Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce texte aura pris plus de temps que prévu. Nous avions déjà regretté en février dernier son retrait par le Gouvernement, qui a obligé le Sénat à le remettre à son ordre du jour. Il aurait été préférable pour nos concitoyens polynésiens qu’il soit voté plus tôt, ce qui aurait montré l’intérêt du Gouvernement pour les collectivités ultramarines et leurs populations.
Ce texte nous permet aussi de démontrer l’utilité des luttes sociales. L’ordonnance sur la fonction publique communale polynésienne qu’il nous est demandé de ratifier a en effet été prise à la suite des mouvements de grève de mai 2017. Outre leurs demandes spécifiques, les fonctionnaires polynésiens rejoignaient aussi leurs collègues de l’Hexagone pour dénoncer les attaques contre la fonction publique, le gel du point d’indice, le rétablissement de la journée de carence, les suppressions de postes et, plus globalement, la faiblesse de leur pouvoir d’achat. Rappelons que les prix en Polynésie française sont supérieurs de 39 % à ceux de l’Hexagone, selon la dernière enquête de l’Institut de la statistique de la Polynésie française. La vie chère y est donc un défi à relever au quotidien.
Ces manifestations ont permis la construction d’un consensus, après des concertations entre les partenaires locaux.
Cette fonction publique spécifique à la Polynésie est récente. Pour son évolution et son attractivité, il était nécessaire de lui étendre des dispositions applicables à la fonction publique territoriale.
Nous nous félicitons des avancées en matière de lutte contre les discriminations, les agissements sexistes et le harcèlement, mais aussi en matière de déontologie ; à cet égard, je me félicite que notre amendement tendant à attribuer aux fonctionnaires un droit à la consultation d’une commission de déontologie ait été conservé dans la version finale du texte.
Ce texte ouvre de nouveaux droits, mais réaffirme aussi les devoirs et les valeurs de la fonction publique, qui unit l’ensemble des agents de la République : nous avons défendu le maintien du principe de laïcité, qui a bien sûr vocation à être réapproprié localement, dans le respect de la culture et de l’histoire locales.
Nous voterons en faveur de ce texte, car la majorité de ses dispositions bénéficieront aux fonctionnaires communaux polynésiens, mais nous tenons tout de même à émettre des réserves sur certaines mesures.
Malheureusement, en toile de fond de ce texte, nous retrouvons la logique de la loi de transformation de la fonction publique et ses dogmes libéraux : l’encouragement à la contractualisation, le rétrécissement du champ d’action des instances représentatives du personnel ou encore le remplacement de la notation par un entretien individuel d’appréciation de la valeur professionnelle. Tout cela va, selon nous, vers une casse du statut et une précarisation des agents.
Nous aurions également aimé que le texte aille plus loin dans la reprise des propositions du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française, par exemple en adoptant la réciprocité d’intégration, pour les agents, entre la fonction publique communale et celle du pays, réciprocité que nous avions demandée par amendement.
Enfin, les ambitions de revalorisation de cette fonction publique ne pourront évidemment être atteintes si l’on ne s’en donne pas les moyens. Il est insupportable que ces agents qui défendent l’intérêt général au quotidien ressentent une mise à l’écart statutaire ; un tel texte contribue à y remédier.
Mais les communes polynésiennes subissent de fortes contraintes budgétaires et l’État doit mieux les accompagner financièrement. C’est une nécessité, pour améliorer l’évolution professionnelle des agents et pour atteindre les objectifs de politiques publiques défendus dans un tel texte, comme l’action sociale. Le rapport demandé au Gouvernement à l’article 23 sera donc le bienvenu pour mettre en lumière ces besoins.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes opposés à la pratique des ordonnances, a fortiori lorsqu’elles sont utilisées pour légiférer sur les collectivités ultramarines. Toutefois, nous voterons ce texte important pour nos concitoyens polynésiens, un texte qui a pu susciter un consensus entre les acteurs concernés, malgré les points de vigilance que nous avons soulevés.
Je tiens pour finir à saluer particulièrement notre collègue Lana Tetuanui, pour sa ténacité et sa force de conviction. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Buis et Mme Raymonde Poncet Monge applaudissent également.)
Mme Lana Tetuanui. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ia ora na, il est trois heures du matin au pays ; on y dort encore ! (Sourires.)
