité sur le long terme. Elle a fait de notre pays le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Croyez-moi, on ne fait pas venir en France une entreprise comme GlobalFoundries, qui doit faire de notre pays l’un des cinq producteurs de semi-conducteurs de la planète, disposant ainsi de véritables technologies de rupture, si la stabilité fiscale n’est pas garantie.
Quand une entreprise comme GlobalFoundries réalise un investissement de 6 milliards d’euros, en Isère, elle a besoin d’assurances sur la stabilité fiscale.
J’entends tous les arguments qui ont été avancés, visant à aider les plus modestes et les plus faibles. Tout cela s’entend parfaitement. J’aimerais seulement pousser le raisonnement un peu plus loin. Posons-nous la question : qu’est-ce qui explique, à examiner les trente dernières années, que la France n’a pas toujours gagné la bataille des investissements étrangers ? Qu’est-ce qui fait que nos entreprises ont hésité à investir ? C’est l’instabilité fiscale !
La stabilité fiscale n’a pas de prix. Elle apporte de l’emploi, de la prospérité, de la richesse, des ouvertures d’usines et des investissements.
Vous me demandiez un seul argument justifiant mon refus de cette taxation. Le voici : la stabilité fiscale, que nous avons inscrite depuis cinq ans au fronton de l’action de notre majorité.
Ma remarque de circonstance sera la suivante. Si l’on entre plus avant dans les détails, dites-vous, deux entreprises, à savoir TotalEnergies et CMA CGM, ont réalisé des profits considérables à cause de la situation actuelle.
Tout d’abord, vous me permettrez d’être quelque peu gêné aux entournures quand il s’agit de pointer du doigt des entreprises qui font la force de notre économie. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous les avez citées vous-même !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous m’excuserez de rester sur cette ligne, mais je trouve qu’il y a toujours quelque chose de gênant à pointer du doigt une entreprise ou une autre, un nom ou un autre. C’est ma conviction. Respectez-la.
Vous me dites que ces entreprises-là ont profité de la situation actuelle et doivent rendre aux Français. Je suis d’accord. La remise que TotalEnergies fera de 20 centimes d’euro par litre de carburant sur toutes les stations, rurales comme autoroutières, coûtera à cette entreprise un demi-milliard d’euros. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Il est possible de juger cela insuffisant et de considérer que l’entreprise pourrait faire davantage. Simplement, il n’est pas possible de dire qu’elle n’a rien fait.
De même, CMA CGM réalise une remise de 750 euros par container : on peut juger que ce n’est pas assez, on peut juger qu’ils doivent faire plus, mais on ne peut pas dire qu’ils n’ont rien fait.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas assez !
M. Bruno Le Maire, ministre. Par ailleurs, toutes les autres entreprises qui entrent dans le champ de vos amendements n’ont, ô grand Dieu, rien demandé à personne, que ce soit Stellantis, Renault, STMicroelectronics, que je viens d’évoquer, Engie ou d’autres encore. Pourquoi seraient-elles soumises à un impôt exceptionnel ?
Ces entreprises sont confrontées à la transition énergétique. Celles du secteur automobile doivent investir massivement dans de nouvelles chaînes de traction, dans le véhicule électrique, dans l’ouverture de nouvelles usines. Je préfère sincèrement qu’elles paient davantage d’impôt sur les sociétés, car elles ont réalisé davantage de bénéfices, tout en conservant des marges pour investir en France et réussir la révolution du véhicule électrique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais elles engrangent des bénéfices !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je préfère qu’elles restent des entreprises profitables, dont tous nos compatriotes pourront bénéficier.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle honte !
M. Bruno Le Maire, ministre. Il est possible de ne pas être d’accord, madame la sénatrice, mais je ne pense pas qu’en disant « quelle honte », on fasse beaucoup avancer le débat.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je peux partir…
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis désolé, je réfute ce type d’argument. Si, au cours de ce débat qui va durer longtemps, nous commençons à nous lancer des invectives, comme « quelle honte », « quel scandale » ou que sais-je encore, nous ne progresserons pas beaucoup. Vous avez avancé vos arguments, madame la sénatrice : j’avance les miens.
