Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mieux vaut tard que jamais : après tous les autres États, la France présente tant bien que mal son programme de stabilité. Cette présentation a été décalée après l’élection présidentielle. Pourtant, elle aurait permis de mieux connaître le programme électoral du président candidat, et cette clarification aurait stimulé le débat critique et la démocratie. Les électeurs auraient pu constater le peu d’égard d’Emmanuel Macron pour la question sociale.
Le verdict est tombé fin juillet, trois mois après le délai prévu par les textes, au grand dam du Parlement et du Haut Conseil pour les finances publiques. Ce programme de stabilité est déjà dans la boîte aux lettres de la Commission européenne. Dès lors, impossible de l’infléchir. Le débat est clos. Nous ne sommes plus à un retard près, mais, croyez-moi, la démocratie parlementaire saura s’en souvenir.
Le programme de stabilité, dans le jargon, est censé décrire les moyens mis en œuvre pour respecter la contrainte des règles budgétaires européennes et maintenir le déficit en deçà de 3 % du PIB. D’un point de vue politique, c’est un document annuel, dans lequel le Gouvernement prête allégeance à l’Union européenne, en lui donnant des gages de libéralisme pour attester d’un prétendu sérieux budgétaire.
La perspective n’est pas réjouissante, tant la crise sanitaire et la crise économique à dominante inflationniste ont engendré des dépenses pour partie incontournables, mais jamais financées. À y regarder de plus près, la trajectoire n’est pas heureuse.
Le Gouvernement s’engage à réduire le déficit public à 3 % d’ici 2027. C’est ce cap austéritaire qui orientera le prochain quinquennat, celui d’après M. Macron. Cet héritage nous conduira à l’impasse, rendant les objectifs économiques, sociaux et écologiques inatteignables.
Comment ne pas voir au moins un paradoxe, et plus certainement un contresens, dans la stratégie de baisse de la fiscalité pour réduire les déficits ? D’autant qu’elle vient après un quinquennat où il s’agissait de disqualifier l’impôt, comme nous l’avons encore vu ces deux derniers jours.
Avec gravité, je prends acte de ce que la redevance audiovisuelle va disparaître dans les prochaines semaines, ce qui fera 3,2 milliards d’euros de recettes en moins. Je note également la baisse de la CVAE dès 2023, soit 8 milliards d’euros de recettes en moins, et celle de l’imposition sur les successions qui coûtera 5 milliards d’euros.
Or un solde budgétaire, c’est la soustraction entre les dépenses et les recettes. Voyez plutôt : 0 – 250 milliards = –250 milliards ! Sans compter l’endettement… C’est gravissime : l’arithmétique est têtue, monsieur le ministre.
Alors que la Banque centrale européenne remonte ses taux de 50 points de base, une première depuis onze ans, le risque est d’autant plus grand pour les finances publiques que 10 % des obligations qui auront été émises en 2022, soit un montant de 26 milliards d’euros, seront indexées sur l’inflation.
Ces décisions nous rendent tributaires du niveau général des prix de la zone euro et nous placent sous le joug de nos créanciers, qui ne vont pas manquer de réclamer leur dû !
Il nous faudra faire baisser l’inflation par des politiques de rigueur pour éviter que, comme cette année, 17 milliards d’euros supplémentaires ne soient versés aux spéculateurs sur les titres du Trésor.
Le Gouvernement évoque un plan : il suffirait de soutenir la croissance et de réduire les dépenses pour compenser les pertes de recettes.
Mais le Haut Conseil des finances publiques, tout comme les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est particulièrement sceptique sur les prévisions de croissance. Cette prévision, écrit-il, « n’est pas hors d’atteinte, mais est un peu élevée ». Elle permettrait d’accéder au plein emploi, expression qui revient six fois dans votre document, monsieur le ministre, au cas où nous n’aurions pas saisi…
Les mesures qui y sont évoquées sont extrêmement préoccupantes. On trouve ainsi en page 4, parmi les mesures qui contribueraient à accroître l’offre de travail et à atteindre le plein emploi, la poursuite de la réforme de l’assurance chômage, la réforme des retraites, la réforme du revenu de solidarité active (RSA), l’amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi – c’est-à-dire, la transformation de Pôle emploi en France Travail –, l’élargissement aux lycées professionnels du succès de l’apprentissage ou encore la mise en place d’un service public de la petite enfance.
