Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur, vous avez couvert un vaste champ de sujets ; j’espère bénéficier de votre indulgence pour ne traiter que de quelques points.
En ce qui concerne la révision du règlement Reach, permettez-moi d’y insister : la révision n’est pas faite ! La Commission européenne ne devrait pas proposer ses projets de révision avant la fin de l’année 2022. Des consultations et des discussions continuent donc d’avoir lieu et, dans ce cadre, nous défendons les intérêts de nos territoires.
Je le rappelle, ce règlement permet aux États membres de s’appuyer sur des analyses de risques et des listes de substances communes destinées à protéger les consommateurs et l’environnement. Des consultations sont menées aux niveaux national, régional, départemental ; vous-mêmes, parlementaires, pouvez déposer des propositions de résolution européenne. On ne peut pas prendre dans l’Union européenne ce qui nous arrange et rejeter ce qui nous dérange : les discussions, nous les avons à vingt-sept, et nous nous efforçons d’élaborer des positions communes ; à vingt-sept, en effet, nous sommes plus forts, notamment dans les négociations commerciales. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Je vous remercie d’avoir mentionné l’accord commercial entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, le premier du genre à inclure des clauses environnementales fortes. Lorsque je le lis, je finis toujours par me demander pourquoi la Nouvelle-Zélande a accepté de le signer tant il nous est favorable et tant il protège nos appellations d’origine contrôlée !
Cet accord contient bel et bien des clauses miroir, qui sont autant de grandes avancées imputables à la présidence française de l’Union européenne. Comme vous le savez, les personnes qui souhaitent exporter dans l’Union devront respecter les mêmes règles qui s’appliquent sur son territoire.
Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.
M. Jacques Fernique. C’est entendu, madame la secrétaire d’État, la messe n’est pas dite pour ce qui est du règlement Reach : il existe encore une chance pour les autorités nationales et pour les acteurs locaux et régionaux de se faire entendre, dites-vous. J’espère que notre gouvernement y contribuera.
En ce qui concerne la nouvelle génération d’accords commerciaux, en revanche, je suis moins convaincu que vous ne semblez l’être…
Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne, à travers sa réglementation d’harmonisation, veille à lever les obstacles à la libre circulation, permettant ainsi l’existence d’un marché unique sur lequel les consommateurs ont accès à des produits sûrs et de qualité, et ce dans des conditions de transparence.
Il n’est pas impossible que certaines professions, ainsi que leurs savoir-faire, puissent être mises en difficulté dans le cadre de l’élaboration des normes européennes. En juillet dernier, notre commission a choisi de porter son attention sur le régime européen d’autorisation de l’usage du plomb et son incidence sur des éléments constitutifs du patrimoine européen. Par une proposition de résolution européenne, nous avons souhaité encourager la Commission européenne et le Gouvernement à préserver l’activité des vitraillistes et autres professions d’art, menacée par l’interdiction du plomb qui pourrait intervenir dans le cadre de la prochaine révision du règlement Reach relatif aux substances chimiques.
Par ce texte, notre commission a affirmé la nécessité pour l’Union européenne de reconnaître et de protéger ces métiers et leurs savoir-faire, qui sont partie intégrante de notre patrimoine européen, qui en font la richesse et celle de nos territoires.
Elle a fait de même concernant la préservation de la filière des huiles essentielles à base de lavande, menacée elle aussi par la révision du même règlement Reach. Notre commission a défendu cette filière en faisant valoir que nos huiles essentielles de lavande sont des produits agricoles artisanaux non chimiques et que la filière de l’herboristerie fait partie intégrante du patrimoine immatériel français.
En outre, le Sénat, chambre des territoires, s’attelle à ce que lesdits territoires, leurs savoir-faire et leurs cultures soient défendus et représentés dans l’élaboration de la norme, à l’échelon national comme à l’échelon européen. Je remercie d’ailleurs notre commission d’avoir mis à l’ordre du jour ce débat.
