M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Étienne Blanc. La semaine dernière, une délégation du groupe d’amitié France-Arménie du Sénat, conduite par son président, Gilbert-Luc Devinaz, s’est rendue à Erevan. Nous avons effectué ce déplacement alors que l’Azerbaïdjan se livrait à sa énième attaque contre le peuple et le territoire arméniens.
Quelques jours auparavant, Mme von der Leyen s’était rendue à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, et avait signé un accord gazier pour assurer la sécurité des livraisons de gaz au profit de l’Europe.
La concordance de ces deux événements ne saurait être fortuite pour le peuple arménien.
Madame la Première ministre, le gouvernement français se sent-il solidaire de cet accord, que l’on peut juger indigne ?
Par ailleurs, l’Arménie exprime régulièrement son souhait d’obtenir des livraisons d’armes de défense. La France accepte-t-elle aujourd’hui d’être le fer de lance d’un dispositif permettant à l’Arménie d’avoir des armes pour assurer la protection de son peuple et de son territoire ?
Enfin, la France préside le Conseil de sécurité de l’ONU. Une demande prégnante de l’Arménie est d’obtenir des Nations unies la présence d’une force d’observation et d’interposition sur sa frontière avec l’Azerbaïdjan.
Madame la Première ministre, pouvez-vous aujourd’hui prendre au nom de M. le Président de la République l’engagement que la France déploiera des efforts incessants pour qu’une telle force se mette en place ? C’est en effet la condition de la protection de l’Arménie et de son peuple, dont nous sommes si proches historiquement. (Applaudissements prolongés.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Blanc, vous le savez, la France est pleinement solidaire du peuple arménien. Elle l’a toujours été – vous l’avez dit –, parce que nos histoires ont été liées, depuis que notre pays a accueilli les rescapés du génocide arménien de 1915. Elle est au côté du peuple arménien, et elle le restera jusqu’à ce que nous parvenions à un règlement négocié et pacifique du conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan.
Les armes ont assez parlé. Les incursions armées de l’Azerbaïdjan et les frappes menées contre le territoire internationalement reconnu de l’Arménie constituent une violation de la Charte des Nations unies. Elles doivent cesser ; nous l’avons déjà dit.
Nous nous mobilisons aussi pour obtenir la libération des prisonniers de guerre arméniens. Je vous informe que dix-sept d’entre eux ont été libérés hier par l’Azerbaïdjan.
La France, avec l’Union européenne, est engagée dans un processus de dialogue entre les deux pays. Ce dialogue continue en ce moment même, et le Président de la République le poursuivra demain avec un certain nombre de ses collègues européens. C’est l’attachement à la paix et au droit international qui guide notre action. C’est ainsi que sera garanti le droit de l’Arménie à vivre libre.
Nous avons enfin réuni le Conseil de sécurité de l’ONU, sous présidence française, à deux reprises, les 15 et 16 septembre. Vous avez raison, monsieur le sénateur : le Conseil de sécurité peut avoir un rôle. Mais la priorité immédiate est de faire baisser les tensions. Pour cela, il faut établir un constat objectif de la situation à la frontière. Nous œuvrons donc concrètement pour l’envoi rapide d’une mission d’établissement des faits de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) : j’ai saisi son président en exercice de cette demande voilà quelques jours à peine.
suites données par le gouvernement au rapport sur l’industrie pornographique
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.
Dans notre rapport sénatorial Porno : l’enfer du décor, présenté avec mes trois collègues corapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous avons, pour la première fois dans l’histoire du Parlement, révélé les dessous sordides de l’industrie de la pornographie.
Une industrie qui génère des milliards d’euros de chiffre d’affaires chaque année, dans des conditions opaques.
Une industrie qui a fait de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes un business à l’échelle mondiale.
La consommation de porno est aujourd’hui massive. Elle représente plus d’un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde. Le site Pornhub cumule à lui seul plus de 40 milliards de visites annuelles et près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde !
Notre rapport dresse un tableau très sombre, mais réaliste, des pratiques de cette industrie : violences systémiques envers les femmes ; exploitation de leur précarité économique et sociale ; actes de torture et de barbarie. Les deux affaires judiciaires en cours en France en témoignent. Elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
Nous appelons à sortir de toute vision datée, faussée, édulcorée du porno. Aujourd’hui, ce sont majoritairement des contenus violents, dégradants, humiliants, de surcroît facilement et massivement accessibles aux mineurs : deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des moins de 12 ans ont déjà vu des images pornographiques !