Votre projet est clair : forcer les individus à travailler, quoi qu’il leur en coûte, à n’importe quel niveau de rémunération ou de qualification, à n’importe quelles conditions et, bien sûr, à n’importe quel âge. C’est ce que nous appelons l’insécurité sociale. Or une telle insécurité est contraire aux besoins de prospérité des travailleurs et des entreprises. Nous considérons cela comme une faute politique.
C’est une aberration fondamentale : les privés d’emploi seraient responsables de leur sort ; le patronat, lui, serait exempt de toute injonction.
Ces réformes, nous les combattrons les unes après les autres, mais avec des propositions alternatives.
La réforme de l’assurance chômage s’est abattue sur plusieurs millions de travailleurs. Un seul effet : plus d’ouverture ou de rechargement de droits pour les périodes en emploi de moins de six mois. Ces gens travailleraient, mais pas assez ! Regardez la réalité de ce que vous appelez le marché de l’emploi : en 2021, près de 15 millions de contrats de moins d’un mois ont été signés, ce qui représente 64 % des embauches réalisées. Selon l’Unédic, 1,15 million de demandeurs d’emploi voient leur allocation mensuelle diminuer de 17 % en moyenne, ce qui n’est pas rien !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comptez sur notre mobilisation : il n’y aura pas d’acte II de la réforme de l’assurance chômage, car c’est l’un des piliers de notre modèle social.
La réforme des retraites est une réforme injuste, brutale, de l’avis de toutes les organisations syndicales. Heureusement, elle n’a pas encore eu lieu. Loin de la réforme systémique, abandonnée après un mouvement social d’ampleur et grâce à une majorité de rejet, une réforme paramétrique avec un report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans est réapparue dans la campagne présidentielle.
Il faudrait travailler plus longtemps pour financer les cotisations d’un nombre de retraités plus important. Je vois que vous hochez la tête, monsieur le ministre. Pour moi, il s’agit d’un dogme : 35 % des 50-64 ans sont déjà au chômage ! Les faire travailler plus longtemps va réduire les versements de l’assurance vieillesse au détriment de l’assurance chômage et plus l’âge reculera, plus le chômage augmentera. La belle affaire !
Il n’y a pourtant aucune urgence, comme le Conseil d’orientation des retraites ne cesse de le rappeler. Les dépenses de retraite vont en effet baisser jusqu’à atteindre 11 % du PIB en 2035, soit l’un des plus bas niveaux en Europe. Et l’on devrait enregistrer des excédents à partir de 2070, grâce aux mutations démographiques.
Bref, mes chers collègues, la réforme des retraites n’a pas vocation à combler le déficit des retraites, mais à financer d’autres dépenses sociales. Bruxelles et les marchés financiers le demandent et le Gouvernement s’en réjouit.
Enfin, en conditionnant le RSA à une quinzaine d’heures de travail, nous allons créer des travailleurs parmi les plus précaires d’Europe, payés en dessous du SMIC. Comme si les allocataires du RSA se complaisaient dans la pauvreté ! Il est pourtant évident, monsieur le ministre, que 575 euros, c’est désincitatif ! Remettons les gens au travail, quoi qu’il leur en coûte, voilà votre doctrine…
Le Haut Conseil des finances publiques vous le dit : « L’impact de ces réformes paraît nettement surestimé, puisqu’il est présumé se manifester dès 2023, alors que toutes les réformes comparables entreprises dans le passé ont non seulement nécessité du temps pour leur formalisation et leur mise en œuvre, mais également pour produire des effets durables sur la population effectivement en emploi. »
Alors, monsieur le ministre, nous sommes là parce que satisfaire Bruxelles et les marchés financiers sur le dos des travailleurs, sur le dos des Français, est une orientation politique aux antipodes de nos valeurs et de nos aspirations.
Pourtant, vous n’avez pas conservé une proposition favorable que la Commission européenne avait formulée : taxer les superprofits. Là-dessus, fin de non-recevoir ! Ce n’est pas un programme de stabilité, c’est un programme de gouvernement des droites.
