Mme la présidente. Vous avez dépassé votre temps de parole, madame la secrétaire d’État.
La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Madame la secrétaire d’État, l’exercice est compliqué, je le comprends parfaitement, car vous n’êtes pas chargée de la transition énergétique. Je vous demande néanmoins de bien vouloir relayer le message.
Les installations d’eau potable posent un vrai problème – j’en ai parlé avec le préfet de mon département – et des dysfonctionnements ne sont pas à exclure. De nombreuses communes, notamment rurales, pourraient être touchées. C’est un réel souci pour les habitants.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État. Le message sera passé !
application de la réglementation environnementale des bâtiments neufs pour les habitations légères de loisirs
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, auteure de la question n° 133, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Annick Billon. Madame la secrétaire d’État, à l’instar de certains bâtiments tels que les piscines, les saunas ou les lieux de culte, les habitations légères de loisirs (HLL) n’étaient pas soumises à la réglementation thermique 2012 (RT2012).
Cela s’expliquait logiquement en raison des spécificités liées à leurs usages, notamment la grande variabilité de l’occupation, puisque les HLL sont majoritairement installées sur des terrains de camping, des villages-vacances ou des parcs résidentiels de loisirs occupés durant la période estivale.
La réglementation environnementale 2020 (RE2020) est inadaptée aux HLL touristiques tant par ses contraintes techniques que par sa période d’étude de référence de cinquante ans. Or la durée de vie des HLL est d’environ vingt ans. L’application de la RE2020, dont l’intérêt est contestable dans ce cas de figure, entraînerait un surcoût préjudiciable pour les fabricants de HLL.
Concrètement, les clients professionnels ne pourraient plus investir sur des produits qualitatifs sans majorer le prix de la location finale. C’est regrettable, puisque les HLL permettent une meilleure intégration paysagère et une résilience plus forte en cas d’inondation que d’autres formes d’hébergements autorisées dans les campings.
Je n’ignore pas que les HLL peuvent également, mais le cas de figure reste minoritaire, servir d’habitation ou de bureau. En pareil cas, elles nécessitent un permis de construire et leur occupation permanente peut justifier l’application de la RE2020.
C’est pourquoi je demande que l’arrêté ministériel précise que la RE2020 s’applique uniquement aux HLL soumises au droit commun des constructions, à savoir les HLL implantées en dehors d’infrastructures saisonnières et les HLL implantées au sein d’infrastructures saisonnières dont la destination n’est pas l’hébergement touristique ou de loisirs.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Billon, vous demandez à ne pas voir appliquer la RE2020 aux HLL du fait de leurs spécificités.
Ces constructions, disposant d’un système de chauffage, présentent des consommations d’énergie plus importantes que la moyenne. C’est pourquoi il est prévu de les intégrer dans le périmètre de la RE2020, tout en appliquant des exigences de performance énergétique et environnementale adaptées à leurs spécificités.
Des adaptations des exigences de la RE2020 peuvent ainsi être appliquées aux HLL dans deux cas.
En premier lieu, les HLL de moins de 50 mètres carrés qui sont exonérées de formalités d’urbanisme seront soumises à la RE2020 à partir du 1er janvier 2023, mais des exigences de moyens adaptées y seront appliquées. Celles-ci seront précisées dans un arrêté qui sera publié cet automne. Elles correspondent principalement aux niveaux de performances à atteindre pour bénéficier d’aides à la rénovation.
En second lieu, les HLL prévues pour une durée d’utilisation de moins de deux ans se verront appliquer des exigences de moyens adaptées à partir du 1er juillet 2023. Là aussi, celles-ci seront précisées dans un arrêté qui sera publié à l’automne.
Les exigences définies par arrêté concerneront les principaux composants du bâtiment – performance des parois, des fenêtres, des systèmes de chauffage et d’eau chaude – et ont été discutées avec les principaux acteurs concernés.
D’ailleurs, l’étude d’impact réalisée indique un temps de retour sur investissement bien inférieur à vingt ans. Ces nouvelles exigences n’auront donc pas d’incidence sur la rentabilité des HLL. Elles permettront d’améliorer le confort des occupants tout en diminuant l’impact énergétique et environnemental de ces habitations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Nous sommes évidemment favorables aux exigences adaptées. Nous espérons vivement que la rédaction de ces arrêtés sera conforme. Il importe que les entreprises qui construisent les HLL puissent continuer de travailler dans de bonnes conditions.
indemnité de sujétion géographique des enseignants affectés à saint-barthélemy
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, auteur de la question n° 081, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Micheline Jacques. Madame la secrétaire d’État, la taille de l’île de Saint-Barthélemy et la nature de son économie entraînent une pression constante à la hausse sur les loyers, provoquant une incertitude grandissante sur la continuité du service public de l’enseignement.