Il aura fallu, de 2017 à 2022, cinq ans de négociations et d’échanges entre Paris et le fenua, notre territoire, puis une première lecture un peu chaotique au Sénat en février dernier, mais nous voilà enfin arrivés au terme de ce marathon parlementaire. Tout vient à point à qui sait attendre et il n’est jamais trop tard pour bien faire, me dira-t-on !
Aussi, sans refaire l’histoire, je rappellerai néanmoins que la fonction publique consacrée aux seules communes de Polynésie française est récente : elle n’est effective que depuis l’ordonnance de 2005, actualisée en 2011, et comprend à ce jour 4 935 agents, dont 1 316 contractuels. Or il aura fallu un large mouvement de contestation, en 2017, pour que le gouvernement central se penche sérieusement sur le sujet, afin de répondre aux quelques revendications de nos agents communaux, qui manquaient de certains droits, et non des moindres.
L’objectif de ce projet de loi est de rendre plus attractive la fonction publique communale et d’inciter notre jeunesse polynésienne à s’inscrire aux concours pour servir nos 48 communes et 98 communes associées.
Mes rappels sur ce point peuvent parfois paraître excessifs, mais notre spécificité bien particulière à l’égard de toutes les autres collectivités ultramarines, c’est bien notre configuration géographique, la diversité et l’éloignement de nos communes entre elles, réparties qu’elles sont dans nos cinq archipels, ce qui requiert une adaptation véritable. Alors, de grâce, cessez de nous fondre dans le régime de droit commun ! Évitons de copier et coller le modèle métropolitain, inadapté à nos structures locales !
Néanmoins, je me réjouis des avancées obtenues sur des sujets parfois très techniques et je tiens à saluer le travail remarquable des rapporteurs, le député Guillaume Vuilletet et notre collègue Mathieu Darnaud, pour leur patience et leur écoute attentive de nos doléances ; M. Darnaud est apparemment devenu spécialiste de nos sujets polynésiens ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Moga et Mme Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Ainsi, le Parlement a complété l’ordonnance par le report du droit d’option jusqu’en décembre 2023 ; l’institution d’une plus grande souplesse dans les conditions de remplacement des agents et dans le dispositif de mise à disposition ; le maintien des compétences des CAP ; la réintroduction des missions des CTP ; l’adaptation du droit de la déontologie et le maintien de la commission locale instituée en 2005 ; l’adaptation de l’action sociale conformément aux attributions dévolues à nos communes ; la correction de l’article 38 de l’ordonnance sur le recrutement ou le reclassement des catégories C et D ; l’aménagement des conditions et des modalités des concours des travailleurs handicapés ; le placement sous l’autorité du maire du respect du principe de la laïcité, auquel M. Sueur s’était montré très attaché ; le maintien de la réserve opérationnelle avec saisine du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française ; l’instauration du télétravail ; enfin, la remise dans un délai de six mois d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur les contraintes budgétaires des communes et sur l’opportunité d’instaurer le principe d’une indemnité de départ volontaire.
Par ailleurs, monsieur le ministre, j’ai bien noté vos engagements pour l’instauration, par voie réglementaire, d’une durée de service obligatoire de trois ans après titularisation et formation des agents des catégories A et B ; j’ai aussi bien entendu votre rappel du respect du principe de la libre administration de nos communes.
Toutes ces évolutions vont dans le bon sens et je me félicite du travail laborieux qui a été accompli.
Pour conclure, je veux associer tous nos tavana, mon collègue sénateur Teva Rohfritsch, les élus de l’Assemblée de Polynésie française et les organisations syndicales à mes remerciements à M. le ministre, à l’ensemble des groupes politiques siégeant au Parlement et, bien sûr, à vous tous, mes chers collègues présents aujourd’hui sur ces travées, sans oublier le président de notre Haute Assemblée, M. Gérard Larcher, dont je veux saluer le soutien permanent pour nos outre-mer.
Le groupe Union Centriste votera ce projet de loi ; je vous en remercie. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
(Le projet de loi est adopté.) – (Bravo ! et applaudissements.)
7
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, lors du scrutin n° 150 sur l’amendement n° 191 à l’article 6 du projet de loi de finances rectificative pour 2022, Mme Véronique Guillotin souhaitait s’abstenir.
Lors du scrutin n° 151 sur l’ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2022, Mme Véronique Guillotin souhaitait voter pour, M. André Guiol souhaitait voter contre et M. Jean-Yves Roux souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, lors du scrutin n° 150 sur l’amendement n° 191 à l’article 6 du projet de loi de finances rectificative pour 2022, nos collègues Daphné Ract-Madoux et Jean-Pierre Moga souhaitaient voter contre.