Plus largement, dans un espace européen où règne la libre circulation, des produits qui sont l’emblème d’un territoire, l’expression d’un savoir-faire et le fruit d’une culture peuvent être mis en concurrence avec des importations susceptibles d’en usurper la qualité, la provenance ou la sûreté.
Aussi, valoriser ces savoir-faire par une indication géographique permet avant tout de rassurer le consommateur quant à la provenance et à la qualité réelle d’un produit. L’indication met en avant les producteurs locaux authentiques et les protège de la contrefaçon ; elle valorise les particularités des patrimoines locaux, favorise l’emploi et pérennise les savoir-faire.
C’est ce que le droit européen autorise. Les États membres, sous couvert de protection de la propriété intellectuelle et commerciale, sont autorisés à protéger ces productions spécifiques au moyen d’appellations géographiques.
Avec la loi relative à la consommation, la France a ainsi, sur le modèle de ce qui se fait en matière agroalimentaire, mis en place des indications géographiques dans les domaines industriels et artisanaux.
Le recours à de telles indications permet d’interdire l’usage de l’appellation aux entreprises qui n’en respectent pas le cahier des charges. En France, c’est l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) qui gère les indications géographiques et les homologations. Toutefois, une simple protection nationale présente des limites. Et c’est bien là tout l’enjeu d’une reconnaissance accrue au niveau européen.
En effet, en l’état, l’absence d’un système européen harmonisé de reconnaissance des indications géographiques revient à laisser à la seule charge des États le soin de garantir et de préserver ce qui fait la richesse, et même la raison d’être, de l’Union européenne : sa diversité. Cette absence de cadre harmonisé pénalise les métiers traditionnels et leur production, inégalement protégés d’un État à l’autre.
Or, dans le prolongement de la crise sanitaire, l’exigence de protection est forte. La libre circulation et l’accès aux marchandises ne suffisent plus : les citoyens européens attendent de l’Union qu’elle les protège. La culture et les savoir-faire qui figurent au cœur de leur identité et, a fortiori, au cœur de l’héritage européen, font partie des éléments qu’ils souhaitent voir protéger. Poteries d’Alsace, savon de Marseille, faïence de Gien, espadrille basque, tous doivent pouvoir bénéficier d’une reconnaissance et d’une protection européennes.
De ce point de vue, nous saluons la proposition de règlement présentée en avril dernier par la Commission européenne en vue de protéger les indications géographiques non agricoles. Il s’agit d’instaurer au niveau européen une indication géographique pour les produits artisanaux et industriels, dont la gestion serait centralisée et l’obtention simplifiée. Les négociations devraient se poursuivre sous la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne, pour une entrée en vigueur en 2024.
Nous encourageons cet effort et souhaitons le voir aboutir. Une étape décisive serait ainsi franchie pour la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration des réglementations européennes d’harmonisation.
Nous y serons attentifs, au nom de nos producteurs et de la défense de notre patrimoine français et européen, dans le souci permanent de la protection des consommateurs.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Je concentrerai mon propos sur les indications géographiques qui, comme vous le soulignez, sont d’une grande importance à nos yeux.
La révision législative européenne qui est en cours en la matière est un sujet que nous suivons de très près. Tout en partageant évidemment les objectifs qui sont ceux de la Commission, nous nous attachons à certains points de vigilance qui ont été à maintes reprises évoqués au cours du débat : en particulier, l’harmonisation des pratiques ne doit pas amoindrir la spécificité des produits qui sont sous indication géographique.
En ce qui concerne les indications géographiques pour les produits industriels et artisanaux, comme vous le savez, la France a mis ce sujet sur la table pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Et nous sommes ravis que la Commission fasse sienne cette entreprise : elle a présenté en avril la proposition de règlement que vous mentionnez ; nous avons fait avancer les travaux techniques sur le texte et l’examen se poursuit. Nous partageons les mêmes objectifs et serons très attentifs à ce que les dispositions de ce texte ne soient pas affaiblies ; nous veillerons même à ce qu’elles soient renforcées, en matière de contrôle notamment.