M. Roger Karoutchi. Si c’était vrai…
M. Pascal Savoldelli. Nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente le programme de stabilité pour 2022-2027 avec plus de trois mois de retard sur la date butoir. Ce retard est d’autant plus regrettable que notre pays assurait alors la présidence du conseil de l’Union européenne et qu’il eût été intéressant que ce programme nous soit présenté au moment du débat national des élections législatives.
Ce retard traduit aussi un certain manque de respect du travail du Parlement et de sa mission essentielle d’évaluation et de contrôle. Nous devons examiner à la hâte ce document, alors qu’il est essentiel puisqu’il dessine la trajectoire des finances publiques pour toute la durée du nouveau quinquennat. Il appelle plusieurs remarques.
Tout d’abord, nous doutons de la fiabilité des prévisions associées à ce projet de programme de stabilité.
Concernant les perspectives de croissance potentielle, comme il y a cinq ans, vous prévoyez un taux qui doublerait sur la durée de la mandature, passant de 1,25 % à 2,50 %.
Vous partez d’une prévision supérieure à celle de la Commission européenne, qui mise quant à elle sur un taux plus raisonnable de 1 %.
Vous pariez même sur une accélération de la croissance du PIB, qui atteindrait 1,8 % en 2025. Celle-ci résulterait des réformes engagées, notamment celles des retraites et de l’assurance chômage, dont nous savons qu’elles ne produiront tous leurs effets qu’à moyen terme. Nous savons également que le calendrier n’est pas fixé ; nous ne savons pas quand ces mesures s’appliqueront ni combien elles rapporteront. Comment pourrions-nous être en mesure d’en évaluer l’impact sur les finances publiques ?
Enfin, un rapide coup d’œil sur l’évolution du ratio entre les prélèvements obligatoires et le PIB montre que la pression fiscale ne diminuera pas, contrairement à ce qu’on laisse croire aux contribuables français. Le Gouvernement annonce baisser les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire les impôts et les cotisations sociales. Or, si l’on en croit le projet de programme de stabilité pour les années 2022 à 2027, le taux de prélèvements obligatoires resterait pratiquement stable jusqu’à la fin du quinquennat.
En réalité, les baisses concédées et affichées comme telles dans le discours politique du Gouvernement correspondent à des rétrocessions partielles de recettes fiscales, lesquelles augmentent spontanément du fait de la conjoncture économique. Mais ces baisses ne correspondent aucunement à des baisses structurelles d’imposition.
Et pour se permettre de telles baisses, encore faudrait-il être en mesure de diminuer les dépenses publiques, sauf à rejeter avec inconscience le fardeau des déficits et de la dette publique sur les épaules des générations futures.
Nous avons aujourd’hui un ratio de dépenses publiques sur PIB de 57,3 %, ce qui est le reflet d’un État qui dépense trop et surtout qui dépense mal, souvent au détriment des services publics et de nos infrastructures les plus essentielles. Le débat sur le PLFR l’a bien montré en ce qui concerne les infrastructures ferroviaires et de transport. (M. Michel Canévet applaudit.)
Comment comptez-vous endiguer cette dérive, monsieur le ministre ? Ce projet de programme de stabilité ne nous permet pas de trouver ne serait-ce que des éléments de réponse à cette question pourtant vitale. Nous pouvons y lire qu’une réduction des dépenses publiques de l’ordre de 8 milliards d’euros par an est attendue à partir de 2024. À quoi correspondent ces milliards ? D’où viendront, concrètement, ces économies ?
Au Sénat, nous sommes particulièrement vigilants sur la trajectoire proposée pour les collectivités locales. Ce document mentionne une réduction des dépenses de fonctionnement de l’ordre de 0,5 % en volume, sans plus de précisions. Or Emmanuel Macron, alors président candidat, a annoncé faire peser sur les seules collectivités territoriales un effort de plus de 10 milliards d’euros sur cinq ans. Depuis lors, entre les déclarations du Bruno Le Maire et celles de Christophe Béchu, on ne voit plus où est la ligne de conduite, et le flou règne.