Lors du scrutin n° 151 sur l’ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2022, notre collègue Christine Herzog souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-trois, est reprise à quinze heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Projet de programme de stabilité pour 2022-2027
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le projet de programme de stabilité pour 2022-2027.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, en application de l’article 50-1 de la Constitution, j’ai l’honneur de vous présenter le programme de stabilité pour la période 2022-2027, qui sera prochainement transmis à la Commission européenne.
Comme chaque année, ce programme détaille les prévisions de croissance et la trajectoire de finances publiques que le Gouvernement a déterminées. Mais je veux dire d’emblée que ce programme de stabilité est aussi l’occasion de réaffirmer ce qui est le cœur de notre stratégie en matière d’économie et de finances publiques. Ce programme de stabilité est avant tout un programme dédié à la croissance et au plein emploi.
En 2017, le Président de la République s’était engagé à sortir notre pays du chômage de masse. D’un taux de chômage proche de 10 % de la population active, nous sommes revenus au début de 2022, et ce malgré la crise, à un taux de 7,3 %, soit le niveau le plus bas depuis quinze ans.
Nous l’avons fait grâce à nos réformes, en particulier la réforme du marché du travail, engagée dès l’été 2017 pour redonner aux employeurs des capacités à embaucher et à créer des emplois dans notre pays. De fait, nous avons créé près de 1,3 million d’emplois en cinq ans : ce sont 1,3 million de Français qui ont retrouvé un travail, un espoir et une dignité parce que notre majorité a su mener ces réformes.
En 2018, nous avons fait voter la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a révolutionné l’accès à l’apprentissage et à la formation : il y a cinq ans, notre pays comptait moins de 300 000 nouveaux apprentis chaque année ; il en compte aujourd’hui plus de 700 000. C’est une formidable réussite pour l’insertion de nos jeunes dans la vie active et une formidable victoire contre le chômage.
Aujourd’hui, ce qui paraissait impossible est à portée de main : oui, le plein emploi est possible dans notre pays ! Il sera atteint, parce que nous allons poursuivre les réformes et lever tous les freins à l’accès à l’emploi. Les chiffres le démontrent : hier matin, j’ai reçu les dernières données d’Urssaf Caisse nationale, qui montrent que le nombre de déclarations d’embauche continue de progresser, à hauteur de 2,9 % sur le deuxième trimestre 2022. Dans l’industrie, les déclarations d’embauche progressent de 9,6 % sur un an. C’est une victoire pour l’emploi, mais aussi pour le financement de notre protection sociale, puisque la masse salariale soumise à cotisations a progressé de 11 % en un an et dépasse désormais de 7,7 % son niveau d’avant-crise.
Alors, nous allons poursuivre et accentuer nos efforts pour atteindre le plein emploi d’ici à 2027 autour de trois grands axes.
Ce sera, tout d’abord, la réforme de France Travail, pour mettre davantage en réseau les services de Pôle emploi et les services des collectivités dédiés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi et notamment des allocataires du revenu de solidarité active (RSA).
Depuis un an, le nombre de foyers touchant le RSA recommence à baisser, parce que nous créons des emplois, mais il nous faut aller plus loin. Comme le Président de la République s’y est engagé, nous renforcerons leur accompagnement et l’effort de la collectivité pour permettre leur véritable insertion dans l’emploi.
Ensuite, nous poursuivrons nos efforts en matière d’apprentissage pour atteindre 1 million de contrats d’ici à la fin du quinquennat, ce qui permettra de continuer à réduire le chômage des jeunes. Nous encourageons l’accès à l’apprentissage plutôt que d’ouvrir le RSA aux jeunes, comme certains le proposent dans cet hémicycle.
Enfin, la réforme de l’assurance chômage vise à assurer que chaque Français trouve toujours un gain au travail et à faire en sorte que celui-ci soit mieux rémunéré.
Je rappelle qu’avec ses hausses successives, y compris celle qui est intervenue voilà quelques jours à hauteur de 2,01 %, le SMIC a augmenté de 8 % sur un an. Aujourd’hui, un salarié au SMIC touche 1 329 euros net ; avec la revalorisation de 4 % prévue dans le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, il touchera 239 euros de prime d’activité, soit un total de 1 568 euros net.