Si tel n’était pas le cas ou si certaines inquiétudes n’étaient pas levées, je vous serais reconnaissante de nous le signaler.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (MM. Lucien Stanzione et Jacques-Bernard Magner applaudissent.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention est complémentaire de celle de mon collègue Lucien Stanzione – je ne reviendrai donc pas sur les éléments de présentation de la filière lavandicole qu’il a donnés.
J’en viens directement aux difficultés auxquelles se heurte cette filière du fait de deux réglementations, Reach et CLP, emblématiques des paradoxes propres à certaines législations européennes.
Précisons que, pas plus que nous, les professionnels de la lavande, et plus généralement des plantes à parfum, aromatiques et médicinales, ne contestent le bien-fondé des objectifs qui motivent ces réglementations.
Pour le dire vite, Reach instaure un système d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation qui a permis une harmonisation des exigences et un meilleur contrôle des substances chimiques. De son côté, le règlement CLP, qui a trait à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage, vise à améliorer l’information relative aux substances chimiques.
Mises en œuvre selon des calendriers progressifs, ces réglementations avaient déjà donné lieu à des adaptations pour les producteurs d’huiles essentielles, dont la filière lavandicole représente la plus grande partie de la production en France.
Des révisions doivent intervenir dans les prochains mois, portant sur l’augmentation du niveau d’exigence des contrôles, afin de supprimer les produits chimiques les plus nocifs, et sur une meilleure identification des perturbateurs endocriniens.
Une nouvelle fois, la filière lavande, plus généralement celle des huiles essentielles, se voit ainsi confrontée à des dispositions qui ne sont pas du tout adaptées.
Elles ne sont pas adaptées, d’une part, à leurs caractéristiques : celles d’un produit naturel, simplement extrait de la plante grâce à la vapeur d’eau, qui doit être considéré comme un tout – totum – et non réduit à une composition de molécules.
Elles ne sont pas adaptées, d’autre part, à leur mode de production, organisé en petites entités, dans des territoires historiques de production constitués de zones de collines, de plateaux et de montagnes sèches.
Enfin, elles ne sont pas adaptées à l’usage traditionnel millénaire des huiles essentielles et des plantes en général, patrimoine vivant qui a vocation à être reconnu au titre du patrimoine culturel immatériel.
Ces inadaptations font peser un risque important sur la survie de la filière, dans ses territoires de production historiques où les cultures de plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) ont peu ou n’ont pas de substituts possibles. Au-delà des emplois directs de la filière, c’est l’ensemble de l’économie des territoires provençaux qui est menacé, car les champs de lavande font aussi vivre l’apiculture et surtout le tourisme.
En outre, en ne prenant pas en compte les spécificités de la filière des huiles essentielles, ces réglementations entrent en contradiction avec les objectifs affichés par le Pacte vert européen d’amélioration du bien-être et de la santé des citoyens, mais aussi avec la volonté croissante, exprimée depuis de nombreuses années par les consommateurs européens, d’accéder à des produits toujours plus naturels.
Il est donc indispensable pour l’avenir de la filière lavandicole que les révisions des réglementations Reach et CLP tiennent compte de la spécificité des huiles essentielles.
De la même manière, la filière doit être aidée, comme mon collègue Lucien Stanzione vient de le rappeler, pour passer la crise de marché qu’elle rencontre ; des solutions doivent être trouvées rapidement.
Sans cela, cette filière est vouée à disparaître, alors même qu’elle est en pleine dynamique de valorisation, comme en témoignent les démarches pour toiletter l’AOP Huile essentielle de lavande de Haute-Provence, pour créer une IGP Lavandin de Provence ou encore pour lancer une demande de reconnaissance des « paysages olfactifs et poétiques de la lavande » au patrimoine mondial de l’Unesco. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’aurez compris par la résonance des interventions dans cet hémicycle, « la lavande est l’âme de la Provence ».