Je suis convaincu que, pour l’intérêt national, la stabilité fiscale n’a pas de prix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Votre propos, monsieur le ministre, n’est absolument pas convaincant.
L’argumentaire que vous venez de développer est quelque peu choquant : j’ai l’impression que vous reprenez votre théorie, votre vieille antienne, votre catéchisme libéral, que vous assénez depuis des années : la fameuse théorie du ruissellement, que personne ne voit jamais se produire, sauf dans les catégories les plus privilégiées.
Plus grave encore est le parallélisme déflagrateur entre le débat tenu ici la semaine dernière, au cours duquel vous avez obstinément refusé d’augmenter les revenus des plus défavorisés au travers du revenu minimum, et la discussion que nous avons aujourd’hui, au cours de laquelle vous refusez, avec en quelque sorte des pudeurs de gazelle, de taxer ceux qui profitent de la crise. Car il s’agit bien ici de profiter de la crise !
Taxer 25 % des superprofits de TotalEnergies, je vous rassure, laisse encore à cette entreprise 16 milliards d’euros sur l’année. Je ne pense pas qu’elle en mourra ou qu’elle rencontrera le moindre problème…
D’ailleurs, on parle beaucoup de TotalEnergies, mais n’oublions pas les concessionnaires d’autoroutes. Je puis comprendre que vous soyez quelque peu mal à l’aise à l’idée de les taxer, monsieur le ministre, car vous avez participé, quand vous étiez directeur de cabinet de M. de Villepin, à leur privatisation. Vous avez ainsi fait en sorte qu’ils s’engraissent dès que nos compatriotes sont sur les routes : la facture est très salée quand ils prennent l’autoroute, lorsqu’ils ont la chance de pouvoir partir en vacances, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous.
Il serait peut-être temps d’agir et d’envoyer un message de justice sociale, parce que l’injustice que vous créez est le terreau des révoltes de demain.
Si vous ne voulez pas connaître de nouveau révoltes et manifestations de masse, agissez tout de suite, allez dans le sens de la justice sociale ! Envoyez des signaux positifs, montrant que, dans ce pays, la répartition des richesses est possible. Faites-le, ayez ce courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Briquet. La taxation des superprofits anime nos débats, ce qui était prévisible. Le fait que des amendements soient issus de plusieurs travées prouve l’intérêt du sujet.
J’ai bien noté, monsieur le ministre, votre hostilité à toute taxation sur les superprofits. Pourtant, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Si vous avez pu mettre en œuvre des dépenses extraordinaires, pourquoi refuser des recettes qui le sont également ? D’autant que, selon vous propres dires, la cote d’alerte est atteinte en matière de finances publiques…
Est-ce à dire que seule la réduction de la dépense sera de mise ? Nous savons bien qui, finalement, paiera l’addition.
Au nom de la stabilité fiscale, doit-on faire un trait sur la justice sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Nonobstant le désagrément que je vais causer à mes collègues, je ne voterai pas ces amendements. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
Tout d’abord, pour nous, la justice, c’est l’efficacité. Chaque Français doit retrouver dans son porte-monnaie le bienfait des mesures qui sont prises. Or, M. le ministre l’a rappelé à propos de TotalEnergies, mieux vaut un prix de l’essence, demain, à 1,50 euro qu’une taxe destinée à l’État, dont les effets sur le pouvoir d’achat ne seraient pas immédiats.
Ensuite, contrairement à ce qui vient d’être dit, la théorie du ruissellement fonctionne, depuis cinq ans, dans notre pays : création de plus de 1,5 million d’emplois, baisse des impôts pour chacun d’entre nous, valeur ajoutée trouvée en France, moyens ayant permis la hausse des minima sociaux… Tout cela a pu être fait grâce aux profits qu’ont créés les entreprises.
La France a besoin non pas de taxes supplémentaires, mais d’investissements, de créations d’emplois et de richesses, qui lui permettront de se développer.