Nous devons cependant continuer à assurer ce gain au travail ; Olivier Dussopt mènera dès la rentrée prochaine une concertation en ce sens avec les partenaires sociaux pour modifier de nouveau les règles de l’assurance chômage.
Tel est l’objectif numéro un de ce programme de stabilité : favoriser la croissance pour atteindre le plein emploi. Je viens d’exposer les réformes que nous engageons pour y parvenir.
Ce programme de stabilité traduit un autre engagement fondamental pris par le Président de la République durant la campagne présidentielle : celui de tenir nos comptes. Avant de présenter le cadre général, permettez-moi de revenir sur le contexte économique dans lequel nous sommes.
Vous le savez, la très forte reprise économique en 2021 après la levée des restrictions imposées par l’épidémie de covid-19 et l’invasion de l’Ukraine depuis le mois de février dernier nous ont fait entrer dans une période de forte hausse des prix. Cette dynamique, nous l’avions anticipée, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons pris des mesures dès l’automne dernier et inscrit deux textes à l’ordre du jour de cette session extraordinaire, contenant plus de 20 milliards d’euros de mesures supplémentaires pour protéger nos compatriotes.
Les choix que nous faisons, les mesures que vous défendez et adoptez dans cet hémicycle ont un impact direct sur l’évolution de l’inflation. Je rappelle d’ailleurs que l’Insee a estimé que les mesures du « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité prises dès l’automne dernier ont permis d’éviter 2 points d’inflation à nos compatriotes.
Cette dynamique de stabilisation de l’inflation est désormais enclenchée. Je rappelle les prévisions qui ont été relayées par Bruno Le Maire : l’inflation qui atteindrait son pic dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois commencerait à décroître pour réellement baisser dans le courant ou à la fin de l’année 2023. Nous restons évidemment tributaires de l’évolution des marchés mondiaux et du contexte géopolitique.
Reste que cette probable stabilisation nous permet, dans le cadre de ce programme de stabilité, de tabler sur un atterrissage à 5 % en moyenne cette année, suivi d’une hausse de 3,2 % en 2023, avant de redescendre sous la barre des 2 % au courant de l’année 2024, en cohérence avec l’objectif de la Banque centrale européenne.
Autre bonne nouvelle que je veux partager avec vous : le chiffre de la croissance de 0,5 % pour le deuxième trimestre. Ce signal positif atteste du dynamisme et de la robustesse de notre économie, malgré le climat d’incertitude qui pèse notamment sur la consommation des ménages. Concrètement, cela veut dire que nous avons d’ores et déjà acquis 2,5 % de croissance cette année, conformément à l’objectif révisé que nous avons fixé.
Est-ce à dire que nous avons conjuré toutes les menaces ou relevé tous les défis ? Évidemment non, mais, dans cette période où l’inquiétude gagne les ménages comme les entreprises, il me semble essentiel de rappeler qu’il existe un scénario favorable : celui de la croissance, du plein emploi, de la maîtrise des prix et de la tenue de nos comptes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà la situation dans laquelle nous sommes. La transmission de ce programme de stabilité intervient donc à un moment charnière, puisqu’il marque l’avènement d’une phase de normalisation pour nos finances publiques. Oui, c’est un programme de normalisation après la parenthèse du « quoi qu’il en coûte », durant laquelle nous avons mis en place les amortisseurs indispensables face à la pandémie la plus grave depuis un siècle. Nous sommes passés du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte ». (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ne nous y trompons pas : ce document est d’ores et déjà décortiqué par les analystes et les investisseurs, dans un contexte de tensions sur les rendements de nos obligations souveraines – j’ai eu l’occasion de le dire en présentant ici le projet de loi de finances rectificative. Je rappelle d’ailleurs que la charge de la dette a bondi de 17 milliards d’euros en comptabilité nationale cette année, principalement du fait de l’inflation et de la remontée des taux.
Je sais que, sur certaines travées, les mots « analystes », « investisseurs », « agences de notation » peuvent susciter une forme de rejet ou de circonspection. Oui, certains d’entre vous admettent difficilement que la sixième puissance mondiale doive intégrer la contrainte des taux d’intérêt et la pression qu’elle exerce.
