Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ajouterai, monsieur le sénateur, que votre amendement tend à aider à obtenir des diplômes secondaires, dont le baccalauréat. Cela pose tout de même des difficultés d’organisation.
Le Gouvernement a déjà prévu que les jeunes sapeurs-pompiers puissent rentrer ces bonifications dans la plateforme Parcoursup. Cela me semble très positif.
Je me rangerai donc à l’avis de M. le rapporteur, considérant qu’une grande partie de votre demande de reconnaissance est exaucée. Avis défavorable.
Mme le président. L’amendement n° 79, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 174
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Une réflexion de fond sera menée sur l’encadrement légal et la pratique des contrôles d’identité afin de lutter contre leur banalisation, notamment en précisant les motifs légaux pouvant justifier un contrôle, et par la mise en place de récépissés de contrôle d’identité.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous abordons de nouveau un sujet qui vous irrite et je vous prie de m’en excuser, mais dans la mesure où je constate que nos amendements positifs ne sont pas non plus acceptés…
Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), les forces de l’ordre ont un pouvoir d’appréciation extrêmement étendu sur l’opportunité de contrôler ou non une personne. La Défenseure des droits a reconnu pour sa part que l’enchaînement systématique des contrôles d’identité revenait à généraliser, dans certaines zones du territoire, des pratiques de contrôle d’identité discrétionnaires.
Ce sont non pas des gauchistes wokistes qui le disent, mais la Commission nationale consultative des droits de l’homme et la Défenseure des droits.
Les contrôles d’identité abusifs ou discriminatoires sont une réalité quotidienne pour bon nombre de personnes en France. Le contrôle au faciès fait qu’un même individu peut être contrôlé trois ou quatre fois dans la même semaine. Cette pratique a pour effet évident de provoquer des tensions entre les forces de l’ordre et la population.
Le 9 novembre 2016, la Cour de cassation – dont les membres ne sont pas non plus des wokistes gauchistes – a rappelé qu’un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, était discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l’État.
Le Conseil constitutionnel a rappelé également que « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires » était « incompatible avec le respect de la liberté individuelle ».
Pour lutter contre ces pratiques abusives, la CNCDH et la Défenseure des droits recommandent la mise en place d’un système de traçabilité des contrôles d’identité par le biais de la remise d’un récépissé à l’usager après chaque contrôle.
Cette mesure est défendue par des associations depuis plusieurs années. Si elle ne constitue pas la solution miracle pour lutter contre les discriminations, elle est un moyen pour limiter la latitude importante dans la sélection des personnes à interpeller.
Nous comprendrions que la formulation de l’amendement ne vous convienne pas, mais le rapport annexé est une feuille de route pour les prochaines années. Il paraît plus que temps d’y intégrer une réflexion sur les conditions et les dérives des contrôles qui empoisonnent la vie de certains, rarement dans le XVe arrondissement de Paris.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous avons eu ce débat tout à l’heure. Les rapporteurs et le ministre ont donné de longues explications qui restent valables : toutes les modalités de réalisation des contrôles d’identité sont précisées de manière limitative et respectueuse des droits de l’homme à l’article 78-2 du code de procédure pénale.
Les contrôles d’identité sur l’initiative d’un policier ou d’autres choses de ce type n’existent pas. Je suis désolé, mais je suis le ministre du logement qui a imposé aux agents immobiliers la charte de non-discrimination dans l’accès au logement pour des raisons liées au faciès. Je sais donc de quoi je parle et, franchement, je trouve que vous poussez le bouchon très loin ! Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. On peut ne pas être d’accord. L’expérience de M. le rapporteur est sûrement tout à fait légitime, la mienne l’est tout autant. Celle de la Cour de cassation, celle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, celle de la Défenseure des droits ou encore celle du Conseil constitutionnel me paraissent aussi dignes d’être écoutées.
On ne peut de la sorte rejeter la proposition d’un revers de la main, sous des prétextes quelconques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Mais si !
M. Guy Benarroche. Les derniers chiffres en attestent, il existe une disparité territoriale énorme, comme on l’a vu par exemple dans la façon dont se sont déroulés les contrôles des attestations covid, variables selon les endroits où ils avaient lieu. Chacun d’entre nous a pu le constater. Cela nuit à l’efficacité du travail d’enquête et de poursuite pénale. Cela nuit également à la confiance entre les citoyens et la police.
Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce débat est récurrent. Depuis plusieurs années, nous voyons les tensions et l’incompréhension s’accroître entre une partie de la population, jeune ou pas jeune d’ailleurs, et nos forces de l’ordre.
Dans certains cas, minoritaires certes – je l’ai observé moi-même –, on a parfois le sentiment d’un acharnement, qui peut d’ailleurs naître d’une certaine difficulté, pour les forces de l’ordre, à appréhender les problèmes auxquels ils doivent faire face.
Pendant un moment, on nous a expliqué que les caméras embarquées allaient offrir des garanties. Or j’observe que, dans certains territoires et dans certains cas, nous n’avons toujours pas atteint le seuil de confiance réciproque entre les citoyens et les forces de l’ordre qui est nécessaire dans une République.
Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas expérimenter ni mettre en œuvre des procédés qui existent ailleurs et qui n’ôtent rien à l’autorité des forces de police, dès lors qu’ils sont généralisés et que leur pratique est reconnue.
Nous verrons d’ailleurs que, dans certains cas, les gens exagèrent : il n’y a pas autant de contrôles qu’on le dit. Je ne vois pas en quoi cette transparence serait de nature à affaiblir la relation entre la police et la population, ni même l’autorité de la police. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis toujours frappé par ce débat, au cours duquel on s’éloigne de la réalité du droit.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’agit de la réalité des faits !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la sénatrice, j’ai beaucoup de respect pour votre engagement, mais vous avez dit une bêtise sur le plan juridique : les policiers et gendarmes ne procèdent pas, de leur propre initiative, à des contrôles d’identité. Ils ne le font – il en est ainsi depuis que les magistrats autorisent des contrôles d’identité – que sous l’autorité du procureur de la République.
Ils procèdent à ces contrôles – c’est le premier cas – sur réquisition du procureur de la République, dans des lieux particulièrement criminogènes, par exemple dans les gares. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Il s’agit d’une politique pénale !
Lors de l’examen de la réforme de la police nationale, vous m’avez tous expliqué pendant deux heures qu’il fallait respecter l’indépendance de la justice et se garder de commenter les instructions des procureurs de la République et des magistrats.
Je vous dis là que lorsque les policiers et les gendarmes procèdent à des contrôles d’identité, par exemple autour des gares ou dans les stations de métro, ils le font sur réquisition du procureur de la République. Soit la justice est indépendante, soit elle ne l’est pas ! Les policiers et gendarmes contrôlent quand ils ont reçu des réquisitions de contrôle.
Les policiers et gendarmes peuvent ensuite contrôler l’identité d’une personne dans un deuxième cas : lorsqu’ils sont officiers de police judiciaire. Ces contrôles sont tout de même assez rares dans la vie de tous les jours, même si cela peut arriver, des OPJ étant présents dans les effectifs des brigades anticriminalité (BAC). Lorsqu’ils ne respectent pas les principes déontologiques et les règles de contrôle, ces OPJ se voient retirer leur habilitation. Il arrive ainsi très souvent que le procureur exerce, en opportunité, un tel contrôle.
Je rappelle que c’est non pas moi qui délivre l’habilitation, mais le procureur de la République, après avis d’une commission présidée par un magistrat.
Un policier peut enfin – troisième et dernière situation – effectuer un contrôle de sa propre initiative lorsqu’il constate une infraction, un crime ou un délit. Quelqu’un viendrait-il à dire, à la sortie du palais du Luxembourg, avoir été témoin d’un meurtre ou victime d’un vol de sac à main que le policier – dont les actes seront ensuite contrôlés par le juge des libertés – procéderait alors aux contrôles d’identité nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi française ne permet pas aux policiers d’effectuer des contrôles de leur propre initiative. Si vous pensez, pour les raisons que vous avez évoquées, que ces contrôles sont trop nombreux, il faut soit le dire à l’occasion d’un futur débat de politique pénale – vous avez vous-même autorisé ces contrôles en votant les lois de la République –, soit expliquer – ce n’est pas ce que vous avez dit, madame la sénatrice, mais bien ce que vous avez dit, monsieur le sénateur – qu’une partie des procureurs de la République organisent sciemment en France des contrôles à répétition de certaines personnes, pour des raisons raciales ou en raison de leur faciès.
Je le répète : ce ne sont pas les services de police qui sont à l’initiative des contrôles. Ils sont sous l’autorité d’un magistrat.