Monsieur le ministre, quels seront les objectifs fixés aux collectivités territoriales ? Les contrats de Cahors, cette contribution des collectivités au redressement des comptes publics, vont-ils être ressuscités ? Les élus locaux, dont nous sommes au sein de la Haute Assemblée les relais, aimeraient y voir beaucoup plus clair. Le groupe Union Centriste et mes collègues ici présents Sylvie Vermeillet et Michel Canévet ont eu l’occasion d’insister sur ce point tout au long de la discussion du PLFR.
Nous sommes tout particulièrement inquiets par l’emballement de notre endettement public. En 2027, celui-ci devrait, d’après vos prévisions, rester au même niveau qu’en 2021, soit 112,5 % du PIB. En 2027, nous serions le seul pays de la zone euro à enregistrer un déficit de près de 3 %.
C’est toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés, monsieur le ministre. Tout semble reposer sur une hypothèse dangereusement optimiste : une contre-performance d’un point sur le niveau de croissance suffirait à pulvériser le plafond des 120 %.
Nous savons pourtant qu’il n’y a pas d’argent magique : les générations futures devront payer. Espérons que dans quelques semaines, à la rentrée, l’ensemble de ces questions trouveront de premières réponses avec la présentation de la nouvelle loi de programmation des finances publiques. Il y a urgence à ce que nous fixions collectivement un cap de redressement de nos comptes publics afin d’éviter que l’État et, finalement, les Français ne se retrouvent en situation de ruine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, proposer chaque année un programme de stabilité, tenir les promesses qu’il contient ou même s’en approcher, est-ce un exercice vain ?
La fin de la pandémie annonçait des jours meilleurs sur le plan économique, jusqu’à ce que la guerre en Ukraine vienne repousser cet espoir. Comment prévoir de l’économiquement stable dans un environnement géopolitique instable ? L’équation est difficile…
À la lecture du programme de stabilité 2021-2027 transmis l’année dernière à Bruxelles, il était question d’un rebond de l’activité économique de 4 % en 2022, puis de 2,3 % en 2023. Finalement, monsieur le ministre, nous devrions nous contenter d’une croissance de 2,5 % cette année et de 1,4 % l’année prochaine.
À la fin de l’année 2021, l’évolution de la situation sanitaire demeurait le principal aléa. Mais voilà, nous faisons face aujourd’hui à une crise sévère des prix de l’énergie et des matières premières. Comme on le sait, il en résulte une inflation très forte – près de 5 % –, un niveau de plus en plus difficile à supporter pour nos concitoyens les plus modestes, sans oublier les entreprises, qui doivent brutalement gérer des hausses de coûts de production.
Dans ces conditions, quelles sont les nouvelles perspectives pour les années 2022 à 2027 ?
Monsieur le ministre, vous semblez pouvoir conserver une trajectoire financière qui ramènerait le déficit public sous le seuil des 3 % à l’horizon de 2027, grâce à un ajustement structurel de 0,3 point de PIB par an à compter de 2024.
Vous comptez aussi contenir la dette à terme. Certains diront que vous péchez par excès d’optimisme. La Cour des comptes a exprimé ses doutes, en effet, sans toutefois remettre en cause votre stratégie à deux jambes : soutien à la croissance et maîtrise des finances publiques.
Si la politique du « quoi qu’il en coûte » a été essentielle à la stabilisation de notre économie, il est temps de revenir à une certaine modération, sans toutefois gripper la croissance, en particulier son principal moteur, la demande.
Dans cet esprit, mon groupe, le RDSE, s’est montré ouvert et constructif dans le cadre de l’examen du texte sur le pouvoir d’achat et du projet de loi de finances rectificative. Nous avons en effet approuvé le bouclier tarifaire, la revalorisation des pensions de retraite et d’invalidité, des prestations familiales, des minima sociaux et des bourses étudiantes, ainsi que la revalorisation du point d’indice de la fonction publique.
Il est sûr néanmoins que certaines de ces mesures n’ont pas vocation à durer. Aussi, l’un des principaux enjeux de votre programme de stabilité, vous l’avez clairement affirmé, est l’emploi – plus précisément, le plein emploi. La réforme de France Travail, la poursuite de la réforme de l’apprentissage et la hausse du SMIC sont des leviers que vous avez choisi d’actionner pour réduire le taux de chômage.