À ceux-là, je répondrai, d’une part, que tout État, aussi puissant soit-il, doit composer avec cette réalité dès lors qu’il est confronté à un besoin de financement structurel, d’autre part, que la bonne manière d’appréhender le sujet, ce n’est pas d’entretenir le mythe du non-remboursement, c’est de faire le choix de tenir nos comptes. Il n’y a ni indépendance ni capacité d’action sans des finances maîtrisées. Celles et ceux qui défendent la souveraineté devraient donc soutenir la trajectoire responsable que nous présentons aujourd’hui.
Oui, ce programme de stabilité traduit d’abord l’objectif qui est le nôtre en matière de maîtrise des comptes publics. Le chemin que nous empruntons doit nous permettre de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % à l’horizon 2027. Corrélativement, le poids de la dette publique dans le PIB commencerait à décroître à compter de 2026.
Je l’ai indiqué au début de mon propos : ce programme n’est pas seulement une feuille de route pour nos finances publiques, c’est le cadre macroéconomique dans lequel nous allons évoluer et qui doit nous permettre d’atteindre nos objectifs. Ceux-ci sont clairs : protéger les Français face à la hausse des prix de l’énergie, tout en menant des réformes d’ampleur pour soutenir la croissance, accélérer la transition écologique et atteindre le plein emploi. Je rappelle que le plein emploi est aujourd’hui à portée de main : c’est une situation que notre pays n’a pas connue depuis le choc pétrolier de 1973.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez compris, ce programme de stabilité, qui se confond d’ailleurs avec la durée du quinquennat, intègre logiquement les mesures annoncées par le Président de la République au cours de la campagne électorale. Je pense aux mesures en faveur du pouvoir d’achat des Français, dont nous avons débattu encore longuement cette nuit, et de la compétitivité des entreprises : suppression de la contribution à l’audiovisuel public ou encore baisse des impôts de production, notamment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – nous espérons que cette baisse interviendra dès 2023.
Très clairement, nous n’augmenterons pas les impôts durant les cinq prochaines années : c’est un principe intangible. La soutenabilité des finances publiques ne doit pas se faire par le biais d’efforts supplémentaires demandés par l’impôt aux Français. Dans les cinq prochaines années, il n’y aura pas de hausse généralisée des prélèvements obligatoires.
Comment allons-nous faire pour mettre en œuvre les engagements du Président de la République, tout en garantissant la soutenabilité de nos finances publiques ?
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. C’est la question !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. Nous le ferons d’abord en maîtrisant l’augmentation de la dépense publique dans toutes ses sphères.
Je rappelle que le programme de stabilité intègre une hausse de la dépense publique de 0,6 % en volume sur la période 2023-2027. C’est, je le souligne, l’augmentation de la dépense publique la plus faible depuis vingt ans, ce qui atteste de notre détermination à tenir nos comptes. À celles et ceux qui dénoncent un agenda caché fait de coupes brutales et de réductions massives d’effectifs, j’oppose le démenti le plus catégorique : nous ne réduisons pas la dépense, nous gérons le rythme de son augmentation.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Magnifique !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. En clair, nous faisons en sorte que la dépense publique augmente moins vite que la richesse que nous créons.
Pour tenir l’objectif d’augmentation annuelle de la dépense publique de 0,6 % en moyenne, il faut que l’effort soit réparti entre l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale. Concrètement, cela doit se traduire par une baisse en volume de 0,4 % sur la norme de dépenses pilotables de l’État et de 0,5 % sur les dépenses de fonctionnement des collectivités locales.
Toutefois, durant cette période, nous faisons le choix suivant : si la norme des dépenses de l’État baisse en volume et si les dépenses de fonctionnement des collectivités locales doivent aussi être maîtrisées en volume, les dépenses des administrations de sécurité sociale continueront d’augmenter de 0,6 % par an, preuve de la priorité absolue qui est la nôtre en matière de santé.
Le Gouvernement aura l’occasion d’exposer de manière détaillée l’ensemble des mesures mises en œuvre pour assurer cette stratégie, lors de la présentation du projet de loi de programmation des finances publiques, à la rentrée prochaine.
J’en viens à la croissance. J’ai déjà dit un mot de la bonne nouvelle s’agissant des chiffres du deuxième trimestre et de notre capacité à atteindre l’objectif de 2,5 % fixé pour cette année. Par la suite, la croissance serait de 1,4 % en 2023, puis accélérerait sur la période 2024-2027, passant de 1,6 % à 1,8 % entre 2024 et 2027. En 2023, le rebond serait ralenti par la situation géopolitique et les tensions en matière d’offre, mais resterait soutenu par les mesures de soutien au pouvoir d’achat. Il serait plus marqué à partir de 2024 et s’accélérerait jusqu’en 2027, pour s’établir à 1,7 % en moyenne sur la période 2024-2027.