Loger les enseignants venant de l’extérieur se révèle une tâche complexe. Une association de parents d’élèves prend même en charge une partie du loyer de certains enseignants.
Les établissements scolaires font de plus en plus appel à des enseignants contractuels, faute d’attirer des candidats titulaires. Lors de sa réforme en 2013, le décret portant création d’une indemnité de sujétion géographique a porté celle-ci à six mois du traitement indiciaire de base des agents de l’État affectés à Saint-Barthélemy, considérant que l’attractivité de l’île ne justifiait pas de la porter au-delà. Force est pourtant de constater que ce n’est plus le cas. En 2021, l’indemnité a été ramenée à trois mois de traitement, alors que les loyers ne cessent d’augmenter.
Une réflexion globale s’impose, car la réponse indemnitaire ne peut à elle seule constituer une solution à la situation locale. Elle devra être confortée par une adaptation des règles d’affectation académique et des conditions plus encourageantes pour les vocations locales, dans le respect naturellement des grands principes de la fonction publique. La présence d’un maître formateur est déjà une première avancée.
Madame la secrétaire d’État, quel regard portez-vous sur la situation de Saint-Barthélemy et quelles actions le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour l’améliorer ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Madame la sénatrice Micheline Jacques, le renforcement de l’attractivité du métier d’enseignant et la compensation du différentiel du coût de la vie en outre-mer sont au cœur des mesures de revalorisation des rémunérations adoptées par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, ainsi que par le ministère chargé de la fonction publique.
Le décret du 26 avril 2022 a déjà permis le versement de l’indemnité de sujétion géographique aux agents affectés durant une période minimale de deux années, au lieu de quatre, notamment à Saint-Barthélemy. Son bénéfice a par ailleurs été récemment étendu aux néo-titulaires.
Qui plus est, outre l’augmentation de 3,5 % de la valeur du point d’indice au 1er juillet 2022, les enseignants affectés à Saint-Barthélemy bénéficient, comme l’ensemble des fonctionnaires de l’État, d’une majoration de leur traitement brut de 25 %.
Enfin, il convient de rappeler la mise en place, depuis le 1er janvier 2022, de la participation du ministère aux frais de mutuelle santé de ses agents, soit 15 euros par mois et par agent. Ces derniers peuvent également bénéficier de la prime d’attractivité et de la prime d’équipement informatique.
J’en viens à l’affectation des enseignants titulaires. Pour répondre aux besoins constatés dans les établissements en raison de la spécificité sociale et géographique du territoire, le ministère propose un dispositif qui permet notamment aux enseignants titulaires originaires de cette île d’y obtenir plus facilement leur mutation.
Dans le cadre des opérations de mobilité 2022, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a innové en proposant un mouvement sur postes à profil (PoP). L’objectif de ce dispositif est de proposer aux enseignants des postes qui requièrent des compétences particulières, en lien avec le projet de l’établissement, les caractéristiques territoriales ou les missions du poste. L’intérêt de ce dispositif est de pourvoir les postes proposés, hors barème, par des profils adaptés aux exigences du poste.
Par conséquent, le développement du mouvement PoP permet aux enseignants titulaires, notamment à ceux dont le centre des intérêts matériels et moraux est à Saint-Barthélemy, de candidater directement dans les établissements de ce territoire. C’est ainsi qu’en 2022 trois postes ont été proposés à Saint-Barthélemy ; ils ont tous été pourvus.
Enfin, dans le cadre du développement par le ministère d’une politique en faveur du logement de ses personnels, la mise en place de possibles mesures en faveur du logement des enseignants à Saint-Barthélemy sera examinée dans les prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour la réplique.
Mme Micheline Jacques. Je note les avancées en faveur de Saint-Barthélemy.
Une personne ayant fait l’objet d’un recrutement PoP a quitté son poste, car elle avait des problèmes santé et n’a pas trouvé sur place d’offre de soins adaptée. Comme je l’ai souligné, le problème est global et appelle donc un travail interministériel.
système de mutations inefficace dans l’éducation nationale
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la question n° 107, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Serge Mérillou. Non, la rentrée de 2022 ne s’est pas bien passée. La promesse d’un enseignant devant chaque classe n’a pas été tenue !