M. Vincent Éblé. Avec de la dette !
M. François Patriat. Si vous taxez aujourd’hui, vous frapperez TotalEnergies, qui fait des profits à l’étranger – tant mieux si nous possédons un fleuron industriel ! Allez-vous taxer également British Petroleum ou Exxon ? Quand ces entreprises, y compris CMA CGM, étaient au bord de la faillite, vous n’avez pas créé les moyens de les aider ! Aujourd’hui, en mettant en place des aides pour nos territoires d’outre-mer, elles accompagnent leur développement.
Par ailleurs, comparaison n’est pas raison ! Vous comparez à chaque fois la situation de la France à celle de la Grèce, de l’Italie ou de l’Espagne. Or la France est le pays qui prélève le plus, mais qui redistribue le plus. Je voudrais savoir comment ont été traités les Espagnols, les Italiens et les Roumains au moment de la crise de la covid-19. Ils ne l’ont pas été comme l’ont été les Français !
M. David Assouline. L’Espagne a augmenté le SMIC !
M. François Patriat. À combien s’élève aujourd’hui le SMIC espagnol ? Les Espagnols doivent désormais avoir deux boulots pour survivre, parce qu’ils ne reçoivent aucune aide de l’État. Ils n’attendent d’ailleurs rien de l’État.
M. David Assouline. Beaucoup de Français sont dans la même situation !
M. François Patriat. En France, l’État répond présent. Nous allons envoyer un signe : les grandes entreprises feront un effort pour aider les Français.
Nous serons là pour vérifier les résultats. Si ces entreprises ne tenaient pas leurs engagements, nous en tiendrions compte dans le budget futur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. M. Attal le répète souvent, le « quoi qu’il en coûte » est terminé ; désormais c’est « combien ça coûte ? ».
Or la vraie question n’est pas celle-là ! La vraie question, c’est « qui doit payer ? », dans un moment de crise, pour l’ensemble du pays ? On aurait pu penser que, après les résultats électoraux, pouvait se jouer une certaine sincérité liée à l’urgence de la situation.
Nous sommes en effet confrontés à une guerre, ainsi qu’à une crise sociale particulièrement prégnante au cours de la campagne électorale. Ainsi, comme ce fut le cas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, gauche et droite auraient pu s’entendre sur des mesures exceptionnelles, dans l’intérêt du pays et de nos concitoyens.
Or, monsieur Le Maire, vous êtes dans la lignée de ce que vous avez toujours défendu, ce que je ne vous reprocherai pas. C’est la droite de l’hémicycle qui est en admiration devant vous et qui vous applaudit ! Il n’y a aucune main tendue pour ce qui concerne les préoccupations portées par la gauche.
Au cours du précédent débat, le mot d’ordre était le suivant : « Pas d’augmentation de salaire ! » Il ne faut pas toucher à ceux, qui, faisant des profits, sont simplement encouragés, par vos seuls propos et non par des mesures concrètes, à augmenter des salaires qui ne permettent plus à nos concitoyens de vivre.
Aujourd’hui, dans le cadre de ce nouveau débat, nous nous intéressons à ceux qui, dans un moment de crise majeure, ont fait des profits. À une autre époque, on les appelait les « profiteurs de guerre ». Le minimum, pour les progressistes de la gauche et de la droite, c’est de les taxer. Ainsi, les centristes de l’hémicycle, qui par définition ne sont pas de gauche, considèrent que, de façon exceptionnelle, il faut aller chercher l’argent là. Et vous dites encore non !
Vous n’avez donc défendu, au cours de ces deux débats, que les intérêts de ceux qui ont déjà beaucoup, tournant le dos à ceux qui souffrent et qui ont des difficultés pour vivre.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Permettez-moi de revenir sur les propos de M. le rapporteur général et de M. le ministre. Je souhaite que nous évitions toute confusion concernant le terme « entreprises ». De quoi parlons-nous exactement ?
Il existe différents types d’entreprises, tout le monde le sait ici. Vous nous parlez de stabilité fiscale, monsieur le ministre. Mais mon collègue Gilles Carrez, que personne ne pourra accuser d’avoir été de gauche, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, a montré l’iniquité de fait entre les PME et les multinationales.