Si j’emprunte aujourd’hui les mots de Jean Giono, c’est pour défendre un patrimoine vivant, un atout reconnu au niveau international. Bien plus qu’une plante, la lavande est un symbole de notre tissu agricole, un savoir-faire ancestral, une identité paysanne, bref un emblème culturel.
Aujourd’hui, sa production – tout comme celle des plantes à parfum, aromatiques et médicinales – se voit menacée par la révision de deux règlements européens sur les produits chimiques : le règlement Reach et le règlement CLP. En ce sens, je remercie la commission des affaires européennes et son président, Jean-François Rapin, d’avoir permis l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de nos travaux. Je les remercie également d’avoir permis à la commission des affaires européennes et au Sénat d’adopter une résolution sur ce sujet.
Oui, il s’agit d’un exemple criant du manque de prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l’élaboration de réglementations européennes d’harmonisation.
Ces deux règlements – Reach et CLP – visent respectivement à sécuriser l’utilisation des substances chimiques par rapport à la santé humaine et à l’environnement, et à informer correctement les consommateurs des propriétés et des dangers d’une substance. Si les objectifs visés par la Commission européenne à travers ces dispositions sont plus que respectables – il s’agit en fait d’une nécessité –, les modalités d’application de ces deux règlements ne sont absolument pas adaptées à la filière lavandicole ni à celle des huiles essentielles.
Concrètement, l’accès au marché européen est subordonné à l’obligation de fournir des données fondées sur des tests scientifiques. Le résultat de ces tests conditionne les autorisations de mise sur le marché ainsi que les modes de commercialisation.
Toutefois, la nature des tests ne prend pas en compte les réactions chimiques propres aux huiles essentielles. Cette révision prévoit ainsi, pour certains dangers, d’évaluer les huiles essentielles en utilisant uniquement les composants, sans étudier le produit dans son ensemble. La lavande et le lavandin sont utilisés depuis l’Antiquité pour leurs vertus : les différentes huiles essentielles de lavande, testées dans leur globalité, n’induisent pas, à notre connaissance, d’effets graves pour le corps humain.
La révision prévoit également des tests scientifiques supplémentaires que les producteurs devront prendre en charge ; ces derniers ne sont pas sûrs de pouvoir les supporter. Alors que la lavande et le lavandin représentent en France 9 000 emplois directs et 17 000 emplois indirects, de telles mesures seraient dramatiques pour une filière regroupant majoritairement de petites exploitations et distilleries. Si, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a alloué 10 millions d’euros supplémentaires à la filière, le durcissement de ces règlements mènerait inévitablement à l’augmentation des prix des huiles essentielles.
En conséquence, les industriels pourraient être tentés de substituer aux produits naturels des substances synthétiques contenant du pétrole, ce qui mène ironiquement à l’effet inverse de celui recherché par la Commission.
M. Lucien Stanzione. Eh oui !
M. Jean-Michel Arnaud. Il convient également de noter que la Commission européenne propose la création d’une nouvelle classe de danger concernant les perturbateurs endocriniens, dont les critères sont en cours de consultation publique jusqu’au 18 octobre prochain.
Dans ce contexte d’incertitude, les professionnels s’inquiètent d’une éventuelle confusion entre les perturbateurs endocriniens et la notion de modulateurs hormonaux, laquelle obéit à des phénomènes physiologiques différents.
Pour finir, imposer des normes restrictives à une filière aussi dépendante du commerce international aurait pour conséquence de l’exposer à une publicité négative. Cela pourrait ternir sa compétitivité hors prix, la simple annonce de révision de réglementation ayant engendré un vent d’inquiétude jusque dans les colonnes du Wall Street Journal. Si des huiles essentielles étaient, à tort, considérées comme très dangereuses ou si des pictogrammes dissuasifs venaient à être imposés sur le packaging des produits, les ventes en seraient évidemment impactées.