Monsieur le sénateur, feriez-vous la même démonstration si je vous disais que la plupart des contrôles fiscaux s’appliquent aux personnes qui gagnent le plus d’argent ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) C’est exactement la même démonstration : ceux qui se rendent coupables de fraude fiscale sont en plus grande proportion les personnes qui gagnent le plus d’argent !
M. Guy Benarroche. Soyons sérieux ! Cela n’a rien à voir !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis très sérieux ! Lors du débat portant ici même sur la fraude fiscale, votre groupe m’avait interpellé et demandé d’augmenter le nombre de contrôles fiscaux. Quelles sont les personnes que nous devrions alors contrôler ? On peut se poser la question. Cette démonstration par l’absurde démonte votre propre argument.
La vérité, c’est que vous ne faites pas confiance aux forces de l’ordre.
La vérité, c’est que, pour vous, la parole de la personne contrôlée vaut celle du contrôleur.
La vérité, c’est que pour vous, un individu en uniforme, qu’il soit un homme ou une femme, est par nature suspect !
La vérité, c’est que ce ne sont pas les jeunes qui n’aiment pas l’autorité, c’est votre groupe politique ! (M. Thomas Dossus se récrie. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. L’amendement n° 129, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 174
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Afin de lutter contre les contrôles d’identité discriminatoires pouvant avoir lieu dans les quartiers dits sensibles dans des zones n’étant pas assez attractives comme l’Île-de-France, des moyens sont mis en place pour fidéliser les personnels de police expérimentés, afin que ceux-ci puissent encadrer les personnels de police plus jeunes.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Je citerai de nouveau la Commission nationale consultative des droits de l’homme, selon laquelle « les forces de l’ordre ont un pouvoir d’appréciation extrêmement étendu sur l’opportunité de contrôler ou non une personne ».
Dans son avis sur les rapports entre police et population visant à rétablir la confiance entre la police et la population, cette même commission relève que les jeunes policiers en fonction dans certains quartiers dits sensibles témoignent d’un manque d’encadrement par des policiers plus seniors. N’étant pas originaires d’Île-de-France et ne souhaitant pas y rester, ils peuvent être conduits à mener des actions de type contrôle au faciès.
Dans son rapport de décembre 2019, la Cour des comptes souligne notamment que la préfecture de police de Paris « souffre d’une faible attractivité, d’un déficit en personnel confirmé et d’un grave sous-encadrement ».
Cet amendement vise donc à aider nos forces de l’ordre. Il vise à prévoir un renforcement de l’encadrement des jeunes policiers dans les quartiers dits sensibles par des policiers plus seniors, afin d’augmenter l’attractivité de ces zones et de réduire le mal-être policier.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 88, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Afin de prévenir de bavures policières ou d’accidents mortels lors des interpellations policières, le Gouvernement prend des mesures visant à interdire définitivement les techniques d’immobilisation qui auraient pour effet d’entraver les voies respiratoires, telles que le pliage, la clé d’étranglement et le placage ventral.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Mes propos vont encore vous faire plaisir – je le sens –, mais je vous prie de m’en excuser : quand nous citons un certain nombre d’organismes, y compris gouvernementaux et officiels, pour tenter de résoudre certains problèmes, nous sommes accusés, en retour, d’être des extrémistes gauchistes !
Cet amendement, inspiré des travaux de l’association Action sécurité éthique républicaine (ASER) et de la proposition de loi de notre collègue député François Ruffin – ce n’est pas un bon point pour moi, je le sais… –, enjoint au ministère de l’intérieur de renoncer aux pratiques d’immobilisation létales qui ont conduit à de nombreux accidents mortels.
Ainsi, Cédric Chouviat est décédé le 5 janvier 2020, après son interpellation, à la suite d’une fracture du larynx provoquée par une clé d’étranglement et un maintien au sol.
Le 16 novembre 2017, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour la mort de Mohamed Boukrourou du fait d’un « traitement inhumain et dégradant » et à la suite de son interpellation et de son immobilisation.
Le 19 juin 2018, la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau reconnu la responsabilité de la France pour négligence dans le décès d’Ali Ziri, dont la mort serait due à un pliage ventral.
En 2007, la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà condamné la France pour le décès de Mohamed Saoud, qui avait été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie, une forme d’immobilisation hautement dangereuse.