Il appartient à la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels de redonner au métier d’enseignant ses lettres de noblesse afin de le rendre de nouveau attractif. Cela passe d’abord par la revalorisation des salaires pour tous les professeurs. Pour l’heure, le projet de loi de finances pour 2023 n’est pas à la hauteur. Les enfants et les enseignants sont les premières victimes de cette crise d’attractivité.
Au mois de mars 2022, près de 14 000 demandes de mutations interdépartementales sur les 17 000 demandes totales n’étaient pas satisfaites. Ce constat ubuesque crée des situations humaines difficiles et laisse des postes vacants.
Paradoxalement, des refus de mutations sont constatés dans des académies employant des contractuels. Ainsi, dans mon département, l’académie de Bordeaux, qui manque elle aussi d’enseignants titulaires, a des difficultés pour obtenir le mouvement d’enseignants titulaires dont le conjoint a été muté. Cela met à mal les politiques de dynamisation du monde rural – politique Petites villes de demain, etc.
Ce manque de mobilité a une double conséquence. Ainsi, de nombreux candidats potentiels se détournent du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) pour préférer la position de contractuel. Dans le même temps, un nombre considérable de titulaires restent chez eux, sans poste, faute d’acceptation de leurs demandes de mutation.
En 2019, l’opacité s’est ajoutée à la frustration. La suppression des commissions paritaires et la mise en place d’un algorithme renforcent l’idée selon laquelle l’administration décide seule, sans contrôle.
Démissions, mises en disponibilité, contractualisation de la profession, système trop rigide : l’école publique ne séduit plus. Élèves et professeurs s’en détournent. Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous clarifier, fluidifier et rendre de nouveau transparent le système de mutation, tout en rendant la carrière d’enseignant plus attractive ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Dominique Faure, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ruralité. Monsieur le sénateur Mérillou, la politique de mobilité du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a pour objectif de favoriser la meilleure adéquation possible entre la construction des parcours professionnels, la réponse aux besoins en enseignement des académies et le respect des enjeux de continuité et de qualité du service public de l’enseignement.
Le ministère porte une attention particulière aux zones ou territoires connaissant des difficultés de recrutement. Ces opérations ont in fine pour ambition de permettre à chaque académie d’assurer un enseignement de qualité à tous les élèves. Il gère une importante volumétrie des demandes de mobilités et garantit le respect des priorités légales de mutation au moyen d’un barème. Celui-ci prend notamment en compte le rapprochement de conjoints, le handicap, le centre des intérêts matériels et moraux de l’agent.
Dans le second degré, pour les 15 644 titulaires qui ont participé au mouvement, 6 783 titulaires ont obtenu une mutation, soit un taux de mutation de 43,4 %, contre 42,1 % en 2021. Parmi les 10 631 néo-titulaires, 85,4 % obtiennent satisfaction sur un vœu exprimé.
Dans le premier degré, le nombre total de demandes de participation au mouvement interdépartemental s’élève à 17 462 candidats contre 17 179 en 2021. En l’espèce, 3 570 enseignants, soit 20,44 % des candidats, ont obtenu une mutation, 3 121 enseignants, soit 87,4 % d’entre eux, ont vu leur premier vœu satisfait.
Nous sommes évidemment confrontés à un déséquilibre entre les demandes d’affectation géographique et les besoins. Par exemple, en 2022, dans le premier degré, 51 % des demandes de sortie se concentraient sur les départements franciliens, tandis que dix départements situés principalement en Bretagne et sur la façade atlantique concentraient 31 % des demandes d’entrée. Dans le même temps, les départements franciliens représentent seulement environ 6 % des demandes d’entrée.
Ce déséquilibre entre les besoins d’enseignement et les demandes des participants au mouvement conduit à une nécessaire régulation du nombre de sorties et d’entrées dans les départements afin d’assurer la continuité du service public d’enseignement ainsi que l’engagement pris de disposer d’« un professeur devant chaque classe ».
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France
Débat sur les conclusions du rapport d’une mission d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », sur les conclusions du rapport Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de mars 2020, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont mis en relief les fragilités de notre économie. Ainsi, l’incapacité de la France, patrie de Pasteur, à développer un vaccin contre le covid-19 nous a brutalement rappelé que nous ne faisions plus partie des États leaders dans l’innovation.
Sommes-nous pour autant condamnés à jouer le rôle de fournisseur d’innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles, nous revenant sous forme d’importations néfastes à notre balance commerciale ? Ce n’est pas ce que nous souhaitons. La crise énergétique pourrait évidemment aggraver le phénomène, puisqu’elle rend plus difficile la réimpatriation des chaînes de production.