Au travers de cette politique, je perçois la revalorisation du travail, ce qui envoie à mon sens un signal positif. Toutefois, je m’interroge sur le retour au plein emploi et sur vos hypothèses de productivité : la croissance potentielle ne sera pas forcément la croissance acquise.
Sur le volet maîtrise des dépenses publiques, je rappellerai tout d’abord que mon groupe n’est pas composé d’ayatollahs de l’orthodoxie budgétaire. Les politiques d’austérité ne mènent jamais bien loin – nous l’avons constaté après la crise de 2007-2008. À ceux qui les prônent, rappelons que l’Union européenne elle-même s’en écarte désormais assez facilement.
Certes, la dette doit redevenir soutenable. C’est une responsabilité que nous avons à l’égard des générations futures, d’une part ; c’est un enjeu de crédibilité de l’économie française, d’autre part. Il faut apaiser les tensions sur nos obligations souveraines.
Le Gouvernement souhaite que les dépenses en volume de l’État ne progressent pas de plus de 0,4 % par an. Pour certains, cet effort n’en est pas un. Il est vrai que, à l’horizon de 2027, la dette restera encore élevée, avec un taux de plus de 112 % du PIB.
Je pose la question : comment faire autrement, alors que beaucoup de nos services publics ont des besoins immenses, qu’il s’agisse de l’éducation, qui n’est pas simplement une dépense de fonctionnement, mais aussi un investissement pour l’avenir, de la santé ou de la police ? Il faut y ajouter le défi climatique, dont on nous dit qu’il nécessiterait pour la France la mobilisation de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, mais aussi qu’il pourrait être un levier d’activité.
Je n’oublie pas les collectivités locales, qui doivent conserver les moyens de poursuivre leur action. Certaines – on l’a bien vu en temps de crise – constituent un amortisseur social. Les associations d’élus s’inquiètent des nouvelles contraintes que leur impose le programme de stabilité, à savoir une augmentation de leurs dépenses de fonctionnement inférieure de 0,5 % par rapport à leur tendance naturelle, alors que l’inflation pèsera lourdement sur leurs investissements.
Monsieur le ministre, au regard d’un équilibre à trouver entre soutien à la croissance et maîtrise des finances publiques, la question des impôts se pose. Vous avez indiqué ne pas vouloir les augmenter. Cette position est louable, mais un profond travail en direction des niches fiscales doit être à tout le moins envisagé.
Faut-il rappeler que l’impôt se prête mieux au consentement lorsqu’il est juste et ciblé et que sa finalité est bien expliquée ?
Certes on ne peut ignorer que la France apparaît au sein de l’Union européenne comme le mauvais élève concernant le poids de ses prélèvements obligatoires. C’est un fait ! Cependant, il est bon de rappeler dans le même temps que les États membres se livrent encore aujourd’hui à une concurrence fiscale intra-européenne dont la France ne sort pas gagnante.
Quand nous mettons en place un impôt sur les grandes fortunes, des particuliers s’installent en Belgique. Quand les impôts sur les sociétés sont trop élevés, les entreprises déportent leur siège en Irlande.
Par conséquent, la Commission européenne doit s’attaquer plus frontalement au problème du manque de coordination des politiques budgétaires. Cela suppose, comme le groupe du RDSE le rappelle régulièrement dans les débats sur l’Europe, de revoir la règle de la majorité qualifiée pour certaines décisions, en l’occurrence fiscales.
Le véto hongrois sur la taxation minimale internationale des entreprises illustre cette nécessité urgente. Les dernières crises ont montré que les solutions passaient de plus en plus par l’Europe et par la solidarité qu’elle est capable de mettre en place au bord de l’abîme.
Les prochains mois s’annoncent encore difficiles, en particulier pour certains pays – je pense à l’Italie – et les écarts de taux d’intérêt menacent la cohésion au sein de l’Union.
Le programme de stabilité dont nous débattons aujourd’hui est une sorte de boussole demandée par Bruxelles. C’est un engagement européen que chaque État prend dans son coin, au risque que les boussoles n’indiquent pas toutes la même direction. Resserrer les rangs entre les États membres est donc fondamental. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Alain Richard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nadine Bellurot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec des finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro que nous entamons ce nouveau quinquennat.