Le Sénat sera toujours présent pour veiller sur les terroirs et les territoires. Le Gouvernement se doit d’être aux côtés de nos professionnels afin que « l’âme de la Provence » ne soit pas mise en jachère à jamais.
Mme le président. Il faut conclure !
M. Jean-Michel Arnaud. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de vous assurer du soutien complet du Gouvernement, tous ministères confondus, afin que notre unité puisse porter ses fruits auprès de la Commission, que nous rencontrerons dans quelques jours.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Madame la sénatrice, monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rassurer : nous avons évidemment à cœur les intérêts de la filière lavandine et de la Provence, ainsi que ceux de toutes les personnes qui vivent de la production des huiles essentielles.
Il y a derrière la révision du règlement Reach un souci de santé publique, comme l’a souligné Marie-Pierre Monier. Il importe donc que nous puissions trouver un équilibre entre l’impact socio-économique et la santé publique.
Voilà pourquoi des consultations ont été lancées. Bien évidemment, ma porte, comme celle du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ainsi que du ministre de la santé et de la prévention, reste ouverte pour discuter de tous ces sujets.
M. Lucien Stanzione. Nous en prenons note !
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État. Je souligne également que cette révision – j’ai le sentiment qu’il y a parfois une confusion – ne tendra pas à exiger l’analyse de chaque molécule des huiles essentielles. En revanche, il s’agira d’analyser toutes leurs composantes. De la sorte – j’ai entendu votre inquiétude –, l’utilisation de pétrole sera clairement notifiée. Certes, les huiles essentielles sont naturelles, mais pour les obtenir il faut recourir à des processus chimiques. C’est pourquoi elles tombent sous le coup de la réglementation Reach.
J’ai précisé qu’aucune décision ne serait prise avant la fin de l’année 2022 : que Mme la sénatrice Marie-Pierre Monier soit rassurée, le projet de révision du règlement Reach devrait être présenté en 2023 par la Commission.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.
M. Jean-Michel Arnaud. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse, qui me convient pour partie. La consultation et la concertation ont bien eu lieu puisque certains d’entre nous ont rencontré Marc Fesneau. J’attends surtout qu’une coordination soit mise en place au niveau ministériel afin que la position française soit solide lors des futures discussions avec la Commission.
Vous avez parlé de la présence de molécules chimiques : nul ne le nie. Mais l’huile, dans sa globalité, n’est pas un produit chimique. Il faut en faire la démonstration, notamment à Bruxelles ! Les huiles essentielles ne portent pas atteinte à la santé publique. En 2 000 ans d’utilisation, elles n’ont jamais eu, hors usage inadéquat, de conséquences néfastes sur la santé des usagers.
Enfin, je me permets une observation de procédure. La commission souhaite user de son pouvoir réglementaire. Il me semble au contraire nécessaire de s’en tenir à un processus purement législatif : il est important que les parlementaires exercent leur contrôle, comme le fait aujourd’hui le Sénat pour la France. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’harmonisation est le plus souvent perçue comme une solution face à la diversité des cadres normatifs des pays membres de l’Union européenne. C’est pourquoi l’uniformisation des droits nationaux connaît une expansion continue, touchant de plus en plus de secteurs.
Néanmoins, je crois important de relever une limite essentielle de cette harmonisation, avant de l’illustrer par l’exemple de la généralisation annoncée du Nutri-score à l’échelle européenne, un système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux.
Sur le principe, il est utile de rappeler que l’harmonisation normative telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui ne correspond bien souvent ni à la lettre ni à l’esprit des traités européens. L’étendue et l’intensité de l’intégration s’apparentent, parfois, à une voie d’extension du champ des compétences de l’Union européenne, contrairement à ce que prévoient les traités, et ce au détriment de l’intérêt des productions nationales.