La délégation sénatoriale aux droits des femmes défend unanimement vingt-trois propositions pour lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences.
Madame la Première ministre : comment comptez-vous vous emparer de ces propositions ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, je vous remercie de votre question. J’en profite pour saluer la qualité du travail que vous avez mené avec vos collègues Laurence Rossignol, Alexandra Borchio Fontimp et Laurence Cohen.
Votre rapport est extrêmement utile, parce qu’il permet de mettre un coup de projecteur sur les dérives d’une industrie, qui, pour reprendre vos mots, est une machine à broyer les femmes, une industrie qui a banalisé les violences sexistes et sexuelles. Oui, le porno est un enfer pour les femmes !
Vous proposez des solutions concrètes pour protéger non seulement nos enfants, mais aussi les actrices de cette industrie. Certaines de vos recommandations rejoignent le travail qui a d’ores et déjà été entrepris par le Gouvernement. Mon collègue Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale, et moi-même nous sommes saisis, dès notre arrivée au Gouvernement, du chantier de l’éducation à la sexualité. Il est grand temps que la loi de 2001 soit appliquée dans nos écoles.
Je pense aussi aux travaux pilotés par Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel sur le contrôle parental sur les smartphones. Mais nous pouvons aller plus loin, et votre rapport alimentera grandement les travaux que nous mènerons prochainement avec mes collègues chargés de la justice, de l’intérieur, de la culture, du numérique et de la protection de l’enfance.
Madame la sénatrice, nous nous rencontrons le 18 octobre, et je sais que nous avancerons ensemble de manière constructive. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
difficultés financières des collectivités face à l’augmentation du coût de l’énergie
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. Madame la Première ministre, les réponses que le Gouvernement apporte depuis le début de cette séance montrent que vous ne mesurez ni l’urgence ni l’ampleur de ce qui attend nos collectivités, comme nos concitoyens et nos entreprises, en matière de facture énergétique, et ce malgré les nombreuses alertes formulées, notamment, par toutes les associations d’élus.
Les 430 millions d’euros du projet de loi de finances rectificative que vous évoquez ont été arrachés cet été par les parlementaires que nous sommes. Malheureusement, du fait des critères que vous avez retenus, moins de 8 000 communes vont en bénéficier ! Vous vous réjouissez que les fournisseurs aient signé une charte ce midi ? Mais, hier encore, les mêmes menaçaient des communes de leur couper toute fourniture d’énergie si elles ne payaient pas à des tarifs qui s’apparentent – certains élus locaux l’ont dit – à du racket !
Les sommes en jeu sont telles qu’il ne suffira pas d’éteindre l’éclairage public ou de baisser d’un degré le chauffage dans nos écoles. Nous risquons de connaître des coupures de service public dans nos territoires. Le comble, c’est que nos collectivités sont en train de repousser des investissements qui permettraient précisément de réaliser des économies d’énergie.
Madame la Première ministre, allez-vous enfin entendre ce cri d’alerte et examiner les propositions qui sont sur la table, comme le retour aux tarifs réglementés de l’énergie pour les collectivités ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, nous avons tellement conscience des tensions et des inquiétudes de nos collectivités que nous consacrons l’essentiel de notre temps – je le soulignais voilà un instant – à agir face à l’emballement des prix de l’énergie. Ma collègue Agnès Pannier-Runacher pourrait vous en parler, puisqu’elle passe ses soirées et ses nuits à Bruxelles (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) pour négocier les avancées sur le marché de l’électricité, et elle commence ses journées – c’était encore le cas ce matin – avec les fournisseurs en France, précisément pour lutter contre les pratiques que vous évoquez.
Oui, nous avons pleinement conscience du phénomène ! Je le redis, la première priorité – et nous sommes en train d’aboutir – est la réforme du marché européen de l’électricité pour faire baisser les prix. (M. Fabien Gay s’exclame.) La deuxième est de soutenir et d’accompagner les collectivités locales. Mon collègue Christophe Béchu le rappelait à l’instant, nous avons saisi aujourd’hui le Comité des finances locales du projet de décret faisant suite au dispositif du filet de sécurité, que le Sénat a adopté et même enrichi grâce, notamment, au travail du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson.