Nous héritons d’un déficit public plus de deux fois supérieur à celui de 2017 et d’une dette publique qui a progressé de 17 % en cinq ans. La cote d’alerte est atteinte. Nous étions nombreux à le penser ; nous voilà confortés dans notre diagnostic, dont vous contestiez la pertinence il y a quelques mois, monsieur le ministre.
Il est donc de notre responsabilité d’aborder ce débat avec lucidité et prudence. Lucidité quant aux effets de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt sur la dette ; l’horizon est non pas à cinq ans, mais plutôt à dix ou quinze ans. Prudence sur les prévisions qui fondent la vision stratégique que vous nous proposez : le Haut Conseil des finances publiques a rappelé leur fragilité.
Le cycle inflationniste ne s’éteindra pas l’an prochain, ni même dans quatre ans, tant les raisons structurelles qui le portent sont fortes et cumulatives. Il faudra donc « dépenser bien, dépenser utilement », comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Cela signifie soutenir le niveau d’investissement public, notamment local, qui constitue un appui indispensable à notre économie.
Le programme de stabilité manque de ce point de vue de cohérence. À l’instar des fameux contrats de Cahors, il prévoit d’imposer une nouvelle fois un encadrement des dépenses des collectivités. Ces dernières devront augmenter de 0,5 % de moins que leur tendance naturelle, mais elles pourraient croître malgré tout en valeur de 24 milliards d’euros sur la durée du quinquennat.
Selon des estimations de l’Association des maires de France, l’effort demandé aux collectivités sur leurs dépenses de fonctionnement serait de 15 milliards d’euros sur les cinq prochaines années par rapport à l’année 2022.
L’encadrement de l’autofinancement et de l’évolution des recettes réduira l’offre de services à la population et constituera un risque pour le pouvoir d’achat, dans un contexte où la consommation des ménages recule.
L’encadrement des dépenses de fonctionnement apparaît contradictoire, dans un contexte de relance marqué par le besoin d’investissement et de soutien aux acteurs locaux. En 2021, les soldes d’exécution des collectivités étaient proches de zéro. Il est donc incompréhensible et inconcevable qu’elles continuent à être pénalisées. Encadrer ces dépenses reviendrait à reproduire les erreurs du passé.
Depuis 2014, la baisse des dotations a en effet coûté 46 milliards d’euros à l’ensemble des collectivités locales, sans que cela produise d’effet sur le déficit de l’État, qui est même reparti à la hausse, en volume, depuis 2018. (Mme Sophie Primas le confirme.)
Les collectivités se voient imposer depuis trop longtemps la formule « essayer de faire mieux avec moins ». Les efforts ne peuvent pas, de nouveau, reposer sur elles. Dans un contexte marqué par une inflation record, les communes attendent à l’inverse une revalorisation de leurs recettes pour assurer la continuité des services publics locaux essentiels à la population.
Une réponse rapide est possible. Nous devrons l’aborder lors de l’examen de la loi de finances. Comme ce fut le cas jusqu’en 2010, il est nécessaire d’indexer l’évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation. Chaque année, depuis la reprise de l’inflation, la DGF a été amputée de 1 milliard d’euros.
Il est urgent, monsieur le ministre, de faire droit à cette demande largement partagée de nos élus locaux et, ainsi, de reconstruire une relation financière fondée sur la confiance entre l’État et les collectivités.
Vous vous êtes dit prêt à la réforme ; sachez que nous le sommes aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duffourg. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Duffourg. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme de stabilité 2022-2027 soumis au Parlement dresse la trajectoire et les perspectives pour nos finances publiques à l’horizon de 2027.
Il est marqué par les conséquences de la guerre en Ukraine, les tensions inflationnistes, l’impact des mesures du Ségur de la santé et les dispositifs d’urgence liés à la crise sanitaire.
Les administrations de sécurité sociale, qui représentent la moitié de la dépense publique, devront participer à la modération des dépenses, au même titre que l’État et les collectivités territoriales, dans un ratio de 0,6 % par an en volume.