Il en est ainsi de la généralisation annoncée du Nutri-score au niveau européen résultant de la stratégie « de la ferme à l’assiette » publiée en mai 2020 par la Commission européenne, qui a annoncé « une proposition législative d’étiquetage nutritionnel obligatoire et généralisé » pour le quatrième trimestre de 2022. Si l’on ne peut qu’approuver la volonté louable d’orienter le consommateur vers une alimentation saine, la généralisation du Nutri-score à tous les produits est problématique pour deux raisons principales.
Elle est problématique, d’abord, car l’indicateur retenu produira une information tronquée et trompeuse sur certaines productions alimentaires de qualité, comme le fromage ou la charcuterie, reconnus par des AOP ou des IGP. Ces produits, qui sont au cœur des terroirs et des identités locales, pourraient donc, bientôt, être moins bien « notés » par l’algorithme Nutri-score que certains produits industriels transformés.
Elle est problématique, ensuite, car la généralisation du Nutri-score se fait au détriment des territoires et de la variété des productions locales dans les pays membres de l’Union européenne. Je pourrai ainsi évoquer les craintes des producteurs dans la zone d’appellation Roquefort ou celles des producteurs italiens et espagnols de la filière oléicole, car l’incompréhension devant cette règle aveugle aux territoires se retrouve dans tous les pays membres.
La stratégie de la Commission européenne n’est donc pas d’harmoniser des droits nationaux, qui reconnaissent et protègent chacun la qualité de leurs productions locales, mais bien de promouvoir un nouveau modèle par une uniformisation juridique européenne à marche forcée.
Il s’agit donc non pas d’une harmonisation juridique, mais bien d’une uniformisation idéologique pouvant conduire à une dérive dangereuse.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Claude Anglars. Devant ce risque, il est temps que le Gouvernement réagisse pour les consommateurs et les producteurs, et qu’il défende les terroirs ainsi que la diversité des productions locales qui font la culture alimentaire française. Il est temps que le Gouvernement demande l’exemption de certains produits AOP et IGP du Nutri-score européen !
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur, la France est favorable à l’harmonisation d’un système d’étiquetage nutritionnel qui soit frontal et harmonisé à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit d’une priorité, ainsi que l’a répété Marc Fesneau lors du dernier Conseil des ministres de l’agriculture le 26 septembre dernier.
Comme vous le savez, un récent rapport du Centre commun de recherche (CCR) a montré que les consommateurs appréciaient cet étiquetage nutritionnel : ils y trouvent un moyen rapide et facile d’obtenir des informations.
Bien évidemment, ce système doit être fondé sur des données scientifiques. Il doit être solide et ces données doivent être indépendantes. La France soutient un système qui évalue la qualité nutritionnelle globale des denrées alimentaires, avec un code couleur établi selon des quantités standards pour permettre la comparaison entre les aliments.
Depuis 2019, la France a mis en place une stratégie d’influence afin de promouvoir le Nutri-score au niveau européen et de répondre aux attaques de l’Italie. Ce pays y est en effet fortement opposé, car il juge que le Nutri-score a un impact défavorable sur sa gastronomie et ses produits traditionnels.
En janvier 2021, nous avons mis en œuvre une gouvernance transnationale du Nutri-score à laquelle participent six États membres, dont la France, constituée d’un comité de pilotage et d’un comité scientifique.
Je comprends que vous soyez préoccupé par le décalage observé entre l’étiquetage nutritionnel mis en place en France et la composition des fromages, notamment lorsqu’il s’agit d’appellation d’origine protégée. C’est pourquoi la France soutient une adaptation de l’algorithme du Nutri-score, notamment pour les fromages. Vous savez que cette révision est en cours et qu’il existe une réflexion sur le traitement des produits sous signe de qualité – vous avez mentionné la filière roquefort.
Quoi qu’il en soit, comptez sur nous : nous allons continuer à promouvoir sur ce dossier une position d’équilibre entre l’amélioration de la santé publique et la préservation de la production des produits locaux.