Toutes ces techniques très controversées ont conduit le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, à entériner dans une note de service le renoncement en toutes occasions aux techniques de la clé d’étranglement et du plaquage ventral.
Le plaquage au sol est également une technique policière controversée : il a provoqué au moins quatre cas mortels en France depuis 2005. Interdit en Suisse, en Belgique et dans certaines villes des États-Unis, il reste toujours autorisé et pratiqué en France.
Si certaines de ces pratiques ont déjà été prohibées par la direction générale de la police nationale dans des notes d’instructions, elles ont encore été pratiquées sur le terrain à certaines occasions.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cet amendement entre dans le champ d’une mission d’information en cours, la mission sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie, dont Mmes Carrère et Di Folco sont rapporteures.
Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble préférable d’attendre les conclusions de cette mission avant d’adopter une position. C’est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. J’ai bien entendu l’argument du rapporteur. Or le Sénat a précédemment inséré dans ce projet de loi d’orientation et de programmation des dispositions sur la police judiciaire, alors même que la commission des lois a lancé une mission d’information sur ce sujet… Par cohérence, on pourrait en faire de même avec cet amendement !
J’ajoute que, si certaines des pratiques en question sont déjà prohibées par la direction générale de la police nationale – je l’ai dit –, le groupe écologiste demande leur prohibition formelle par le ministère de l’intérieur via une inscription dans la loi.
Nous espérons a minima une clarification à venir de la doctrine du ministère de l’intérieur. Si les techniques d’immobilisation sont un outil nécessaire pour les forces de l’ordre, il reste que leurs conséquences potentielles doivent être prises en compte dans leur mise en œuvre – ce serait une bonne orientation pour le ministère.
Il est dommage de ne pas vouloir interdire les plus dangereuses d’entre elles pour faire l’économie d’une formation initiale plus complète et plus complexe et d’une formation continue plus adaptée et plus fréquente.
Mme le président. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 82, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer neuf alinéas ainsi rédigés :
Dans un souci de rétablir la confiance des citoyens avec les organes de contrôle des forces de l’ordre, le Gouvernement s’engage vers une réforme en profondeur de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Cette réforme permettrait notamment, en parallèle de l’existence de l’IGPN et de l’IGGN, la création d’un déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées, bénéficiant d’un pouvoir d’investigation en cas d’infraction pénale commise par un membre des forces de l’ordre.
Le Déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées est nommé sur proposition du Défenseur des droits par le Premier ministre, après avis conforme des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, en indiquant qu’il doit s’agir d’un magistrat de l’ordre judiciaire. Il est chargé :
1° De superviser le traitement des plaintes contre les forces de police et de gendarmerie nationale ;
2° De veiller au respect par les forces de l’ordre des lois et règlements et du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale ;
3° D’enquêter sur le fonctionnement, les activités et les méthodes des services de police et de gendarmerie nationale sur l’ensemble du territoire ;
4° D’instruire les affaires disciplinaires concernant les forces de l’ordre ;
5° De procéder à des investigations en cas d’infraction pénale commise par un membre des forces de l’ordre.
Le Déontologue des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées est chargé d’évaluer et de mettre à jour la pertinence et l’efficacité des formations initiale et continue des forces de l’ordre et leurs méthodes de recrutement. Il veille à la prévention des risques psychosociaux et à la lutte contre le harcèlement. Il veille à la bonne organisation et au bon fonctionnement des services de police grâce à des études et des évaluations des règles et pratiques professionnelles relatives à la déontologie. En conséquence, il soumet annuellement au ministre de l’intérieur la révision des normes de conduite applicables par les forces de police dans leurs relations avec le public.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement, inspiré de la proposition de loi de notre ancienne collègue Sophie Taillé-Polian, aujourd’hui députée, visant à rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre, a pour objet de demander au Gouvernement la création d’une autorité indépendante, rattachée au Défenseur des droits, chargée de la déontologie des forces de l’ordre.
Les instances actuelles chargées d’enquêter sur les bavures policières – IGPN et IGGN – ne remplissent pas leur rôle : défaut de célérité des enquêtes, manque d’impartialité et de transparence.
Le Défenseur des droits le répète depuis de nombreuses années : le respect de la déontologie par les forces de l’ordre constitue un élément central de la confiance des citoyens à l’égard des institutions.