Les finances sociales ont supporté la crise sanitaire. Les exonérations adoptées depuis de nombreuses années ont grevé le budget de la sécurité sociale et la reprise de la dette sociale par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), à hauteur de 136 milliards d’euros en 2020, a évacué pour longtemps la perspective d’apurement de cette dette.
La trajectoire de retour à l’équilibre en matière de finances sociales reste floue. Nous l’avons critiquée dans le cadre de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 et 2022, et le Haut Conseil des finances publiques estime imprécises les promesses de réforme du programme de stabilité.
La santé demeure la priorité numéro un des Français. Nos urgences, nos hôpitaux, le personnel qui y travaille sont depuis longtemps installés dans une situation critique, devenue insupportable. L’accès aux soins reste compromis dans de nombreux territoires.
Face aux dépenses qu’impliquent ces enjeux légitimes et dans le respect d’un budget équilibré, la voie sera étroite pour trouver et financer les solutions attendues. Le défi est grand : faire plus avec autant !
Monsieur le ministre, au sein du groupe Union Centriste, nous soutenons plusieurs positions complémentaires à la réforme des retraites, système complexe et fragmenté, sollicitée par la Commission européenne.
Il y a eu des erreurs. Dans son rapport annuel de certification des comptes de la sécurité sociale pour 2021, la Cour des comptes souligne l’impact des erreurs sur les finances sociales. Je ne relèverai que celles de la branche maladie : les Français y sont de leur poche pour 2,7 milliards d’euros, soit 2,6 % du montant des frais de santé.
En ce qui concerne ensuite la pertinence des soins, le rapport de Jean-Marie Vanlerenberghe de 2017 souligne qu’une part d’interventions sans valeur ajoutée pour la santé constitue une forme de gaspillage que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue à peu près à un cinquième des dépenses de santé.
Les voies d’économies sont connues. Elles correspondent à des soins inadaptés, tels que des césariennes ou des examens d’imagerie non justifiés, des surprescriptions d’antibiotiques ou encore le recours aux urgences hospitalières inutile ou évitable.
Enfin, la troisième voie d’économies est la lutte contre la fraude. Tant notre collègue Nathalie Goulet que de nombreux rapports dénoncent l’existence d’une fraude importante. Nous entendons que les caisses de Sécurité sociale y travaillent. Toutefois, l’étape de la cartographie des risques n’est pas celle du déploiement d’actions correctrices. La méthode est la bonne, mais il faut continuer d’avancer vite, en traitant l’ensemble des champs.
Enfin l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) a sans nul doute permis de juguler la dette sociale. Toutefois, l’état de notre médecine, tant à l’hôpital qu’en ville, doit nous forcer à interroger la pertinence de cet outil très singulier à la France.
Si nous sommes attachés à l’objectif du programme de stabilité, nous ne pouvons ignorer les politiques publiques concernées. La santé figure au rang des plus fondamentales d’entre elles, et les établissements publics de santé, ou d’intérêt collectif, assurent des missions de service public.
Les principes de rentabilité et de service public sont relativement antinomiques. Aussi, le maintien d’un service, d’une unité ou d’un hôpital de proximité ne peut pas être décidé uniquement sous l’angle budgétaire.
Au vu de ces éléments, vous avez dressé tout à l’heure, monsieur le ministre, un tableau idyllique de notre pays et de notre situation financière, tout en fustigeant dans le même temps des formations politiques légalement constituées.
Or la réalité est tout autre : la dette publique s’élève à 2 901 milliards d’euros, soit 11,5 % du PIB, la hausse des prix, de 6,1 % en 2021, ne cesse de s’aggraver, le taux de chômage est de 7,3 % et, enfin, la France est championne du monde des prélèvements sociaux obligatoires, à hauteur de 46 %. Voilà la vérité !
Nous vous donnons rendez-vous, monsieur le ministre, pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) à l’automne prochain, en attendant des propositions concrètes de votre part et une trajectoire vertueuse des finances sociales.
Voilà ce qu’attendent notre pays et les Français aujourd’hui, de façon tout à fait légitime. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat et M. Philippe Mouiller applaudissent également.)