Pour sortir de cette impasse, le groupe Les Indépendants – République et Territoires a lancé une mission d’information sur le sujet, dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité le 8 juin dernier.
La formulation retenue pour l’intitulé de cette mission d’information – « Excellence de la recherche et innovation, pénurie de nouveaux champions industriels : cherchez l’erreur française » – était volontairement provocante. Reste que, parmi les cent vingt-cinq personnes auditionnées, rares ont été celles qui l’ont jugée impertinente. Je crois en effet que nous comprenons tous, chacun avec sa sensibilité politique, le drame industriel qui s’est joué dans notre pays.
J’en profite pour remercier chaleureusement tous les membres de la mission d’information qui m’ont accompagnée au cours de ce travail et qui l’ont enrichi de leur expérience propre et des exemples issus de leur territoire, singulièrement son président Christian Redon-Sarrazy, qui a su nous faire profiter de sa connaissance de ces sujets, notamment pour ce qui concerne la formation dans les territoires.
Nous avons tout d’abord constaté un paradoxe – en France, on adore les paradoxes ! (Sourires.) –, à savoir que notre pays investissait massivement en faveur de l’innovation pour des performances industrielles qui n’étaient pas vraiment à la hauteur. Pourtant, il n’y a pas de fatum : la France dispose des atouts nécessaires pour être une économie de rupture technologique, créatrice d’emplois dans les territoires.
Il s’agit de tenir compte des « erreurs françaises » qui ont jusqu’à présent empêché de transformer mieux l’essai de l’innovation industrielle, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour que la France redevienne une nation industrielle innovante et souveraine.
Deux principes ont guidé l’élaboration de nos recommandations : l’efficacité de la dépense publique et le caractère opérationnel des mesures proposées.
Le soutien de la croissance et du développement des industries innovantes est l’affaire de tous, et seule une action coordonnée du Parlement, du Gouvernement et des acteurs privés permettra de relever les défis auxquels notre pays doit faire face.
Le Parlement a un rôle essentiel à jouer. Deux tiers des dépenses de soutien à l’innovation sont des incitations fiscales, notamment avec le crédit d’impôt recherche (CIR) qui représente une dépense annuelle de 6,6 milliards d’euros. Pourtant, son efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises bénéficiaires : véritable incitation à l’innovation pour les petites et moyennes entreprises (PME), il est trop souvent, pour certains grands groupes, une forme d’aubaine fiscale. C’est ce que montre une étude de 2019 de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi).
En effet, 1 euro de CIR versé aux PME entraîne 1,40 euro de dépenses de recherche et développement (R&D), alors que le même euro versé aux grandes entreprises n’engendre que 40 centimes de dépenses en R&D.
Or le CIR est très majoritairement accaparé par les grandes entreprises : 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de l’aide. Pis encore, les cent plus gros bénéficiaires touchent 33 % de son volume !
Au moment de l’adoption du rapport d’information, l’ensemble des membres de la mission d’information, et ce quel que soit leur bord politique, ont reconnu que cette situation de rente n’était plus tenable. Après le « quoi qu’il en coûte » et le « combien ça coûte », il est temps d’opter pour le « mieux qu’il en coûte ».
C’est pourquoi nous proposons, sans remettre en cause la stabilité fiscale du dispositif ni alourdir la dépense fiscale liée au CIR, de renforcer son efficacité par plusieurs ajustements très à la marge, monsieur le ministre.
D’abord, nous souhaitons supprimer le taux de 5 % de CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond.
D’après les calculs de l’économiste Xavier Jaravel entendu par la mission d’information, cette mesure entraînerait une économie de 750 millions d’euros, ce qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses de R&D des PME, des petites et moyennes industries (PMI), ainsi que des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Dire que, sans cette mesure, nos grands groupes délocaliseront leurs activités de recherche ou que nous n’attirerons plus les investisseurs étrangers est un chantage à l’emploi contre lequel je m’insurge. Une telle allégation signifierait que les investisseurs et les grands groupes viendraient chez nous pour de très mauvaises raisons ; or je pense au contraire qu’ils ont de très bonnes raisons de venir en France !
Les grandes entreprises gardent leurs centres de R&D en France, parce qu’elles bénéficient d’un CIR de 30 % jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses et non d’un taux réduit au-delà. Elles s’implantent aussi chez nous parce qu’elles s’inscrivent dans des écosystèmes performants de recherche et d’innovation, qu’elles bénéficient d’une recherche publique d’excellente qualité et – faut-il s’en réjouir ? – très bon marché et qu’elles peuvent s’appuyer sur des infrastructures de bonne qualité ainsi que sur un vivier d’ingénieurs et de techniciens très bien formés.