Je peux vous l’annoncer aujourd’hui, les collectivités locales pourront faire une demande d’acompte dès la semaine prochaine. Cet acompte pourra leur être versé entre la fin du mois de novembre et le début du mois de décembre. On parle ici d’une prise en charge jusqu’à 70 % de la hausse des prix de l’énergie ou de l’alimentation pour les collectivités, ou jusqu’à 50 % de la hausse de la masse salariale liée aux mesures sur le point d’indice.
Le tarif réglementé s’applique pour 30 000 des 36 000 communes, celles qui ont moins de 10 salariés ou moins de 2 millions d’euros de budget. Pour les autres, nous avons mis en place le filet de sécurité cette année. Nous allons plus loin avec le projet de loi de finances pour 2023 en prévoyant, comme Christophe Béchu l’a aussi rappelé, une revalorisation de la DGF de 210 millions d’euros, de sorte que 70 % des communes verront leur dotation augmenter l’année prochaine. Nous continuerons à travailler – c’est un point sur lequel nous pourrons nous retrouver dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances – à de nouveaux dispositifs qui pourraient s’inspirer du filet de sécurité pour soutenir les collectivités face aux difficultés liées aux tarifs de l’énergie.
Vous le voyez, nous sommes mobilisés pour faire baisser le prix et pour continuer à renforcer l’accompagnement des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Non, monsieur le ministre, toutes les collectivités n’ont pas accès au tarif réglementé, notamment s’agissant du gaz !
Mme Céline Brulin. Au demeurant, le tarif réglementé va bientôt disparaître, et ce pour tout le monde. Il est question que plus personne n’en bénéficie à partir du mois de juillet 2023. Vous pourrez faire signer toutes les chartes que vous voulez, si vous privez la puissance publique de moyens d’agir, les phénomènes que nous connaissons aujourd’hui vont s’accélérer ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
port du voile à l’école
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. « Femmes, vie, liberté ! » Ces trois mots se propagent à travers le monde en soutien aux courageuses Iraniennes qui brûlent leur voile pour réclamer l’abolition d’une loi les obligeant à se couvrir, symbole de la soumission et de l’oppression des femmes dans une société patriarcale dirigée par un pouvoir théocratique dont elles ne supportent plus le carcan.
Alors que le voile semble être la pierre angulaire du régime des mollahs en Iran, le Gouvernement va-t-il enfin admettre qu’il s’agit d’un étendard politico-religieux ?
Je regrette encore l’opposition du Gouvernement à tous les amendements que nous avions proposés lors de l’examen du projet de loi dit Séparatisme, amendements que vous aviez alors qualifiés d’« amendements textiles ». Aujourd’hui, clairement, les entraves à la laïcité dans nos écoles augmentent de manière inquiétante. Les abayas et les qamis fleurissent dans les lycées. Autant de signes de l’influence islamiste, en particulier celle des Frères musulmans, qui se diffuse dans l’esprit d’une partie de notre jeunesse !
Quand le Gouvernement aura-t-il enfin un discours et des directives très clairs sur le sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Madame la sénatrice Eustache-Brinio, nous connaissons votre engagement pour la laïcité. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, défendue par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, contient des avancées réelles (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et nous permet de porter des coups aux atteintes à la laïcité.
Vous avez raison : il y a aujourd’hui des atteintes à la laïcité au sein de nos établissements scolaires. Nous sommes déterminés à les combattre pied à pied.
D’abord, il convient de faire appliquer en totalité la loi adoptée en 2004. Ni les signes religieux ni les tenues qui pourraient être considérées comme tels n’ont leur place au sein de nos établissements scolaires. Nous voulons poursuivre le travail entrepris par Jean-Michel Blanquer. C’est pour cela que nous souhaitons objectiver le phénomène. Nous avons besoin de chiffres. Le ministre Pap Ndiaye a décidé de les rendre publics chaque mois.
M. Jacques Grosperrin. C’est à lui de répondre !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Au sein de nos établissements, nous agissons en toute clarté, en nous appuyant, entre autres, sur le vade-mecum La laïcité à l’école, dans lequel il est rappelé qu’une tenue peut être considérée comme un signe religieux par destination si elle est portée de manière régulière et si le jeune refuse de l’enlever.