En 2019, les réclamations contre la déontologie des forces de l’ordre ont augmenté de 29 %. La police des polices s’est vu confier 1 460 enquêtes judiciaires la même année, dont plus de la moitié vise des accusations de violences de la part des forces de l’ordre.
Le Défenseur des droits a demandé l’engagement de poursuites disciplinaires dans trente-six dossiers. Or aucune de ses demandes n’a été suivie d’effet. Aucune !
Quant aux sanctions pour discriminations, elles sont, selon la CNCDH, quasi inexistantes.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, avait annoncé la création d’un organe de contrôle parlementaire des forces de l’ordre, aux contours encore indéfinis, lors d’un discours à l’école de police de Roubaix, le 14 septembre 2021. Cette annonce n’a pas été suivie d’effet. Notre groupe propose au Gouvernement d’inscrire son projet dans sa programmation.
La réforme d’ampleur de l’IGPN annoncée par le précédent ministre de l’intérieur le 8 juin 2020 semble, selon les mots du professeur de droit Olivier Cahn, avoir rejoint le vaste cimetière des promesses de circonstance destinées à apaiser l’opinion publique après une bavure.
L’État doit de toute urgence réformer la culture policière, ce qui suppose de modifier en profondeur les organes de contrôle compétents.
Mme le président. L’amendement n° 121, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Gillé et Jacquin, Mmes Le Houerou, G. Jourda et Artigalas, M. Cozic, Mmes Conconne, Meunier et Carlotti, M. Cardon, Mmes Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 175
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Réforme de l’organisation et du fonctionnement des corps d’inspection des forces de l’ordre nationales
La réforme de l’organisation et du fonctionnement des corps d’inspection des forces de l’ordre nationales sera engagée. Elle se traduira par l’élaboration d’un modèle reposant sur un organisme public indépendant qui exercera ses missions, en coordination avec les inspections générales (inspection générale de la police nationale, inspection générale de la gendarmerie nationale et inspection générale de l’administration). Cet organisme public indépendant sera doté d’un pouvoir d’initiative d’enquêtes et sera composé de membres appartenant aux corps respectifs de la police et de la gendarmerie nationales, du Défenseur des droits et de personnalités qualifiées.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement est le premier d’une série de trois qui concernent la question des relations entre la police et la population.
Le paragraphe 2.7 du rapport annexé s’intitule : « Garantir la transparence et l’exemplarité de l’action des forces de l’ordre ». Il souligne, à juste titre, que la demande sociale d’exemplarité dans le comportement des forces de sécurité s’accroît et qu’elle s’exprime à travers une revendication d’indépendance et de transparence des organes de contrôle. Nous avons évidemment abordé ces sujets, qui font souvent l’actualité, dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
Malheureusement, il me semble que les pistes qui sont envisagées par le ministère n’empruntent pas cette direction, même si nous prenons acte de la création d’un comité d’éthique auprès du ministère de l’intérieur et de la modernisation annoncée des plateformes de signalements effectués auprès des inspections générales.
Il est rappelé à raison dans le rapport annexé que les mécanismes actuels de contrôle interne des forces de l’ordre sont l’objet de critiques récurrentes, justifiées par leur manque d’indépendance qui entretient un soupçon de partialité et ne favorise pas toujours l’amélioration des relations entre la population et les forces de sécurité.
Nous en connaissons les raisons. Outre l’effet de corps lié à la composition actuelle des organes de contrôle, qui comprennent majoritairement des policiers et des gendarmes, ces derniers sont rattachés organiquement au ministère de l’intérieur via les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales.
De ce fait, il y a une forme d’entre soi professionnel qui entretient une culture qu’on pourrait qualifier de corporatiste.
Il nous semble que nous pouvons nous inspirer de ce qui a été proposé lors du Beauvau de la sécurité, en particulier de l’exemple britannique emblématique de l’Independant Office for Police Conduct (IOPC). Cet office indépendant est chargé d’instruire les affaires les plus graves, il peut s’autosaisir, il ne rend pas compte à l’exécutif, il dispose de son propre budget et de ses propres enquêteurs, lesquels ne sont pas rattachés à un service actif de la police, et ses directeurs ne peuvent pas, du fait de la loi, être des policiers.
Le critère d’indépendance du contrôle de l’usage de la violence par la police est essentiel dans un État de droit. C’est la condition d’un retour en légitimité, dont les autorités de contrôle n’auraient jamais dû se départir.