Ensuite, nous proposons de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. Nombre d’entreprises consolident leurs résultats pour déterminer leur bénéfice global en compensant les pertes de certaines filiales avec les résultats positifs des autres afin de diminuer leur impôt sur les sociétés.
Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé au niveau de chaque filiale. L’équité fiscale exige qu’en cas d’intégration fiscale le crédit d’impôt soit également calculé au niveau de la holding, et non dans chaque filiale. Selon les calculs du Comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de plus de 500 millions d’euros par an ; cela profiterait aux PME-PMI innovantes.
Le CIR ne constitue pas à nos yeux l’alpha et l’oméga de notre politique de soutien à l’innovation, tant s’en faut. Force est toutefois de constater que, depuis que nous avons publié nos recommandations, ce sont bien les ajustements à la marge que nous proposons, au nom de l’efficacité de la dépense publique, qui focalisent l’attention, alors même que nous approuvons la sanctuarisation du CIR.
C’est pourquoi il m’a paru important de concentrer mon propos sur ce sujet afin de lever tout malentendu. Le président de la mission d’information aura tout loisir, en conclusion de ce débat, de revenir sur les autres mesures, nombreuses, que nous proposons.
Je tiens à évoquer, dans le temps qui me reste, quelques pistes d’action qui ne relèvent pas du Parlement, mais qui sont à la main du Gouvernement.
Un principe, d’abord : préférer le chiffre d’affaires aux subventions, en mobilisant la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes.
Une règle d’or, ensuite : faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais. C’est avant tout une question de volonté politique. L’exemple du terminal méthanier flottant au Havre, dont la construction devrait commencer six mois à peine après que ce projet a été envisagé, montre que nous pouvons le faire ! Nous devons aligner temps administratif et temps économique.
Enfin, les acteurs privés doivent eux aussi s’impliquer pour soutenir le développement des entreprises industrielles innovantes.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame le rapporteur.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information. En conclusion, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage avec vous un espoir : la crise actuelle constitue une opportunité pour réindustrialiser nos territoires et optimiser l’efficacité des dépenses publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être si vite de retour au Sénat pour discuter avec vous de ce rapport d’information extrêmement important – je me demande d’ailleurs si je ne vais pas demander mon rond de serviette, puisque j’étais présent hier soir à l’occasion du débat sur la souveraineté économique et ce matin pour répondre à un certain nombre de questions orales ! (Sourires.)
Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je vous remercie de ce travail exceptionnel et très complet.
Je partage avec vous le constat selon lequel il est encore difficile de relier la « paillasse » à l’entrepôt. La recherche française, pourtant de qualité internationale, comme en atteste le prix Nobel de physique 2022 attribué à un Français voilà quarante-huit heures, a du mal à se retrouver, de manière concrète, au sein de l’entreprise et des processus productifs. Vous avez procédé à une analyse d’ensemble systématique fort utile ; elle nous permettra de réfléchir à la manière de rendre tous ces processus plus efficaces.
Je vous trouve néanmoins un peu sévère – c’est de bonne guerre… – sur la position de notre pays. Il y a maintenant quelques jours, la France a été classée douzième pays le plus innovant au monde dans le Global Innovation Index. Pour rappel, elle était dix-neuvième en 2019.
Nous faisons déjà quelques progrès auxquels – j’ai la faiblesse de le penser – le gouvernement précédent et la majorité à laquelle j’appartenais ont contribué : je pense à la French Tech et à l’accélération du développement des start-up industrielles.
Néanmoins, vous avez raison : si les soutiens en faveur de l’innovation vers l’industrie et en son sein ont été massifs, les freins sont encore nombreux et il nous appartient de les lever. Nous convergeons sur un grand nombre de vos propositions et avons d’ores et déjà mis en œuvre des actions en ce sens.
J’aurai l’occasion d’y revenir dans le cadre de mon intervention finale. Puisque le rapport d’information est vraiment global, je n’ai en effet pas prévu de répondre après chaque intervention : je ferai plutôt une réponse générale. J’espère que les orateurs, qui seront par conséquent privés de leur droit de réplique, ne m’en tiendront pas rigueur !
Sachez tout de même que, sur le crédit d’impôt recherche, nous aurons quelques divergences que j’exposerai alors, même si je suis sûr que le président de la mission d’information ne manquera pas de m’expliquer à quel point j’ai tort… (Sourires.)
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat, auquel je suis très heureux de participer.