Madame la sénatrice, vous le savez, pour nous, l’école est un sanctuaire (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), un sanctuaire républicain ! Nous n’y accepterons aucune atteinte aux valeurs de la République. À cette fin, des équipes soutiennent les chefs d’établissement, ainsi que les enseignants. Nous appliquons la loi de 2004, toute la loi de 2004, avec transparence et clarté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il n’est plus temps de faire semblant, madame la secrétaire d’État.
Notre pays se fracture sur le sujet depuis ces dernières années, et vous y avez contribué en refusant tout discours de fermeté. Des enseignants sont abandonnés ou livrés à eux-mêmes et, parfois, se censurent sur leurs programmes face à des exigences communautaristes de plus en plus fortes. Le monde du sport fait face aux mêmes difficultés.
L’ambiguïté des discours et l’absence de directives claires ont abouti à des situations de plus en plus ingérables et de moins en moins supportées par la grande majorité des Français.
Lorsqu’un ministre ose dire que les problèmes peuvent être réglés en faisant appel au bon sens et à l’expérience des équipes pédagogiques, cela revient à dire : « Débrouillez-vous ! »
On ne négocie pas avec la laïcité, émancipatrice de la jeunesse ! Le voile est la vitrine des islamistes, qui savent tirer parti de notre tolérance et de notre faiblesse. Les Iraniennes nous démontrent chaque jour, au péril de leur vie, face à la police des mœurs, qu’il est de notre devoir d’avoir enfin du courage ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
réduction drastique des visas en afrique
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Notre diplomatie revendique d’avoir des partenariats privilégiés avec l’Afrique. Si l’actualité la plus récente oblige à en douter, je concède néanmoins qu’il existe bien des échanges humains, culturels, éducatifs et économiques intemporels. Or la décision, prise par le Président de la République en conseil de défense voilà un an, de réduire le nombre de visas de 50 % pour les ressortissants marocains et algériens et de 30 % pour les Tunisiens touche précisément ceux qui tissent et entretiennent de tels liens.
Une telle politique du chiffre, qui se veut la démonstration de votre volonté de réduire l’immigration, a deux conséquences délétères.
D’abord, elle est vécue comme une punition collective par ceux qui ne présentent aucun risque migratoire et qui, pour certains, se rendent en France depuis des décennies à des fins familiales ou professionnelles. Les perdants se sentent humiliés et en expriment une aigreur et un ressentiment ; la presse nationale s’en faisait encore l’écho ce matin.
Ensuite, ce sont des appels d’offres perdus, parce que l’investisseur étranger n’obtient pas le visa nécessaire. Il se tourne alors vers un autre pays plus accueillant. L’Espagne, l’Autriche, l’Italie en tirent aujourd’hui des bénéfices économiques et vous en remercient.
De toute évidence, les mesures mises en place depuis un an se révèlent inefficaces. Les États concernés n’ont pas accepté de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière. L’immigration illégale n’a toujours pas cessé. Quant aux effets politiques et électoraux que vous en attendiez, les dernières élections auront montré la vanité de votre démarche.
Il est temps de laisser de nouveau le soin aux personnels expérimentés de nos consulats d’instruire toutes les demandes dont ils sont saisis et de refuser celles qui doivent l’être.
Il est temps de négocier des accords bilatéraux en matière d’immigration. Sans cela, le tissu affectif et charnel qui nous lie à l’Afrique disparaîtra, et ce sans lendemain. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, trois pays du Maghreb, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, ont fait l’objet, depuis le mois de septembre 2021, de mesures restrictives sur la délivrance des visas.
De telles mesures ont été décidées par le Gouvernement – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – en réponse au constat d’une forte baisse du nombre de laissez-passer consulaires délivrés par ces pays dans le cadre des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre des étrangers en situation irrégulière sur notre territoire par le ministère de l’intérieur.
Je tiens à le souligner, les discussions récentes entre le ministre de l’intérieur français et ses homologues des pays concernés en matière de coopération migratoire sont positives ; il y a eu une réelle amélioration. Elles se poursuivent de manière constructive. Avec le ministre de l’intérieur, nous nous réjouissons. Des progrès ont été accomplis, encore tout récemment avec le Maroc. Nous souhaitons pouvoir continuer d’avancer, afin de mettre un terme à une telle situation.