Vos services ont examiné à la loupe les liasses fiscales des sociétés françaises. Pour les PME, le taux effectif d’imposition est de 24 %, pour les multinationales, il est de 17,53 %. Donc, celles qui se font avoir, dans cette affaire, ce sont les petites et les moyennes entreprises, qui, elles, n’ont pas droit à la stabilité fiscale ! Elles ont simplement le droit d’être mises à contribution. Je vous renvoie donc à votre argument, monsieur le ministre, après avoir montré son absence de validité.
Ensuite, vous avez évoqué TotalEnergies. Examinons les chiffres. Le « geste » que cette entreprise va faire, avec beaucoup de générosité, à hauteur de 500 millions d’euros – nous ignorons d’ailleurs comment cette somme a été calculée – représente 0,2 % de son chiffre d’affaires !
M. Pascal Savoldelli. Chers collègues de droite, alors que TotalEnergies s’apprête à nous concéder 0,2 % de son chiffre d’affaires, nous avons débattu ici d’une réduction de 0,5 % de l’augmentation de l’allocation du RSA !
J’estime que deux camps s’affrontent dans cet hémicycle : d’une part, la collusion entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale, qui défend le capital : d’autre part, la gauche, qui peut s’élargir et qui entend adopter, à l’issue de notre débat, au moins un euro de contribution adossé aux bénéfices des entreprises, car c’est indispensable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que de nombreuses entreprises ne réalisaient pas leurs bénéfices en France.
Effectivement, si l’on examine les bénéfices de TotalEnergies, on peut se poser des questions. En 2020, cette entreprise n’a payé aucun impôt en France, malgré un bénéfice de 10 milliards d’euros en 2019. Comment expliquez-vous qu’une entreprise dont le siège est en France et dont 21 % de l’activité sont réalisés dans notre pays, non seulement n’y enregistre aucun bénéfice, mais, pire, y déclare des pertes ? Le Trésor public lui a même remboursé 126 millions d’euros !
N’y a-t-il pas là un petit sujet ? Sans doute est-il temps de donner à nos services fiscaux les moyens de chercher où sont les fraudes ! Le moins qu’on puisse dire, c’est que les multinationales ne jouent pas le jeu de la solidarité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Pascal Savoldelli. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiendrai l’amendement présenté par Mme Sylvie Vermeillet.
Bien évidemment, la crise que nous subissons s’inscrit dans le prolongement de la crise sanitaire. Dans cet hémicycle, monsieur le ministre, nous avons voté la réduction des aides covid pour les entreprises possédant des filiales dans les paradis fiscaux. TotalEnergies figure tout de même en bonne place dans les Panama Papers ! Nous avions aussi demandé que ces aides covid ne soient pas attribuées aux entreprises qui distribuaient des dividendes, mais nous n’avions pas obtenu satisfaction sur ce point.
Permettez-moi de rappeler les grandes entreprises bénéficiaires : LVMH, avec une hausse de 107 % de ses bénéfices, soit 12 milliards d’euros, STMicroelectronics, avec une hausse de 24 %, Biogroup et toute l’industrie pharmaceutique, qui, pendant la crise du covid-19, ont bénéficié des aides et multiplié leurs profits.
Sylvie Vermeillet l’a très bien expliqué, des aides exceptionnelles ont été accordées au moment de la crise sanitaire. Un prélèvement exceptionnel doit donc être envisagé pour aider à passer le cap lié à la crise de l’énergie et à l’inflation.
À nos yeux, il n’y a rien de choquant à mettre en place une taxe bornée dans le temps. Nous sommes donc tout à fait opposés à vos propos, considérant que la mesure que nous préconisons est parfaitement légitime et conforme à notre analyse.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. En 2020 et 2021, l’État a aidé les entreprises à surmonter la situation pandémique, qui a causé beaucoup de dégâts. Il faut s’en souvenir, car cela a coûté aux finances publiques.