Bien entendu, comme c’est le cas pour chaque exercice de prévision, ces chiffres sont soumis à des aléas, et les chocs que nous avons subis ces dernières années – crise sanitaire, guerre en Europe – nous invitent à la plus grande humilité.
Je sais que certaines réserves ont été formulées sur nos prévisions de croissance, mais je tiens à le redire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : celles-ci sont solides, crédibles et étayées.
Je relève d’ailleurs qu’elles sont presque identiques à celles qui ont été dégagées par les économistes dans le cadre du Consensus Forecast, qui prévoit 2,3 % cette année et 1,3 % l’an prochain, la Commission européenne prévoyant quant à elle une croissance de 1,4 % l’an prochain dans sa dernière prévision datant de la mi-juillet, ce qui est exactement notre prévision. Je rappelle également que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), que l’on ne peut pas soupçonner de proximité avec ce gouvernement ou cette majorité, prévoit un taux de croissance pour 2027 de l’ordre de 1,9 %, supérieur à notre prévision.
Je reviens sur la trajectoire pour nos finances publiques pour rappeler les derniers points de passage, comme j’ai eu l’occasion de le faire lors de l’examen du projet de loi de règlement.
Après un creusement à 8,9 % du PIB en 2020 en raison de la déflagration sanitaire, le déficit public s’est amélioré en 2021 pour atteindre 6,4 % du PIB.
Le niveau de la dette publique s’est établi à 112,5 % du PIB l’année dernière. Il s’agit d’une hausse de 15 points par rapport à 2019, mais d’une baisse de plus de 2 points par rapport à 2020.
En 2022, le ratio d’endettement devrait baisser légèrement, malgré les mesures visant à protéger les Français du contexte inflationniste, du fait notamment de la poursuite de la croissance, et atteindrait 111,9 %.
Je n’ignore pas non plus les réserves qui ont été formulées sur notre trajectoire de maîtrise des comptes. Je rappelle toutefois que, jusqu’à présent, nous avons tenu nos objectifs. Nous avons réduit le déficit public de 2,5 points de PIB l’année dernière et nous tiendrons la cible de 5 % cette année, inchangée depuis la loi de finances initiale votée à l’automne dernier.
D’abord, la croissance est conforme à nos prévisions, comme l’a confirmé l’Insee voilà quelques jours.
Ensuite, l’impact budgétaire des mesures que nous avons mises en place pour soutenir le pouvoir d’achat est en grande partie compensé par les économies réalisées sur les charges de service public de l’énergie.
Enfin, nous pouvons compter sur un surplus de recettes fiscales lié à l’exceptionnel rebond de l’économie française l’année dernière.
Sur la période 2023-2027, le Gouvernement s’est fixé pour objectif le retour à des comptes publics maîtrisés – c’est la normalisation que j’évoquais au début de mon propos. Le déficit public devrait revenir sous le seuil de 3 % à l’horizon 2027, grâce à un ajustement structurel de 0,3 point de PIB par an à compter de 2024. Cela doit conduire à une décrue du ratio dette publique/PIB à compter de 2026.
Cette maîtrise des finances publiques ne fait en aucun cas obstacle aux investissements indispensables pour assurer la transition écologique et numérique, atteindre le plein emploi et s’assurer de la compétitivité de nos entreprises – j’ai déjà évoqué la suppression à venir de la CVAE. Cette trajectoire s’inscrit en cohérence avec les plans France Relance et France 2030, qui permettront de soutenir l’activité et le potentiel de croissance, en accélérant la transition écologique, en favorisant l’investissement, l’innovation, la cohésion sociale et territoriale et en assurant la souveraineté numérique et industrielle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez : ce programme est un cadre, et non un carcan. C’est le cadre que nous avons fixé pour atteindre nos ambitions, le cadre dans lequel nous agissons et, je l’espère, dans lequel nous réussirons. Nous avons la conviction que des finances publiques maîtrisées sont la condition sine qua non d’une action efficace au service des Français et d’un pays qui garde sa liberté. Nous en discuterons de nouveau à l’automne prochain, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, mais le débat organisé aujourd’hui constitue une première occasion de le faire.