Je veux également rappeler que les mesures restrictives avaient été mises en œuvre avec le souci de préserver au maximum les publics prioritaires, notamment les étudiants, les entrepreneurs, les artistes ou d’autres.
Enfin, au-delà du sujet spécifique des mesures concernées et de leur évolution en cours ou à venir, je ne méconnais pas l’enjeu des délais de traitement des demandes de visa dans nombre de nos consulats. Ils sont effectivement parfois trop longs – nous l’entendons de tous côtés –, mais c’est parce que nous sortons de deux années contraintes par la pandémie de covid-19. Mon ministère est mobilisé pour les réduire. J’ai décidé que des renforts seraient envoyés dans les pays qui en ont le plus besoin. Nous créerons rapidement un centre de soutien spécifique dédié à ces missions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Au vu de la montée du sentiment anti-français sur le continent africain, je crois qu’il est urgent d’agir. À mon sens, lorsque la politique migratoire touche aux relations entre États, elle ne peut pas être du ressort du seul ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
répartition des étrangers sur le territoire
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre, puisqu’elle fait suite à une déclaration du Président de la République qui concerne de nombreuses politiques publiques, de la question migratoire à celles de l’aménagement du territoire, de l’éducation nationale ou du logement.
Le combat pour la ruralité, son développement, sa modernisation, son attractivité, est au centre des préoccupations du Sénat, sur toutes les travées de cet hémicycle.
Alors que la reconquête de cette ruralité, qui a cruellement manqué de vision politique pendant des années, est aujourd’hui possible, nous avons été nombreux à être sidérés par les déclarations du Président de la République devant les préfets voilà quelques jours. En effet, il a proposé une meilleure répartition des étrangers accueillis sur le territoire, notamment dans les « espaces ruraux, qui, eux, sont en train de perdre de la population », et où « nous devrons fermer des classes, vraisemblablement des écoles et des collèges ». Dans ces régions, « les conditions de leur accueil seront bien meilleures que si nous les mettons dans des zones qui sont déjà densément peuplées, avec une concentration de problèmes économiques et sociaux massifs », a-t-il ajouté.
Madame la Première ministre, je vous remercie de bien vouloir préciser devant la représentation nationale votre vision de la ruralité, comme d’ailleurs de l’immigration, à la suite de ces déclarations, ainsi que les intentions du Gouvernement pour les mettre en œuvre. Y a-t-il des projets de quotas territoriaux ? Y a-t-il un conditionnement du maintien des services publics à l’accueil de migrants ? Si oui, lesquels ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la politique migratoire de la France est l’un des axes prioritaires de l’action du ministère de l’intérieur. Des débats sont d’ailleurs prévus dans les semaines à venir, au Sénat et à l’Assemblée nationale, avant la présentation d’un projet de loi par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, en début d’année prochaine.
Nous le savons, notre politique migratoire doit évoluer. Pour cela, nous devons être plus fermes avec celles et ceux qui n’ont pas leur place sur le sol français et, dans le même temps, mieux intégrer celles et ceux qui ont vocation à y rester. L’intégration des étrangers en situation régulière est un enjeu majeur de notre politique migratoire, et c’est l’honneur de la France. Or le système actuel, qui conduit à une trop forte concentration sur certains territoires, n’est pas satisfaisant. Il suffit d’en parler aux élus locaux concernés, qui se tournent régulièrement vers l’État pour les accompagner face à ces situations humainement compliquées à gérer.
Nous devons donc mieux organiser les flux et les accueils de migrants pour mieux intégrer ces derniers. Le mécanisme de répartition territoriale existe déjà. Il fonctionne et a fait ses preuves pour les demandeurs d’asile. Nous l’avons d’ailleurs mis en œuvre à grande échelle avec l’accueil des personnes déplacées d’Ukraine. (Rien à voir ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Une grande partie d’entre elles avaient afflué en quelques jours dans les hubs de Paris, Strasbourg et Nice. Une fois l’accueil d’urgence garanti, nous leur avons proposé d’être hébergées partout sur le territoire, et cela a fonctionné.
Cette politique, il faut donc aujourd’hui la développer, notamment à travers des mécanismes incitatifs. C’est le travail que nous conduisons, là encore, en étroite concertation avec les territoires, les associations, les élus locaux, qui sont mobilisés pour répondre aux enjeux d’intégration, d’emploi, de formation et d’attractivité.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel, pour la réplique.