Or, aujourd’hui, les journaux ne cessent d’égrener dans leurs pages les résultats de ces entreprises, qui sont bien supérieurs aux résultats habituels – ils peuvent représenter jusqu’au quadruple de ceux-ci !
Par ailleurs, face à l’inflation à laquelle les consommateurs sont confrontés, ces entreprises n’engrangent-elles pas des superprofits, profitant de la situation inflationniste ?
Selon moi, l’amendement présenté par Sylvie Vermeillet et le groupe Union Centriste est fondamentalement différent de ceux qui sont présentés par les autres groupes, tout simplement parce qu’il s’agit de prévoir une contribution exceptionnelle lorsque le bénéfice a été supérieur de 20 % ou plus à la moyenne des bénéfices nets réalisés en 2017, 2018 et 2019, soit avant la crise.
Ce n’est pas une taxation très forte, puisqu’elle ne concernerait que les entreprises ayant réalisé un profit notablement supérieur en 2021, par rapport à la moyenne des trois années précédentes. Ne confondons pas une telle mesure avec les gestes commerciaux qu’un certain nombre d’opérateurs seraient par ailleurs en mesure de proposer aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Pour ma part, je suis opposé à ce type d’imposition circonstancielle, qui nuit à la clarté et à la sécurité juridique des contribuables et qui est d’autant plus démagogique que son rendement fiscal serait faible.
Une politique fiscale efficace, c’est-à-dire favorable à la productivité économique et, donc, au pouvoir d’achat, implique de suivre des règles fixes et préétablies.
C’est une question de sécurité juridique. S’il est bien un aspect de la loi fiscale qui décourage les entrepreneurs, c’est sa rétroactivité. Il est difficilement compréhensible que des opérations faites par les entreprises en considération d’un régime fiscal donné puissent faire l’objet a posteriori d’un traitement fiscal différent.
Le respect du droit et des libertés fondamentales, y compris en matière fiscale, suppose le respect de principes supérieurs, qui n’ont pas à varier au gré de l’opportunisme politique. Ce comportement déloyal de l’État finit toujours par se retourner contre lui.
Sur le plan interne, le principe d’égalité devant les charges publiques s’oppose à une taxation discrétionnaire de quelques contribuables.
Sur le plan européen, le principe de protection de la confiance légitime oblige la puissance publique à respecter la parole donnée. C’est la stabilité fiscale nécessaire dont nous a parlé M. le ministre.
Vous avez évoqué l’Espagne, chers collègues. La taxation mise en place dans ce pays aura un effet en 2023 et 2024, ce qui ne permet pas de régler la situation actuelle. Vous avez également fait référence au Royaume-Uni, où je réside et dirige une entreprise. L’ancien ministre des finances, candidat à la fonction de Premier ministre, qui propose d’augmenter la fiscalité, y est contredit par sa concurrente directe à ce poste, qui souhaite baisser les impôts.
Pour toutes ces raisons, je ne voterai aucun de ces amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.
M. Philippe Dominati. Monsieur le ministre, comme je l’ai demandé en commission des finances sans obtenir de réponse, je voudrais connaître la définition des superprofits.
Pour ma part, j’ai quelques difficultés à savoir de quoi il s’agit…
M. Philippe Dominati. … et les débats ne m’ont pas véritablement éclairé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il y a une définition dans l’amendement !
M. Philippe Dominati. S’agit-il des profits réalisés par une société qui se rétablit et qui commence à être bien gérée ? Ainsi, la SNCF a réalisé un bénéfice de 1,3 milliard d’euros en 2017 et de 141 millions d’euros en 2018. En revanche, elle a enregistré une perte de 811 millions en 2019, ce qui fait un bénéfice moyen de 223 millions d’euros. Si j’applique à cette entreprise la taxe prévue par l’amendement n° 130 rectifié bis, elle devra payer 133 millions d’euros au titre de ses superprofits.
M. Philippe Dominati. Quant au groupe La Poste, il devra payer 250 millions d’euros au titre de ses superprofits, puisqu’il a réalisé un bénéfice de 798 millions d’euros en 2018, de 822 millions en 2019 et de 2 milliards d’euros, à la suite de reprises de provisions, en 2021.
Je n’ai pas fait le calcul pour Air France, ni pour les agriculteurs qui bénéficient de l’augmentation du prix du blé en Ukraine, ni pour les commerçants et les entreprises de l’Île-de-France, qui réaliseront peut-être des superprofits à l’occasion des jeux Olympiques…
Je vous demande donc, monsieur le ministre, quelle est, pour Bercy, la définition exacte des superprofits. En effet, j’ai l’impression qu’il s’agit plus de faire preuve d’une certaine démagogie destinée à taxer tous les profits ! En France, bien que nous ayons la fiscalité la plus importante des pays développés, il faut taxer dès qu’il y a un profit ou une réussite quelque part.
C’est la raison pour laquelle ce débat me déplaît. Afin de montrer que je ne suis pas de connivence avec vous, monsieur le ministre, je me permettrai une autre remarque : n’aurait-il pas été pertinent de ne pas pointer du doigt certaines sociétés, au moment du débat sur les Gafam, en préconisant des taxes spéciales ? Au demeurant, j’aurai l’occasion de revenir sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Tous ces amendements ont le goût sucré des mesures qui n’ont que l’apparence de la justice sociale. Ce sont de fausses bonnes solutions, et cela pour deux raisons.
Tout d’abord, ces mesures sont à la fois faussement efficaces et faussement équitables. En effet, créer une super taxe pour TotalEnergies n’amènerait aucune rentrée d’impôts.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi ?
M. Bruno Retailleau. Je préfère que l’effort de cette société soit empoché par les Français, plutôt que par Bercy.
Ces mesures sont également faussement équitables. En effet, les résultats d’une entreprise, quelle qu’elle soit, ne dépendent pas toujours des stratégies éclairées de cette dernière. L’important, c’est bien évidemment son environnement. Demain, créerez-vous une supertaxe pour ceux qui vendent plus de bouteilles d’eau minérale parce qu’il fait très chaud ? Et pour ceux qui vendront plus de cirés lorsqu’il fera très humide ? Ces exemples montrent l’absurdité de votre raisonnement. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas un argument !
M. le président. Je vous demande de respecter la parole de chaque orateur, mes chers collègues !
M. Bruno Retailleau. Par ailleurs, et c’est mon argument le plus important, dire aux Français que la solution réside dans la taxation, c’est leur mentir. En effet, le problème, en France, c’est justement les taxes et les impôts.
Notre pays a choisi de faire financer sa dépense publique en surtaxant les entreprises. La différence de taxation par rapport à la moyenne européenne, notamment dans la zone euro, représente près de 7 points de PIB, ce qui fait 150 milliards d’euros de différence entre la France et l’Allemagne, soit quatre fois plus d’impôts de production et beaucoup plus de charges sociales. Cette situation a conduit à la désindustrialisation de la France.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, très franchement, si le remède aux malheurs français était les taxes sur les superprofits, alors même que nous sommes, avec le Danemark, les champions du monde de la fiscalité, la France serait non seulement le pays le plus civilisé, mais même à l’avant-garde du bonheur universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, vous nous parlez ce soir de stabilité fiscale, laquelle risquerait d’être malmenée par l’adoption de ces amendements. Pourtant, vous-même n’avez pas craint de la malmener pendant la crise du covid-19, au cours de laquelle les plus grosses entreprises ont bénéficié des PGE, les prêts garantis par l’État !
Nous avons auditionné récemment M. Rodolphe Saadé, qui nous a indiqué clairement qu’il avait gagné plus d’argent. C’est à nous qu’il revient de décider comment ces sommes seront distribuées.
Or, aujourd’hui, vous nous dites que ce sont les entreprises qui décident, à l’image de TotalEnergies, combien elles donneront. Je croyais naïvement que c’était le Parlement et le Gouvernement qui fixaient le taux d’imposition. Ce soir, monsieur le ministre, vous organisez une forme de charité. Vous êtes le ministre non plus de l’économie, mais de la charité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)